Malades jeunes : une réalité, des propositions

Lysiane et Philippe Victoire-Féron

Ce texte a été rédigé par ma femme et moi-même, car cette maladie et ce combat, nous le menons à deux depuis le début et c’est à deux que nous voulions nous exprimer.

Annonce du diagnostic

Juillet 2008 : Après bien des hésitations et une prise de conscience de ma femme, nous avons rendez-vous auprès d’un neurologue et ma femme fait un bilan mémoire. Des examens complémentaires sont demandés : scanner et scintigraphie.

Octobre 2008 : Lors de ce second rendez-vous, le neurologue a établi un protocole de soins et fait une demande à notre médecin généraliste pour une demande d’ALD (allocation longue durée) mais jamais il n’a prononcé le mot maladie d’Alzheimer. Il prescrit un traitement qui s’est avéré très perturbateur pour ma femme.

Février 2009 : Troisième rendez-vous. Ma femme est seule car mon employeur ne m’a pas accordé ma journée (je suis facteur). C’est elle qui demande au neurologue ce qu’il en est exactement et il lui répond, sans précaution : « mais madame, la maladie est déclarée… ».
Il la laisse repartir seule sans lui indiquer des structures pour l’accompagner dans sa maladie. C’est une fois sortie du cabinet qu’elle m’appelle au travail. Heureusement je passe devant le cabinet médical pour assurer ma distribution. Je la retrouve totalement déboussolée et abattue comme moi d’ailleurs. Après un long moment, elle vient avec moi en distribution, hors de question qu’elle reste seule.

Depuis à chaque consultation, le neurologue nous reçoit tous les deux, après la demande de ma femme, et nous écoute tous les deux pour mieux cerner l’évolution de la maladie.

Nos propositions :

Créer une consultation spécifique de l’annonce de la maladie comme cela se fait dans le cas de l’annonce en cancérologie. Le malade doit être accompagné d’un de ses proches, si lui-même est d’accord. De plus il est essentiel lors de ce rendez-vous de connaître l’ensemble des structures, associations susceptibles de nous accompagner.

Reconnaissance de la maladie et statut du malade jeune

L’annonce constituait un premier pas dans le parcours. Ma femme travaillait encore. Elle était en arrêt maladie depuis 2 mois. Là un vrai parcours du combattant s’engageait par manque de renseignements fiables et d’un réel accompagnement juridique compétent. Les démarches épuisent aussi bien le malade que l’aidant.
Il y a eu d’abord la consultation auprès de la médecine du travail pour aboutir à un licenciement pour inaptitude physique de la part de son employeur (juillet 2009).
Puis la consultation auprès de la sécurité sociale dans le cadre d’une demande de pension d’invalidité, accordée de deuxième catégorie (juin 2009).
Puis la consultation auprès de la MDPH pour le taux d’invalidité d’au moins 80 % qui conditionne tous les autres droits : carte de stationnement, demande de l’AAH, demande d’APL, de fonds de solidarité. Le taux d’invalidité d’au moins 80 % a été accordé en octobre 2009.
Le dossier transmis à la CAF par la MPDH pour l’AAH et autres a amené un refus car ce sont l’ensemble des revenus qui sont comptabilisés pour accorder ou non l’aide.
Peu de temps après, j’ai appris qu’il aurait mieux fallu que ma femme reste 3 ans en congé de longue maladie puis demande après
la pension d’invalidité !
Mars 2011 : notre demande pour la prestation de compensation du handicap nous est refusée pour l’aide humaine, la plus essentielle à nos yeux pour son accompagnement au dehors de notre domicile mais toutes les autres prestations nous sont ouvertes (aides techniques, spécifiques etc.).

Nos propositions :

La création d’un vrai guichet unique avec l’ensemble des services. Un seul dossier, une seule consultation. Que l’on soit informé de l’ensemble de nos droits et devoirs mais aussi que l’on puisse connaître les meilleures solutions pour nous aider. Là  se pose la réelle différence entre un public de jeunes malades, moins de 60 ans, et les malades âgés plus de 60 ans, donc par définition à la retraite. Que ces consultations soient effectuées par des gens qui ne maîtrisent pas uniquement les aspects théoriques de la maladie qui pour eux se résument à des soucis de mémoire et de pertes cognitives ! Jamais les aspects sociaux et humains ne sont abordés (stress, irritabilité, changement d’humeur, difficultés d’adaptation…)

L’organisation de la vie après

Une fois l’ensemble des démarches administratives effectuées reste à se réorganiser.
Là intervient un élément important : la rencontre avec deux bénévoles de l’association France Alzheimer Aveyron à notre domicile.
Après cette première rencontre, nous nous rendons à une réunion de formation des aidants. Très bon accueil. Seul souci, l’organisation de ces formations prévoit de séparer les couples : les aidants d’un côté et les malades d’un autre côté en halte-relais. Cela a fortement perturbé ma femme qui souhaitait être davantage actrice de sa maladie.
Là encore les bénévoles et la psychologue ont fait preuve d’écoute et d’adaptation. Ils nous ont proposé d’innover et d’établir un projet de vie à deux avec l’aide de la psychologue.
Au cours de l’entretien, ma femme a pu librement et pleinement exprimer ses souhaits dans tous les domaines de notre vie présente et surtout future. Par écrit nous avons à trois consigné l’ensemble des actions à mener et identifié les personnes qui seront les acteurs de celles-ci : par exemple qui s’occupera de sa toilette, qui fera les tâches ménagères… Évidemment j’étais présent et j’approuve les choix de ma femme. De plus, nous avons établi une liste de ce que ma femme aime ou n’aime pas afin, plus tard, de mieux aider les équipes soignantes.
Parallèlement, ma femme a retracé le fil de sa vie avec cette même psychologue, par écrit afin de témoigner et d’aider à mieux la comprendre lorsqu’elle ne pourra plus le faire.
De mon côté, j’ai continué la formation aux aidants. Ce fut un moment d’échanges, d’écoute et d’apprentissage. Cela m’a permis de mieux comprendre non seulement la maladie mais aussi d’apprendre la patience et les attitudes à adopter vis-à-vis de ma femme. Pendant ce temps-là, ma femme encadrait avec les autres bénévoles les malades en halte-relais.
Depuis avec ma femme nous nous sommes beaucoup engagés au sein de l’association.
Régulièrement, ma femme témoigne de sa maladie et de ce qu’elle vit au quotidien. De  cette maladie qu’elle connait d’autant mieux qu’avant elle sa mère l’a eu avant 60 ans et que de plus, par une de ses activités professionnelles, elle a été auxiliaire de vie auprès de malades d’Alzheimer !
Ses témoignages en ont d’autant plus de poids.
Elle témoigne lors des formations aux aidants dans la partie communication, lors de conférences-débats organisées par l’association ou lors des rencontres nationales de l’association (Paris le 14 décembre 2010).
On participe aussi aux activités de l’association : randonnées, musiques, rencontres des familles, etc. Depuis peu, une activité théâtre est mise en place : elle s’y investit beaucoup et y puise beaucoup d’énergie et de motivation. On organise aussi un groupe de paroles de jeunes malades qui souhaitent s’exprimer librement avec une psychologue et sans la présence de leurs aidants (mari ou femme essentiellement).

Pour les tâches ménagères, nous employons une auxiliaire de vie formée par le biais d’une association. Nous avons eu un rendez-vous avec la responsable de secteur qui nous a écouté tous les deux, mais essentiellement ma femme, afin de bien connaître notre situation et nos attentes. Depuis le mois de juillet 2009, nous bénéficions du concours de la même personne, ce qui convient parfaitement à ma femme.
Sur le plan médical, ma femme suit des séances de kinésithérapie et d’orthophonie : ces professionnels ont su l’écouter et s’adapter à son état de santé.
Ma femme reste autonome. Elle fait ses courses. Elle va chez les mêmes commerçants qui sont au courant de sa maladie car elle le leur a dit.
Notre famille est au courant et tout se passe bien ; tous ont compris et ne changent pas leurs attitudes à son égard.
Nous vivons chaque instant présent au maximum, malgré les difficultés (matérielles, humaines, financières).

Nos propositions :

La situation du jeune malade n’est pas perçue à sa juste mesure. Bien sûr ils ont des besoins spécifiques. Ils sont encore en âge de travailler, ils peuvent avoir des enfants à charge. Du jour au lendemain, ils doivent arrêter de travailler, ce qui déséquilibre tout un quotidien. Ils espèrent pourtant retrouver une place dans la société et garder des liens sociaux. Mais avec quel statut : malade, invalide ? Et pourquoi ne pas simplement les considérer comme des gens normaux avec quelques handicaps et les soutenir dans leur vie ?
Ils sont trop peu entendus. Ce qu’ils veulent ce n’est pas une dérogation pour accéder à un accueil de jour dans un EHPAD mais bien à des lieux de rencontres spécifiques propres à leur âge et à leurs attentes. Comment croire qu’un malade jeune peut s’épanouir, se reconstruire au milieu de personnes de 20 à 30 ans leurs ainés ?

Bien sûr ils représentent un intérêt financier moindre du fait de leur nombre, par rapport à l’ensemble des personnes de plus de 65 ans atteintes de maladie d’Alzheimer ! Doit-on pour autant les oublier ? Quel paradoxe pour une maladie qui affecte la communication !
 

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