Plus digne la vie http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Wed, 17 Jul 2019 09:23:05 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.40 L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=3002 http://plusdignelavie.com/?p=3002#comments Wed, 17 Jul 2019 09:20:57 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=3002 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

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L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=2997 http://plusdignelavie.com/?p=2997#comments Sun, 05 May 2019 18:46:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2997 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Bioéthique, une exigence et une mobilisation politiques http://plusdignelavie.com/?p=2993 http://plusdignelavie.com/?p=2993#comments Mon, 21 Jan 2019 08:58:47 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2993 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay, Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Version intégrale de l’article publié dans Le Figaro du 3 septembre 2018, sous le titre « Révision de la loi bioéthique : le débat parlementaire de tous les dangers »

Une concertation renouvelée

La . . . → Read More: Bioéthique, une exigence et une mobilisation politiques]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay, Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Version intégrale de l’article publié dans Le Figaro du 3 septembre 2018, sous le titre « Révision de la loi bioéthique : le débat parlementaire de tous les dangers »

Une concertation renouvelée

La phase parlementaire de révision de la loi relative à la bioéthique va reprendre quelques mois après les états généraux de la bioéthique et la publication des premiers rapports, notamment celui du Conseil d’État. La concertation menée au cours du premier semestre 2018 a permis de comprendre que la réflexion bioéthique suscite un intérêt et des attentes qu’il ne faudrait pas décevoir. Elle relève du débat politique et d’enjeux démocratiques à ne pas négliger dans le contexte actuel de crise des valeurs attachées à notre conception du bien commun.

La bioéthique se prête aujourd’hui à des interprétations et à des applications extensives. Il s’agissait initialement d’une réflexion éthique portant sur les évolutions des connaissances et des capacités d’intervention dans le domaine des sciences du vivant, du point de vue de leur acceptabilité sociétale. Rappelons-nous les années 70 avec l’émergence des questions de greffes d’organes, d’assistance médicale à la procréation (AMP), de don de gamètes. Les innovations biomédicales en embryologie, génétique médicale, neurosciences, imagerie et numérisation ont par la suite justifié un encadrement : la loi relative à la bioéthique leur est consacrée. Le Comité consultatif national d’éthique conçoit pourtant ses missions au-delà, dans une perspective socio-politique plus ouverte. Son 128ème avis traite des « Enjeux éthique du vieillissement » (2018). En 2017 les 3 avis rendus avaient pout thème la santé des migrants, les demandes sociétales de recours à l’AMP, « biodiversité et santé ». C’est dire que le champ de la bioéthique ne saurait désormais se cantonner au biomédical puisque nos conceptions de la santé ont évolué ne serait-ce que du fait des capacités d’interventions que les techniques permettent. Lorsque nous discutons actuellement des limites d’intervention sur le génome, du traitement de données de masse et de l’intelligence artificielle en biomédecine ou de modification voire d’augmentation de l’Homme, il est bien évident que nos responsabilités justifient une concertation renouvelée.

De nouveaux territoires pour la bioéthique

Il nous faut explorer de nouveaux territoires de la bioéthique. En peu de temps, des innovations dites disruptives se sont implantées dans le paysage de la biomédecine – notamment avec le numérique : elles bouleversent à la fois les concepts, les connaissances, notre relation à l’autre, nos pratiques sociales et notre rapport au monde. Il convient d’inventer une bioéthique pour aujourd’hui, d’investiguer des champs scientifiques inédits, d’identifier les enjeux éthiques émergeants et d’éprouver leur robustesse au regard des principes jusqu’à présent pertinents, d’envisager des modes de concertation publique dans la perspective d’arbitrages nécessaires même s’ils s’avèrent précaires. En effet, la production de la connaissance scientifique est exponentielle. Le « Rapport de l’UNESCO sur la science, vers 2030 » indique qu’entre 2008 et 2014 le nombre d’articles scientifiques a augmenté de 23 % : 1 270 425 articles ont ainsi été publiés. L’innovation est constante, au point que nos tentatives d’anticipation et même de suivi sont aléatoires. De surcroit elle intervient dans le cadre d’une compétition internationale dont les modalités de régulation semblent pour le moins fragiles, pour ne pas dire inconsistantes. La bio-économie ou la bio-finance justifieraient des investigations qui nous éclaireraient davantage sur les idéologies et les logiques en œuvre que ne le font les discours prophétiques annonciateurs d’un humanisme transcendé. Tel est le défi actuel auquel doit se confronter la pensée bioéthique. Dès lors lui incombe une responsabilité dont on a mieux saisi la portée au cours des États généraux de la bioéthique, entre janvier et mai 2018 : il ne s’agit pas moins que de se concerter sur les valeurs et les choix qui conditionneront notre devenir. Quelles responsabilités exercer à l’égard des générations futures ? Le CCNE a lancé les États généraux avec cette interpellation : « Quel monde voulons-nous pour demain ? ». Je complèterai la complèterai d’un point de vue philosophique : « Quelle humanité voulons-nous demain ? De quelle humanité sommes-nous capables, pour ne pas dire dignes ? ». L’approche bioéthique relève d’une exigence politique qui doit intégrer l’analyse critique de connaissances inédites et évolutives, le pluralisme des points de vue, la pluridisciplinarité des expertises dans une visée soucieuse du bien commun.

Aborder les enjeux de la bioéthique en tant que démocrates

Il me semble essentiel d’aborder les enjeux de la bioéthique en tant que démocrates. Nos fondamentaux sont inspirés par le Code de Nuremberg qui édicte en 1947, à la suite de la Shoah, les règles intangibles des pratiques de la recherche menée sur l’Homme. Reconnaître la personne dans son autonomie et sa capacité à consentir, l’informer avec loyauté, respecter son intégrité et lui témoigner une bienveillance, ne pas l’exposer à des risques disproportionnés, être juste à son égard et considérer que son intérêt est toujours supérieur à ceux de la recherche et de la société : tels sont quelques-uns des fondements de l’approche bioéthique. Un an après le Code de Nuremberg, la Déclaration universelle des droits de l’Homme est promulguée. On évoque à son propos la notion « d’éthique universelle » que l’on devrait pouvoir appliquer à l’intention, voire à l’attention bioéthique. La bioéthique se doit d’être comptable de cette mémoire et de cette conscience qui déterminent des principes inconditionnels. Les transgresser, ne serait qu’en les relativisant au nom d’intérêts estimés supérieurs, c’est mettre en cause des valeurs d’humanité, de dignité et de liberté qui constituent les plus remarquables conquêtes de notre histoire.
Sommes-nous prêts à céder lorsque certains discours prônent des conceptions opposées à nos principes démocratiques, réfractaires à un humanisme soucieux de l’autre dans son identité et ses vulnérabilités ? La numérisation de l’humain selon des stratégies qui visent à le dépouiller de sa dignité, préfigure une forme moderne de barbarie qui pourrait susciter l’expression d’une mobilisation dont notre législation bioéthique devrait témoigner.
J’estime que la bioéthique relève d’un engagement politique qui ne saurait se satisfaire seulement des argumentations, aussi intéressantes soient-elles, produites en comités. Trop souvent les arbitrages rendus par les compétences investies d’une autorité en ce domaine, s’évertuent à accompagner et à cautionner des évolutions en préservant encore quelques formes dont on sait l’inanité. Depuis 1983 le CCNE a rendu 128 avis souvent de grande qualité, de telle sorte que nous disposons d’un corpus d’un intérêt considérable du point de vue de la bioéthique. Nombre d’instances internationales ont produit des textes de référence qui constituent des ressources remarquables appliquées aux multiples champs de la bioéthique. Aujourd’hui les sociétés savantes qui réunissent les chercheurs intervenant notamment dans les domaines du numérique organisent des colloques et rédigent des chartes afin de donner cohérence à un positionnement éthique. Depuis 1994, en France le législateur reprend de manière régulière la loi relative à la bioéthique : il la « révise » afin de l’adapter aux évolutions et de préserver les quelques principes d’une « bioéthique à la française ». Pour autant, alors que s’engagent les travaux parlementaires de révision de la loi du 7 juillet 2011, un sentiment d’incertitude, de confusion pour ne pas dire d’impuissance s’exprime au détour des prises de positions. J’y vois une crise profonde des légitimités qui, on le sait, affecte l’autorité et la sphère politique d’un point de vue plus global.
Est-il encore possible d’encadrer, pour ne pas dire d’interdire ? Le contexte est propice au développement de stratégies favorables à l’amplification du phénomène de dérégulation des pratiques scientifiques et des avancées technologiques. Elles prospèrent sur une tendance à l’individualisme, à l’affirmation du souci de soi et de l’intérêt particulier au regard du bien commun. Adopter une position réflexive simplement prudente, tenter de discriminer entre l’acceptable et ce qui ne le serait pas, c’est se voir d’emblée accusé de passéisme, voire de mépris à l’égard de revendications qui arguent du principe de justice dans l’accès sans restriction à tous les possibles. C’est le cas en ce qui concerne l’AMP en dehors de considérations d’ordre médical, au bénéfice par exemple d’un couple de femmes. Il en sera de même dans le champ de la génomique et des neurosciences afin de favoriser à travers le triage, la manipulation ou l’augmentation, la qualité et les performances du vivant. Des normes s’instituent ainsi, et s’y opposer donnerait à penser que nous résistons au nom d’une bio-morale…
Nous observerons dans quelques mois ce que seront les choix de nos responsables politiques en matière de bioéthique. Ils pourraient estimer que des enjeux de compétitivité internationale en matière d’intelligence artificielle, de traitement des données massives ou de génomique justifieraient certaines concessions du point de vue de nos principes. De même, leur appréciation de l’acceptabilité sociale d’évolutions dans nos représentations de la famille les incitera peut-être à l’ouverture de la biomédecine à des demandes qui initialement ne la concernaient pas.
Serons-nous inventifs d’une bioéthique à hauteur des défis actuels ? Rares sont aujourd’hui ceux qui en sont convaincus.
Contribuer dans les mois qui viennent de délibération bioéthique à la mise en commun de savoirs et de questionnements, c’est s’inscrire dans une démarche de mobilisation démocratique. On pourrait espérer qu’elle permettra de renouveler une pensée de la bioéthique à hauteur d’enjeux politiques qui concernent notre vivre ensemble ainsi que les conditions de notre devenir.

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Bioéthique : être créatif ensemble d’initiatives démocratiques http://plusdignelavie.com/?p=2986 http://plusdignelavie.com/?p=2986#comments Fri, 14 Sep 2018 14:20:33 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2986 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Mardi 24 juillet 2018

Depuis la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011, tout projet de réforme en la matière doit être précédé d’un débat public, organisé sous la forme d’états généraux. Le texte précise que « les états généraux réunissent des conférences de citoyens . . . → Read More: Bioéthique : être créatif ensemble d’initiatives démocratiques]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Mardi 24 juillet 2018

Depuis la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011, tout projet de réforme en la matière doit être précédé d’un débat public, organisé sous la forme d’états généraux. Le texte précise que « les états généraux réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité. » Rien à voir avec la démarche initiée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en janvier 2018, qui s’est fixé l’objectif d’organiser « une vaste consultation » portant sur une question davantage politique que bioéthique : « Quel monde voulons-nous pour demain ? »

Or, et peut-être contre toute attente, les citoyens n’ont pas été en reste et ont largement répondu présents à l’appel.

Il convenait de franchir un cap et de pas limiter le débat aux questions bioéthiques d’ordre biomédical, qui sont en somme autant de sources de divisions à une heure où la société doit au contraire se rassembler tant les innovations technologiques nous interpellent et justifient une consultation large. Nous avons ainsi évoqué, pour ce qui nous concerne, les « nouveaux territoires » de la bioéthique, estimant nécessaire et passionnant d’intégrer l’intelligence artificielle et le traitement des données de masses aux discussions, élargissant ensuite le débat aux arbitrages relatifs à la régulation des évolutions scientifiques biomédicales.

La phase de concertation publique, pour le moins brève, s’achève en avril. Sur le plan quantitatif, le bilan de la participation est très positif : les citoyens se sont investis massivement dans la réflexion. Si les contributions exprimées sur le site des états généraux de la bioéthique font apparaitre de manière significative deux thématiques (procréation et société : 14 447, prise en charge de lia fin de vie : 6 625), il serait hors de propos et probablement dangereux de ne retenir de ces débats que ces deux seuls sujets. Je crois que l’heure n’est plus tant à défaire le passé qu’à nous tourner résolument vers les défis de l’avenir, posés par la révolution numérique.

J’ai moi-même constaté l’engouement d’un public nombreux et assidu au débat sociétal, débat qui à tant d’égards conditionne le devenir de notre démocratie.

Que l’on ne se trompe, la société est mobilisée et réclame de s’approprier de nouveaux savoirs, avec un sens évident du bien commun et une conscience profonde de nos responsabilités au regard des générations futures. Je suis impressionné par l’adhésion du public rencontré au cours de nos débats, notamment à Sciences Po ou à la Mairie du 4ème arrondissement de Paris. La mobilisation a été forte, et cette exigence doit être comprise et respectée. Il ne faudrait pas tromper les Français.

Au cours de ces rencontres, qui ont permis d’aborder les thématiques émergentes et décisives des innovations scientifiques, ce sont les membres représentatifs d’une société qui a envie d’avenir, de sens, de solidarités et de responsabilités partagées qui ont exprimé avec des arguments de qualité leur vision d’un monde qu’il nous faut repenser, inventer ensemble. Leur expertise constitue une richesse qui ne devrait pas être négligée. Certains se demandent dès à présent s’ils ne seront pas déçus par les décisions ou les renoncements qui suivront ces quelques semaines porteuses de promesses.

Il me paraît indispensable d’accompagner avec attention et méthode la phase qui suivra ces états généraux. Certains nous posent déjà des questions et manifestent une certaine impatience, voire une suspicion à l’égard des instances publiques concernées. Quelle sera l’audience effective accordée aux synthèses tirées de ces rencontres en région ? Comment seront analysées et prises en compte les nombreuses contributions rédigées par celles et ceux qui ont souhaité participer à la concertation nationale ? La parole des experts aura-t-elle plus de poids que les nombreuses interventions, souvent brillantes, de citoyens qui demandent maintenant que leur parole soit entendue ?

Au cours de ces dernières semaines, nous avons compris que l’acceptabilité de ces mutations sociales, politiques et culturelles tiendra pour beaucoup à la qualité de la concertation. Nous disposons de ressources au cœur de notre société. Il importe de le comprendre et d’être créatifs d’initiatives démocratiques dont on commence à saisir la valeur.

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NOUVEAU : Les nouveaux territoires de la bioéthique (Parution septembre 2018) http://plusdignelavie.com/?p=2979 http://plusdignelavie.com/?p=2979#comments Wed, 25 Jul 2018 07:19:08 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2979

De l’intelligence artificielle à la génomique, en passant pas les neurosciences, la médecine personnalisée, les nanotechnologies, la robotique, au même titre que les enjeux éthiques et sociétaux, ce tome IV du Traité de bioéthique propose une présentation complète et argumentée de la bioéthique aujourd’hui. Il constitue une contribution à la révision de la loi relative . . . → Read More: NOUVEAU : Les nouveaux territoires de la bioéthique (Parution septembre 2018)]]> CleanShot 2018-07-25 at 08.54.41

De l’intelligence artificielle à la génomique, en passant pas les neurosciences, la médecine personnalisée, les nanotechnologies, la robotique, au même titre que les enjeux éthiques et sociétaux, ce tome IV du Traité de bioéthique propose une présentation complète et argumentée de la bioéthique aujourd’hui. Il constitue une contribution à la révision de la loi relative à la bioéthique.

Bénéficiant de l’expertise de près de 50 contributeurs des champs des sciences et des humanités, il présente un état des lieux complet, accessible à tous publics, des enjeux actuels de la bioéthique. Il complète le corpus d’analyses et de réflexions constitué depuis le tome I paru en 2010 à l’occasion de la précédente révision de la loi.

Lire le dossier de presse de presse

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NOUVEAU : Les nouveaux territoires de la bioéthique (Parution septembre 2018) http://plusdignelavie.com/?p=2977 http://plusdignelavie.com/?p=2977#comments Wed, 25 Jul 2018 07:11:24 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2977

De l’intelligence artificielle à la génomique, en passant pas les neurosciences, la médecine personnalisée, les nanotechnologies, la robotique, au même titre que les enjeux éthiques et sociétaux, ce tome IV du Traité de bioéthique propose une présentation complète et argumentée de la bioéthique aujourd’hui. Il constitue une contribution à la révision de la loi relative . . . → Read More: NOUVEAU : Les nouveaux territoires de la bioéthique (Parution septembre 2018)]]> CleanShot 2018-07-25 at 08.54.41

De l’intelligence artificielle à la génomique, en passant pas les neurosciences, la médecine personnalisée, les nanotechnologies, la robotique, au même titre que les enjeux éthiques et sociétaux, ce tome IV du Traité de bioéthique propose une présentation complète et argumentée de la bioéthique aujourd’hui. Il constitue une contribution à la révision de la loi relative à la bioéthique.

Bénéficiant de l’expertise de près de 50 contributeurs des champs des sciences et des humanités, il présente un état des lieux complet, accessible à tous publics, des enjeux actuels de la bioéthique. Il complète le corpus d’analyses et de réflexions constitué depuis le tome I paru en 2010 à l’occasion de la précédente révision de la loi.

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Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique http://plusdignelavie.com/?p=2974 http://plusdignelavie.com/?p=2974#comments Wed, 25 Jul 2018 07:06:53 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2974 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès . . . → Read More: Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès suit de quelques semaines celui de dirigeants nazis mené à Nuremberg par le Tribunal militaire international. Même si le procès des médecins, qui s’est achevé le 19 août 1947, s’est déroulé selon la procédure américaine, le jugement prononcé le lendemain est considéré comme une décision pénale internationale. Il comprend une liste de critères pour apprécier le caractère légal, ou non, des expérimentations médicales – liste connue sous le nom de code de Nuremberg.]

Le procès de Nuremberg des 23 médecins criminels, interroge au-delà même des sévices qu’ils ont fait subir à leurs victimes jusqu’à la mort, ou alors en les mutilant volontairement, méthodiquement, avec pour conséquences des souffrances physiques et psychiques inapaisables et irréparables.
La fonction médicale incarne de manière emblématique l’expression de la sollicitude, de l’attention humaniste, ainsi que cet engagement ayant pour fin de protéger l’autre de ce qui menace son existence, de le consoler des plus fortes détresses, de l’accompagner avec respect pour atténuer ses douleurs. Cet idéal de solidarité et de compassion aura été non seulement bafoué, mais plus encore trahi et perverti au point d’entacher de suspicion une pratique qui se doit d’être irréprochable, d’une loyauté et d’un scrupule qui la prémunissent de toute tentation de dérive – je veux dire d’arbitraire et de trahison.

Lots de cobayes

Le sens que l’on confère à l’idée de confiance aura été saccagé et aboli, alors que ceux qui étaient ainsi martyrisés en ressentaient, dans leur détresse même, le plus grand besoin. Cet ultime recours d’une assistance bienveillante leur était non seulement refusé, mais plus encore la malfaisance et la perversité médicales anéantissaient l’ultime expression de ce qu’il était encore possible d’espérer d’un signe d’humanité.
Peut-on se représenter un instant la désillusion, la désespérance et l’effroi des personnes prenant conscience du fait que la femme ou l’homme « en blouse blanche » à leur chevet, étaient là non pas pour les soigner mais pour achever avec discipline et résolution la besogne de leur extermination tout en les utilisant à des fins scientifiques ? Semblables aux tortionnaires qui avaient droit de vie et de mort sur leurs victimes, ils en différaient toutefois en dissimulant leurs exactions sous l’apparence d’un souci de connaissances vouées au « bienfait de l’humanité » dont on sait les abominations qu’il s’est évertué à justifier.
Certains médecins, parfois dans le cadre de recherches menées au bénéfice des firmes pharmaceutiques allemandes, commandaient aux responsables administratifs des camps leurs lots de cobayes ; Ils poussaient la minutie organisationnelle de leur entreprise jusqu’à rédiger l’acte attestant de la mort de l’ensemble de la « livraison », dans l’attente d’une prochaine ;
Ces quelques observations incitent à considérer qu’il conviendrait de saisir la signification possible de certains accommodements ou renoncements parfois présentés comme d’indispensables et inéluctables évolutions, dès lors qu’elles sont susceptibles de rendre possible l’impensable, de banaliser des exactions et des crimes d’une toute autre nature que les transgressions qui ponctuent l’histoire de la médecine.
Nombre des investigations menées dans les camps de concentration relevaient de conceptions et de théories partagées par les scientifiques de l’époque les plus compétents dans leurs champs disciplinaires. Ils revendiquaient du reste leur idéal de préservation et d’amélioration de la race aryenne, au détriment de leurs victimes racialement révoquées dans leur droit d’exister.
À la barbarie de l’extermination des personnes déportées, se surajoute celle d’une prétention scientifique visant, quels qu’en soient les méthodes et les moyens, à mettre en œuvre des expérimentations dont, au cours du procès des médecins à Nuremberg, le monde civilisé a découvert, effaré, que des médecins avaient pu les penser et les mener. Cette démarche de scientifiques corrompus par une idéologie délétère permettait, et justifiait, l’exécution médicalisée des enfants et des adultes, dont la survie importait moins que la publication de résultats et de performances extorqués dans un contexte d’abomination ;
C’est en touchant à travers cette tragédie indicible, aux zones limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, dès lors que sont révoqués les principes d’humanité, que s’est imposée en 1947 la rédaction du code de Nuremberg. Il s’agit du premier cadre éthique prescrit aux pratiques de l’expérimentation menée sur l’homme.

Une mission exceptionnelle

Les principes érigés dans ce texte de portée universelle qui intervient quelques mois avant la Déclaration universelle des droits de l’homme (information loyale, consentement, justification scientifique et conditions éthique de mise en œuvre de la recherche, évaluation des risques encourus), seront repris par la suite au sein de l’Association médicale mondiale dans la Déclaration d’Helsinki régulièrement adaptée aux évolutions scientifiques depuis sa première version, en 1964.
Le législateur allemand avait-t-il manqué à ses devoirs en ne fixant pas dans la loi l’incompatibilité entre la fonction de médecin et celle de bourreau ?
Soulever hâtivement des questions aussi graves et d’une telle portée n’est pour moi guère satisfaisant, cela d’autant plus que des analogies avec des circonstances plus actuelles pourraient susciter quelques controverses justifiées. Il convient donc de prendre le temps de l’éthique, celui de l’approfondissement et de la concertation, tout en demeurant inquiet de ce dont témoigne l’histoire, aussi douloureuse soit-elle.
C’est pourquoi les premiers cours donnés chaque année dans le cadre de notre master Éthique science et société de l’Université Paris-Sud – Paris-Saclay sont consacrés aux exactions commises dans le cadre de la recherche médicale, et pas exclusivement à l’époque de l’Allemagne nazie. Il en est de même s’agissant des initiatives qui se développent actuellement dans l’ensemble des universités françaises et des institutions de recherche, afin de renforcer les formations à l’éthique et à l’intégrité scientifique.
Le droit à la recherche visant à l’acquisition de connaissances indispensables aux évolutions de nos sociétés et au renforcement de nos libertés ne saurait s’affranchir du cadre limitatif de règles intangibles. Nos valeurs démocratiques doivent prévaloir dans l’arbitrage des principes éthiques de la recherche biomédicale.
L’éthique du médecin relève d’une exigence personnelle en terme de dignité, d’intégrité et de loyauté, d’une compétence humaine singulière, et donc d’une conscience qui inspirent et légitiment une mission exceptionnelle. La recherche biomédicale s’inscrit dans cet engagement et cette perspective. Ses pratiques sont conditionnées par des règles d’autant plus nécessaires et parfois contraignantes que d’expérience nous savons qu’y déroger, c’est risquer de prendre le risque d’actes barbares toujours possibles, parfois avec des intentions et des justifications dont on a compris qu’elles pouvaient rendre tolérables les plus hautes abominations : « La recherche médicale est soumise à des normes éthiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les êtres humains et qui protègent leur santé et leurs droits. »

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2969 http://plusdignelavie.com/?p=2969#comments Sun, 03 Sep 2017 11:10:18 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2969 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles et de numérisation des échanges, relèvent d’un anonymat et d’un cynisme peu favorables à la préoccupation morale. Le sentiment de relégation sociale, d’exclusion et de mépris qu’éprouvent parmi nous les personnes en situation de précarité économique, de vulnérabilité face à la maladie ou le handicap, d’exil pour cause « d’inutilité sociale » ou du fait de leur révocation parce que « hors d’âge », est révélateur, lui aussi, d’une indifférence, voire d’une imposture peu compatible avec des principes moraux. Ces violences à la personne et au contrat social, appellent davantage l’expression d’une sollicitude, d’une attention et d’une vigilance favorisant un plus juste respect des valeurs de fraternité et de justice que prône notre République, que des admonestations dont on ne peut que déplorer l’inanité. Se consacrer à refonder les principes de la vie publique du point de vue de la moralité, n’est pas un exercice qui peut s’envisager dans le cénacle d’experts. Sauf si l’on estime sans importance d’y associer la société dans son ensemble, de prendre en compte ses richesses dans la diversité de réflexions et d’engagements qui permettent de maintenir une cohésion alors que menace un délitement social qui pourrait aboutir à une implosion.

Sommes nous prêts, dans le cadre d’une concertation nationale à repenser ensemble les valeurs de la République ou alors estime-t-on que l’urgence justifie d’édicter les nouvelles règles de la morale en politique sans affronter la complexité et les enjeux de fond ? Prendre la mesure de ce que signifie l’exigence de moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à proposer une régulation procédurière ayant pour vertu de restaurer un sens des responsabilités qui ferait défaut. Cela d’autant plus que l’analyse s’avère à cet égard pour le moins sommaire, car les serviteurs de l’État ne déméritent pas comme on le donnerait à croire à travers la dénonciation du comportement scandaleux de certains d’entre eux. Porter le discrédit de manière indifférenciée sur les acteurs de la vie publique c’est renoncer à considérer dans quelles conditions s’exercent notamment les missions d’enseignement, de justice, de sécurité, de défense et de soin. C’est ne pas saisir l’appel récurrent à une reconnaissance, à une dignité publique qui elle aussi procède d’une considération morale. C’est peut-être ne pas comprendre où se situe l’urgence morale.

Il s’agit de débattre du bien commun, du vivre ensemble, de ce qui détermine notre devenir en termes de choix de société, et dès lors de ne pas renoncer à intégrer à la démarche une analyse des fragilités sociales, des ruptures et des mutations qui bouleversent nos systèmes de référence. Notre ambition doit être également de reconnaître l’intelligence d’engagements et de solidarités qui défendent au quotidien les plus hautes valeurs de notre démocratie, d’intégrer leur expertise. Le courage est une vertu morale, un certaine audace également.

Les lois du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique constituent une approche déjà détaillée des règles qui s’imposent dans l’exercice de responsabilités publiques assumées « avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Les instances dévolues à la déontologie et à l’éthique se sont démultipliées ces dernières années afin d’apporter les encadrements et les contrôles indispensables. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’Agence française anticorruption, au même titre que tant d’autres autorités administratives indépendantes, assurent des missions visant notamment à la prévention des manquements et au renforcement de la probité dans les pratiques. Dans ce domaine, le législateur n’a pas failli à sa mission. La rectitude et le principe de précaution s’imposent même parfois avec une rigueur qui génère une suspicion systématique, une défiance et un discrédit dont on peut constater les effets par exemple dans le champ de la santé publique. Les règles sont certes nécessaires, encore importe-t-il d’en saisir le sens et l’intention, de se les approprier et de les appliquer avec conscience, discernement et prudence. La pédagogie, y compris dans le cursus de formation de nos décideurs, ne constitue-t-elle pas un enjeu tout aussi considérable que le contrôle systématisé ?

Moraliser la vie publique en estimant que prescrire des normes contraignantes de bonne conduite à ceux qui nous gouvernent ou exercent des responsabilités restaurera la confiance et renforcera la cohésion sociale, relève d’une appréciation hâtive. Affirmer – ce qui est différent – qu’une morale publique comprise en ce qu’elle exprime d’une conception de nos valeurs démocratiques puisse être refondée du point de vue de ses enjeux concrets et de ses finalités pratiques en y apportant l’intelligence et le pluralisme d’une consultation nationale, s’avère d’une toute autre pertinence. De surcroit, les conditions actuelles de recomposition politique et cette envie de renouveler les modes de gouvernance en y associant le dynamisme de compétences et de talents trop souvent négligés, ne peuvent qu’inciter à une ambition plus exigeante qu’un acte législatif précipité, aussi symbolique ou « politique » soit-il.

Le président de la République porte un message que nous avons compris dans son exigence de sollicitude, cette attention qu’il porte à l’autre et à sa place reconnue dans notre démocratie. Refonder notre morale publique ne saurait pas seulement consister à moraliser des pratiques qui doivent être exemplaires et intègres. Il s’agit de créer les conditions d’une mobilisation politique riche de la diversité des compétences et des engagements qui témoignent d’un même souci des valeurs de notre démocratie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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