Fin de vie : des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais

Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud
Conférence de citoyens sur la fin de vie : une attente déçue

Depuis le 16 décembre, le texte tant attendu de la conférence de (18) citoyens sur la fin de vie devrait nous permettre désormais de mieux cerner certains aspects inédits de ces questions complexes : certaines compétences estimaient justifiée semblable consultation… A sa lecture, je n’en suis que peu convaincu. Le Comité consultatif national d’éthique dispose ainsi d’un document de plus au statut incertain : il lui semblait toutefois essentiel à la rédaction de son prochain avis annoncé vers janvier. En fait après le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France lui remis à François Hollande le 18 décembre 2012 : « Penser solidairement la fin de vie » et l’avis n° 121 du CCNE « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » du 1er juillet 2013, fallait-il attendre cette ultime contribution pour clore la concertation dite nationale ? Une consultation certes a minima, puisque le Président du CCNE nous avait promis « un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire ». Prochain acte ou péripétie de ce long périple engagé en juillet 2012, si, pour des raisons qui ne paraissent pas s’imposer aujourd’hui, il apparaissait préférable d’envisager de nouvelles prolongations.

À dire vrai dire, à la lecture des conclusions de la conférence des citoyens la déception est grande. Les 18 jurés reprennent, certes avec leurs termes et quelques nuances, les lignes essentielles des réflexions menées par la mission Sicard, le CCNE, et en 2005 comme en 2008 par les missions parlementaires : généralités humanistes obligées sur les approches de la fin de vie dans un contexte médicalisé discutable ; urgence de rendre universel le recours aux soins palliatifs ; respect des droits de la personne dans son autonomie et son droit de bénéficier des soulagements qui apaisent ses souffrances, y compris en abrégeant son temps de vie ; exigence d’aboutir à un compromis certes délicat, susceptible d’éviter toute « dérive », mais en estimant que le statu quo ne peut pas perdurer.
Liberté, dignité, respect, consentement, solidarité, encadrement législatif, collégialité, information : aucun concept ou mot clé n’est oublié dans ce nouvel énoncé succinct de bonnes intentions dont il apparaît néanmoins difficile de saisir la portée et la contribution effective d’un point de vue pratique. Mais peut-être cette initiative ne relevait-t-elle que d’une recherche de légitimation de la part d’un CCNE qui, inquiet pour une fois, se serait senti démuni d’autorité vraie dans un domaine qui semble diviser ses membres et susciter encore trop de controverses passionnées. Il sera donc intéressant de voir quels arbitrages qui seront enfin proposés au Président de la République par le CCNE, après ce détour qui interroge ou du moins laisse insatisfait, ne serait-ce que s’agissant de sa pertinence et de sa fonction. Du reste, à propos même de la méthodologie retenue pour constituer ce jury, l’IFOP reconnaît « que compte tenu de la taille du panel celui-ci ne prétend pas à la représentativité de la population française et il est impropre de parler d’échantillon représentatif ainsi qu’on le mentionne traditionnellement pour un sondage » ! Seule mention positive à l’égard de cette initiative discutable dans ses justifications approximatives et sa forme, le pluralisme dans la sollicitation des différents intervenants qui avaient, chacun dans un temps limité, mission de présenter des points de vue et des analyses aux 18 citoyens. La maturité et la légitimé des positions et des argumentations développées depuis des années à l’épreuve de circonstances humaines souvent douloureuses, devraient enfin permettre de faire bouger les lignes sans nous soumettre à de nouveaux conciliabules dont le sens échappe. Il y a me semble-t-il urgence à se déterminer enfin et à énoncer les principes qui s’imposeront si des évolutions s’avéraient nécessaires et opportunes au regard des droits des malades en fin de vie. Les politiques doivent désormais assumer leurs responsabilités à la suite de ces consultations dont j’estime qu’elles étaient nécessaires et apportent les éclairages attendus.

 

Un encadrement possible pour l’exception d’euthanasie ?

Quelques brèves observations, néanmoins, à propos des propositions issues de la conférence de citoyens sur la fin de vie. J’observe que depuis le lancement de la consultation nationale sur la fin de vie le 17 juillet 2012, le Chef de l’État n’a jamais prononcé le mot euthanasie : il évoque avec justesse l’assistance médicalisée en fin de vie et nous incite donc à davantage de profondeur et de prudence dans les approches. Ce panel réunissant des citoyens, lui, aborde explicitement la question de l’euthanasie, même s’il la préconise à titre d’« exception » sans bien expliquer, au-delà de la pétition de principe, comment il conçoit son encadrement. Il conviendra toutefois de savoir comment on appréciera l’exception (de ce point de vue, en janvier 2000 l’avis n° 63 du CCNE « Arrêt de vie, fin de vie, euthanasie » abordait avec plus d’intelligence et de subtilité cette éventualité). La position des citoyens stupéfait lorsqu’ils renoncent, au mépris des principes les plus évidents, à considérer le consentement comme une condition intangible : « elle (l’euthanasie) est envisageable dans des cas particuliers, ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté lorsqu’il n’existe aucune autre solution (pas de consentement direct du patient) ». Avec une naïveté qui inquiète et nous laisse entrevoir ce que serait à cet égard la position de personnes vulnérables, les citoyens envisagent que « ces cas strictement encadrés seront laissés à l’appréciation collégiale d’une commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place ». Encadrer une telle exception justifierait nombre d’approfondissements qui pour le présent font défaut. Cela ne semble pas poser problème aux 18 citoyens.
A observer, 11 ans plus tard, la situation en Belgique (pays qui a dépénalisé l’euthanasie), les critères dits de minuties ne sont plus réellement tenus ou ont évolué pour favoriser une permissivité ou mieux une acceptabilité qui interroge la notion même d’encadrement. Initialement l’euthanasie concernait des personnes au terme de leur existence, celles qui ressentaient des douleurs insurmontables ou rétives à toute forme d’apaisement. Aujourd’hui, les limites ont été repoussées, légitimant par exemple l’euthanasie d’un transsexuel qui ne parvenait pas à surmonter les conséquences d’une intervention chirurgicale, d’un grand mélancolique ou celle de jumeaux de 45 ans atteints de surdité, le 14 décembre 2012. Il y a quelques jours le Sénat belge a voté une extension de la loi concernant les enfants mineurs. Désormais est également à l’ordre du jour l’euthanasie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. En Belgique la déclaration des actes d’euthanasie se fait a posteriori, les notifications ne sont pas exhaustives. Cela pour dire à quel point l’encadrement apparaît difficile, quelques soient les intentions. Quel sera le statut de la commission dévolue, en France, à l’autorisation d’euthanasie d’une personne de surcroit incapable d’exprimer un consentement ?

Le panel citoyen aborde dans ses résolutions le suicide médicalement assisté. Telle qu’elle est pratiquée, par exemple, dans l’état de l’Oregon (États-Unis), cette procédure vise à respecter l’autonomie de la personne. Le médecin a pour responsabilité de déterminer et confirmer officiellement la justification médicale de ce possible recours, en phase terminale d’une maladie. Il prescrit mais n’administre pas le produit létal. La personne, du reste, peut décider de ne pas se suicider. Certains observateurs considèrent qu’en quelque sorte le médecin légitime malgré tout le suicide ; d’autres qu’il ne va pas jusqu’au bout et laisse la personne à sa solitude. Il est évident qu’une personne bénéficiant d’un accompagnement de la port d’un environnement favorable n’appréhende pas ces questions de la même manière que celle qui se trouve confrontée sans soutiens au dilemme de décider. La mise en œuvre de cette forme de suicide suscite nombre de problèmes pratiques. Notamment pour les médecins qui ont pour vocation de réanimer des personnes qui tentent de se suicider, et au moment même où notre société se mobilise contre le suicide des personnes âgées. Les 18 citoyens observent toutefois avec sagesse ou candeur : « nous insistons sur la nécessaire vigilance à apporter dans les cas où le suicide médicalement assisté concernerait des personnes n’étant pas en capacité dé réaliser le geste par elles-mêmes afin de prévenir toute dérive. » Là également entre des positions incantatoires et la justesse de leur applicabilité la distance est grande.

 

Des repères forts légitimés par l’autorité publique

L’autorisation de la sédation en phase terminale est également abordée par les citoyens. Tout faire pour atténuer les souffrances de la personne s’impose en fin de vie. C’est ce que la loi préconise depuis 2005. La question est celle d’une extension de l’indication de la sédation qui aurait pour objectif explicite (et non indirect) d’abréger la vie. On évoque même à ce propos la notion de sédation euthanasique, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations. A cet égard nos 18 sages se contentent de reprendre une considération d’évidence depuis la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : « en phase terminale, l’objectif de soulagement de la douleur et de la souffrance du patient doit primer sur le risque de décès pouvant survenir à l’issue d’une sédation profonde. » Nous n’avions pas besoin de cette affirmation pour comprendre que l’approche de la sédation ne saurait constituer, en tant que telle, une variation d’ajustement, au gré des interprétations, de la pratique d’euthanasie. Dans ce domaine également, depuis la loi du 22 avril 2005 les pratiques ont su évoluer, tenant compte, dans un contexte donné et en tenant compte du choix de la personne et de son intérêt direct, d’enjeux qui ne sauraient se satisfaire de considération générales, aussi compassionnelles soient-elles.

Personnellement je pense que des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais ; elles sont d’autant plus justifiées que l’impatience est attisée par la multiplication d’analyses et de propositions (accompagnées de tant de commentaires) qui attendent la conclusion politique annoncée. Les conclusions de la conférence des 18 citoyens me renforcent dans ma conviction : des questions à la fois graves et complexes justifient à un moment donné l’énoncé de repères forts légitimés par l’autorité publique. François Hollande a su initier une consultation justifiée qui ne doit pas se perdre dans les dédales de disputations sans fin ou de saisines approximative. Tout cela ne contribuerait qu’à prolonger inutilement des discussions que je considère suffisamment abouties.
Chacun à compris que notre approche politique de nos responsabilités humaines et sociales auprès d’une personne en fin de vie engage les valeurs du vivre ensemble, celles de la solidarité.