Plus digne la vie » enfant http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique http://plusdignelavie.com/?p=2974 http://plusdignelavie.com/?p=2974#comments Wed, 25 Jul 2018 07:06:53 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2974 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès . . . → Read More: Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès suit de quelques semaines celui de dirigeants nazis mené à Nuremberg par le Tribunal militaire international. Même si le procès des médecins, qui s’est achevé le 19 août 1947, s’est déroulé selon la procédure américaine, le jugement prononcé le lendemain est considéré comme une décision pénale internationale. Il comprend une liste de critères pour apprécier le caractère légal, ou non, des expérimentations médicales – liste connue sous le nom de code de Nuremberg.]

Le procès de Nuremberg des 23 médecins criminels, interroge au-delà même des sévices qu’ils ont fait subir à leurs victimes jusqu’à la mort, ou alors en les mutilant volontairement, méthodiquement, avec pour conséquences des souffrances physiques et psychiques inapaisables et irréparables.
La fonction médicale incarne de manière emblématique l’expression de la sollicitude, de l’attention humaniste, ainsi que cet engagement ayant pour fin de protéger l’autre de ce qui menace son existence, de le consoler des plus fortes détresses, de l’accompagner avec respect pour atténuer ses douleurs. Cet idéal de solidarité et de compassion aura été non seulement bafoué, mais plus encore trahi et perverti au point d’entacher de suspicion une pratique qui se doit d’être irréprochable, d’une loyauté et d’un scrupule qui la prémunissent de toute tentation de dérive – je veux dire d’arbitraire et de trahison.

Lots de cobayes

Le sens que l’on confère à l’idée de confiance aura été saccagé et aboli, alors que ceux qui étaient ainsi martyrisés en ressentaient, dans leur détresse même, le plus grand besoin. Cet ultime recours d’une assistance bienveillante leur était non seulement refusé, mais plus encore la malfaisance et la perversité médicales anéantissaient l’ultime expression de ce qu’il était encore possible d’espérer d’un signe d’humanité.
Peut-on se représenter un instant la désillusion, la désespérance et l’effroi des personnes prenant conscience du fait que la femme ou l’homme « en blouse blanche » à leur chevet, étaient là non pas pour les soigner mais pour achever avec discipline et résolution la besogne de leur extermination tout en les utilisant à des fins scientifiques ? Semblables aux tortionnaires qui avaient droit de vie et de mort sur leurs victimes, ils en différaient toutefois en dissimulant leurs exactions sous l’apparence d’un souci de connaissances vouées au « bienfait de l’humanité » dont on sait les abominations qu’il s’est évertué à justifier.
Certains médecins, parfois dans le cadre de recherches menées au bénéfice des firmes pharmaceutiques allemandes, commandaient aux responsables administratifs des camps leurs lots de cobayes ; Ils poussaient la minutie organisationnelle de leur entreprise jusqu’à rédiger l’acte attestant de la mort de l’ensemble de la « livraison », dans l’attente d’une prochaine ;
Ces quelques observations incitent à considérer qu’il conviendrait de saisir la signification possible de certains accommodements ou renoncements parfois présentés comme d’indispensables et inéluctables évolutions, dès lors qu’elles sont susceptibles de rendre possible l’impensable, de banaliser des exactions et des crimes d’une toute autre nature que les transgressions qui ponctuent l’histoire de la médecine.
Nombre des investigations menées dans les camps de concentration relevaient de conceptions et de théories partagées par les scientifiques de l’époque les plus compétents dans leurs champs disciplinaires. Ils revendiquaient du reste leur idéal de préservation et d’amélioration de la race aryenne, au détriment de leurs victimes racialement révoquées dans leur droit d’exister.
À la barbarie de l’extermination des personnes déportées, se surajoute celle d’une prétention scientifique visant, quels qu’en soient les méthodes et les moyens, à mettre en œuvre des expérimentations dont, au cours du procès des médecins à Nuremberg, le monde civilisé a découvert, effaré, que des médecins avaient pu les penser et les mener. Cette démarche de scientifiques corrompus par une idéologie délétère permettait, et justifiait, l’exécution médicalisée des enfants et des adultes, dont la survie importait moins que la publication de résultats et de performances extorqués dans un contexte d’abomination ;
C’est en touchant à travers cette tragédie indicible, aux zones limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, dès lors que sont révoqués les principes d’humanité, que s’est imposée en 1947 la rédaction du code de Nuremberg. Il s’agit du premier cadre éthique prescrit aux pratiques de l’expérimentation menée sur l’homme.

Une mission exceptionnelle

Les principes érigés dans ce texte de portée universelle qui intervient quelques mois avant la Déclaration universelle des droits de l’homme (information loyale, consentement, justification scientifique et conditions éthique de mise en œuvre de la recherche, évaluation des risques encourus), seront repris par la suite au sein de l’Association médicale mondiale dans la Déclaration d’Helsinki régulièrement adaptée aux évolutions scientifiques depuis sa première version, en 1964.
Le législateur allemand avait-t-il manqué à ses devoirs en ne fixant pas dans la loi l’incompatibilité entre la fonction de médecin et celle de bourreau ?
Soulever hâtivement des questions aussi graves et d’une telle portée n’est pour moi guère satisfaisant, cela d’autant plus que des analogies avec des circonstances plus actuelles pourraient susciter quelques controverses justifiées. Il convient donc de prendre le temps de l’éthique, celui de l’approfondissement et de la concertation, tout en demeurant inquiet de ce dont témoigne l’histoire, aussi douloureuse soit-elle.
C’est pourquoi les premiers cours donnés chaque année dans le cadre de notre master Éthique science et société de l’Université Paris-Sud – Paris-Saclay sont consacrés aux exactions commises dans le cadre de la recherche médicale, et pas exclusivement à l’époque de l’Allemagne nazie. Il en est de même s’agissant des initiatives qui se développent actuellement dans l’ensemble des universités françaises et des institutions de recherche, afin de renforcer les formations à l’éthique et à l’intégrité scientifique.
Le droit à la recherche visant à l’acquisition de connaissances indispensables aux évolutions de nos sociétés et au renforcement de nos libertés ne saurait s’affranchir du cadre limitatif de règles intangibles. Nos valeurs démocratiques doivent prévaloir dans l’arbitrage des principes éthiques de la recherche biomédicale.
L’éthique du médecin relève d’une exigence personnelle en terme de dignité, d’intégrité et de loyauté, d’une compétence humaine singulière, et donc d’une conscience qui inspirent et légitiment une mission exceptionnelle. La recherche biomédicale s’inscrit dans cet engagement et cette perspective. Ses pratiques sont conditionnées par des règles d’autant plus nécessaires et parfois contraignantes que d’expérience nous savons qu’y déroger, c’est risquer de prendre le risque d’actes barbares toujours possibles, parfois avec des intentions et des justifications dont on a compris qu’elles pouvaient rendre tolérables les plus hautes abominations : « La recherche médicale est soumise à des normes éthiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les êtres humains et qui protègent leur santé et leurs droits. »

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Vincent Lambert : oubli ou renoncement anticipé ? http://plusdignelavie.com/?p=2906 http://plusdignelavie.com/?p=2906#comments Mon, 08 Jun 2015 10:12:03 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2906 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 25 juin 2014 je publiais un article sur mon blog du Huffington Post : « Intéressons-nous aux soins prodigués à Vincent Lambert ! » Il est resté sans la moindre suite apparente, et aucun débat n’a eu lieu depuis à ce propos. Comme si cette . . . → Read More: Vincent Lambert : oubli ou renoncement anticipé ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 25 juin 2014 je publiais un article sur mon blog du Huffington Post : « Intéressons-nous aux soins prodigués à Vincent Lambert ! » Il est resté sans la moindre suite apparente, et aucun débat n’a eu lieu depuis à ce propos. Comme si cette préoccupation n’était pas recevable, n’intéressait personne. Ou alors qu’il s’agissait d’une « affaire classée », d’une cause perdue » ne justifiant plus de mobiliser ne serait-ce que nos valeurs de sollicitude. L’irruption publique de cet événement personnel, intime, familial, fortement médiatisé et à tant d’égard embarrassant, aurait été ainsi reléguée au plus loin de considérations désormais hors champs, couvertes par un secret médical dont on sait quelle en a été la rigueur et la consistance au cœur de l’affaire, voire après… Nombre de témoignages dénoncent pourtant au fil des semaines une situation pour le moins incertaine et qui en appellerait à quelques clarifications.
Aujourd’hui, alors que la décision de la Cour européenne des droits de l’homme est attendue depuis des semaines, ses amis lancent un appel, refusant « l’instrumentalisation indécente de la situation de Vincent Lambert ». Une initiative qui intervient tardivement, certes, mais qui apparaît importante : elle porte une force de réflexion et d’engagement qui devrait trouver toute sa place lorsque la décision ultime interviendra pour M. Vincent Lambert. Ce nouvel épisode auquel j’attache un grand intérêt (ne serait-ce que par ce qu’il prend ses distances avec toute possible assimilation à une position idéologique) ne devrait pas être sans conséquences, ne serait-ce que pour qu’enfin puisse être suscitée et assumée de manière responsable la concertation publique relative aux droits véritables des personnes vivant une réalité proche de celle de M. Vincent Lambert et de ses proches.
L’Appel « Sauver Vincent, tout simplement » établit un constat accablant et il interroge chacun d’entre-nous au-delà même des décideurs et des intervenants impliqués dans l’accompagnement et le soin de M. Vincent Lambert : « Depuis 2002, des unités spécialisées existent. Certaines ont proposé en vain une place à Vincent pour lui prodiguer les soins adaptés à son état et des petits gestes simples : l’asseoir dans un fauteuil, des séance de kiné, le promener dans un parc, lui faire ressentir la fraicheur du soir qui tombe.
 Nous savons qu’il est insoutenable pour des parents de savoir que leur enfant va mourir, par privation d’eau et de nourriture, même si des médecins disent que c’est mieux comme ça. […] Avec Vincent, nous voulons soutenir les 1700 personnes en état de conscience altérée en France mais aussi toutes les personnes atteintes de handicap. En situation de grande vulnérabilité, Vincent est pour nous un intouchable.»
Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permettra de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence. À cet égard, d’une formule pour le moins regrettable, le Rapport de présentation de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (décembre 2014) établissait de manière péremptoire : « Ces personnes sont « hors d’état d’exprimer sa volonté » selon les termes de la loi de 2005 et sont nombreuses à n’avoir pas rédigé de directives anticipées. Or, il est permis de penser que ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer. » De quoi interroger et inquiéter ceux qui ne considèrent pas ces personnes au terme de leur vie, mais toujours dignes d’une sollicitude et d’un soin qui ne saurait être assimilés, sans autre approfondissement, à une « obstination déraisonnable ».
Ma position, en juin 2014, relevait d’un souci d’humanité – ici et maintenant – à l’égard de M. Vincent Lambert, suite à la décision rendue par le Conseil d’État le 24 juin 2014. Depuis, du moins de manière officielle, aucune instance, ne serait-ce qu’éthique, ne semble avoir considéré opportun de solliciter les compétences impliquées dans la chaîne décisionnelle médicale afin de savoir si, effectivement, M. Vincent Lambert dont l’existence tient aujourd’hui au fil de décisions juridiques et de procédures administrative, bénéficie de la qualité et de la continuité d’un suivi respectueux de ses droits. Les modalités pratiques du processus d’interruption de son alimentation et de son hydratation ont davantage ému en son temps que nos obligations actuelles à l’égard d’une personne vulnérable à l’extrême : M. Vincent Lambert justifierait la mobilisation de compétences appropriées à son état et de moyens qui apparemment ne constitueraient plus l’enjeu supérieur. Notre démocratie ne peut pas se permettre la défaite d’abdications et de renoncements là où ses valeurs essentielles sont engagées : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Car, on l’a compris, nos approches en responsabilités humaines et sociales de M. Vincent Lambert concernent, au-delà de circonstances personnelles, nos conceptions de la dignité, nos principes d’humanité.
L’Appel « Sauver Vincent, tout simplement » ne saurait donc nous laisser indifférents. M. Vincent Lambert ne constitue pas une péripétie ou un « affaire » suscitant à la fois des procédures judiciaires, des controverses, de vagues compassions ou une évolution législative dans le contexte désormais dépassé d’une concertation nationale sur la fin de vie qu’il aura fortement marquée. Ses amis restituent figure humaine, sensibilité, présence à une personne trop oubliée dans une chambre d’hôpital que certains qui lui rendent visite assimilent aux cellules qui bordent dans les pénitentiaires américains le « couloir de la mort ». Ils nous incitent d’une part à reprendre en société notre approche de circonstances exceptionnelles qui ne sauraient avoir pour seule issue la réponse d’une législation « créant de nouveaux droits à la personne malade », d’autre part à solliciter un minimum d’informations relatives à l’accompagnement soignant prodigué à M. Vincent Lambert, cela sans pour autant transgresser le secret médical. Les bribes d’informations qui circulent à ce propos et qu’aucune instance n’a contredit jusqu’à présent, semblent justifier ne serait-ce que quelques éclaircissements. À moins que nous ayons à nous exercer au devoir d’oubli et à la désertion morale, à cultiver un art du renoncement et de l’abandon de manière anticipée. C’est ce à quoi, avec d’autres, nous sommes opposés.

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« Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné… » http://plusdignelavie.com/?p=2862 http://plusdignelavie.com/?p=2862#comments Tue, 28 Oct 2014 14:04:43 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2862 Mireille Depadt Philosophe

Si l’on m’avait demandé, il y a quelques années, comment je souhaiterais que ma vie se termine, j’aurais certainement répondu : sans que je m’en aperçoive, sans que j’aie le temps de souffrir, en pensant autant à la souffrance morale de la dépendance qu’à la souffrance physique et l’idée d’une fin . . . → Read More: « Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné… »]]> Mireille Depadt
Philosophe

Si l’on m’avait demandé, il y a quelques années, comment je souhaiterais que ma vie se termine, j’aurais certainement répondu : sans que je m’en aperçoive, sans que j’aie le temps de souffrir, en pensant autant à la souffrance morale de la dépendance qu’à la souffrance physique et l’idée d’une fin de vie relativement programmée par une maladie dégénérative me serait sans doute apparue commet une des pires éventualités, puisqu’à la déchéance et aux souffrances physiques devait s’ajouter l’angoisse d’une attente désespérée.
Et puis, cette maladie est arrivée. Peu après que j’aie eu 70 ans, on a diagnostiqué ce qu’on m’a dit être une « maladie des motoneurones », qui était en fait la SLA.

Elle a arrêté tout net ce qu’était notre vie, une vie de parents et de grands parents comblés, de retraités bien occupés, bien insérés dans le tissu associatif et culturel de la ville où nous vivions. Tout cela, brutalement, s’est effondré. Il ne restait plus que la perspective d’une évolution inexorable.
Une maladie grave, à cet âge, ce n’est pas un scandale. Il était normal que je me prépare à la fin. Mais la SLA, ce n’est pas « seulement » si l’on peut dire, une maladie grave qui peut amener à une issue fatale. C’est une maladie neurologique dégénérative, une maladie réputée « terrible », qui suscite l’effroi parce qu’elle s’annonce avec un pronostic « sombre » : mortelle à moyen terme et qu’elle condamne le malade et ses proches à vivre la déchéance physique dans l’absence de tout espoir. D’emblée, on sait qu’on ne guérira pas, que rien ne pourra réparer ce qui s’est détérioré et que les efforts pour lutter contre sa progression, non seulement ne serviront pas à grand chose, mais peuvent même produire l’effet inverse. Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné. Et, autour du malade, tous le savent.

Je n’ai jamais oublié le jour où mon mari a vu entrer dans son bureau, à l’hôpital, un collègue qui était aussi un ami, lui dire qu’il était « foutu » ; il venait d’apprendre qu’on lui avait diagnostiqué une SLA !
Si l’on m’avait dit, au moment des premiers signes, ce que serait ma vie quelques mois plus tard, j’aurais pensé, comme cet ami, que pour moi, « c’était foutu » ! Que je n’avais plus qu’à attendre la fin dans l’affaiblissement et la disparition progressive des fonctions de la vie.

C’est peut-être la raison pour laquelle je n’aime pas qu’on me rappelle ma maladie. Quand le nom de la SLA ou de la maladie de Charcot est avancé, c’est cette image sinistre qui vient avec elle. Or, dans cette image, je ne me reconnais pas, je ne me sens pas « malade » en ce sens.
Il ne s’agit pas de déni. Je sais bien que je suis atteinte de cette maladie terrible et que les aides qui me sont apportées sont les conditions de ma survie. Mais ma vie ne ressemble pas à ce que laisse penser la description de la maladie ; elle ne ressemble pas à ma propre anticipation de ce que je me voyais condamnée à subir.
Si j’avais imaginé au début, la vie qui est la mienne aujourd’hui, j’y aurais surtout vu le désespoir d’un bonheur perdu. J’aurais vu l’ombre sinistre de la maladie « mortelle à moyen terme » s’étendre tout autour de moi, et rendre douloureuses les relations avec ceux que j’aime, et puis j’y aurais vu toutes les incapacités, tous les handicaps qui me sont advenus comme une telle succession de pertes et de défaites. J’aurais eu du mal à y reconnaître une vie qui vaille la peine d’être vécue.

Les événements prévisibles sont en partie arrivés. Aujourd’hui, je ne peux plus parler et je suis hydratée et alimentée par une sonde gastrique. S’ajoutent à cela, une altération progressive des mouvements, des difficultés respiratoires et des étouffements qui me laissent parfois pantelante, comme vidée de toute force.
Les événements étaient prévisibles, mais pas la vie qui serait la mienne sous l’effet de ces événements, et qui n’est pas ma vie d’avant plus le poids de tous ces handicaps ou moins les capacités que j’ai perdues. Mais une vie différente.

Une amie très proche, qui est aussi atteinte d’une maladie neurologique, m’a posé il y a quelque temps cette question apparemment absurde : « si, par un coup de baguette magique, ou disons par une découverte extraordinaire de la médecine, tu pouvais effacer ta maladie, redevenir celle que tu étais avant elle, est-ce que tu le souhaiterais ? » et elle ajoutait : « réfléchis bien avant de me répondre. »
Qui, atteint, d’une SLA, ne souhaiterait pas retrouver la santé perdue ? Souvent je rêve que je parle, que je mange et que je bois normalement. Bien sûr que je « rêverais » comme on dit, de retrouver toutes les capacités que la maladie m’a ôtées.
Mais je sentais bien que cette réponse simpliste ne suffisait pas. Mon amie m’avait prévenue : « réfléchis bien » !
Et en y réfléchissant bien, je me suis rendue compte que la réponse n’était pas si évidente, et même qu’il n’y avait pas de réponse à cette question, que c’était une fausse question. Bien sûr que je souhaiterais être libérée de la maladie, qui ne souhaiterait pas être en bonne santé plutôt que malade ? Mais la maladie n’est pas un fardeau que je traînerais derrière moi et dont je pourrais être délivrée, pas plus qu’elle n’est un ennemi intérieur qui se serait insinué en moi et qu’il suffirait d’expulser pour que je me retrouve inchangée, telle que j’étais avant elle.

En fait, cette maladie n’est pas distincte de moi. Plus exactement, elle n’existe pas. Ce qui existe, c’est ce que je suis aujourd’hui, avec les handicaps et les faiblesses qui ne me sont pas seulement arrivés, mais qui m’ont changée. Je ne dis pas que j’aime ce que je suis devenue, mais seulement que c’est ma vie, ou plus exactement que c’est la vie pour moi, telle qu’elle est aujourd’hui et que l’idée que la maladie serait seulement un poids qui nous ralentit, un empêchement à être nous-mêmes, n’est pas une idée juste.

Il arrive qu’une amie qui m’a fait part de ses malheurs ou de ses souffrances, se reprenne en me disant : « je ne devrais pas me plaindre devant toi. Tout cela n’est rien auprès de ce que tu vis ! ». Ces mots me touchent par le souci d’attention dont ils témoignent, mais ils m’assignent le statut d’une exception tragique dans laquelle je ne me reconnais pas. Cette maladie ne nous met pas hors la vie.

Quand le diagnostic a été avéré, mon seul désir a été de me rapprocher de nos filles, de nos petit- enfants. Je savais que les déplacements deviendraient de plus en plus difficiles et je ne voulais pas être privée du bonheur de les voir aussi souvent que possible. Je savais qu’elles m’accompagneraient, que nous pouvions, mon mari et moi, compter sur leur aide. J’ai essayé au début de leur cacher la nature exacte de la maladie. L’idée de vivre ensemble le désespoir d’une évolution inexorable m’était insupportable. Mais elles ont très vite appris ce qu’il en était et nous sommes passées de la tristesse et de l’isolement, où chacune essayait de cacher aux autres ses angoisses, à la joie d’être ensemble dans une lucidité partagée. Aujourd’hui les choses sont claires entre nous, plus claires qu’elles ne l’ont jamais été. Nous vivons dans l’ouverture du présent, quel qu’il soit et, dans cette ouverture, plus proches que nous l’avons jamais été les unes des autres.
Personne ne peut souhaiter une telle maladie. Mais elle m’a donné à vivre des moments de grâce, des moments où plus rien ne me sépare de ceux que j’aime, où les nuages de la peur ont disparu, où l’air est clair et léger et où le temps même ne pèse plus.

Il m’arrive de penser que cette maladie – je parle de celle que je connais, la mienne -, dispose d’elle-même les conditions de la vie intérieure, de la spiritualité.
La violence de la secousse a fait tomber tout ce à quoi nous étions attachés, tout ce qui nous occupait. Elle a fait le vide. Mais dans ce vide, on voit bientôt apparaître une question qu’on ne s’était jamais posée, ou jamais avec cette nécessité et cette urgence : la question de ce qui fait la vie digne d’être vécue.

Hannah Arendt, au 20eme siècle, a repris la réponse de Socrate : « une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue ». J’ai souvent réfléchi à cette réponse et j’ai toujours pensé qu’elle me convenait. La maladie ne m’a pas fait changer d’avis, et pourtant tout a changé pour moi. Je croyais que la pensée, l’effort pour se comprendre soi-même ou ce qu’on vit était l’essentiel, ce qui fait que la vie mérite d’être vécue. Mais quand j’ai appris que j’étais atteinte de la SLA, je n’ai eu ni le désir ni la force d’essayer de comprendre ce qui m’arrivait. J’étais « sonnée », comme on dit des boxeurs qu’un coup trop dur a mis à terre. Et puis, j’ai entendu des mots qui m’ont touchée. Ils disaient cette chose toute simple, cent fois entendue : il faut vivre au présent. Mais ils m’étaient dits par le médecin que je voyais pour la première fois à la Salpêtrière et là, dans la clarté du diagnostic et la confiance d’une relation empreinte de bienveillance et d’humanité, je les ai vraiment entendus.
Ce n’était pas une révélation, mais ils m’ouvraient une nouvelle voie où la vérité devenait ce dont je faisais l’épreuve dans le moment où je le vivais et où l’attention à ce qui m’était donné devenait la seule règle. J’ai fait connaissance avec le mot, aujourd’hui rebattu et malmené, mais pour moi nouveau, de méditation et avec ce pas de côté, la vie a repris, autrement.
Je sais bien que les difficultés ne peuvent que s’aggraver, que l’évolution est inexorable, mais je sais aussi que la maladie, c’est encore la vie, et que la vie est par définition capacité de produire du nouveau, de l’imprévisible. A tout moment et dans toutes les circonstances.

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Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée http://plusdignelavie.com/?p=2829 http://plusdignelavie.com/?p=2829#comments Wed, 24 Sep 2014 08:50:43 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2829 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu . . . → Read More: Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu le 18 septembre 2014 cet épisode douloureux : « L’état de santé du nouveau-né s’est dégradé ces dernières heures et les modalités d’accompagnement de fin de vie ont été définies en associant la famille. » Chacun aura sa propre interprétation des conditions et du contexte dans lesquels intervient cette décision éclairée par le second avis d’une équipe médicale du CHU Henri Mondor (AP-HP) et de la consultation de l’Espace de réflexion éthique de la région Poitou-Charentes. Il nous est rappelé que les bonnes pratiques professionnelles de la réanimation d’attente ont été respectées, et c’est certainement sur la base de critères d’évaluation scientifiques incontestables que le processus décisionnel aboutit au renoncement de poursuite des soins.

Dès sa naissance, le 31 août, ce nouveau-né a bénéficié de l’expertise et des compétences de professionnels conscients des dilemmes auxquels confronte la réanimation dans un contexte de détresse vitale. Cela d’autant plus que depuis 15 ans la naissance de prématurés a progressé de 45 %. Les progrès de la réanimation néonatale, les conséquences des procréations médicalement assistées, l’âge tardif de certaines grossesses expliquent ce phénomène. Chaque jour 180 enfants naissent dans ce contexte plus ou moins extrême de la prématurité. Un consensus international s’est établi pour ne pas entreprendre de réanimation avant 23 semaines de grossesses.

Chacun peut s’imaginer le désarroi et parfois l’effroi de parents qui espéraient l’heureux événements, découvrant un nouveau né si différent de leur représentation idéalisée du bébé, assisté par des moyens techniques invasifs que l’on peut assimiler à une forme de démesure biomédicale. Dans un avis du 14 septembre 2000 (avis n° 65, « Réflexions autour de la réanimation néonatale » le Comité consultatif national d’éthique détaille avec beaucoup de justesse les enjeux de cette phase si délicate, pourtant nécessaire à l’observation de l’enfant et à l’arbitrage d’un pronostic. Il reprend le travail de qualité réalisé notamment par les sociétés savantes (commission éthique de la Société française de néonatalogie) et d’autres instances conscientes de l’importance d’un cadre réflexif permettant d’instruire des décisions qui relèvent en toutes circonstances d’une approche contextuelle au cas par cas. Prendre en compte l’intérêt direct d’un enfant qui ne peut en aucun cas exprimer son choix (si ce n’est en démontrant une telle volonté de vie qu’il déjoue parfois les pronostics et évolue plus tard dans son existence avec une combativité forgée dans cette expérience), tout en créant les conditions d’une relation confiante et attentionnée avec les parents qui doivent être en capacité de se situer au regard de décision auxquelles rien de les prépare, relève de procédures partagées par l’ensemble des équipes de néonatalogie.

Les quelques témoignages recueillis depuis l’irruption sur la scène publique de la demande de ces parents qui refusaient « une vie de handicapé » pour leur enfant et dénonçaient ce qu’ils interprétaient comme de l’acharnement thérapeutique, ont permis de bien saisir la complexité de l’arbitrage d’une décision qui doit concilier les droits de l’enfants avec ce que des parents peuvent estimer supportable ou non au regard de leurs valeurs propres, de leurs représentations voire de leurs capacités à affronter la lourdeur d’une « prise en soin » qui aura un impact décisif sur leurs choix personnels de vie. Les dilemmes ne tiennent pas du reste qu’à la revendication de parents qui souhaitent une interruption rapide de la réanimation. Dans bien des cas, ce sont eux qui demandent que soient maintenues les stratégies thérapeutiques, y compris lorsque les médecins estiment que le seuil des traitements disproportionnés est atteint, qu’il serait vain, voire pernicieux de poursuivre.

Il importe de préciser qu’en phase de réanimation d’attente (elle peut se situer sur une durée de plusieurs semaines), le confort de l’enfant est assuré, que sa surveillance constante est assurée par des équipes attentives à sa qualité de vie, que des sédatifs sont administrés si nécessaire pour éviter la moindre douleur. Mais un point essentiel de ce qui se vit dans ces longs moments tient à cette relation si particulière et forte qui se noue avec un être vulnérable, engageant les parents et les soignants dans un rapport de proximité et de sollicitude qui conditionne aussi les décisions qui seront prises.

Dans cette  environnement très technique, des échanges, des partages, avec également le soutien de psychologues, permettent d’ajuster les points de vue, d’aller plus avant dans le questionnement afin de mieux saisir les enjeux de circonstances difficilement pensables et d’appréhender le champ de responsabilités qu’il conviendra, au juste moment, d’assumer.

Il est important qu’après ce temps indispensable à l’investigation clinique, à l’évaluation des données scientifiques et des critères qui vont prévaloir dans la prise de décision, l’arbitrage relève d’une procédure collégiale et finalement d’une position médicale. Comme cela est prescrit dans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mais également pour que les parents n’aient pas le sentiment qu’ils sont directement responsables d’une décision aux conséquences si redoutables.

Je ne suis pas certain que Mélanie et Aurélien ne se posent pas plus tard certaines questions de fond que ces procédures, d’apparence longues et contraignantes, s’efforcent précisément d’anticiper et d’atténuer. Ne serait-ce qu’en ayant la certitude qu’on s’est donné le temps nécessaire afin de retenir une option plutôt qu’une autre et que le choix (relevant parfois du concept de « moindre mal ») est estimé, de manière consensuelle, comme celui qui s’avérait préférable. Certains services ont pour habitude de favoriser la rencontre entre des parents qui se refusent à toute éventualité de handicap pour leur enfant avec des familles qui, elles, ont souhaité accompagner dans la vie cet être cher, fut-il atteint d’un handicap plus ou moins lourd. Elles évoquent certes les difficultés liées au regard négligeant ou compassionnel porté par la société sur la personne handicapée, aux carences dans l’accueil et le suivi notamment après l’âge de 20 ans, cette « galère » que l’on surmonte en y déployant une énergie de chaque instant. Mais tout autant le vrai bonheur de partager cette relation avec une personne qui exprime autrement sa force de vie, son exigence de relation et de reconnaissance, mobilisant autour d’elle une sollicitude qui permet à chacun de gagner en humanité.

Les équipes intervenant dans le champ de la néonatalogie ont cette culture d’une approche éthique de la vulnérabilité : elles se sont dotées des compétentes qui allient la rigueur scientifique, les qualités du suivi médical à l’exigence d’humanité. Leur préoccupation relève rarement d’une visée de performance et, pour ce qui me concerne, je n’en connais aucune qui renoncerait à intégrer au processus décisionnel une anticipation concertée de ce que seraient les conditions d’existence de l’enfant, l’impact sur la famille d’un handicap modéré ou lourd. Dans ces zones grises, incertaines des premiers jours, il est vrai que privilégier les droits de l’enfant à vivre plutôt que de précipiter une décision de soins palliatifs engage à partager des moments douloureux. Quelques soient la disponibilité des équipes, leurs soucis d’informer, de communiquer, de soutenir, nombre d’obstacles peuvent entraver cette visée à une relation dont on comprend la haute signification. L’actualité semble en attester.

J’exprime ma sollicitude à Mélanie et Aurélien. Nous sommes à leurs côtés, eux qui apparaissaient si démunis, éperdus et solitaires dans les reportages qui ont été diffusés en début de semaine. Mes pensées vont vers leur fils Titouan, lui dont l’existence si fragile a été exposée à une controverse publique qui ne me semblait pas se justifier. Il ne m’apparaît que peu conciliable avec le respect que l’on doit à la personne malade de révéler publiquement des données d’ordre médical, y compris pour justifier une décision. Je sais ce que vivent au quotidien les équipes de réanimation néonatale. Il importe de leur témoigner à elles aussi notre considération. Il ne serait pas recevable que demain les nouveaux nés qu’elles accueillent subissent le moindre préjudice du fait de l’émotion suscitée par une circonstance médiatisée.  Les procédures constituent des repères d’autant plus indispensables dans un contexte redoutable, parce qu’incertain, évolutif et susceptible d’engager des décisions aux conséquences majeures et irréversibles pour un être qui ne peut pas y consentir. Enfin, dans le contexte de concertation nationale sur la fin de vie, il ne me semblerait pas sage et en aucun cas justifié de trouver prétexte, dans cette actualité, à une évolution des pratiques qui, nous en sommes les témoins, se sont avérées pertinentes.

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DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive http://plusdignelavie.com/?p=2773 http://plusdignelavie.com/?p=2773#comments Mon, 05 May 2014 06:57:59 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2773 Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un . . . → Read More: DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive]]> Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un devoir de publier, comme il l’a fait par le passé, tout autre document présentant selon des points de vue différents les pratiques dans les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie.

Lors de sa conférence de presse le 14 janvier 2014 François Hollande a énuméré les termes de la loi belge sur l’euthanasie sans jamais évoqué le mot. En Belgique, on se targue d’une loi sans dérives, contrôlée de manière absolue par une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. À ce jour, selon cette Commission, absolument toutes les euthanasies recensées ont été effectuées selon les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002.

Infirmière à Bruxelles, j’ai d’abord travaillé dans un service d’oncologie puis dans une unité de soins de support. De la sorte, j’ai rapidement été confrontée aux demandes et à la pratique d’euthanasies. Depuis six ans, j’ai observé combien cette loi ébranle considérablement les liens de solidarité que nous avons envers les malades. Plus que la mise en lumière de procédures bancales, nous assistons aujourd’hui à un changement radical des mentalités concernant la mort et l’accompagnement des mourants.

 

I. Euthanasies légales, éthiquement bancales

Depuis mon arrivée en Belgique en 2008, j’ai été le témoin direct de nombreuses euthanasies. Toutes ont été reconnues légales et inscrites de manière officielle dans les dossiers médicaux des patients. Dès ma prise de fonction et malgré des connaissances au départ limitées, j’ai détecté de graves défaillances d’ordre éthiques et déontologiques. À travers mon expérience personnelle dans des services de soins pratiquant l’euthanasie en Belgique, je souhaite montrer qu’il est possible, dans une chambre d’hôpital comme sur un plateau de télévision, de manipuler les opinions et les consciences, pour métamorphoser l’euthanasie en une idéologie du « mourir dignement ».

  • Monsieur R. n’a jamais demandé l’euthanasie : il a été libéré par « compassion »

C’est la parole d’un oncologue juste après l’euthanasie de Monsieur R. Quelques jours plus tôt, le médecin vient annoncer à l’épouse du malade que son mari est en phase terminale d’un cancer pulmonaire. Le médecin ajoute que le patient « souffrira énormément, bien qu’actuellement il ne présente aucun signe de douleur ni de tristesse ». L’épouse demande au spécialiste de ne dire mot à son mari « pour ne pas qu’il souffre davantage » et sollicite par la même occasion qu’on l’euthanasie pour lui épargner « l’horreur de la fin de vie ». Monsieur R. mourra par euthanasie sans jamais avoir eu connaissance de l’existence de sa maladie et sans avoir décidé ou même évoqué une seule fois le souhait d’avoir recours à l’euthanasie.

Suite à cette euthanasie, je demande des explications à mes supérieurs au cours de la réunion interdisciplinaire. En chœur, le psychologue, le chef d’unité, le chef infirmier et les oncologues, m’expliquent combien cette mort a été « douce, paisible et sans douleur », « une fin de vie digne » en somme. Sur un ton infantilisant, ils me rappellent qu’« en tant que soignant, il faut être compatissant », que « le pronostic vital  de Monsieur R. était compromis à brève échéance » et  qu’« il aurait certainement souffert de manière atroce ». L’aplomb du discours, la logique, en apparence, implacable du raisonnement, réduisent au silence les soignants.

  • Monsieur L. a « bénéficié » d’une euthanasie dans l’urgence, pour pallier des douleurs aiguës non suffisamment soulagées

Monsieur L. souffre d’un ostéosarcome du fémur droit. Hospitalisé, il a évoqué l’euthanasie au cas où son état se dégraderait. Un jour, alors qu’il est pris d’une crise de douleur foudroyante, sa femme, désespérée, appelle au secours le personnel médical : selon elle, il faut impérativement répondre à la demande d’euthanasie de son mari. Les infirmiers, paniqués, appellent d’urgence l’oncologue. Ils proposent d’augmenter les doses de morphine et de mettre en place un protocole de sédation provisoire, afin d’apaiser les symptômes et l’état de détresse. Mais l’oncologue refuse. Au milieu de l’angoisse et de l’agitation, le médecin ordonne aux soignants une préparation létale qu’il administre aussitôt à monsieur L. Un an après, l’épouse revenait dans le service et accusait les soignants d’avoir « assassiné son mari ».

L’oncologue est réticent à employer des traitements morphiniques. Aujourd’hui encore, malgré l’usage fréquent et bien maîtrisé de la morphine, certains médecins en ont encore peur. De nombreux patients subissant des souffrances terribles ne sont pas suffisamment soulagés. Dans ce contexte, nous pouvons aisément imaginer combien le désespoir peut être à l’origine d’une demande d’euthanasie. D’autre part, le contexte d’urgence dans lequel a été pratiqué cette euthanasie a conduit à une mort brutale, inhumaine et profondément choquante, aussi bien pour l’épouse que pour les soignants. Pourtant, rappelons-le, le patient entre dans les critères de la loi : demande réitérée/souffrance insupportable/maladie incurable, etc.

  • Madame G., « délivrée » d’une agonie trop longue

Une sédation palliative a été administrée  à Madame G. : elle est dans le coma depuis cinq jours. Sa famille, angoissée, guette le moindre signe de fin de vie. L’équipe soignante, continuellement sollicitée, est éprouvée par l’agitation incessante. C’est alors que le médecin, manifestement lassé par l’agonie, décide d’« abréger les jours » de Madame G., pour la « délivrer de la déchéance ». Personne ne dénonce ce geste, qui, dans l’imaginaire de la famille et des soignants, témoigne de l’altruisme et de l’humanité du médecin. Un geste pourtant brutal qui règle de manière radicale le « problème de l’agonie ».

 

En Belgique, les mentalités ont changé

Après onze ans de pratique légale d’euthanasie en Belgique, les mentalités autour de l’image de la mort changent profondément. De plus en plus, contrairement à l’euthanasie, la sédation palliative en fin de vie est considérée comme une mort sans aucun sens, dénuée d’humanité et décourageante. Certains médecins la considèrent même comme hypocrite si on l’assimile à une mort naturelle : « Assimiler sédation et mort naturelle est en fait une construction qui permet d’évacuer un sentiment de culpabilité et de considérer l’acte comme moralement bon, supérieur aux autres interventions médicales possibles. »[1]

Il est certes difficile pour les proches d’accompagner une personne en fin de vie. Cependant, j’ai remarqué au fil de mes différentes expériences (en unité de soins palliatifs en France puis en oncologie et unité de soins de supports en Belgique), combien les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation. La difficulté pour une famille de vivre l’agonie de proche, est en grande partie liée à la perception que l’environnement (soignants, institution, société) a de l’agonie.

Lorsqu’une équipe soignante est au clair sur un projet commun d’accompagnement des personnes en vie, mais également sur sa représentation de la mort et sur l’intention qu’elle met derrière la sédation palliative (elle n’est pas « faire mourir la personne » mais « soulager les souffrances »), l’accompagnement de la famille est beaucoup plus serein. Au contraire, lorsqu’il existe la possibilité d’euthanasie, peut s’ancrer dans les esprits l’idée d’une mort plus « rapide, indolore, propre, nette ». Le temps de l’agonie ne possède alors plus de valeur, plus d’existence, c’est un morceau de vie qui est considérée comme superflu. Cette confusion tient au fait que la loi belge, contrairement à la loi Léonetti,  n’encadre pas la pratique de la sédation, ne la définit pas et ne l’intègre pas dans la pratique des soins.

 

II. Omerta et marginalisation des soignants

C’est à partir de ces situations vécues que je me suis rendue compte que les soignants étaient délibérément maintenus dans l’ignorance ou contraints au silence.

 

La méconnaissance de la loi sur l’euthanasie et la fin de vie

Dans un des services où j’ai travaillé, certains patients sont accueillis le matin dans une chambre et en sortent deux heures après en direction de la morgue, après l’euthanasie programmée par l’oncologue. Les infirmiers ne sont pas mis au courant. On peut aisément se figurer le choc émotionnel que ce manque délibéré d’information et de communication, peut provoquer. Même s’ils sont ébranlés, les soignants ne se révoltent pas car ils connaissent peu ou mal la loi. Aucune formation ne leur est proposée.

 

La peur des représailles

Dans ce même service, la direction (médecins, directrice des soins, cadres de santé) place les soignants dans la peur des représailles. Beaucoup d’entre eux expriment régulièrement la peur de perdre leur emploi s’ils venaient à remettre en question le système. Cette peur est fondée : certains soignants désireux de quitter le service ont été menacés d’exclusion de l’ensemble du réseau dont la structure hospitalière fait partie, la direction pouvant exercer des pressions pour qu’ils ne retrouvent pas de travail.

 

La parole des infirmiers tue

Lors des réunions d’équipe pluridisciplinaire, créées à l’origine pour échanger nos points de vue sur la prise en charge des patients, la parole des infirmiers est complètement tue. Personne n’ose parler des euthanasies vécues difficilement ou des questionnements par rapport à certaines décisions médicales. Lorsqu’un infirmier remet en question une euthanasie, la conversation portant sur le fond et les faits est détournée. Les médecins et cadres de santé y répondent systématiquement par la même antienne : « l’acte était choisi, humain ».

 

Aucune voie de recours

N’ayant pas été entendue par mes responsables directs, je me suis rendue auprès de la direction pour dénoncer ces actes illégaux. La directrice des soins ne m’a pas écoutée. Elle m’a enjoint de me taire. Aussi, les recours en justice paraissent impossibles, il faut pour cela des preuves, des témoignages de familles qui souhaitent s’engager et dénoncer, et le courage des soignants d’affronter tout un système de santé qui protège les médecins.

Depuis onze ans, la Commission de contrôle et d’évaluation des euthanasies n’a jamais, pas une seule fois, transmis de dossier à la justice[2], ni retenue de pratique inquiétante parmi les dossiers pour lesquels il a été demandé des précisions. Cela montrait-il que la loi n’est pas si restrictive et que les conditions réunies peuvent être facilement manipulées ?

S’ajoutent à ce contexte, des demandes de plus en plus importantes d’euthanasie pour cause d’une souffrance morale insupportable lorsque la personne est lasse de vivre dans son état de vie, même lorsqu’elle ne souffre pas de maladie incurable ou de souffrance physique.

 

III. La souffrance morale : le nouvel éden de la « bonne mort »

 

À travers des exemples de mise en scène médiatique de morts jugées « exemplaires » ; puis à travers une euthanasie vécue récemment, je voudrai montrer comment l’euthanasie s’érige comme une idéologie. Onze ans après la dépénalisation de l’euthanasie, de plus en plus de demandes ont trait à la souffrance morale. Au niveau éthique, ces demandes posent de nombreuses questions, elles font souvent l’objet de discussions et de désaccords entre soignants, tant elles sont à la frontière du légal.

Les médias, eux, n’émettent aucune contradiction ou sollicitation à la prudence. Les euthanasies qu’ils exposent peuvent ainsi apparaître comme une étape logique d’extension naturelle de la loi.

 

1. Cas médiatiques qui façonnent le dogme de la « bonne mort »

 

Anticipation d’une souffrance future

Il s’agit de personnes qui ne souffrent pas dans le présent mais qui anticipent de probables souffrances liées, par exemple, à la perte d’autonomie.

« Marc et Eddy Verbessem, des jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) nés sourds. Tous deux cordonniers dans la région anversoise, les frères – inséparables –  ont toujours vécu sous le même toit. C’est l’annonce d’un diagnostic d’une maladie oculaire dégénérative, un glaucome avec perte progressive de la vision pouvant mener à la cécité, qui fut l’élément déclencheur de l’issue fatale, révélée ce week-end dans la presse néerlandophone. Car si pour ces deux hommes de 45 ans, nés avec ce handicap, le fait d’être privés de l’ouïe n’était pas un réel problème, l’idée de ne plus pouvoir se voir et de perdre toute autonomie leur est apparue littéralement insupportable. Une longue réflexion les a amenés à prendre peut-être la plus lourde des décisions : demander l’euthanasie. Voici un an, donc, que les deux frères ont entamé les démarches nécessaires. Le 14 décembre dernier, réunissant apparemment toutes les conditions légales requises, ils se sont rendus à l’UZ Brussel de Jette. »[3]

 

Nous pressentons le danger éthique sous-entendu : peut-on euthanasier des personnes qui ne relèvent pas des critères de la loi, au nom d’une souffrance potentielle future ? Dans cette situation particulière, la demande d’euthanasie est justifiée en fonction de critères légaux et non éthiques. Une journaliste a demandé à Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et membre de la Commission de Contrôle des euthanasies, si « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales »[4], soulevant-là qu’il s’agissait exclusivement d’une « souffrance psychique ». La présidente a répondu : « En effet, ils ne souffraient pas de réelles douleurs physiques. Cela dit, si l’on s’en réfère aux trois conditions essentielles de la loi, ils répondent aux critères. Cela faisait un an qu’ils étaient en demande. Pour ce type de cas, pour lequel le décès n’est pas prévisible à brève échéance, il faut à tout le moins deux médecins consultants, le second s’attachant plus particulièrement à la qualité de la demande. Il faut voir s’il s’agit bien d’une demande volontaire, réitérée et réfléchie et si l’on a aussi bien examiné toutes les pistes possibles avant d’en arriver à cette décision. La deuxième condition est la souffrance, qui peut être d’ordre physique ou psychique, ce qui était en l’occurrence le cas. La troisième condition est que la souffrance est causée par une affection grave et incurable, ce qui est le cas aussi. Actuellement du moins, même si à l’avenir, on peut espérer trouver des solutions. »[5]

Les conditions de la loi sont donc réunies. En revanche, remettre en question le regard de la société face à la détresse de ces malades, ou bien soulever le manque de créativité dans les relations humaines, ou enfin, envisager d’accompagner les jumeaux à s’adapter à leur handicap, de tout ceci il n’en est pas question.

 

La vieillesse comme souffrance

Christian de Duve, Prix Nobel de médecine en 1974, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013 à l’âge de 95 ans. En lui rendant hommage la présidente de l’ADMD ne parvient pas à démontrer que le professeur entrait dans les critères de la loi : « Doit-on encore se justifier lorsque l’on choisit l’euthanasie ? »[6] Pour quelle raison choisir la mort à 95 ans, dans un état physique et mental encore bon ? Le professeur se rendait tous les jours à la piscine et participait régulièrement à des émissions de télévision. Le premier signe de faiblesse (une chute) lui a fait comprendre la vulnérabilité naturelle due à la vieillesse.

Peu importe que Christian de Duve ne souffrait d’aucune maladie incurable, la vieillesse peut être considérée comme une souffrance. Le Premier ministre Elio di Rupo a lui-même salué « l’engagement de citoyen dont a fait preuve Christian de Duve tout au long de son existence »[7]. Cet hommage rendu nous révèle une idée centrale : l’euthanasie est un « geste citoyen », un modèle de société. L’exemple de sagesse du Prix Nobel a eu les honneurs de la presse : tous ont applaudi sa lucidité et sa force. Une journaliste du quotidien Le Soir nous raconte sa dernière entrevue avec le vieil homme : « Je suis beaucoup plus proche de la mort que ça, je dois organiser ma disparition », m’a-t-il dit. Il avait eu un malaise et il est resté par terre, sans pouvoir se relever. Il a reconnu que ça a été le signal. C’est un homme extrêmement digne, heureux et satisfait de sa vie […] mais de fait, affaibli. »[8]

Son euthanasie apparaît comme un choix évident, même, un acte de générosité, d’avoir décidé de mourir avant de coûter à la société. La valeur de la vie dépendrait donc de sa capacité à produire de bon et d’utile dans une société (mobilité, vitalité, prouesse), jusque dans la maîtrise de sa mort. Peut-on demander l’euthanasie en prévision d’un état de déclin dû à l’âge ? Quelle image relayée à travers les médias cela donne-t-il  à la personne âgée ?

 

La solitude

Les soignants commencent à être préoccupés par le nombre croissant d’euthanasies de personnes profondément seules. Il s’agit du cas médiatique de Nathan, la personne transsexuelle dont on pressent le désespoir de ne pas être entouré. Rejeté et maltraité par sa famille, sa mère aura ces mots avant de lire la lettre de Nathan écrite avant sa mort : « Sa mort ne me fait rien. Je ne ressens aucune douleur, aucun doute, aucun remords. »[9]

« Nathan est né Nancy dans une famille qui comptait trois garçons, et avait été rejeté par ses parents, qui souhaitaient un nouveau garçon, selon le quotidien, qui l’a interrogé la veille de sa mort. Rêvant depuis son adolescence de devenir un homme, il avait successivement, entre 2009 et juin 2012, subi un traitement et deux opérations : une cure d’hormones, une ablation des seins, et un changement de sexe. Des opérations dont il n’était pas satisfait : sa poitrine restait trop forte et le pénis qu’on lui avait placé était « raté ». « J’avais préparé des dragées pour fêter ma nouvelle naissance, mais la première fois que je me suis vu dans le miroir, j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps, avait raconté Nathan. J’ai eu des moments heureux, mais au final la balance penchait du mauvais côté », avait-il résumé, estimant être « resté quarante-quatre ans de trop sur cette terre ». »[10]

 

La maladie mentale, une dépression, ont-elles été diagnostiqué ? A-t-il déjà été suivi par un psychiatre, un psychologue ? Officiellement, il ne s’agit pas de dépression, ce critère n’entrant pas dans le cadre de la loi. Pour accepter la demande d’euthanasie, il a donc été conclu que Nathan est dans une détresse morale insupportable à cause d’un corps qu’il n’a jamais accepté.

 

Un modèle de « belle mort » : le couple

« Un couple âgé du Brabant flamand a demandé et obtenu une double euthanasie. C’est une première en Belgique. L’homme, âgé de 83 ans, souffrait d’un cancer en phase terminale. Son épouse, âgée de 78 ans, qui présentait des maladies liées à la vieillesse, incurables et douloureuses, n’imaginait pas la vie sans son mari. Le couple n’avait pas d’enfant et était relativement isolé. Ils sont morts à leur domicile mardi[11]. »

 

Le Dr Marc Englert (professeur honoraire ULB, rapporteur à la Commission euthanasie) avance les arguments du Dr Marc Cosyns (généraliste à Gand), en faveur de cette euthanasie :

Objectif : minimiser les risques de souffrance due à un suicide raté (l’euthanasie étant une mort douce…) : « Je considère très important que ces personnes aient montré qu’on peut mourir ainsi et qu’un survivant désespéré ne doit pas nécessairement se procurer une corde ou un revolver mais qu’une solution légale est possible lorsque, comme cette femme, on souffre de maux incurables qui peuvent être démontrés. »[12]

Répondre à la solitude des personnes âgées :  « On sait que le nombre de suicides de gens âgés de plus de 80 ans est particulièrement élevé. Il en est certainement parmi eux qui sont restés seuls et qui souhaitent mourir pour cette raison. Ce n’est pas incompréhensible. Il y a des gens qui ont vécu une union fusionnelle avec leur partenaire, comme l’a si bien exprimé Jacques Brel dans “La chanson des vieux amants”. […] Mais en même temps, nous devons faire savoir à ceux dont les souffrances ne peuvent vraiment pas être soulagées que l’euthanasie est possible … »[13]

Le militantisme du couple leur donne tous les droits : « Bien que le fait soit rare, il ne serait pas unique. Le Dr Cosyns déclare connaître cinq cas récents similaires, dont deux qu’il a pratiqués lui-même. Il considère néanmoins que l’histoire de ce couple est particulière parce que les patients ont fait savoir dans leur nécrologie qu’ils sont morts le même jour et qu’ils remerciaient le médecin qui les avait aidés. Il estime qu’ils ont brisé un tabou et déclare qu’il les admire pour l’avoir fait[14]. »

L’épouse donc, qui « n’imaginait pas la vie sans son mari »[15], a été euthanasiée au motif de maladies liées à la vieillesse comme l’arthrite rhumatoïde. Rappelons que selon la loi belge, il n’est pas nécessaire d’être en phase terminale pour obtenir le droit à l’euthanasie et que le motif de souffrance insupportable est suffisant. Est-ce que la dégradation de la qualité de vie et la baisse de l’autonomie dues à la vieillesse peuvent justifier la pratique de l’euthanasie ? Du fait du nombre d’affections incurables (diabète, arthrose, ostéoporose, surdité, Alzheimer, etc..), les restrictions de la loi sur l’euthanasie sont une fiction.

 

2. Cas pratique à l’hôpital

 

Pour ma part, je peux  exposer le cas concret d’une des dernières euthanasies à laquelle j’ai assisté. Cette histoire fait apparaître à la fois :

- le manque de solidarité de toute une société ;

- la pression exercée sur les soignants ;

- des médecins devenus plus militants que thérapeute.

Il s’agit d’une dame d’une soixantaine d’année dont les facultés cognitives et la capacité à se mouvoir se sont dégradées à cause des effets de la chimiothérapie. Elle est par ailleurs en rémission de son cancer. Elle dit avoir fait une demande anticipée d’euthanasie et renouvelle sa demande au vu de la dégradation de son autonomie et de ses pertes de mémoires importantes.

Face à cette demande d’euthanasie, la difficulté pour les soignants était triple, du fait de :

1. Ses pertes cognitives. Un jour, elle me  demande : « mais dans le fond vous me l’avez faite cette euthanasie ou non ? », comme s’il s’agit d’un traitement quelconque. Elle ne semble pas vraiment se rappeler de quoi il s’agit. Mais pour les médecins, c’est une bonne chose, elle a enfin prononcé le mot « euthanasie » ! C’est la première fois depuis longtemps, qu’elle en parle spontanément. Pour relancer la demande, le défi est de lui faire dire « je veux une euthanasie » sans avoir l’air de lui proposer, car dans la loi, la demande doit être volontaire et réitérée.

2. De la nature floue de sa souffrance (pas de douleurs ou de symptômes réfractaires au traitement). Au niveau physique elle n’a aucune douleur et est en rémission de son cancer. Donc, pas de maladie incurable, pas de décès à brève échéance. La seule solution est de trouver à quel point sa souffrance morale était insupportable. Lorsque les soignants s’assoient à côté d’elle pour discuter, elle retrouve le sourire et réclame que l’on reste davantage auprès d’elle. Pendant des semaines elle ne demande plus l’euthanasie. Cependant, dès qu’elle se sent seule, elle en reparle de manière assez vague.

3. De son entourage à l’influence inquiétante. L’entourage, constitué d’amis et peu de famille en raison de conflits, parait totalement inadapté. Il harcèle sans cesse les soignants en réclamant l’euthanasie de la dame. Les soignants se sentent mal à l’aise car ils comprennent bien que sous la demande de la patiente il y a une autre réalité : celle du sentiment d’abandon à cause du manque de solidarité. Les accompagnants sont sans doute sincères, cherchant pour la malade son bien-être. Mais leur bienveillance est dénuée d’empathie, ce recul nécessaire à une vraie solidarité. La patiente leur demande tout le long de l’hospitalisation une brosse à dents. Au lieu de brosse à dent, ils lui apportent ce qu’ils croient être bons selon eux : du vin, des gâteaux, mais ne satisfont jamais la demande de la dame.

De plus, la majorité des soignants éprouvent de la frustration car de nombreux dispositifs auraient pu être mis en place pour améliorer son confort et son désir d’être davantage entourée. Au départ, elle a accepté des structures adaptées à ses besoins, puis, sous l’influence de son environnement, elle y renonce. Ses proches sont enfermés dans l’émotion de voir leur amie handicapée. Ils ne supportent pas la voir différente. Toute autre solution que l’euthanasie leur parait inimaginable. Sur le petit carnet où ils lui laissent des messages  lorsqu’elle dort, il est question d’euthanasie à chaque page. On peut y lire des mots tels que : « N’oublie pas ton euthanasie, c’est ton droit, il faut que tu demandes aux médecins sinon ils ne te la feront jamais… ».

 

C’est dans ce contexte, que les médecins favorables à la pratique de cette euthanasie, ont dû trouvé des arguments. Afin de contourner chacune de ces difficultés, et répondre légalement à la demande d’euthanasie, des « solutions » ont été trouvées :

1. Pour l’impossibilité d’évaluer correctement sa demande d’euthanasie à cause des pertes cognitives, il a été décidé de favoriser les convictions et demandes antérieures aux pertes de mémoire, (appuyés par la lettre anticipée d’euthanasie), plutôt qu’un changement d’avis qui pourrait être dû à ses pertes de mémoire.

2. D’autre part il fallait déterminer la nature de la souffrance morale. La diminution de son autonomie étant irréversible, c’est celle-ci qui crée une souffrance morale insupportable.

3. Enfin, en ce qui concerne la défaillance de solidarité influençant ses choix, l’argument en faveur de l’euthanasie a été : son entourage fait partie de son bien-être, même si l’influence sur sa personnalité et sur ses décisions sont néfastes, ce n’est pas à nous d’en juger. De même, ce n’est pas aux soignants de pallier le manque de solidarité.

 

 

Conclusion : l’interprétation de la loi sans réelles limites se refuse à toute réflexion éthique

 

La médiatisation de ces « belles morts » semblent induire l’idée que l’euthanasie représente la mort la plus digne, la plus humaine. Elle devient un modèle du bien-mourir selon des critères de beauté et de dignité. En ce sens, il peut s’instaurer chez les malades, une culpabilité à continuer à vivre. L’acte d’euthanasie deviendrait un acte humain exemplaire. La dichotomie mentale qui en résulte entre « bonne » et « mauvaise » mort, dénature les liens de solidarité dans une communauté et rend la mort définitivement taboue.

D’autre part, l’interprétation de la « souffrance morale » est si large qu’il ne semble pas y avoir de limites légales à la pratique de l’euthanasie (baisse de l’autonomie due à la vieillesse, peur d’être seul, peur d’une souffrance future, lassitude de vivre, etc.).

Il en est de même pour le critère de « maladie incurable ». La loi autorise l’euthanasie pour des diagnostics de maladies dont le décès n’est pas prévu à brève échéance : Alzheimer, asthme, diabète, arthroses, arthrites, cécité, etc..

Enfin, la non-nécessité d’être en phase terminale d’une maladie, donne la possibilité d’anticiper une souffrance future, qui n’est donc pas une réalité, mais qui génère une peur toujours plus grande de la mort.

Ces complaisances de la loi ne dissimulent-elles pas une réalité d’abandon des plus fragiles ? Cet état des lieux n’est-il pas symptomatique d’une société en proie à la solitude, à la peur d’être mal accompagné, et à une carence de confiance envers les soignants ?

L’ouverture désormais de l’euthanasie aux mineurs n’est que la résultante d’une banalisation progressive de l’euthanasie dans les mentalités et révèle de plus en plus la fracture entre les militants et les médecins de terrain. Cent-soixante pédiatres ont adressé une lettre ouverte aux députés disant qu’il n’y avait ni urgence, ni utilité à l’extension aux mineurs. Les pédiatres argumentaient, exprimant leur avis en tant que spécialistes de terrain. Ils n’ont pourtant pas été intégrés au débat. Celui-ci a bien eu lieu, mais, semble-t-il, entre militants uniquement.

La question de l’accompagnement de la fin de vie apparaît dès lors, comme relevant d’un choix de société significatif des valeurs qu’elle porte : quelle place donnons-nous aux malades ? Quelle image avons-nous d’eux ? Qu’est-ce qu’accompagner humainement une personne ? Ces questions sont d’autant plus primordiales que les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation.

Il paraît aujourd’hui urgent pour les soignants, de se réapproprier une vision du bien-commun, ne serait-ce que pour assurer à la personne malade une sollicitude et une dignité jusqu’au terme de leur existence.



[1]Lossignol D., Damas, F., « Sédations continue : considérations pratiques et éthiques »,  Rev. Med Brux.,  2013, p.27.

[2]Rapport aux chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, tous les deux ans depuis 2004.

[3]Dardenne L., La Libre.be, « Euthanasie: unis, à la vie. Et à la mort. », 14 janvier 2013.

[4]Ibid.

[5]Dardenne L., La Libre.be, « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales », 14.01.2013.

[6]Herremans J., « Christian de Duve, merci ! » in Bulletin de l’ADMD, n° 128, juin 2013, p.8.

[7]de Decker C., Colart L., « Décès de Christian de Duve : Une personnalité scientifique exceptionnelle», Le Soir, 6 mai 2013.

[8]Propos recueillis par Delvaux B., « Si on continue comme cela, ce sera l’apocalypse, la fin », Le Soir, 10 avril 2013.

[9]Rebillat C., « Un transsexuel euthanasié après avoir changé de sexe », Paris Match, 02 octobre 2013.

[10]Le Monde.fr, « Après un changement de sexe raté, un Belge obtient le droit à l’euthanasie », Le Monde, 02 octobre 2013.

[11]D’après « La Libre » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[12]D’après « De Morgen » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[13]Ibid.

[14]Ibid.

[15]Ibid.

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Fin de vie : des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais http://plusdignelavie.com/?p=2693 http://plusdignelavie.com/?p=2693#comments Sat, 18 Jan 2014 13:34:39 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2693 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud Conférence de citoyens sur la fin de vie : une attente déçue

Depuis le 16 décembre, le texte tant attendu de la conférence de (18) citoyens sur la fin de vie devrait nous permettre désormais de mieux cerner certains aspects inédits de ces questions complexes : . . . → Read More: Fin de vie : des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud
Conférence de citoyens sur la fin de vie : une attente déçue

Depuis le 16 décembre, le texte tant attendu de la conférence de (18) citoyens sur la fin de vie devrait nous permettre désormais de mieux cerner certains aspects inédits de ces questions complexes : certaines compétences estimaient justifiée semblable consultation… A sa lecture, je n’en suis que peu convaincu. Le Comité consultatif national d’éthique dispose ainsi d’un document de plus au statut incertain : il lui semblait toutefois essentiel à la rédaction de son prochain avis annoncé vers janvier. En fait après le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France lui remis à François Hollande le 18 décembre 2012 : « Penser solidairement la fin de vie » et l’avis n° 121 du CCNE « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » du 1er juillet 2013, fallait-il attendre cette ultime contribution pour clore la concertation dite nationale ? Une consultation certes a minima, puisque le Président du CCNE nous avait promis « un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire ». Prochain acte ou péripétie de ce long périple engagé en juillet 2012, si, pour des raisons qui ne paraissent pas s’imposer aujourd’hui, il apparaissait préférable d’envisager de nouvelles prolongations.

À dire vrai dire, à la lecture des conclusions de la conférence des citoyens la déception est grande. Les 18 jurés reprennent, certes avec leurs termes et quelques nuances, les lignes essentielles des réflexions menées par la mission Sicard, le CCNE, et en 2005 comme en 2008 par les missions parlementaires : généralités humanistes obligées sur les approches de la fin de vie dans un contexte médicalisé discutable ; urgence de rendre universel le recours aux soins palliatifs ; respect des droits de la personne dans son autonomie et son droit de bénéficier des soulagements qui apaisent ses souffrances, y compris en abrégeant son temps de vie ; exigence d’aboutir à un compromis certes délicat, susceptible d’éviter toute « dérive », mais en estimant que le statu quo ne peut pas perdurer.
Liberté, dignité, respect, consentement, solidarité, encadrement législatif, collégialité, information : aucun concept ou mot clé n’est oublié dans ce nouvel énoncé succinct de bonnes intentions dont il apparaît néanmoins difficile de saisir la portée et la contribution effective d’un point de vue pratique. Mais peut-être cette initiative ne relevait-t-elle que d’une recherche de légitimation de la part d’un CCNE qui, inquiet pour une fois, se serait senti démuni d’autorité vraie dans un domaine qui semble diviser ses membres et susciter encore trop de controverses passionnées. Il sera donc intéressant de voir quels arbitrages qui seront enfin proposés au Président de la République par le CCNE, après ce détour qui interroge ou du moins laisse insatisfait, ne serait-ce que s’agissant de sa pertinence et de sa fonction. Du reste, à propos même de la méthodologie retenue pour constituer ce jury, l’IFOP reconnaît « que compte tenu de la taille du panel celui-ci ne prétend pas à la représentativité de la population française et il est impropre de parler d’échantillon représentatif ainsi qu’on le mentionne traditionnellement pour un sondage » ! Seule mention positive à l’égard de cette initiative discutable dans ses justifications approximatives et sa forme, le pluralisme dans la sollicitation des différents intervenants qui avaient, chacun dans un temps limité, mission de présenter des points de vue et des analyses aux 18 citoyens. La maturité et la légitimé des positions et des argumentations développées depuis des années à l’épreuve de circonstances humaines souvent douloureuses, devraient enfin permettre de faire bouger les lignes sans nous soumettre à de nouveaux conciliabules dont le sens échappe. Il y a me semble-t-il urgence à se déterminer enfin et à énoncer les principes qui s’imposeront si des évolutions s’avéraient nécessaires et opportunes au regard des droits des malades en fin de vie. Les politiques doivent désormais assumer leurs responsabilités à la suite de ces consultations dont j’estime qu’elles étaient nécessaires et apportent les éclairages attendus.

 

Un encadrement possible pour l’exception d’euthanasie ?

Quelques brèves observations, néanmoins, à propos des propositions issues de la conférence de citoyens sur la fin de vie. J’observe que depuis le lancement de la consultation nationale sur la fin de vie le 17 juillet 2012, le Chef de l’État n’a jamais prononcé le mot euthanasie : il évoque avec justesse l’assistance médicalisée en fin de vie et nous incite donc à davantage de profondeur et de prudence dans les approches. Ce panel réunissant des citoyens, lui, aborde explicitement la question de l’euthanasie, même s’il la préconise à titre d’« exception » sans bien expliquer, au-delà de la pétition de principe, comment il conçoit son encadrement. Il conviendra toutefois de savoir comment on appréciera l’exception (de ce point de vue, en janvier 2000 l’avis n° 63 du CCNE « Arrêt de vie, fin de vie, euthanasie » abordait avec plus d’intelligence et de subtilité cette éventualité). La position des citoyens stupéfait lorsqu’ils renoncent, au mépris des principes les plus évidents, à considérer le consentement comme une condition intangible : « elle (l’euthanasie) est envisageable dans des cas particuliers, ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté lorsqu’il n’existe aucune autre solution (pas de consentement direct du patient) ». Avec une naïveté qui inquiète et nous laisse entrevoir ce que serait à cet égard la position de personnes vulnérables, les citoyens envisagent que « ces cas strictement encadrés seront laissés à l’appréciation collégiale d’une commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place ». Encadrer une telle exception justifierait nombre d’approfondissements qui pour le présent font défaut. Cela ne semble pas poser problème aux 18 citoyens.
A observer, 11 ans plus tard, la situation en Belgique (pays qui a dépénalisé l’euthanasie), les critères dits de minuties ne sont plus réellement tenus ou ont évolué pour favoriser une permissivité ou mieux une acceptabilité qui interroge la notion même d’encadrement. Initialement l’euthanasie concernait des personnes au terme de leur existence, celles qui ressentaient des douleurs insurmontables ou rétives à toute forme d’apaisement. Aujourd’hui, les limites ont été repoussées, légitimant par exemple l’euthanasie d’un transsexuel qui ne parvenait pas à surmonter les conséquences d’une intervention chirurgicale, d’un grand mélancolique ou celle de jumeaux de 45 ans atteints de surdité, le 14 décembre 2012. Il y a quelques jours le Sénat belge a voté une extension de la loi concernant les enfants mineurs. Désormais est également à l’ordre du jour l’euthanasie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. En Belgique la déclaration des actes d’euthanasie se fait a posteriori, les notifications ne sont pas exhaustives. Cela pour dire à quel point l’encadrement apparaît difficile, quelques soient les intentions. Quel sera le statut de la commission dévolue, en France, à l’autorisation d’euthanasie d’une personne de surcroit incapable d’exprimer un consentement ?

Le panel citoyen aborde dans ses résolutions le suicide médicalement assisté. Telle qu’elle est pratiquée, par exemple, dans l’état de l’Oregon (États-Unis), cette procédure vise à respecter l’autonomie de la personne. Le médecin a pour responsabilité de déterminer et confirmer officiellement la justification médicale de ce possible recours, en phase terminale d’une maladie. Il prescrit mais n’administre pas le produit létal. La personne, du reste, peut décider de ne pas se suicider. Certains observateurs considèrent qu’en quelque sorte le médecin légitime malgré tout le suicide ; d’autres qu’il ne va pas jusqu’au bout et laisse la personne à sa solitude. Il est évident qu’une personne bénéficiant d’un accompagnement de la port d’un environnement favorable n’appréhende pas ces questions de la même manière que celle qui se trouve confrontée sans soutiens au dilemme de décider. La mise en œuvre de cette forme de suicide suscite nombre de problèmes pratiques. Notamment pour les médecins qui ont pour vocation de réanimer des personnes qui tentent de se suicider, et au moment même où notre société se mobilise contre le suicide des personnes âgées. Les 18 citoyens observent toutefois avec sagesse ou candeur : « nous insistons sur la nécessaire vigilance à apporter dans les cas où le suicide médicalement assisté concernerait des personnes n’étant pas en capacité dé réaliser le geste par elles-mêmes afin de prévenir toute dérive. » Là également entre des positions incantatoires et la justesse de leur applicabilité la distance est grande.

 

Des repères forts légitimés par l’autorité publique

L’autorisation de la sédation en phase terminale est également abordée par les citoyens. Tout faire pour atténuer les souffrances de la personne s’impose en fin de vie. C’est ce que la loi préconise depuis 2005. La question est celle d’une extension de l’indication de la sédation qui aurait pour objectif explicite (et non indirect) d’abréger la vie. On évoque même à ce propos la notion de sédation euthanasique, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations. A cet égard nos 18 sages se contentent de reprendre une considération d’évidence depuis la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : « en phase terminale, l’objectif de soulagement de la douleur et de la souffrance du patient doit primer sur le risque de décès pouvant survenir à l’issue d’une sédation profonde. » Nous n’avions pas besoin de cette affirmation pour comprendre que l’approche de la sédation ne saurait constituer, en tant que telle, une variation d’ajustement, au gré des interprétations, de la pratique d’euthanasie. Dans ce domaine également, depuis la loi du 22 avril 2005 les pratiques ont su évoluer, tenant compte, dans un contexte donné et en tenant compte du choix de la personne et de son intérêt direct, d’enjeux qui ne sauraient se satisfaire de considération générales, aussi compassionnelles soient-elles.

Personnellement je pense que des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais ; elles sont d’autant plus justifiées que l’impatience est attisée par la multiplication d’analyses et de propositions (accompagnées de tant de commentaires) qui attendent la conclusion politique annoncée. Les conclusions de la conférence des 18 citoyens me renforcent dans ma conviction : des questions à la fois graves et complexes justifient à un moment donné l’énoncé de repères forts légitimés par l’autorité publique. François Hollande a su initier une consultation justifiée qui ne doit pas se perdre dans les dédales de disputations sans fin ou de saisines approximative. Tout cela ne contribuerait qu’à prolonger inutilement des discussions que je considère suffisamment abouties.
Chacun à compris que notre approche politique de nos responsabilités humaines et sociales auprès d’une personne en fin de vie engage les valeurs du vivre ensemble, celles de la solidarité.

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Pétition adressée à François Hollande, Président de la République http://plusdignelavie.com/?p=2613 http://plusdignelavie.com/?p=2613#comments Thu, 31 Oct 2013 18:21:27 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2613 Appel national : pour la création d’un mémorial en hommage aux enfants, femmes et hommes fragilisés par la maladie et le handicap, qui furent exterminés par le régime nazi ou condamnés à mourir par celui de Vichy

Peut-on collectivement oublier le destin tragique des enfants, des femmes et des hommes, fragilisés par la . . . → Read More: Pétition adressée à François Hollande, Président de la République]]> meCaRAhloWrNvcC-556x313-noPad
Appel national : pour la création d’un mémorial en hommage aux enfants, femmes et hommes fragilisés par la maladie et le handicap, qui furent exterminés par le régime nazi ou condamnés à mourir par celui de Vichy

Peut-on collectivement oublier le destin tragique des enfants, des femmes et des hommes, fragilisés par la maladie et le handicap qui furent exterminés par le régime nazi ou condamnés à mourir par celui de Vichy ?

Lire sur le texte complet sur change.org

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« L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas ! http://plusdignelavie.com/?p=2609 http://plusdignelavie.com/?p=2609#comments Wed, 30 Oct 2013 12:23:15 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2609 Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ». Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de . . . → Read More: « L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas !]]> Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ».
Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de Prader-Willi, une affection génétique qui la rend dépendante et justifie un accompagnement constant. Après avoir été condamné par la justice à trouver une structure adaptée à cette jeune femme lourdement handicapée, l’État a tenté de faire appel de la décision afin d’éviter une jurisprudence qui l’obligerait à trouver une solution adaptée à de nombreuses familles en attente de propositions pour leurs enfants. Devant le tollé général, la ministre déléguée auprès des personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion vient d’abandonner ce recours. L’UNAPEI avait vivement réagi à l’annonce de la saisine du Conseil d’État en affirmant que « le ministère cherche à institutionnaliser une mort sociale pour les personnes handicapées et leurs familles ».
Après un rétropédalage pitoyable et des explications consternantes de Marie-Arlette Carlotti, avec notamment cette savoureuse proposition destinée aux familles d’appeler le 3977 (numéro vert contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées) pour « dire leur désarroi » si les nouveaux « comités Théodule » ne trouvent pas de solution adaptées, les personnes lourdement handicapées et vulnérables se retrouvent insultées et méprisées par l’absence d’une volonté politique forte et cohérente.
En parlant de « comité Théodule », on se rend compte qu’il est bien loin le temps où Charles de Gaulle affirmait « l’essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l’essentiel pour le général de Gaulle, le Président de la France, c’est ce qui est utile au peuple français… »

 

Nos enfants ne sont pas de dossiers

Nos enfants sont handicapés mais ils ne sont pas des sujets de laboratoire dont les dossiers passeraient de commission en commission, où leur histoire, leur faiblesse seraient exposées devant des inconnus même bien intentionnés qui décideraient qui est le plus vulnérable ou le plus apte à trouver une place dans un système qui gère la compassion et le déficit de structures.
C’est déjà bien trop souvent le cas : dossier à l’hôpital, dossier à la MDPH, dossier dans les institutions, dossier à la CPAM, la vie de nos enfants circule de services en services, souvent d’inconnus en inconnus. Où est la dignité de la personne lorsque sa biographie, son intimité se réduisent à une somme de dossiers sur lequel on statue, on décide ?
Nos enfants sont avant tout des êtres humains dont la dignité est consubstantielle, inaliénable et commune à celle des autres hommes. Elle ne se monnaie pas, elle ne se négocie pas.
Pourtant l’État, en ne respectant pas ses propres lois et en laissant des familles à l’abandon, amoindrit cette dignité. En créant une section d’alerte dans chaque Agence régionale de santé (ARS) pour les « cas difficiles » il ajoute une souffrance supplémentaire à ces familles qui demandent simplement un lieu où leur enfant puisse être heureux, accueilli avec humanité, des parents qui pourraient souffler un peu et ne pas être obligés de penser au pire, des parents qui pourraient redécouvrir leur enfant sans les jours d’angoisse et la culpabilité de ne plus pouvoir faire face. Non seulement nos enfants sont déjà catalogués lourdement handicapés, mais en plus s’ils ne rentrent pas dans les petites cases ou bien s’ils sont reconnus comme « ingérables » pour les établissements, ils deviennent de nouveaux sujets d’études d’une nouvelle section crée spécialement pour eux. Et ayant une confiance sans faille dans notre administration entomologiste, nous pouvons être certains que dans quelques années il se créera une sous-section de la section « cas difficiles » !
Où allons-nous ?

 

Défendre des principes d’humanité

Être parent d’un enfant handicapé, c’est faire des choix pour lui et pour soi durant toute sa vie, c’est dans la constellation du système médico-social être obligé de faire les bons choix : dois-je penser à l’orientation de mon enfant dès 10 ans sachant que sa structure d’accueil prend en charge les enfants jusqu’à 14 ans et que les autres structures trouvent qu’à 14 ans il est « trop vieux » ? Mais il a aussi établi des liens d’amitiés avec ses camarades : dois-je les rompre pour trouver un autre établissement ? Dois-je envisager de le diriger vers la Belgique et rompre ainsi les liens avec sa famille ?
Dans ce labyrinthe les associations gestionnaires renvoient parfois un peu facilement la balle en prétextant un manque de moyens ou des structures pas adaptées : on peut l’accueillir mais à condition qu’il ne développe pas de trop gros troubles du comportement, s’il n’est pas trop malade ni trop fragile. Attention il est trop autonome ! Attention il n’est pas assez autonome, parfois même il est pas assez handicapé ou trop handicapé…
Nous acceptons, parents, d’être responsable de nos enfants et de porter avec eux le handicap mais nous refusons le sur-handicap pesant induit par un système qui ne prend pas en compte l’humanité de nos enfants.

Les personnes lourdement handicapées et/ou vulnérables interrogent notre société et nous renvoient aux principes-mêmes de notre civilisation.
Ils opposent aux valeurs « modernes » (culte de la vitesse et de la toute-puissance) des principes fondateurs comme l’écoute, le respect du temps, la dignité de toute vie. Par leur vie fragile ils révèlent que toute vie mérite d’être vécue mais aussi que toute vie s’inscrit dans un large réseau de liens, dans une communauté qui tout en affirmant la singularité de chaque personne rattache tous les hommes à la Cité.
Au-delà de la question de places disponibles et de structures adaptée, la situation d’Amélie nous rappelle qu’avant toute autre considérations nous avons à assumer des devoirs envers les plus vulnérables et que la beauté du monde luit parfois dans des regards absents et des silences de vie.

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Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations http://plusdignelavie.com/?p=2592 http://plusdignelavie.com/?p=2592#comments Mon, 28 Oct 2013 01:51:19 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2592 Pierre-Yves Madignier Président du Mouvement ATD Quart Monde en France

Des personnes qui ont ou ont eu l’expérience de la grande pauvreté et militent pour détruire la misère (on les appelle dans notre mouvement des « militants Quart Monde ») ont mis en évidence une réalité très présente, mais jusqu’à présent largement occultée : . . . → Read More: Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations]]> Pierre-Yves Madignier Président du Mouvement ATD Quart Monde en France

Des personnes qui ont ou ont eu l’expérience de la grande pauvreté et militent pour détruire la misère (on les appelle dans notre mouvement des « militants Quart Monde ») ont mis en évidence une réalité très présente, mais jusqu’à présent largement occultée : lorsque, pour une raison ou pour une autre, l’on est repéré comme pauvre, on subit des comportements particuliers qui humilient.

À partir de là, toute une réflexion s’est engagée au sein d’ATD Quart Monde, réflexion dont ces militants ont été le moteur. C’est ainsi qu’un certain nombre de faits réunis dans un dossier remis à la HALDE1 en septembre 2010 ont pu être qualifiés de discriminations. C’est également ainsi que nous avons été conduits, l’été dernier, à réaliser les travaux de testings présentés dans ce livre blanc.

Aujourd’hui, cette réalité sociale de la discrimination pour pauvreté n’est pas ou pas encore reconnue. Nous considérons que ce silence de la société sur une telle réalité d’humiliation est en soi une violence faite à celles et ceux qui ont une vie précaire et que, comme toutes les réalités douloureuses mais refoulées, elle produit des ravages, en l’occurrence dans notre cohésion sociale et notre vivre ensemble.

La HALDE nous ayant dit qu’elle manquait d’outils juridiques afin de pouvoir reconnaître cette discrimination, nous avons repris le travail avec des juristes, des associations et des confédérations syndicales de salariés. La contribution de ces dernières revêt une importance particulière, car elles représentent des couches beaucoup plus larges que nos concitoyens qui vivent dans la grande pauvreté.

Ce travail commun a renforcé notre conviction qui soutient ce livre blanc de demander la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale. Il s’agit pour la République d’envoyer un signe clair à toutes les personnes qui vivent des humiliations en raison de leurs difficultés sociales : elles ne sont ni oubliées, ni invisibles.

La reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale n’est pas une tentative de judiciariser la société française. Les personnes concernées ne sont pas des acharnées des tribunaux. Ce n’est pas non plus un moyen de réguler le débat public et le débat des idées. Pour cela, il existe d’autres moyens, comme le livre récemment sorti pour dénoncer des stéréotypes et des représentations erronées.

 

Livre blanc discrimination et pauvreté

Ce n’est pas non plus un couteau suisse à cinq lames censé régler tous les problèmes. L’accessibilité et la mise en œuvre des droits pour tous, l’information du grand public, la formation et la co-formation des acteurs avec des personnes qui connaissent la grande pauvreté, le soutien au pouvoir d’agir dans les quartiers, sont également des axes incontournables afin de détruire la misère.

La finalité la plus haute de la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale est, dans le droit fil de la loi de 1998 contre les exclusions, de donner à chacun des repères civiques, de jouer son rôle dans l’éducation de tous à la vie en commun, de permettre à un enfant qui se fait traiter de « cas soc’ » dans une cour de récréation de savoir que de tels propos sont réprouvés.

Cette reconnaissance est une manière forte d’adresser un message de vraie considération et fraternité à toutes celles et tous ceux, nombreux dans notre pays, qui se sentent mis de côté en raison de précarités sociales.

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Comprendre « l’affaire Amélie ». Polyhandicap : éthique de la responsabilité, point de vue d’un père http://plusdignelavie.com/?p=2584 http://plusdignelavie.com/?p=2584#comments Mon, 28 Oct 2013 01:42:15 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2584 Cédric Gicquel

Alors que le Conseil d’État doit se prononcer, à la demande de l’État, sur le devenir d’Amélie (jeune femme atteinte d’autisme que ses parents sont contraints de maintenir au domicile faute de structure d’accueil), il convient de mieux saisir certains enjeux qui échappent trop souvent à l’attention de tous. Ce texte d’une . . . → Read More: Comprendre « l’affaire Amélie ». Polyhandicap : éthique de la responsabilité, point de vue d’un père]]> Cédric Gicquel

Alors que le Conseil d’État doit se prononcer, à la demande de l’État, sur le devenir d’Amélie (jeune femme atteinte d’autisme que ses parents sont contraints de maintenir au domicile faute de structure d’accueil), il convient de mieux saisir certains enjeux qui échappent trop souvent à l’attention de tous. Ce texte d’une telle intensité, enraciné au plus profond de la réflexion et porteur d’un sens exceptionnel de l’engagement, nous semble à ce point important que nous vous en présentons sa version intégrale. Il nous semble de nature à inspirer aux décideurs politiques et aux différents responsables institutionnels d’autres critères de jugement afin de vivre humainement le sens d’une responsabilité politique vraie.

« Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur. »
Léonard Cohen, Suzanne

C’est donc un papa, un jeune papa, qui va parler de la responsabilité à travers le prisme de son expérience.
Quelques éléments biographiques afin de mieux comprendre l’origine de cette parole.
Worou-Guillaume est né au Bénin, en pleine brousse, il y a cinq ans maintenant.
Grossesse normale, pas de soucis particuliers, accouchement sans problème.
Beau bébé, parents heureux !

Retour en France, à l’âge de 6 mois…nous constatons des retards dans la motricité, des « angoisses nocturnes », des mouvements stéréotypés mais on nous dit que cela n’est rien, juste un peu de retard. Au fur et à mesure, les déficits de motricité prennent de l’importance, des regards évasifs, un manque de tonicité, nous inquiètent. Une kyrielle d’examens à Necker, une attente d’un diagnostic précis, un parcours du combattant pour trouver une prise en charge adapté avec ce leitmotiv de la part de certains médecins « arrêter de vous inquiéter, tout va bien ». Arrive, une IRM a deux ans, plus énigmatiques que les autres, mais toujours pas de diagnostic étiologique.

Il n’y a pas eu d’annonce du handicap, il n’y a pas eu ce moment, cette date précise que de nombreux parents ont en mémoire où l’on vous annonce que votre fils est handicapé. C’est une annonce implicite, qui se déroule sur des mois et des mois. Des allusions parfois à l’autisme mais rien de plus. C’est grâce à une psychomotricienne du CMPP, qui avait fait un stage au CESAP, que nous avons pu à la fois trouver une structure adaptée mais aussi un nom sur le mal de Guillaume.

Polyhandicap

Les médecins ne nous avaient jamais parlé de polyhandicap et nous découvrons, au jour le jour, la signification de ce nom : polyhandicap.
Dans notre « malheur », nous découvrons que notre fils possède quelques acquis que d’autres non pas : il peut se déplacer à quatre pattes, il n’a jamais fait de crises d’épilepsie, il n’a pas de corset, il est en « bonne santé », pas de va et vient à l’hôpital, même pas de fausses routes pour les repas !
Ai-je eu de la culpabilité en regardant mon petit bonhomme qui ne marche pas, ne mange pas tout seul, fait de grands sourires, crie souvent, regarde le monde avec étonnement, a des crises d’angoisses, a des pleurs ou des rires incontrôlés, a des stéréotypies ?

Pas forcément, je ne me sens pas coupable, peut-être parce qu’il n’est pas sorti directement de mes entrailles, par contre, souvent, je me sens coupable de mon incapacité à m’occuper de lui, à prendre le temps, à vivre à son allure « Avec eux, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange », J.L Fournier, On va où Papa ?

Alors qu’est-ce qu’être responsable de son enfant ? Quelle est donc cette éthique de la responsabilité que doit cultiver le parent de tout en enfant mais avec plus de force quand le petit d’homme est handicapé et qu’il est polyhandicapé.

Une éthique du quotidien

L’objet de la responsabilité c’est le vulnérable en tant que tel selon Paul Ricœur , en ce sens l’enfant polyhandicapé est bien ce vulnérable car il ne possède pas cette autonomie minimale ; non seulement il ne la possède pas en acte mais il ne la possède pas non plus en puissance.

En ce sens, le sujet polyhandicapé est vulnérable à vie. Cette vulnérabilité s’exprime dans le quotidien.

Manger, se vêtir, se laver, être propre sont pour nous un combat au jour le jour.
Guillaume mange facilement, pas de fausse route si tout est bien mixé ou assez écrasé, il sait exprimer sa faim en se mettant devant le frigidaire et en grognant mais il ne peut ni boire ni manger seul ; il faut aussi se mettre à son horaire car il ne peut pas gérer sa sensation de faim et se met à pleurer en cas de retard.
Il en est de même pour le reste de la vie quotidienne, il faut s’adapter au rythme à la fois temporel mais aussi « acquisitionnel » de Guillaume. Bien qu’il fasse des efforts pour nous aider, nous sommes obligés de coller à ses capacités et non aux nôtres.

Mais le quotidien nous interroge aussi fondamentalement. La question éthique se pose aussi de façon très concrète, dans le quotidien.

Guillaume depuis deux ans met sa main dans la bouche, se faisant baver et mouillant ses affaires ;cette stéréotypie lui est préjudiciable sur le plan physiologique(risque de déformation du palais mais blessures aux doigts) sur le plan social(refus de la part des autres de rentrer en relation avec lui car il a la main pleine de bave) mais aussi sur le plan psychologique(il se coupe volontairement de la relation à autrui pour s’enfermer dans la succion de lui-même et concentre toute son attention sur ce geste répétitif).

Nous lui avons donc, après concertation avec l’équipe du CESAP, mis des attelles au niveau du coude qui l’empêche de mettre sa main dans la bouche. Or, ce système est une contrainte tout autant physique que psychologique et provoque de temps en temps des plaies sur les bras. Depuis plus d’un an et demi, il porte ce système d’attelles en journée mais aussitôt enlevées, il remet ses mains dans la bouche. Quelle répercussion psychologique sur Guillaume avec cette contrainte quotidienne ? Une contrainte donc pour le « bien » de Guillaume mais qui nous questionne.

Autre contrainte, le brossage des dents. Guillaume refuse catégoriquement toute intrusion dans sa bouche, s’il accepte les aliments dans sa cuillère, il est impossible d’introduire quoique ce soit d’autre. Tous les soirs, quand nous ne sommes pas fatigués car parfois nous capitulons devant cette épreuve et pour lui et pour nous, il faut attraper Guillaume, le ceinturer et lui laver les dents : pleurs, cris et énervements. Mais nous savons que si nous ne lui brossons pas les dents tous les jours, il risque des caries, des problèmes de gencives ,donc pour éviter une souffrance potentielle nous sommes obligés de lui faire violence.
Une contrainte donc pour le « bien » de Guillaume.

Couper les ongles. Guillaume entre facilement en contact avec autrui avec ses mains, il attrape les cheveux, les visages, il faut donc lui couper les ongles assez régulièrement afin qu’il ne blesse pas dans sa prise de contact mais aussi qu’il ne se blesse pas lui-même (régulièrement, il se griffe le bas ventre).
De nouveau, nous sommes obligés de lui faire violence car il refuse de nous donner sa main, se met à gesticuler dans tous les sens : pleurs, cris et énervements.

Ce sont ce que j’appelle des violences paradoxales car elles sont produites avec une intention bénéfique pour Guillaume et pourtant elles sont éprouvantes et pour lui et pour nous. Le comprend-il ? Cette question me travaille toujours. Comprend-il que nous le faisons pour son bien, parce que nous l’aimons et que nous ne voulons pas qu’il souffre plus tard ?
C’est une épreuve particulièrement culpabilisante car elle nous renvoie à notre propre violence, à nos limites.

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