Plus digne la vie » infirmière http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive http://plusdignelavie.com/?p=2783 http://plusdignelavie.com/?p=2783#comments Thu, 12 Jun 2014 06:22:56 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2783 Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un . . . → Read More: DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive]]> Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un devoir de publier, comme il l’a fait par le passé, tout autre document présentant selon des points de vue différents les pratiques dans les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie.

Lors de sa conférence de presse le 14 janvier 2014 François Hollande a énuméré les termes de la loi belge sur l’euthanasie sans jamais évoqué le mot. En Belgique, on se targue d’une loi sans dérives, contrôlée de manière absolue par une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. À ce jour, selon cette Commission, absolument toutes les euthanasies recensées ont été effectuées selon les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002.

Infirmière à Bruxelles, j’ai d’abord travaillé dans un service d’oncologie puis dans une unité de soins de support. De la sorte, j’ai rapidement été confrontée aux demandes et à la pratique d’euthanasies. Depuis six ans, j’ai observé combien cette loi ébranle considérablement les liens de solidarité que nous avons envers les malades. Plus que la mise en lumière de procédures bancales, nous assistons aujourd’hui à un changement radical des mentalités concernant la mort et l’accompagnement des mourants.

I. Euthanasies légales, éthiquement bancales

Depuis mon arrivée en Belgique en 2008, j’ai été le témoin direct de nombreuses euthanasies. Toutes ont été reconnues légales et inscrites de manière officielle dans les dossiers médicaux des patients. Dès ma prise de fonction et malgré des connaissances au départ limitées, j’ai détecté de graves défaillances d’ordre éthiques et déontologiques. À travers mon expérience personnelle dans des services de soins pratiquant l’euthanasie en Belgique, je souhaite montrer qu’il est possible, dans une chambre d’hôpital comme sur un plateau de télévision, de manipuler les opinions et les consciences, pour métamorphoser l’euthanasie en une idéologie du « mourir dignement ».

  • Monsieur R. n’a jamais demandé l’euthanasie : il a été libéré par « compassion »

C’est la parole d’un oncologue juste après l’euthanasie de Monsieur R. Quelques jours plus tôt, le médecin vient annoncer à l’épouse du malade que son mari est en phase terminale d’un cancer pulmonaire. Le médecin ajoute que le patient « souffrira énormément, bien qu’actuellement il ne présente aucun signe de douleur ni de tristesse ». L’épouse demande au spécialiste de ne dire mot à son mari « pour ne pas qu’il souffre davantage » et sollicite par la même occasion qu’on l’euthanasie pour lui épargner « l’horreur de la fin de vie ». Monsieur R. mourra par euthanasie sans jamais avoir eu connaissance de l’existence de sa maladie et sans avoir décidé ou même évoqué une seule fois le souhait d’avoir recours à l’euthanasie.

Suite à cette euthanasie, je demande des explications à mes supérieurs au cours de la réunion interdisciplinaire. En chœur, le psychologue, le chef d’unité, le chef infirmier et les oncologues, m’expliquent combien cette mort a été « douce, paisible et sans douleur », « une fin de vie digne » en somme. Sur un ton infantilisant, ils me rappellent qu’« en tant que soignant, il faut être compatissant », que « le pronostic vital  de Monsieur R. était compromis à brève échéance » et  qu’« il aurait certainement souffert de manière atroce ». L’aplomb du discours, la logique, en apparence, implacable du raisonnement, réduisent au silence les soignants. –>Lire le texte en entier

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DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive http://plusdignelavie.com/?p=2773 http://plusdignelavie.com/?p=2773#comments Mon, 05 May 2014 06:57:59 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2773 Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un . . . → Read More: DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive]]> Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un devoir de publier, comme il l’a fait par le passé, tout autre document présentant selon des points de vue différents les pratiques dans les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie.

Lors de sa conférence de presse le 14 janvier 2014 François Hollande a énuméré les termes de la loi belge sur l’euthanasie sans jamais évoqué le mot. En Belgique, on se targue d’une loi sans dérives, contrôlée de manière absolue par une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. À ce jour, selon cette Commission, absolument toutes les euthanasies recensées ont été effectuées selon les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002.

Infirmière à Bruxelles, j’ai d’abord travaillé dans un service d’oncologie puis dans une unité de soins de support. De la sorte, j’ai rapidement été confrontée aux demandes et à la pratique d’euthanasies. Depuis six ans, j’ai observé combien cette loi ébranle considérablement les liens de solidarité que nous avons envers les malades. Plus que la mise en lumière de procédures bancales, nous assistons aujourd’hui à un changement radical des mentalités concernant la mort et l’accompagnement des mourants.

 

I. Euthanasies légales, éthiquement bancales

Depuis mon arrivée en Belgique en 2008, j’ai été le témoin direct de nombreuses euthanasies. Toutes ont été reconnues légales et inscrites de manière officielle dans les dossiers médicaux des patients. Dès ma prise de fonction et malgré des connaissances au départ limitées, j’ai détecté de graves défaillances d’ordre éthiques et déontologiques. À travers mon expérience personnelle dans des services de soins pratiquant l’euthanasie en Belgique, je souhaite montrer qu’il est possible, dans une chambre d’hôpital comme sur un plateau de télévision, de manipuler les opinions et les consciences, pour métamorphoser l’euthanasie en une idéologie du « mourir dignement ».

  • Monsieur R. n’a jamais demandé l’euthanasie : il a été libéré par « compassion »

C’est la parole d’un oncologue juste après l’euthanasie de Monsieur R. Quelques jours plus tôt, le médecin vient annoncer à l’épouse du malade que son mari est en phase terminale d’un cancer pulmonaire. Le médecin ajoute que le patient « souffrira énormément, bien qu’actuellement il ne présente aucun signe de douleur ni de tristesse ». L’épouse demande au spécialiste de ne dire mot à son mari « pour ne pas qu’il souffre davantage » et sollicite par la même occasion qu’on l’euthanasie pour lui épargner « l’horreur de la fin de vie ». Monsieur R. mourra par euthanasie sans jamais avoir eu connaissance de l’existence de sa maladie et sans avoir décidé ou même évoqué une seule fois le souhait d’avoir recours à l’euthanasie.

Suite à cette euthanasie, je demande des explications à mes supérieurs au cours de la réunion interdisciplinaire. En chœur, le psychologue, le chef d’unité, le chef infirmier et les oncologues, m’expliquent combien cette mort a été « douce, paisible et sans douleur », « une fin de vie digne » en somme. Sur un ton infantilisant, ils me rappellent qu’« en tant que soignant, il faut être compatissant », que « le pronostic vital  de Monsieur R. était compromis à brève échéance » et  qu’« il aurait certainement souffert de manière atroce ». L’aplomb du discours, la logique, en apparence, implacable du raisonnement, réduisent au silence les soignants.

  • Monsieur L. a « bénéficié » d’une euthanasie dans l’urgence, pour pallier des douleurs aiguës non suffisamment soulagées

Monsieur L. souffre d’un ostéosarcome du fémur droit. Hospitalisé, il a évoqué l’euthanasie au cas où son état se dégraderait. Un jour, alors qu’il est pris d’une crise de douleur foudroyante, sa femme, désespérée, appelle au secours le personnel médical : selon elle, il faut impérativement répondre à la demande d’euthanasie de son mari. Les infirmiers, paniqués, appellent d’urgence l’oncologue. Ils proposent d’augmenter les doses de morphine et de mettre en place un protocole de sédation provisoire, afin d’apaiser les symptômes et l’état de détresse. Mais l’oncologue refuse. Au milieu de l’angoisse et de l’agitation, le médecin ordonne aux soignants une préparation létale qu’il administre aussitôt à monsieur L. Un an après, l’épouse revenait dans le service et accusait les soignants d’avoir « assassiné son mari ».

L’oncologue est réticent à employer des traitements morphiniques. Aujourd’hui encore, malgré l’usage fréquent et bien maîtrisé de la morphine, certains médecins en ont encore peur. De nombreux patients subissant des souffrances terribles ne sont pas suffisamment soulagés. Dans ce contexte, nous pouvons aisément imaginer combien le désespoir peut être à l’origine d’une demande d’euthanasie. D’autre part, le contexte d’urgence dans lequel a été pratiqué cette euthanasie a conduit à une mort brutale, inhumaine et profondément choquante, aussi bien pour l’épouse que pour les soignants. Pourtant, rappelons-le, le patient entre dans les critères de la loi : demande réitérée/souffrance insupportable/maladie incurable, etc.

  • Madame G., « délivrée » d’une agonie trop longue

Une sédation palliative a été administrée  à Madame G. : elle est dans le coma depuis cinq jours. Sa famille, angoissée, guette le moindre signe de fin de vie. L’équipe soignante, continuellement sollicitée, est éprouvée par l’agitation incessante. C’est alors que le médecin, manifestement lassé par l’agonie, décide d’« abréger les jours » de Madame G., pour la « délivrer de la déchéance ». Personne ne dénonce ce geste, qui, dans l’imaginaire de la famille et des soignants, témoigne de l’altruisme et de l’humanité du médecin. Un geste pourtant brutal qui règle de manière radicale le « problème de l’agonie ».

 

En Belgique, les mentalités ont changé

Après onze ans de pratique légale d’euthanasie en Belgique, les mentalités autour de l’image de la mort changent profondément. De plus en plus, contrairement à l’euthanasie, la sédation palliative en fin de vie est considérée comme une mort sans aucun sens, dénuée d’humanité et décourageante. Certains médecins la considèrent même comme hypocrite si on l’assimile à une mort naturelle : « Assimiler sédation et mort naturelle est en fait une construction qui permet d’évacuer un sentiment de culpabilité et de considérer l’acte comme moralement bon, supérieur aux autres interventions médicales possibles. »[1]

Il est certes difficile pour les proches d’accompagner une personne en fin de vie. Cependant, j’ai remarqué au fil de mes différentes expériences (en unité de soins palliatifs en France puis en oncologie et unité de soins de supports en Belgique), combien les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation. La difficulté pour une famille de vivre l’agonie de proche, est en grande partie liée à la perception que l’environnement (soignants, institution, société) a de l’agonie.

Lorsqu’une équipe soignante est au clair sur un projet commun d’accompagnement des personnes en vie, mais également sur sa représentation de la mort et sur l’intention qu’elle met derrière la sédation palliative (elle n’est pas « faire mourir la personne » mais « soulager les souffrances »), l’accompagnement de la famille est beaucoup plus serein. Au contraire, lorsqu’il existe la possibilité d’euthanasie, peut s’ancrer dans les esprits l’idée d’une mort plus « rapide, indolore, propre, nette ». Le temps de l’agonie ne possède alors plus de valeur, plus d’existence, c’est un morceau de vie qui est considérée comme superflu. Cette confusion tient au fait que la loi belge, contrairement à la loi Léonetti,  n’encadre pas la pratique de la sédation, ne la définit pas et ne l’intègre pas dans la pratique des soins.

 

II. Omerta et marginalisation des soignants

C’est à partir de ces situations vécues que je me suis rendue compte que les soignants étaient délibérément maintenus dans l’ignorance ou contraints au silence.

 

La méconnaissance de la loi sur l’euthanasie et la fin de vie

Dans un des services où j’ai travaillé, certains patients sont accueillis le matin dans une chambre et en sortent deux heures après en direction de la morgue, après l’euthanasie programmée par l’oncologue. Les infirmiers ne sont pas mis au courant. On peut aisément se figurer le choc émotionnel que ce manque délibéré d’information et de communication, peut provoquer. Même s’ils sont ébranlés, les soignants ne se révoltent pas car ils connaissent peu ou mal la loi. Aucune formation ne leur est proposée.

 

La peur des représailles

Dans ce même service, la direction (médecins, directrice des soins, cadres de santé) place les soignants dans la peur des représailles. Beaucoup d’entre eux expriment régulièrement la peur de perdre leur emploi s’ils venaient à remettre en question le système. Cette peur est fondée : certains soignants désireux de quitter le service ont été menacés d’exclusion de l’ensemble du réseau dont la structure hospitalière fait partie, la direction pouvant exercer des pressions pour qu’ils ne retrouvent pas de travail.

 

La parole des infirmiers tue

Lors des réunions d’équipe pluridisciplinaire, créées à l’origine pour échanger nos points de vue sur la prise en charge des patients, la parole des infirmiers est complètement tue. Personne n’ose parler des euthanasies vécues difficilement ou des questionnements par rapport à certaines décisions médicales. Lorsqu’un infirmier remet en question une euthanasie, la conversation portant sur le fond et les faits est détournée. Les médecins et cadres de santé y répondent systématiquement par la même antienne : « l’acte était choisi, humain ».

 

Aucune voie de recours

N’ayant pas été entendue par mes responsables directs, je me suis rendue auprès de la direction pour dénoncer ces actes illégaux. La directrice des soins ne m’a pas écoutée. Elle m’a enjoint de me taire. Aussi, les recours en justice paraissent impossibles, il faut pour cela des preuves, des témoignages de familles qui souhaitent s’engager et dénoncer, et le courage des soignants d’affronter tout un système de santé qui protège les médecins.

Depuis onze ans, la Commission de contrôle et d’évaluation des euthanasies n’a jamais, pas une seule fois, transmis de dossier à la justice[2], ni retenue de pratique inquiétante parmi les dossiers pour lesquels il a été demandé des précisions. Cela montrait-il que la loi n’est pas si restrictive et que les conditions réunies peuvent être facilement manipulées ?

S’ajoutent à ce contexte, des demandes de plus en plus importantes d’euthanasie pour cause d’une souffrance morale insupportable lorsque la personne est lasse de vivre dans son état de vie, même lorsqu’elle ne souffre pas de maladie incurable ou de souffrance physique.

 

III. La souffrance morale : le nouvel éden de la « bonne mort »

 

À travers des exemples de mise en scène médiatique de morts jugées « exemplaires » ; puis à travers une euthanasie vécue récemment, je voudrai montrer comment l’euthanasie s’érige comme une idéologie. Onze ans après la dépénalisation de l’euthanasie, de plus en plus de demandes ont trait à la souffrance morale. Au niveau éthique, ces demandes posent de nombreuses questions, elles font souvent l’objet de discussions et de désaccords entre soignants, tant elles sont à la frontière du légal.

Les médias, eux, n’émettent aucune contradiction ou sollicitation à la prudence. Les euthanasies qu’ils exposent peuvent ainsi apparaître comme une étape logique d’extension naturelle de la loi.

 

1. Cas médiatiques qui façonnent le dogme de la « bonne mort »

 

Anticipation d’une souffrance future

Il s’agit de personnes qui ne souffrent pas dans le présent mais qui anticipent de probables souffrances liées, par exemple, à la perte d’autonomie.

« Marc et Eddy Verbessem, des jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) nés sourds. Tous deux cordonniers dans la région anversoise, les frères – inséparables –  ont toujours vécu sous le même toit. C’est l’annonce d’un diagnostic d’une maladie oculaire dégénérative, un glaucome avec perte progressive de la vision pouvant mener à la cécité, qui fut l’élément déclencheur de l’issue fatale, révélée ce week-end dans la presse néerlandophone. Car si pour ces deux hommes de 45 ans, nés avec ce handicap, le fait d’être privés de l’ouïe n’était pas un réel problème, l’idée de ne plus pouvoir se voir et de perdre toute autonomie leur est apparue littéralement insupportable. Une longue réflexion les a amenés à prendre peut-être la plus lourde des décisions : demander l’euthanasie. Voici un an, donc, que les deux frères ont entamé les démarches nécessaires. Le 14 décembre dernier, réunissant apparemment toutes les conditions légales requises, ils se sont rendus à l’UZ Brussel de Jette. »[3]

 

Nous pressentons le danger éthique sous-entendu : peut-on euthanasier des personnes qui ne relèvent pas des critères de la loi, au nom d’une souffrance potentielle future ? Dans cette situation particulière, la demande d’euthanasie est justifiée en fonction de critères légaux et non éthiques. Une journaliste a demandé à Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et membre de la Commission de Contrôle des euthanasies, si « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales »[4], soulevant-là qu’il s’agissait exclusivement d’une « souffrance psychique ». La présidente a répondu : « En effet, ils ne souffraient pas de réelles douleurs physiques. Cela dit, si l’on s’en réfère aux trois conditions essentielles de la loi, ils répondent aux critères. Cela faisait un an qu’ils étaient en demande. Pour ce type de cas, pour lequel le décès n’est pas prévisible à brève échéance, il faut à tout le moins deux médecins consultants, le second s’attachant plus particulièrement à la qualité de la demande. Il faut voir s’il s’agit bien d’une demande volontaire, réitérée et réfléchie et si l’on a aussi bien examiné toutes les pistes possibles avant d’en arriver à cette décision. La deuxième condition est la souffrance, qui peut être d’ordre physique ou psychique, ce qui était en l’occurrence le cas. La troisième condition est que la souffrance est causée par une affection grave et incurable, ce qui est le cas aussi. Actuellement du moins, même si à l’avenir, on peut espérer trouver des solutions. »[5]

Les conditions de la loi sont donc réunies. En revanche, remettre en question le regard de la société face à la détresse de ces malades, ou bien soulever le manque de créativité dans les relations humaines, ou enfin, envisager d’accompagner les jumeaux à s’adapter à leur handicap, de tout ceci il n’en est pas question.

 

La vieillesse comme souffrance

Christian de Duve, Prix Nobel de médecine en 1974, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013 à l’âge de 95 ans. En lui rendant hommage la présidente de l’ADMD ne parvient pas à démontrer que le professeur entrait dans les critères de la loi : « Doit-on encore se justifier lorsque l’on choisit l’euthanasie ? »[6] Pour quelle raison choisir la mort à 95 ans, dans un état physique et mental encore bon ? Le professeur se rendait tous les jours à la piscine et participait régulièrement à des émissions de télévision. Le premier signe de faiblesse (une chute) lui a fait comprendre la vulnérabilité naturelle due à la vieillesse.

Peu importe que Christian de Duve ne souffrait d’aucune maladie incurable, la vieillesse peut être considérée comme une souffrance. Le Premier ministre Elio di Rupo a lui-même salué « l’engagement de citoyen dont a fait preuve Christian de Duve tout au long de son existence »[7]. Cet hommage rendu nous révèle une idée centrale : l’euthanasie est un « geste citoyen », un modèle de société. L’exemple de sagesse du Prix Nobel a eu les honneurs de la presse : tous ont applaudi sa lucidité et sa force. Une journaliste du quotidien Le Soir nous raconte sa dernière entrevue avec le vieil homme : « Je suis beaucoup plus proche de la mort que ça, je dois organiser ma disparition », m’a-t-il dit. Il avait eu un malaise et il est resté par terre, sans pouvoir se relever. Il a reconnu que ça a été le signal. C’est un homme extrêmement digne, heureux et satisfait de sa vie […] mais de fait, affaibli. »[8]

Son euthanasie apparaît comme un choix évident, même, un acte de générosité, d’avoir décidé de mourir avant de coûter à la société. La valeur de la vie dépendrait donc de sa capacité à produire de bon et d’utile dans une société (mobilité, vitalité, prouesse), jusque dans la maîtrise de sa mort. Peut-on demander l’euthanasie en prévision d’un état de déclin dû à l’âge ? Quelle image relayée à travers les médias cela donne-t-il  à la personne âgée ?

 

La solitude

Les soignants commencent à être préoccupés par le nombre croissant d’euthanasies de personnes profondément seules. Il s’agit du cas médiatique de Nathan, la personne transsexuelle dont on pressent le désespoir de ne pas être entouré. Rejeté et maltraité par sa famille, sa mère aura ces mots avant de lire la lettre de Nathan écrite avant sa mort : « Sa mort ne me fait rien. Je ne ressens aucune douleur, aucun doute, aucun remords. »[9]

« Nathan est né Nancy dans une famille qui comptait trois garçons, et avait été rejeté par ses parents, qui souhaitaient un nouveau garçon, selon le quotidien, qui l’a interrogé la veille de sa mort. Rêvant depuis son adolescence de devenir un homme, il avait successivement, entre 2009 et juin 2012, subi un traitement et deux opérations : une cure d’hormones, une ablation des seins, et un changement de sexe. Des opérations dont il n’était pas satisfait : sa poitrine restait trop forte et le pénis qu’on lui avait placé était « raté ». « J’avais préparé des dragées pour fêter ma nouvelle naissance, mais la première fois que je me suis vu dans le miroir, j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps, avait raconté Nathan. J’ai eu des moments heureux, mais au final la balance penchait du mauvais côté », avait-il résumé, estimant être « resté quarante-quatre ans de trop sur cette terre ». »[10]

 

La maladie mentale, une dépression, ont-elles été diagnostiqué ? A-t-il déjà été suivi par un psychiatre, un psychologue ? Officiellement, il ne s’agit pas de dépression, ce critère n’entrant pas dans le cadre de la loi. Pour accepter la demande d’euthanasie, il a donc été conclu que Nathan est dans une détresse morale insupportable à cause d’un corps qu’il n’a jamais accepté.

 

Un modèle de « belle mort » : le couple

« Un couple âgé du Brabant flamand a demandé et obtenu une double euthanasie. C’est une première en Belgique. L’homme, âgé de 83 ans, souffrait d’un cancer en phase terminale. Son épouse, âgée de 78 ans, qui présentait des maladies liées à la vieillesse, incurables et douloureuses, n’imaginait pas la vie sans son mari. Le couple n’avait pas d’enfant et était relativement isolé. Ils sont morts à leur domicile mardi[11]. »

 

Le Dr Marc Englert (professeur honoraire ULB, rapporteur à la Commission euthanasie) avance les arguments du Dr Marc Cosyns (généraliste à Gand), en faveur de cette euthanasie :

Objectif : minimiser les risques de souffrance due à un suicide raté (l’euthanasie étant une mort douce…) : « Je considère très important que ces personnes aient montré qu’on peut mourir ainsi et qu’un survivant désespéré ne doit pas nécessairement se procurer une corde ou un revolver mais qu’une solution légale est possible lorsque, comme cette femme, on souffre de maux incurables qui peuvent être démontrés. »[12]

Répondre à la solitude des personnes âgées :  « On sait que le nombre de suicides de gens âgés de plus de 80 ans est particulièrement élevé. Il en est certainement parmi eux qui sont restés seuls et qui souhaitent mourir pour cette raison. Ce n’est pas incompréhensible. Il y a des gens qui ont vécu une union fusionnelle avec leur partenaire, comme l’a si bien exprimé Jacques Brel dans “La chanson des vieux amants”. […] Mais en même temps, nous devons faire savoir à ceux dont les souffrances ne peuvent vraiment pas être soulagées que l’euthanasie est possible … »[13]

Le militantisme du couple leur donne tous les droits : « Bien que le fait soit rare, il ne serait pas unique. Le Dr Cosyns déclare connaître cinq cas récents similaires, dont deux qu’il a pratiqués lui-même. Il considère néanmoins que l’histoire de ce couple est particulière parce que les patients ont fait savoir dans leur nécrologie qu’ils sont morts le même jour et qu’ils remerciaient le médecin qui les avait aidés. Il estime qu’ils ont brisé un tabou et déclare qu’il les admire pour l’avoir fait[14]. »

L’épouse donc, qui « n’imaginait pas la vie sans son mari »[15], a été euthanasiée au motif de maladies liées à la vieillesse comme l’arthrite rhumatoïde. Rappelons que selon la loi belge, il n’est pas nécessaire d’être en phase terminale pour obtenir le droit à l’euthanasie et que le motif de souffrance insupportable est suffisant. Est-ce que la dégradation de la qualité de vie et la baisse de l’autonomie dues à la vieillesse peuvent justifier la pratique de l’euthanasie ? Du fait du nombre d’affections incurables (diabète, arthrose, ostéoporose, surdité, Alzheimer, etc..), les restrictions de la loi sur l’euthanasie sont une fiction.

 

2. Cas pratique à l’hôpital

 

Pour ma part, je peux  exposer le cas concret d’une des dernières euthanasies à laquelle j’ai assisté. Cette histoire fait apparaître à la fois :

- le manque de solidarité de toute une société ;

- la pression exercée sur les soignants ;

- des médecins devenus plus militants que thérapeute.

Il s’agit d’une dame d’une soixantaine d’année dont les facultés cognitives et la capacité à se mouvoir se sont dégradées à cause des effets de la chimiothérapie. Elle est par ailleurs en rémission de son cancer. Elle dit avoir fait une demande anticipée d’euthanasie et renouvelle sa demande au vu de la dégradation de son autonomie et de ses pertes de mémoires importantes.

Face à cette demande d’euthanasie, la difficulté pour les soignants était triple, du fait de :

1. Ses pertes cognitives. Un jour, elle me  demande : « mais dans le fond vous me l’avez faite cette euthanasie ou non ? », comme s’il s’agit d’un traitement quelconque. Elle ne semble pas vraiment se rappeler de quoi il s’agit. Mais pour les médecins, c’est une bonne chose, elle a enfin prononcé le mot « euthanasie » ! C’est la première fois depuis longtemps, qu’elle en parle spontanément. Pour relancer la demande, le défi est de lui faire dire « je veux une euthanasie » sans avoir l’air de lui proposer, car dans la loi, la demande doit être volontaire et réitérée.

2. De la nature floue de sa souffrance (pas de douleurs ou de symptômes réfractaires au traitement). Au niveau physique elle n’a aucune douleur et est en rémission de son cancer. Donc, pas de maladie incurable, pas de décès à brève échéance. La seule solution est de trouver à quel point sa souffrance morale était insupportable. Lorsque les soignants s’assoient à côté d’elle pour discuter, elle retrouve le sourire et réclame que l’on reste davantage auprès d’elle. Pendant des semaines elle ne demande plus l’euthanasie. Cependant, dès qu’elle se sent seule, elle en reparle de manière assez vague.

3. De son entourage à l’influence inquiétante. L’entourage, constitué d’amis et peu de famille en raison de conflits, parait totalement inadapté. Il harcèle sans cesse les soignants en réclamant l’euthanasie de la dame. Les soignants se sentent mal à l’aise car ils comprennent bien que sous la demande de la patiente il y a une autre réalité : celle du sentiment d’abandon à cause du manque de solidarité. Les accompagnants sont sans doute sincères, cherchant pour la malade son bien-être. Mais leur bienveillance est dénuée d’empathie, ce recul nécessaire à une vraie solidarité. La patiente leur demande tout le long de l’hospitalisation une brosse à dents. Au lieu de brosse à dent, ils lui apportent ce qu’ils croient être bons selon eux : du vin, des gâteaux, mais ne satisfont jamais la demande de la dame.

De plus, la majorité des soignants éprouvent de la frustration car de nombreux dispositifs auraient pu être mis en place pour améliorer son confort et son désir d’être davantage entourée. Au départ, elle a accepté des structures adaptées à ses besoins, puis, sous l’influence de son environnement, elle y renonce. Ses proches sont enfermés dans l’émotion de voir leur amie handicapée. Ils ne supportent pas la voir différente. Toute autre solution que l’euthanasie leur parait inimaginable. Sur le petit carnet où ils lui laissent des messages  lorsqu’elle dort, il est question d’euthanasie à chaque page. On peut y lire des mots tels que : « N’oublie pas ton euthanasie, c’est ton droit, il faut que tu demandes aux médecins sinon ils ne te la feront jamais… ».

 

C’est dans ce contexte, que les médecins favorables à la pratique de cette euthanasie, ont dû trouvé des arguments. Afin de contourner chacune de ces difficultés, et répondre légalement à la demande d’euthanasie, des « solutions » ont été trouvées :

1. Pour l’impossibilité d’évaluer correctement sa demande d’euthanasie à cause des pertes cognitives, il a été décidé de favoriser les convictions et demandes antérieures aux pertes de mémoire, (appuyés par la lettre anticipée d’euthanasie), plutôt qu’un changement d’avis qui pourrait être dû à ses pertes de mémoire.

2. D’autre part il fallait déterminer la nature de la souffrance morale. La diminution de son autonomie étant irréversible, c’est celle-ci qui crée une souffrance morale insupportable.

3. Enfin, en ce qui concerne la défaillance de solidarité influençant ses choix, l’argument en faveur de l’euthanasie a été : son entourage fait partie de son bien-être, même si l’influence sur sa personnalité et sur ses décisions sont néfastes, ce n’est pas à nous d’en juger. De même, ce n’est pas aux soignants de pallier le manque de solidarité.

 

 

Conclusion : l’interprétation de la loi sans réelles limites se refuse à toute réflexion éthique

 

La médiatisation de ces « belles morts » semblent induire l’idée que l’euthanasie représente la mort la plus digne, la plus humaine. Elle devient un modèle du bien-mourir selon des critères de beauté et de dignité. En ce sens, il peut s’instaurer chez les malades, une culpabilité à continuer à vivre. L’acte d’euthanasie deviendrait un acte humain exemplaire. La dichotomie mentale qui en résulte entre « bonne » et « mauvaise » mort, dénature les liens de solidarité dans une communauté et rend la mort définitivement taboue.

D’autre part, l’interprétation de la « souffrance morale » est si large qu’il ne semble pas y avoir de limites légales à la pratique de l’euthanasie (baisse de l’autonomie due à la vieillesse, peur d’être seul, peur d’une souffrance future, lassitude de vivre, etc.).

Il en est de même pour le critère de « maladie incurable ». La loi autorise l’euthanasie pour des diagnostics de maladies dont le décès n’est pas prévu à brève échéance : Alzheimer, asthme, diabète, arthroses, arthrites, cécité, etc..

Enfin, la non-nécessité d’être en phase terminale d’une maladie, donne la possibilité d’anticiper une souffrance future, qui n’est donc pas une réalité, mais qui génère une peur toujours plus grande de la mort.

Ces complaisances de la loi ne dissimulent-elles pas une réalité d’abandon des plus fragiles ? Cet état des lieux n’est-il pas symptomatique d’une société en proie à la solitude, à la peur d’être mal accompagné, et à une carence de confiance envers les soignants ?

L’ouverture désormais de l’euthanasie aux mineurs n’est que la résultante d’une banalisation progressive de l’euthanasie dans les mentalités et révèle de plus en plus la fracture entre les militants et les médecins de terrain. Cent-soixante pédiatres ont adressé une lettre ouverte aux députés disant qu’il n’y avait ni urgence, ni utilité à l’extension aux mineurs. Les pédiatres argumentaient, exprimant leur avis en tant que spécialistes de terrain. Ils n’ont pourtant pas été intégrés au débat. Celui-ci a bien eu lieu, mais, semble-t-il, entre militants uniquement.

La question de l’accompagnement de la fin de vie apparaît dès lors, comme relevant d’un choix de société significatif des valeurs qu’elle porte : quelle place donnons-nous aux malades ? Quelle image avons-nous d’eux ? Qu’est-ce qu’accompagner humainement une personne ? Ces questions sont d’autant plus primordiales que les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation.

Il paraît aujourd’hui urgent pour les soignants, de se réapproprier une vision du bien-commun, ne serait-ce que pour assurer à la personne malade une sollicitude et une dignité jusqu’au terme de leur existence.



[1]Lossignol D., Damas, F., « Sédations continue : considérations pratiques et éthiques »,  Rev. Med Brux.,  2013, p.27.

[2]Rapport aux chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, tous les deux ans depuis 2004.

[3]Dardenne L., La Libre.be, « Euthanasie: unis, à la vie. Et à la mort. », 14 janvier 2013.

[4]Ibid.

[5]Dardenne L., La Libre.be, « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales », 14.01.2013.

[6]Herremans J., « Christian de Duve, merci ! » in Bulletin de l’ADMD, n° 128, juin 2013, p.8.

[7]de Decker C., Colart L., « Décès de Christian de Duve : Une personnalité scientifique exceptionnelle», Le Soir, 6 mai 2013.

[8]Propos recueillis par Delvaux B., « Si on continue comme cela, ce sera l’apocalypse, la fin », Le Soir, 10 avril 2013.

[9]Rebillat C., « Un transsexuel euthanasié après avoir changé de sexe », Paris Match, 02 octobre 2013.

[10]Le Monde.fr, « Après un changement de sexe raté, un Belge obtient le droit à l’euthanasie », Le Monde, 02 octobre 2013.

[11]D’après « La Libre » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[12]D’après « De Morgen » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[13]Ibid.

[14]Ibid.

[15]Ibid.

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Prise en charge de la fin de vie : « Position du conseil national de l’ordre des infirmiers » http://plusdignelavie.com/?p=2640 http://plusdignelavie.com/?p=2640#comments Sun, 22 Dec 2013 18:34:10 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2640 Le Président de la République, dans le cadre de son programme présidentiel, avait pris l’engagement suivant(1) :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à . . . → Read More: Prise en charge de la fin de vie : « Position du conseil national de l’ordre des infirmiers »]]> Le Président de la République, dans le cadre de son programme présidentiel, avait pris l’engagement suivant(1) :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant
une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des
conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité
».

En vue de la mise en oeuvre de cet engagement, le Président de la République a confié au Professeur Didier SICARD, ancien Président du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé), une mission d’évaluation de l’application de la loi du 22 avril 2005 (dite loi Leonetti). Dans sa lettre de mission en date du 17 juillet 2012, le Président recommandait au Pr. SICARD d’accorder «une attention toute particulière aux priorités que représentent l’information de la population et la formation des professionnels, en particulier les personnels de santé, y compris dans leur formation initiale » et que sa mission reflète «la nécessaire pluridisciplinarité des approches »(2). Le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France a été rendu le 18 décembre 20123. A la suite de la remise de ce rapport, le Président de la République a saisi le CCNE en lui posant trois questions :

- Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l’annonce d’une maladie grave, concernant la fin de sa vie ?
- Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ?
- Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?
Le CCNE dans son avis n°121 du 30 juin 2013 émet plusieurs recommandations concernant la dignité de la personne, le droit aux soins palliatifs, le respect des directives anticipées et le droit à une sédation profonde.
Cependant, la majorité de ses membres demande de ne pas légaliser l’assistance au suicide et/ou l’euthanasie.
Le CCNE considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n’est pas close et qu’elle doit se
poursuivre sous la forme d’un débat public. Suite à de nombreux échanges avec les infirmiers et infirmières ainsi que les usagers du système de santé, après une revue de littérature et l’étude des textes législatifs par une commission ad hoc, le Conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI) souhaite faire connaitre sa position quant à cette problématique de la fin de vie.

Prise en charge décembre 2013
Télécharger le document entier

1/François Hollande, Le changement c’est maintenant – Mes 60 engagements pour la France, engagement n°21, http://www.parti-socialiste.fr/dossier/le-projet-de-francoishollande
2/Lettre de mission du Professeur Didier SICARD, 17 juillet 2012
3/Penser solidairement la fin de vie, rapport à François Hollande Président de la République française, 18 décembre 2012, http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-de-la-commissionde-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf
4/Avis n°121, http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_121_0.pdf

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À défaut de secourir notre prochain, l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance http://plusdignelavie.com/?p=2270 http://plusdignelavie.com/?p=2270#comments Thu, 03 Jan 2013 13:32:55 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2270 Joseph Gligorov

Cancérologue citoyen, Institut Universitaire de Cancérologie Paris VI- Assistance Publique des Hôpitaux de Paris

 

La dernière personne au monde à avoir été exécutée au moyen d’une guillotine l’a été le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille. Quatre ans après, le Président François Mitterrand abolissait la peine de . . . → Read More: À défaut de secourir notre prochain, l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance]]> Joseph Gligorov

Cancérologue citoyen, Institut Universitaire de Cancérologie Paris VI- Assistance Publique des Hôpitaux de Paris

 

La dernière personne au monde à avoir été exécutée au moyen d’une guillotine l’a été le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille. Quatre ans après, le Président François Mitterrand abolissait la peine de mort dans notre pays. Le 14 décembre 2012, un jugement du tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire de cette même prison une amélioration de l’état des cellules reconnaissant ainsi une carence portant sur l’atteinte à la dignité des détenus. Quelques jours plus tard était remis le rapport du professeur Didier Sicard sur la fin de vie répondant à une revendication de plus en plus forte : celle du droit à mourir dans la dignité.

Étranges échos de notre société face à la mort et son histoire. La guillotine est née dans l’esprit d’un homme qui contribua à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et voulu semble-t-il dans ce même esprit apaiser la souffrance et rendre moins cruelle l’exécution capitale.

Étranges échos de notre société face à la mort et son histoire. C’est le même lieu qu’est la prison des Baumettes, qui nous rappelle à l’ordre avec 35 ans d’écart sur le sens de retirer la vie mais également le mépris que l’on peut y porter en la maintenant sans dignité : une mort non souhaitée, une déchéance insoutenable, l’oubli même du fondement de nos sociétés dites modernes, celle du respect de la vie.

 

Juger une pièce sur son épilogue

Il n’y a pas plus de droit à mourir dans la dignité qu’il n’y en a à vivre dignement. Il y a juste un devoir, une obligation morale que notre société oublie, celle à défaut de secourir notre prochain au moins de l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance. Une mort digne est-elle devenue plus importante que la dignité de la vie à laquelle notre société à parfois du mal à répondre ? Assurer une « belle » sortie même si la prestation est médiocre deviendrait pressant pour ne pas dire oppressant. C’est comme si l’on jugeait une pièce de théâtre sur son épilogue et que l’objet même de celle-ci était occulté. Nombreux sont les critiques qui auraient à écrire…

Sur cette vaste scène, quelques-uns souhaitent partir leur vie pleinement remplie, se sentant abandonnés par leurs corps et inutiles à des âges avancés, d’autres parfois très jeunes meurtris par leur existences ont tenté à maintes reprises de mettre fin à leurs jours et quitter ce monde qu’ils jugent insupportables car leur âme est malade. Certains enfin, condamnés par la société à rester entre quatre murs cherchent à s’enfuir en y laissant leur vie comme ce détenu à mobilité réduite qui s’est suicidé récemment dans sa cellule se plaignant d’être réduit à l’état de « légume ».

Et si j’avais été le médecin de ce détenu et qu’il m’avait demandé d’en finir qu’aurais-je du faire ? De quel droit sa demande de fin de vie digne aurait-elle été moins légitime que celle de mes patients atteints parfois de maladies incurables, ou celle des patients de mes collègues psychiatres face à un adulte jeune qui fait sa cinquième tentative de suicide, ou de l’insuffisant rénal qui ne dispose pas de greffe et ne veut plus de dialyse … Car il est suggéré dans la proposition de loi du sénateur Roland Courteau (8 juin 2012) relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs, que « toute personne, majeure non protégée, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit l’origine, lui causant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu’elle juge insupportables, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicale pour mourir ». Il n’y a pas que les maladies organiques qui soient graves et incurables, certains troubles psychiques expliquent même des agissements considérés comme criminels…

Qui suis-je par ailleurs pour décider de la légitimité ou non de cette demande ? Spectateur et acteur à la fois, juge et exécutant ? Et pourquoi pas d’autres qui passent encore plus de temps aux cotés de ceux qui partent ? Pourquoi pas l’aide soignante qui fait la toilette de certains corps meurtris, ou l’infirmière qui hésite à donner un soin ne sachant plus s’il est légitime ? Que penser, que faire ? Qui a la compétence du juste ? Peut-il même y avoir un juste ?

Il m’a été enseigné que l’éthique était un objet fondamental de la philosophie et le questionnement sa principale méthode. Il est donc salutaire qu’ait lieu ce débat sur la mort assistée. Mais dans l’esprit d’un projet de loi concernant la maladie et s’inscrivant donc dans le droit, on ne peut faire abstraction des principes fondamentaux de notre République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

La liberté exclue la contrainte, or la loi en est une par essence car elle régit des interdits et des obligations. Le droit à une assistance à la mort entraîne une contrainte d’exercice et modifie la relation soignant/soigné. Avec une obligation de résultat, à savoir la mort, alors même que l’obligation médicale n’est à ce jour qu’une obligation de moyens. Nous n’avons jamais été assuré de pouvoir guérir certaines maladies, mais nous devrions l’être de pouvoir mettre fin aux jours de certains. Serait-ce après l’abolition de la peine de mort le retour du crime légalisé ?

 

Nécessaire égalité

L’égalité doit être garantie pour tous car elle est l’un des fondements de la dignité, sous-entendant l’égalité d’accès à tous les soins et notamment les soins de supports et les soins palliatifs permettant déjà de répondre à l’angoisse de la souffrance. La sédation en phase terminale à visée antalgique et anxiolytique est régie par des recommandations de la Haute Autorité de Santé qui préconise d’avertir le patient de la possibilité d’une sédation irréversible si le contrôle de la douleur le nécessite. N’est-ce pas assurer une assistance à la mort dans la dignité ?

La fraternité n’est que l’expression morale du lien qui unit les êtres humains entre eux. Or, cette morale rapportée à une situation singulière unissant le soignant au soigné dans ces moments si intenses que sont la fin d’une vie ne constitue-t-elle pas à ce moment un principe éthique ?

Nous disposons déjà dans notre pratique de tous les éléments nécessaires permettant de répondre aux angoisses d’une « non assistance à personne en fin de vie », angoisse du soigné mais également angoisse du soignant. Pourtant, comme souvent, il est difficile d’observer ce qui nous est si intime et s’avère en pratique si difficile à décider et à mettre en œuvre. Prendre conscience de l’importance de ces approches possibles et nécessaires, les enseigner, les appliquer et les évaluer s’imposent à nous maintenant.

Peu de choses au final régissent la pratique des soins médicaux dans cette relation si personnelle et subtile que constitue le rapport entre le soignant et le soigné en fin de vie. Jusqu’au dernier souffle ces personnes vivent, et jusqu’au dernier souffle nous devons être préoccupés par leur dignité. Cela tient avant tout aux valeurs profondes que l’on honore dans les espaces de soins, aux conditions d’accueil de recueil et de suivi. L’enjeu est d’apaiser, d’écouter, d’accompagner dans les meilleures conditions possibles, de répondre aux angoisses, aux douleurs, aux maux de l’âme et du corps. En fait de demeurer présent à ce qui fait de nous des humains.

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Fins de vies : L’amour et la Mort. http://plusdignelavie.com/?p=2232 http://plusdignelavie.com/?p=2232#comments Tue, 04 Dec 2012 14:39:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2232 Véronique Normand

Kinésithérapeute J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 . Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on . . . → Read More: Fins de vies : L’amour et la Mort.]]> Véronique Normand

Kinésithérapeute
J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 .
Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on ne peut plus répondre. Un aveu d’impuissance.

Qui sait si en d’autres circonstances, ne pouvant pas partager mon impuissance, je n’aurai pas fait la même chose?? On ne peut pas prédire grand chose en fin de vie, mais on peut prévoir, prévenir, appeler du secours, du renfort.

Un seul coup de fil et contact extérieur suffit à changer le cours des choses. Le mari de Mireille (personne atteinte de SLA) me l’a dit, quand je venais, c’était une « fête » pour lui.
J’étais le seul soignant à domicile, le médecin mettait l’ordonnance dans la boite aux lettres, enfin son remplaçant, parce que lui ne se déplaçait pas. Le médecin d’aujourd’hui s’efface trop dans la fin de vie, ne trouvant plus son rôle pourtant si important de réassurance.
Les soignants à domicile assument la proximité, parfois difficilement, évitant le piège béant de la promiscuité.
Mais un seul soignant suffirait, dans le strict minimum, à condition que ce soignant garde contact avec l’extérieur et bénéficie de ressources extérieures de soins, acheminant dans la casa le souffle nécessaire et les rayons du soleil du dehors.
Dans la fin de vie, l’autrement et l’ailleurs servent à enrichir l’intérieur. Je ne vois pas d’autre distance à garder que celle ci.

La maladie n’est pas une honte, le handicap n’est pas une fatalité.

Une maladie démédicalisée, ça conduit à l’enfermement, à l’asphyxie, à la solitude et à la mort par étouffement, l’euthanasie n’est pas dans ce cas un choix libre, c’est le contraire de la liberté. Le soin a cet enjeu de tiers entre le malade et sa maladie et de préserver le proche. Mais ce n’est pas en multipliant les intermédiaires, les tiers entre le malade et le soignant qu’on résoudra les problèmes de refus de soin. Le meilleurs tiers, c’est le soin lui-même et la relation qui l’accompagne. Pas de soin sans relation, pas de relation sans soin, Le soin éloigne la maladie du malade, soigne la douleur et éloigne la souffrance.
Franchement, cette dame dans le film, dès le début, avait besoin d’un kiné. Et elle n’était pas en phase palliative; quand je vois le corps abandonné, cette raideur qui ne peut que conduire à une raideur de la situation, quand je vois comment il l’a fait marcher, je me dis que rien n’a été fait des soins de réadaptation, l’abandon a déjà eu lieu. La question est de savoir si il y a eu refus de soin, l’hospitalisation semble avoir été difficile, ou si les soins ne lui ont pas été prescrits. Le médecin est présent dans l’histoire, il prescrit les médicaments. Est-ce que des médicaments suffisent dans une hémiplégie?
Or dans ce film, L’hémiplégie du début n’est même pas mise en soin. Un kiné aurait été le bienvenu pour lui redonner confiance en ses possibilités.
Quand je le vois marcher mal avec elle, le transférer avec difficulté alors qu’elle a une jambe saine et pas d’aide pour maintenir une marche possible, je me dis que rien n’a été fait.
Les soins sans doute possible dès le début n’ont pas été prescrits. On entend parler du médecin, on ne le voit pas. Dans l’esprit du réalisateur, le médecin prescrit des médicaments. Les médicaments suffisent-ils au handicap? Suffisent-ils à la dépression normale de découverte des déficits? Une seule personne aimante suffit-elle, sans des compétences de soins?
Autant mettre un pansement sur une jambe de bois!
Un AVC ça se traite avec des médicaments, mais la rééducation ça existe,
La honte d’être en fauteuil, la honte de la déchéance, la honte de l’incontinence, le sentiment de perte de dignité qui creuse et qu’un seul homme ne peut porter.
L’amour est atteint peu à peu par ce sentiment d’indignité, que la fille ne manque pas d’exprimer dans sa douleur.
Comment aimer quelqu’un qui ne s’aime pas?
Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point, abandonné dans sa raideur, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terrible dans les transferts et retournements dans le lit; Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire. D’ailleurs à un moment donné la main recroquevillée est cachée sous la couverture.

Parce que si les soins corporels se résument à un hygiénisme, on ne s’étonnera pas que l’incontinence vienne plus tard sonner le glas de la dignité.
Parce que sans soin, évidemment la maladie mène à l’enraidissement, à la perte de la sensation de soi, à la perte d’estime, à la perte de confiance, à la perte d’une pensée saine, à la paralysie d’une situation, à la haine de soi, à la relégation dans un huis clos et à la mort par étouffement.

Il ne s’agit pas que de bouger, que de marcher, il s’agit de redécouvrir ce corps, le handicap n’est pas une fatalité, un corps entravé ne peut pas donner lieu à une pensée libre !

Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point , abandonné dans sa raideur,, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terribles dans les transferts et retournements dans le lit;
Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire.

Toute l’histoire du soin interviendra dans la fin de vie ; le traumatisme laisse des traces, la fin de vie est un deuil et convoque au bord du lit toutes les mémoires, on n’oublie jamais les joies, ni les blessures ; jamais, et elles affleurent à fleur de peau lorsqu’on souffre.
Ce n’est pas l’histoire ancienne qui est la cause, c’est la souffrance actuelle qui ravive les autres. Ce n’est pas non plus que le geste malheureux ou la blessure actuelle qui rend sensible à ce point, c’est le lit dans lequel repose cette goutte qui fait déborder le vase.
Ce sont les deux additionnés qui font le trop plein.  Une solution, c’est laisser un peu déborder le vase, pleurer.

Les larmes ont besoin d’une épaule solide, sinon elles se retiennent ou sont des larmes vaines, des larmes perdues, des larmes sans mot, des lettres mortes, des larmes sèches, des larmes pour rien. Ni pour personne.

Alors, on ne pleure pas, on reste dur, et cette dureté nous fait du mal et fait du mal autour de nous.
On devient effrayant de ne pas pleurer, on devient si vite inhumain, on pourrait devenir un monstre de ne plus voir ni sentir la peine de l’autre. On ne peut pas s’aimer soi-même si on se voit comme un monstre, on peut encore moins aimer l’autre. Il faut être vivant pour aimer et non mort.

La douleur fait souffrir, la souffrance tue, l’isolement tue.

Et la souffrance, c’est le soin absent ou pire, le soin mal fait. On préfère alors comme moindre mal refuser les soins. Ou alors en regard de ce que cette entrée en maladie exige, le patient devient plus exigeant. On peut le comprendre. Le proche pousse aussi les exigences de lui même à ses limites et il devient forcément exigeant.
La souffrance est une tension; oh combien cette tension aurait pu être évitée!

Quand l’isolement s’étend, la confiance s’effrite.

La présence soignante est dans ce film à peine présente, pour faire la toilette. Est-ce là tout ce que peut apporter un soignant ?
Une infirmière maladroite se fera rabrouer dans sa violence à vouloir confronter la personne à son image dans un miroir. Rien d’étonnant à ce qu’elle se retrouve dehors. Une phrase m’a marqué dans ce film c’est ce que dit cet homme à sa fille « je n’ai pas le temps de recevoir ton inquiétude ».
L’inquiétude, effectivement, semble en retard, pas souhaitable dans ses conseils qui n’ont pas leur place. Et le père finit par dire « laisse nous notre histoire, vis ta vie. » La fille n’a plus d’accès même dans sa tentative à raconter sa vie pour mettre un peu de vie dans ce huis clos en leur parlant de sa vie, se voir rembarrer dans sa vie. Comme si elle n’était pas concernée. Pourtant elle dit bien que lorsqu’elle était petite, elle était rassurée de les entendre faire l’amour, façon de dire qu’elle participait de leur amour.
Mais la voilà réduite à l’errance d’un invité indésirable, qui n’a qu’à s’occuper de sa vie.
Le vide est donc fait autour d’eux et creuse son lit de mort ;

Les exigences que cet homme a de lui même, tournées un temps dans le soin, perdront patience, la violence viendra montrer son nez lors d’un repas. La femme se voit sous l’emprise de l’aide de son mari, ce qu’elle craignait au début, lorsqu’elle lui disait  » tu peux t’éloigner de moi, et ne pas regarder comment je fais tenir mon livre » est arrivé; Mais il ne s’éloignera pas d’elle. Si peu… Il ne l’abandonnera pas.
Là voilà entièrement prisonnière de la maladie et prisonnière de lui. Ne s’aimant pas, elle ne peut pas y voir dans l’approche de son mari l’amour, elle parle de « mauvaise confiance »; son amour est réduit à la pitié, à la condescendance, elle lui renvoie une haine d’elle même.
Le voilà prisonnier de la maladie et prisonnier d’elle.
Le pli est pris. Le faux pli, l’erreur de penser que l’amour puisse s’obliger à aimer et que prendre soin de la personne qu’on aime puisse cacher quelque pouvoir que l’on voudrait prendre sur elle, profitant de la situation pour jouir de sa propre puissance. C’est un sentiment que l’on peut comprendre et qui est toujours inhérent, toujours présent dans l’aide, le soupçon, la crainte de l’abus.
Crainte malheureusement justifiée et tellement justifiée dans la déperdition d’un corps qui ne peut plus…
Il est caractéristique du sentiment de vulnérabilité. Moyen de défense, histoire de prévenir l’abus qui peut toujours avoir lieu, la confiance qui peut toujours être trahie.

Quand on ne s’aime pas, c’est qu’on a perdu confiance en soi. Le soin en convoquant cette confiance, en demandant un effort à la personne afin d’améliorer la situation convoque cette confiance et la possibilité de garder un pouvoir sur son autonomie.

L’amour est essentiel, mais l’amour ne suffit pas

Bien sûr que l’amour est essentiel, mais il ne suffit pas ! L’amour ploie se plie et se replie sans ressources extérieures. Les couples explosent devant la lourdeur de certaines maladies ou handicaps. Les soins sont des ressources extérieures. Et je ne parle toujours pas que de soins palliatifs. Cette dame au début du film n’en est pas aux soins palliatifs, elle en est aux soins de réadaptation du handicap !

L’amour est atteint par cette hémiplégie, il est rabougri, noirci de honte, il ne trouve même plus d’accès ou d’ouverture dans la nostalgie des souvenirs.
Se souvenir des belles choses n’est même plus possible, même plus pensable.
L’amour est en danger d’exclusivité. L’emprise est l’amour passionnel qui étouffe.

La visite du jeune musicien est une scène clef ; ce dernier intervient comme intrusif dans un monde brisé, alors qu’il aurait pu être un élément clef de la transmission positive qu’a laissé cette femme qui lui a enseigné la musique (nostalgie positive). Alors qu’il aurait pu représenter un élément positif de son œuvre personnelle, il heurte. Alors que son hommage, même à la découverte du handicap ne change pas son regard positif, on sent bien que cela ne change rien à l’hommage qu’il est venu lui rendre, et c’est ce regard positif qui est lui aussi devenu scrutateur, indésirable à elle-même.
Il s’en va désolé, dépité, remballant son hommage et sa joie à la gloire du passé.
Lorsqu’il joue, c’est une mémoire mélancolique, tournée vers elle et le passé, proche de celle que nomme Nietzsche, le ressentiment, au lieu d’entendre l’envolée de la transmission et la joie de l’avenir construit qui est devant elle, à travers ce jeune pianiste qu’elle a formé.
Centré sur elle, tout est concentré sur elle, les autres ont disparu.
C’est le huis clos de la destruction de l’intérieur, l’amour qui s’étouffe n’a plus d’air, l’amour de la vie qui enfermé sur lui-même ne peut plus sortir de lui- même.

On trouvait déjà cet amour malheureux de ne plus pouvoir s’exprimer dans le film Quelques jours de printemps de Stéphane Brizé, amour qui ne pourra s’exprimer qu’en toute dernière instance de la mort irréversible, que dans un au revoir.

Que dire, que faire face à cette dépression qui ne peut plus voir l’amour extérieur qui pourrait lui permettre d’aller vers l’autre et recevoir ce que ce jeune homme est venu lui apporter par sa visite ?

L’amour s’échoue au lieu de s’envoler, il n’a plus d’aile.
Ce danger d’emprise et d’enfermement, les professionnels de santé le connaissent, redoutent et préviennent ce sentiment de glissement où l’impossible gagne et où l’amour échoue.

Que dire du geste final d’étouffement, sinon qu’il est la suite logique d’un étouffement physique et psychique de la maladie et de la vie?
Que dire d’autre, sinon que les soins absents génèrent ce genre de situations d’enfermement et de dérive ?
Que dire, sinon que le handicap, la maladie chronique, la fin de vie ne peuvent qu’échoir dans un amour déchu s’il n’est pas soutenu en actes, en présence, en relation avec des ressources de soins, si la personne proche et la famille en général ne sont pas soutenues, si chacun se contente de rester subjugué et impressionné et plein de respect et d’interdit à admirer de loin ces situations qui nécessitent un engagement humain , dont les soins constituent un rempart contre cette exclusion et ce naufrage que la maladie convoque, mais que ces soins apportés par les soignants dans une maladie ne suffisent, pas, qu’il y a un engagement personnel à soutenir tous les liens, y compris les liens familiaux et les liens d’amour plutôt qu’à se concentrer à les analyser, tous les liens qui maintiennent la personne dans son envie de vivre, non pas uniquement en vie.

Ce film pour moi décrit l’extinction de l’envie de vivre, dont on a raté le « coche » dès le début.

Il est évident que si le débat de la fin de vie évoque l’amour dans cet acte. On y comprendra, je l’espère, la nécessite de ne pas intoxiquer l’amour et l’enfermer dans un huis clos malsain, on comprendra que cet acte d’étouffement n’est pas un acte libre, c’en est même l’opposé.
On comprendra que si liberté de l’amour en fin de vie il y a, c’est dans la liberté de puiser les ressources, toutes les ressources, existantes avant de déclarer forfait.

On y comprendra aussi que seul face à l’adversité l’homme ne peut faire face. Il arrive aux limites de ses propres ressources et si la moindre fenêtre ne s’ouvre pas sur l’extérieur, c’est plus que la mort, c’est l’amour qui est tué.
L’amour sans soin est disqualifié. La maladie ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche.

Penser la mort, c’est pourtant penser l’amour

« Je vous souhaite à tous de vivre d’amour et de création ». Dernière phrase écrite de J.P. Rouette avant sa mort à ses amis cinéastes.

Il y a les amours malheureux de Rimbaud, il y a les morts malheureuses et tragiques, les morts solitaires, les morts violentes, les morts de toutes sortes, mais je ne peux m’empêcher de penser avec Goethe qu’ »on peut aussi construire de belles choses avec les pierres qui entravent le chemin »;

Qu’il y a aussi des morts simples, des morts qui se passent bien, des fins de vie riches, des fins de vie paisible, des fins de vie qui laissent un sentiment de beauté et de grandeur, qui laissent un sentiment d’achèvement et non de fin, qui laisse une lueur qui brille dans les yeux de ceux qui restent.

J’aime pouvoir encore penser que l’amour donne des ailes pour s’envoler, qu’il ne les replie pas, mais les ouvre. Qu’il n’a pas de limite dans la recherche de solution, qu’il en éprouve même du plaisir à braver les obstacles, à ne jamais céder à rien, j’aime à penser que l’amour soit assez rebelle, soit assez indomptable et libre pour se défaire des chaines qui l’entravent. J’aime à penser qu’il puisse durer au delà de l’adversité et y voir plus loin, j’aime lorsqu’il s’allie à construire du possible, à créer plutôt que de détruire, j’aime quand il dénigre le mal, donne un coup de botte aux nuages qui l’empêchent de voir clair, j’aime son audace et son impétuosité à vouloir pousser les murs pour agrandir les espaces, j’aime plus que tout, rayer le malheur du programme de soin, j’aime lui apporter contradiction, opposition, résistance, et lutte contre la souffrance. Voilà ce que c’est que veux penser de l’amour et si l’amour se résume à ne plus pouvoir le faire , si l’amour se résume au pouvoir, au pouvoir dire, au pouvoir faire, c’est pas étonnant qu’on en arrive à se désespérer lorsqu’on perd le pouvoir de faire et de dire.

Il y a pourtant autre chose qui dépasse, qui déborde ce que peux faire l’humain de sa vie, il y a autre chose de plus infini que sa propre fin, C’est ce qui rayonne de lui, dans les liens qu’il a crée, dans la trace qu’il laisse chaque jour de lui-même, dans ce qui même dans la vulnérabilité la plus démunie, c’est ce qui subsiste de lui.
Cette femme qui chante et danse sur le pont d’Avignon, ce n’est pas rien. Peut-être que finalement, ce chant qui soutient leur lien, s’étouffe de ne pas être repris en cœur. On y souhaiterait l’aide des sept nains de blanche neige qui viennent y entrainer les chants ! On y souhaiterait la cohésion d’une famille et la chaleur d’un ensemble repris en échos.
Il nous va droit au cœur ce pont d’Avignon, où on y danse encore …

Lorsqu’on attrape l’oiseau de la liberté, c’est pour le soigner, pour qu’il puisse s’envoler, pas pour l’étouffer et s’approprier sa vie. C’est peut-être alors sauver la beauté des choses et des êtres qu’il nous revient de préférer, au delà de l’image qu’ils laissent voir, c’est peut-être au plus profond de nous même penser qu’il y a dans la profondeur de la nuit et du désespoir un infime espoir, une étoile dont la lumière est juste voilée , juste cachée , mais qu’elle est là en chacun de nous.
Que cet amour, enfant de liberté s’envole de lui-même, sans qu’on ait à le pousser … sans le contraindre à s’en aller…
Peut-être que nous ne savons plus entendre la voix humaine, jusqu’au cri comme le chant humain d’une présence humaine, peut-être même que nous ne savons plus gouter la paix qu’il y dans l’apaisement de la souffrance d’une personne en fin de vie qui dort, peut-être que nous ne savons plus comment s’apaiser.
Pourtant, souvenez-vous, Assurément nous connaissons cette lueur de joie qui éclaire un regard dans la personne qui aime, c’est peut-être cela que nous devrions chercher ensemble, cette lueur qui éclaire ce travail des soignants, celle qui éclaire le cœur des proches qui transforment souvent l’effort en plaisir, celle qui fait de nous des êtres capables de supporter les choses difficiles de la vie.

Penser la fin de vie, c’est penser le soin et le lien au monde

Il est déjà tard en fin de vie pour réagir, je n’ai pas dit trop tard; mais il serait souhaitable et préférable que les soins s’installent à domicile, quand tout va encore bien et que la rencontre est encore possible. Au caractère palliatifs des soins, il faut un accompagnement précoce dès les premiers stades de la maladie, dès le retour à domicile, sinon le souhait de retour à domicile des personnes en fin de vie tournera au cauchemar, et on sait combien la liberté se paye en sécurité à domicile.

L’urgence est de développer et permettre l’accès facilité à ces soins palliatifs, permettre qu’ils soient introduits au domicile des patients par un accompagnement des soins en amont et non plaqués en fin de vie les derniers jours de la vie;
Il ne s’agit pas non plus de devenir intrusif en transportant l’hôpital au lieu intime du domicile, on ne peut être qu’intrusif dans ces manières de faire.
La fin de vie à domicile est vécue comme une continuité de la vie, ne cassons pas cette continuité et cette « harmonie » si précieuse dans la poursuite des soins, utilisons les moyens humains existants et les professionnels du domicile qui connaissent parfaitement cette forme de proximité intime de la casa, travaillons avec les moyens techniques de l’hôpital, avec l’esprit et l’âme intérieure qui convient à cette phase ultime de la vie.

Si la fin de vie est unique, et intime, elle est pourtant tellement intimement collective, qu’on ne saurait supporter qu’elle devienne le synonyme d’un repli de notre humanité,
le débat sur la fin de vie je l’espère mettra à jour tous ces enjeux intimes et ultimes du soin et de l’amour qui l’accompagne, fera connaitre l’avancée que permet la loi Léonetti et permettra aux gens de mieux connaitre leurs droits , leurs droits à des soins de qualité, à ne pas souffrir et mourir isolés, leurs droits à des égards et à vivre leur maladie ou leur handicap, sans être toujours menacé , sans être toujours malmenés, sans être écoutés et entendus.
Je souhaite que ce grand débat de société soit l’occasion de redire à nos pouvoirs publics que lorsque la vulnérabilité gagne l’ensemble du corps soignant, il s’agit au moins d’en préserver les compétences acquises, et que le « soin » que peuvent apporter nos politiques et nos juristes est peut-être de reconnaitre à travers la présence du soin quel qu’il soit, le dernier rempart à la barbarie postmoderne qui divise au lieu de rassembler.
Je souhaite qu’on se préoccupe de ce « maintien à domicile », pour qu’il devienne et reste un choix à part entière, pour qu’il reste possible de mourir en toute intimité de la société ;
Je souhaite qu’il demeure une discrétion aimante, qui ne soit ni un secret, ni une outrance de l’exposition de la condition humaine du mourir.
Je souhaite que la délicatesse, la pudeur et l’intimité puisse être épargnées de bousculades de dernière minute, pour quelques bouffées printanières de dernières minutes , quand le manque a creusé son sillon dans une terre aride , sans que quelques jardiniers n’y voient la nécessité d’arroser et de nourrir nos fleurs de liberté.

La fin de vie un débat intimement citoyen

Si la fin de vie nous rassemble toujours autour des funérailles, j’oserai dire qu’il ne faut pas attendre « Quelques heures de printemps » dans la crise générale et dans l’urgence finale de l’apoptose sociétale, qu’il faut agir de manière urgente pour préparer ce retour à domicile, et je ne vois pas comment faire autrement qu’en nous croisant toujours sans nous parler, sans nous connaître, sans communiquer sur les métiers du soin, sans assurer nos patients les plus gravement atteints qu’ils ne seront pas livrés à eux mêmes, qu’ils sont au cœur de nos préoccupations, qu’ils sont au cœur de l’humanité de nos sociétés.

Je souhaite que ce grand débat humain tant attendu et tant souhaité sera l’occasion de mettre en valeur la grandeur de la personne humaine jusque dans ses derniers instants, une grandeur qui dépasse les rôles, les cartes professionnelles et les missions, qui déborde de partout.
Franchement, j’espère qu’on se rendra compte de cela, de cette loi non inscrite, qui n’est pas une loi de la nature de l’homme, mais une loi de la nature civilisée qui nous fait participer du monde qui nous entoure

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Il n’y a pas d’urgence à mourir http://plusdignelavie.com/?p=2039 http://plusdignelavie.com/?p=2039#comments Thu, 07 Jun 2012 12:53:23 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2039 Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, unité de soins de support, Bruxelles

 

« Je soussigné Patrick, en toute connaissance de cause et en pleine possession de mes moyens, désire exprimer par la présente ma décision d’avoir recours à l’euthanasie si je me retrouve réduit à l’état de dégradation physique et intellectuelle, en cas de douleurs incontrôlables, . . . → Read More: Il n’y a pas d’urgence à mourir]]> Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, unité de soins de support, Bruxelles

 

« Je soussigné Patrick, en toute connaissance de cause et en pleine possession de mes moyens, désire exprimer par la présente ma décision d’avoir recours à l’euthanasie si je me retrouve réduit à l’état de dégradation physique et intellectuelle, en cas de douleurs incontrôlables, de souffrances insupportables, de dépendance, de déchéance physique et/ou intellectuelle. »

L’injection est rapide, indolore, le patient meurt sous nos yeux dix minutes plus tard. La tension est palpable, des membres de sa famille pleurent, nous sortons discrètement de la chambre. Expatriée en Belgique depuis quatre ans, je pratique l’euthanasie dépénalisée depuis dix ans. Mon expérience m’a permis au quotidien de réfléchir à la portée de cette loi, son application et l’éthique qu’elle sous-entend. Infirmière en oncologie, je soigne particulièrement des patients hospitalisés dans un contexte de non-maîtrise de la maladie qui subissent des douleurs morales et physiques réfractaires aux traitements. L’idée de déchéance humaine dans ces situations de crise est éminemment posée par ces patients qui demandent à mourir tant leurs souffrances sont inimaginables. Dès lors, la demande d’euthanasie paraît légitime pour les soignants et la famille qui assistent au spectacle abominable de la déshumanisation progressive de la personne. On peut comprendre les militants de l’ADMD qui, ayant pour la plupart vécu des situations similaires de fin de vie de leurs proches soient enclins à revendiquer ce droit individuel.

Pourtant, j’affirme aujourd’hui à la lumière de mes connaissances et de ma pratique professionnelle qu’il serait une grave erreur pour la France d’appliquer une loi sur l’euthanasie, ou « aide active à mourir » pour les friands de périphrases.

 

Face à la dichotomie arbitraire entre souffrance et euthanasie

Il est nécessaire dans ce débat de ne pas se tromper de sujet. Les actions menées par les politiques amènent bien trop souvent son lot de caricatures ou des simplifications douteuses. Nous pouvons même dire que nous assistons parfois à une certaine forme de dérive populiste qui cherche des réponses simples à des problèmes éminemment complexes. Le grossissement médiatique d’histoires dramatiques véhicule  l’idée fausse que ces affaires sont fréquentes et résument les questions de fin de vie. L’euthanasie constitue dans les sondages d’opinion sur la fin de vie (notons que les personnes interrogées sont en bonne santé) une revendication arbitraire basée sur la dichotomie unique entre la souffrance ou l’euthanasie. Les véritables concernés, les malades et ceux qui les accompagnent peuvent témoigner que les épreuves engagent bien souvent à de nouvelles réflexions, priorités et ressources personnelles auxquelles bien souvent ils ne s’attendent pas. Il n’y a pas de solutions miracle pour soulager la souffrance. En revanche, en tant qu’accompagnant, soignant, citoyen, nous avons le devoir de créer un espace d’ouverture à celui qui souffre dans une attitude empathique nécessaire au dialogue et à la compréhension de l’autre.

En effet, il s’agit avant tout d’écouter l’authentique question de la personne qui demande à mourir. Elle doit nous faire réfléchir, nous bousculer : quelle place donnons-nous au vulnérable dans une société de performance et de jeunisme ? Peut-être est-ce notre regard sur le « fragile » qui doit changer en faisant le pari de l’accepter pleinement dans la cité. Combien sont-ils à demander à mourir à cause de ce sentiment dérangeant d’inutilité ou de détresse lié au non-sens des épreuves de la vie ?

 

« Qu’est ce qu’une vie que l’on prolonge sans une réflexion sur sa qualité ? »

D’autre part, il est nécessaire de prendre en compte le progrès des techniques médicales qui rallongent considérablement l’espérance de vie. Les patients que nous soignons ont déjà derrière eux un parcours de vie ponctuée de traitements extrêmement lourds qui ont offert des années supplémentaires de vie. Parfois, par l’effet d’escalades thérapeutiques, certains patients éprouvent un sentiment de déchéance humaine physique et morale. C’est dans ces moments-là que les demandes à mourir affluent. Si tout le monde est d’accord pour combattre l’acharnement thérapeutique, beaucoup de médecins sont perdus quant à la prise de décision d’arrêt des traitements curatifs. Pourtant qu’est ce qu’une vie que l’on prolonge si on ne réfléchit plus à sa qualité ? Se posent alors les questions de la limite du savoir et des conséquences du progrès.

Enfin, dans notre société où l’idée d’atteindre l’excellence, l’idéal de beauté et de performance est à son apogée, peut-être que remettre à l’honneur la notion d’incertitude, de doute, de mise en balance des décisions thérapeutiques ouvre une relation plus interpersonnelle, plus humaine entre le trio : patient/famille et proches/soignants. Les connaissances médicales doivent être au service de l’homme et non du microscope ou de la radiologie.

 

L’urgence à deviner l’humain

Une éthique de la discussion réajuste les décisions, donne du sens à la prise en charge et empêche la personne malade de s’enfoncer dans une solitude inacceptable. Ceci dans un objectif créatif d’inventer, de renouveler ensemble des stratagèmes pour améliorer la situation de vie du malade. De cette solidarité découle la véritable autonomie de la personne en fin de vie : être homme et le rester jusqu’au bout soutenu par la communauté pour préserver le sentiment de dignité et de liberté d’entreprendre, inhérent à chaque être humain.

Sous un gouvernement socialiste qui se veut solidaire des plus fragiles, ne tombons pas dans les réponses faciles. Si notre société est prête à un débat public, elle laisse à penser qu’elle est véritablement une démocratie capable de s’intéresser aux plus vulnérables. Plus que « l’avoir » d’un droit individuel, penchons nous sur « être » pour l’autre dans la société entière. Il n’y a pas urgence à créer une nouvelle loi, il y a urgence à deviner l’homme derrière le masque de la souffrance, c’est là l’ultime liberté de l’être humain.

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Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan http://plusdignelavie.com/?p=1891 http://plusdignelavie.com/?p=1891#comments Fri, 23 Mar 2012 12:01:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1891 Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en . . . → Read More: Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan]]> Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en faveur de l’extension de l’euthanasie aux mineurs (PDF)

Annexe : Belgique – Les limites du contrôle a posteriori selon les rapports de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (PDF)

 

La législation belge ayant légalisé l’euthanasie a dix ans. Entre 2002 et 2009, dernière année où le nombre officiel d’euthanasies est connu, 3.451 euthanasies ont été enregistrées. La coïncidence de ces dix ans d’existence avec le débat engagé sur cette question à l’occasion de l’élection présidentielle française justifie que l’on dresse un bilan de cette expérience. Le collectif Plus Digne la vie s’est livré à cet exercice, en adressant un questionnaire à l’attention de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs.

 

Un questionnaire de 14 items a été élaboré (cf. annexe). Il a été envoyé pour des raisons linguistiques à des professionnels de santé francophones, afin de ne pas s’exposer à des ambiguïtés d’interprétation. Afin que cette analyse colle au plus près à la réalité du terrain et ne soit pas basée sur un discours partisan (pro ou anti), ces professionnels ont été choisis pour leur expérience pratique dans le domaine de l’accompagnement de fin de vie, via les plateformes de soins palliatifs francophones. Pour une vingtaine de mails envoyés, nous avons reçu 19 réponses, montrant l’intérêt porté par nos collègues belges à la démarche.

Quatre réponses n’ont pas été exploitées (3 pour absence de réponse aux questions posées et une institutionnellement opposée à la pratique de l’euthanasie ne pouvant donc pas constituer un témoignage direct). Elles sont toutefois intégralement présentées en annexe.

 

Deux médecins, se déclaraient membres de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de la loi sur l’euthanasie et/ou responsables de l’ADMD. La première mettait en garde contre les risques de propos partisans (« les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement »). La deuxième jugeait au contraire que le questionnaire démontrait « une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique ».  Un troisième est responsable d’une plateforme régionale de soins palliatifs. Il écrit notamment « Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire… Si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal des euthanasies, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi) ».

 

Une dernière réponse émanait d’un établissement clairement positionné contre la pratique des euthanasies: «  Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. »

 

C’est donc un total de quinze réponses exploitables qui ont fait l’objet d’une analyse détaillée : 7 venant de médecins, 8 d’infirmières. Aucune de ces personnes ne se présente comme une opposante de principe ou comme ayant invoqué une clause de conscience personnelle devant cette pratique.

Treize disent même avoir l’expérience personnelle directe de pratiques d’euthanasie. Comme convenu au préalable, afin de leur permettre de s’exprimer en toute liberté, l’anonymat des auteurs est respecté. Le contenu des réponses a été conservé en l’état, sans aucune réécriture sauf la correction de quelques fautes d’orthographe. Elles ont été regroupées par thèmes.

 

Ces réponses donnent un éclairage intéressant sur la réalité de l’application de la législation belge et doivent nourrir notre discussion en France, puisque c’est souvent ce modèle belge qui est présenté comme celui devant inspirer la France.


I – L’analyse de la pratique au vu des trois objectifs fixés par la loi belge

 

La volonté du législateur belge en mettant en place la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie était triple :

 

  • Supprimer les euthanasies clandestines ;
  • Réserver aux seuls médecins la pratique des euthanasies ;
  • Garantir la mise en œuvre de la volonté du patient.

 

 

La loi a-t-elle supprimé les euthanasies clandestines ?

 

Les euthanasies clandestines (au sens d’injections pratiquées dans le but de provoquer la mort en dehors du cadre légal) semblent loin d’avoir disparu selon les témoignages des professionnels. Aucun de ceux-ci n’affirme d’ailleurs que ces pratiques n’existent pas, confirmant les données de la littérature, même si certains y voient un problème, quand d’autres pondèrent l’importance de ces pratiques illégales.

 

 

Certains interlocuteurs indiquent que ces pratiques existent mais leurs semblent moins fréquentes.

 

« Pour les euthanasies clandestines, non elles n’ont pas disparu, mais elles sont en diminution. Certaines sont pratiquées de manière tout à fait « sauvage » sans se référer ni à la législation ni à une procédure bien définie ».

« Les euthanasies clandestines sont risquées pour le médecin, puisqu’il peut être dénoncé par un proche et /ou un soignant ; et comme les infirmières de soins doivent participer à la réflexion par rapport à la demande, elles sont rarement enclines à couvrir les médecins qui ne respectent pas la loi. Par contre, comme la loi est exigeante, qu’elle demande du temps, certains médecins préfèrent accélérer la fin de vie, ou sédater le patient dés qu’il le demande. Mais ces pratiques sont en diminution. »

« La législation ne semble pas avoir réellement mis fin aux euthanasies clandestines. »

 « La question des euthanasies clandestines est secondaire. Il en existe toujours probablement mais si la légalisation a permis que certaines se fassent dans la légalité, et pas en cachette comme avant. C’est déjà très important. Ca prouve que ça peut se faire de façon correcte. Mais ça n’a pas changé le monde. Des euthanasies clandestines ça se fait encore bien sûr, pour éviter des papiers notamment. »

 « Les infirmières du domicile rapportent des pratiques qui les choquent comme l’augmentation des doses de morphiniques non justifiée par l’état du patient. Ces pratiques existent, sont difficiles à chiffrer. »

 « Je ne pourrais pas les chiffrer, je ne sais pas s’il y en a moins mais je me demande si elles ne sont pas devenues « normales » vu la désinformation médiatique qui parle d’un « droit » à l’euthanasie, en banalisant la chose, en éludant la réflexion autour de cette question éthique. »

 

 

Il existe une subtilité importante qui doit être comprise pour décrypter les propos des professionnels de santé belges. Certains ne qualifient du terme d’euthanasie que les pratiques d’injections létales répondant aux critères de l’article 2 de la loi. Toutes les «euthanasies» (comprises avec ce sens restrictif) sont donc par définition légales. Par contre toutes les injections létales ne sont pas légales. Ils parlent alors «d’accélération» ou de « mort donnée ». Il faut donc faire la différence entre ce qui est qualifié d’euthanasie, forcément légal, qui respecte la volonté exprimée du patient et les «dons de mort», pratiques illégales consistant à administrer une substance dans le but d’accélérer la survenue d’une mort proche sans volonté explicite du patient (Les études publiées semblent indiquer un rapport d’environ 1 contre 1 entre les 2 pratiques en Belgique[2]).

 

« Les médecins qui pratiquent l’accélération (augmentation progressive des antalgiques et/ou benzodiazépines pour des patients en fin de vie sans indication de soulagement avec intention de précipiter le décès, souvent avec l’argument que ce temps du mourir ne sert à rien et est éprouvant pour les familles et qu’il vaut mieux « déconnecter » ces malades) estiment, à tort, qu’il ne s’agit pas vraiment d’euthanasie. »

« Les situations de fin de vie dans des situations dramatiques où les doses sont un peu augmentées ne font pas partie à mon sens d’une euthanasie réelle au sens commun du terme. »

« Bien sûr qu’il existe toujours des « morts données » hors la loi et celles là, le plus souvent sans réelle demande du patient (on ne peut dès lors parler d’euthanasie selon les Arrêtés Royaux belges : euthanasie : « acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle –ci »). Je n’ai pas de chiffre à donner mais ces pratiques sont régulières. »

« Les partisans de l’euthanasie ont depuis la légalisation en 2002, établi des statistiques très précises sur le taux de « mort naturelle par euthanasie ». Les courbes ne démontrent pas un nombre croissants exorbitants d’une année à l’autre. D’autre part, la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’euthanasie affirme avec certitude que dans les dossiers reçus, aucune euthanasie n’a été pratiquée en dehors du cadre stricte de la loi. »

« La Commission fédérale de contrôle n’étudie les dossiers de demandes d’euthanasie qu’après la pratique de l’euthanasie. En effet, le médecin est tenu d’envoyer le dossier dans les trois jours qui suivent le décès de la personne. Ainsi, on peut imaginer que seuls les médecins pratiquant des euthanasies dans le cadre de la loi envoient leurs dossiers. »

 

« Ma pratique en Belgique a commencé dans une clinique privée où la vigilance et la qualité de réflexion des soignants sont mises à mal pour des raisons économiques évidentes. Ainsi, les premières euthanasies auxquelles j’ai assisté m’ont personnellement choquée : demande de la famille et non du patient, injection de potassium pendant la nuit, euthanasies en urgence dans un contexte de stress et de crise, euthanasie à la carte de personnes arrivant le matin inconnues par l’équipe soignante. Donc oui, les euthanasies ou meurtre par compassion ou économique existent. Mais rien ne les prouve, donc aucune estimation possible. »

 

 

La loi a-t-elle supprimé la pratique des euthanasies par des non-médecins ?

 

Certains de nos interlocuteurs affirment qu’ils n’ont pas connaissance de l’existence de telles pratiques, illégales pour la loi belge ou n’en ont pas été les témoins directs.

 

« L’injection létale, à ma connaissance, est toujours réalisée par le médecin. Mais pas toujours par le médecin qui s’est engagé auprès du patient. »

« Certainement pas là où les équipes de soins palliatifs sont présentes, et pas non plus dans les hôpitaux. La loi est claire, l’enfreindre est risqué ! »

« L’injection létale ne devrait jamais être pratiquée par du personnel infirmier mais il est très possible que ce soit quand même le cas. »

« J’ai lu des choses dans la presse mais c’est hors cadre légal. Il semble que dans certaines maisons de retraite des infirmières aient pratiqué des injections létales. Pour moi ce n’est pas de l’euthanasie, c’est un crime. »

 

 

Mais une majorité, notamment du côté des infirmières, confirme cet état de fait, déjà relevé dans la littérature[3].

 

« C’est au médecin de le faire, moi, en tant qu’infirmière, je refuse de le faire. Mais cela a déjà eu lieu bien sûr. »

« C’est interdit et les confrères prennent, ici, leurs responsabilités. Pour les « dons de mort » (accélération de la survenue du décès par injection létale en dehors d’une demande explicite du patient du fait de son état), c’est souvent l’infirmière qui pose la perfusion. »

« Tout dépend de l’endroit où vous travaillez. Lorsqu’une équipe soudée, intelligente, formée, en aucun cas le personnel infirmier ne pratique l’injection. En revanche, dans d’autres lieux, j’ai vu des collègues accéder à des ordres médicaux engageant leur responsabilité dans la pratique létale. Cela est inacceptable dans le cadre de la loi. »

 « Une collègue infirmière stagiaire m’a raconté comment dans un établissement, elle avait été envoyée pratiquer l’injection du fameux « cocktail » sans le savoir. Voila un exemple très concret de procédure d’euthanasie mal encadrée conduisant à une destruction psychologique de certains stagiaires et soignants. »

 

 

La volonté des patients est-elle respectée ?

 

Le dispositif permettant de respecter la volonté du patient quand celui-ci n’est plus en capacité de l’exprimer est peu utilisé (déclaration anticipée du patient, personne de confiance ou mandataire). En fait la demande est alors souvent le fait des proches. Pour les patients conscients, la vérification du caractère réitéré de la volonté du patient ne semble pas toujours assurée.

 

 « La volonté de la personne dans sa déclaration anticipée ainsi que la consultation de la personne de confiance, seront réalisées par les personnes qui suivent la loi et qui de ce fait sont obligées de remplir un questionnaire précis qui est adressé à la Commission de Surveillance. En ce cas en général, tous les éléments préconisés sont, je le pense et le souhaite, honnêtement colligés. »

« Les euthanasies pratiquées dans le cadre de la déclaration anticipée sont très peu nombreuses (cf. les rapports), elles concernent des réanimateurs puisque la personne doit être inconsciente. La grande majorité des demandes sont le fait de personnes conscientes, arrivées au terme de leur vie à cause de maladies (cancers ou maladies neurologiques le plus souvent). »

« Je crois que oui, la volonté de la personne est respectée mais elle est souvent mal comprise par les proches/certains collègues : un cas où la personne est arrivée consciente, donc hors contexte et où elle n’a pas souhaité qu’on l’euthanasie car elle était confortable et qu’on n’a pas fait de traitements qu’elle ne souhaitait plus (famille informée et soutenant son projet de soin) : médecin traitant nous a accusé à tort de non respect) ; une autre arrivée aux urgences comateuse suite à un accident routier : avant toute prise en charge, la famille a exigé l’euthanasie (qui ne s’est pas faite mais conflits). »

« La réponse faite par le premier médecin auquel le patient demande « la piqûre » me semble déterminante pour l’évolution de cette demande et je rencontre trop peu de médecins qui écoutent, analysent cette demande…La majorité apporte une réponse immédiate « oui ou non » justifiée par leur propre position « pour ou contre »…Et le patient est nié, sa demande non entendue et surtout sa souffrance derrière cette demande est ignorée… Alors, soit le patient se « braque » et exige à tout prix « la piqûre »; soit il trouve une autre personne qui saura l’entendre….mais la relation qu’il établira avec cette personne restera marquée par la première réponse… »

« A mon avis, la volonté de la personne n’est pas toujours respectée. La déclaration anticipée est valable pour 5 ans. Il faudrait que le patient auteur d’une déclaration anticipée convienne, avec un médecin qui accepte de faire l’euthanasie, des conditions dans les quelles il souhaite cette euthanasie. Il est difficile d’exiger d’un médecin, qui ne connaît pas le patient, de faire ce geste à froid, sans connaître les antécédents de ce patient. Qui, de plus, aura pu changer d’avis. L’entourage fait souvent pression sur le personnel de soins, pour activer les choses. L’acte d’euthanasie n’est pas une urgence : mais, soulager le patient, de sa douleur, de sa dyspnée, de n’importe quel autre symptôme, ça, c’est une urgence. Je me suis trouvée devant la situation suivante : une patiente m’est envoyée pour soins palliatifs, et prise en charge de fin de vie, d’un cancer évolué. La patiente est inconsciente, paisible. Elle sort d’un service d’oncologie, où elle a encore subi un nouveau traitement oncologique ! Après 48h dans notre unité, le mari apporte une déclaration anticipée d’euthanasie, signée 3 ans auparavant ! La personne de confiance inscrite sur la déclaration se contente de prendre contact par téléphone. La patiente était inconsciente, mais calme, elle est décédée 48h plus tard, sans euthanasie, et peut être sans que ses volontés n’aient été respectées. »

« Lorsqu’une lettre de déclaration anticipée est déposée à la commune (mairie) et que le médecin connaît bien son patient et ses volontés, enfin lorsque l’entourage proche est au clair par rapport à cela, la plupart du temps les déclarations anticipées sont respectées. Par ailleurs, nous avons été confrontés à des situations où la famille n’est pas en accord ou au courant des décisions du patient, ou bien le médecin n’est pas à l’aise ou opposé à la pratique de l’euthanasie. Dans ces cas là, d’autant plus que la personne n’est plus en état d’exprimer ses désirs, nous ne pouvons pas contrôler le respect des ses droit. En ce qui concerne la personne de confiance, cette notion est encore à débattre, nous sommes en train de réfléchir là-dessus car elle ne semble pas claire et mal définie. »

« Disons que les euthanasies ne se font pas toujours dans le cadre de la loi : dans certains cas : pas forcément d’accord clair du patient, ex : proposition par le médecin traitant à un patient âgé (non demandeur !!) de l’euthanasier, pas toujours de réel 2ème avis médical, patients non en mesure de s’exprimer avec demande de la famille et non de déclaration anticipée/personne de confiance, ou exprimé une fois seulement, décision rapide. »

« Il s’agit parfois d’une demande de la famille quand la personne n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, pas forcément de la personne de confiance. »

 


II – Les autres éléments d’analyse de la pratique belge de l’euthanasie

 

La loi a-t-elle modifié les pratiques d’acharnement thérapeutique ?

 

 

Le refus de toute obstination déraisonnable est souvent le fondement de la prise de position favorable à une légalisation de « l’euthanasie ». Il est donc intéressant de savoir si effectivement les pratiques d’acharnement thérapeutique ont diminué après la mise en œuvre de la loi. Il semble qu’il n’en soit rien. Au contraire même. Une des infirmières interrogées explique qu’initialement opposée au vote de la loi, elle considère aujourd’hui que l’euthanasie est la seule façon pour les patients d’échapper aux pratiques médicales déraisonnables et au manque de formation à l’accompagnement de la fin de vie.

 

« L’acharnement thérapeutique est toujours présent, car à mon sens les médecins n’ont pas compris ce que c’était. D’ailleurs c’est parfois difficile à définir clairement dans certaines situations cliniques. Donc ils le pratiquent sans réelle conscience d’en faire. Ils ne font pas le lien avec l’euthanasie, ça n’a rien changé. »

« Les patients souffrant de maladies neuro-dégénératives se voient proposer la mise en place d’une gastrostomie, d’une aide respiratoire, d’une trachéotomie, puis d’un respirateur, sans autre choix que d’accepter tous ces soins, jusqu’au bout. Quand doit-on parler d’obstination déraisonnable ? Si on ne propose des conditions correctes d’accueil aux patients qui refusent ce qui est programmé, ces patients n’ont souvent d’autres choix que de l’accepter, et s’assurer qu’une euthanasie pourra être pratiquée, quand ils n’en pourront plus. Mais l’alternative à ces traitements est rarement discutée avec le patient. »

« L’obstination déraisonnable persiste à grande échelle; ponctuellement, les équipes de soins palliatifs travaillent à la limiter; ce sont elles les moteurs de la philosophie de désescalade thérapeutique. C’est l’acharnement qui a souvent pour corollaire une demande d’euthanasie. »

« L’acharnement thérapeutique est une question bien au-delà de l’euthanasie. Il est une question à part entière. Je ne pense pas que l’obstination déraisonnable ait diminuée depuis 2002. »

« Les acharnements se portent toujours aussi bien. J’entends les commentaires des infirmières qui travaillent dans tous les services possibles, je donne quantité de formations dans les maisons de repos et la litanie est toujours la même : les médecins n’ont aucune formation, ne se forment pas, ne donnent pas d’antalgiques ou pas les bons, s’acharnent, n’écoutent ni les patients ni les soignants. Quand on met la charrue avant les bœufs : quand on donne une solution «facile» pour en finir avec une situation ingérable à des médecins qui ne savent pas quoi faire d’autre, l’euthanasie est une réponse évidente et elle devient une demande normale des patients qui ne veulent plus finir à petits feux en souffrant. Je n’ai été témoin que de deux demandes d’euthanasie mais j’ai bien compris les patientes qui malgré cela n’ont bénéficié que d’un acharnement de la part des médecins : alors, oui ma position n’est plus la même, mes certitudes se sont envolées, et comme ces patientes, je ne suis pas prête à souffrir pour rien… »

« La fin de l’acharnement? Non ! J’ai l’impression que ce sont les mêmes qui s’acharnent et qui euthanasient : ils restent dans le contrôle, le « faire », le pouvoir sur la vie, la mort, l’autre…. Je ne constate aucune diminution de l’acharnement, bien au contraire… »

 

 

Quels sont les impacts psychologiques de l’euthanasie pour les professionnels de santé impliqués ?

 

Aucune des personnes interviewées ne conteste l’impact parfois important des pratiques d’euthanasie sur elles-mêmes et sur leur rapport au soin. Ce point, peu étudié, mériterait d’ailleurs une plus vaste exploration. Il apparaît clairement que c’est une expérience psychiquement complexe, qui pèse lourdement sur les praticiens.

 

« Dans les médecins, il y en a pas mal pour lesquels cette démarche est très difficile mais d’autres pour lesquels cela ne pose aucun problème. »

« Certains soignants vivent très mal le fait qu’une euthanasie puisse être pratiquée dans leur unité de travail. »

« J’ai eu connaissance d’impacts psychologiques néfastes, notamment par une infirmière libérale qui n’était pas forcément à l’aise avec la question. Mais on a l’impression que s’est passé dans les mœurs et que chaque soignant subit (ou ne subit pas) sans rien dire. »

« C’est une loi qui demande du temps, de la réflexion éthique si on ne veut pas être mal. Les soignants, comme les médecins, ne sont jamais obligés de participer à un acte d’euthanasie. »

« Je rencontre des médecins qui acceptent et peut-être plus qui refusent ou qui ont peur et fuient… »

« Dans ma pratique, je constate que les médecins traitants, généralistes du domicile, oncologues ou neurologues qui connaissent leur patient de longue date sont sensibles à la souffrance de leur patient, ils ne le laissent pas tomber. Et ils demandent plutôt le soutien de leurs collègues pour vivre cet acte le moins difficilement possible, en respectant leur patient et en prenant soin d’eux aussi (faire l’acte en fin de journée, jamais seul, en parler…). »

« C’est compliqué sur le plan émotionnel. Moi je le fais pas souvent, mais quand je le fais, après, je ne suis pas bien. Je suis dans un état particulier, paisible, planant. Ça dure 2 ou 3 jours. Je le vis assez difficilement. Ça a des répercussions sur moi, il y a des implications personnelles. Si je ne me sens pas bien, je ne le fais pas de toute façon. »

« Bien sûr: personne ne sort intact d’un tel acte; a fortiori s’il se répète. La « souffrance » des soignants prend souvent, ici, tout son sens; j’ai reçu des témoignages poignants. La dépénalisation de l’euthanasie a clairement fait bouger les limites et va encore les faire bouger dans des domaines parfois moins soupçonnés, comme le don d’organe. »

« Cette expérience, au total très difficile et pénible dans le contexte d’une éthique narrative, a permis de fédérer pas mal de personnes et ce, dans une mesure absolument parfaitement inimaginable et également de pouvoir supporter cette démarche qui pour moi reste très difficile et angoissante. »

« L’objection de conscience ou la clause de conscience doit être respectée. Mais ils ont l’obligation d’envoyer les patients chez un médecin en accord avec la pratique de l’euthanasie. Dans la pratique même si la loi a été votée en 2002, beaucoup de médecins ignorent ou du moins ne savent pas comment cela se passe. Nous sommes alors confrontés à des médecins spécialisés ou étiquetés ‘Dr euthanasie’. En cas de refus de pratiquer l’euthanasie, on peut imaginer la difficulté et pour le médecin de famille et pour le patient de rompre cette relation de confiance, ainsi que sur la crédibilité de la médecine en générale : il y a les bons médecins d’un côté et les mauvais de l’autre. Certains médecins et en particulier les généralistes perçoivent nettement des pressions dans un phénomène de culpabilité. Notamment par les dénonciations des militants de l’ADMD qui pointe dans leurs journaux semestriels (magasine Kaïros) les mauvaises pratiques de certains médecins. »

« Il n’y a aucune étude faite sur le sujet. En revanche il est évident qu’une euthanasie n’est pas une pratique anodine, qu’elle implique des émotions violentes, plus ou moins fortes selon l’attachement ou le lien crée avec la personne. »

« J’ai constaté et accompagné la grande souffrance psychologique tant des médecins que des soignants confrontés ou auteurs de cet acte, avec souvent une mise à distance encore plus grande ou une fuite. »

« Il y a eu beaucoup de souffrance infirmier(e) dans l’accompagnement des patients entrant dans leur service pour être euthanasiés: la décision d’hospitaliser était médicale et prise sans concertation avec les soignants. »

« J’ai une collègue qui était psychologiquement très mal et incapable d’assumer mais qui se sentait obligée de dire oui (pas d’objection de conscience mais fragilité émotionnelle personnelle non respectée : haut risque de décompensation psy). »

« La conséquence de ce passage à l’acte euthanasique reste pénible pour la majorité, malgré l’aide solidaire de confrères choisis. »

 

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

 

La variété des actes tels qu’exposés indique probablement une absence d’unicité des pratiques, y compris sur la procédure pharmacologique, laissée à l’appréciation du médecin, alors même que la moitié des procédures sont effectuées par des généralistes au domicile.

 

« Il existe des kit d’euthanasie en pharmacie pour la pratique des euthanasies à domicile, ou en maison de retraite. »

« Quand l’acte d’euthanasie a été décidé, une date est fixée, en accord avec le patient. Le patient décide des personnes qu’il souhaite ou non, auprès de lui. Les membres de l’équipe de soins qui le souhaitent, et qui sont acceptés par le patient sont présents. On ne peut obliger un soignant à participer. Le médecin qui a accepté l’acte, doit le réaliser lui même, et rester présent à côté du patient jusqu’au décès. La perfusion peut être placée par l’infirmière, mais c’est le médecin qui injecte les produits. (DormicumÒ 15mg IV, pour endormir le patient, puis DiprivanÒ à 2 %, puis NimbexÒ[4]). La déclaration de décès est une déclaration de mort ‘naturelle’. »

« Les euthanasies autorisées par la loi sont effectuées soit à domicile soit en milieu hospitalier. Il existe sur le net une « recette » concernant cette euthanasie dont l’auteur est le Docteur LOSSIGNOL à Bruxelles[5]. Il faut savoir que les curarisants qui sont préconisés ne sont disponibles qu’en milieu hospitalier… »

« La commission fédérale de contrôle de la loi et les instances professionnelles médicales et pharmaceutiques se sont mises d’accord sur une procédure : injection en IV, par le médecin, d’une substance sédative, souvent d’abord le MidazolamÒ puis du PhénobarbitalÒ[6] pour endormir profondément le patient ; puis injection d’une substance curarisante, toujours par le médecin. Parfois une infirmière est présente, parfois un autre collègue (le 2ème médecin de la loi parfois) et toujours un proche. »

« Plusieurs fois, le patient avait demandé au médecin « vous n’avez pas su me guérir (ou vous avez fait telle erreur), alors vous devez me donner l’euthanasie »…et j’ai constaté que le médecin n’avait pas remis en question cet « ordre » déguisé… et s’est engagé à le faire comme pour réparer ses erreurs ou son impuissance. »

« En principe il y a un délai d’un mois, entre la demande et l’euthanasie, mais parfois on va plus vite. C’est le médecin qui juge, aussi en fonction du malade. Si on a une détresse respiratoire, on n’attend pas un mois, on pratique l’euthanasie dès que possible. »

« Cet acte est parfois pratiqué à la sauvette en exercice libéral en en parlant un peu à un confrère, notamment dans les maisons de retraite : pas forcément considéré comme un problème sérieux, à mon sens un peu banalisé. »

 

 

Comment est apprécié le critère légal de la souffrance psychique ?

 

Il ne semble pas exister de méthodes communes, de grille de lecture objective pour apprécier ce critère autorisé par la loi, permettant la mise en œuvre d’une euthanasie. Dès lors la notion de souffrance psychique est appréciée de façon différente selon les cas.

 

« C’est évidemment toute la difficulté que d’apprécier la souffrance psychique. L’équipe de soins partage ses impressions sur le patient. Un avis est toujours demandé au psychiatre de notre hôpital. Il faut identifier une dépression sous-jacente. Il faut s’assurer que le patient reçoive tous les traitements dont il a besoin : antidépresseurs, anxiolytiques. Les questions font débat : est-il normal ou non, d’être anxieux, ou triste quand on va mourir ? Quand la souffrance devient-elle, une souffrance psychique inapaisable ? »

« Constante, inapaisable, insupportable. Mais ne doit pas être le résultat d’un état dépressif majeur. Elle doit être liée à une maladie incurable. Les personnes ayant essayé de se suicider ou qui ont des idées morbides, mortuaires, n’entrant pas dans un contexte de chronicité d’une maladie incurable n’ont pas accès à la pratique de l’euthanasie. Un psychologue, voir psychiatre peut évaluer la personne. »

« Nous faisons toujours intervenir, en soins palliatifs, en plus des infirmières et des médecins, le psychologue qui atteste de cette souffrance et surtout de l’impossibilité de la faire diminuer par un travail de soutien thérapeutique. Si le psychologue estime qu’il faut attendre, laisser du temps encore, nous essayons alors d demander une hospitalisation dans une unité de SP. Si le décès n’est pas attendu à brève échéance (insuffisance cardiaque, maladie neurologique..), c’et un psychiatre qui doit être consulté en plus. »

 « La souffrance psychique est évidemment un critère très subjectif et il reste des médecins pour lesquels la souffrance est une des conditions de la nature humaine avec tout ce que cela peut comporter comme comportement et dérives. »

« C’est très subjectif : avant, on aurait accompagné, mais maintenant si le patient rejette tout y compris l’accompagnement/dialogue, on ne peut rien faire. »

« Subjectivement. De toute façon, le médecin n’est pas là pour donner son avis (jugement) mais pour bien s’assurer qu’il n’y a pas d’autre solution que celle demandée par le patient. »

 

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation obligatoire d’un second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

L’avis d’un second médecin semble être demandé selon des méthodes variables, y compris simplement sur dossier. Il ne s’agit pas ici de l’avis du médecin sollicité quand la mort n’est pas inéluctable à court terme et qui doit être un psychiatre ou un spécialiste de la pathologie concernée. Il s’agit du médecin qui doit, dans tous les cas, être consulté obligatoirement pour confirmer le caractère grave et incurable de l’affection.

 

« Dans notre unité, nous demandons avis à un cancérologue, (aux termes de la Loi, il faut demander l’avis d’un médecin spécialiste de l’affection dont souffre le patient). »

« La consultation du second médecin indépendant du médecin traitant peut être aussi singulièrement banalisée ou tronquée ; des documents arrivant uniquement pour justifier telle pratique alors qu’ils sont un peu éloignés de la situation en cause. »

 

« Elle est obligatoire pour toutes les euthanasies. Il y a un pôle d’aide, de conseils « End Of Life » qui conseille les médecins dans la pratique mais donne aussi une liste des médecins référents. »

 

« Dans les hôpitaux, ce sont souvent les psychiatres qui acceptent ce rôle ; à domicile, un certain nombre de médecins, formés en soins palliatifs, et notamment moi même, médecin de l’équipe du domicile, ces médecins acceptent de se rendre au domicile du patient pour écouter la demande, en discuter, à la demande du médecin traitant. »

« Le second médecin consulte le dossier et donne son avis. Pour ma pratique c’est souvent un oncologue qui confirme le caractère incurable du patient. Il ne le voit pas toujours le patient, mais répond en consultant le dossier. Moi j’accepte qu’il ne vienne pas. Parfois il vient voir le patient, parfois non. »

 

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

L’appréciation de ce critère semble pour nos interlocuteurs, comme le critère sur la souffrance psychique, varier largement selon les cas.

 

« Cela doit être inscrit dans le dossier envoyé à la Commission fédérale de contrôle. »

« Il n’y a pas de vérification. La réalité du terrain c’est qu’on fait le point sur l’histoire de la maladie, on fait ce qu’on peut pour qu’il soit confortable. Si la demande d’euthanasie persiste on est amené à faire l’euthanasie. Le dialogue et le suivi permettent d’en discuter ensemble. »

« Il n’y pas de vérification, à ma connaissance. A domicile, si il y a possibilité d’organiser des soins palliatifs auprès du patient, la réussite de l’entreprise dépend de la volonté de collaboration du médecin traitant, de sa disponibilité, et beaucoup, beaucoup de la collaboration des proches : il faut assurer les gardes de nuits (très difficiles de trouver des gardes, et très cher : 70 € la nuit), l’accueil des soignants, et assumer toutes les émotions de la perte d’un proche. 12 lits, pour 300 000 habitants, ne permettent pas d’accueillir tous les patients qui le souhaiteraient. Enfin, Soins palliatifs et Euthanasie sont parfois synonymes dans l’esprit du public : il faut encore beaucoup expliquer. »

« Le problème dans les demandes d’euthanasies pour lesquelles je suis intervenue comme infirmière de soins palliatifs était la façon dont le médecin qui avait donné son accord pour l’acte semblait présenter la venue des autres intervenants comme une obligation pour qu’il puisse poser l’acte …avec la conséquence que je rencontrais des patients qui me disaient « qu’est ce que je dois vous dire pour avoir droit? » et donc la rencontre, la relation avec ce patient m’est toujours apparue comme faussée, biaisée, impossible à « ouvrir » à une rencontre vraie… »

 « Il y a des euthanasies dans le service d’à côté, l’équipe mobile de Soins Palliatifs n’est pas vraiment consultée en général, et si elle est consultée, elle n’est pas forcément entendue (parfois il suffit que le patient dise qu’il en a assez de vivre, pour que l’on considère qu’il s’agit d’une demande d’euthanasie). »

 

 

Le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle 

 

Il est spectaculaire de prendre acte de la grande confiance faite majoritairement à cette commission, qui n’a jamais relevé aucune anomalie – autre que de pure forme – sur plus de 3 000 déclarations. Ce « zero default » affiché et cet unanimisme éveillent tout de même des doutes chez plusieurs professionnels.

 

« A ce jour, aucun dossier n’a fait l’objet de poursuite a posteriori. Je pense que, seulement quelques dossiers ont fait l’objet d’une demande de renseignements complémentaires. Je n’ai pas d’avis formel sur le fonctionnement de cette Commission, sauf, que chacun de ses membres me semble favorable à l’euthanasie. »

« La commission fédérale de contrôle, pour ce que je puis en savoir (en raison de la qualité des personnes qui y siègent), fonctionne correctement et en toute indépendance. »

« Persistance de l’idéologie du « droit à mourir » majoritaire dans le groupe. Impact dans la lecture des situations qu’elle considère systématiquement comme ‘dans le cadre de la loi. »

« Il y règne, clairement, une quasi unanimité qui pourrait être suspecte. »

« Vu la diversité des personnes présentes, j’ai tendance à leur faire confiance, et cela fait assez peur aux médecins de remplir le formulaire après, cela décourage certains qui préfèrent encore les pratiques clandestines de sédation et d’accélération ! »

« J’ai un regard de confiance. Aucune anomalie n’a été détectée depuis la mise en œuvre dans les cas déclarés à la commission. Ils n’ont jamais été obligés d’interroger directement le médecin qui a fait la déclaration. Mais je leur fais confiance. »

« Quel regard je porte sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle? Ironique. Il est illusoire de penser qu’elle peut garder un semblant d’objectivité et de crédibilité par rapport au contrôle. Sa composition laisse également à désirer. »

 

 

Jugement global ou remarques supplémentaires 

 

Certaines réponses à cette dernière question, ouverte, permettent de prendre conscience de la complexité de l’impact de la loi sur les pratiques en soins palliatifs. Une des infirmières témoigne de son changement d’avis sur la question, en constatant que face à la poursuite de l’acharnement thérapeutique et à l’absence de formation des médecins dans certains services, l’euthanasie apparaît aujourd’hui pour elle, comme la moins mauvaise réponse, faute de modifier les pratiques médicales défaillantes.

 

« Je pense que cette Loi sur la dépénalisation de l’euthanasie a été bien faite : le législateur a placé des gardes fous, prévu un délai ‘raisonnable’, pensé à interroger l’équipe de soins, demandé d’expliquer aux patients les soins palliatifs. Mais, je regrette que des patients demandent l’euthanasie,

  • parce que leur traitement antalgique est mal conduit ;
  • parce que les symptômes ne sont pas correctement pris en charge ;
  • parce que les patients n’ont pas accès aux soins palliatifs (manque de lits, temps de séjour limité à 28 jours) ;
  • parce que leur dignité n’est pas respectée en maison de repos (les normes prévoient 1 seule veilleuse pour 60 lits, en maison de repos…) ;
  • parce qu’il y a peu de place en maison de repos, pour les gens âgés de moins de 60 ans ;
  • parce que les maisons de repos sont impayables, et les soins aussi ;
  • parce que notre société a peu de tolérance pour les plus faibles : combien de fois entendons-nous, « à quoi, ça sert ? » ;
  • parce que, à l’approche des périodes de vacances ou de fêtes de fin d’année, on manque cruellement de soignants pour garder des patients au domicile. »

 

« J’ai rencontré des patients qui m’ont demandé une euthanasie par ce que je ne pouvais pas les garder en unité de soins palliatifs. »

« Personnellement, j’ai souhaité que des patients atteints de tumeurs évoluées de la face me demandent une euthanasie, mais ils ne l’ont jamais fait. Il m’est par contre difficile d’entendre une demande d’euthanasie que le patient justifie par la souffrance, tout à fait respectable, de devoir quitter son domicile, son entourage, ce qu’il aime, pour vivre en maison de repos. J’ai envie alors de rappeler des notions de solidarité familiale, sociale, de faire appel à l’imagination, mais je n’ai pas le droit d’imposer mes propres valeurs. C’est parfois bien difficile. »

« Je ne revendique donc pas ce type de pratique comme quelque chose de banal mais la loi permet curieusement des pratiques intéressantes et paradoxales. J’espère avoir répondu à vos attentes ainsi mais vous comprendrez qu’il s’agit d’un sujet qui est toujours délicats et/ou très s difficile même d’en parler sans parti pris et émotion dans la mesure où nous restons des soignants. »

«Je me suis battue contre l’euthanasie il y a dix ans, mais depuis, j’ai changé d’avis parce que je travaille dans une institution où les soins ne sont pas de qualité et où tout le monde s’en fout. »

« Un seul conseil : résistez ! »

« La loi va être modifiée. Une commission travaille sur les propositions d’élargissement. Le vote reste à venir. Par exemple sur la sanction financière ou non pour les établissements (par exemple catholiques) qui refusent de pratiquer l’euthanasie En fait à mon avis il n’y aura pas de sanctions au final. Par contre la loi devrait obliger qu’on propose au malade un contact avec des médecins d’accord pour pratiquer l’euthanasie. Ce qui se fait en Hollande est une piste : création d’équipes mobiles venant pratiquer l’euthanasie si le médecin s’y refuse. Je pense que la Belgique va adopter des mesures semblables. Moi j’ai beaucoup évolué sur ces questions. Au départ j’étais très réservé mais des situations m’ont fait réfléchir. Par exemple ce patient qui m’avait demandé l’euthanasie que j’avais refusé car sa situation ne me paraissait pas correspondre. Il est sorti du service et le lendemain il s’est tiré une balle dans la tète. Il s’est raté et je l’ai repris dans le service dans une situation abominable. Un autre cas m’a fait réfléchir : j’ai eu à m’occuper d’un jeune homme qui a fait une tentative de suicide par pendaison. Suite à l’hypoxie cérébrale il est resté gravement atteint. Je l’ai suivi 2 ans dans un état pauci relationnel avec une souffrance terrible. Je me dis que s’il était venu me voir la veille de son suicide en me demandant l’euthanasie, je l’aurais fait … »

« Pour le moment la loi n’autorise pas la pratique de l’euthanasie pour des personnes mineures (contrairement à la Hollande) mais les groupes de pression s’engage aussi dans ce domaine là pour élargir le champ des possibilités à des personnes mineures responsables. Le médecin de la structure dans laquelle je travaille a déjà pratiqué l’euthanasie sur une personne mineure. »

« Le plus gros problème pour moi c’est cette désinformation, banalisation médiatique et autre… les « gens » pensent vraiment qu’ils ont maintenant « droit » à l’euthanasie et les familles pensent qu’elles peuvent l’exiger pour un de leur proche…. Pour moi-même, dans l’état actuel des choses, je ne souhaite pas être euthanasiée et j’ai prévenu mes proches que je ne ferais pas ce genre de demande pour eux, que je ne voulais pas y participer. Par contre, j’ai rédigé un acte avec mes volontés précises de non acharnement et de demande de soins de confort et avec le désir que ma mort reste quelque chose qui m’appartienne et qui n’oblige ni mes proches ni un médecin et des soignants à pratiquer un acte aussi important et toujours extrêmement source de souffrance pour chacun. »

« Je travaille depuis plusieurs années dans une unité qui pratique les euthanasies ce qui me pousse dans mes réflexions personnelles et me donne l’opportunité d’exercer mon jugement. Il est souvent difficile pour moi de travailler dans ce service, car je suis profondément convaincue au fil de mon expérience de la non-nécessité de légaliser l’euthanasie. »


Conclusions

 

Plusieurs conclusions ressortent clairement de cette enquête :

 

• L’objectif principal assigné à la législation belge n’a pas été atteint : elle n’a pas mis fin aux euthanasies clandestines. D’autres que des médecins sont toujours impliqués dans la réalisation d’injections létales (donc hors cadre légal, ce qui rejoint le premier point). Des infirmières, voire des stagiaires ont pu en être chargées. La volonté de la personne n’est pas systématiquement prise en compte.

 

• La législation belge n’a pas fait échec à l’acharnement thérapeutique, qui reste une réalité forte et qui peut même être la principale justification de la demande d’euthanasie.

 

• La procédure qu’édicte cette législation n’est pas toujours respectée ; le second médecin consulté peut statuer simplement sur dossier sans voir le patient; on ne peut pas s’assurer que l’obligation d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs soit remplie ; la notion de souffrance psychique peut être appréciée de manière très différente.

 

• Le contrôle de l’application de la loi éveille des doutes. Officiellement les 3 451 euthanasies pratiquées entre 2002 et 2009 ont été entièrement conformes à la loi. Cependant plusieurs professionnels s’interrogent sur le fonctionnement d’une institution de 16 personnes où semble régner une quasi unanimité. Cela conduit à se poser des questions sur l’efficacité d’un contrôle, qui dans un domaine aussi complexe, ne constate aucune méconnaissance de la loi, alors que les témoignages recueillis montrent l’inverse.


Annexe 1 : questionnaire adressé à des équipes de soins palliatifs belges

 

  1. La légalisation de l’euthanasie en Belgique a–t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?
  2. Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?
  3. La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?
  4. Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique ?
  5. Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?
  6. Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?
  7. Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?
  8. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?
  9. L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

10.Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

11.Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

12.Quel regard portez vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

13.Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

14.Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?


Annexe 2 : Les quatre réponses non exploitables

 

 

Une réponse d’un chef de service soins intensifs

 

« J’ai pris connaissance de votre demande d’information par les médecins travaillant en soins palliatifs sur l’application de la loi sur l’euthanasie en Belgique, en espérant recevoir de leur part de nombreux exemples de dérives. Je crains bien que je ne vais pas par un simple message modifier votre manière de voir les choses. Votre questionnaire démontre pourtant une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique. Depuis dix ans que la loi existe les esprits ont évolués substantiellement et surtout parmi beaucoup de médecins confrontés à des demandes d’euthanasie et travaillant en soins palliatifs. Beaucoup d’euthanasies sont effectuées dans des unités de soins palliatifs ou après que les patients demandeurs aient été pris en charge par des médecins spécialistes en soins palliatifs. Au moins une déclaration sur deux envoyée à la commission d’évaluation mentionne la participation de structures palliatives à la prise en charge du patient, à la décision et à l’application du geste euthanasique. L’euthanasie, comme le prévoit la loi, est un acte qui ne se fait qu’à l’initiative du patient, dans le cadre d’un suivi thérapeutique au long cours et suivant des modalités de dialogue, d’entretien avec les proches, de prise en charge typique d’une philosophie des soins dont se réclame les soins palliatifs. »

 

Il conseille de consulter le dossier : Euthanasie et soins palliatifs en Belgique,10 ans après la dépénalisation de l’euthanasie.

Il fait également parvenir des témoignages assez idylliques, recueillis par la commission d’évaluation elle-même dont il fait partie.

 

« Le patient a lutté pour la vie dans les camps de concentration et demande actuellement une mort digne. (Homme de 88 ans atteint de leucémies). »

 

« En milieu hospitalier, après une belle et très humaine discussion, en présence de l’infirmière en chef du service d’oncologie, entourée de ses deux fille et de sa soeur. (Femme de 68 ans cancer du pancréas). »

 

« C’est une chose heureuse que cette loi qui permette un geste d’humanité au médecin et une mort douce au patient entouré de tous les siens. (Néoplasie pulmonaire chez un ho de 69 ans). »

 

« C’était ma première euthanasie en 20 ans de soins palliatifs au domicile. Expérience très marquante, tout le reste devient secondaire dans les jours avant, le jour même et le lendemain. Mais cela amène un immense soulagement pour l’entourage, les soignants et le malade lui-même dans une telle situation. C’est une richesse d’avoir une loi qui permet d’aider nos patients de cette manière. Signé : un médecin catholique qui ne regrette pas d’avoir fait le pas dans cette direction. Merci. (Néoplasie ORL et envahissement carotidien). »

 

« Nous nous étions réunis, la famille et toute l’équipe soignante de l’unité oncologique et des soins palliatifs qu’elle avait fréquenté depuis certains deux ans , dès 18h pour un dernier rendez-vous “festif”. La patiente a remercié chaque personne qui était là puis s’est endormie paisiblement. (28 ans cancer métastasé du sein; décès à 20h.) »

 

« Le patient m’attendait sereinement et avait mis son plus beau costume et ses souliers vernis pour partir “en beauté”. Ses deux fils dont un est médecin avaient passé la dernière journée avec leur père et l’ont accompagné jusqu’au bout mêlant chagrin et humour. (Néo pulmonaire homme de 78 ans). »

 

« La patiente m’a appelé un dimanche. Toute la famille et de nombreux amis étaient présents. Elle a voulu que l’on partage un dernier repas puis après avoir fait lire devant tous ses dernières volontés, elle a dit au revoir à chacun puis s’est endormie paisiblement dans le salon entourée de tous dans une véritable cérémonie d’adieu simple et très émouvante. (42 ans cancer du sein, métastases pulmonaires, hépatiques et cérébrales : deux ans de chimio-radio et chirurgie). »

 

• Réponse reçue également d’un chef de clinique, soins supportifs et palliatifs. A noter que finalement et contrairement à ce qui était annoncé dans le message ci-dessous, aucune réponse au questionnaire ne nous est finalement parvenue.

 

« J’ai reçu via l’association des soins palliatifs de la province de Namur un questionnaire concernant la pratique de l’euthanasie. J’y répondrai avec plaisir mais sachez que cette procédure risque d’être faussée par des propos partisans. En tant que responsable du Forum EOL (End of Life), vice président de l’ADMD Belgique et surtout comme médecin, je tenterai de répondre au mieux à votre requête. Cela étant, les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement. Sachez également que la commission d’évaluation et de contrôle publie régulièrement un rapport sur les cas déclarés en Belgique, qu’elle est pluraliste et n’a jamais eu à transmettre un dossier à la justice. Voir http://www.ieb-eib.org/nl/pdf/rapport-euthanasie.pdf »

 

• Réponse reçue d’un président de fédération de soins Palliatifs, responsable d’une plate-forme provinciale de soins palliatifs

 

« Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire. La nature de vos questions est même apparue comme très heurtante par bon nombre de praticiens en soins palliatifs. Un biais important semble bien y transparaître au long des questions posées. De plus, si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal qui est le nôtre, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi). »

 

« Par ailleurs, vous ne semblez pas tenir compte de la réalité légale belge et de ce qu’elle a permis comme évolution dans la prise en charge de nos patients en termes de pratique de fin de vie.

 

« Nous avons un cadre légal, il se doit d’être respecté. Ce cadre légal, qui comporte – outre une loi concernant l’euthanasie – une loi sur le droit des patients et sur l’accès aux soins palliatifs pour tous, a favorisé un questionnement aux seins des équipes soignantes et a enrichi le paysage des soins palliatifs, plutôt que de le brimer de quoi que ce soit, comme certaines de vos questions semblent le sous entendre.

 

« Les patients sont, probablement plus encore qu’auparavant, respectés dans leurs choix, les soignants (y compris les médecins) restent libres de leurs opinions et pratiques.

 

« L’ensemble de ces lois favorise encore à l’heure actuelle la réflexion éthique autour de ces pratiques ; ceci constitue une ressource et une évolution indéniable dans nos pratiques et non pas un appauvrissement. Le débat, en Belgique, ne se pose plus en termes de « pour ou contre » une pratique légale de l’euthanasie. »

 

• Réponse reçue d’une maison de soins palliatifs construite suivant le modèle anglo-saxon.

 

« Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. Votre questionnaire a été soumis  à notre comité d’éthique, qui y a répondu brièvement.

 

« La légalisation de l’euthanasie en Belgique a-t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?

 

« Si l’euthanasie est « clandestine », il est bien évident qu’on ne peut facilement en évaluer la pratique. Nous ne sommes pas à même de répondre à cette question. Notre institution refusant d’un commun accord que des euthanasies soient pratiquées dans notre service. D’autre part, la loi n’a, semble-t-il, pas eu d’influence sur l’acharnement thérapeutique. Il semble que de plus en plus, surtout en Flandre, les soignants discutent avec les patients, dès le début de la maladie, du projet thérapeutique et du moment de l’arrêt des traitements.

Nous serons peut -être obligés d’évoluer vers une économie de soins vu la majoration des coûts des soins de santé… »

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

Les médecins qui pratiquaient les euthanasies avant la loi les réalisent maintenant en remplissant les critères de la loi.

 

« La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?

Nous n’avons jamais rencontré cette situation. A plusieurs reprises, nous avons rencontré des patients qui avaient rédigé leurs volontés de non acharnement et qui les présentent lors de leur entrée en unité. Comme nous affichons clairement notre position de ne pas pratiquer d’euthanasie dans notre service, les patients et leurs familles en sont informés. »

 

 

Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

« Face à un patient en souffrance et en demande d’euthanasie dans notre service, il nous arrive d’interpeller un médecin de soins palliatifs qui ne refuse pas de pratiquer des euthanasies. Celui-ci vient dans notre service rencontrer le patient et éventuellement sa famille. Cela permet au patient de se sentir entendu et respecté. Nous n’avons encore jamais dû procéder à un transfert du patient vers un lieu où l’euthanasie pourrait être pratiquée. Nous avons beaucoup réfléchi à cette démarche qui nous semble par certains aspects hypocrite (on fait faire par d’autres ce que nous refusons) mais qui respecte fondamentalement des valeurs plus hautes. »

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

 

Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?

 

« Nous ne sommes pas les seuls à refuser de pratiquer des euthanasies. C’est relativement bien perçu en général, mais certains patients ou famille pensent que le médecin a l’obligation de répondre à une demande conforme à la loi. »

 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?

 

« Les soins palliatifs n’ont pas été négligés (nombre de patients qui fréquentent les services, argent alloué aux SP…). La loi autorisant l’euthanasie sous conditions est sortie en même temps que la loi sur les soins palliatifs.

L’euthanasie ne concerne que peu de patients par rapport au nombre de patients pris en charge en soins palliatifs. »

 

L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

 

« Dans beaucoup d’hôpitaux confessionnaux, la décision de ne pas pratiquer d’euthanasie est prise. Dans d’autres hôpitaux, l’autorisation de pratiquer des euthanasies n’est pas clairement énoncée, mais personne n’est disposé à en pratiquer dans la structure. Sans doute, parce que les médecins francophones se rendent compte que gérer une demande d’euthanasie et l’appliquer selon les modalités de la loi prend énormément de temps. Par ailleurs, nos collègues qui pratiquent l’euthanasie se justifient par une volonté de bienveillance vis-à-vis des patients et tentent de ne pas le faire à la légère. Par contre, il existe un assez grand respect des positions devant la pratique de l’euthanasie dans la communauté médicale francophone. »

 

Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

 

« Psychologiquement, les soignants qui la pratiquent en sont perturbés ensuite. Ce qui permet d’aider les soignants dans leur souffrance psychologique, c’est d’avoir l’impression de poser un geste bienveillant pour le patient, de l’avoir respecté et accompagné jusqu’au bout. »

 

Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

 

« Théoriquement, les infirmières ne font pas le geste. Sauf exceptions, les médecins semblent être présents au moment de l’acte. A notre connaissance, nos collègues de soins palliatifs qui pratiquent des euthanasies sont toujours très engagés dans ces accompagnements. »

 

 

Quel regard portez-vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

 

« Vu de l’extérieur, cette commission n’est guère critique. Elle fait a priori confiance à tout le monde. Lorsqu’elle ouvre un dossier, il semble que ce soit souvent pour vérifier la façon dont l’euthanasie a été pratiquée. En effet, la loi ne spécifie pas la manière dont elle se pratique, mais il y a des règles de « bonne pratique ». Par contre, dans les demandes, on retrouve de plus en plus de cas psychiatriques (dépressions…) et de patients non cancéreux….La plupart des demandes le sont pour des souffrances psychiques. »

 

Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

 

« A notre connaissance, non. »

 

Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?

 

« Vous trouverez en pièce jointe l’argumentaire développé par le président du comité d’éthique de notre établissement. »

 



[4] NDLR : DormicumÒ (MidazolamÒ, benzodiazépine sédative) NimbexÒ (CisatracuriumÒ, un curare d’action rapide), DiprivanÒ (PropofolÒ, anesthésique d’action rapide).

[6] MidazolamÒ : cf. supra, PhenobarbitalÒ : il s’agit probablement d’une confusion avec le ThiopentalÒ (PenthotalÒou NesdonalÒ anesthésique barbiturique cité dans certains « protocoles » d’euthanasie.

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Dossier – Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan http://plusdignelavie.com/?p=1883 http://plusdignelavie.com/?p=1883#comments Fri, 23 Mar 2012 11:48:46 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1883  

Le Collectif Plus Digne la Vie entend apporter sa contribution dans le débat public, notamment dans le cadre de l’actuelle campagne présidentielle. Notre démarche s’inspire de la réalité et c’est avec ce souci d’une approche concrète des situations que . . . → Read More: Dossier – Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan]]>

Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Le Collectif Plus Digne la Vie entend apporter sa contribution dans le débat public, notamment dans le cadre de l’actuelle campagne présidentielle.
Notre démarche s’inspire de la réalité et c’est avec ce souci d’une approche concrète des situations que nous vous proposons un bilan des pratiques d’euthanasie en Belgique, dix ans après leur légalisation.

 

A cet effet nous avons interrogé une vingtaine de professionnels de santé – médecins et infirmières – à travers le réseau des soins palliatifs de la Wallonie (pour des raisons de commodité linguistique).

 

Les résultats de cette consultation sont pour le moins contrastés et mettent clairement en avant des manquements graves et des doutes certains : procédures aléatoirement respectées, injections pratiquées en dehors du cadre légal…

 

Alors que les partisans d’une légalisation de l’euthanasie se réclament de cette législation, il semble indispensable que ces faits soient portés aujourd’hui à la connaissance des Français.

 

Nous avons donc le plaisir de vous présenter ce rapport dans sa version complète, que nous vous encourageons à diffuser à vos proches, collègues et amis.

 

Droit de réponse

Une réponse à l’étude et à son formulaire d’enquête a été adressée au Collectif par plusieurs membres de l’Équipe mobile intrahospitalière de Soins Continus et de traitement de la douleur de l’Hôpital Érasme (Université Libre de Bruxelles)

Avec l’accord de ses signataires, cette lettre est disponible en intégralité  au format PDF. Consulter la réponse.

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« Cliniques de la vie », des équipes mobiles pour pratiquer des euthanasies aux Pays-Bas http://plusdignelavie.com/?p=1771 http://plusdignelavie.com/?p=1771#comments Mon, 05 Mar 2012 17:00:56 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1771 Via l’Agence France Presse

 

Six équipes mobiles, composées d’un médecin et d’une infirmière, commencent jeudi à sillonner les Pays-Bas pour se rendre au domicile de malades incurables qui souhaitent mourir, et pratiquer les euthanasies refusées par leur médecin traitant.

Soixante-dix personnes ont déjà manifesté leur intérêt, assure à l’AFP Walburg de Jong, la . . . → Read More: « Cliniques de la vie », des équipes mobiles pour pratiquer des euthanasies aux Pays-Bas]]> Via l’Agence France Presse

 

Six équipes mobiles, composées d’un médecin et d’une infirmière, commencent jeudi à sillonner les Pays-Bas pour se rendre au domicile de malades incurables qui souhaitent mourir, et pratiquer les euthanasies refusées par leur médecin traitant.

Soixante-dix personnes ont déjà manifesté leur intérêt, assure à l’AFP Walburg de Jong, la porte-parole de l’Association néerlandaise pour une fin de vie volontaire (NVVE) qui a mis en place et finance ce projet baptisé « Clinique de fin de vie ».

A terme, les six médecins devraient pratiquer environ un millier d’euthanasies par an, souligne-t-elle, précisant que quelque 3.100 euthanasies au total sont pratiquées chaque année aux Pays-Bas.

Les Pays-Bas ont été le premier pays au monde à légaliser l’euthanasie, le 1er avril 2002. Celle-ci n’est autorisée que lorsque le patient en fait la demande en pleine possession de ses moyens et subit des souffrances « insupportables et interminables » dues à une maladie diagnostiquée par un médecin comme incurable.

« Si les critères sont remplis, les médecins mobiles pourront pratiquer l’euthanasie au domicile de patients dans les cas ou les médecins traitants refusent de le faire ou sont incapables de le faire », explique Mme de Jong.

Les médecins de la « Clinique de fin de vie », qui n’a de clinique que le nom et ne dispose pas de locaux spécifiques pour pratiquer les euthanasies, ont reçu une formation spéciale.

Effectuant déjà des euthanasies sur leurs propres patients, ils travaillent à temps partiel pour la NVVE qui les rémunère.

Ils ne peuvent intervenir qu’à la demande des malades eux-mêmes qui doivent être en pleine possession de leurs facultés mentales, et non de leur famille ou de leur proches.

Malade et médecin doivent tous deux être convaincus qu’il n’existe pas de guérison possible. Le médecin doit en outre prendre un second avis médical auprès d’un confrère.

Le patient meurt après avoir pris des somnifères par piqûre ou par perfusion, suivis de barbituriques qui arrêtent le coeur.

Chaque euthanasie pratiquée est soumise à une commission composée d’un médecin, d’un juriste et d’un expert éthique chargée de vérifier si les critères prévus par la loi ont bien été respectés.

Le projet a été approuvé par la ministre néerlandaise de la Justice Edith Schippers qui a assuré devant la chambre basse du parlement qu’elle ne s’y opposerait pas étant donné qu’il entre dans le cadre prévu par la loi.

« L’association néerlandaise pour une fin de vie volontaire et les équipes ont assuré que tout sera conforme à la législation », déclare à l’AFP Ole Heil, le porte-parole de la ministre.

Mais des réserves ont été émises par la Société royale de médecins (KNMG), une association regroupant 53.000 médecins aux Pays-Bas, qui craint que les médecins ne connaissent pas suffisamment les patients pour évaluer correctement leur situation.

« Nous ne sommes pas contre l’euthanasie s’il n’y a pas d’autre alternative », assure l’un des responsables de l’association, Eric van Wijlick. « Mais l’euthanasie est un processus compliqué, à l’issue d’un traitement à long terme d’un patient, basé sur une relation de confiance ».

« Il faut avoir une approche holistique du traitement du patient et voir notamment s’il existe une alternative à l’euthanasie : nous doutons sérieusement que cela puisse être fait par un médecin uniquement chargé de pratiquer des euthanasies », souligne-t-il.

Copyright © 2012 AFP. Tous droits réservés.

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Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus http://plusdignelavie.com/?p=1714 http://plusdignelavie.com/?p=1714#comments Mon, 20 Feb 2012 16:25:56 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1714 Marie-Odile Clergue

Témoignage d’une personne malade

 

Voici le débat relancé ! Et c’est tant mieux !

Puisse-t-il amorcer et, pourquoi pas, enfin approfondir une véritable et honnête réflexion qui permette de dépasser les oppositions récurrentes : soins palliatifs/euthanasie ou fin de vie/euthanasie. Et ainsi en finir avec l’appropriation de la « dignité », alors que, force est de le . . . → Read More: Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus]]> Marie-Odile Clergue

Témoignage d’une personne malade

 

Voici le débat relancé ! Et c’est tant mieux !

Puisse-t-il amorcer et, pourquoi pas, enfin approfondir une véritable et honnête réflexion qui permette de dépasser les oppositions récurrentes : soins palliatifs/euthanasie ou fin de vie/euthanasie. Et ainsi en finir avec l’appropriation de la « dignité », alors que, force est de le reconnaître, elle est intrinsèque à la nature humaine et qu’il s’agit de « vivre dans la dignité » jusqu’à la fin de la vie, plutôt que de « mourir dans la dignité ».

 

Il est urgent aussi de cesser d’employer les termes d’euthanasie active et d’euthanasie passive ; la distinction n’existe pas ! L’euthanasie c’est volontairement interrompre le cours d’une vie. Point !

Puisse-t-il aussi permettre d’éviter de parler ou d’écrire en notre nom, nous les malades confrontés plus que d’autres à notre finitude (comme l’est cependant le commun des mortels !). Ce que nous avons à dire est simple et illustre tout à fait un état des lieux désastreux concernant la résistance à la mise en place des soins palliatifs.

Oui, le corps médical ne connaît pas ou alors mal la loi Leonetti ; donc elle n’est pas ou mal appliquée

Oui, le corps médical se refuse à intégrer dans sa pratique ce paradigme des soins palliatifs.

Oui, le corps médical se refuse le plus souvent de nous regarder, nous les malades atteints de maladies graves et incurables. S’il daignait au moins poser un regard sur une personne et non sur un élément, un objet médicalisé, un « cas », une maladie, digne d’intérêt certes, car bien sûr on nous « soigne » !

 

Comme toute personne

Sont-ils dans le « cure » ou aussi dans le « care » ? Quelle idée se font-ils de l’acte de soigner ? N’est-ce pas le plus souvent dans leur esprit celle de nous guérir et c’est louable, merci. Mais quand il n’y a pas de guérison à l’horizon (et même avant bien sûr), pourquoi ne pas enfin pratiquer le « prendre soin » ?

C’est ce dont nous avons besoin, d’une relation de personne à personne, d’un véritable regard sur un sujet qui pense, qui souffre, qui se réjouit, qui s’interroge, qui espère, qui aime, qui a peur… comme toute personne.

Nous ne sommes pas une catégorie à part, nous avons les mêmes besoins d’humanité : il n’y a pas rupture avec ce que nous étions et sommes devenus avec la maladie, même si son vécu nous modèle douloureusement. Nous sommes et restons nous-mêmes.

Il est urgent de ne pas abandonner cette attitude d’humanité aux seuls soignants en unités de soins palliatifs. Tout médecin devrait pouvoir faire preuve de cette humanité (il semblerait que les jeunes internes soient plus réceptifs à cette culture de la démarche palliative).

En ce qui concerne l’interdiction de l’obstination déraisonnable, c’est un grand progrès, mais il faut veiller à ce que sa mise en œuvre soit appliquée dans les règles, je veux dire que les médecins interviennent de façon collégiale, avec discernement et après avoir consulté les intéressés (directives anticipées, personne de confiance ou famille).

Lorsque la demande d’arrêt de traitements émane du malade lui-même, il me semble nécessaire d’approfondir et d’accompagner cette demande. J’ai été confrontée à cette grave question, ayant demandé l’arrêt des thérapies actives pendant 3 mois, après un sévère accident cardiaque consécutif à la chimiothérapie. Ce n’est pas si simple quand vous découvrez que la maladie profite de cette pause pour évoluer… Que de questions se bousculent en plus de la peur, alors que vous pensiez avoir accepté la fin de vie !

N’est-ce pas un suicide déguisé ? Est-ce un manque de courage ? Est-ce un abandon des siens ?

 

Crier que nous n’en pouvons plus

C’est en service de soins palliatifs que j’ai bénéficié du prendre soin de la part de tout le personnel, médical, soignant et de service. J’y ai vécu ce qu’est l’accompagnement, le respect, l’écoute, l’attention réconfortante, le non-jugement, la recherche du plus grand confort et soulagement possible.

Ailleurs, j’ai la plupart du temps rencontré du personnel soignant (infirmières, aides-soignantes) attentif et compétent et capable de mettre en œuvre cette attitude du prendre soin, bénéficiant de l’aide d’un psychologue. Aussi je m’interroge sur ce qui empêche trop souvent le corps médical d’entrer dans cette culture de la démarche palliative. Cela ne peut-il s’évaluer dans des enquêtes relatives à l’état des lieux ? Nous sommes dans le domaine du qualitatif professionnel.

Comment remédier à ces graves manquements à la qualité du soin qui ne seront peut-être pas assez pris en considération si, nous les malades gravement atteints ou en fin de vie, ne pouvons les faire connaître pour faire remonter ces constats aux instances responsables et crier que nous n’en pouvons plus ?

Bien sûr on objectera que les médecins doivent se protéger, se préserver… Mais alors comment font ceux qui exercent en unités de soins palliatifs ? Sont-ils des êtres exceptionnels ?

Oui, ils le sont, à force de travail sur eux, d’exercice d’humanité, d’amour de leur profession.

Mais vous ne m’empêcherez pas de souhaiter que tous les médecins devraient être ces êtres exceptionnels !

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