Plus digne la vie » résistance http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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NOUVEAU : Le soin, une valeur de la République, par Emmanuel Hirsch – Parution, mai 2016 http://plusdignelavie.com/?p=2935 http://plusdignelavie.com/?p=2935#comments Mon, 09 May 2016 00:12:08 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2935

A paraître aux éditions Les belles Lettres : Le Soin, une valeur de la République, Emmanuel Hirsch.

Ce texte témoigne d’un engagement dans le contexte politique présent et pose, au cœur de notre démocratie, les valeurs indispensables du soin et de l’accompagnement. La « refondation de notre République » doit en reconnaître la signification, les enjeux et l’urgence.

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A paraître aux éditions Les belles Lettres : Le Soin, une valeur de la République, Emmanuel Hirsch.

Ce texte témoigne d’un engagement dans le contexte politique présent et pose, au cœur de notre démocratie, les valeurs indispensables du soin et de l’accompagnement. La « refondation de notre République » doit en reconnaître la signification, les enjeux et l’urgence.

J’ai rédigé la conclusion de ce livre un an après les attentats de janvier 2015, à proximité d’un des lieux parisiens qui venaient d’être frappés par les terroristes – les restaurants Le Petit Cambodge et Le Carillon– situé au bout de la rue Bichat qui longe l’hôpital Saint-Louis. Là où est installé l’Espace de réflexion éthique d’Île-de-France. Je saisis le caractère dérisoire, voire inconséquent et inconsistant, de ce que pourrait être une réflexion portant sur les valeurs démocratiques au regard de cette tragédie humaine. Mais je comprends également qu’il est comme un devoir de contribuer à cette mobilisation nécessaire – chacun à sa place et en fonction de ce qu’il peut –, faute de quoi les prudences excessives ou les renoncements au nom de prétextes irrecevables signifieraient que nous consentons à la barbarie. C’est l’enseignement que je tire de ce qui m’a été transmis dans mon histoire familiale, du message si précieux dont nous sommes personnellement comptables, confié par les personnes qui ont su trouver le sens et le courage d’une résistance face à l’innommable. Mais cette compréhension de la responsabilité assumée et partagée tient pour beaucoup à cette aventure humaine que je poursuis depuis des années auprès de ceux qui défendent et soignent l’autre. Ils témoignent, au nom de la cité, d’un inconditionnel souci de son existence et, au-delà, d’un indéfectible attachement aux valeurs qui inspirent et obligent notre idée de la démocratie.

Certains parmi nous demeurent ainsi présents et disponibles dans l’hospitalité, cette expression d’une bienveillance qui jamais ne renonce à l’affirmation et à la défense des principes d’humanité. Je ne connais pas le langage qui exprime en vérité l’hommage qu’il conviendrait de leur rendre. Au nom de ceux qu’ils soutiennent avec compétence, en situation de crise ou après, lorsqu’il convient d’accompagner, de leurs mots fragiles et de leurs gestes parfois incertains, par cette présence invulnérable aux tentations d’abandon ou de renoncement, ils portent, dans l’exigence d’actes dignes et courageux, assumés comme leur devoir personnel, le témoignage d’une humanité qui permet de croire en l’humain, y compris face à l’inhumanité.

Aux avant-postes d’un engagement parfois à mains nues, dans la proximité d’une rencontre qui expose à la vulnérabilité et à la misère de l’autre, ces vigiles de notre démocratie préservent ce lien à la vie qui menace de rompre lorsque la barbarie, sous quelque forme qu’elle se manifeste, risque d’anéantir notre exigence de dignité. Ils demeurent présents à une attente dont ils savent qu’elle excède ce qu’ils peuvent, mais ne peuvent pas déserter alors que tant d’autres ont abdiqué, ne serait-ce que pour éviter une confrontation qu’ils refusent ou bien dont ils renoncent à reconnaître le sens des valeurs et des engagements qu’elle nous impose.

Télécharger l’introduction (pdf)

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Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État http://plusdignelavie.com/?p=2774 http://plusdignelavie.com/?p=2774#comments Mon, 05 May 2014 06:57:00 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2774 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et . . . → Read More: Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et sur l’inconstance du dispositif législatif actuel. En état de crise, il convenait donc de le révoquer dans l’urgence, sans plus attente. En attestait, de surcroît, la multitude d’appels désespérés, adressés nuit et jour, nous disait-on, à une association qui proposait l’enregistrement informatisé de directives anticipées comme un viatique indispensable au salut ou encore un acte suprême de dignité et de liberté !
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie initiée en juillet 2012 par François Hollande se conclura dans quelques semaines sur un rapport du Comité consultatif national d’éthique qui devrait être représentatif d’avancées mesurées mais significatives, ce dernier combat idéologique revêtait un intérêt stratégique indiscutable. Au mépris même de ses conséquences délétères pour les 1700 personnes en état dit végétatif chronique (EVC) ou pauci relationnel (EPR). Sans autre forme de procès, leur existence découverte de manière fortuite au détour d’une actualité douloureuse, n’inciterait en effet qu’à revendiquer pour soi une « mort dans la dignité » et même à consentir sans le moindre état d’âme à ce que cette position puisse tenir lieu de norme…
Le fait même d’avoir à recourir à une appellation comme celle d’EVC ou d’EPR en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter humainement cet impensable que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir été auprès de ces personnes lourdement handicapées ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur avait même considéré ces personnes comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite de ses expérimentations dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
Le Conseil d’État apporte le 14 février 2014 un démenti flagrant à ces discours hâtifs, catégoriques, pour ne pas dire expéditifs, qui ont consisté pour l’essentiel à instrumentaliser la douleur émanant de cette situation singulière pour exprimer une position dogmatique sur le droit au suicide médicalement assisté et à l’euthanasie. Un simple détour « coté vie » auprès de ces personnes en état de conscience altérée aurait sans aucun doute changé la teneur de tels discours, tant leurs proches et les établissements qui les accueillent sont loin de donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de sollicitude et d’affections dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le Conseil d’état évoque, avec une rigueur et une prudence qui manquaient au débat, les enjeux propres à cette situation singulière : une réalité humaine « de grande fragilité », sensible, délicate car si spécifique ; l’approche médicale et scientifique qu’elle appelle : complexe, incertaine, irréductible aux positions péremptoires et définitives ; l’environnement au sein duquel les circonstances évoluent et qui, lui aussi, justifie une grande pondération. Il convenait d’implanter de la dignité et de l’intelligence dans des disputations qui dérivaient de manière pernicieuse, sans émouvoir apparemment les instances nationales en charge de la réflexion éthique. Elle sont désormais, elles aussi, sollicitées afin de préciser et de rappeler solennellement les valeurs d’humanité et de liberté sur lesquelles une démocratie ne transige pas, sans pour autant s’exonérer d’une exigence de compassion.

 

Loyauté, compétence et clarté

Avec le dispositif d’instruction qu’il impose pour les prochains mois, le Conseil d’État affirme la singularité et la complexité de la situation de M. Vincent Lambert. Elle doit désormais relever d’une expertise appropriée qui tienne compte des compétences les plus actuelles dans le champ des neurosciences et permettre ainsi de disposer de données factuelles indispensables à une prise de décision d’une telle gravité. Le caractère emblématique et extrême des circonstances justifie les clarifications qui font défaut afin d’envisager un arbitrage fondé sur une argumentation solidement étayée. Cette décision s’avère d’autant plus sage qu’elle nous fait comprendre de manière pédagogique qu’un tel dispositif est rarement mobilisé et devrait donc constituer un référentiel applicable dans d’autres circonstances analogues. Les avancées des techniques de réanimation ont induit des circonstances dites limites qui ne bénéficient pas toujours des modalités les mieux ajustées à des prises de décisions complexes, même si la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis à cet égard des évolutions significatives.
Lorsque dans le cadre d’une formation dite collégiale, une équipe médicale se prononce à propos d’une limitation ou d’un arrêt de traitement, il serait en effet important d’être assuré de la valeur du consensus décisionnel obtenu à la suite d’une délibération à la fois loyale, juste, et donc argumentée sur la base de principes clairement établis. Le Conseil d’état exprime à cet égard une exigence dont certains estimaient à tort qu’elle n’avait plus à être rappelée. Il saisit l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et l’Ordre national des médecins afin de recueillir leurs définitions de notions comme celle d’obstination déraisonnable ou de maintien artificiel de la vie. L’analyse de ces concepts, au même titre que d’autres déterminants d’ordre médico-scientifique, est requise dans des prises de décisions qui concernent près de 100 000 arrêts de traitement chaque année.
À n’en pas douter nous disposerons ainsi dans quelques mois de repères qui s’avèrent indispensables à cette haute instance, ce qui interroge, malgré tout, certains critères de décision privilégiés jusqu’à présent. Encore conviendra-t-il d’être assuré de la qualité des compétences et des procédures mises en œuvre une fois ces définitions validées. Les services hospitaliers concernés ne font pas apparaître de manière homogène une même expertise qui relève d’une culture et d’une rigueur méthodologique exigeantes.
Le Conseil d’État sollicite également, et cela me semble significatif, le point de vue de Jean Leonetti. Ce choix n’est pas anodin dès lors qu’il réaffirme la place déterminante de la législation dont il est l’auteur dans le contexte présent. Depuis des mois en effet la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est soumise aux assauts constants des propagandistes d’une loi favorable à l’euthanasie. Le Conseil d’État considère d’une part que cette loi est applicable à une personne qui se trouve dans un état de maladie ou de handicap dont l’irréversibilité est caractérisée, et d’autre part que le dispositif législatif incluant la loi du 09 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, et la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, apportent les modes de négociation les plus ajustés à des situations qui pourraient même ne pas être directement assimilées à la période de fin de vie. De telle sorte qu’il ne faudrait certainement pas trouver dans les circonstances présentes la justification à une évolution législative.
Pour autant, nous ne pourrons pas nous exonérer d’une réflexion délicate mais nécessaire portant sur les personnes dans l’incapacité d’exprimer un choix personnel (ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas souhaité rédiger des directives anticipées) qui, bien que n’étant pas en situation de fin de vie, suscitent les questionnements délicats relatifs au maintien artificiel de leur vie. À cet égard les trois instances consultées devront être attentives aux conséquences de leurs conceptions au regard de personnes atteintes par exemple de maladies neurologiques, évolutives ou non, à impact cognitif.

 

L’exigence d’une pensée politique

Le Conseil d’État se réfère à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour rappeler que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (…). » Mais simultanément il consacre une autre liberté fondamentale : celle d’être reconnu dans le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable. Cette position ne fait que renforcer à cet égard la pertinence de loi du 22 avril 2005 qui proscrit toute obstination déraisonnable. À ce propos l’approche à la fois humaine et responsable de la sédation en dit long des évolutions profondes qui sont intervenues depuis des années dans la relation de soin : elles semblent rendre caduques certaines controverses d’arrière-garde.
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un traitement, y compris d’une hydratation et d’une alimentation puisque le Conseil d’État considère que, dans certaines circonstances, il pourrait s’agir d’un maintien artificiel de la vie. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur eux un regard et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs au moindre signe de présence. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
S’impose donc une pensée politique de réalités humaines qui défient nos représentations de la vie, de l’existence humaine, de nos responsabilités individuelles et sociales à l’égard de personnes qui éprouvent autrement un parcours de vie dont il me semble a priori irrecevable de discuter la légitimité. L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement personnel et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’eux. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ces responsabilités qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuivrait sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de la signification qu’elle aurait pour la personne. À cet égard la réflexion à la fois politique et éthique doit être approfondie, sans quoi s’accentuera le risque d’être tenté de plaquer d’inacceptables réponses sur des questions, certes redoutables, mais que l’on ne peut pas pour autant négliger. Soucieux des libertés individuelles, le Conseil d’État déploie pour servir la cause supérieure de M. Vincent Lambert un dispositif minutieux. On sait d’évidence qu’il n’est certainement pas appliqué avec tant de rigueur lorsque, de manière quotidienne et trop souvent routinière, se prennent certaines décisions collégiales cruciales. Il importerait que les sociétés savantes concernées accordent une grande attention à cette intervention éclairée du Conseil d’État dans une sphère trop souvent confinée dans des logiques ou des certitudes médico-scientifiques. On est bien loin des caricatures d’une intrusion des « robes noires » dans l’espace où interviennent les « blouses blanches » dès lors que prime l’intérêt supérieur d’une personne vulnérable à protéger dans son intégrité, voire dans son droit à la vie.

Dans la sagesse et la justesse des décisions qu’ils ont adoptées pour protéger les droits de M. Vincent Lambert, les membres de la section du contentieux du Conseil d’État nous éveillent à un sens de la retenue et de la responsabilité qui devrait s’imposer à nous en situation d’incertitude et d’exposition à des défis qui engagent nos valeurs.
Nous devons donc à M. Vincent Lambert comme à ses proches, mais également aux autres personnes dans une situation qui le justifierait, une approche singulière, pondérée, soucieuse dans le respect et la discrétion, de leurs droits fondamentaux. Ces personnes ne sauraient être réduites de manière indifférenciée à des catégories, ou devenir l’otage de causes qui les instrumentalisent dans un combat qui dénature une fois encore les véritables enjeux.
Lorsque, dans quelques mois, les expertises médicales permettront de produire de manière incontestable les conclusions indispensables à une décision médicale fondée pour M. Vincent Lambert, encore conviendra-t-il d’être assuré qu’une même rigueur s’imposera désormais dans tout processus décisionnel collégial. Car la décision que rendra alors le Conseil d’État concernera une personne en particulier et ne saurait donc faire jurisprudence. Mais ses modalités de mise en œuvre et le souci accordé à la sollicitation des compétences les plus légitimes dans l’arbitrage devront viser une même exigence. Il y va de leur recevabilité d’un point de vue démocratique.

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Fin de vie, la loi doit-elle évoluer ? http://plusdignelavie.com/?p=2396 http://plusdignelavie.com/?p=2396#comments Mon, 27 May 2013 09:05:26 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2396 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

A lire L’euthanasie par compassion ? Manifeste pour une fin de vie dans la dignité, Emmanuel Hirsch, éditions érès

 

À l’épreuve de circonstances qui déjouent bien souvent les illusions de maîtrise, les a priori ou les représentations intellectuelles, voire esthétiques de ce que serait une . . . → Read More: Fin de vie, la loi doit-elle évoluer ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

A lire L’euthanasie par compassion ? Manifeste pour une fin de vie dans la dignité, Emmanuel Hirsch, éditions érès

 

À l’épreuve de circonstances qui déjouent bien souvent les illusions de maîtrise, les a priori ou les représentations intellectuelles, voire esthétiques de ce que serait une « bonne mort » ou une « mort dans la dignité », les vérités théoriques s’avèrent décevantes et trop souvent inconsistantes. Les dialogues intimes et ultimes dont témoigne l’expérience d’une relation assumée jusqu’à l’instant de la mort, engagent au discernement, à la rigueur et à l’humilité. Il me paraît donc essentiel de ne pas renoncer dans l’empressement des conjonctures et des opportunismes, aux valeurs et aux fidélités indispensables, de ne pas dénaturer l’esprit de fraternité par envie précipitée d’euthanasie, au nom d’une conception de la dignité dont je comprends pourtant parfaitement la signification.

Une telle exigence en appelle certainement au courage de penser aussi sérieusement que les droits en fin de vie, nos engagements face aux vulnérabilités de la maladie, du handicap, des dépendances et de ces autres formes de négligences, de mépris et de relégations indignes d’une société solidaire.

Ce ne sont pas tant les conditions extrêmes de prises de décisions difficiles qui défient aujourd’hui nos conceptions et nos représentations des droits de la personne en fin de vie, que l’urgence de ne pas y sacrifier une certaine idée du vivre ensemble.

Le contexte actuel est révélateur d’une impatience savamment entretenue à légiférer en faveur de l’euthanasie. Cela en recourant à des stratégies qu’il conviendrait d’analyser en des termes moins simplificateurs que ces slogans qui, par exemple, invoquent l’urgence de « restituer une liberté confisquée » à la personne qui souhaite qu’un médecin mette fin à son existence. Cette construction idéologique, bien que sommaire et confuse, est néanmoins parvenue à son objectif pragmatique : donner à croire qu’il ne s’agissait plus tant de débattre de la justification légale de l’euthanasie que d’arrêter le calendrier parlementaire qui permettrait de consacrer enfin cette « dernière liberté ».

Pourtant, les personnes atteintes de maladies incurables n’espèrent pas prioritairement, comme sollicitude à leur égard de la part de la société, la considération  accordée avec tant de véhémence et parfois de provocations aux conditions de leur mort. Leurs aspirations de citoyen excèdent l’espace sommaire dans lequel certains enferment et réduisent leurs véritables revendications. Il y a de la vie à vivre, malgré et au-delà de la maladie, avant de consacrer le temps qui reste à « réussir sa mort » !

 

Vulnérabilité extrême

Comment inventer aujourd’hui une approche du mourir qui ne trouve pas sa seule dignité dans l’affirmation d’une idée de maîtrise bien équivoque et aux conséquences incertaines ?

Comment penser le temps d’une existence qui s’achève sans être assigné à tout anticiper, à tout réguler selon des valeurs ou des normes qui s’imposeraient comme des évidences, alors que dans ce domaine nos savoirs et nos convictions sont bien fragiles ?

Comment préserver une certaine conception de la sollicitude et de la solidarité, dans un contexte de vulnérabilité extrême qui semblerait assujetti à l’impératif de décisions dans l’urgence ?

Comment attester d’une attention véritable, autre que compassionnelle et ramenée à la politique des expédients, au regard des réalités humaines et sociales de l’exclusion ou du déni en fin de vie ? Ces circonstances déportent aux limites de l’acceptable ceux dont est niée la parole et méprisée l’existence. Au point de générer des sentiments de peurs et de menaces diffuses que renforcent les discours discriminatoires et accentuent les insécurités.

Comment exprimer une considération effective et demeurer hospitalier à l’égard des personnes affaiblies par la maladie, les dépendances, les différentes formes de relégation éprouvées comme du mépris, voire, selon une désignation radicale du désespoir, dans ce qui les condamne à une « mort sociale » ? Ces hostilités à la personne progressent à mesure que les logiques de l’efficience, de la performance et de la rentabilité expulsent les fragilités humaines et imposent leurs règles avec les conséquences d’un désastre.

Comment envisager l’indignation au-delà d’une posture intellectuelle ou d’une protestation éphémère, comme appel à une mobilisation dans l’urgence des compétences et des talents au service d’un intérêt général qui n’a rien à faire de l’esprit partisan ? Résister à l’individualisme, au repliement sur soi ou à l’obnubilation de sauvegarder ses seuls intérêts, devrait s’exprimer dans la préoccupation morale qu’affichent avec tant de véhémence ceux qui, persuadés qu’il est temps de « changer la mort[1] », prétendent ériger d’autres valeurs.

 

S’il est une liberté à reconquérir, elle ne saurait se limiter à la revendication de l’autodétermination de la mort, même si je suis respectueux des personnes qui assument cette position en terme de choix personnel, je veux dire sans chercher la validation légale d’une position qui relève de la sphère privée, de l’intime. Le droit de bénéficier d’une position maintenue dans la préoccupation des vivants, de conditions d’accompagnement dignes de l’idée d’humanité, constitue un enjeu que j’estime déterminant. Il s’agit-là d’une responsabilité qui saisit notre société dans sa capacité d’affirmer le sens ultime du lien et de la fraternité. C’est dire à quel point ses réponses s’avèrent essentielles et relèvent d’une obligation morale forte, d’engagements cohérents qui ne sauraient se satisfaire du registre compassionnel ou des formules incantatoires, en fait indifférentes à la vérité et à la singularité des circonstances.

 

À la croisée des chemins, les conditions sont semble-t-il réunies pour inscrire à l’agenda des prochaines décisions politiques une possible extension de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, là où le législateur avait souhaité jusqu’à un temps récent marquer une limite.

Le droit de vivre dans la dignité sollicite davantage nos responsabilités que l’octroi de la mort au nom d’une conception discutable de l’idée de dignité. Pour autant, la parole de la personne accablée par la maladie et confrontée à l’inéluctable, parfois à l’insoutenable violence d’une souffrance, ne saurait laisser indifférent. Je vois une certaine forme d’indécence, ou alors une profonde méconnaissance des réalités de l’existence qui échappent à toutes tentatives d’interprétations sommaires, à vouloir considérer, sans autre forme, que légitimer le « don de la mort » ou le meurtre compassionnel constituerait la réponse espérée par celui qui éprouve le sentiment d’un désastre alors sans recours.

Plutôt que de considérer la dépénalisation ou la légalisation de l’euthanasie comme l’expression supérieure de nos responsabilités et de nos solidarités à l’égard de celui qui souffre, ne conviendrait-il pas d’accorder une plus juste attention et de témoigner une autre disponibilité aux personnes en attente d’humanité, là où on leur propose comme solution préférable d’anticiper leur mort ?

En pratique, tenter d’éradiquer l’obsession de la finitude humaine et de la mortalité en recourant aux vertus d’un discours compassionnel désormais politisé, consiste à simplifier et à systématiser l’accès au meurtre par consentement mutuel, en légalisant l’euthanasie.

Indice d’une élévation de nos principes moraux, de notre émancipation, le « faire mourir » procèderait ainsi des bonnes pratiques, voire des convenances sociales. Au point de proposer la solution idéale non pas aux circonstances modernes de la fin de vie, mais aux contraintes de toute nature qu’elles provoquent, y compris sur notre système d’Assurance-maladie…

 

Considérer que la solidarité en fin de vie incarne une position de dissidence et de résistance face aux abdications d’une compassion dévoyée, consiste à affirmer de manière explicite qu’on aspire à une révolution dans nos approches en termes de sensibilisation et de responsabilisation de la société, d’initiatives publiques, mais également d’affirmation et de diffusion d’une culture politique des soins de confort comme des soins palliatifs.

Certaines incantations si présentes aujourd’hui m’évoquent le texte de la chanson de Georges Brassens sur lequel je conclurai mon propos : « Mourir pour des idées » : « O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres ; mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas. Mais de grâce, morbleu, laissez vivre les autres ! La vie est à peu près leur seul luxe ici bas. Car, enfin, la Camarde est assez vigilante. Elle n’a pas besoin qu’on lui tienne la faux. »



[1] Léon Schwartzenberg, Pierre Viansson-Ponté, Changer la mort, Paris, Albin Michel, 1977.

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Fins de vies : L’amour et la Mort. http://plusdignelavie.com/?p=2232 http://plusdignelavie.com/?p=2232#comments Tue, 04 Dec 2012 14:39:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2232 Véronique Normand

Kinésithérapeute J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 . Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on . . . → Read More: Fins de vies : L’amour et la Mort.]]> Véronique Normand

Kinésithérapeute
J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 .
Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on ne peut plus répondre. Un aveu d’impuissance.

Qui sait si en d’autres circonstances, ne pouvant pas partager mon impuissance, je n’aurai pas fait la même chose?? On ne peut pas prédire grand chose en fin de vie, mais on peut prévoir, prévenir, appeler du secours, du renfort.

Un seul coup de fil et contact extérieur suffit à changer le cours des choses. Le mari de Mireille (personne atteinte de SLA) me l’a dit, quand je venais, c’était une « fête » pour lui.
J’étais le seul soignant à domicile, le médecin mettait l’ordonnance dans la boite aux lettres, enfin son remplaçant, parce que lui ne se déplaçait pas. Le médecin d’aujourd’hui s’efface trop dans la fin de vie, ne trouvant plus son rôle pourtant si important de réassurance.
Les soignants à domicile assument la proximité, parfois difficilement, évitant le piège béant de la promiscuité.
Mais un seul soignant suffirait, dans le strict minimum, à condition que ce soignant garde contact avec l’extérieur et bénéficie de ressources extérieures de soins, acheminant dans la casa le souffle nécessaire et les rayons du soleil du dehors.
Dans la fin de vie, l’autrement et l’ailleurs servent à enrichir l’intérieur. Je ne vois pas d’autre distance à garder que celle ci.

La maladie n’est pas une honte, le handicap n’est pas une fatalité.

Une maladie démédicalisée, ça conduit à l’enfermement, à l’asphyxie, à la solitude et à la mort par étouffement, l’euthanasie n’est pas dans ce cas un choix libre, c’est le contraire de la liberté. Le soin a cet enjeu de tiers entre le malade et sa maladie et de préserver le proche. Mais ce n’est pas en multipliant les intermédiaires, les tiers entre le malade et le soignant qu’on résoudra les problèmes de refus de soin. Le meilleurs tiers, c’est le soin lui-même et la relation qui l’accompagne. Pas de soin sans relation, pas de relation sans soin, Le soin éloigne la maladie du malade, soigne la douleur et éloigne la souffrance.
Franchement, cette dame dans le film, dès le début, avait besoin d’un kiné. Et elle n’était pas en phase palliative; quand je vois le corps abandonné, cette raideur qui ne peut que conduire à une raideur de la situation, quand je vois comment il l’a fait marcher, je me dis que rien n’a été fait des soins de réadaptation, l’abandon a déjà eu lieu. La question est de savoir si il y a eu refus de soin, l’hospitalisation semble avoir été difficile, ou si les soins ne lui ont pas été prescrits. Le médecin est présent dans l’histoire, il prescrit les médicaments. Est-ce que des médicaments suffisent dans une hémiplégie?
Or dans ce film, L’hémiplégie du début n’est même pas mise en soin. Un kiné aurait été le bienvenu pour lui redonner confiance en ses possibilités.
Quand je le vois marcher mal avec elle, le transférer avec difficulté alors qu’elle a une jambe saine et pas d’aide pour maintenir une marche possible, je me dis que rien n’a été fait.
Les soins sans doute possible dès le début n’ont pas été prescrits. On entend parler du médecin, on ne le voit pas. Dans l’esprit du réalisateur, le médecin prescrit des médicaments. Les médicaments suffisent-ils au handicap? Suffisent-ils à la dépression normale de découverte des déficits? Une seule personne aimante suffit-elle, sans des compétences de soins?
Autant mettre un pansement sur une jambe de bois!
Un AVC ça se traite avec des médicaments, mais la rééducation ça existe,
La honte d’être en fauteuil, la honte de la déchéance, la honte de l’incontinence, le sentiment de perte de dignité qui creuse et qu’un seul homme ne peut porter.
L’amour est atteint peu à peu par ce sentiment d’indignité, que la fille ne manque pas d’exprimer dans sa douleur.
Comment aimer quelqu’un qui ne s’aime pas?
Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point, abandonné dans sa raideur, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terrible dans les transferts et retournements dans le lit; Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire. D’ailleurs à un moment donné la main recroquevillée est cachée sous la couverture.

Parce que si les soins corporels se résument à un hygiénisme, on ne s’étonnera pas que l’incontinence vienne plus tard sonner le glas de la dignité.
Parce que sans soin, évidemment la maladie mène à l’enraidissement, à la perte de la sensation de soi, à la perte d’estime, à la perte de confiance, à la perte d’une pensée saine, à la paralysie d’une situation, à la haine de soi, à la relégation dans un huis clos et à la mort par étouffement.

Il ne s’agit pas que de bouger, que de marcher, il s’agit de redécouvrir ce corps, le handicap n’est pas une fatalité, un corps entravé ne peut pas donner lieu à une pensée libre !

Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point , abandonné dans sa raideur,, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terribles dans les transferts et retournements dans le lit;
Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire.

Toute l’histoire du soin interviendra dans la fin de vie ; le traumatisme laisse des traces, la fin de vie est un deuil et convoque au bord du lit toutes les mémoires, on n’oublie jamais les joies, ni les blessures ; jamais, et elles affleurent à fleur de peau lorsqu’on souffre.
Ce n’est pas l’histoire ancienne qui est la cause, c’est la souffrance actuelle qui ravive les autres. Ce n’est pas non plus que le geste malheureux ou la blessure actuelle qui rend sensible à ce point, c’est le lit dans lequel repose cette goutte qui fait déborder le vase.
Ce sont les deux additionnés qui font le trop plein.  Une solution, c’est laisser un peu déborder le vase, pleurer.

Les larmes ont besoin d’une épaule solide, sinon elles se retiennent ou sont des larmes vaines, des larmes perdues, des larmes sans mot, des lettres mortes, des larmes sèches, des larmes pour rien. Ni pour personne.

Alors, on ne pleure pas, on reste dur, et cette dureté nous fait du mal et fait du mal autour de nous.
On devient effrayant de ne pas pleurer, on devient si vite inhumain, on pourrait devenir un monstre de ne plus voir ni sentir la peine de l’autre. On ne peut pas s’aimer soi-même si on se voit comme un monstre, on peut encore moins aimer l’autre. Il faut être vivant pour aimer et non mort.

La douleur fait souffrir, la souffrance tue, l’isolement tue.

Et la souffrance, c’est le soin absent ou pire, le soin mal fait. On préfère alors comme moindre mal refuser les soins. Ou alors en regard de ce que cette entrée en maladie exige, le patient devient plus exigeant. On peut le comprendre. Le proche pousse aussi les exigences de lui même à ses limites et il devient forcément exigeant.
La souffrance est une tension; oh combien cette tension aurait pu être évitée!

Quand l’isolement s’étend, la confiance s’effrite.

La présence soignante est dans ce film à peine présente, pour faire la toilette. Est-ce là tout ce que peut apporter un soignant ?
Une infirmière maladroite se fera rabrouer dans sa violence à vouloir confronter la personne à son image dans un miroir. Rien d’étonnant à ce qu’elle se retrouve dehors. Une phrase m’a marqué dans ce film c’est ce que dit cet homme à sa fille « je n’ai pas le temps de recevoir ton inquiétude ».
L’inquiétude, effectivement, semble en retard, pas souhaitable dans ses conseils qui n’ont pas leur place. Et le père finit par dire « laisse nous notre histoire, vis ta vie. » La fille n’a plus d’accès même dans sa tentative à raconter sa vie pour mettre un peu de vie dans ce huis clos en leur parlant de sa vie, se voir rembarrer dans sa vie. Comme si elle n’était pas concernée. Pourtant elle dit bien que lorsqu’elle était petite, elle était rassurée de les entendre faire l’amour, façon de dire qu’elle participait de leur amour.
Mais la voilà réduite à l’errance d’un invité indésirable, qui n’a qu’à s’occuper de sa vie.
Le vide est donc fait autour d’eux et creuse son lit de mort ;

Les exigences que cet homme a de lui même, tournées un temps dans le soin, perdront patience, la violence viendra montrer son nez lors d’un repas. La femme se voit sous l’emprise de l’aide de son mari, ce qu’elle craignait au début, lorsqu’elle lui disait  » tu peux t’éloigner de moi, et ne pas regarder comment je fais tenir mon livre » est arrivé; Mais il ne s’éloignera pas d’elle. Si peu… Il ne l’abandonnera pas.
Là voilà entièrement prisonnière de la maladie et prisonnière de lui. Ne s’aimant pas, elle ne peut pas y voir dans l’approche de son mari l’amour, elle parle de « mauvaise confiance »; son amour est réduit à la pitié, à la condescendance, elle lui renvoie une haine d’elle même.
Le voilà prisonnier de la maladie et prisonnier d’elle.
Le pli est pris. Le faux pli, l’erreur de penser que l’amour puisse s’obliger à aimer et que prendre soin de la personne qu’on aime puisse cacher quelque pouvoir que l’on voudrait prendre sur elle, profitant de la situation pour jouir de sa propre puissance. C’est un sentiment que l’on peut comprendre et qui est toujours inhérent, toujours présent dans l’aide, le soupçon, la crainte de l’abus.
Crainte malheureusement justifiée et tellement justifiée dans la déperdition d’un corps qui ne peut plus…
Il est caractéristique du sentiment de vulnérabilité. Moyen de défense, histoire de prévenir l’abus qui peut toujours avoir lieu, la confiance qui peut toujours être trahie.

Quand on ne s’aime pas, c’est qu’on a perdu confiance en soi. Le soin en convoquant cette confiance, en demandant un effort à la personne afin d’améliorer la situation convoque cette confiance et la possibilité de garder un pouvoir sur son autonomie.

L’amour est essentiel, mais l’amour ne suffit pas

Bien sûr que l’amour est essentiel, mais il ne suffit pas ! L’amour ploie se plie et se replie sans ressources extérieures. Les couples explosent devant la lourdeur de certaines maladies ou handicaps. Les soins sont des ressources extérieures. Et je ne parle toujours pas que de soins palliatifs. Cette dame au début du film n’en est pas aux soins palliatifs, elle en est aux soins de réadaptation du handicap !

L’amour est atteint par cette hémiplégie, il est rabougri, noirci de honte, il ne trouve même plus d’accès ou d’ouverture dans la nostalgie des souvenirs.
Se souvenir des belles choses n’est même plus possible, même plus pensable.
L’amour est en danger d’exclusivité. L’emprise est l’amour passionnel qui étouffe.

La visite du jeune musicien est une scène clef ; ce dernier intervient comme intrusif dans un monde brisé, alors qu’il aurait pu être un élément clef de la transmission positive qu’a laissé cette femme qui lui a enseigné la musique (nostalgie positive). Alors qu’il aurait pu représenter un élément positif de son œuvre personnelle, il heurte. Alors que son hommage, même à la découverte du handicap ne change pas son regard positif, on sent bien que cela ne change rien à l’hommage qu’il est venu lui rendre, et c’est ce regard positif qui est lui aussi devenu scrutateur, indésirable à elle-même.
Il s’en va désolé, dépité, remballant son hommage et sa joie à la gloire du passé.
Lorsqu’il joue, c’est une mémoire mélancolique, tournée vers elle et le passé, proche de celle que nomme Nietzsche, le ressentiment, au lieu d’entendre l’envolée de la transmission et la joie de l’avenir construit qui est devant elle, à travers ce jeune pianiste qu’elle a formé.
Centré sur elle, tout est concentré sur elle, les autres ont disparu.
C’est le huis clos de la destruction de l’intérieur, l’amour qui s’étouffe n’a plus d’air, l’amour de la vie qui enfermé sur lui-même ne peut plus sortir de lui- même.

On trouvait déjà cet amour malheureux de ne plus pouvoir s’exprimer dans le film Quelques jours de printemps de Stéphane Brizé, amour qui ne pourra s’exprimer qu’en toute dernière instance de la mort irréversible, que dans un au revoir.

Que dire, que faire face à cette dépression qui ne peut plus voir l’amour extérieur qui pourrait lui permettre d’aller vers l’autre et recevoir ce que ce jeune homme est venu lui apporter par sa visite ?

L’amour s’échoue au lieu de s’envoler, il n’a plus d’aile.
Ce danger d’emprise et d’enfermement, les professionnels de santé le connaissent, redoutent et préviennent ce sentiment de glissement où l’impossible gagne et où l’amour échoue.

Que dire du geste final d’étouffement, sinon qu’il est la suite logique d’un étouffement physique et psychique de la maladie et de la vie?
Que dire d’autre, sinon que les soins absents génèrent ce genre de situations d’enfermement et de dérive ?
Que dire, sinon que le handicap, la maladie chronique, la fin de vie ne peuvent qu’échoir dans un amour déchu s’il n’est pas soutenu en actes, en présence, en relation avec des ressources de soins, si la personne proche et la famille en général ne sont pas soutenues, si chacun se contente de rester subjugué et impressionné et plein de respect et d’interdit à admirer de loin ces situations qui nécessitent un engagement humain , dont les soins constituent un rempart contre cette exclusion et ce naufrage que la maladie convoque, mais que ces soins apportés par les soignants dans une maladie ne suffisent, pas, qu’il y a un engagement personnel à soutenir tous les liens, y compris les liens familiaux et les liens d’amour plutôt qu’à se concentrer à les analyser, tous les liens qui maintiennent la personne dans son envie de vivre, non pas uniquement en vie.

Ce film pour moi décrit l’extinction de l’envie de vivre, dont on a raté le « coche » dès le début.

Il est évident que si le débat de la fin de vie évoque l’amour dans cet acte. On y comprendra, je l’espère, la nécessite de ne pas intoxiquer l’amour et l’enfermer dans un huis clos malsain, on comprendra que cet acte d’étouffement n’est pas un acte libre, c’en est même l’opposé.
On comprendra que si liberté de l’amour en fin de vie il y a, c’est dans la liberté de puiser les ressources, toutes les ressources, existantes avant de déclarer forfait.

On y comprendra aussi que seul face à l’adversité l’homme ne peut faire face. Il arrive aux limites de ses propres ressources et si la moindre fenêtre ne s’ouvre pas sur l’extérieur, c’est plus que la mort, c’est l’amour qui est tué.
L’amour sans soin est disqualifié. La maladie ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche.

Penser la mort, c’est pourtant penser l’amour

« Je vous souhaite à tous de vivre d’amour et de création ». Dernière phrase écrite de J.P. Rouette avant sa mort à ses amis cinéastes.

Il y a les amours malheureux de Rimbaud, il y a les morts malheureuses et tragiques, les morts solitaires, les morts violentes, les morts de toutes sortes, mais je ne peux m’empêcher de penser avec Goethe qu’ »on peut aussi construire de belles choses avec les pierres qui entravent le chemin »;

Qu’il y a aussi des morts simples, des morts qui se passent bien, des fins de vie riches, des fins de vie paisible, des fins de vie qui laissent un sentiment de beauté et de grandeur, qui laissent un sentiment d’achèvement et non de fin, qui laisse une lueur qui brille dans les yeux de ceux qui restent.

J’aime pouvoir encore penser que l’amour donne des ailes pour s’envoler, qu’il ne les replie pas, mais les ouvre. Qu’il n’a pas de limite dans la recherche de solution, qu’il en éprouve même du plaisir à braver les obstacles, à ne jamais céder à rien, j’aime à penser que l’amour soit assez rebelle, soit assez indomptable et libre pour se défaire des chaines qui l’entravent. J’aime à penser qu’il puisse durer au delà de l’adversité et y voir plus loin, j’aime lorsqu’il s’allie à construire du possible, à créer plutôt que de détruire, j’aime quand il dénigre le mal, donne un coup de botte aux nuages qui l’empêchent de voir clair, j’aime son audace et son impétuosité à vouloir pousser les murs pour agrandir les espaces, j’aime plus que tout, rayer le malheur du programme de soin, j’aime lui apporter contradiction, opposition, résistance, et lutte contre la souffrance. Voilà ce que c’est que veux penser de l’amour et si l’amour se résume à ne plus pouvoir le faire , si l’amour se résume au pouvoir, au pouvoir dire, au pouvoir faire, c’est pas étonnant qu’on en arrive à se désespérer lorsqu’on perd le pouvoir de faire et de dire.

Il y a pourtant autre chose qui dépasse, qui déborde ce que peux faire l’humain de sa vie, il y a autre chose de plus infini que sa propre fin, C’est ce qui rayonne de lui, dans les liens qu’il a crée, dans la trace qu’il laisse chaque jour de lui-même, dans ce qui même dans la vulnérabilité la plus démunie, c’est ce qui subsiste de lui.
Cette femme qui chante et danse sur le pont d’Avignon, ce n’est pas rien. Peut-être que finalement, ce chant qui soutient leur lien, s’étouffe de ne pas être repris en cœur. On y souhaiterait l’aide des sept nains de blanche neige qui viennent y entrainer les chants ! On y souhaiterait la cohésion d’une famille et la chaleur d’un ensemble repris en échos.
Il nous va droit au cœur ce pont d’Avignon, où on y danse encore …

Lorsqu’on attrape l’oiseau de la liberté, c’est pour le soigner, pour qu’il puisse s’envoler, pas pour l’étouffer et s’approprier sa vie. C’est peut-être alors sauver la beauté des choses et des êtres qu’il nous revient de préférer, au delà de l’image qu’ils laissent voir, c’est peut-être au plus profond de nous même penser qu’il y a dans la profondeur de la nuit et du désespoir un infime espoir, une étoile dont la lumière est juste voilée , juste cachée , mais qu’elle est là en chacun de nous.
Que cet amour, enfant de liberté s’envole de lui-même, sans qu’on ait à le pousser … sans le contraindre à s’en aller…
Peut-être que nous ne savons plus entendre la voix humaine, jusqu’au cri comme le chant humain d’une présence humaine, peut-être même que nous ne savons plus gouter la paix qu’il y dans l’apaisement de la souffrance d’une personne en fin de vie qui dort, peut-être que nous ne savons plus comment s’apaiser.
Pourtant, souvenez-vous, Assurément nous connaissons cette lueur de joie qui éclaire un regard dans la personne qui aime, c’est peut-être cela que nous devrions chercher ensemble, cette lueur qui éclaire ce travail des soignants, celle qui éclaire le cœur des proches qui transforment souvent l’effort en plaisir, celle qui fait de nous des êtres capables de supporter les choses difficiles de la vie.

Penser la fin de vie, c’est penser le soin et le lien au monde

Il est déjà tard en fin de vie pour réagir, je n’ai pas dit trop tard; mais il serait souhaitable et préférable que les soins s’installent à domicile, quand tout va encore bien et que la rencontre est encore possible. Au caractère palliatifs des soins, il faut un accompagnement précoce dès les premiers stades de la maladie, dès le retour à domicile, sinon le souhait de retour à domicile des personnes en fin de vie tournera au cauchemar, et on sait combien la liberté se paye en sécurité à domicile.

L’urgence est de développer et permettre l’accès facilité à ces soins palliatifs, permettre qu’ils soient introduits au domicile des patients par un accompagnement des soins en amont et non plaqués en fin de vie les derniers jours de la vie;
Il ne s’agit pas non plus de devenir intrusif en transportant l’hôpital au lieu intime du domicile, on ne peut être qu’intrusif dans ces manières de faire.
La fin de vie à domicile est vécue comme une continuité de la vie, ne cassons pas cette continuité et cette « harmonie » si précieuse dans la poursuite des soins, utilisons les moyens humains existants et les professionnels du domicile qui connaissent parfaitement cette forme de proximité intime de la casa, travaillons avec les moyens techniques de l’hôpital, avec l’esprit et l’âme intérieure qui convient à cette phase ultime de la vie.

Si la fin de vie est unique, et intime, elle est pourtant tellement intimement collective, qu’on ne saurait supporter qu’elle devienne le synonyme d’un repli de notre humanité,
le débat sur la fin de vie je l’espère mettra à jour tous ces enjeux intimes et ultimes du soin et de l’amour qui l’accompagne, fera connaitre l’avancée que permet la loi Léonetti et permettra aux gens de mieux connaitre leurs droits , leurs droits à des soins de qualité, à ne pas souffrir et mourir isolés, leurs droits à des égards et à vivre leur maladie ou leur handicap, sans être toujours menacé , sans être toujours malmenés, sans être écoutés et entendus.
Je souhaite que ce grand débat de société soit l’occasion de redire à nos pouvoirs publics que lorsque la vulnérabilité gagne l’ensemble du corps soignant, il s’agit au moins d’en préserver les compétences acquises, et que le « soin » que peuvent apporter nos politiques et nos juristes est peut-être de reconnaitre à travers la présence du soin quel qu’il soit, le dernier rempart à la barbarie postmoderne qui divise au lieu de rassembler.
Je souhaite qu’on se préoccupe de ce « maintien à domicile », pour qu’il devienne et reste un choix à part entière, pour qu’il reste possible de mourir en toute intimité de la société ;
Je souhaite qu’il demeure une discrétion aimante, qui ne soit ni un secret, ni une outrance de l’exposition de la condition humaine du mourir.
Je souhaite que la délicatesse, la pudeur et l’intimité puisse être épargnées de bousculades de dernière minute, pour quelques bouffées printanières de dernières minutes , quand le manque a creusé son sillon dans une terre aride , sans que quelques jardiniers n’y voient la nécessité d’arroser et de nourrir nos fleurs de liberté.

La fin de vie un débat intimement citoyen

Si la fin de vie nous rassemble toujours autour des funérailles, j’oserai dire qu’il ne faut pas attendre « Quelques heures de printemps » dans la crise générale et dans l’urgence finale de l’apoptose sociétale, qu’il faut agir de manière urgente pour préparer ce retour à domicile, et je ne vois pas comment faire autrement qu’en nous croisant toujours sans nous parler, sans nous connaître, sans communiquer sur les métiers du soin, sans assurer nos patients les plus gravement atteints qu’ils ne seront pas livrés à eux mêmes, qu’ils sont au cœur de nos préoccupations, qu’ils sont au cœur de l’humanité de nos sociétés.

Je souhaite que ce grand débat humain tant attendu et tant souhaité sera l’occasion de mettre en valeur la grandeur de la personne humaine jusque dans ses derniers instants, une grandeur qui dépasse les rôles, les cartes professionnelles et les missions, qui déborde de partout.
Franchement, j’espère qu’on se rendra compte de cela, de cette loi non inscrite, qui n’est pas une loi de la nature de l’homme, mais une loi de la nature civilisée qui nous fait participer du monde qui nous entoure

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Polyhandicap et souffrance : décalage http://plusdignelavie.com/?p=2047 http://plusdignelavie.com/?p=2047#comments Wed, 13 Jun 2012 13:47:26 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2047 Marie-Christine Tézenas du Montcel

Parent d’une personne polyhandicapée, Groupe polyhandicap France

 

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas simplement la souffrance, ni la douleur liées directement au polyhandicap. C’est plutôt l’isolement, la marginalisation liés au décalage entre la souffrance et sa perception, son appréciation par autrui. Ça concerne la personne polyhandicapée et sa famille.

. . . → Read More: Polyhandicap et souffrance : décalage]]>
Marie-Christine Tézenas du Montcel

Parent d’une personne polyhandicapée, Groupe polyhandicap France

 

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas simplement la souffrance, ni la douleur liées directement au polyhandicap. C’est plutôt l’isolement, la marginalisation liés au décalage entre la souffrance et sa perception, son appréciation par autrui. Ça concerne la personne polyhandicapée et sa famille.

 

Pour illustrer mon propos, je vais restituer un petit dialogue ; il date de l’été dernier.
Septembre, coup de fil d’une « bonne copine »,  on se connait depuis trente ans. (Je précise que Grégoire en a 27.).
D’habitude, on se voit régulièrement, mais cette fois elle a voyagé.  À son retour, elle prend des nouvelles.

« - Comment s’est passé l’été?

- Bof, un temps moyen mais ça a été. Grégoire a passé quatre semaines ici.

D’une voix pleine de sollicitude, elle me dit :

- Et ça va ? Tu n’es pas trop fatiguée ?

Et moi, naïve, je réponds avec enthousiasme la vérité :

- Oh non, c’était très sympa.

Et là, un silence, un tout petit silence, le temps d’un battement de cœur, en musique on dirait un soupir. Mais j’entends ce très bref silence.

Elle dit :

- Ah, très bien, alors… Et enchaîne.

Je ne l’entends plus. »

 

Une fois de plus quelqu’un de mon entourage proche n’a vu, de Grégoire, que les obligations, la fatigue, les contraintes, tout l’aspect négatif.
Une fois de plus, sa vraie existence a été niée. Et tout cela avec la plus grande amitié, la plus grande gentillesse du monde.
Grégoire vu par les yeux d’autrui. Polyhandicapé. Grabataire. Sans langage. Peut être douloureux. Bref, un concentré de souffrance, d’ennuis, de fatigues. Rien d’autre.

 

Réalités de la souffrance

Bien sûr, il y a, il y a eu, souffrance. Comment le nier ?

Il y a, et elles sont étroitement intriquées, dès le départ, la souffrance de l’enfant, celle du parent.

Celle du parent, je la connais.  Le rêve brisé ? De quel rêve s’agit-il ? Qu’y avait-il dans notre inconscient, dans notre tête de parents qui avaient voulu cet enfant ? Un instinct de reproduction dans notre cerveau reptilien ? Et conséquence directe, l’idée que cet être destiné à perpétuer l’espèce devait être aussi parfait, c’est-à-dire aussi peu vulnérable que possible pour pouvoir survivre jusqu’à se reproduire à son tour ? Vieux schéma sans doute, embelli, arrangé, mais pas loin de la réalité. En tout cas quelque chose de très primaire, de très animal, et donc de très fort.  Chez les humains, on appelle ça l’amour.

Nous l’avons identifié dès le premier instant comme notre enfant ; une grossesse sans souci, une césarienne sans surprise, et déjà un air de famille. Nous avons très vite été confrontés à autre chose puisqu’il a été hospitalisé à huit jours, mais le lien état déjà créé, déjà très puissant, et ce qui s’en est suivi a été d’autant plus difficile.

On ne va pas y revenir, tout cela a été largement décrit, ce n’est pas le propos aujourd’hui.

 

Mais celle de l’enfant ? Y a-t-il eu souffrance pour lui ? Certainement, ce n’était pas drôle de se retrouver en couveuse, en observation, plutôt que dans un berceau douillet ou dans les bras. Certainement ce n’était pas drôle de convulser. Certainement il y a eu douleur, certainement tout cela n’a pas été une partie de plaisir.

Qu’a-t-il vraiment éprouvé ?

Que ressent un nouveau né, puis un petit enfant au cerveau abimé? Je n’en sais rien, mais j’ai envie de dire qu’il ne ressent pas des choses fondamentalement différentes de ce que ressent un nouveau né parfait. Lui non plus ne parle pas, ne marche pas.

Il me semble qu’entre ces deux enfants, la première, la vraie différence vient précisément d’autrui. Comment on le prend, comment on le porte, et surtout, surtout, comment on le regarde. C’est le regard d’autrui qui singularise d’abord, et un bébé handicapé se sent aussi heureux ou malheureux que n’importe quel autre bébé, si on excepte l’éventuelle souffrance physique.

Autrui pour le bébé, c’est souvent le parent. Parfois, malheureusement, c’est le corps médical.

Ce qui fait grandir un bébé autant que l’état de son cerveau, c’est ce qu’il lit dans le regard de l’autre, c’est la certitude d’être aimé pour ce qu’il est. Si le regard de l’autre est sombre, malheureux, dépréciateur, on court à la catastrophe. On a tous fait l’expérience avec des tout petits. Un sourire déclenche un sourire, un air sévère peut entrainer des pleurs.

Que savons-nous de la souffrance de ces enfants? J’ai vu Grégoire essayer, comme tous les bébés, des choses qu’il n’arrivait pas à faire. Je l’ai vu se décourager, j’irais jusqu’à dire que je l’ai vu déprimer. Mais la capacité, la faculté l’adaptabilité des êtres humains est telle que j’en suis encore à me poser des questions sur ce qu’il a vraiment éprouvé, et quand.

Nous avons toujours fait en sorte de l’encourager, nous avons toujours tâché qu’il puisse lire dans notre regard un amour inconditionnel – que nous éprouvions – pour ce qu’il était. Avons-nous réussi ? Qu’a-t-il ressenti? Je l’ignore. Encore une fois, je ne parle pas de douleur physique, là aussi c’est autre chose.

Et puis il a grandi, et nous, parents, avons fait du chemin. Ce qui est évident, c’est que nous avons refusé beaucoup plus de choses que lui, nous avons pris la vie moins sereinement qu’il ne l’a fait, nous avons été beaucoup plus méfiants, anxieux, parano, que lui. Je rappelle qu’on est dans les années 90 et que nous n’avons pas eu de diagnostic avant la première IRM demandée par les anesthésistes avant une intervention orthopédique, il avait alors onze ans.

Il s’agit, chez Grégoire, d’un polyhandicap de naissance. Sans doute moins difficile à vivre qu’un handicap survenu plus tard, qui est une perte d’acquis, un renoncement à ce qu’on a connu.

Je me suis toujours demandé ce que pensaient de nous les oiseaux, nous qui en cas de menace ou d’agression sommes incapables de nous envoler vers la branche voisine et devons rester collés au sol…

Nous qui ne pensons même pas à nous envoler, même si nous voyons les oiseaux le faire tous les jours, nous n’en souffrons pas plus que ça…

A-t-il souffert de ne pas marcher ? A-t-il souffert de l’arrivée des petits frères, qui, eux ont suivi les étapes et les délais classiques du développement? Sans doute. Et sans doute ce qui l’a le plus gêné, c’est cette difficulté à communiquer que rencontrent nos enfants sans langage.

Y a-t-il une pensée sans langage ? Je suis sûre que oui. À quoi ressemble t elle ? Je ne sais même pas à quoi ressemble la mienne, que j’ai si souvent du mal à formuler précisément ? Comment pourrais-je faire des comparaisons, alors que je n’ai même pas de certitude pour ce qui me concerne ? En tout cas il y a un sentiment de vivant, de bonheur ou de difficulté, un peu l’ « éprouvé d’existence » dont parle Georges Saulus, qu’il est sans doute cruel de ne pas pouvoir partager.

Comment perçoivent-ils la difficulté de s’exprimer, qu’elle soit liée à l’impossibilité de partager un bonheur, de dire un tourment ou un désir bien simple, ou celle d’exprimer un choix, au lieu d’avoir toujours quelqu’un d’autre qui décide pour eux ?

Je vois dans la littérature des choses qui me surprennent, un déferlement de souffrance. Ai-je tort, ai-je raison? C’est avec lui que je voudrais en parler, lui qui ne peut pas me répondre. C’est à moi, à son entourage, d’essayer de discerner félicités, frustrations, satisfactions ou souffrance, d’encourager son envie de vivre.

Montaigne écrit : « Enseigner, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. »  Cela me semble s’appliquer particulièrement à nos enfants, même s’il s’agit d’insuffler plutôt que d’enseigner.

Je vois son regard, je vois cette détente de tous les traits qui lui tient souvent lieu de sourire, je vois son vrai sourire. Je vois le plaisir qu’il a à être avec nous, à partager quelques activités, à revoir ses éducateurs, certaines en particulier.

Allons, c’est un être humain comme les autres, à quelques nuances près, mais avec la même capacité à être heureux.

Mais ça, c’est mon avis. Nous ne sommes pas toujours nombreux à le penser…

 

 

Le regard des autres

Mais ils sont souvent nombreux à penser l’inverse.

Je disais plus haut qu’il n’était pas question de nier la souffrance liée au polyhandicap. Ce dont il s’agit ici, c’est de ne pas se laisser dévorer par une souffrance qui n’existe que dans l’esprit des autres, illusion indue qui met à l’écart, qui marginalise, qui rajoute du handicap au handicap.

Aujourd’hui, si on ne se retourne plus, ou très peu, sur un fauteuil, on n’engage pas non plus le dialogue. Puisqu’on ne sait pas s’il répondra, et ce qu’il répondra, et si on ne va pas être en porte à faux.

Et puis, leur parler, je le reconnais, c’est se mettre en danger.

Se mettre en danger de ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre, de s’exposer à une différence qu’on ne maîtrise pas. Se mettre en danger d’affronter cette différence, de ne pas s’y reconnaître, ou, pire encore, de s’y reconnaître.

Se reconnaître dans un être qu’il est tellement plus facile d’ignorer, de renvoyer à la non humanité, tant le miroir qu’il nous tend est révélateur de notre propre faiblesse, de notre propre vulnérabilité, de notre propre finitude. On est confronté à la difficulté d’accepter, chez autrui, ce que chacun redoute en secret pour soi ou pour les siens.

C’est une haute exigence, et qui demande beaucoup d’humilité, qui demande, comme le disait récemment Cédric Gicquel, de sortir de la toute-puissance. Rude épreuve en vérité.

La normalité c’est d’abord le contexte, l’habitude. Ils ne sont pas conformes, ils surprennent.

Ils dérangent.

Dans notre société actuelle, malgré des progrès considérables, ils restent, qu’on le veuille ou non, socialement incorrects.

Ces personnes si lourdement touchées, je l’ai dit la dernière fois, je redis à nouveau, sont les catalyseurs de l’essentiel : ils cristallisent nos peurs les plus intimes, les plus secrètes. Ils nous dépouillent des apparences que nous avons tant de mal à élaborer. Ils nous ramènent à ce qu’il y a de plus important, et nous confrontent à des valeurs fondamentales.

Alors plutôt que de les regarder, de les prendre pour ce qu’ils sont, on imagine,  on fantasme.  C’est vrai que l’évaluation de la souffrance est totalement subjective. Quand les gens parlent de la souffrance de l’enfant et de sa famille, ils se projettent,et c’est de la leur qu’ils parlent, de ce qu’ils croient que serait la leur s’ils se retrouvaient en situation de handicap…La réalité n’a souvent aucune part dans le scénario que les bien portants se fabriquent.

Ils s’en sortent comme ils peuvent. En disant aux parents combien ils les admirent, c’est-à-dire en les marginalisant un peu plus. En « maternant » (« paternant ? ») leur enfant. « Pauvre biquet ! » Je vois d’ici la tête de ses frères (plus jeunes que lui) si un adulte les appelait « pauvre biquet ».

On en revient à ce que je disais en introduction, à la négation de la vraie existence des gens polyhandicapés, de leur personne.

Et le décalage s’accentue, et s’accentue encore.

Alors on amalgame, on rajoute de l’étrangeté, de la différence, en un mot de la souffrance.

C’est bien sûr là où je veux en venir. C’est comme si l’on créait une immense armoire, intitulée : « Ne pas regarder, danger », et qu’on les jetait tous là pêle-mêle, avec leurs espoirs, leurs joies, leurs rires leurs douleurs, leurs craintes, tout ça cul par-dessus tête.

Cette absence de discernement est proprement intolérable. Pour se protéger les bien portants augmentent, en les rejetant, la souffrance des personnes handicapées.

 

Comment voulez vous qu’ils s’en sortent ? Et nous, parents, avec eux ?

Comment extraire chacun de ce magma informe, lui redonner sa personnalité, son originalité, ses désirs, en un mot son être ?

C’est une  forme de destruction subtile et terrible que ce que ce misérabilisme, ce déni de singularité, d’humanité, dont ils sont parfaitement conscients.

On majore leur souffrance en leur attribuant un tourment qui n’est pas la leur, en les mettant au cœur d’une tragédie qui n’est pas la leur, mais peut être bien la nôtre.

Ils n’ont pas besoin de cette épreuve, ils ont assez de difficultés comme ça.

 

Et ils ont encore moins besoin qu’on nie leur capacité à être heureux, leur bonheur.

Car au-delà de leurs soucis, ils sont aussi capables de bonheur que vous, et moi. Ce qu’ils éprouvent est totalement humain. Leur trame du bonheur est la même que la nôtre.

De mon expérience de parent, souvent confronté à cette étrangeté qu’on attribue à mon fils, et, partant, à moi, il ressort quelque chose de positif. Il ressort une obligation de dire. D’expliquer. De partager ce que je viens de vous dire.

J’ai mis longtemps à pouvoir le faire. J’y suis parvenue, très récemment en réponse à un de ces insupportables « Comme on vous admire ! ».

Mes interlocuteurs étaient sidérés. L’un d’eux m’a dit « Je n’avais jamais considéré les choses comme ça. Vous m’avez ouvert des horizons, y compris sur moi-même ».

 

J’en reviens à mes oiseaux : êtes-vous si malheureux de ne pas voler ?

J’en reviens à nous: aimerions-nous, aimeriez-vous qu’on ne vous aime pas, qu’on ne vous reconnaisse pas pour ce que nous sommes ?

Eux qui sont réduits à l’essentiel, ils savent mieux que nous ce qui est important.

A travers la vie de tous les jours, les activités, de quelque ordre qu’elles soient, y compris les plus triviales, les plus quotidiennes, Il ressort un vrai bonheur de vivre, d’aimer, de se voir reconnu pour ce qu’on est, d’être aimé comme tel.

Je crois profondément que Grégoire est heureux. Malgré tout. Malgré le regard des autres.

 

Du déni?

Alors je sais bien ce que l’on peut dire. Elle est gentille cette dame, mais comme elle est s’arrange bien de la souffrance de son fils, et du coup de la sienne propre. Quelle belle construction ! Quel déni magnifique !

Et si cela était ?

Il m’est arrivé d’entendre, des parents qui avaient perdu leur enfant dire « Tant qu’il est là, on ne peut pas s’avouer comme c’est dur, sinon, on n’aurait pas le courage de continuer » Ou des phrases du même genre, qui traduisaient un très grand chagrin…

On rencontre parfois des parents dans l’excès, d’optimisme ou de pessimisme, puisque, on l’a vu, l’appréciation de la souffrance est subjective.

En supposant que cela ne soit que du déni, quel est, quel serait alors le rôle de l’entourage?

Le déni de souffrance est une forme d’autoprotection. Tolérable tant qu’elle ne se fait pas aux dépens de l’autre.

C’est aussi un chemin dilatoire vers l’acceptation de l’intolérable.

Il me semble que, si l’on est confronté à ça, il faut le respecter. Ne serait ce que pour que le regard posé sur l’enfant jeune ne devienne pas destructeur, dévastateur à force d’angoisse.

Il faut laisser aux parents d’enfant handicapés le temps d’apprivoiser cette souffrance, même s’il leur faut pour cela passer par le déni. Il faut toujours tâcher de discerner, au fond de quelque chose qui parait négatif, le germe de ce qui deviendra du bien..

 

Une souffrance traversée ensuite acceptée, dépassée, cesse d’être une souffrance. Elle est enfin apaisée et laisse la place à autre chose, peut être à la construction de cette résistance dont nous avons tant besoin. L’autre jour à Cannes, à la remise de la Palme d’or, Trintignant citait Prévert : « Et si on essayait d’être heureux, ne serait ce que pour donner l’exemple ».

Ces enfants nous sortent de la toute puissance et nous redonnent notre part d’humanité, nous offrent le choix d’accepter et de transformer, de sublimer notre destin, dans une confrontation permanente à quelque chose qui nous dépasse et parfois nous transcende.

 

Conclusion

Je  regarde Grégoire.

Est-il si malheureux ? Suis-je si malheureuse ?

Je le regarde et je pense à d’autres. Particulièrement à des enfants. Je pense  aux petits chiffonniers du Caire, aux enfants de Manille ou de Bogota, à tous les petits esclaves du monde entier. Je pense aux adolescents de dix sept ans qui ont décidé d’en finir avec la vie. Et à leurs parents.

Je le regarde, et j’entends les cris de joie d’autres enfants, ceux des cours de récréation, ceux  qui courent vers les vagues, vers la neige.

Je le regarde, il me regarde. L’échange, muet,  n’en est pas moins fort.

Je le regarde, et je me dis que, dans sa singularité, Grégoire a le visage de l’humanité tout entière.

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Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus http://plusdignelavie.com/?p=1714 http://plusdignelavie.com/?p=1714#comments Mon, 20 Feb 2012 16:25:56 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1714 Marie-Odile Clergue

Témoignage d’une personne malade

 

Voici le débat relancé ! Et c’est tant mieux !

Puisse-t-il amorcer et, pourquoi pas, enfin approfondir une véritable et honnête réflexion qui permette de dépasser les oppositions récurrentes : soins palliatifs/euthanasie ou fin de vie/euthanasie. Et ainsi en finir avec l’appropriation de la « dignité », alors que, force est de le . . . → Read More: Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus]]> Marie-Odile Clergue

Témoignage d’une personne malade

 

Voici le débat relancé ! Et c’est tant mieux !

Puisse-t-il amorcer et, pourquoi pas, enfin approfondir une véritable et honnête réflexion qui permette de dépasser les oppositions récurrentes : soins palliatifs/euthanasie ou fin de vie/euthanasie. Et ainsi en finir avec l’appropriation de la « dignité », alors que, force est de le reconnaître, elle est intrinsèque à la nature humaine et qu’il s’agit de « vivre dans la dignité » jusqu’à la fin de la vie, plutôt que de « mourir dans la dignité ».

 

Il est urgent aussi de cesser d’employer les termes d’euthanasie active et d’euthanasie passive ; la distinction n’existe pas ! L’euthanasie c’est volontairement interrompre le cours d’une vie. Point !

Puisse-t-il aussi permettre d’éviter de parler ou d’écrire en notre nom, nous les malades confrontés plus que d’autres à notre finitude (comme l’est cependant le commun des mortels !). Ce que nous avons à dire est simple et illustre tout à fait un état des lieux désastreux concernant la résistance à la mise en place des soins palliatifs.

Oui, le corps médical ne connaît pas ou alors mal la loi Leonetti ; donc elle n’est pas ou mal appliquée

Oui, le corps médical se refuse à intégrer dans sa pratique ce paradigme des soins palliatifs.

Oui, le corps médical se refuse le plus souvent de nous regarder, nous les malades atteints de maladies graves et incurables. S’il daignait au moins poser un regard sur une personne et non sur un élément, un objet médicalisé, un « cas », une maladie, digne d’intérêt certes, car bien sûr on nous « soigne » !

 

Comme toute personne

Sont-ils dans le « cure » ou aussi dans le « care » ? Quelle idée se font-ils de l’acte de soigner ? N’est-ce pas le plus souvent dans leur esprit celle de nous guérir et c’est louable, merci. Mais quand il n’y a pas de guérison à l’horizon (et même avant bien sûr), pourquoi ne pas enfin pratiquer le « prendre soin » ?

C’est ce dont nous avons besoin, d’une relation de personne à personne, d’un véritable regard sur un sujet qui pense, qui souffre, qui se réjouit, qui s’interroge, qui espère, qui aime, qui a peur… comme toute personne.

Nous ne sommes pas une catégorie à part, nous avons les mêmes besoins d’humanité : il n’y a pas rupture avec ce que nous étions et sommes devenus avec la maladie, même si son vécu nous modèle douloureusement. Nous sommes et restons nous-mêmes.

Il est urgent de ne pas abandonner cette attitude d’humanité aux seuls soignants en unités de soins palliatifs. Tout médecin devrait pouvoir faire preuve de cette humanité (il semblerait que les jeunes internes soient plus réceptifs à cette culture de la démarche palliative).

En ce qui concerne l’interdiction de l’obstination déraisonnable, c’est un grand progrès, mais il faut veiller à ce que sa mise en œuvre soit appliquée dans les règles, je veux dire que les médecins interviennent de façon collégiale, avec discernement et après avoir consulté les intéressés (directives anticipées, personne de confiance ou famille).

Lorsque la demande d’arrêt de traitements émane du malade lui-même, il me semble nécessaire d’approfondir et d’accompagner cette demande. J’ai été confrontée à cette grave question, ayant demandé l’arrêt des thérapies actives pendant 3 mois, après un sévère accident cardiaque consécutif à la chimiothérapie. Ce n’est pas si simple quand vous découvrez que la maladie profite de cette pause pour évoluer… Que de questions se bousculent en plus de la peur, alors que vous pensiez avoir accepté la fin de vie !

N’est-ce pas un suicide déguisé ? Est-ce un manque de courage ? Est-ce un abandon des siens ?

 

Crier que nous n’en pouvons plus

C’est en service de soins palliatifs que j’ai bénéficié du prendre soin de la part de tout le personnel, médical, soignant et de service. J’y ai vécu ce qu’est l’accompagnement, le respect, l’écoute, l’attention réconfortante, le non-jugement, la recherche du plus grand confort et soulagement possible.

Ailleurs, j’ai la plupart du temps rencontré du personnel soignant (infirmières, aides-soignantes) attentif et compétent et capable de mettre en œuvre cette attitude du prendre soin, bénéficiant de l’aide d’un psychologue. Aussi je m’interroge sur ce qui empêche trop souvent le corps médical d’entrer dans cette culture de la démarche palliative. Cela ne peut-il s’évaluer dans des enquêtes relatives à l’état des lieux ? Nous sommes dans le domaine du qualitatif professionnel.

Comment remédier à ces graves manquements à la qualité du soin qui ne seront peut-être pas assez pris en considération si, nous les malades gravement atteints ou en fin de vie, ne pouvons les faire connaître pour faire remonter ces constats aux instances responsables et crier que nous n’en pouvons plus ?

Bien sûr on objectera que les médecins doivent se protéger, se préserver… Mais alors comment font ceux qui exercent en unités de soins palliatifs ? Sont-ils des êtres exceptionnels ?

Oui, ils le sont, à force de travail sur eux, d’exercice d’humanité, d’amour de leur profession.

Mais vous ne m’empêcherez pas de souhaiter que tous les médecins devraient être ces êtres exceptionnels !

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Plus digne la vie : Pour un accompagnement contre la souffrance et le passage à l’acte http://plusdignelavie.com/?p=1619 http://plusdignelavie.com/?p=1619#comments Fri, 10 Feb 2012 11:24:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1619 Gérard Courtois

Directeur général d’association, Cachan

 

Depuis l’affaire Perruche, depuis la mort de Vincent Imbert… l’opinion publique ne cesse de se faire entendre et les réactions sont essentiellement émotionnelles. C’est bien légitime car les projections n’épargnent aucun individu et chacun se croît devoir choisir entre l’hypothétique «totale» dépendance et la vie… La perte . . . → Read More: Plus digne la vie : Pour un accompagnement contre la souffrance et le passage à l’acte]]> Gérard Courtois

Directeur général d’association, Cachan

 

Depuis l’affaire Perruche, depuis la mort de Vincent Imbert… l’opinion publique ne cesse de se faire entendre et les réactions sont essentiellement émotionnelles. C’est bien légitime car les projections n’épargnent aucun individu et chacun se croît devoir choisir entre l’hypothétique «totale» dépendance et la vie… La perte et/ou l’absence de moyens essentiels interrogent-elles toujours sur la possible qualité de vie ? Sur la dignité de celle-ci ?

Il est clair cependant que les réponses à ces interrogations restent et demeurent subjectives car elles sont intimement liées au regard posé sur les personnes ou leur situation. « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits… » Ils doivent, cependant et par principe, le rester jusque devant la mort.

Oui, à mon sens, les textes actuels adoptés par les parlementaires sont bon et pour l’heure suffisants. Ils renseignent sur les droits des individus à décider de leur sort – notamment en ce qui concerne l’acharnement thérapeutique – sans pour autant autoriser la prise de décision par d’autres en leur refusant la dépénalisation de l’euthanasie.

En effet, il y a bien un distinguo à faire entre l’acceptation de la condition humaine face à la mort dans le choix du «LAISSER MOURIR» et l’intervention volontaire préconisée dans le «FAIRE MOURIR».

Ces textes dans leur positionnement, leur détermination rappellent à la société le devoir qu’elle engendre : celui d’accompagner tous les individus dans l’épreuve ainsi que leurs « aidants». C’est bien là qu’il reste beaucoup à faire. Notre secteur du handicap, du polyhandicap et de la grande dépendance le sait bien, il le vit au jour le jour. Tant de familles restent sans aides et solutions, tant d’équipes restent sous encadrées, sous équipées, tant de budgets sont limités, tronqués…

Oui, le droit à l’accompagnement s’impose pour traiter la culpabilité du patient à ressentir le poids de sa propre dépendance pour lui-même ou pour les siens. Et il s’impose pour les familles qui ont à porter trop souvent seules et jusqu’à l’épuisement cette dépendance qui n’est pas leur mais que l’amour les conduit à fatalement s’approprier. C’est toujours au plus lourd de cette solitude que le questionnement se pose au patient, à leur famille,…et nous devrons tous, encore, nous interroger sur ce « Désir de mort » qui plane en chacun d’entre nous, pour soi ou les autres. Je remercie Plus digne la Vie d’oser la résistance au droit dangereux du passage à l’acte !

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Augmenter la puissance d’exister en fin de vie ou comment préserver la dignité du mourant http://plusdignelavie.com/?p=1301 http://plusdignelavie.com/?p=1301#comments Mon, 24 Oct 2011 10:29:21 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1301 Eric Fourneret

Docteur en philosophie, Chargé de mission au Réseau Régional de Cancérologie Rhône-Alpes, Président de l’association Santé, éthique et Liberté – Grenoble

 

Toute personne veut mourir dignement. Cela pourrait presque suffire pour définir ce qu’est une fin de vie digne : elle est ce que chacun désire pour lui-même et pour ceux . . . → Read More: Augmenter la puissance d’exister en fin de vie ou comment préserver la dignité du mourant]]> Eric Fourneret

Docteur en philosophie, Chargé de mission au Réseau Régional de Cancérologie Rhône-Alpes, Président de l’association Santé, éthique et Liberté – Grenoble

 

Toute personne veut mourir dignement. Cela pourrait presque suffire pour définir ce qu’est une fin de vie digne : elle est ce que chacun désire pour lui-même et pour ceux qui lui sont chers, au moment où la vie offre la plus petite résistance face à la mort. Mais si la dignité en fin de vie est une préoccupation, c’est justement parce qu’il existe des risques pour qu’elle ne soit pas digne. Sur ce constat, on connaît le débat : est-il souhaitable d’institutionnaliser la pratique de l’euthanasie, soit parce que la fin de vie est indigne, soit pour éviter qu’elle ne le devienne ?

Mais provoquer la mort d’autrui, fût-ce à sa demande, ne lui rend pas sa dignité. Comment rendre quelque chose à quelqu’un qui n’existe plus ? De la même façon, pourquoi euthanasier une personne si sa fin de vie est digne encore d’être vécue ? Parce qu’elle le demande, dira-t-on, et qu’elle veut absolument éviter qu’elle ne devienne indigne. Mais faut-il ne jamais avoir de relation amoureuse par crainte de la rupture ? Faut-il ne jamais travailler par peur du licenciement ? Faut-il ne jamais avoir d’enfant si on ne veut courir le risque de les perdre un jour ? On se rend bien compte qu’à raisonner ainsi on ne gagne rien. Et pourtant, l’enjeu est de taille. Il est à la mesure de notre responsabilité quand une vie est menacée.

Plus exactement, ce n’est pas de la vie même que nous sommes responsables, mais de ses conditions. La vie ne se possède pas, elle nous possède. Aussi, qu’importe finalement le jugement que nous portons sur elle, ce qu’il nous faut examiner sont ses conditions. Plutôt : ce que nous avons à examiner sont nos moyens pour réaliser les meilleures conditions. Mais un partisan de l’euthanasie dira qu’on ne le peut toujours et cela suffit pour justifier l’euthanasie, ce que contestera celui qui s’oppose à un tel droit ; aucune fin de vie n’est indigne, car la dignité n’est pas de ces attributs que l’homme peut perdre. Elle n’est d’ailleurs pas un attribut en ce que l’homme n’est pas digne par accident. Il tient sa dignité du fait même d’être homme.

De là, il y a quelques raisons de penser que la dignité est une notion éthique trop galvaudée pour penser y voir clair, impliquant des positions morales trop fortes pour espérer s’entendre. Mais tout ne mérite peut-être pas d’être laissé. Si la dignité n’était pas si importante pour nous, pourquoi nous disputer à son propos ? Aussi, les divergences de points de vue peuvent gagner en clarté si l’on part du principe qu’ils tiennent moins d’une façon de traiter une question morale que d’une façon de l’approcher. C’est dans cet esprit que l’on entend réfléchir sur la dignité en fin de vie : passer du jugement à la compréhension.

 

I – Lutter contre la douleur et la souffrance, lutter pour la dignité

Parce que mourir dignement relève d’un désir, nous avons quelques raisons de dire que tout est à faire pour que cela se réalise. Pourquoi le désirer si toutes les fins de vie se passent systématiquement dans la dignité ? Autrement dit, tant qu’elle est de l’ordre du désir, c’est qu’elle est manquée. Nous ne désirons que ce que nous n’avons pas. Mais la fin de vie est une étape particulière. D’une certaine manière, mourir prend un certain temps. Même s’il y a, à un certain moment, une séparation irréversible entre l’état du vivant et l’état du mourant, la fin de vie a besoin d’un certain temps pour cliniquement et phénoménologiquement nous persuader de sa réalité. Or, c’est dans cette incertitude que le sens même de l’existence compte. Cette incertitude semble plus humaine que médicale et la vraie difficulté est là : la prendre en compte car, la fin de vie, selon ses conditions, peut frapper et blesser le visage de l’humanité.

Face à cela, nous ne sommes pas sans défense, ni sans recours. Pour certains, l’euthanasie apparaît comme la possibilité d’éviter le pire, quand pour d’autres, l’accompagnement tel qu’il est pratiqué en soins palliatifs peut se faire sans céder à la panique. Mais quel que soit le discours, les objectifs semblent à peu près identiques : lutter contre la douleur et contre la souffrance, favoriser l’écoute, lutter contre les regards péjoratifs, soutenir, accompagner. Au moins pour une raison : tous ces états sont des limitations de la liberté. On n’est pas libre quand on a mal au point de ne plus pouvoir bouger, voire même au point de ne plus pouvoir penser. Aussi, parce que l’homme se distingue des êtres de nature (par exemple, les animaux) en ce qu’il est un être de liberté, celle-ci limitée impliquerait chez l’homme une diminution de son sentiment d’être humain. L’euthanasie peut donc être présentée comme la dernière liberté face à ces conditions de vie qui nous en privent, et la médecine palliative, le dernier combat, non contre la mort, mais contre tout ce qui lui ressemble et qui appartient encore à la vie. Si pour les premiers, il est question d’avancer le moment où la médecine est en défaite, pour les seconds, il reste ce chemin à parcourir jusqu’à la mort où chacun peut prendre part pour porter l’humanité plus haut. Finalement, si les objectifs ont quelques points communs entre les partisans de l’euthanasie et ceux qui s’y opposent, les moyens de les atteindre divergent profondément.

Mais au-delà de ces différences visibles, que l’on soit pour l’euthanasie ou pour plus de développement de la médecine palliative, il s’agit dans tous les cas, au moins dans le projet, d’aider à mourir dignement. Mais le courage n’y suffit pas toujours, ni la bonne volonté. Et la frontière peut être mince, parfois, entre lutter contre des conditions inacceptables de vie et se vouer à la mort ou se vouer aveuglément à la vie. L’euthanasie au bout d’une fin de vie n’est pas apprendre à mourir, c’est s’abandonner à la mort. De la même façon, le combat acharné contre la fin de vie ne consiste pas à apporter un peu de paix puisque nul ne saurait mourir en paix lorsqu’il meurt au combat. Ce n’est manifestement pas ce que l’on souhaite, ni dans un cas, ni dans l’autre. C’est pour cette raison que la mort ne saurait être le motif de notre préoccupation dans les situations de fin de vie, mais ce sont bien ses conditions, ou ce que l’on appelle la dignité du mourant. C’est en cela, peut-être, que la médecine palliative l’emporte sur l’euthanasie puisque cette dernière supprime le problème des conditions sans le traiter. Et cependant, que cette médecine ne suffise pas non plus, voilà qui est évident. La médecine ne commande pas le réel. Dans les situations de grand désarroi, elle y est même soumise le plus souvent. Le réel l’emporte jusqu’à emporter avec lui le goût de vivre. Et c’est ce que les apologistes de l’euthanasie ont bien compris. Mais c’est peut-être parce qu’il ne suffit pas de ne pas avoir mal pour aimer la vie. Combien sont en bonne santé, sans souci d’argent, aimant et aimé de leur famille et pourtant, tellement malheureux ? On objectera que ceux-là peuvent être distraits puisque l’on peut les détourner de leur malheur par le divertissement. Et en effet, le divertissement ne suffit pas pour ceux qui sont mourants et qui ne trouvent plus de bonnes raisons de rester en vie. Mais tout simplement parce que ceux-là ne sont pas malheureux, ils ont le malheur d’être. Et contre l’être, seul le néant est plus fort, là où les luttes contre la douleur et la souffrance ne peuvent rien. C’est donc ailleurs que se joue la question de la dignité en fin de vie.

 

II – L’absence de douleur et de souffrance n’est pas la présence de dignité

Il faut bien qu’une fin de vie digne soit quelque chose de positif pour nous rassurer de sa présence. Or, la dignité n’est pas une vérité mathématique dont la positivité découlerait de la négation d’une négation. Ainsi, l’absence de douleur ou de souffrance ne suffit pas pour remplir l’absence de dignité en ce qu’on ne remplit pas l’absence par de l’absence, même si le soulagement de la douleur et l’apaisement de la souffrance sont évidemment essentiels. Aussi, ce que nous pensons expérimenter dans une fin de vie digne n’est pas la dignité, mais son absence remplie par autre chose. Et c’est là, tout le paradoxe de la réduction de la dignité du mourant à ses conditions psycho-bio-physiques de vie. C’est donc là, sans doute, les limites de la technique en médecine.

Aussi, quand bien même cette fin de vie sans douleur et sans souffrance est évidemment préférable, elle peut rester impossible à aimer pour celui qui a le sentiment d’avoir perdu toute dignité de vivre. La vie ne suffit donc pas pour l’apprécier. Lui retirer toutes ses contraintes ne la rend pas nécessairement plus heureuse. Au moins pour une raison : les techniques contre la douleur, la souffrance, la détresse, l’angoisse, ne sont pas des techniques du bonheur, ni des techniques de la dignité. Penser le contraire, c’est confondre les choses. Le dépressif qui guérit ne découvre pas soudainement le bonheur, pas plus que celui à qui l’on évite la douleur et la souffrance en fin de vie ne découvre sa dignité. Si on le pense pourtant, c’est sans doute parce que nous nous méprenons sur les visées de la médecine. Elle n’est pas au service de nos désirs, ni au service de notre dignité. Si certains de ses aspects actuels tendraient pourtant à nous en convaincre (par exemple, la chirurgie esthétique, la procréation médicalement assistée, etc.), c’est surtout parce que la médecine ne serait pas éthique si elle participait à nous rendre malheureux et indigne de vivre, voire si elle refusait d’intervenir quand elle a les moyens de lutter contre la vulnérabilité humaine. Ainsi, permettre à des couples stériles de satisfaire leur désir d’être parents, peut être considéré comme une compensation d’une infirmité physique qui peut aboutir à une stigmatisation sociale : le fait de ne pas avoir d’enfant. Semblablement, permettre à des patients en fin de vie de ne plus avoir mal, peut être considéré comme une compensation d’une vulnérabilité psycho-bio-physique qui peut aboutir aussi à une stigmatisation sociale : une représentation négative du mourant.

Cette façon de réduire la dignité humaine aux différentes contraintes d’une fin de vie semble mettre au jour une mutation du contenu de l’idée de dignité. Le discours favorable à l’euthanasie l’illustre bien en présentant une conception de l’homme souverain sur lui-même et dont les désirs narcissiques, voire les caprices, se confondent avec l’enjeu véritable d’une fin de vie. Lorsqu’un patient offre la plus petite résistance face à la mort jusqu’à souhaiter celle-ci, son désir d’en finir est présenté comme l’expression de sa liberté individuelle. Mais au nom de quoi la dignité humaine ne tient-elle qu’à cela ? Que l’on souhaite conserver une certaine indépendance, même en fin de vie, cela est évident. Mais que l’on réduise la dignité d’une fin de vie à l’indépendance de l’individu cela reste pour le moins contestable. En effet, on ne libère pas celui qui est enchaîné en lui donnant la mort. On ne gagne sa liberté qu’à la condition d’être en vie, même si c’est pour en réclamer la fin.

Bref, l’absence de douleur et l’absence de souffrance, pour autant qu’elles sont des conditions nécessaires à une fin de vie digne, ne sont pas des conditions suffisantes, comme ne l’est pas davantage l’illusion de l’euthanasie. En effet, une fin de vie digne ne consiste pas à ne plus éprouver de douleur ni de souffrance, faute de quoi l’euthanasie constituerait toujours la solution d’une fin de vie, ce que la réalité médicale conteste par elle-même. Dire le contraire serait duper l’esprit qui ne s’y tromperait plus confronté à une telle situation. Autrement dit, il n’y a pas de fin de vie digne. Il n’y a que des absences remplies. Or, ramener la dignité de la fin de vie à cela, c’est la ramener à une incomplétude. Nulle dignité ne peut être effective par l’absence de quelque chose d’autre, encore moins par l’absence de celui que l’on a euthanasié. Ainsi, quand bien même la vie n’a plus ses contraintes qui nous la faisaient haïr, cela ne la dote pas de ce qu’il faut pour l’aimer. C’est bien peu, objectera-t-on, pour rendre une fin de vie heureuse. Mais c’est peut-être tout simplement parce qu’une fin de vie digne n’entretient pas de relation avec le bonheur, ce qui ne la rend pas indigne ni ne l’empêche d’être digne. Qui se résout dans la joie à quitter ceux qu’il aime et ceux qui l’aiment ? Il n’y a que les insensés. Et c’est pourquoi, la seule façon de remplir l’absence de dignité en fin de vie, c’est de faire sens.

 

III – Faire sens, augmenter sa puissance d’exister

La fin de vie n’est pas une réalité qui est absolument à notre portée. Si tel était le cas, on s’arrangerait pour que toutes les fins de vie soient dignes. Or, une fin de vie est une réalité où le champ des possibles s’est réduit à son minimum pour laisser la place à une certitude douloureuse : la mort arrive bientôt et pas toujours dans les meilleures conditions. C’est dire alors que toutes les autres réalités se refusent à nous pour ne laisser que celle-la. Mais si la fin de vie nous fait mal, ce n’est pas par son manque de dignité, mais parce que nous n’acceptons pas que la dignité manque. Et nous trouvons habile de crier à l’injustice de la nature pour en attendre une réparation ; réparation qui ne viendra jamais puisque la justice n’est pas une loi de la nature. Pour elle, qu’importe qu’une fin de vie nous soit digne ou indigne, elle ne fait pas dans le sentiment, elle se contente d’être tout simplement. En cela, elle est vérité. Mais cette vérité n’entretient pas de relation avec la valeur. Ce n’est pas parce qu’une fin de vie est difficile que cela indique la valeur morale de l’euthanasie, pas plus qu’elle n’indique la valeur morale de la médecine palliative. Dresser un pont entre ce qui est et ce qui doit être est un dogmatisme parfois dangereux.

Désirer qu’une fin de vie soit digne, c’est donc faire le constat d’un lieu vide. Là où il y a du désir, comme nous l’avons esquissé, c’est l’indice d’un manque. Et qu’il y ait du manque, c’est la possibilité de le remplir. De là, on pourrait rapidement conclure que désirer est une puissance en ce que désirer être un mourant digne, c’est l’être en puissance, comme l’enfant l’est de l’adulte qu’il deviendra. Mais cette conclusion est insuffisante pour expliquer pourquoi celui qui s’engage, par exemple, dans une revendication personnelle ou collective de son désir de mort, trouve, sinon le goût pour la vie, du moins un intérêt nouveau pour celle-ci. Comme si revendiquer son désir de mourir dignement, fût-ce au moyen d’une euthanasie, augmentait sa puissance d’être, puissance qui se distingue, finalement, de l’être en puissance de quelque chose.

Autrement dit, désirer mourir dignement, et quel que soit le moyen d’y parvenir, est l’expression d’un effort, un effort en acte en ce qu’il est conscient. Certes, cette conscience n’en est pas pour autant conscience des causes du désir et en cela, la thèse de l’euthanasie comme dernière liberté devient difficile à défendre. Qu’importe, puisque l’objet de cette réflexion est davantage ce qui est véritablement en jeu dans le désir qu’une fin de vie soit digne. Aussi, pouvons-nous répondre maintenant que cet enjeu se trouve dans la persévérance d’être, ce que nous pouvons appeler autrement la puissance d’exister. Spinoza, figure emblématique de cette puissance, interpelle alors fortement quand il écrit que cet effort affirme l’existence de notre corps (Ethique, III, prop. 10, démonstration). Désirer mourir dignement est alors l’indice d’une vie qui ne se laisse pas emporter par la mort. En cela, il serait contradictoire de l’y conduire nous-mêmes. Désirer, c’est donc désirer vivre, même si c’est vivre au moyen d’un désir de mort. C’est évidemment tout le paradoxe de certaines situations difficiles de fin de vie, mais c’est surtout, tout leur sens.

Cela donne l’indication d’un chemin dont nous écarte la pratique de l’euthanasie. Il consiste alors à vouloir posséder un peu moins et à s’aimer un peu plus. Ici, par «aimer», nous voulons dire « accueillir l’autre », même quand il ressemble si peu à l’image que nous nous faisons de l’humanité. Mais parce que cette humanité blessée est toujours celle de l’un des nôtres, c’est nous-mêmes que nous risquons de pousser sur les marges à ne pas déployer ces efforts extraordinaires pour poser un autre regard sur les vies les plus précaires. Il ne s’agit pas de maintenir des vies à tout prix, mais pour les vies qui semblent n’avoir plus de prix, de maintenir la puissance d’exister sans faire obstacle à la mort. Ce n’est donc pas la douleur ni la souffrance qui relancent le débat sur la dignité en fin de vie. C’est notre incapacité de faire avec la grande vulnérabilité d’autrui et notre illusion de penser que le seul moyen de l’effacer est d’effacer le vulnérable. La mort ne peut être un remède à la vulnérabilité puisqu’elle en est le paroxysme.

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