Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus

Marie-Odile Clergue

Témoignage d’une personne malade

 

Voici le débat relancé ! Et c’est tant mieux !

Puisse-t-il amorcer et, pourquoi pas, enfin approfondir une véritable et honnête réflexion qui permette de dépasser les oppositions récurrentes : soins palliatifs/euthanasie ou fin de vie/euthanasie. Et ainsi en finir avec l’appropriation de la « dignité », alors que, force est de le reconnaître, elle est intrinsèque à la nature humaine et qu’il s’agit de « vivre dans la dignité » jusqu’à la fin de la vie, plutôt que de « mourir dans la dignité ».

 

Il est urgent aussi de cesser d’employer les termes d’euthanasie active et d’euthanasie passive ; la distinction n’existe pas ! L’euthanasie c’est volontairement interrompre le cours d’une vie. Point !

Puisse-t-il aussi permettre d’éviter de parler ou d’écrire en notre nom, nous les malades confrontés plus que d’autres à notre finitude (comme l’est cependant le commun des mortels !). Ce que nous avons à dire est simple et illustre tout à fait un état des lieux désastreux concernant la résistance à la mise en place des soins palliatifs.

Oui, le corps médical ne connaît pas ou alors mal la loi Leonetti ; donc elle n’est pas ou mal appliquée

Oui, le corps médical se refuse à intégrer dans sa pratique ce paradigme des soins palliatifs.

Oui, le corps médical se refuse le plus souvent de nous regarder, nous les malades atteints de maladies graves et incurables. S’il daignait au moins poser un regard sur une personne et non sur un élément, un objet médicalisé, un « cas », une maladie, digne d’intérêt certes, car bien sûr on nous « soigne » !

 

Comme toute personne

Sont-ils dans le « cure » ou aussi dans le « care » ? Quelle idée se font-ils de l’acte de soigner ? N’est-ce pas le plus souvent dans leur esprit celle de nous guérir et c’est louable, merci. Mais quand il n’y a pas de guérison à l’horizon (et même avant bien sûr), pourquoi ne pas enfin pratiquer le « prendre soin » ?

C’est ce dont nous avons besoin, d’une relation de personne à personne, d’un véritable regard sur un sujet qui pense, qui souffre, qui se réjouit, qui s’interroge, qui espère, qui aime, qui a peur… comme toute personne.

Nous ne sommes pas une catégorie à part, nous avons les mêmes besoins d’humanité : il n’y a pas rupture avec ce que nous étions et sommes devenus avec la maladie, même si son vécu nous modèle douloureusement. Nous sommes et restons nous-mêmes.

Il est urgent de ne pas abandonner cette attitude d’humanité aux seuls soignants en unités de soins palliatifs. Tout médecin devrait pouvoir faire preuve de cette humanité (il semblerait que les jeunes internes soient plus réceptifs à cette culture de la démarche palliative).

En ce qui concerne l’interdiction de l’obstination déraisonnable, c’est un grand progrès, mais il faut veiller à ce que sa mise en œuvre soit appliquée dans les règles, je veux dire que les médecins interviennent de façon collégiale, avec discernement et après avoir consulté les intéressés (directives anticipées, personne de confiance ou famille).

Lorsque la demande d’arrêt de traitements émane du malade lui-même, il me semble nécessaire d’approfondir et d’accompagner cette demande. J’ai été confrontée à cette grave question, ayant demandé l’arrêt des thérapies actives pendant 3 mois, après un sévère accident cardiaque consécutif à la chimiothérapie. Ce n’est pas si simple quand vous découvrez que la maladie profite de cette pause pour évoluer… Que de questions se bousculent en plus de la peur, alors que vous pensiez avoir accepté la fin de vie !

N’est-ce pas un suicide déguisé ? Est-ce un manque de courage ? Est-ce un abandon des siens ?

 

Crier que nous n’en pouvons plus

C’est en service de soins palliatifs que j’ai bénéficié du prendre soin de la part de tout le personnel, médical, soignant et de service. J’y ai vécu ce qu’est l’accompagnement, le respect, l’écoute, l’attention réconfortante, le non-jugement, la recherche du plus grand confort et soulagement possible.

Ailleurs, j’ai la plupart du temps rencontré du personnel soignant (infirmières, aides-soignantes) attentif et compétent et capable de mettre en œuvre cette attitude du prendre soin, bénéficiant de l’aide d’un psychologue. Aussi je m’interroge sur ce qui empêche trop souvent le corps médical d’entrer dans cette culture de la démarche palliative. Cela ne peut-il s’évaluer dans des enquêtes relatives à l’état des lieux ? Nous sommes dans le domaine du qualitatif professionnel.

Comment remédier à ces graves manquements à la qualité du soin qui ne seront peut-être pas assez pris en considération si, nous les malades gravement atteints ou en fin de vie, ne pouvons les faire connaître pour faire remonter ces constats aux instances responsables et crier que nous n’en pouvons plus ?

Bien sûr on objectera que les médecins doivent se protéger, se préserver… Mais alors comment font ceux qui exercent en unités de soins palliatifs ? Sont-ils des êtres exceptionnels ?

Oui, ils le sont, à force de travail sur eux, d’exercice d’humanité, d’amour de leur profession.

Mais vous ne m’empêcherez pas de souhaiter que tous les médecins devraient être ces êtres exceptionnels !

 

1 comment to Crier aux médecins qui ne savent pas l’entendre que nous n’en pouvons plus

  • Lacroix Jean-Pierre

    Bien sûr que non, chère Marie-Odile, tous les médecins ne peuvent être des êtres exceptionnels, pas plus que les boulangers, les ecclésiastiques ou les nonnes ne le sont. Et c’est très bien ainsi et cela n’empêche personne de faire les efforts nécessaires pour s’améliorer un tant soit peu pour mieux et plus aimer son prochain. Grosses bises.

    Jean-Pierre

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