Plus digne la vie » solidarité http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

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L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=2997 http://plusdignelavie.com/?p=2997#comments Sun, 05 May 2019 18:46:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2997 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Bioéthique : être créatif ensemble d’initiatives démocratiques http://plusdignelavie.com/?p=2986 http://plusdignelavie.com/?p=2986#comments Fri, 14 Sep 2018 14:20:33 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2986 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Mardi 24 juillet 2018

Depuis la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011, tout projet de réforme en la matière doit être précédé d’un débat public, organisé sous la forme d’états généraux. Le texte précise que « les états généraux réunissent des conférences de citoyens . . . → Read More: Bioéthique : être créatif ensemble d’initiatives démocratiques]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Mardi 24 juillet 2018

Depuis la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011, tout projet de réforme en la matière doit être précédé d’un débat public, organisé sous la forme d’états généraux. Le texte précise que « les états généraux réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité. » Rien à voir avec la démarche initiée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en janvier 2018, qui s’est fixé l’objectif d’organiser « une vaste consultation » portant sur une question davantage politique que bioéthique : « Quel monde voulons-nous pour demain ? »

Or, et peut-être contre toute attente, les citoyens n’ont pas été en reste et ont largement répondu présents à l’appel.

Il convenait de franchir un cap et de pas limiter le débat aux questions bioéthiques d’ordre biomédical, qui sont en somme autant de sources de divisions à une heure où la société doit au contraire se rassembler tant les innovations technologiques nous interpellent et justifient une consultation large. Nous avons ainsi évoqué, pour ce qui nous concerne, les « nouveaux territoires » de la bioéthique, estimant nécessaire et passionnant d’intégrer l’intelligence artificielle et le traitement des données de masses aux discussions, élargissant ensuite le débat aux arbitrages relatifs à la régulation des évolutions scientifiques biomédicales.

La phase de concertation publique, pour le moins brève, s’achève en avril. Sur le plan quantitatif, le bilan de la participation est très positif : les citoyens se sont investis massivement dans la réflexion. Si les contributions exprimées sur le site des états généraux de la bioéthique font apparaitre de manière significative deux thématiques (procréation et société : 14 447, prise en charge de lia fin de vie : 6 625), il serait hors de propos et probablement dangereux de ne retenir de ces débats que ces deux seuls sujets. Je crois que l’heure n’est plus tant à défaire le passé qu’à nous tourner résolument vers les défis de l’avenir, posés par la révolution numérique.

J’ai moi-même constaté l’engouement d’un public nombreux et assidu au débat sociétal, débat qui à tant d’égards conditionne le devenir de notre démocratie.

Que l’on ne se trompe, la société est mobilisée et réclame de s’approprier de nouveaux savoirs, avec un sens évident du bien commun et une conscience profonde de nos responsabilités au regard des générations futures. Je suis impressionné par l’adhésion du public rencontré au cours de nos débats, notamment à Sciences Po ou à la Mairie du 4ème arrondissement de Paris. La mobilisation a été forte, et cette exigence doit être comprise et respectée. Il ne faudrait pas tromper les Français.

Au cours de ces rencontres, qui ont permis d’aborder les thématiques émergentes et décisives des innovations scientifiques, ce sont les membres représentatifs d’une société qui a envie d’avenir, de sens, de solidarités et de responsabilités partagées qui ont exprimé avec des arguments de qualité leur vision d’un monde qu’il nous faut repenser, inventer ensemble. Leur expertise constitue une richesse qui ne devrait pas être négligée. Certains se demandent dès à présent s’ils ne seront pas déçus par les décisions ou les renoncements qui suivront ces quelques semaines porteuses de promesses.

Il me paraît indispensable d’accompagner avec attention et méthode la phase qui suivra ces états généraux. Certains nous posent déjà des questions et manifestent une certaine impatience, voire une suspicion à l’égard des instances publiques concernées. Quelle sera l’audience effective accordée aux synthèses tirées de ces rencontres en région ? Comment seront analysées et prises en compte les nombreuses contributions rédigées par celles et ceux qui ont souhaité participer à la concertation nationale ? La parole des experts aura-t-elle plus de poids que les nombreuses interventions, souvent brillantes, de citoyens qui demandent maintenant que leur parole soit entendue ?

Au cours de ces dernières semaines, nous avons compris que l’acceptabilité de ces mutations sociales, politiques et culturelles tiendra pour beaucoup à la qualité de la concertation. Nous disposons de ressources au cœur de notre société. Il importe de le comprendre et d’être créatifs d’initiatives démocratiques dont on commence à saisir la valeur.

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Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique http://plusdignelavie.com/?p=2974 http://plusdignelavie.com/?p=2974#comments Wed, 25 Jul 2018 07:06:53 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2974 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès . . . → Read More: Le code de Nuremberg, prise de conscience bioéthique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Publié dans Le Monde, 20-21 août 2017

[Le 9 décembre 1946 s’ouvre devant le tribunal militaire américain de Nuremberg (Allemagne) le procès de vingt-trois médecins et scientifiques, accusés notamment d’avoir réalisé des expérimentations médicales sur des êtres humains durant la seconde guerre mondiale. Ce procès suit de quelques semaines celui de dirigeants nazis mené à Nuremberg par le Tribunal militaire international. Même si le procès des médecins, qui s’est achevé le 19 août 1947, s’est déroulé selon la procédure américaine, le jugement prononcé le lendemain est considéré comme une décision pénale internationale. Il comprend une liste de critères pour apprécier le caractère légal, ou non, des expérimentations médicales – liste connue sous le nom de code de Nuremberg.]

Le procès de Nuremberg des 23 médecins criminels, interroge au-delà même des sévices qu’ils ont fait subir à leurs victimes jusqu’à la mort, ou alors en les mutilant volontairement, méthodiquement, avec pour conséquences des souffrances physiques et psychiques inapaisables et irréparables.
La fonction médicale incarne de manière emblématique l’expression de la sollicitude, de l’attention humaniste, ainsi que cet engagement ayant pour fin de protéger l’autre de ce qui menace son existence, de le consoler des plus fortes détresses, de l’accompagner avec respect pour atténuer ses douleurs. Cet idéal de solidarité et de compassion aura été non seulement bafoué, mais plus encore trahi et perverti au point d’entacher de suspicion une pratique qui se doit d’être irréprochable, d’une loyauté et d’un scrupule qui la prémunissent de toute tentation de dérive – je veux dire d’arbitraire et de trahison.

Lots de cobayes

Le sens que l’on confère à l’idée de confiance aura été saccagé et aboli, alors que ceux qui étaient ainsi martyrisés en ressentaient, dans leur détresse même, le plus grand besoin. Cet ultime recours d’une assistance bienveillante leur était non seulement refusé, mais plus encore la malfaisance et la perversité médicales anéantissaient l’ultime expression de ce qu’il était encore possible d’espérer d’un signe d’humanité.
Peut-on se représenter un instant la désillusion, la désespérance et l’effroi des personnes prenant conscience du fait que la femme ou l’homme « en blouse blanche » à leur chevet, étaient là non pas pour les soigner mais pour achever avec discipline et résolution la besogne de leur extermination tout en les utilisant à des fins scientifiques ? Semblables aux tortionnaires qui avaient droit de vie et de mort sur leurs victimes, ils en différaient toutefois en dissimulant leurs exactions sous l’apparence d’un souci de connaissances vouées au « bienfait de l’humanité » dont on sait les abominations qu’il s’est évertué à justifier.
Certains médecins, parfois dans le cadre de recherches menées au bénéfice des firmes pharmaceutiques allemandes, commandaient aux responsables administratifs des camps leurs lots de cobayes ; Ils poussaient la minutie organisationnelle de leur entreprise jusqu’à rédiger l’acte attestant de la mort de l’ensemble de la « livraison », dans l’attente d’une prochaine ;
Ces quelques observations incitent à considérer qu’il conviendrait de saisir la signification possible de certains accommodements ou renoncements parfois présentés comme d’indispensables et inéluctables évolutions, dès lors qu’elles sont susceptibles de rendre possible l’impensable, de banaliser des exactions et des crimes d’une toute autre nature que les transgressions qui ponctuent l’histoire de la médecine.
Nombre des investigations menées dans les camps de concentration relevaient de conceptions et de théories partagées par les scientifiques de l’époque les plus compétents dans leurs champs disciplinaires. Ils revendiquaient du reste leur idéal de préservation et d’amélioration de la race aryenne, au détriment de leurs victimes racialement révoquées dans leur droit d’exister.
À la barbarie de l’extermination des personnes déportées, se surajoute celle d’une prétention scientifique visant, quels qu’en soient les méthodes et les moyens, à mettre en œuvre des expérimentations dont, au cours du procès des médecins à Nuremberg, le monde civilisé a découvert, effaré, que des médecins avaient pu les penser et les mener. Cette démarche de scientifiques corrompus par une idéologie délétère permettait, et justifiait, l’exécution médicalisée des enfants et des adultes, dont la survie importait moins que la publication de résultats et de performances extorqués dans un contexte d’abomination ;
C’est en touchant à travers cette tragédie indicible, aux zones limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas, dès lors que sont révoqués les principes d’humanité, que s’est imposée en 1947 la rédaction du code de Nuremberg. Il s’agit du premier cadre éthique prescrit aux pratiques de l’expérimentation menée sur l’homme.

Une mission exceptionnelle

Les principes érigés dans ce texte de portée universelle qui intervient quelques mois avant la Déclaration universelle des droits de l’homme (information loyale, consentement, justification scientifique et conditions éthique de mise en œuvre de la recherche, évaluation des risques encourus), seront repris par la suite au sein de l’Association médicale mondiale dans la Déclaration d’Helsinki régulièrement adaptée aux évolutions scientifiques depuis sa première version, en 1964.
Le législateur allemand avait-t-il manqué à ses devoirs en ne fixant pas dans la loi l’incompatibilité entre la fonction de médecin et celle de bourreau ?
Soulever hâtivement des questions aussi graves et d’une telle portée n’est pour moi guère satisfaisant, cela d’autant plus que des analogies avec des circonstances plus actuelles pourraient susciter quelques controverses justifiées. Il convient donc de prendre le temps de l’éthique, celui de l’approfondissement et de la concertation, tout en demeurant inquiet de ce dont témoigne l’histoire, aussi douloureuse soit-elle.
C’est pourquoi les premiers cours donnés chaque année dans le cadre de notre master Éthique science et société de l’Université Paris-Sud – Paris-Saclay sont consacrés aux exactions commises dans le cadre de la recherche médicale, et pas exclusivement à l’époque de l’Allemagne nazie. Il en est de même s’agissant des initiatives qui se développent actuellement dans l’ensemble des universités françaises et des institutions de recherche, afin de renforcer les formations à l’éthique et à l’intégrité scientifique.
Le droit à la recherche visant à l’acquisition de connaissances indispensables aux évolutions de nos sociétés et au renforcement de nos libertés ne saurait s’affranchir du cadre limitatif de règles intangibles. Nos valeurs démocratiques doivent prévaloir dans l’arbitrage des principes éthiques de la recherche biomédicale.
L’éthique du médecin relève d’une exigence personnelle en terme de dignité, d’intégrité et de loyauté, d’une compétence humaine singulière, et donc d’une conscience qui inspirent et légitiment une mission exceptionnelle. La recherche biomédicale s’inscrit dans cet engagement et cette perspective. Ses pratiques sont conditionnées par des règles d’autant plus nécessaires et parfois contraignantes que d’expérience nous savons qu’y déroger, c’est risquer de prendre le risque d’actes barbares toujours possibles, parfois avec des intentions et des justifications dont on a compris qu’elles pouvaient rendre tolérables les plus hautes abominations : « La recherche médicale est soumise à des normes éthiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les êtres humains et qui protègent leur santé et leurs droits. »

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2969 http://plusdignelavie.com/?p=2969#comments Sun, 03 Sep 2017 11:10:18 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2969 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles et de numérisation des échanges, relèvent d’un anonymat et d’un cynisme peu favorables à la préoccupation morale. Le sentiment de relégation sociale, d’exclusion et de mépris qu’éprouvent parmi nous les personnes en situation de précarité économique, de vulnérabilité face à la maladie ou le handicap, d’exil pour cause « d’inutilité sociale » ou du fait de leur révocation parce que « hors d’âge », est révélateur, lui aussi, d’une indifférence, voire d’une imposture peu compatible avec des principes moraux. Ces violences à la personne et au contrat social, appellent davantage l’expression d’une sollicitude, d’une attention et d’une vigilance favorisant un plus juste respect des valeurs de fraternité et de justice que prône notre République, que des admonestations dont on ne peut que déplorer l’inanité. Se consacrer à refonder les principes de la vie publique du point de vue de la moralité, n’est pas un exercice qui peut s’envisager dans le cénacle d’experts. Sauf si l’on estime sans importance d’y associer la société dans son ensemble, de prendre en compte ses richesses dans la diversité de réflexions et d’engagements qui permettent de maintenir une cohésion alors que menace un délitement social qui pourrait aboutir à une implosion.

Sommes nous prêts, dans le cadre d’une concertation nationale à repenser ensemble les valeurs de la République ou alors estime-t-on que l’urgence justifie d’édicter les nouvelles règles de la morale en politique sans affronter la complexité et les enjeux de fond ? Prendre la mesure de ce que signifie l’exigence de moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à proposer une régulation procédurière ayant pour vertu de restaurer un sens des responsabilités qui ferait défaut. Cela d’autant plus que l’analyse s’avère à cet égard pour le moins sommaire, car les serviteurs de l’État ne déméritent pas comme on le donnerait à croire à travers la dénonciation du comportement scandaleux de certains d’entre eux. Porter le discrédit de manière indifférenciée sur les acteurs de la vie publique c’est renoncer à considérer dans quelles conditions s’exercent notamment les missions d’enseignement, de justice, de sécurité, de défense et de soin. C’est ne pas saisir l’appel récurrent à une reconnaissance, à une dignité publique qui elle aussi procède d’une considération morale. C’est peut-être ne pas comprendre où se situe l’urgence morale.

Il s’agit de débattre du bien commun, du vivre ensemble, de ce qui détermine notre devenir en termes de choix de société, et dès lors de ne pas renoncer à intégrer à la démarche une analyse des fragilités sociales, des ruptures et des mutations qui bouleversent nos systèmes de référence. Notre ambition doit être également de reconnaître l’intelligence d’engagements et de solidarités qui défendent au quotidien les plus hautes valeurs de notre démocratie, d’intégrer leur expertise. Le courage est une vertu morale, un certaine audace également.

Les lois du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique constituent une approche déjà détaillée des règles qui s’imposent dans l’exercice de responsabilités publiques assumées « avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Les instances dévolues à la déontologie et à l’éthique se sont démultipliées ces dernières années afin d’apporter les encadrements et les contrôles indispensables. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’Agence française anticorruption, au même titre que tant d’autres autorités administratives indépendantes, assurent des missions visant notamment à la prévention des manquements et au renforcement de la probité dans les pratiques. Dans ce domaine, le législateur n’a pas failli à sa mission. La rectitude et le principe de précaution s’imposent même parfois avec une rigueur qui génère une suspicion systématique, une défiance et un discrédit dont on peut constater les effets par exemple dans le champ de la santé publique. Les règles sont certes nécessaires, encore importe-t-il d’en saisir le sens et l’intention, de se les approprier et de les appliquer avec conscience, discernement et prudence. La pédagogie, y compris dans le cursus de formation de nos décideurs, ne constitue-t-elle pas un enjeu tout aussi considérable que le contrôle systématisé ?

Moraliser la vie publique en estimant que prescrire des normes contraignantes de bonne conduite à ceux qui nous gouvernent ou exercent des responsabilités restaurera la confiance et renforcera la cohésion sociale, relève d’une appréciation hâtive. Affirmer – ce qui est différent – qu’une morale publique comprise en ce qu’elle exprime d’une conception de nos valeurs démocratiques puisse être refondée du point de vue de ses enjeux concrets et de ses finalités pratiques en y apportant l’intelligence et le pluralisme d’une consultation nationale, s’avère d’une toute autre pertinence. De surcroit, les conditions actuelles de recomposition politique et cette envie de renouveler les modes de gouvernance en y associant le dynamisme de compétences et de talents trop souvent négligés, ne peuvent qu’inciter à une ambition plus exigeante qu’un acte législatif précipité, aussi symbolique ou « politique » soit-il.

Le président de la République porte un message que nous avons compris dans son exigence de sollicitude, cette attention qu’il porte à l’autre et à sa place reconnue dans notre démocratie. Refonder notre morale publique ne saurait pas seulement consister à moraliser des pratiques qui doivent être exemplaires et intègres. Il s’agit de créer les conditions d’une mobilisation politique riche de la diversité des compétences et des engagements qui témoignent d’un même souci des valeurs de notre démocratie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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Se mobiliser autour des solidarités. Ignorés de nos politiques, ils défendent une démocratie digne http://plusdignelavie.com/?p=2958 http://plusdignelavie.com/?p=2958#comments Mon, 29 May 2017 09:34:23 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2958 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris Saclay Auteur de Le soin, une valeur de la République, Les Belles lettres

L’inattention, voire le dédain politique à l’égard de ceux qui sur les terrains les plus exposés aux menaces de la rupture du lien social, de la disqualification, de l’exclusion, voire de . . . → Read More: Se mobiliser autour des solidarités. Ignorés de nos politiques, ils défendent une démocratie digne]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris Saclay
Auteur de Le soin, une valeur de la République, Les Belles lettres

L’inattention, voire le dédain politique à l’égard de ceux qui sur les terrains les plus exposés aux menaces de la rupture du lien social, de la disqualification, de l’exclusion, voire de la mort sociale, de ceux qui interviennent souvent avec le sentiment de résister seuls, n’est plus acceptable. Leur aspiration à une reconnaissance de ce qu’ils sont et font, porte tout d’abord sur le manque de considération accordée à leurs missions, au sens et à la portée de leur engagement. Les discours convenus, prononcés au gré des circonstances pour déplorer les violences et autres incivilités commises contre les forces de l’ordre, les pompiers, les enseignants, les magistrats, les journalistes ou les soignants ne sont plus crédibles. Ils témoignent d’une impuissance ou d’une volonté de renoncer, en pratique, à préserver dans leur faculté d’intervention celles et ceux dont la fonction est de témoigner de l’éthique de notre société. Ceux qui incarnent un sens exigeant du bien commun (prenant le risque parfois d’y sacrifier leur vie), héroïsés en situation de menaces, de fragilité, d’attentats ou auxquels est confiée la mission d’assumer le devoir de justice et d’éduquer à la citoyenneté, de soigner et de réparer notre bien commun à ce point maltraité, expriment un sentiment d’abandon, voire de mépris. Au point d’être parfois tentés par des positions politiques qui pourraient mettre en cause les valeurs mêmes qu’ils assument et qui les motivent encore. Auprès de quelle instance trouvent-ils encore la raison et la force de résister ?
Nous négligeons tout autant ce que représentent et honorent ces vigiles de la démocratie que les personnes et les causes qu’ils s’efforcent de préserver et de sauvegarder dans leur existence et leurs droits. Accorde-t-on l’attention qui convient à leur implication quotidienne au service de personnes reléguées aux marges de nos préoccupations, celles qui éprouvent l’indignité d’une déconsidération, d’une maltraitance bafouant ce que proclame notre République ? Cette urgence apparaît peu consistante dans les programmes des candidats à la présidence de la République. Ils ont, pour ce qui les concerne, hiérarchisé d’autres priorités dans leur agenda, et n’estiment pas nécessaire de consacrer leur temps à des rencontres, autres qu’éphémères et médiatisées, avec ceux qui ont développé, à l’épreuve du réel, un savoir et une expertise qui éclaireraient, de manière certaine, ce que devraient être nos choix de société.
Qu’une aide-soignante investie auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’ose pas révéler à ses proches une mission professionnelle à ce point dévalorisée, en dit long sur notre attachement à l’expression de nos sollicitudes sociales, pour ne pas évoquer ici l’idée de fraternité. Qu’au dénigrement, à la suspicion, à l’ingratitude et parfois au mépris que subissent celles et ceux qui interviennent sur le front de nos urgences sociales, ne soient opposés que quelques positions compassionnelles ou à défaut le soutien d’un accompagnement psycho-social palliatif, est révélateur d’un renoncement ou d’une impuissance qui minent notre République. Que l’exemplarité d’un engagement humble mais résolu, avec la conviction qu’il s’oppose à la dissolution de nos valeurs démocratiques et à l’autre barbarie qu’est l’abandon des plus vulnérables, soit déniée en ces temps d’avilissement du souci du bien commun à des mentalités et des comportements inacceptables, est une perversion indécente que l’on ne saurait supporter davantage. On pressent à quel échec collectif, voire à quel chaos ou au mieux à quel « modèle social » alternatif nous condamne cette « logique du pire », ce culte de la négation et du mensonge assumé. Il ne s’agit plus de faire l’inventaire des abdications politiques, le répertoire des friches sociales et des espaces désertés de la République livrés à une perdition qui risque aujourd’hui de meurtrir notre démocratie, au point d’être incapable d’affirmer des principes susceptibles de mobiliser une société prête à abdiquer, à sacrifier ces valeurs durement acquises afin de vivre la liberté et d’assumer ensemble le sens de nos responsabilités.
Confrontée à des ruptures qui affectent et blessent ce qui lui est constitutif et à quoi elle était jusqu’alors attachée, notre société a d’autant plus besoin d’une intelligence de la sollicitude, de la confiance et de la bienveillance. Il lui faut développer une culture de la reconnaissance, en chacun de ses membres, d’une capacité à s’associer, avec sa compétence et ses aspirations, à l’invention d’un vivre ensemble pour aujourd’hui. Les technologies innovantes appliquées au vivant, à la communication, à la connaissance et à tant d’autres aspects de la vie sociale bouleversent en effet nos conceptions, nos repères et tout autant nos valeurs démocratiques. Il est des sourciers, soucieux de l’essentiel, pour nous redonner l’envie de puiser le sens oublié ou évité d’une mobilisation nécessaire.
« Prendre soin de la société » alors qu’on ne sait plus au juste quelles légitimités en gouvernent les orientations et en hiérarchisent les arbitrages, c’est comprendre et reconnaître la richesse d’engagements multiples et partagés qui font vivre (ou trop souvent survivre) l’exigence éthique de notre démocratie. Le devoir de nos politiques est de prendre en compte cette force de lien et d’innovation au cœur de notre société, de considérer avec sérieux l’expertise et la sagesse qu’expriment dans l’action ces « soignants », divers dans leurs champs de compétences, plus attentifs que d’autres de la vie de notre République. Si, faute de reconnaissance et de soutiens autres que déclamatoires, ils ne trouvaient plus la moindre raison de persévérer et d’espérer en nous, renonçant à sauvegarder cette conscience du bien commun, n’y perdrions-nous pas ce qui est indispensable au vivre ensemble ?
Six semaines avant l’échéance de la présidentielle, chacun a compris que le cumul d’élément de langages et de formules convenues livrées en vrac afin de satisfaire les intérêts partisans, les revendications individualistes ou de céder aux tentations populistes ne répondent en rien aux urgences de notre démocratie. Un candidat saura-t-il, in extremis, reconnaître la signification et la fonction sociales d’engagements humbles, pertinents et précieux qui servent au quotidien la vie publique et portent, au-delà des promesses, une intelligence du réel susceptible de nous permettre d’assumer ensemble l’invention d’une démocratie digne des valeurs dont elle est comptable ?

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Se mobiliser autour des solidarités : Ignorés de nos politiques, ils défendent une démocratie digne http://plusdignelavie.com/?p=2951 http://plusdignelavie.com/?p=2951#comments Thu, 23 Mar 2017 18:14:56 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2951 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris Saclay Auteur de Le soin, une valeur de la République, Les Belles lettres

L’inattention, voire le dédain politique à l’égard de ceux qui sur les terrains les plus exposés aux menaces de la rupture du lien social, de la disqualification, de l’exclusion, voire de . . . → Read More: Se mobiliser autour des solidarités : Ignorés de nos politiques, ils défendent une démocratie digne]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris Saclay
Auteur de Le soin, une valeur de la République, Les Belles lettres

L’inattention, voire le dédain politique à l’égard de ceux qui sur les terrains les plus exposés aux menaces de la rupture du lien social, de la disqualification, de l’exclusion, voire de la mort sociale, de ceux qui interviennent souvent avec le sentiment de résister seuls, n’est plus acceptable. Leur aspiration à une reconnaissance de ce qu’ils sont et font, porte tout d’abord sur le manque de considération accordée à leurs missions, au sens et à la portée de leur engagement. Les discours convenus, prononcés au gré des circonstances pour déplorer les violences et autres incivilités commises contre les forces de l’ordre, les pompiers, les enseignants, les magistrats, les journalistes ou les soignants ne sont plus crédibles. Ils témoignent d’une impuissance ou d’une volonté de renoncer, en pratique, à préserver dans leur faculté d’intervention celles et ceux dont la fonction est de témoigner de l’éthique de notre société. Ceux qui incarnent un sens exigeant du bien commun (prenant le risque parfois d’y sacrifier leur vie), héroïsés en situation de menaces, de fragilité, d’attentats ou auxquels est confiée la mission d’assumer le devoir de justice et d’éduquer à la citoyenneté, de soigner et de réparer notre bien commun à ce point maltraité, expriment un sentiment d’abandon, voire de mépris. Au point d’être parfois tentés par des positions politiques qui pourraient mettre en cause les valeurs mêmes qu’ils assument et qui les motivent encore. Auprès de quelle instance trouvent-ils encore la raison et la force de résister ?
Nous négligeons tout autant ce que représentent et honorent ces vigiles de la démocratie que les personnes et les causes qu’ils s’efforcent de préserver et de sauvegarder dans leur existence et leurs droits. Accorde-t-on l’attention qui convient à leur implication quotidienne au service de personnes reléguées aux marges de nos préoccupations, celles qui éprouvent l’indignité d’une déconsidération, d’une maltraitance bafouant ce que proclame notre République ? Cette urgence apparaît peu consistante dans les programmes des candidats à la présidence de la République. Ils ont, pour ce qui les concerne, hiérarchisé d’autres priorités dans leur agenda, et n’estiment pas nécessaire de consacrer leur temps à des rencontres, autres qu’éphémères et médiatisées, avec ceux qui ont développé, à l’épreuve du réel, un savoir et une expertise qui éclaireraient, de manière certaine, ce que devraient être nos choix de société.
Qu’une aide-soignante investie auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’ose pas révéler à ses proches une mission professionnelle à ce point dévalorisée, en dit long sur notre attachement à l’expression de nos sollicitudes sociales, pour ne pas évoquer ici l’idée de fraternité. Qu’au dénigrement, à la suspicion, à l’ingratitude et parfois au mépris que subissent celles et ceux qui interviennent sur le front de nos urgences sociales, ne soient opposés que quelques positions compassionnelles ou à défaut le soutien d’un accompagnement psycho-social palliatif, est révélateur d’un renoncement ou d’une impuissance qui minent notre République. Que l’exemplarité d’un engagement humble mais résolu, avec la conviction qu’il s’oppose à la dissolution de nos valeurs démocratiques et à l’autre barbarie qu’est l’abandon des plus vulnérables, soit déniée en ces temps d’avilissement du souci du bien commun à des mentalités et des comportements inacceptables, est une perversion indécente que l’on ne saurait supporter davantage. On pressent à quel échec collectif, voire à quel chaos ou au mieux à quel « modèle social » alternatif nous condamne cette « logique du pire », ce culte de la négation et du mensonge assumé. Il ne s’agit plus de faire l’inventaire des abdications politiques, le répertoire des friches sociales et des espaces désertés de la République livrés à une perdition qui risque aujourd’hui de meurtrir notre démocratie, au point d’être incapable d’affirmer des principes susceptibles de mobiliser une société prête à abdiquer, à sacrifier ces valeurs durement acquises afin de vivre la liberté et d’assumer ensemble le sens de nos responsabilités.
Confrontée à des ruptures qui affectent et blessent ce qui lui est constitutif et à quoi elle était jusqu’alors attachée, notre société a d’autant plus besoin d’une intelligence de la sollicitude, de la confiance et de la bienveillance. Il lui faut développer une culture de la reconnaissance, en chacun de ses membres, d’une capacité à s’associer, avec sa compétence et ses aspirations, à l’invention d’un vivre ensemble pour aujourd’hui. Les technologies innovantes appliquées au vivant, à la communication, à la connaissance et à tant d’autres aspects de la vie sociale bouleversent en effet nos conceptions, nos repères et tout autant nos valeurs démocratiques. Il est des sourciers, soucieux de l’essentiel, pour nous redonner l’envie de puiser le sens oublié ou évité d’une mobilisation nécessaire.
« Prendre soin de la société » alors qu’on ne sait plus au juste quelles légitimités en gouvernent les orientations et en hiérarchisent les arbitrages, c’est comprendre et reconnaître la richesse d’engagements multiples et partagés qui font vivre (ou trop souvent survivre) l’exigence éthique de notre démocratie. Le devoir de nos politiques est de prendre en compte cette force de lien et d’innovation au cœur de notre société, de considérer avec sérieux l’expertise et la sagesse qu’expriment dans l’action ces « soignants », divers dans leurs champs de compétences, plus attentifs que d’autres de la vie de notre République. Si, faute de reconnaissance et de soutiens autres que déclamatoires, ils ne trouvaient plus la moindre raison de persévérer et d’espérer en nous, renonçant à sauvegarder cette conscience du bien commun, n’y perdrions-nous pas ce qui est indispensable au vivre ensemble ?
Six semaines avant l’échéance de la présidentielle, chacun a compris que le cumul d’élément de langages et de formules convenues livrées en vrac afin de satisfaire les intérêts partisans, les revendications individualistes ou de céder aux tentations populistes ne répondent en rien aux urgences de notre démocratie. Un candidat saura-t-il, in extremis, reconnaître la signification et la fonction sociales d’engagements humbles, pertinents et précieux qui servent au quotidien la vie publique et portent, au-delà des promesses, une intelligence du réel susceptible de nous permettre d’assumer ensemble l’invention d’une démocratie digne des valeurs dont elle est comptable ?

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L’euthanasie, c’est aujourd’hui http://plusdignelavie.com/?p=2929 http://plusdignelavie.com/?p=2929#comments Mon, 09 May 2016 00:07:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2929 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 27 janvier 2016 est adoptée à l’Assemblée nationale puis au Sénat la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Ainsi s’achève le parcours sinueux d’une concertation nationale lancée le 17 juillet 2012 par François . . . → Read More: L’euthanasie, c’est aujourd’hui]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 27 janvier 2016 est adoptée à l’Assemblée nationale puis au Sénat la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Ainsi s’achève le parcours sinueux d’une concertation nationale lancée le 17 juillet 2012 par François Hollande.

Avec la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, notre société fait aujourd’hui le choix de légaliser une autre approche du mourir. Il convient désormais d’intégrer le modèle d’un “bien mourir” opposé à aux “mal mourir”, figure emblématique de l’inacceptable et de l’insupportable ainsi fustigés. Il s’avère en fait plus avantageux d’ériger des symboles que de s’investir au quotidien pour qu’évoluent les mentalités et les pratiques contestées depuis plus de trente ans par ceux qui assument la responsabilité politique de l’humanité du soin jusqu’au terme de la vie.
Les postures compassionnelles et les résolutions incantatoires ont imposé leurs règles. La discussion est close. Le souci de la forme ne dissimule pas pour autant les intentions et les incitations de fond. Il n’est pas convenable aujourd’hui d’entacher de soupçon un consensus acquis après trois années de concertations dont notre pays, affirme-t-on, sort “apaisé” et bénéficiaire de “nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie” : sédation profonde et continue, directives anticipées opposables.
À défaut d’avoir été en capacité d’intervenir sur le “bien vivre”, ce “vivre avec” revendiqué comme un droit fondamental par les personnes malades et leurs proches, nos responsabilités se sont figées dans la préoccupation de leur assurer un “bien mourir”. Les règles du “vivre ensemble” s’étendront donc demain à l’administration – reconnue comme un droit – d’une sollicitude active dans la mort. Car la fin de vie n’est plus perçue que dans ses expressions les plus extrêmes. Comme une “souffrance totale” estimée incompatible avec une certaine idée des droits de la personne. Après avoir asséné comme une vérité l’inapplicabilité de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, le “mal mourir” s’est imposé comme une évidence scandaleuse justifiant sans plus attendre l’intervention du législateur
Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle, face à tant d’autres défis majeurs, l’urgence législative « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Les dépositaires de la sagesse publique se sont prononcés à ce propos de manière définitive, adossés à l’habileté de stratégies politiques parvenues de manière consensuelle à leurs fins. L’impatience est telle que l’on devient indifférent aux conséquences de ce qui se décide aujourd’hui, alors qu’il est tant question de lien social, de “valeurs qui font société”, notamment là où les vulnérabilités humaines défient nos solidarités.
« Éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie » récapitule dans une prescription lapidaire nos devoirs d’humanité à l’égard d’une personne atteinte « d’une affection grave et incurable ». Face au “mal mourir” qui est l’expérience d’une souffrance existentielle profonde et complexe, notre souci de dignité se satisfera désormais de la perspective d’un « traitement à visée sédative et antalgique ». Au point de ne plus attendre de la société que l’acte d’une mort par compassion, d’une mort sous sédation, d’une mort médicalisée.
De quelles valeurs procède ce recours à l’anesthésie pour éviter toute exposition à notre finitude, à notre humanité ? Qu’en est-il du courage promu d’une mort “choisie”, “autonome” ramenée au protocole d’un endormissement morphinique sous contrôle médical ? Qu’en est-il d’une mort “dans la dignité” invoquée comme “ultime liberté” par ceux qui en délèguent l’office à une procédure administrative et à un acte médical ?
L’idéologie du “bien mourir” imposera demain des normes, un “bien faire” qui visent l’abolition de toute exigence de questionnement, la délivrance des tourments existentiels comme des souffrances, et proposeront le cérémonial “apaisé” d’un dispositif encadré par la loi. Est-ce ainsi que s’entend la vie démocratique en termes d’humanité, de dignité et de responsabilité ? Il n’est pas certain que cette nouvelle législation de la “mort choisie” voire “revendiquée” n’ajoute pas à nos vulnérabilités sociales des souffrances inapaisables.
Il me semblait plus responsable aujourd’hui de mettre en œuvre de manière effective la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, que de dissimuler, en y mettant les formes, une évolution dont il est évident qu’elle légitime une gestion médicale et administrative de l’euthanasie qui s’insinuera dans les pratiques de manière subreptice.
La vaine préoccupation du législateur et de certains experts de l’éthique assignés à cautionner la distinction qu’il conviendrait d’établir et de maintenir entre la sédation profonde et continue et l’acte d’euthanasie, procède d’une dernière prudence sémantique ou alors d’une inconséquence qui inquiètent et intriguent. Peu de personnes saisissent de telles subtilités, tant les controverses, les renoncements et les stratégies opportunistes ont opacifié les quelques distinctions de fond qui s’avéraient pourtant indispensables. Dans une telle conjoncture, j’en suis arrivé à considérer qu’il aurait été préférable, par loyauté ou par souci de clarté et de clarifications, de légaliser l’euthanasie. Il ne s’agissait en fait que d’en anticiper l’échéance, car de toute évidence ce qui est mis en œuvre aujourd’hui est organisé et planifié pour qu’elle s’impose demain. Il est même affirmé, y compris par des membres du gouvernement, que la législation présente n’est que transitoire.
Il convient désormais de se résoudre à accompagner sur le terrain du soin non seulement une approche différente de la législation relative à la fin de vie, mais également une autre conception de ce que soigner signifie, de ce à quoi le soin engage. Peut-on affirmer que c’est ainsi que nous parviendrons à trouver de la sérénité face à la souffrance et à la fin de vie, ce que nous ne savons plus du reste concevoir et évoquer ensemble qu’en des termes médicaux et juridiques ? S’agit-il, comme cela est proclamé, d’une “avancée” du point de vue de la dignité et des droits de la personne ou alors d’une déroute ? Désormais à chacun d’assumer ses choix et ses responsabilités.

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Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute http://plusdignelavie.com/?p=2921 http://plusdignelavie.com/?p=2921#comments Wed, 14 Oct 2015 10:22:16 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2921 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 . . . → Read More: Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 personnes éprouvées par un même handicap, pour que l’on puisse s’en satisfaire. Depuis des mois et à travers un enchaînement de péripéties et de rebondissements déplorables, nous sommes témoins d’une invraisemblable déroute dont il nous faudra tirer toutes les conséquences. Car elles sont désastreuses à la fois pour ceux qui sont les plus directement concernés (personnes handicapées, proches, professionnels à leurs côtés), mais également dans ce qu’elles semblent révéler de dysfonctionnements qui n’ont pu être caractérisés et en quelque sorte contrés qu’en recourant à des procédures judiciaires poussées jusqu’à l’extrême. Certains s’interrogent désormais sur la légitimité et pertinence des procédures collégiales ayant été mises en œuvre pour engager une limitation ou un arrêt de vie d’un être cher. De même que des parents expriment auprès des équipes médicales, dans des services de médecine physique et de réadaptation (accueillant dans leur projet de vie des personnes aussi dépendantes que l’est M. Vincent Lambert), leur inquiétude au regard de possibles décisions arbitraires d’arrêt des soins dans les conditions discutées à propos du CHU de Reims. Le principe fondamental de la relation de confiance indispensable à l’approche de circonstances dramatiques et redoutables pour lesquelles une concertation intègre s’impose entre les membres d’une famille et une équipe médicale afin d’envisager l’issue estimée préférable, parfois « la moins mauvaise », est entamé, entaché de soupçons. C’est une injure faite aux professionnels, notamment de la réanimation, qui ont su initier des procédures de limitation et d’arrêt des traitements (en 2002, puis revues en 2009) solidement étayées et relevant de considérations à la fois éthiques et scientifiques rigoureuses.
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie engagée le 17 juillet 2012 semblait aboutir avec la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, il est désormais évident que l’impact des circonstances présentes qui ont fait irruption sur la scène publique le 4 mai 2013 (première tentative d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert entreprise le 10 avril et interrompue sur décision de justice) ne pourra être négligé ainsi que les sénateurs l’ont démontré le 23 juin. Le droit fondamental de personnes handicapées comme M. Vincent Lambert, n’est-il pas déjà de bénéficier des soins et de l’accompagnement social les plus adaptés, sans être considérés, selon des évaluations fragiles, « en fin de vie » ? Les conditions de suivi médical de M. Vincent Lambert incarcéré depuis des années dans sa chambre, dans un contexte dont on peut aujourd’hui se demander s’il relève effectivement des droits reconnus et détaillés dans la circulaire du 3 mais 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel, n’affectent-elles pas de manière difficilement réversible sa qualité de vie ? Plutôt que d’évoquer des menaces pesant sur l’équipe médicale, nous aurions pu attendre du communiqué diffusé le 23 juillet par la Direction du CHU de Reims une attention à cet égard. Ce cumul de manquement à une expression de la compassion altère pour beaucoup la respectabilité des positions qui se sont radicalisées ces derniers mois, au point de contester la neutralité même d’une équipe médicale en fait dans l’incapacité d’arbitrer dans l’impartialité une prise de décision collégiale. Que l’on ne nous affirme donc pas que les pressions idéologiques, voire terroristes (on ne peut qu’être stupéfait, dans le contexte international présent, du recours à cette terminologie par un des proches de M. Vincent Lambert à l’annonce du renoncement à mettre en œuvre la procédure létale) ont entravé le processus décisionnel. Il est davantage probable qu’à un moment donné, et de manière tardive, les pouvoirs publics ont estimé qu’il convenait de mettre un terme à une situation à ce point désastreuse qu’on ne parvenait plus à en maîtriser les dédales et les effets pernicieux. À de multiples reprises j’ai évoqué la dimension politique de ces circonstances. Son dénouement prudentiel, transitoire, au cœur de l’été en atteste, et désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées.

Un légalisme poussé à ses limites

Je reviens brièvement sur l’analyse du renoncement de l’équipe médicale du CHU de Reims à persévérer dans sa position, selon toute vraisemblance à la suite de la procédure collégiale qui a fait apparaître la fragilité des convictions et l’impossibilité de justifier une procédure de fin de vie. Le 7 juillet 2015, le médecin assurant le suivi de M. Vincent Lambert annonçait la réunion d’un Conseil de famille, le 15 juillet, afin « d’engager une nouvelle procédure en vue d’une décision d’arrêt de traitement ». La convocation adressée aux membres de la famille ne présentait en effet aucune autre perspective que celle de convenir, de manière autant que faire consensuelle, des conditions de mise en œuvre du processus aboutissant à la mort de M. Vincent Lambert. Ni dans la méthode ni surtout dans la forme retenue pour entreprendre la concertation, n’apparaissait la moindre considération autre que le strict respect d’une procédure administrative consécutive aux arrêts du Conseil d’État et plus récemment, le 5 juin, de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce légalisme poussé à ses limites semblait révoquer toute approche circonstanciée, toute mesure, pour ne pas dire toute décence, alors que le Conseil d’État avait, pour ce qui le concerne, témoigné de valeurs d’humanité et d’une infinie retenue dans son arrêt du 24 juin 2014. Depuis deux ans, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en « état d’éveil sans conscience » nous confrontent. Leur vulnérabilité même en appelle de notre part à l’expression d’obligations morales qui ne peuvent se satisfaire de procédures et de protocoles ainsi départis de la moindre sollicitude. Comme s’il s’agissait d’une « gestion de cas », là où doit prévaloir l’esprit de discernement, la pondération, la justesse et tout autant la considération à l’égard d’une personne vulnérable ainsi que de ses proches.
Il importait de tenir compte du caractère emblématique de la situation de M. Vincent Lambert ainsi que des conséquences de la décision qui ferait de manière certaine jurisprudence (en dépit des réserves émises à cet égard par le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme) : sa portée éminemment politique justifiait une argumentation incontestable et une discrétion inconciliable avec des postures partisanes revendiquées publiquement. Dès le 5 juin 2015, j’ai ainsi considéré nécessaire que le processus décisionnel relatif au devenir de M. Vincent Lambert puisse bénéficier de l’étayage des instances nationales compétentes dans le champ de l’éthique dont l’expertise avait été sollicitée par le Conseil d’État en 2014. Si la prise de décision collégiale relève de la seule autorité d’un médecin, il nous fallait être assurés que dans un contexte inédit et des plus complexe elle bénéficierait des arguments les plus fondés. Aucune de ces instances n’a estimé de l’ordre de ses responsabilités la moindre approche à cet égard (estimant que les rapports qu’elles avaient produits sur demande du Conseil d’État n’en appelaient pas à d’autres formes d’implications), si ce n’est le Conseil national de l’ordre des médecins en soutenant publiquement l’équipe médicale du CHU de Reims… L’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre établissement qui permette à l’ensemble des membres de la famille d’avoir la conviction que l’arbitrage se ferait sans le moindre soupçon, semblait une option sage, voire évidente. Il convenait de rétablir un rapport de pleine confiance, susceptible, peut-être, d’atténuer les clivages au nom d’un intérêt estimé supérieur : celui de M. Vincent Lambert. Il s’avérait indispensable que ce temps du dénouement, à la suite de l’arrêt de la CEDH, puisse relever de ces conditions de dignité et de sérénité si souvent invoquées pour accompagner au mieux des circonstances humaines de haute vulnérabilité. Il s’agissait selon moi d’un droit que l’on devait reconnaître à M. Vincent Lambert, à ses proches et ceux qui à ses côtés expriment au nom de la société la sollicitude d’un soin et d’une indéfectible solidarité. À cet égard je tiens à redire toute ma considération à l’équipe des soignants de M. Vincent Lambert, dont les compétences et le dévouement sont reconnus. Mais au-delà des communiqués officiels, s’est-on préoccupé de ce qu’éprouvaient à titre personnels ces professionnels confrontés aux soubresauts de décisions contradictoires, d’interprétations et de commentaires inconciliables avec les valeurs du soin ; eux qui auraient pu demain contribuer à la procédure de fin de fin de M. Vincent Lambert qu’elles accompagnent dans sa vie depuis des années ?

Décrypter sans concessions ce qui s’est passé

Mes deux suggestions qui n’ont fait l’objet d’aucune suite, intervenaient probablement à mauvais escient, ou alors elles contrariaient des positionnements et des stratégies rétifs à toute forme d’atermoiement. Comme s’il y avait urgence à conclure, et que les recours juridiques ayant été épuisés rien ne devait plus faire obstacle à la seule décision qui s’imposait. Certaines considérations ont néanmoins entravé – à la stupéfaction de nombreux observateurs ce qui en soi interroge – un processus qui devait bénéficier de la torpeur estivale et permettre, à la rentrée, de reprendre le cours des choses, de conclure la discussion parlementaire de la loi relative à la fin de vie comme si rien ne s’était passé. L’assistance médicalisée en fin de vie, au cœur d’une législation qui vise à reconnaître de « nouveaux droits » à la personne malade au terme de son existence, n’est certainement pas le recours adapté aux personnes qui, comme M. Vincent Lambert, n’ont pas anticipé une situation et une décision en soi inconcevable. Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permet de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence.
Désormais il nous faudra décrypter sans concessions ce qui s’est passé au CHU de Reims pour aboutir à cette situation chaotique. Il ne s’agit pas de mettre en cause des personnes dignes de notre respect, mais de comprendre un cumul de dysfonctionnements dont on peut craindre qu’ils interviennent également dans d’autres espaces du soin : ils ne suscitent pas, pour ce qui les concerne, la réactivité d’une famille que je refuse de caricaturer dans les positions, elles aussi respectables, qu’elle défend. De même je réprouve la mise en cause a priori de toute position qui serait réfractaire aux courants de pensées dominants qui s’érigent en censeurs et s’estiment détenteurs d’une vérité, voire d’une compétence, qui légitimerait leurs positions plus idéologiques qu’on ne le pense. En démocratie chacun doit être reconnu dans un point de vue argumenté, soucieux du bien commun. Je rends hommage à la qualité de l’arbitrage du Conseil d’État qui a permis, dans le cadre d’une instruction remarquable, de comprendre la complexité de circonstances humaines si délicates et complexes qu’elles imposent des approches attentionnés, rigoureuses et d’une extrême prudence. Je souhaite adresser, comme je l’ai déjà fait, un message de compassion à la famille de M. Vincent Lambert dont je comprends le cheminement qu’il lui revient d’assumer aujourd’hui afin de ne tenir compte que de ce que serait le bien-être et le choix profond de cette personne trop souvent négligée dans nos débats. Enfin, je tiens à rendre hommage à celles et ceux qui, confrontés au handicap, à la maladie, aux détresses humaines et sociales consécutives aux situations de vulnérabilité et de dépendance demeurent attachés aux valeurs de notre démocratie, y compris lorsqu’elles peuvent leur apparaître défaillantes au regard de leurs véritables urgences. J’estime que nos obligations de démocrates justifient que notre société se mobilise à leurs côté, les soutiennent dans la dignité de leur existence et ne s’en remette pas à des procédures médico-légales voire administratives pour les accompagner jusqu’au terme de leur existence.

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