Plus digne la vie » loi http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Thu, 20 Feb 2014 01:03:15 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.8.1 Vincent Lambert : reconnaître d’autres droits de la personne malade http://plusdignelavie.com/?p=2742 http://plusdignelavie.com/?p=2742#comments Thu, 20 Feb 2014 01:00:22 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2742 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud Des soins prolongés

« La personne malade a droit au respect de sa dignité. » La référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui énonce ce principe pourrait s’imposer dans . . . → Read More: Vincent Lambert : reconnaître d’autres droits de la personne malade]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud
Des soins prolongés

« La personne malade a droit au respect de sa dignité. » La référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui énonce ce principe pourrait s’imposer dans le contexte des controverses suscitées par la situation de Vincent Lambert. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Du reste, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la santé était consacrée le 3 mai 2002 « à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : « ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». On le voit donc, l’approche des modalités d’accueil et de suivi des personnes cérébro-lésées n’est à aucun moment conditionnée par une réflexion portant sur la fin de leur vie, même s’il convient d’anticiper de manière concertée les phases d’évolutions. Il peut même apparaître surprenant que le cadre d’existence actuel de Vincent Lambert soit une unité de soins palliatifs et non une structure dédiée. Des professionnels compétents ont su développer une expertise indispensable dans un contexte douloureux, complexe et incertain qui sollicite une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.
L’existence de ces personnes se poursuit sans le recours aux moyens qui « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » que réprouve la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Et, si elle s’imposait selon des critères médicaux probants, la décision relative à une limitation ou à un arrêt des traitements encadrée par la « loi Leonetti » serait intervenue dans la phase intensive de réanimation. À cet égard se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer à cet égard dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle. Tout semble indiquer que les décisions s’envisageraient désormais en amont, « dans les premières heures », ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue fondé, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait de présager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatisme crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.

 

Une exigence de prudence

Dans ce contexte extrême, éprouvé dans sa violence, son injustice, l’arbitrage de la décision ne saurait relever de la seule procédure médicale formellement recevable. D’autres enjeux conditionnent la recevabilité d’une décision qui doit tenir compte de la pluralité des points de vue et surtout de l’intérêt direct la personne concernée. Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les facultés, même limitées, d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation hasardeuse de postures, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans la capacité de discernement lorsque le soin d’une personne relève de considérations humaines et sociales autres que strictement techniques, et plus encore lorsque certains aspects de ce qui apparaît de l’ordre de la survie semblent échapper aux tentatives d’évaluations strictement scientifiques ? Le débat portant sur les caractéristiques mêmes d’un état pauci-relationnel en disent long des incertitudes qu’il importe de ne pas négliger en préservant une exigence de prudence.
Un projet de loi relatif à la fin de vie nous est annoncé dans les prochains mois. Il devrait concerner les conditions d’assistance médicalisée en fin de vie, et déjà certaines discussions de qualité portent sur des directives anticipées qui pourraient être opposables, sur le suicide médicalement assisté et sur la sédation terminale. Il y a quelques jours encore, le président de la République a rappelé son attachement à l’encadrement strict des évolutions qu’il souhaite. Les valeurs de solidarité et de compassion sont sollicitées, ainsi que l’importance de situer de tels enjeux au plan de la responsabilité politique. Après s’être laïcisée, puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée. Demain l’enjeu sera de la resocialiser et de tenter de reconstituer l’expression d’une sollicitude témoignée à la personne malade et à ses proches jusqu’au terme de son existence qui ne se limiterait pas à définir les seules conditions de sa mort.
Pour autant, a priori cette évolution législative ne paraît pas relever de circonstances liées à la maladie chronique, aux maladies neurologiques dégénératives, à certaines formes de handicaps qui ne sont pas assimilables d’emblée à la fin de vie. À commettre cet amalgame, nous serions conduits à condamner à la mort certaines formes de vie qui, pour inhabituelles et endommagées qu’elles soient, continuent de solliciter notre attention. Afin d’éviter toute interprétation hasardeuse ou ces dérives observées dans les quelques pays qui ont dépénalisé l’euthanasie, les instances sollicitées par François Hollande pour éclairer sa décision estiment que la difficulté sera précisément de caractériser ce qui justifierait spécifiquement une extension des indications de la loi relative à la fin de vie. Des notions comme celle de « sédation euthanasique » ou d’« exception d’euthanasie » sont avancées, notamment pour tenter d’apporter une réponse compassionnelle aux situations les plus délicates. A propos de la décision collégiale arbitrée dans les conditions que l’on sait par l’équipe de l’unité de soins palliatifs où est hospitalisé Vincent Lambert, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation est interprétée comme une « euthanasie passive ». Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas sage d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme des conditions du terme de l’existence.

 

Une révision de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades

Lorsque la personne n’est pas ou plus en capacité de consentir, son assentiment peut-il encore être sollicité, ainsi que le préconise l’Association Médicale Mondiale dans la version de la déclaration d’Helsinki revue en octobre 2013 ? Comment apprécier, de manière rétrospective, quelles étaient les préférences d’une personne incapable de communiquer afin d’en tenir compte dans une prise de décision médicale ? Ne devrions-nous pas repenser notre approche d’obligations qui, pour s’avérer plus fortes à l’égard de la personne du fait même de son extrême vulnérabilité, engagent en toutes circonstances à ne se préoccuper que de son intérêt propre et à y consacrer les dispositifs adaptés ?
En fait, une voie jusqu’à présent inexplorée me semble s’imposer désormais dans la concertation nationale sur la fin de vie et, au-delà, s’agissant des personnes dans l’incapacité de consentir ou de refuser un traitement. Ne serait-il pas cohérent d’intégrer les évolutions législatives annoncées portant sur la fin de vie, à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé révisée, tout en accordant un soin particulier à la prise en compte des réalités complexes de la maladie chronique, des maladies neurologiques évolutives et des handicaps complexes ? D’autres droits doivent donc être reconnus à la personne malade : susceptibles de répondre avec humanité et compétence à des attentes jusqu’alors négligées ou dévoyées. De telle sorte que le « parcours de vie » dans le « parcours de soin » évoqué avec tant de justesse dans la Stratégie nationale de santé puisse relever de l’engagement effectif d’« assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort » ?
La dignité du soin tient essentiellement aux conditions qui favorisent une relation de confiance. Cela engage à tenir compte de valeurs d’humanité qui ajoutent à la complexité d’arbitrages redoutables, notamment dans le contexte d’incertitudes, d’ambivalences et d’approximations évoquées publiquement dans l’accompagnement de décisions qui touchent à l’existence de Vincent Lambert. C’est pourquoi, peut-être, la justice garante des droits de la personne a par deux fois affirmé une position contradictoire à celle arbitrée par des médecins du CHU de Reims. Plutôt que de déplorer ces jugements ou de dénoncer « une mauvaise loi » qu’il conviendrait d’adapter y compris aux circonstances ne relevant pas de la fin de vie, ne convient-il pas d’approfondir notre réflexion et de mieux comprendre nos responsabilités dans les circonstances qui nous interpellent aujourd’hui ?

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Témoignage : Permettre à la personne en situation dite d’état pauci relationnel de préserver sa dignité http://plusdignelavie.com/?p=2731 http://plusdignelavie.com/?p=2731#comments Fri, 14 Feb 2014 14:52:54 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2731 Patrick et Sylvie Hélène Le Gloahec

Parents de Kévin

 

L’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation

Nous sommes les parents de Kévin.

Notre fils a 31 ans et a été hospitalisé en octobre 2010 à l’hôpital Nord 92 à Villeneuve la Garenne dans un service de . . . → Read More: Témoignage : Permettre à la personne en situation dite d’état pauci relationnel de préserver sa dignité]]> Patrick et Sylvie Hélène Le Gloahec

Parents de Kévin

 

L’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation

Nous sommes les parents de Kévin.

Notre fils a 31 ans et a été hospitalisé en octobre 2010 à l’hôpital Nord 92 à Villeneuve la Garenne dans un service de traumatisés crâniens, service qui est  sous la responsabilité du docteur Catherine Kiefer et de son équipe composée d’une vingtaine de personnes.

Cette hospitalisation a eu lieu quelques mois après un accident de moto.

Kévin aujourd’hui est dans un état de conscience minimale, quadriplégique et aphasique, ceci  pour la face sombre de sa situation. En ce qui concerne le côté moins noir, Kevin entend, comprend, et répond de façon tout à fait appropriée aux questions qui lui sont posées en baissant les paupières de manière  prolongée, d’autre part il est capable de vocaliser à la demande et de façon de plus en plus fréquente depuis quelques mois.

Je dois vous dire que c’est  un garçon excessivement volontaire et je pense qu’il va encore énormément  progresser dans les temps à venir. En tout cas nous essayons de faire le maximum pour atteindre cet objectif. Sa mère et moi sommes tous les après-midi à tour de rôle auprès de lui depuis presque 4 ans maintenant. C’est très important pour notre équilibre sur le plan affectif à tous trous.

Avant d’aborder directement le sujet concernant les attentes des familles, confrontées à la situation d’un proche hospitalisé dans une unité EVC,  je souhaiterais  témoigner de notre  propre expérience qui a été celle de notre entrée dans le monde hospitalier, un monde  complètement étranger dont on ne connaissait ni la langue ni les pratiques et à qui nous allions confier notre fils qui était en grande dépendance et sans défense.

Sans vouloir anticiper un des sujets suivants qui concerne les relations entre la famille et les professionnels je pense qu’en fait ces 2 sujets, « relation famille/professionnel » et « attentes des familles », sont des sujets intimement liés.

Je dois dire combien il est important d’établir une relation de confiance, de transparence et d’honnêteté dans les rapports entre l’équipe soignante et la famille du patient.

Et très franchement ce n’est pas aussi simple et aussi idyllique que cela,  j’en veux pour preuve notre propre expérience…

Kėvin a connu diverses périodes d’hospitalisations dans un certain nombre de structures en province et en région parisienne et je dirai que notre attente essentielle dans un premier temps, ne sachant pas trop ce qui allait se passer,  était sa bonne prise en charge sur le plan médical. Puis 6 mois après cet accident Kévin a été admis au sein de l’hôpital Nord 92, c’était le premier contact entre nous parents, et l’équipe médicale dont le travail était de prendre en charge  notre fils et cette fois-ci vraisemblablement de façon durable étant donné sa situation.

Je dois vous avouer m’être très rapidement rendu compte que cette équipe médicale devenait en quelque sorte une nouvelle famille, la seconde famille de notre fils, mais dans tous les cas  une famille d’accueil  dont nous ne connaissions pas les membres et dont nous n’avions pas fait spécialement le choix, mais avec laquelle et dans l’intérêt de Kévin il fallait composer.

Sur le plan relationnel, les tous premiers mois sont toujours très compliqués à vivre et à gérer du fait très certainement d’un manque de confiance, et vraisemblablement aussi par une méconnaissance totale de la façon d’aborder ce nouveau contexte. Je dois aussi dire que l’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation.

J’ajouterai et ce n’était pas notre cas, mais peut-être existe-t-il  aussi pour certaine famille un sentiment de jalousie à l’égard des équipes…

 

Une relation de confiance et de transparence dans les rapports avec l’équipe soignante

En fait et pour faire simple en ce qui nous concerne nous avions l’impression que Kévin n’était pas suffisamment pris en charge au niveau des  séances de rééducation et d’éveil par exemple, et que si son rétablissement ne se faisait pas assez rapidement c’était parce que  les soins étaient ni bons ni adaptés.

Je dois aussi dire, et ceci explique peut-être cela, l’affect qui nous lie à notre fils est très fort.

Il s’agit d’une terrible situation : nous avions d’une certaine façon perdu notre fils une première fois après avoir compris et admis que les séquelles risquaient d’être très importantes, et une deuxième fois quelques mois après, lorsque l’on a eu l’impression d’être dépossédé de ce proche au profit de cette famille d’accueil qu’encore une fois nous ne connaissions pas.

Et puis les mois passants, nous avons appris à  nous connaître nous respecter et nous faire mutuellement confiance. Je dirai qu’aujourd’hui entre nous parents et l’équipe médicale ayant la responsabilité de notre fils, la relation est devenue paisible et constructive.

Je voulais donc par cette expérience qui est propre à notre famille, faire comprendre combien  il est essentiel d’avoir une relation de confiance et de transparence dans ses rapports avec l’équipe soignante. Il n’y a qu’à cette condition que l’on peut sereinement  se poser les bonnes questions concernant les attentes que l’on doit avoir, nous la famille, lorsqu’un de nos proches se trouve dans une unité EVC-EPR.

Je terminerai par quelques pistes de nature à encore avancer dans la qualité du soin de nos malades :

- L’obligation de soin tant sur le plan médical que sur le plan corporel.

- Prendre en compte et étudier sans a priori la ou les demandes des parents, concernant les possibles approches de médecines douces ou palliatives.

- Impliquer davantage la famille dans des actions simples auprès du patient. Un exemple, j’ai obtenu après discutions avec le Dr Catherine Kiefer, la possibilité de mettre moi-même Kévin au fauteuil lorsque et pour différentes raisons le personnel soignant ne peut pas ponctuellement effectuer cette tâche.

- Toujours garder un fort lien de confiance entre la famille et l’équipe soignante.

- Faire  en sorte que le patient ait une vie aussi digne et confortable que possible par une multitude d’actions et de comportements. Deux exemples très simples à ce propos. Le patient doit être au fauteuil systématique tous les jours si son état le permet bien évidemment ; il doit être habillé pendant les horaires de visite de ses effets personnels ce qui permet à ce patient de garder une grande dignité, c’est le cas de notre fils.

A CE SUJET : 

Lire le communiqué de presse de l’association France traumatisme crânien

Lire le communiqué de presse de l’Union Nationale des Associations de Famille  de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC)

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Directives anticipées : les véritables enjeux http://plusdignelavie.com/?p=2729 http://plusdignelavie.com/?p=2729#comments Mon, 10 Feb 2014 16:17:54 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2729 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

« Prendre une minute pour en parler »

Au décours de circonstances humaines douloureuses évoquées ces derniers jours à propos de la controverse publique qui concerne la destinée d’une personne en état dit pauci relationnel, le dispositif des directives anticipées focalise des prises de positions . . . → Read More: Directives anticipées : les véritables enjeux]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

« Prendre une minute pour en parler »

Au décours de circonstances humaines douloureuses évoquées ces derniers jours à propos de la controverse publique qui concerne la destinée d’une personne en état dit pauci relationnel, le dispositif des directives anticipées focalise des prises de positions pour le moins expéditives. S’il était, en effet, à ce point évident de souscrire à cette proposition apparemment avantageuse et de nature à prémunir la personne malade de tout excès indu et donc d’apaiser toute inquiétude, comment expliquer de fortes réticences qui ne tiennent ni à la rétention de l’information par quelque pouvoir obscur, ni à quelque arrière combat du paternalisme médical ? Car en pratique peu nombreux sont ceux qui, à la manière d’un testament, envisagent comment allant de soi, de formuler par écrit ce qu’ils exigeraient de l’autre en situation de détresse vitale. Cet autre qui n’est pas exclusivement un soignant, mais également un proche éprouvé par les conséquences d’une prise de position qui s’imposerait à tous. De manière irrévocable, s’agissant de la personne atteinte, par exemple, d’une maladie neurologique dégénérative évoluée ou en état végétatif chronique.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie nous reconnaît la possibilité d’exprimer par écrit ce que serait notre choix si, en situation où s’imposerait une décision médicale déterminante, nous n’étions plus en capacité de le faire valoir. De même, la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé permet de désigner une « personne de confiance » susceptible d’apporter à l’équipe médicale les éléments d’information indispensables au respect de la position d’une personne dans la décision qui la concerne. Ces avancées sont tout aussi importantes que la possibilité de s’inscrire depuis le 03 juillet 1998 sur le Registre national automatisé des refus de prélèvement d’organes. On observera toutefois que si à ce jour près de 50 000 personnes ont manifesté leur volonté à cet égard, les refus exprimés par les proches sollicités pour connaître « l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt » sont de l’ordre de 33,7 %. Cet écart interroge et ne s’aurait s’expliquer par un déficit d’information. L’Agence de la biomédecine (ABM) consacre à cet égard une communication qui se veut incitative : « Prendre une minute pour en parler ». Son spot sur le site de l’ABM est significatif de la difficulté d’évoquer sans être intrusif ou à contretemps les représentations de la mort. Il est vrai que prétendre, y compris dans le cadre d’une campagne de sensibilisation qui se veut distancée, voire désinvolte, qu’une minute suffit pour échanger à propos de sujets aussi délicats, c’est nier les traditions et les valeurs engagées face à un tel dilemme ! La loi relative aux prélèvements d’organes a été votée le 22 décembre 1976. Près de trente ans plus tard la société française n’a pas encore intégré les conséquences du concept de « consentement présumé » pour évoluer dans la banalisation d’une prise de décision anticipée qui pourrait de surcroit favoriser la pratique des greffes d’organes. Ce constat n’empêche pas de mettre en cause l’efficience de la loi du 22 avril 2005 qui, elle, n’a disposé que de huit ans pour s‘acculturer ! Il apparaît évident que dans ce domaine les résolutions et les prescriptions s’avèrent pour le moins vaines, et que faute d’une attention portée aux composantes notamment anthropologiques et psychologiques de ces évolutions qui bouleversent nombre de nos repères, leur acceptabilité elle-même est mise en cause.

 

Consentir alors qu’il était encore temps

Que les circonstances présentes favorisent la propagande d’une association qui se dit submergée depuis quelques semaines par les demandes de personnes sollicitant dans l’urgence et le désarroi son concours pour que soient prises en compte leurs directives anticipées, n’est significatif que de la candeur des relais d’opinion au regard de circonstances éminemment complexes qui ne sauraient relever que de ce seul expédient. Les établissements hospitaliers diffusent depuis des années des documents d’information détaillés accessibles également sur de multiples sites : pour autant la rédaction de directives anticipées ne s’est pas encore imposée au rang des pratiques usuelles.
À la prise en compte de facteurs à la fois d’ordre personnel et du point de vue de nos habitudes pour tenter d’expliquer les réserves et les appréhensions des personnes malades à l’égard d’un tel document, est préférée, comme du reste dans d’autres contextes politiques, la simplification de réponses faussement rassurantes dont dès lors il apparaît scandaleux qu’elle ne s’imposent pas comme des évidences. Il en est de même, du reste, des positions alléguées en ce qui concerne l’euthanasie qui, de manière semble-t-il majoritaire, apparaissent à certains comme une solution difficilement contestable apportée aux misères d’une condition estimée déshumanisée à l’approche de la mort. Considérer que quelques mesures impromptues seraient ainsi de nature à nous éviter le « pire » en sauvegardant jusqu’au bout une faculté d’autonomie et une dignité manifeste, c’est méconnaître ce que sont les parcours compliqués, incertains, hasardeux et contraints dans la maladie.
Que l’on pense s’exonérer à moindre frais d’une confrontation personnelle à ses vulnérabilités, à la mortalité et aux impondérables de circonstances éprouvantes en anticipant ses choix, peut relever d’une expression du souci de soi, voire des autres, parfaitement recevable. Pour autant, cependant, que la conviction soit inébranlable de ne pas être susceptible d’évoluer dans ses résolutions initiales, précisément à l’épreuve d’un vécu dont a priori on ignore tout. Ce futur tant redouté n’est appréhendé que selon des représentations ou des expériences dont on ne sait en fait ce qu’elles pourraient signifier en situation. Les conceptions et les résolutions issues d’une confrontation directe, à tant d’égard solitaire, aux défis de la maladie procèdent de vérités intimes rarement conformes à nos idées préconçues. Nous sommes marqués, parfois à juste titre, par quelques faits extrêmes privés ou publics dont on accepte difficilement les négligences ou les rigidités qui les ont provoqué. Pour autant, s’en remettre à des dispositifs administratifs routiniers là où devrait s’imposer l’exigence d’interrogations, voire de mises en cause solidement étayées, s’avère peu satisfaisant. C’est considérer que nos libertés fondamentales sont, dans le contexte de la maladie grave, de handicaps lourds, voire de détresses humaines insupportables, à ce point menacées qu’il conviendrait de systématiser des procédures de sauvegarde. Au prix d’y concéder la liberté d’une certaine insouciance, du « droit de ne pas savoir », assigné en quelque sorte à cette nouvelle forme d’intrusion dans la sphère privée dont il pourrait nous être reproché de n’y avoir pas consenti alors qu’il était encore temps.

 

La valeur et le sens d’une décision relèvent de considérations complexes

Il est bien évident que ces discours de tribune qui, à propos des directives anticipées, sollicitent actuellement avec tant d’aplomb et de suffisance les concepts de liberté, d’autodétermination, de respect, de dignité ou de droit, procèdent de l’obsession d’ordonnancer à l’aulne de normes et de règles ce qui par nature échappe à toute prétention de maîtrise. Plutôt que de favoriser une approche circonstanciée, attentive aux aspects sensibles de nos confrontations à la souffrance et à la mort, des arguments inconsistants et des stratégies discutables sont mobilisés pour nous détourner de responsabilités qui concernent la autrement, en référence à un tout autre système de valeurs et d’engagements.
Il y a une imposture à dénaturer la relation de soin, celle qui se constitue dans un authentique rapport à l’autre, comme il s’exprime rarement dans d’autres contextes de la vie sociale. D’amplifier les peurs et les méprises, là où de manière naturelle et avec tant de sollicitude chacun s’efforce d’investir son humanité et ses compétences afin d’apaiser les appréhensions et de créer les conditions d’une confiance partagée, d’une solidarité concrète. Ce vécu si singulier dans le parcours de la maladie permet de respecter un projet de soin qui s’élabore et s’ajuste de manière concertée, y compris dans les phases ultimes lorsque les équipes soignantes s’adaptent aux attentes de l’autre jusqu’au terme de l’existence.
Affirmer que la rédaction de directives anticipées permettrait, à elle seule, d’atténuer la difficulté de décider dans les quelques circonstances qui pourraient justifier de les anticiper, c’est tromper l’opinion. Pour autant qu’elle ne s’y refuse pas (et c’est un droit que lui reconnaît la loi) la personne malade est associée de manière constante et progressive à la détermination des options thérapeutiques. Les stratégies sont habituellement arbitrées dans le cadre de concertations collégiales (comme en témoigne, par exemple, les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) avant d’engager tout traitement en cancérologie). Dans nombre de circonstances, du reste, certaines personnes qui initialement avaient souhaité qu’on les protège de toute « escalade thérapeutique » sollicitent (au même titre que leurs proches) d’ultimes tentatives, y compris à titre ‘’compassionnel’’. Cette position qui peut surprendre est considérée avec respect et abordée dans le cadre d’échanges attentionnés. Afin de prendre en compte l’intérêt direct des personnes dans l’incapacité d’expression ou de discernement, la « personne de confiance » ou les proches sont associés à l’instruction de la délibération médicale qui peut aboutir à renoncer à engager un traitement qui paraitrait déraisonnable en cas de complication. C’est dire que la valeur et le sens d’une décision relèvent de considérations complexes. Respecter le droit profond d’une personne ne consiste certainement pas à s’en remettre au seul respect de procédures formalisées. Il convient de tenir compte sans restriction de la volonté d’une personne, pour autant qu’on lui consacre le temps nécessaire à son appropriation, dans le cadre d’un dialogue, des conséquences effectives de sa décision. Et demeure entièrement posée la situation d’une personne dans l’incapacité d’anticiper un choix ou qui ne l’a pas formulé explicitement.
On peut se demander si dans le contexte actuel, ceux qui se précipitent dans la rédaction de directives anticipées sont en mesure d’apprécier et de peser la signification même de leurs décisions, voire s’ils le souhaitent réellement…

 

Des choix si délicats qu’on ne souhaite que rarement assumer seul

L’amalgame entre directives anticipées et « droit à l’euthanasie » n’est pas recevable, et l’on comprend parfaitement l’habileté qui consiste à confondre dans un même combat idéologique et politique des considérations sans lien commun. Les directives anticipées s’inscrivent dans la logique du concept de consentement ainsi qu’il est repris dans la loi du 04 mars 2002 : elle concerne de manière générale le droit des malades et non leur fin de vie.
Je ne vois que des avantages à ce que chacun d’entre nous s’engage à concevoir de manière autonome et responsable son rapport à la santé, à la maladie, ainsi que ses positions personnelles au regard de circonstances que nous redoutons tous. Cela ne peut que contribuer à favoriser certaines prises de décisions délicates, y compris, du reste, dans le contexte évoqué précédemment, lorsqu’un prélèvement d’organes est envisagé.
Mes réticences portent, on l’a compris, sur des stratégies qui se veulent garantes de la solution parfaite, postulant d’un unanimisme de circonstance, réfractaires aux questionnements difficiles et si critiques à l’égard des contestataires de ce modèle univoque ainsi promu. Si tant de personnes refusent encore de désigner une « personne de confiance » ou de rédiger leurs directives anticipées, ce n’est pas du fait d’un manque d’accès à l’information ou de leur pusillanimité. Leurs réserves à cet égard procèdent d’autres mobiles que l’on voudrait annihiler au nom d’une conception discutable de la vertu ou de l’audace de tout révéler de soi, y compris au regard de ce dont on ignore l’essentiel, comme cela devient pratique courante sur certains réseaux sociaux. Ou plutôt de se soumettre à un devoir de transparence poussé jusqu’à l’extrémité d’avoir à se prononcer sur des aspects à ce point incertains qu’on ne sait au juste sur la base de quel savoir ou de quelle sagesse trancher de manière pertinente à leur propos. Pour autant que l’on n’éprouve pas comme une insoutenable violence d’être ainsi contraint, directement ou indirectement, à se confronter aux représentations de l’altération physique, de la dépendance et de la mort, cela, clame-t-on, à titre de précaution et pour notre bien…

 

Influencer certaines décisions anticipées prises ainsi de manière contrainte

On le constate, il conviendrait d’accorder plus d’attention aux véritables enjeux de la rédaction de directives anticipées, au risque d’être surpris par certains aspects peu évoqués à leur propos. Ne serait-ce que l’injustice évidente éprouvée du fait de l’incitation à rédiger des directives anticipées dans des contextes socioculturels qui exposent de manière différenciée aux conséquences de ses choix. Certaines vulnérabilités qui tiennent par exemple à la solitude, sont de nature à influencer certaines décisions anticipées prises ainsi de manière contrainte.
Si l’exigence de procédures, ne serait-ce que d’ordre juridique, assigne demain à tenir compte du caractère opposable des directives anticipées, refusera-t-on l’accès à un établissement à la personne dans l’incapacité de formaliser ses volontés au regard de sa fin de vie ? C’est déjà le cas pour certains établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes. Renoncera-t-on à la réanimation d’une personne à la suite d’une tentative de suicide qui aurait consigné ses directives anticipées d’opposition à toute prise en charge médicale ? N’y aura-t-il pas matière à contentieux, voire conflits d’intérêts, lorsqu’une personne affectée dans ses capacités cognitives aura demandé expressément qu’on mobilise toutes les ressources disponibles, y compris lorsqu’elles s’avèreraient peu efficientes et d’un coût démesuré afin de la maintenir en vie le plus longtemps possible ? Les proches eux-mêmes pourront éprouver comme profondément bouleversantes certaines directives anticipées difficiles à admettre pour eux.
C’est dire que si de toute évidence la formulation de directives anticipées constitue une avancée peu contestable en terme de relation de soin et de démocratie sanitaire, on ne peut pour autant se satisfaire des propos incantatoires et volontairement réducteurs qui en travestissent la signification et les assimilent au combat qu’ils mènent en vue d’une légalisation de l’euthanasie.
La concertation nationale sur la fin de vie mérite mieux que des mobilisations compassionnelles qui, au motif d’honorer des questions essentielles, nous détournent d’enjeux humains et sociaux qu’il convient de ne pas ramener à des disputations insatisfaisantes ou à des slogans. Si, comme nous le souhaitons, les directives anticipées devaient s’avérer contraignantes dans les circonstances de la fin de vie, au même titre que le serait un droit opposable (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie proposerait à cet égard les meilleures garanties de respect de la volonté de la personne dans un souci de dignité.
Encore conviendrait-il également que les directives anticipées soient de la même manière reconnues lorsqu’elles se font l’expression de ceux qui aspirent à une vie digne, y compris avant que n’advienne le terme de leur existence. Ces personnes comprennent difficilement que la société consacre tant de considération aux modalités d’exercice de la décision au terme de l’existence, alors qu’il serait tout aussi précieux de consacrer un même investissement à l’attention portée au quotidien des personnes malades ou handicapées : elles aspirent à vivre pleinement au sein d’une société à laquelle pouvoir accorder leur confiance. Y compris pour des choix si délicats qu’on ne souhaite que rarement assumer seul.

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Affaire de Reims : vers un retour de l’acharnement thérapeutique ? http://plusdignelavie.com/?p=2724 http://plusdignelavie.com/?p=2724#comments Tue, 28 Jan 2014 08:27:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2724 Analyse de l’ordonnance de référé liberté du Tribunal de Châlons-en-Champagne

1. Rappel historique

Vincent Lambert, né en 1976, a été victime d’un traumatisme crânien à la suite d’un accident sur la voie publique le 29 septembre 2008. L’évolution de l’état clinique de Vincent Lambert, patient tétraplégique cérébro-lésé grave, montre que plus de 5 ans . . . → Read More: Affaire de Reims : vers un retour de l’acharnement thérapeutique ?]]> Analyse de l’ordonnance de référé liberté du Tribunal de Châlons-en-Champagne

1. Rappel historique

Vincent Lambert, né en 1976, a été victime d’un traumatisme crânien à la suite d’un accident sur la voie publique le 29 septembre 2008. L’évolution de l’état clinique de Vincent Lambert, patient tétraplégique cérébro-lésé grave, montre que plus de 5 ans après son accident et malgré les soins attentifs dont il fait l’objet au sein d’une unité spécialisée pour patient en état pauci relationnel depuis 2009, ne présente aucune amélioration de sa situation clinique. Au cours des 5 premiers mois de 2013, une réflexion éthique a été engagée à laquelle a été associée l’épouse de Vincent Lambert et a abouti le 4 avril 2013 à la confirmation d’une décision de suspendre la nutrition mise en oeuvre. A la suite d’une ordonnance du 11 mai 2013, le juge des référés du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ordonné de rétablir l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert, 30 jours après son interruption, en raison d’un manquement dans la procédure collégiale. Ce référé fait suite à la saisie par les parents du Tribunal administratif. A l’époque, le Tribunal administratif avait apporté un éclairage sur la forme de la loi Leonetti en disant que la procédure collégiale n’était pas respectée en conséquence de quoi la décision qui en avait découlée ne pouvait être confirmée.
Prenant acte de cette décision, le docteur Kariger a repris, à partir de la rentrée de septembre, dans le strict cadre de la loi du 22 avril 2005 une procédure collégiale associant l’ensemble des membres de la famille, ainsi que 4 experts indépendants.
Suite à la procédure collégiale, il a décidé le 11 janvier 2014 de suspendre de nouveau la nutrition et l’hydratation artificielle de Vincent Lambert. Considérant qu’au travers de l’ensemble des éléments qu’il avait à sa connaissance, il était légitime de considérer comme une obstination déraisonnable la prolongation de la vie de Vincent Lambert par la poursuite des soins de nutrition et d’hydratation artificielles et que Vincent Lambert n’aurait pas souhaité vivre une telle situation. Néanmoins, il a suspendu la mise en oeuvre de sa décision dans l’attente d’éventuels nouveaux recours administratifs. Ceux-ci ont été réalisés par les parents de Vincent Lambert le 13 janvier 2014 auprès du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Le Tribunal s’est réuni dans sa formation collégiale et a rendu compte de sa décision le 16 janvier 2014. Il enjoint le docteur Kariger de ne pas suspendre la nutrition et l’hydratation artificielle.

2. Une « ordonnance » qui modifie profondément les repères de la loi Leonetti.
Le législateur par la loi du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie, dite loi Leonetti, a assigné un cadre légal pour les décisions d’arrêt et de limitation de traitements.
S’il ne définit pas ce qu’il est juste de faire dans chacune des situations singulières vécues par les patients, les familles et les équipes de soins, il confirme certains repères (interdiction pour un médecin de donner la mort ; refus absolu de l’obstination déraisonnable) et impose aux équipes soignantes un processus bien identifié de délibération collective.

Si, lorsque le patient ne peut exprimer directement sa volonté, la responsabilité médicale de la décision est affirmée pour suspendre ou ne pas entreprendre de traitement, le médecin doit néanmoins, avant de prendre sa décision, s’assurer de deux éléments fondamentaux : s’assurer que la situation du patient relève bien du champ d’une obstination déraisonnable et également de façon aussi importante rechercher ce qu’aurait pu dire le patient s’il avait pu s’exprimer.
C’est sur ces deux éléments que le Tribunal de Châlons-en-Champagne apporte une analyse qui modifie profondément les repères sur lesquels s’appuyaient jusqu’à présent les médecins.

2.1. Une définition juridique de l’obstination déraisonnable
Pour qu’il y ait obstination déraisonnable, il faut selon la loi d’avril 2005 que les traitements « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, »
Avant d’aborder l’étude de l’article 1 de la loi Leonetti, le Tribunal considère que la nutrition et l’hydratation artificielle par voie entérale « lesquelles empruntent aux médicaments le monopole de distribution des pharmacies, ont pour objet d’apporter les nutriments spécifiques aux patients dans les fonctions altérées, et nécessitent en l’espèce le recours à des techniques invasives en vue de l’administration, consistent en des traitements ». Le Tribunal confirme ainsi la notion que l’alimentation et l’hydratation artificielles répondent bien à la définition, d’un traitement comme tout autre traitement, que seraient à la fois des traitements médicamenteux, mais également d’autres types d’assistance que seraient la dialyse, les défibrillateurs implantables ou des ventilateurs.
Le Tribunal considère ensuite que Vincent Lambert est en « état de conscience minimale plus impliquant la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement ». Mais alors même qu’il confirme que la nutrition et l’hydratation artificielle par voie entérale consistent en des traitements, il considère néanmoins que « dès lors que ces traitements peuvent avoir pour effet la conservation d’un certain lien relationnel, ils n’ont pas pour objet de maintenir le patient artificiellement en vie ».
Le Tribunal considère ensuite que le caractère inutile ou disproportionné n’est pas caractérisé car : « le centre hospitalier universitaire de Reims n’a fait valoir aucune contrainte ou souffrance qui seraient engendrées par le traitement ». Le Tribunal affirme alors que la loi Leonetti ne peut pas s’appliquer, non pas parce que Vincent Lambert serait handicapé ou pas en fin de vie, mais tout simplement parce que l’obstination déraisonnable n’a pas été caractérisée.
Pour le moins, on peut considérer, sans rentrer dans les contradictions mêmes de l’ordonnance, que le Tribunal établit une jurisprudence de l’obstination déraisonnable alors même que la loi Leonetti laissait aux médecins, après le respect de la procédure collégiale, la possibilité d’approcher, en fonction de chacune des situations, la définition la plus juste possible de l’obstination déraisonnable Il faut également noter que le Tribunal, au regard probablement de l’urgence du référé-liberté, prend une position médicale sans qu’aucune expertise médicale indépendante ne vienne éclairer sa décision. Si cette définition de l’obstination déraisonnable est confirmée, elle modifiera considérablement nos pratiques actuelles et nous incitera à poursuivre tout traitement à partir du moment où il pourra avoir « pour effet la conservation d’un certain lien relationnel ». Agir ainsi, conduira à un risque croissant d’acharnement thérapeutique et ira à l’encontre même des souhaits de nos concitoyens.

2.2. Un patient non écouté
Dans son ordonnance, le Tribunal analyse également l’expression de la volonté de Vincent Lambert. Lorsqu’une personne n’est pas en capacité de s’exprimer et qu’elle n’a désigné ni personne de confiance ni écrit ces directives anticipées, la loi Leonetti demande à l’équipe médicale de consulter la famille et/ou à défaut les proches pour essayer d’approcher au mieux le souhait exprimé par le patient. En l’espèce Le Tribunal considère que l’épouse de Vincent Lambert n’a pas pu apporter la preuve des dires de son mari car son éventuelle expression n’est « au demeurant pas datée avec précision » et « émanait d’une personne valide qui n’était pas confrontée aux conséquences immédiates de son souhait et ne se trouvait pas dans le contexte d’une manifestation formelle d’une volonté expresse ». La loi Leonetti nous demande de tout faire pour approcher avec la plus grande justesse l’avis possible de la personne malade. Par définition les avis recherchés ne peuvent êtres oraux et la loi Leonetti ne nous demande pas de les caractériser avec précision. Nous n’avons pas en particulier à caractériser par des dates ou des circonstances précises ces déclarations. Autre évidence, personne ne peut vivre une situation avant qu’elle ne survienne. Cet élément est une réserve constitutive de toute expression anticipée de la volonté (qu’elle soit écrite ou orale) et comme soignants nous en avons parfaitement conscience, car elle traverse tous les échanges que nous avons avec nos patients lorsque nous envisageons la conduite à tenir en cas d’évolution d’une maladie. Pour autant, s’il faut bien sûr en tenir compte, cette réserve ne saurait délégitimer la parole d’un patient. Pour les personnes qui ne peuvent plus s’exprimer et qui n’ont pas de personne de confiance ou écrit de directives anticipées, la recherche par l’équipe soignante d’une intime conviction ou d’une juste position élaborée dans le cadre de la délibération collective est donc le coeur de la démarche de la loi Leonetti et nous permet de prendre les décisions les plus appropriées. La position du Tribunal est autre. Elle demande des éléments de preuve. Proposition peu compatible avec la réalité de la démarche soignante empreinte, dans ces situations douloureuses où l’on évoque une limitation de traitement, de doute et d’incertitude.
Ce drame représente également une illustration marquante, non pas de l’insuffisance de la loi Leonetti, mais de l’échec de sa diffusion auprès du grand-public. En l’absence de directives anticipées et de désignation d’une personne de confiance, ce sont les juges qui ont tranché face à un différend familial, en allant contre la décision médicale prise à la suite d’une procédure collégiale qui n’a, par ailleurs, pas été critiquée par le Tribunal.

3. Conclusion
A travers la loi Leonetti, le législateur a fait le choix de ne pas imposer un cadre normatif. Il ne laisse pas pour autant les différents acteurs sans repères. Il maintient l’interdit de l’homicide et s’oppose à l’obstination déraisonnable. Il encadre le processus décisionnel. Il fait le pari d’une qualité de la délibération au sein des équipes soignantes et d’une sagesse pratique du décideur. Le choix est de favoriser une éthique de la discussion et de l’argumentation en misant sur les compétences de ceux qui prennent soin au quotidien de la personne malade.
Le positionnement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ne s’inscrit pas dans cette dynamique. Il transforme la loi Leonetti qui est une « loi du comment faire » qui doit nous guider sur le chemin de la moins mauvaise décision en « une loi du que faire »

En apportant une définition juridique et non pas médicale de l’obstination déraisonnable, en limitant la portée de l’avis exprimé par le patient, l’ordonnance du Tribunal administratif bouleverse considérablement les repères de la loi Leonetti qui depuis plus de 10 ans maintenant nous permettait de trouver la solution la plus humaine à des situations médicales toujours dramatiques. C’est la raison pour laquelle il est important qu’un éclaircissement soit apporté au risque de voir resurgir l’acharnement thérapeutique pourtant clairement refusé par nos concitoyens.

Vincent Morel
Président de la SFAP

Affaire de Reims
Vers un retour de l’acharnement thérapeutique ?
Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs. Janvier 2014
106 Avenue Emile Zola – 75015 Paris. Tel : 01 45 75 43 86 – mail : [email protected]
Site : http://www.sfap.org

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Fin de vie : des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais http://plusdignelavie.com/?p=2693 http://plusdignelavie.com/?p=2693#comments Sat, 18 Jan 2014 13:34:39 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2693 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud Conférence de citoyens sur la fin de vie : une attente déçue

Depuis le 16 décembre, le texte tant attendu de la conférence de (18) citoyens sur la fin de vie devrait nous permettre désormais de mieux cerner certains aspects inédits de ces questions complexes : . . . → Read More: Fin de vie : des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud
Conférence de citoyens sur la fin de vie : une attente déçue

Depuis le 16 décembre, le texte tant attendu de la conférence de (18) citoyens sur la fin de vie devrait nous permettre désormais de mieux cerner certains aspects inédits de ces questions complexes : certaines compétences estimaient justifiée semblable consultation… A sa lecture, je n’en suis que peu convaincu. Le Comité consultatif national d’éthique dispose ainsi d’un document de plus au statut incertain : il lui semblait toutefois essentiel à la rédaction de son prochain avis annoncé vers janvier. En fait après le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France lui remis à François Hollande le 18 décembre 2012 : « Penser solidairement la fin de vie » et l’avis n° 121 du CCNE « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » du 1er juillet 2013, fallait-il attendre cette ultime contribution pour clore la concertation dite nationale ? Une consultation certes a minima, puisque le Président du CCNE nous avait promis « un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire ». Prochain acte ou péripétie de ce long périple engagé en juillet 2012, si, pour des raisons qui ne paraissent pas s’imposer aujourd’hui, il apparaissait préférable d’envisager de nouvelles prolongations.

À dire vrai dire, à la lecture des conclusions de la conférence des citoyens la déception est grande. Les 18 jurés reprennent, certes avec leurs termes et quelques nuances, les lignes essentielles des réflexions menées par la mission Sicard, le CCNE, et en 2005 comme en 2008 par les missions parlementaires : généralités humanistes obligées sur les approches de la fin de vie dans un contexte médicalisé discutable ; urgence de rendre universel le recours aux soins palliatifs ; respect des droits de la personne dans son autonomie et son droit de bénéficier des soulagements qui apaisent ses souffrances, y compris en abrégeant son temps de vie ; exigence d’aboutir à un compromis certes délicat, susceptible d’éviter toute « dérive », mais en estimant que le statu quo ne peut pas perdurer.
Liberté, dignité, respect, consentement, solidarité, encadrement législatif, collégialité, information : aucun concept ou mot clé n’est oublié dans ce nouvel énoncé succinct de bonnes intentions dont il apparaît néanmoins difficile de saisir la portée et la contribution effective d’un point de vue pratique. Mais peut-être cette initiative ne relevait-t-elle que d’une recherche de légitimation de la part d’un CCNE qui, inquiet pour une fois, se serait senti démuni d’autorité vraie dans un domaine qui semble diviser ses membres et susciter encore trop de controverses passionnées. Il sera donc intéressant de voir quels arbitrages qui seront enfin proposés au Président de la République par le CCNE, après ce détour qui interroge ou du moins laisse insatisfait, ne serait-ce que s’agissant de sa pertinence et de sa fonction. Du reste, à propos même de la méthodologie retenue pour constituer ce jury, l’IFOP reconnaît « que compte tenu de la taille du panel celui-ci ne prétend pas à la représentativité de la population française et il est impropre de parler d’échantillon représentatif ainsi qu’on le mentionne traditionnellement pour un sondage » ! Seule mention positive à l’égard de cette initiative discutable dans ses justifications approximatives et sa forme, le pluralisme dans la sollicitation des différents intervenants qui avaient, chacun dans un temps limité, mission de présenter des points de vue et des analyses aux 18 citoyens. La maturité et la légitimé des positions et des argumentations développées depuis des années à l’épreuve de circonstances humaines souvent douloureuses, devraient enfin permettre de faire bouger les lignes sans nous soumettre à de nouveaux conciliabules dont le sens échappe. Il y a me semble-t-il urgence à se déterminer enfin et à énoncer les principes qui s’imposeront si des évolutions s’avéraient nécessaires et opportunes au regard des droits des malades en fin de vie. Les politiques doivent désormais assumer leurs responsabilités à la suite de ces consultations dont j’estime qu’elles étaient nécessaires et apportent les éclairages attendus.

 

Un encadrement possible pour l’exception d’euthanasie ?

Quelques brèves observations, néanmoins, à propos des propositions issues de la conférence de citoyens sur la fin de vie. J’observe que depuis le lancement de la consultation nationale sur la fin de vie le 17 juillet 2012, le Chef de l’État n’a jamais prononcé le mot euthanasie : il évoque avec justesse l’assistance médicalisée en fin de vie et nous incite donc à davantage de profondeur et de prudence dans les approches. Ce panel réunissant des citoyens, lui, aborde explicitement la question de l’euthanasie, même s’il la préconise à titre d’« exception » sans bien expliquer, au-delà de la pétition de principe, comment il conçoit son encadrement. Il conviendra toutefois de savoir comment on appréciera l’exception (de ce point de vue, en janvier 2000 l’avis n° 63 du CCNE « Arrêt de vie, fin de vie, euthanasie » abordait avec plus d’intelligence et de subtilité cette éventualité). La position des citoyens stupéfait lorsqu’ils renoncent, au mépris des principes les plus évidents, à considérer le consentement comme une condition intangible : « elle (l’euthanasie) est envisageable dans des cas particuliers, ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté lorsqu’il n’existe aucune autre solution (pas de consentement direct du patient) ». Avec une naïveté qui inquiète et nous laisse entrevoir ce que serait à cet égard la position de personnes vulnérables, les citoyens envisagent que « ces cas strictement encadrés seront laissés à l’appréciation collégiale d’une commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place ». Encadrer une telle exception justifierait nombre d’approfondissements qui pour le présent font défaut. Cela ne semble pas poser problème aux 18 citoyens.
A observer, 11 ans plus tard, la situation en Belgique (pays qui a dépénalisé l’euthanasie), les critères dits de minuties ne sont plus réellement tenus ou ont évolué pour favoriser une permissivité ou mieux une acceptabilité qui interroge la notion même d’encadrement. Initialement l’euthanasie concernait des personnes au terme de leur existence, celles qui ressentaient des douleurs insurmontables ou rétives à toute forme d’apaisement. Aujourd’hui, les limites ont été repoussées, légitimant par exemple l’euthanasie d’un transsexuel qui ne parvenait pas à surmonter les conséquences d’une intervention chirurgicale, d’un grand mélancolique ou celle de jumeaux de 45 ans atteints de surdité, le 14 décembre 2012. Il y a quelques jours le Sénat belge a voté une extension de la loi concernant les enfants mineurs. Désormais est également à l’ordre du jour l’euthanasie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. En Belgique la déclaration des actes d’euthanasie se fait a posteriori, les notifications ne sont pas exhaustives. Cela pour dire à quel point l’encadrement apparaît difficile, quelques soient les intentions. Quel sera le statut de la commission dévolue, en France, à l’autorisation d’euthanasie d’une personne de surcroit incapable d’exprimer un consentement ?

Le panel citoyen aborde dans ses résolutions le suicide médicalement assisté. Telle qu’elle est pratiquée, par exemple, dans l’état de l’Oregon (États-Unis), cette procédure vise à respecter l’autonomie de la personne. Le médecin a pour responsabilité de déterminer et confirmer officiellement la justification médicale de ce possible recours, en phase terminale d’une maladie. Il prescrit mais n’administre pas le produit létal. La personne, du reste, peut décider de ne pas se suicider. Certains observateurs considèrent qu’en quelque sorte le médecin légitime malgré tout le suicide ; d’autres qu’il ne va pas jusqu’au bout et laisse la personne à sa solitude. Il est évident qu’une personne bénéficiant d’un accompagnement de la port d’un environnement favorable n’appréhende pas ces questions de la même manière que celle qui se trouve confrontée sans soutiens au dilemme de décider. La mise en œuvre de cette forme de suicide suscite nombre de problèmes pratiques. Notamment pour les médecins qui ont pour vocation de réanimer des personnes qui tentent de se suicider, et au moment même où notre société se mobilise contre le suicide des personnes âgées. Les 18 citoyens observent toutefois avec sagesse ou candeur : « nous insistons sur la nécessaire vigilance à apporter dans les cas où le suicide médicalement assisté concernerait des personnes n’étant pas en capacité dé réaliser le geste par elles-mêmes afin de prévenir toute dérive. » Là également entre des positions incantatoires et la justesse de leur applicabilité la distance est grande.

 

Des repères forts légitimés par l’autorité publique

L’autorisation de la sédation en phase terminale est également abordée par les citoyens. Tout faire pour atténuer les souffrances de la personne s’impose en fin de vie. C’est ce que la loi préconise depuis 2005. La question est celle d’une extension de l’indication de la sédation qui aurait pour objectif explicite (et non indirect) d’abréger la vie. On évoque même à ce propos la notion de sédation euthanasique, ce qui n’est pas sans susciter quelques interrogations. A cet égard nos 18 sages se contentent de reprendre une considération d’évidence depuis la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : « en phase terminale, l’objectif de soulagement de la douleur et de la souffrance du patient doit primer sur le risque de décès pouvant survenir à l’issue d’une sédation profonde. » Nous n’avions pas besoin de cette affirmation pour comprendre que l’approche de la sédation ne saurait constituer, en tant que telle, une variation d’ajustement, au gré des interprétations, de la pratique d’euthanasie. Dans ce domaine également, depuis la loi du 22 avril 2005 les pratiques ont su évoluer, tenant compte, dans un contexte donné et en tenant compte du choix de la personne et de son intérêt direct, d’enjeux qui ne sauraient se satisfaire de considération générales, aussi compassionnelles soient-elles.

Personnellement je pense que des évolutions équilibrées et prudentes s’imposent désormais ; elles sont d’autant plus justifiées que l’impatience est attisée par la multiplication d’analyses et de propositions (accompagnées de tant de commentaires) qui attendent la conclusion politique annoncée. Les conclusions de la conférence des 18 citoyens me renforcent dans ma conviction : des questions à la fois graves et complexes justifient à un moment donné l’énoncé de repères forts légitimés par l’autorité publique. François Hollande a su initier une consultation justifiée qui ne doit pas se perdre dans les dédales de disputations sans fin ou de saisines approximative. Tout cela ne contribuerait qu’à prolonger inutilement des discussions que je considère suffisamment abouties.
Chacun à compris que notre approche politique de nos responsabilités humaines et sociales auprès d’une personne en fin de vie engage les valeurs du vivre ensemble, celles de la solidarité.

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Vincent Lambert : reconnaître d’autres droits de la personne malade http://plusdignelavie.com/?p=2671 http://plusdignelavie.com/?p=2671#comments Fri, 17 Jan 2014 16:55:41 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2671 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud, directeur de l’Espace éthique/AP-HP

 

Des soins prolongés

« La personne malade a droit au respect de sa dignité. » La référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui énonce ce principe . . . → Read More: Vincent Lambert : reconnaître d’autres droits de la personne malade]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud, directeur de l’Espace éthique/AP-HP

 

Des soins prolongés

« La personne malade a droit au respect de sa dignité. » La référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui énonce ce principe pourrait s’imposer dans le contexte des controverses suscitées par la situation de Vincent Lambert. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Du reste, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la santé était consacrée le 3 mai 2002 « à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : « ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». On le voit donc, l’approche des modalités d’accueil et de suivi des personnes cérébro-lésées n’est à aucun moment conditionnée par une réflexion portant sur la fin de leur vie, même s’il convient d’anticiper de manière concertée les phases d’évolutions. Il peut même apparaître surprenant que le cadre d’existence actuel de Vincent Lambert soit une unité de soins palliatifs et non une structure dédiée. Des professionnels compétents ont su développer une expertise indispensable dans un contexte douloureux, complexe et incertain qui sollicite une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.
L’existence de ces personnes se poursuit sans le recours aux moyens qui « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » que réprouve la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Et, si elle s’imposait selon des critères médicaux probants, la décision relative à une limitation ou à un arrêt des traitements encadrée par la « loi Leonetti » serait intervenue dans la phase intensive de réanimation. À cet égard se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer à cet égard dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle. Tout semble indiquer que les décisions s’envisageraient désormais en amont, « dans les premières heures », ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue fondé, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait de présager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatisme crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.

 

Une exigence de prudence

Dans ce contexte extrême, éprouvé dans sa violence, son injustice, l’arbitrage de la décision ne saurait relever de la seule procédure médicale formellement recevable. D’autres enjeux conditionnent la recevabilité d’une décision qui doit tenir compte de la pluralité des points de vue et surtout de l’intérêt direct la personne concernée. Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les facultés, même limitées, d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation hasardeuse de postures, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans la capacité de discernement lorsque le soin d’une personne relève de considérations humaines et sociales autres que strictement techniques, et plus encore lorsque certains aspects de ce qui apparaît de l’ordre de la survie semblent échapper aux tentatives d’évaluations strictement scientifiques ? Le débat portant sur les caractéristiques mêmes d’un état pauci-relationnel en disent long des incertitudes qu’il importe de ne pas négliger en préservant une exigence de prudence.
Un projet de loi relatif à la fin de vie nous est annoncé dans les prochains mois. Il devrait concerner les conditions d’assistance médicalisée en fin de vie, et déjà certaines discussions de qualité portent sur des directives anticipées qui pourraient être opposables, sur le suicide médicalement assisté et sur la sédation terminale. Il y a quelques jours encore, le président de la République a rappelé son attachement à l’encadrement strict des évolutions qu’il souhaite. Les valeurs de solidarité et de compassion sont sollicitées, ainsi que l’importance de situer de tels enjeux au plan de la responsabilité politique. Après s’être laïcisée, puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée. Demain l’enjeu sera de la resocialiser et de tenter de reconstituer l’expression d’une sollicitude témoignée à la personne malade et à ses proches jusqu’au terme de son existence qui ne se limiterait pas à définir les seules conditions de sa mort.
Pour autant, a priori cette évolution législative ne paraît pas relever de circonstances liées à la maladie chronique, aux maladies neurologiques dégénératives, à certaines formes de handicaps qui ne sont pas assimilables d’emblée à la fin de vie. À commettre cet amalgame, nous serions conduits à condamner à la mort certaines formes de vie qui, pour inhabituelles et endommagées qu’elles soient, continuent de solliciter notre attention. Afin d’éviter toute interprétation hasardeuse ou ces dérives observées dans les quelques pays qui ont dépénalisé l’euthanasie, les instances sollicitées par François Hollande pour éclairer sa décision estiment que la difficulté sera précisément de caractériser ce qui justifierait spécifiquement une extension des indications de la loi relative à la fin de vie. Des notions comme celle de « sédation euthanasique » ou d’« exception d’euthanasie » sont avancées, notamment pour tenter d’apporter une réponse compassionnelle aux situations les plus délicates. A propos de la décision collégiale arbitrée dans les conditions que l’on sait par l’équipe de l’unité de soins palliatifs où est hospitalisé Vincent Lambert, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation est interprétée comme une « euthanasie passive ». Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas sage d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme des conditions du terme de l’existence.

 

Une révision de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades

Lorsque la personne n’est pas ou plus en capacité de consentir, son assentiment peut-il encore être sollicité, ainsi que le préconise l’Association Médicale Mondiale dans la version de la déclaration d’Helsinki revue en octobre 2013 ? Comment apprécier, de manière rétrospective, quelles étaient les préférences d’une personne incapable de communiquer afin d’en tenir compte dans une prise de décision médicale ? Ne devrions-nous pas repenser notre approche d’obligations qui, pour s’avérer plus fortes à l’égard de la personne du fait même de son extrême vulnérabilité, engagent en toutes circonstances à ne se préoccuper que de son intérêt propre et à y consacrer les dispositifs adaptés ?
En fait, une voie jusqu’à présent inexplorée me semble s’imposer désormais dans la concertation nationale sur la fin de vie et, au-delà, s’agissant des personnes dans l’incapacité de consentir ou de refuser un traitement. Ne serait-il pas cohérent d’intégrer les évolutions législatives annoncées portant sur la fin de vie, à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé révisée, tout en accordant un soin particulier à la prise en compte des réalités complexes de la maladie chronique, des maladies neurologiques évolutives et des handicaps complexes ? D’autres droits doivent donc être reconnus à la personne malade : susceptibles de répondre avec humanité et compétence à des attentes jusqu’alors négligées ou dévoyées. De telle sorte que le « parcours de vie » dans le « parcours de soin » évoqué avec tant de justesse dans la Stratégie nationale de santé puisse relever de l’engagement effectif d’« assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort » ?
La dignité du soin tient essentiellement aux conditions qui favorisent une relation de confiance. Cela engage à tenir compte de valeurs d’humanité qui ajoutent à la complexité d’arbitrages redoutables, notamment dans le contexte d’incertitudes, d’ambivalences et d’approximations évoquées publiquement dans l’accompagnement de décisions qui touchent à l’existence de Vincent Lambert. C’est pourquoi, peut-être, la justice garante des droits de la personne a par deux fois affirmé une position contradictoire à celle arbitrée par des médecins du CHU de Reims. Plutôt que de déplorer ces jugements ou de dénoncer « une mauvaise loi » qu’il conviendrait d’adapter y compris aux circonstances ne relevant pas de la fin de vie, ne convient-il pas d’approfondir notre réflexion et de mieux comprendre nos responsabilités dans les circonstances qui nous interpellent aujourd’hui ?

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Les soins palliatifs et vos droits : les directives anticipées http://plusdignelavie.com/?p=2659 http://plusdignelavie.com/?p=2659#comments Tue, 07 Jan 2014 10:25:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2659 Ce que dit la loi du 22 avril 2005 : Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées, pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Elles indiquent ses volontés relatives à sa fin de vie en ce qui concerne la limitation ou l’arrêt de traitements. Elles sont révocables . . . → Read More: Les soins palliatifs et vos droits : les directives anticipées]]> Ce que dit la loi du 22 avril 2005 : Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées, pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Elles indiquent ses volontés relatives à sa fin de vie en ce qui concerne la limitation ou l’arrêt de traitements. Elles sont révocables à tout moment. Le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant, à condition qu’elles aient été établies moins de 3 ans avant l’état d’inconscience de la personne. Lire la suite

Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs http://www.sfap.org

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Prise en charge de la fin de vie : « Position du conseil national de l’ordre des infirmiers » http://plusdignelavie.com/?p=2640 http://plusdignelavie.com/?p=2640#comments Sun, 22 Dec 2013 18:34:10 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2640 Le Président de la République, dans le cadre de son programme présidentiel, avait pris l’engagement suivant(1) :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à . . . → Read More: Prise en charge de la fin de vie : « Position du conseil national de l’ordre des infirmiers »]]> Le Président de la République, dans le cadre de son programme présidentiel, avait pris l’engagement suivant(1) :

« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant
une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des
conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité
».

En vue de la mise en oeuvre de cet engagement, le Président de la République a confié au Professeur Didier SICARD, ancien Président du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé), une mission d’évaluation de l’application de la loi du 22 avril 2005 (dite loi Leonetti). Dans sa lettre de mission en date du 17 juillet 2012, le Président recommandait au Pr. SICARD d’accorder «une attention toute particulière aux priorités que représentent l’information de la population et la formation des professionnels, en particulier les personnels de santé, y compris dans leur formation initiale » et que sa mission reflète «la nécessaire pluridisciplinarité des approches »(2). Le rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France a été rendu le 18 décembre 20123. A la suite de la remise de ce rapport, le Président de la République a saisi le CCNE en lui posant trois questions :

- Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l’annonce d’une maladie grave, concernant la fin de sa vie ?
- Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ?
- Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?
Le CCNE dans son avis n°121 du 30 juin 2013 émet plusieurs recommandations concernant la dignité de la personne, le droit aux soins palliatifs, le respect des directives anticipées et le droit à une sédation profonde.
Cependant, la majorité de ses membres demande de ne pas légaliser l’assistance au suicide et/ou l’euthanasie.
Le CCNE considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n’est pas close et qu’elle doit se
poursuivre sous la forme d’un débat public. Suite à de nombreux échanges avec les infirmiers et infirmières ainsi que les usagers du système de santé, après une revue de littérature et l’étude des textes législatifs par une commission ad hoc, le Conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI) souhaite faire connaitre sa position quant à cette problématique de la fin de vie.

Prise en charge décembre 2013
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1/François Hollande, Le changement c’est maintenant – Mes 60 engagements pour la France, engagement n°21, http://www.parti-socialiste.fr/dossier/le-projet-de-francoishollande
2/Lettre de mission du Professeur Didier SICARD, 17 juillet 2012
3/Penser solidairement la fin de vie, rapport à François Hollande Président de la République française, 18 décembre 2012, http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-de-la-commissionde-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf
4/Avis n°121, http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_121_0.pdf

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« L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas ! http://plusdignelavie.com/?p=2609 http://plusdignelavie.com/?p=2609#comments Wed, 30 Oct 2013 12:23:15 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2609 Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ». Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de . . . → Read More: « L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas !]]> Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ».
Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de Prader-Willi, une affection génétique qui la rend dépendante et justifie un accompagnement constant. Après avoir été condamné par la justice à trouver une structure adaptée à cette jeune femme lourdement handicapée, l’État a tenté de faire appel de la décision afin d’éviter une jurisprudence qui l’obligerait à trouver une solution adaptée à de nombreuses familles en attente de propositions pour leurs enfants. Devant le tollé général, la ministre déléguée auprès des personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion vient d’abandonner ce recours. L’UNAPEI avait vivement réagi à l’annonce de la saisine du Conseil d’État en affirmant que « le ministère cherche à institutionnaliser une mort sociale pour les personnes handicapées et leurs familles ».
Après un rétropédalage pitoyable et des explications consternantes de Marie-Arlette Carlotti, avec notamment cette savoureuse proposition destinée aux familles d’appeler le 3977 (numéro vert contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées) pour « dire leur désarroi » si les nouveaux « comités Théodule » ne trouvent pas de solution adaptées, les personnes lourdement handicapées et vulnérables se retrouvent insultées et méprisées par l’absence d’une volonté politique forte et cohérente.
En parlant de « comité Théodule », on se rend compte qu’il est bien loin le temps où Charles de Gaulle affirmait « l’essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l’essentiel pour le général de Gaulle, le Président de la France, c’est ce qui est utile au peuple français… »

 

Nos enfants ne sont pas de dossiers

Nos enfants sont handicapés mais ils ne sont pas des sujets de laboratoire dont les dossiers passeraient de commission en commission, où leur histoire, leur faiblesse seraient exposées devant des inconnus même bien intentionnés qui décideraient qui est le plus vulnérable ou le plus apte à trouver une place dans un système qui gère la compassion et le déficit de structures.
C’est déjà bien trop souvent le cas : dossier à l’hôpital, dossier à la MDPH, dossier dans les institutions, dossier à la CPAM, la vie de nos enfants circule de services en services, souvent d’inconnus en inconnus. Où est la dignité de la personne lorsque sa biographie, son intimité se réduisent à une somme de dossiers sur lequel on statue, on décide ?
Nos enfants sont avant tout des êtres humains dont la dignité est consubstantielle, inaliénable et commune à celle des autres hommes. Elle ne se monnaie pas, elle ne se négocie pas.
Pourtant l’État, en ne respectant pas ses propres lois et en laissant des familles à l’abandon, amoindrit cette dignité. En créant une section d’alerte dans chaque Agence régionale de santé (ARS) pour les « cas difficiles » il ajoute une souffrance supplémentaire à ces familles qui demandent simplement un lieu où leur enfant puisse être heureux, accueilli avec humanité, des parents qui pourraient souffler un peu et ne pas être obligés de penser au pire, des parents qui pourraient redécouvrir leur enfant sans les jours d’angoisse et la culpabilité de ne plus pouvoir faire face. Non seulement nos enfants sont déjà catalogués lourdement handicapés, mais en plus s’ils ne rentrent pas dans les petites cases ou bien s’ils sont reconnus comme « ingérables » pour les établissements, ils deviennent de nouveaux sujets d’études d’une nouvelle section crée spécialement pour eux. Et ayant une confiance sans faille dans notre administration entomologiste, nous pouvons être certains que dans quelques années il se créera une sous-section de la section « cas difficiles » !
Où allons-nous ?

 

Défendre des principes d’humanité

Être parent d’un enfant handicapé, c’est faire des choix pour lui et pour soi durant toute sa vie, c’est dans la constellation du système médico-social être obligé de faire les bons choix : dois-je penser à l’orientation de mon enfant dès 10 ans sachant que sa structure d’accueil prend en charge les enfants jusqu’à 14 ans et que les autres structures trouvent qu’à 14 ans il est « trop vieux » ? Mais il a aussi établi des liens d’amitiés avec ses camarades : dois-je les rompre pour trouver un autre établissement ? Dois-je envisager de le diriger vers la Belgique et rompre ainsi les liens avec sa famille ?
Dans ce labyrinthe les associations gestionnaires renvoient parfois un peu facilement la balle en prétextant un manque de moyens ou des structures pas adaptées : on peut l’accueillir mais à condition qu’il ne développe pas de trop gros troubles du comportement, s’il n’est pas trop malade ni trop fragile. Attention il est trop autonome ! Attention il n’est pas assez autonome, parfois même il est pas assez handicapé ou trop handicapé…
Nous acceptons, parents, d’être responsable de nos enfants et de porter avec eux le handicap mais nous refusons le sur-handicap pesant induit par un système qui ne prend pas en compte l’humanité de nos enfants.

Les personnes lourdement handicapées et/ou vulnérables interrogent notre société et nous renvoient aux principes-mêmes de notre civilisation.
Ils opposent aux valeurs « modernes » (culte de la vitesse et de la toute-puissance) des principes fondateurs comme l’écoute, le respect du temps, la dignité de toute vie. Par leur vie fragile ils révèlent que toute vie mérite d’être vécue mais aussi que toute vie s’inscrit dans un large réseau de liens, dans une communauté qui tout en affirmant la singularité de chaque personne rattache tous les hommes à la Cité.
Au-delà de la question de places disponibles et de structures adaptée, la situation d’Amélie nous rappelle qu’avant toute autre considérations nous avons à assumer des devoirs envers les plus vulnérables et que la beauté du monde luit parfois dans des regards absents et des silences de vie.

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Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations http://plusdignelavie.com/?p=2592 http://plusdignelavie.com/?p=2592#comments Mon, 28 Oct 2013 01:51:19 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2592 Pierre-Yves Madignier Président du Mouvement ATD Quart Monde en France

Des personnes qui ont ou ont eu l’expérience de la grande pauvreté et militent pour détruire la misère (on les appelle dans notre mouvement des « militants Quart Monde ») ont mis en évidence une réalité très présente, mais jusqu’à présent largement occultée : . . . → Read More: Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations]]> Pierre-Yves Madignier Président du Mouvement ATD Quart Monde en France

Des personnes qui ont ou ont eu l’expérience de la grande pauvreté et militent pour détruire la misère (on les appelle dans notre mouvement des « militants Quart Monde ») ont mis en évidence une réalité très présente, mais jusqu’à présent largement occultée : lorsque, pour une raison ou pour une autre, l’on est repéré comme pauvre, on subit des comportements particuliers qui humilient.

À partir de là, toute une réflexion s’est engagée au sein d’ATD Quart Monde, réflexion dont ces militants ont été le moteur. C’est ainsi qu’un certain nombre de faits réunis dans un dossier remis à la HALDE1 en septembre 2010 ont pu être qualifiés de discriminations. C’est également ainsi que nous avons été conduits, l’été dernier, à réaliser les travaux de testings présentés dans ce livre blanc.

Aujourd’hui, cette réalité sociale de la discrimination pour pauvreté n’est pas ou pas encore reconnue. Nous considérons que ce silence de la société sur une telle réalité d’humiliation est en soi une violence faite à celles et ceux qui ont une vie précaire et que, comme toutes les réalités douloureuses mais refoulées, elle produit des ravages, en l’occurrence dans notre cohésion sociale et notre vivre ensemble.

La HALDE nous ayant dit qu’elle manquait d’outils juridiques afin de pouvoir reconnaître cette discrimination, nous avons repris le travail avec des juristes, des associations et des confédérations syndicales de salariés. La contribution de ces dernières revêt une importance particulière, car elles représentent des couches beaucoup plus larges que nos concitoyens qui vivent dans la grande pauvreté.

Ce travail commun a renforcé notre conviction qui soutient ce livre blanc de demander la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale. Il s’agit pour la République d’envoyer un signe clair à toutes les personnes qui vivent des humiliations en raison de leurs difficultés sociales : elles ne sont ni oubliées, ni invisibles.

La reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale n’est pas une tentative de judiciariser la société française. Les personnes concernées ne sont pas des acharnées des tribunaux. Ce n’est pas non plus un moyen de réguler le débat public et le débat des idées. Pour cela, il existe d’autres moyens, comme le livre récemment sorti pour dénoncer des stéréotypes et des représentations erronées.

 

Livre blanc discrimination et pauvreté

Ce n’est pas non plus un couteau suisse à cinq lames censé régler tous les problèmes. L’accessibilité et la mise en œuvre des droits pour tous, l’information du grand public, la formation et la co-formation des acteurs avec des personnes qui connaissent la grande pauvreté, le soutien au pouvoir d’agir dans les quartiers, sont également des axes incontournables afin de détruire la misère.

La finalité la plus haute de la reconnaissance de la discrimination pour précarité sociale est, dans le droit fil de la loi de 1998 contre les exclusions, de donner à chacun des repères civiques, de jouer son rôle dans l’éducation de tous à la vie en commun, de permettre à un enfant qui se fait traiter de « cas soc’ » dans une cour de récréation de savoir que de tels propos sont réprouvés.

Cette reconnaissance est une manière forte d’adresser un message de vraie considération et fraternité à toutes celles et tous ceux, nombreux dans notre pays, qui se sentent mis de côté en raison de précarités sociales.

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