Plus digne la vie » handicap http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

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L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=2997 http://plusdignelavie.com/?p=2997#comments Sun, 05 May 2019 18:46:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2997 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2969 http://plusdignelavie.com/?p=2969#comments Sun, 03 Sep 2017 11:10:18 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2969 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles et de numérisation des échanges, relèvent d’un anonymat et d’un cynisme peu favorables à la préoccupation morale. Le sentiment de relégation sociale, d’exclusion et de mépris qu’éprouvent parmi nous les personnes en situation de précarité économique, de vulnérabilité face à la maladie ou le handicap, d’exil pour cause « d’inutilité sociale » ou du fait de leur révocation parce que « hors d’âge », est révélateur, lui aussi, d’une indifférence, voire d’une imposture peu compatible avec des principes moraux. Ces violences à la personne et au contrat social, appellent davantage l’expression d’une sollicitude, d’une attention et d’une vigilance favorisant un plus juste respect des valeurs de fraternité et de justice que prône notre République, que des admonestations dont on ne peut que déplorer l’inanité. Se consacrer à refonder les principes de la vie publique du point de vue de la moralité, n’est pas un exercice qui peut s’envisager dans le cénacle d’experts. Sauf si l’on estime sans importance d’y associer la société dans son ensemble, de prendre en compte ses richesses dans la diversité de réflexions et d’engagements qui permettent de maintenir une cohésion alors que menace un délitement social qui pourrait aboutir à une implosion.

Sommes nous prêts, dans le cadre d’une concertation nationale à repenser ensemble les valeurs de la République ou alors estime-t-on que l’urgence justifie d’édicter les nouvelles règles de la morale en politique sans affronter la complexité et les enjeux de fond ? Prendre la mesure de ce que signifie l’exigence de moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à proposer une régulation procédurière ayant pour vertu de restaurer un sens des responsabilités qui ferait défaut. Cela d’autant plus que l’analyse s’avère à cet égard pour le moins sommaire, car les serviteurs de l’État ne déméritent pas comme on le donnerait à croire à travers la dénonciation du comportement scandaleux de certains d’entre eux. Porter le discrédit de manière indifférenciée sur les acteurs de la vie publique c’est renoncer à considérer dans quelles conditions s’exercent notamment les missions d’enseignement, de justice, de sécurité, de défense et de soin. C’est ne pas saisir l’appel récurrent à une reconnaissance, à une dignité publique qui elle aussi procède d’une considération morale. C’est peut-être ne pas comprendre où se situe l’urgence morale.

Il s’agit de débattre du bien commun, du vivre ensemble, de ce qui détermine notre devenir en termes de choix de société, et dès lors de ne pas renoncer à intégrer à la démarche une analyse des fragilités sociales, des ruptures et des mutations qui bouleversent nos systèmes de référence. Notre ambition doit être également de reconnaître l’intelligence d’engagements et de solidarités qui défendent au quotidien les plus hautes valeurs de notre démocratie, d’intégrer leur expertise. Le courage est une vertu morale, un certaine audace également.

Les lois du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique constituent une approche déjà détaillée des règles qui s’imposent dans l’exercice de responsabilités publiques assumées « avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Les instances dévolues à la déontologie et à l’éthique se sont démultipliées ces dernières années afin d’apporter les encadrements et les contrôles indispensables. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’Agence française anticorruption, au même titre que tant d’autres autorités administratives indépendantes, assurent des missions visant notamment à la prévention des manquements et au renforcement de la probité dans les pratiques. Dans ce domaine, le législateur n’a pas failli à sa mission. La rectitude et le principe de précaution s’imposent même parfois avec une rigueur qui génère une suspicion systématique, une défiance et un discrédit dont on peut constater les effets par exemple dans le champ de la santé publique. Les règles sont certes nécessaires, encore importe-t-il d’en saisir le sens et l’intention, de se les approprier et de les appliquer avec conscience, discernement et prudence. La pédagogie, y compris dans le cursus de formation de nos décideurs, ne constitue-t-elle pas un enjeu tout aussi considérable que le contrôle systématisé ?

Moraliser la vie publique en estimant que prescrire des normes contraignantes de bonne conduite à ceux qui nous gouvernent ou exercent des responsabilités restaurera la confiance et renforcera la cohésion sociale, relève d’une appréciation hâtive. Affirmer – ce qui est différent – qu’une morale publique comprise en ce qu’elle exprime d’une conception de nos valeurs démocratiques puisse être refondée du point de vue de ses enjeux concrets et de ses finalités pratiques en y apportant l’intelligence et le pluralisme d’une consultation nationale, s’avère d’une toute autre pertinence. De surcroit, les conditions actuelles de recomposition politique et cette envie de renouveler les modes de gouvernance en y associant le dynamisme de compétences et de talents trop souvent négligés, ne peuvent qu’inciter à une ambition plus exigeante qu’un acte législatif précipité, aussi symbolique ou « politique » soit-il.

Le président de la République porte un message que nous avons compris dans son exigence de sollicitude, cette attention qu’il porte à l’autre et à sa place reconnue dans notre démocratie. Refonder notre morale publique ne saurait pas seulement consister à moraliser des pratiques qui doivent être exemplaires et intègres. Il s’agit de créer les conditions d’une mobilisation politique riche de la diversité des compétences et des engagements qui témoignent d’un même souci des valeurs de notre démocratie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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Fin de vie, une sédation politique http://plusdignelavie.com/?p=2925 http://plusdignelavie.com/?p=2925#comments Tue, 02 Feb 2016 09:55:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2925 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 . . . → Read More: Fin de vie, une sédation politique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 octobre. À en juger par la consternante réunion de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 30 septembre, les deux rapporteurs s’étant figés dans une position de refus du moindre amendement, soit le consensus résistera aux coups de butoirs des propagandistes de cette démarche désormais imposée, soit l’hostilité à tant de désinvolture et de rigidité ramènera chacun à ses positions contradictoires d’hier. Ce rejet systématique d’améliorations nécessaires d’un texte de loi dont on sait l’importance des nuances dans sa rédaction, révèle que la concertation nationale voulue par François Hollande le 17 juillet 2012 s’achève aujourd’hui dans une précipitation et une négligence qui déçoivent, une forme d’échec inattendu. Les deux rapporteurs, recourant à des arguments trop souvent discutables, ont confisqué toute possibilité d’évolutions d’un texte en certains points approximatif, voire peu convaincant ou alors suscitant des interprétations équivoques. Ils disent s’en remettre demain à la commission mixte paritaire qui sera amenée à conclure les péripéties hasardeuses d’une nouvelle approche de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. À l’heure actuelle rares sont les personnes qui estiment les avancées qu’elle prétend promouvoir à hauteur d’enjeux dilapidés dans des joutes parlementaires et des affirmations péremptoires indignes de réalités humaines qui méritent mieux. Cette suffisance parfois insultante des réponses concédées aux détracteurs des quelques points justifiant une prudence dans la formulation de la loi, ne fait désormais qu’attiser les revendications d’une loi cohérente enfin favorable à l’euthanasie. Le voile semble désormais levé, ce qui peut être le seul avantage à tirer d’une telle palinodie : l’assistance médicalisée en fin de vie devra se comprendre, tout en préservant encore quelques apparences, comme la reconnaissance d’une sédation profonde, continue et terminale, à la demande de la personne en fin de vie ou non, sur simple rédaction de ses directives anticipées opposables et applicables sans autre forme par le médecin dans l’incapacité faire valoir sa clause de conscience. L’alimentation et l’hydratation des personnes assimilées à un traitement artificiel assimilable à une obstination déraisonnable, pourront être interrompues sur décision médicale y compris pour une personne atteinte d’un handicap profond dont on ignore, faute de pouvoir communiquer, si comme le prétendent certains parlementaires, elle aurait ainsi considéré inacceptable « de prolonger inutilement sa vie ».
Rappelons, sans être certain que cela importe encore, l’esprit et la forme des quelques amendements présentés tant par les membres des commission des affaires sociale et des lois du Sénat, que des députés mercredi dernier : tous rejetés sur la base d’arguments peu satisfaisants par les deux rapporteurs de la proposition de loi.
À l’intitulé « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » était préféré celui plus précis de « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». La légitimation du suicide assisté, voire de l’euthanasie ne devait pas apparaître induite par une formulation volontairement ambiguë.
La sédation « profonde et continue » est avancée comme une évolution majeure en terme de droit de la personne malade ou en fin de vie. Là également, le texte tel qu’il est soumis en deuxième lecture aujourd’hui, sans modification de la moindre virgule depuis son approbation à l’Assemblée nationale le 17 mars 2015, justifiait des précisions parfaitement explicitées par les membres de la commission des lois du Sénat.
« La commission des lois a marqué son attachement aux deux principes cardinaux de la législation française actuelle sur la fin de vie : d’une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d’autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité. Pour cette raison, estimant que le recours à la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état d’inconscience totale jusqu’à son décès, se justifiait uniquement par le souci de soulager les souffrances d’une personne en fin de vie, elle a marqué son accord avec le choix de la commission des affaires sociales de restreindre ce recours aux cas de patients en fin de vie dont les souffrances sont réfractaires à tout autre traitement de soins palliatifs. »
Sur ce point des plus controversé, les sénateurs développent une argumentation qui n’aura pas su ébranler les convictions définitives de nos deux rapporteurs.
« Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l’intention qui la porte, la sédation (profonde) est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu’elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant. (…) La sédation profonde et continue ne pourrait être mise en œuvre, à la demande du patient, que si son pronostic vital est engagé à court terme en raison de l’arrêt d’un traitement ou de l’évolution de sa maladie. (…) Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la frontière entre une mort causée par la maladie et une mort liée à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or cette distinction permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique. »
Les sénateurs, au même titre que les députés ayant présenté des positions estimées insignifiantes le 30 septembre, n’avaient pas limité l’examen du texte à la mise en cause des points a priori les plus litigieux. Ils estimaient également nécessaire de supprimer l’alinéa de l’article L. 1110-5-1. « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » qui relève du discernement médical et non d’une décision de législateur.

Vers une loi en faveur de l’euthanasie

Ainsi que certains responsables politiques l’affirment ces dernières semaines, afin de calmer l’impatience des déçus d’une démarche qui ne tiendrait pas ses promesses, cette proposition de loi n’a qu’une fonction transitoire, pédagogique, dans la perspective d’une législation déjà évoquée qui légalisera l’euthanasie. Cette vocation de certains aux stratégies politiciennes renforce donc le défi actuel à l’égard de pratiques d’autant plus pernicieuses qu’elles concernent nos valeurs de société, notre sphère privée.
Il y avait besoin d’une clarification en des domaines complexes pour lesquels certains se sont arrogés une autorité et une expertise désormais indiscutable. Leur discours tourne en quelque sorte à vide, répétitif et refermé sur un système de pensée indifférent à ce qui susciterait le moindre doute. On ne saurait se satisfaire plus longtemps d’un unanimisme inconsistant ou d’une compassion négligente. Poursuivre ces disputations dont on ne sait au juste ce qu’elles tentent d’expliciter ou de justifier, ces atermoiements qui nous enlisent et obscurcissent le réel est devenu indécent. À chacun maintenant d’assumer ses responsabilités. Plutôt que de pervertir par des propos inconvenants et en nous assénant des convictions indiscutables, j’inciterai les responsables politiques à ne pas différer plus longtemps leur préférence pour une loi créant de nouveaux droits en faveur des malades, des personnes en fin de vie, du suicide assisté et de l’euthanasie ! Ainsi, les règles du « vivre ensemble » se comprendront demain jusque dans l’obligation d’assurer comme un droit l’administration d’une sollicitude active dans la mort, là où trop souvent nous désertons face aux vulnérabilités dans la vie. Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». La moindre enfreinte au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive. De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société « apaisée » est prête aux avancées préconisées. C’est du moins ce qu’estiment à cette heure les deux rapporteurs de la proposition de loi sans susciter la moindre réaction significative, comme si la sédation avait déjà ses premiers effets.

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Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute http://plusdignelavie.com/?p=2921 http://plusdignelavie.com/?p=2921#comments Wed, 14 Oct 2015 10:22:16 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2921 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 . . . → Read More: Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 personnes éprouvées par un même handicap, pour que l’on puisse s’en satisfaire. Depuis des mois et à travers un enchaînement de péripéties et de rebondissements déplorables, nous sommes témoins d’une invraisemblable déroute dont il nous faudra tirer toutes les conséquences. Car elles sont désastreuses à la fois pour ceux qui sont les plus directement concernés (personnes handicapées, proches, professionnels à leurs côtés), mais également dans ce qu’elles semblent révéler de dysfonctionnements qui n’ont pu être caractérisés et en quelque sorte contrés qu’en recourant à des procédures judiciaires poussées jusqu’à l’extrême. Certains s’interrogent désormais sur la légitimité et pertinence des procédures collégiales ayant été mises en œuvre pour engager une limitation ou un arrêt de vie d’un être cher. De même que des parents expriment auprès des équipes médicales, dans des services de médecine physique et de réadaptation (accueillant dans leur projet de vie des personnes aussi dépendantes que l’est M. Vincent Lambert), leur inquiétude au regard de possibles décisions arbitraires d’arrêt des soins dans les conditions discutées à propos du CHU de Reims. Le principe fondamental de la relation de confiance indispensable à l’approche de circonstances dramatiques et redoutables pour lesquelles une concertation intègre s’impose entre les membres d’une famille et une équipe médicale afin d’envisager l’issue estimée préférable, parfois « la moins mauvaise », est entamé, entaché de soupçons. C’est une injure faite aux professionnels, notamment de la réanimation, qui ont su initier des procédures de limitation et d’arrêt des traitements (en 2002, puis revues en 2009) solidement étayées et relevant de considérations à la fois éthiques et scientifiques rigoureuses.
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie engagée le 17 juillet 2012 semblait aboutir avec la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, il est désormais évident que l’impact des circonstances présentes qui ont fait irruption sur la scène publique le 4 mai 2013 (première tentative d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert entreprise le 10 avril et interrompue sur décision de justice) ne pourra être négligé ainsi que les sénateurs l’ont démontré le 23 juin. Le droit fondamental de personnes handicapées comme M. Vincent Lambert, n’est-il pas déjà de bénéficier des soins et de l’accompagnement social les plus adaptés, sans être considérés, selon des évaluations fragiles, « en fin de vie » ? Les conditions de suivi médical de M. Vincent Lambert incarcéré depuis des années dans sa chambre, dans un contexte dont on peut aujourd’hui se demander s’il relève effectivement des droits reconnus et détaillés dans la circulaire du 3 mais 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel, n’affectent-elles pas de manière difficilement réversible sa qualité de vie ? Plutôt que d’évoquer des menaces pesant sur l’équipe médicale, nous aurions pu attendre du communiqué diffusé le 23 juillet par la Direction du CHU de Reims une attention à cet égard. Ce cumul de manquement à une expression de la compassion altère pour beaucoup la respectabilité des positions qui se sont radicalisées ces derniers mois, au point de contester la neutralité même d’une équipe médicale en fait dans l’incapacité d’arbitrer dans l’impartialité une prise de décision collégiale. Que l’on ne nous affirme donc pas que les pressions idéologiques, voire terroristes (on ne peut qu’être stupéfait, dans le contexte international présent, du recours à cette terminologie par un des proches de M. Vincent Lambert à l’annonce du renoncement à mettre en œuvre la procédure létale) ont entravé le processus décisionnel. Il est davantage probable qu’à un moment donné, et de manière tardive, les pouvoirs publics ont estimé qu’il convenait de mettre un terme à une situation à ce point désastreuse qu’on ne parvenait plus à en maîtriser les dédales et les effets pernicieux. À de multiples reprises j’ai évoqué la dimension politique de ces circonstances. Son dénouement prudentiel, transitoire, au cœur de l’été en atteste, et désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées.

Un légalisme poussé à ses limites

Je reviens brièvement sur l’analyse du renoncement de l’équipe médicale du CHU de Reims à persévérer dans sa position, selon toute vraisemblance à la suite de la procédure collégiale qui a fait apparaître la fragilité des convictions et l’impossibilité de justifier une procédure de fin de vie. Le 7 juillet 2015, le médecin assurant le suivi de M. Vincent Lambert annonçait la réunion d’un Conseil de famille, le 15 juillet, afin « d’engager une nouvelle procédure en vue d’une décision d’arrêt de traitement ». La convocation adressée aux membres de la famille ne présentait en effet aucune autre perspective que celle de convenir, de manière autant que faire consensuelle, des conditions de mise en œuvre du processus aboutissant à la mort de M. Vincent Lambert. Ni dans la méthode ni surtout dans la forme retenue pour entreprendre la concertation, n’apparaissait la moindre considération autre que le strict respect d’une procédure administrative consécutive aux arrêts du Conseil d’État et plus récemment, le 5 juin, de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce légalisme poussé à ses limites semblait révoquer toute approche circonstanciée, toute mesure, pour ne pas dire toute décence, alors que le Conseil d’État avait, pour ce qui le concerne, témoigné de valeurs d’humanité et d’une infinie retenue dans son arrêt du 24 juin 2014. Depuis deux ans, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en « état d’éveil sans conscience » nous confrontent. Leur vulnérabilité même en appelle de notre part à l’expression d’obligations morales qui ne peuvent se satisfaire de procédures et de protocoles ainsi départis de la moindre sollicitude. Comme s’il s’agissait d’une « gestion de cas », là où doit prévaloir l’esprit de discernement, la pondération, la justesse et tout autant la considération à l’égard d’une personne vulnérable ainsi que de ses proches.
Il importait de tenir compte du caractère emblématique de la situation de M. Vincent Lambert ainsi que des conséquences de la décision qui ferait de manière certaine jurisprudence (en dépit des réserves émises à cet égard par le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme) : sa portée éminemment politique justifiait une argumentation incontestable et une discrétion inconciliable avec des postures partisanes revendiquées publiquement. Dès le 5 juin 2015, j’ai ainsi considéré nécessaire que le processus décisionnel relatif au devenir de M. Vincent Lambert puisse bénéficier de l’étayage des instances nationales compétentes dans le champ de l’éthique dont l’expertise avait été sollicitée par le Conseil d’État en 2014. Si la prise de décision collégiale relève de la seule autorité d’un médecin, il nous fallait être assurés que dans un contexte inédit et des plus complexe elle bénéficierait des arguments les plus fondés. Aucune de ces instances n’a estimé de l’ordre de ses responsabilités la moindre approche à cet égard (estimant que les rapports qu’elles avaient produits sur demande du Conseil d’État n’en appelaient pas à d’autres formes d’implications), si ce n’est le Conseil national de l’ordre des médecins en soutenant publiquement l’équipe médicale du CHU de Reims… L’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre établissement qui permette à l’ensemble des membres de la famille d’avoir la conviction que l’arbitrage se ferait sans le moindre soupçon, semblait une option sage, voire évidente. Il convenait de rétablir un rapport de pleine confiance, susceptible, peut-être, d’atténuer les clivages au nom d’un intérêt estimé supérieur : celui de M. Vincent Lambert. Il s’avérait indispensable que ce temps du dénouement, à la suite de l’arrêt de la CEDH, puisse relever de ces conditions de dignité et de sérénité si souvent invoquées pour accompagner au mieux des circonstances humaines de haute vulnérabilité. Il s’agissait selon moi d’un droit que l’on devait reconnaître à M. Vincent Lambert, à ses proches et ceux qui à ses côtés expriment au nom de la société la sollicitude d’un soin et d’une indéfectible solidarité. À cet égard je tiens à redire toute ma considération à l’équipe des soignants de M. Vincent Lambert, dont les compétences et le dévouement sont reconnus. Mais au-delà des communiqués officiels, s’est-on préoccupé de ce qu’éprouvaient à titre personnels ces professionnels confrontés aux soubresauts de décisions contradictoires, d’interprétations et de commentaires inconciliables avec les valeurs du soin ; eux qui auraient pu demain contribuer à la procédure de fin de fin de M. Vincent Lambert qu’elles accompagnent dans sa vie depuis des années ?

Décrypter sans concessions ce qui s’est passé

Mes deux suggestions qui n’ont fait l’objet d’aucune suite, intervenaient probablement à mauvais escient, ou alors elles contrariaient des positionnements et des stratégies rétifs à toute forme d’atermoiement. Comme s’il y avait urgence à conclure, et que les recours juridiques ayant été épuisés rien ne devait plus faire obstacle à la seule décision qui s’imposait. Certaines considérations ont néanmoins entravé – à la stupéfaction de nombreux observateurs ce qui en soi interroge – un processus qui devait bénéficier de la torpeur estivale et permettre, à la rentrée, de reprendre le cours des choses, de conclure la discussion parlementaire de la loi relative à la fin de vie comme si rien ne s’était passé. L’assistance médicalisée en fin de vie, au cœur d’une législation qui vise à reconnaître de « nouveaux droits » à la personne malade au terme de son existence, n’est certainement pas le recours adapté aux personnes qui, comme M. Vincent Lambert, n’ont pas anticipé une situation et une décision en soi inconcevable. Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permet de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence.
Désormais il nous faudra décrypter sans concessions ce qui s’est passé au CHU de Reims pour aboutir à cette situation chaotique. Il ne s’agit pas de mettre en cause des personnes dignes de notre respect, mais de comprendre un cumul de dysfonctionnements dont on peut craindre qu’ils interviennent également dans d’autres espaces du soin : ils ne suscitent pas, pour ce qui les concerne, la réactivité d’une famille que je refuse de caricaturer dans les positions, elles aussi respectables, qu’elle défend. De même je réprouve la mise en cause a priori de toute position qui serait réfractaire aux courants de pensées dominants qui s’érigent en censeurs et s’estiment détenteurs d’une vérité, voire d’une compétence, qui légitimerait leurs positions plus idéologiques qu’on ne le pense. En démocratie chacun doit être reconnu dans un point de vue argumenté, soucieux du bien commun. Je rends hommage à la qualité de l’arbitrage du Conseil d’État qui a permis, dans le cadre d’une instruction remarquable, de comprendre la complexité de circonstances humaines si délicates et complexes qu’elles imposent des approches attentionnés, rigoureuses et d’une extrême prudence. Je souhaite adresser, comme je l’ai déjà fait, un message de compassion à la famille de M. Vincent Lambert dont je comprends le cheminement qu’il lui revient d’assumer aujourd’hui afin de ne tenir compte que de ce que serait le bien-être et le choix profond de cette personne trop souvent négligée dans nos débats. Enfin, je tiens à rendre hommage à celles et ceux qui, confrontés au handicap, à la maladie, aux détresses humaines et sociales consécutives aux situations de vulnérabilité et de dépendance demeurent attachés aux valeurs de notre démocratie, y compris lorsqu’elles peuvent leur apparaître défaillantes au regard de leurs véritables urgences. J’estime que nos obligations de démocrates justifient que notre société se mobilise à leurs côté, les soutiennent dans la dignité de leur existence et ne s’en remette pas à des procédures médico-légales voire administratives pour les accompagner jusqu’au terme de leur existence.

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Fin de vie, une sédation politique http://plusdignelavie.com/?p=2916 http://plusdignelavie.com/?p=2916#comments Tue, 06 Oct 2015 21:42:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2916 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 . . . → Read More: Fin de vie, une sédation politique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 octobre. À en juger par la consternante réunion de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 30 septembre, les deux rapporteurs s’étant figés dans une position de refus du moindre amendement, soit le consensus résistera aux coups de butoirs des propagandistes de cette démarche désormais imposée, soit l’hostilité à tant de désinvolture et de rigidité ramènera chacun à ses positions contradictoires d’hier. Ce rejet systématique d’améliorations nécessaires d’un texte de loi dont on sait l’importance des nuances dans sa rédaction, révèle que la concertation nationale voulue par François Hollande le 17 juillet 2012 s’achève aujourd’hui dans une précipitation et une négligence qui déçoivent, une forme d’échec inattendu. Les deux rapporteurs, recourant à des arguments trop souvent discutables, ont confisqué toute possibilité d’évolutions d’un texte en certains points approximatif, voire peu convaincant ou alors suscitant des interprétations équivoques. Ils disent s’en remettre demain à la commission mixte paritaire qui sera amenée à conclure les péripéties hasardeuses d’une nouvelle approche de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. À l’heure actuelle rares sont les personnes qui estiment les avancées qu’elle prétend promouvoir à hauteur d’enjeux dilapidés dans des joutes parlementaires et des affirmations péremptoires indignes de réalités humaines qui méritent mieux. Cette suffisance parfois insultante des réponses concédées aux détracteurs des quelques points justifiant une prudence dans la formulation de la loi, ne fait désormais qu’attiser les revendications d’une loi cohérente enfin favorable à l’euthanasie. Le voile semble désormais levé, ce qui peut être le seul avantage à tirer d’une telle palinodie : l’assistance médicalisée en fin de vie devra se comprendre, tout en préservant encore quelques apparences, comme la reconnaissance d’une sédation profonde, continue et terminale, à la demande de la personne en fin de vie ou non, sur simple rédaction de ses directives anticipées opposables et applicables sans autre forme par le médecin dans l’incapacité faire valoir sa clause de conscience. L’alimentation et l’hydratation des personnes assimilées à un traitement artificiel assimilable à une obstination déraisonnable, pourront être interrompues sur décision médicale y compris pour une personne atteinte d’un handicap profond dont on ignore, faute de pouvoir communiquer, si comme le prétendent certains parlementaires, elle aurait ainsi considéré inacceptable « de prolonger inutilement sa vie ».
Rappelons, sans être certain que cela importe encore, l’esprit et la forme des quelques amendements présentés tant par les membres des commission des affaires sociale et des lois du Sénat, que des députés mercredi dernier : tous rejetés sur la base d’arguments peu satisfaisants par les deux rapporteurs de la proposition de loi.
À l’intitulé « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » était préféré celui plus précis de « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». La légitimation du suicide assisté, voire de l’euthanasie ne devait pas apparaître induite par une formulation volontairement ambiguë.
La sédation « profonde et continue » est avancée comme une évolution majeure en terme de droit de la personne malade ou en fin de vie. Là également, le texte tel qu’il est soumis en deuxième lecture aujourd’hui, sans modification de la moindre virgule depuis son approbation à l’Assemblée nationale le 17 mars 2015, justifiait des précisions parfaitement explicitées par les membres de la commission des lois du Sénat.
« La commission des lois a marqué son attachement aux deux principes cardinaux de la législation française actuelle sur la fin de vie : d’une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d’autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité. Pour cette raison, estimant que le recours à la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état d’inconscience totale jusqu’à son décès, se justifiait uniquement par le souci de soulager les souffrances d’une personne en fin de vie, elle a marqué son accord avec le choix de la commission des affaires sociales de restreindre ce recours aux cas de patients en fin de vie dont les souffrances sont réfractaires à tout autre traitement de soins palliatifs. »
Sur ce point des plus controversé, les sénateurs développent une argumentation qui n’aura pas su ébranler les convictions définitives de nos deux rapporteurs.
« Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l’intention qui la porte, la sédation (profonde) est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu’elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant. (…) La sédation profonde et continue ne pourrait être mise en œuvre, à la demande du patient, que si son pronostic vital est engagé à court terme en raison de l’arrêt d’un traitement ou de l’évolution de sa maladie. (…) Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la frontière entre une mort causée par la maladie et une mort liée à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or cette distinction permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique. »
Les sénateurs, au même titre que les députés ayant présenté des positions estimées insignifiantes le 30 septembre, n’avaient pas limité l’examen du texte à la mise en cause des points a priori les plus litigieux. Ils estimaient également nécessaire de supprimer l’alinéa de l’article L. 1110-5-1. « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » qui relève du discernement médical et non d’une décision de législateur.

Vers une loi en faveur de l’euthanasie

Ainsi que certains responsables politiques l’affirment ces dernières semaines, afin de calmer l’impatience des déçus d’une démarche qui ne tiendrait pas ses promesses, cette proposition de loi n’a qu’une fonction transitoire, pédagogique, dans la perspective d’une législation déjà évoquée qui légalisera l’euthanasie. Cette vocation de certains aux stratégies politiciennes renforce donc le défi actuel à l’égard de pratiques d’autant plus pernicieuses qu’elles concernent nos valeurs de société, notre sphère privée.
Il y avait besoin d’une clarification en des domaines complexes pour lesquels certains se sont arrogés une autorité et une expertise désormais indiscutable. Leur discours tourne en quelque sorte à vide, répétitif et refermé sur un système de pensée indifférent à ce qui susciterait le moindre doute. On ne saurait se satisfaire plus longtemps d’un unanimisme inconsistant ou d’une compassion négligente. Poursuivre ces disputations dont on ne sait au juste ce qu’elles tentent d’expliciter ou de justifier, ces atermoiements qui nous enlisent et obscurcissent le réel est devenu indécent. À chacun maintenant d’assumer ses responsabilités. Plutôt que de pervertir par des propos inconvenants et en nous assénant des convictions indiscutables, j’inciterai les responsables politiques à ne pas différer plus longtemps leur préférence pour une loi créant de nouveaux droits en faveur des malades, des personnes en fin de vie, du suicide assisté et de l’euthanasie ! Ainsi, les règles du « vivre ensemble » se comprendront demain jusque dans l’obligation d’assurer comme un droit l’administration d’une sollicitude active dans la mort, là où trop souvent nous désertons face aux vulnérabilités dans la vie. Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». La moindre enfreinte au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive. De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société « apaisée » est prête aux avancées préconisées. C’est du moins ce qu’estiment à cette heure les deux rapporteurs de la proposition de loi sans susciter la moindre réaction significative, comme si la sédation avait déjà ses premiers effets.

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Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin » http://plusdignelavie.com/?p=2910 http://plusdignelavie.com/?p=2910#comments Tue, 28 Jul 2015 09:05:20 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2910 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà . . . → Read More: Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà des péripéties judiciaires et des controverses suscitées par l’état de handicap de M. Vincent Lambert, d’autres valeurs devaient être mobilisées que celles bien discutables car peu constructives de la compassion collective. Il nous faut renforcer notre vigilance lorsque les arbitrages et les équivoques menacent ce qui nous paraît essentiel. Notre engagement d’aujourd’hui concerne les droits fondamentaux de personnes plus vulnérabilisées aujourd’hui que jamais du fait de la décision de la CEDH : dépendantes d’un handicap lourd, elles risquent d’être exposées à des renoncement auxquels notre société consentira désormais sans état d’âme. Voire par esprit de justice, par charité témoignée à des personnes dont la mort semblerait, dans certaines circonstances, préférable à ce qu’aurait pu être, de notre part, la manifestation d’une sollicitude concrète à leur égard dans leur parcours de vie : aussi énigmatique et difficile soit-il. Une même attention doit être consacrée aux proches, à ces familles qui vivent au quotidien une implication sans faille : résolues dans leur présence qui signifie l’amour, la fidélité et un refus de l’abandon, elles restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité. C’est désormais ce que nous renonçons à admettre, indifférents à la violence de certaines décisions qui compromettent les conditions mêmes du vivre ensemble. Tel serait le premier enseignement que je tire des arrêts rendus par la CEDH ou le Conseil d’État le 24 juin 2014. Je ne les discute pas, respectueux de la chose jugée. Il me semble plutôt important de tenter de mieux comprendre ce qui les a justifiés, les évolutions ou les abandons qui les ont rendu possibles et tolérables, leurs conséquences s’agissant du droit des personnes en état de conscience minimale ou en état d’éveil sans réponse ; à quel type de responsabilités ils nous engagent désormais.
L’exigence éthique me semblait justifier une implication, en ce moment, des instances nationales qui ont mission de la promouvoir et de la partager dans le cadre d’une concertation nationale favorisant une nécessaire pédagogie et une appropriation par chacun des conditions d’exercice d’une responsabilité partagée. Parfois même, de défendre les principes, nos inconditionnels, dans les circonstances qui le justifient. Comme ont le courage de le faire ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel leur semble en péril. Je rends hommage à ces militants de la démocratie, à leurs engagements individuels ou dans le cadre d’organisations non gouvernementales : ils nous permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique. Ils inspirent certaines de mes résolutions certes plus modestes ; je pense à cet égard à Jonathan M. Mann qui a su penser et incarner les relations évidentes entre la santé et les droits de l’homme. Au cœur des années sida il a initié à l’OMS un modèle éthique de l’approche en santé publique, pour ne pas dire en santé politique. Il inspire au quotidien mon action et demeure présent dans ce que j’ai mis en œuvre dans le champ de l’éthique.

Des des choix qui vulnérabilisent nos valeurs

De fait, les positions exposées par nos instances d’éthique, sur saisine du Conseil d’État en 2014, n’ont pas prévalu dans les deux arbitrages relatifs à l’existence de M. Vincent Lambert. Ne seront retenues comme une jurisprudence, que les conclusions validant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation engagé au CHU de Reims le 10 avril 2013, avant d’être interrompu sur décision de justice un mois plus tard. Les nuances d’une approche circonstanciée, d’une argumentation rigoureuse et empreinte d’humanisme dans l’arrêt de la CEDH n’ont pas été en mesure ce 5 juin de pondérer l’impatience parfois indécente des partisans de l’abrégement hâtif de l’existence de M. Vincent Lambert. N’aurait-il pas été opportun que nos « sages » puissent estimer nécessaire de rappeler dans un document commun, les principes qu’ils ont su affirmés avec justesse dans leurs observations à l’intention du Conseil d’État ? Qui avait davantage légitimité qu’eux à intervenir avec mesure, pour redire la précaution qui s’impose aujourd’hui, et sauvegarder ainsi les intérêts supérieurs des personnes dont la survie, comme pour M. Vincent Lambert, tient désormais au fil d’une interprétation extensive de ces deux arrêts de justice ? Leur silence interroge ; il peut inquiéter certains, même si à titre personnel je leur maintiens toute ma confiance.
Dans le contexte actuel de fébrilité, j’ai l’imprudence de suggérer qu’on préserve au moins les formes au nom de la dignité, face à ceux qui clament « avoir gagné » avec une impudeur dont personne ne s’offusque. Faut-il se résoudre à admettre que ce ne serait pas aussi de l’éthique « institutionnelle » que l’on est en droit d’attendre actuellement, alors qu’il y a urgence, l’accompagnement indispensable ? D’autres initiatives s’imposeront demain pour explorer ce que la réflexion éthique peut apporter à l’analyse des circonstances présentes. Pour ce qui me concerne j’estime, avec d’autres, de l’ordre de nos obligations de contribuer à cet engagement.
Pour mémoire, quelques brèves références qui m’incitaient à penser que les instances nationales d’éthique ne devaient pas renoncer à témoigner de leurs réflexions tellement attendues aujourd’hui. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait présenté le 5 mai 2014, à la demande du Conseil d’État, ses observations à propos de M. Vincent Lambert. Avec une intelligence, une prudence et une minutie qui honorent cette instance, les membres du CCNE ont développé dans un document de 38 pages un raisonnement d’une qualité impressionnante. La retenue, la prudence s’imposent, affirment-ils, au regard de ces situations de vulnérabilité : elles en appellent, sans la moindre concession possible, à nos devoirs d’humanité. Une affirmation tirée de cette réflexion éclaire et interroge particulièrement dans le contexte présent : « Le CCNE considère que la distinction entre traitements et soins mérite à tout le moins d’être interrogée quand il s’agit de nutrition et d’hydratation artificielles, en particulier pour une personne hors d’état de s’exprimer et qui n’est pas en fin de vie. » Pour sa part, dans sa « réponse à la saisine du Conseil d’État » le 22 avril 2014, l’Académie nationale de médecine rappelait « qu’aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne, qu’il a mission de soigner, à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle. » Enfin, s’agissant des « observations du Conseil national des médecins », essentiellement déontologiques, la conclusion semble désormais trouver une certaine pertinence pratique, même s’il convient de se demander si au-delà des bonnes pratiques il ne faut pas être tout autant attentif au cadre dans lequel interviendrait cette sédation terminale : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins estime devoir ajouter, au nom du principe humaniste de bienfaisance, qui est un des piliers de l’éthique médicale, qu’une fois la décision prise d’interrompre les moyens artificiels qui maintenaient la seule vie somatique, une sédation profonde doit être simultanément mise en œuvre, permettant ainsi de prévenir toute souffrance résultant de cette décision. »
Ces réflexions relatives à une approche éthique des circonstances éprouvées par M. Vincent Lambert, ainsi que d’autres personnes en état dit d’éveil sans conscience, nous sont précieuses, au même titre du reste que les considérations humanistes si justement abordées par les juges du Conseil d’État et de la CEDH. J’observe à ce propos l’argumentation substantielle et courageuse, mais qui n’a pas pu prévaloir, des juges de la CEDH qui ont refusé d’adhérer aux conclusions de la Grande chambre. Il conviendra de les reprendre demain, de les approfondir ensemble afin de mieux préciser ce que sont nos obligations éthiques, nos engagements de démocrates là où la vulnérabilité humaine vulnérabilise jusqu’à nos principes d’humanité. Car, c’est évident, nous avons le sentiment d’une fragilité supplémentaire de notre société, d’une précarisation qui s’ajoute à tant d’autres, dès lors qu’elle hésite et vacille face à l’essentiel, à ce qui lui est constitutif. C’est le cas à propos de M. Vincent Lambert, lorsqu’elle renonce à considérer que ses responsabilités peuvent aussi se penser autrement qu’en consentant, comme elle le fait publiquement et dans les conditions incertaines que l’on sait, à la mort de l’autre estimée en fait comme la solution qui s’impose, comme « la bonne solution ». Sans du reste que personne n’ait pu véritablement, je veux dire indubitablement nous assurer qu’il s’agissait du choix profond de M. Vincent Lambert. Nous sommes inquiets aujourd’hui pour ces personnes vulnérables dans le handicap et la maladie dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Si même elles avaient rédigé des directives anticipées favorables au maintien de leur existence, y compris en des situations extrêmes, y donnerait-on droit désormais ? Je précise que ces observations spécifiques ne concernent en rien les circonstances de fins de vie dans des état de souffrances réfractaires à tout apaisement : je comprends qu’elles justifient une assistance médicalisée telle que la prescrit la loi du 22 avril 2002 relative aux droits des malades et à la fin de vie. J’en arrive même à admettre que la loi qui dans quelques mois proposera une nouvelle conception de l’assistance médicalisée en fin de vie, devrait parvenir jusqu’au bout de la logique qui l’inspire. Il me semblerait ainsi préférable et loyal que demain soit dépénalisée la pratique de l’euthanasie, plutôt que de l’instaurer de manière subreptice au risque de dérives et de contentieux qui accentuent les défiances et les vulnérabilités.

« Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »

Pour conclure j’estime pour ce qui me concerne justifié, comme citoyen, d’émettre quelques propositions concrètes qui pourraient ne pas être négligées a priori par ceux qui désormais ont pour responsabilité de décider des conditions de la fin de vie de M. Vincent Lambert. Après le temps de la décision judiciaire, j’ai sollicité les trois instances nationales évoquées précédemment afin qu’elles rendent possible un temps de l’éthique. Ce moment indispensable de pause et de réflexion partagé, autre qu’une médiation, pourrait permettre à chacun d’être en capacité d’assumer et d’accepter, dans le respect et avec une certaine sérénité, la décision d’accompagnement dans la mort de M. Vincent Lambert dès lors qu’elle paraitrait inévitable. Revient, me semble-t-il à nos instances d’éthique, la mission d’être présentes, en ces circonstances, auprès de M. Vincent Lambert, de ses proches et des professionnels à ses côtés, garantes ainsi des conditions d’un processus décisionnel profondément soucieux des valeurs et des positions de chacun.
Quelques questions demeurent posées auxquelles il conviendrait de trouver des réponses fondées. Les arrêts de la CEDH et du Conseil d’État révoquent-ils l’opportunité d’une nouvelle délibération collégiale ? Tout semblerait indiquer le contraire, y compris ces deux arrêts qui éclairent, après les expertises éthiques et scientifiques, des domaines qui nécessitaient des approfondissements. D’autre part, est-il respectueux à l’égard des professionnels intervenant auprès de M. Vincent Lambert depuis des années et déjà soumis aux injonctions contradictoires de décisions de justice, d’exiger de leur part qu’après deux années de « nursing d’attente » leur revienne de surcroit la mission d’accompagner le protocole de sédation profonde et continue ? J’estime qu’on leur doit à cet égard également une considération d’autant plus impérieuse qu’ils ont maintenu des mois durant une relation de soin avec une exigence de qualité, dans un contexte à la fois délicat et limitatif. Enfin et surtout, même si désormais sa vie ne tient plus qu’au fil des derniers arbitrages qui seront rendus, ne convient-il pas de permettre à M. Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier de l’hospitalité apaisée et confiante d’un établissement qui ne soit pas l’hôpital Sébastopol ? Là où, dans le contexte que l’on sait, se sont développées les circonstances qui nous consternent aujourd’hui, et alors que l’un des protagonistes de cette tragédie humaine affirmait sur France Info, de manière triomphale et sans la moindre retenue, qu’il considère comme une victoire de la « démocratie sanitaire » l’arrêt de la CEDH et donc la délivrance de M. Vincent Lambert…
Je veux dire, pour conclure, ma considération et ma sollicitude à celles et à ceux qui, directement ou indirectement, se sont trouvés ainsi impliqués dans un désastre dont on ne cerne que difficilement la portée. Qu’ils acceptent de comprendre que les positions que j’ai soutenues avec infiniment de respect à l’égard de M. Vincent Lambert et d’autres personnes confrontées à l’impensable et au si difficilement tolérable, sont celles que l’on se doit de tenir pour un proche en humanité. Si mes propos leurs sont apparus blessants, je leur prie de bien vouloir accepter mes excuses. J’ai le sentiment, contrairement à d’autres, que nous « avons perdu » avec cette conclusion du chapitre judiciaire, et qu’il y a urgence à analyser avec courage ce que signifie pour une société ce verdict de justice. Je suis convaincu que notre démocratie gagne à ce que l’on ne se satisfasse pas, dans un unanimisme complaisant et donc inquiétant, de résolutions qui pour le moins justifient qu’on en comprenne les justifications et les mobiles profonds. Que l’on en débatte ensemble afin de ne pas nous y enliser. Il nous faut désormais tirer les leçons du 5 juin, ne serait-ce que pour donner sens à ce temps d’attente et d’incertitudes qui, depuis 2013, a conditionné l’existence de M. Vincent Lambert aux péripéties de décisions judiciaires et d’un débat de société susceptibles d’affecter jusqu’à sa dignité même.
Avec d’autres personnes qui partagent ce point de vue nous avons décidé de prendre une initiative : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin ». Il nous faut avoir l’envie de renforcer nos solidarités, notre conception du bien commun, au moment où tant de signes en appellent au courage de l’engagement vrai.

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Vincent Lambert : oubli ou renoncement anticipé ? http://plusdignelavie.com/?p=2906 http://plusdignelavie.com/?p=2906#comments Mon, 08 Jun 2015 10:12:03 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2906 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 25 juin 2014 je publiais un article sur mon blog du Huffington Post : « Intéressons-nous aux soins prodigués à Vincent Lambert ! » Il est resté sans la moindre suite apparente, et aucun débat n’a eu lieu depuis à ce propos. Comme si cette . . . → Read More: Vincent Lambert : oubli ou renoncement anticipé ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le 25 juin 2014 je publiais un article sur mon blog du Huffington Post : « Intéressons-nous aux soins prodigués à Vincent Lambert ! » Il est resté sans la moindre suite apparente, et aucun débat n’a eu lieu depuis à ce propos. Comme si cette préoccupation n’était pas recevable, n’intéressait personne. Ou alors qu’il s’agissait d’une « affaire classée », d’une cause perdue » ne justifiant plus de mobiliser ne serait-ce que nos valeurs de sollicitude. L’irruption publique de cet événement personnel, intime, familial, fortement médiatisé et à tant d’égard embarrassant, aurait été ainsi reléguée au plus loin de considérations désormais hors champs, couvertes par un secret médical dont on sait quelle en a été la rigueur et la consistance au cœur de l’affaire, voire après… Nombre de témoignages dénoncent pourtant au fil des semaines une situation pour le moins incertaine et qui en appellerait à quelques clarifications.
Aujourd’hui, alors que la décision de la Cour européenne des droits de l’homme est attendue depuis des semaines, ses amis lancent un appel, refusant « l’instrumentalisation indécente de la situation de Vincent Lambert ». Une initiative qui intervient tardivement, certes, mais qui apparaît importante : elle porte une force de réflexion et d’engagement qui devrait trouver toute sa place lorsque la décision ultime interviendra pour M. Vincent Lambert. Ce nouvel épisode auquel j’attache un grand intérêt (ne serait-ce que par ce qu’il prend ses distances avec toute possible assimilation à une position idéologique) ne devrait pas être sans conséquences, ne serait-ce que pour qu’enfin puisse être suscitée et assumée de manière responsable la concertation publique relative aux droits véritables des personnes vivant une réalité proche de celle de M. Vincent Lambert et de ses proches.
L’Appel « Sauver Vincent, tout simplement » établit un constat accablant et il interroge chacun d’entre-nous au-delà même des décideurs et des intervenants impliqués dans l’accompagnement et le soin de M. Vincent Lambert : « Depuis 2002, des unités spécialisées existent. Certaines ont proposé en vain une place à Vincent pour lui prodiguer les soins adaptés à son état et des petits gestes simples : l’asseoir dans un fauteuil, des séance de kiné, le promener dans un parc, lui faire ressentir la fraicheur du soir qui tombe.
 Nous savons qu’il est insoutenable pour des parents de savoir que leur enfant va mourir, par privation d’eau et de nourriture, même si des médecins disent que c’est mieux comme ça. […] Avec Vincent, nous voulons soutenir les 1700 personnes en état de conscience altérée en France mais aussi toutes les personnes atteintes de handicap. En situation de grande vulnérabilité, Vincent est pour nous un intouchable.»
Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permettra de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence. À cet égard, d’une formule pour le moins regrettable, le Rapport de présentation de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (décembre 2014) établissait de manière péremptoire : « Ces personnes sont « hors d’état d’exprimer sa volonté » selon les termes de la loi de 2005 et sont nombreuses à n’avoir pas rédigé de directives anticipées. Or, il est permis de penser que ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer. » De quoi interroger et inquiéter ceux qui ne considèrent pas ces personnes au terme de leur vie, mais toujours dignes d’une sollicitude et d’un soin qui ne saurait être assimilés, sans autre approfondissement, à une « obstination déraisonnable ».
Ma position, en juin 2014, relevait d’un souci d’humanité – ici et maintenant – à l’égard de M. Vincent Lambert, suite à la décision rendue par le Conseil d’État le 24 juin 2014. Depuis, du moins de manière officielle, aucune instance, ne serait-ce qu’éthique, ne semble avoir considéré opportun de solliciter les compétences impliquées dans la chaîne décisionnelle médicale afin de savoir si, effectivement, M. Vincent Lambert dont l’existence tient aujourd’hui au fil de décisions juridiques et de procédures administrative, bénéficie de la qualité et de la continuité d’un suivi respectueux de ses droits. Les modalités pratiques du processus d’interruption de son alimentation et de son hydratation ont davantage ému en son temps que nos obligations actuelles à l’égard d’une personne vulnérable à l’extrême : M. Vincent Lambert justifierait la mobilisation de compétences appropriées à son état et de moyens qui apparemment ne constitueraient plus l’enjeu supérieur. Notre démocratie ne peut pas se permettre la défaite d’abdications et de renoncements là où ses valeurs essentielles sont engagées : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Car, on l’a compris, nos approches en responsabilités humaines et sociales de M. Vincent Lambert concernent, au-delà de circonstances personnelles, nos conceptions de la dignité, nos principes d’humanité.
L’Appel « Sauver Vincent, tout simplement » ne saurait donc nous laisser indifférents. M. Vincent Lambert ne constitue pas une péripétie ou un « affaire » suscitant à la fois des procédures judiciaires, des controverses, de vagues compassions ou une évolution législative dans le contexte désormais dépassé d’une concertation nationale sur la fin de vie qu’il aura fortement marquée. Ses amis restituent figure humaine, sensibilité, présence à une personne trop oubliée dans une chambre d’hôpital que certains qui lui rendent visite assimilent aux cellules qui bordent dans les pénitentiaires américains le « couloir de la mort ». Ils nous incitent d’une part à reprendre en société notre approche de circonstances exceptionnelles qui ne sauraient avoir pour seule issue la réponse d’une législation « créant de nouveaux droits à la personne malade », d’autre part à solliciter un minimum d’informations relatives à l’accompagnement soignant prodigué à M. Vincent Lambert, cela sans pour autant transgresser le secret médical. Les bribes d’informations qui circulent à ce propos et qu’aucune instance n’a contredit jusqu’à présent, semblent justifier ne serait-ce que quelques éclaircissements. À moins que nous ayons à nous exercer au devoir d’oubli et à la désertion morale, à cultiver un art du renoncement et de l’abandon de manière anticipée. C’est ce à quoi, avec d’autres, nous sommes opposés.

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Les directives anticipées opposables à l’épreuve des réalités du soin http://plusdignelavie.com/?p=2894 http://plusdignelavie.com/?p=2894#comments Tue, 17 Feb 2015 20:07:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2894 Serge Duperret Médecin anesthésiste-réanimateur, Hospices civils de Lyon

Il s’agit d’un très jeune patient de 25 ans porteur d’une sclérose latérale amyotrophique depuis quatre ans. Une seule décompensation grave, ayant justifié une hospitalisation en réanimation, est à déplorer. Il est marié, il vient de déménager. Il est très entouré par ses proches. Porteur d’une . . . → Read More: Les directives anticipées opposables à l’épreuve des réalités du soin]]> Serge Duperret
Médecin anesthésiste-réanimateur, Hospices civils de Lyon

Il s’agit d’un très jeune patient de 25 ans porteur d’une sclérose latérale amyotrophique depuis quatre ans. Une seule décompensation grave, ayant justifié une hospitalisation en réanimation, est à déplorer. Il est marié, il vient de déménager. Il est très entouré par ses proches. Porteur d’une insuffisance respiratoire, il est ventilé par l’intermédiaire d’une prothèse amovible nasale, à l’aide d’un respirateur de domicile. Sa ventilation est nécessaire vingt quatre heures sur vingt quatre. Elle est dénommée « non invasive », dans le sens où il n’y a pas de tube qui amène l’air directement dans la trachée, comme dans le cas d’une intubation trachéale ou d’une trachéotomie. Les soins à domicile sont lourds, notamment en terme de kinésithérapie et de nursing en raison de sa quadriplégie. Une dysphagie s’est installée progressivement et il ne peut plus déglutir quoi que ce soit. La solution qui consiste à l’alimenter directement par une sonde placée dans l’estomac a été acceptée (gastrostomie). Malheureusement ce geste n’a pas pu être réalisé par voie endoscopique et le patient a du être opéré. Il s’agit d’une intervention mineure mais qui nécessite tout de même une ouverture de la paroi. L’intervention s’est bien déroulée, les suites ont été simples et le malade a pu rejoindre son foyer après trois jours d’hospitalisation. Au bout de quelques jours, les gavages se sont accumulés dans l’estomac et le patient a présenté un tableau d’occlusion (arrêt du transit). Heureusement, tout s’est résolu avec un traitement médical, nul besoin de le réopérer. Mais l’insuffisance respiratoire s’est aggravée, les besoins en oxygène et en kinésithérapie sont devenus plus pressants et une infection pulmonaire était à craindre, ce d’autant qu’il présentait de la fièvre. On sait qu’une infection pulmonaire peut être foudroyante chez ces malades totalement dépendants d’une machine et dénutris. On craint de devoir l’intuber. « Mais où sont les directives anticipées ? » Et sa mère nous remet des directives parfaitement claires sur la volonté de ne pas être intubé ni trachéotomisé. Que faisons-nous ? Les directives sont parfaitement valides, mais écrites dans la perspective de l’évolution naturelle de sa maladie. Certes, ce geste chirurgical a été réalisé dans le cadre de l’évolution de sa maladie, mais la complication actuelle est autant liée à l’acte qu’à son état. Une défaillance respiratoire peut très bien être réversible et nous nous en confions au malade. Ce dernier revient sur ses directives et nous autorise à l’intuber, si besoin, durant une courte période. Nous nous engageons, auprès de lui, à ne pas maintenir une ventilation invasive (intubation) plus de quelques jours au cas où nous serions amenés à l’intuber. Heureusement, grâce à l’intensification des soins, l’intubation a pu être évitée et il a pu quitter le service de réanimation.
Imaginons maintenant, que ce patient arrive dans ce service avec des troubles de conscience (épuisement respiratoire, état infectieux grave). Si les directives anticipées deviennent opposables, comment trouver les moyens de permettre l’expression d’un tel retournement ?
Ce cas réel m’amène à deux réflexions :
- Les directives anticipées ne sont pertinentes que produites par des personnes qui ont une conscience réelle de leur vulnérabilité. J’ai lu des directives émanant de personnes bien portantes et ce n’était que sottises et incohérence ; quand on est en bonne santé, on n’a pas idée de pouvoir frôler la mort pour un rien, et on n’a pas, autrement que sous forme de représentations terrifiantes, une conception claire de la dépendance ni du niveau de tolérance qui sera le notre à son contact.
- Ces directives sont une base de réflexion inestimable pour le médecin et leur rareté est, bien souvent, un handicap pour bien décider. Mais elles doivent être questionnées à la lumière du motif de prise en charge. De la même façon qu’une banale infection urinaire est soignée en service de soins palliatifs, car cette affection peut être douloureuse et source d’inconfort, sans remettre en cause l’arrêt des traitements de la maladie sous-jacente, une directive stipulant le refus d’une ventilation invasive dans le cadre d’une insuffisance respiratoire chronique, doit être confirmée par le patient après information et prise en compte des nuances de la situation actuelle. Sans compter que la perte transitoire des capacités de communication, peut nous amener à prendre des décisions respectueuses de la loi, sans être nécessairement le reflet de ce que souhaite le patient au moment précis de la prise en charge.
Rendre opposable des directives anticipées risque d’appauvrir la relation avec le patient, car dans la crainte d’être suspecté de n’avoir pas respecté ces dernières, le médecin peut être amené à les appliquer sans le discernement qui s’impose.

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