Les directives anticipées opposables à l’épreuve des réalités du soin

Serge Duperret
Médecin anesthésiste-réanimateur, Hospices civils de Lyon

Il s’agit d’un très jeune patient de 25 ans porteur d’une sclérose latérale amyotrophique depuis quatre ans. Une seule décompensation grave, ayant justifié une hospitalisation en réanimation, est à déplorer. Il est marié, il vient de déménager. Il est très entouré par ses proches. Porteur d’une insuffisance respiratoire, il est ventilé par l’intermédiaire d’une prothèse amovible nasale, à l’aide d’un respirateur de domicile. Sa ventilation est nécessaire vingt quatre heures sur vingt quatre. Elle est dénommée « non invasive », dans le sens où il n’y a pas de tube qui amène l’air directement dans la trachée, comme dans le cas d’une intubation trachéale ou d’une trachéotomie. Les soins à domicile sont lourds, notamment en terme de kinésithérapie et de nursing en raison de sa quadriplégie. Une dysphagie s’est installée progressivement et il ne peut plus déglutir quoi que ce soit. La solution qui consiste à l’alimenter directement par une sonde placée dans l’estomac a été acceptée (gastrostomie). Malheureusement ce geste n’a pas pu être réalisé par voie endoscopique et le patient a du être opéré. Il s’agit d’une intervention mineure mais qui nécessite tout de même une ouverture de la paroi. L’intervention s’est bien déroulée, les suites ont été simples et le malade a pu rejoindre son foyer après trois jours d’hospitalisation. Au bout de quelques jours, les gavages se sont accumulés dans l’estomac et le patient a présenté un tableau d’occlusion (arrêt du transit). Heureusement, tout s’est résolu avec un traitement médical, nul besoin de le réopérer. Mais l’insuffisance respiratoire s’est aggravée, les besoins en oxygène et en kinésithérapie sont devenus plus pressants et une infection pulmonaire était à craindre, ce d’autant qu’il présentait de la fièvre. On sait qu’une infection pulmonaire peut être foudroyante chez ces malades totalement dépendants d’une machine et dénutris. On craint de devoir l’intuber. « Mais où sont les directives anticipées ? » Et sa mère nous remet des directives parfaitement claires sur la volonté de ne pas être intubé ni trachéotomisé. Que faisons-nous ? Les directives sont parfaitement valides, mais écrites dans la perspective de l’évolution naturelle de sa maladie. Certes, ce geste chirurgical a été réalisé dans le cadre de l’évolution de sa maladie, mais la complication actuelle est autant liée à l’acte qu’à son état. Une défaillance respiratoire peut très bien être réversible et nous nous en confions au malade. Ce dernier revient sur ses directives et nous autorise à l’intuber, si besoin, durant une courte période. Nous nous engageons, auprès de lui, à ne pas maintenir une ventilation invasive (intubation) plus de quelques jours au cas où nous serions amenés à l’intuber. Heureusement, grâce à l’intensification des soins, l’intubation a pu être évitée et il a pu quitter le service de réanimation.
Imaginons maintenant, que ce patient arrive dans ce service avec des troubles de conscience (épuisement respiratoire, état infectieux grave). Si les directives anticipées deviennent opposables, comment trouver les moyens de permettre l’expression d’un tel retournement ?
Ce cas réel m’amène à deux réflexions :
- Les directives anticipées ne sont pertinentes que produites par des personnes qui ont une conscience réelle de leur vulnérabilité. J’ai lu des directives émanant de personnes bien portantes et ce n’était que sottises et incohérence ; quand on est en bonne santé, on n’a pas idée de pouvoir frôler la mort pour un rien, et on n’a pas, autrement que sous forme de représentations terrifiantes, une conception claire de la dépendance ni du niveau de tolérance qui sera le notre à son contact.
- Ces directives sont une base de réflexion inestimable pour le médecin et leur rareté est, bien souvent, un handicap pour bien décider. Mais elles doivent être questionnées à la lumière du motif de prise en charge. De la même façon qu’une banale infection urinaire est soignée en service de soins palliatifs, car cette affection peut être douloureuse et source d’inconfort, sans remettre en cause l’arrêt des traitements de la maladie sous-jacente, une directive stipulant le refus d’une ventilation invasive dans le cadre d’une insuffisance respiratoire chronique, doit être confirmée par le patient après information et prise en compte des nuances de la situation actuelle. Sans compter que la perte transitoire des capacités de communication, peut nous amener à prendre des décisions respectueuses de la loi, sans être nécessairement le reflet de ce que souhaite le patient au moment précis de la prise en charge.
Rendre opposable des directives anticipées risque d’appauvrir la relation avec le patient, car dans la crainte d’être suspecté de n’avoir pas respecté ces dernières, le médecin peut être amené à les appliquer sans le discernement qui s’impose.

 

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