Plus digne la vie » famille http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=2997 http://plusdignelavie.com/?p=2997#comments Sun, 05 May 2019 18:46:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2997 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Bioéthique, une exigence et une mobilisation politiques http://plusdignelavie.com/?p=2993 http://plusdignelavie.com/?p=2993#comments Mon, 21 Jan 2019 08:58:47 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2993 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay, Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Version intégrale de l’article publié dans Le Figaro du 3 septembre 2018, sous le titre « Révision de la loi bioéthique : le débat parlementaire de tous les dangers »

Une concertation renouvelée

La . . . → Read More: Bioéthique, une exigence et une mobilisation politiques]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay, Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Version intégrale de l’article publié dans Le Figaro du 3 septembre 2018, sous le titre « Révision de la loi bioéthique : le débat parlementaire de tous les dangers »

Une concertation renouvelée

La phase parlementaire de révision de la loi relative à la bioéthique va reprendre quelques mois après les états généraux de la bioéthique et la publication des premiers rapports, notamment celui du Conseil d’État. La concertation menée au cours du premier semestre 2018 a permis de comprendre que la réflexion bioéthique suscite un intérêt et des attentes qu’il ne faudrait pas décevoir. Elle relève du débat politique et d’enjeux démocratiques à ne pas négliger dans le contexte actuel de crise des valeurs attachées à notre conception du bien commun.

La bioéthique se prête aujourd’hui à des interprétations et à des applications extensives. Il s’agissait initialement d’une réflexion éthique portant sur les évolutions des connaissances et des capacités d’intervention dans le domaine des sciences du vivant, du point de vue de leur acceptabilité sociétale. Rappelons-nous les années 70 avec l’émergence des questions de greffes d’organes, d’assistance médicale à la procréation (AMP), de don de gamètes. Les innovations biomédicales en embryologie, génétique médicale, neurosciences, imagerie et numérisation ont par la suite justifié un encadrement : la loi relative à la bioéthique leur est consacrée. Le Comité consultatif national d’éthique conçoit pourtant ses missions au-delà, dans une perspective socio-politique plus ouverte. Son 128ème avis traite des « Enjeux éthique du vieillissement » (2018). En 2017 les 3 avis rendus avaient pout thème la santé des migrants, les demandes sociétales de recours à l’AMP, « biodiversité et santé ». C’est dire que le champ de la bioéthique ne saurait désormais se cantonner au biomédical puisque nos conceptions de la santé ont évolué ne serait-ce que du fait des capacités d’interventions que les techniques permettent. Lorsque nous discutons actuellement des limites d’intervention sur le génome, du traitement de données de masse et de l’intelligence artificielle en biomédecine ou de modification voire d’augmentation de l’Homme, il est bien évident que nos responsabilités justifient une concertation renouvelée.

De nouveaux territoires pour la bioéthique

Il nous faut explorer de nouveaux territoires de la bioéthique. En peu de temps, des innovations dites disruptives se sont implantées dans le paysage de la biomédecine – notamment avec le numérique : elles bouleversent à la fois les concepts, les connaissances, notre relation à l’autre, nos pratiques sociales et notre rapport au monde. Il convient d’inventer une bioéthique pour aujourd’hui, d’investiguer des champs scientifiques inédits, d’identifier les enjeux éthiques émergeants et d’éprouver leur robustesse au regard des principes jusqu’à présent pertinents, d’envisager des modes de concertation publique dans la perspective d’arbitrages nécessaires même s’ils s’avèrent précaires. En effet, la production de la connaissance scientifique est exponentielle. Le « Rapport de l’UNESCO sur la science, vers 2030 » indique qu’entre 2008 et 2014 le nombre d’articles scientifiques a augmenté de 23 % : 1 270 425 articles ont ainsi été publiés. L’innovation est constante, au point que nos tentatives d’anticipation et même de suivi sont aléatoires. De surcroit elle intervient dans le cadre d’une compétition internationale dont les modalités de régulation semblent pour le moins fragiles, pour ne pas dire inconsistantes. La bio-économie ou la bio-finance justifieraient des investigations qui nous éclaireraient davantage sur les idéologies et les logiques en œuvre que ne le font les discours prophétiques annonciateurs d’un humanisme transcendé. Tel est le défi actuel auquel doit se confronter la pensée bioéthique. Dès lors lui incombe une responsabilité dont on a mieux saisi la portée au cours des États généraux de la bioéthique, entre janvier et mai 2018 : il ne s’agit pas moins que de se concerter sur les valeurs et les choix qui conditionneront notre devenir. Quelles responsabilités exercer à l’égard des générations futures ? Le CCNE a lancé les États généraux avec cette interpellation : « Quel monde voulons-nous pour demain ? ». Je complèterai la complèterai d’un point de vue philosophique : « Quelle humanité voulons-nous demain ? De quelle humanité sommes-nous capables, pour ne pas dire dignes ? ». L’approche bioéthique relève d’une exigence politique qui doit intégrer l’analyse critique de connaissances inédites et évolutives, le pluralisme des points de vue, la pluridisciplinarité des expertises dans une visée soucieuse du bien commun.

Aborder les enjeux de la bioéthique en tant que démocrates

Il me semble essentiel d’aborder les enjeux de la bioéthique en tant que démocrates. Nos fondamentaux sont inspirés par le Code de Nuremberg qui édicte en 1947, à la suite de la Shoah, les règles intangibles des pratiques de la recherche menée sur l’Homme. Reconnaître la personne dans son autonomie et sa capacité à consentir, l’informer avec loyauté, respecter son intégrité et lui témoigner une bienveillance, ne pas l’exposer à des risques disproportionnés, être juste à son égard et considérer que son intérêt est toujours supérieur à ceux de la recherche et de la société : tels sont quelques-uns des fondements de l’approche bioéthique. Un an après le Code de Nuremberg, la Déclaration universelle des droits de l’Homme est promulguée. On évoque à son propos la notion « d’éthique universelle » que l’on devrait pouvoir appliquer à l’intention, voire à l’attention bioéthique. La bioéthique se doit d’être comptable de cette mémoire et de cette conscience qui déterminent des principes inconditionnels. Les transgresser, ne serait qu’en les relativisant au nom d’intérêts estimés supérieurs, c’est mettre en cause des valeurs d’humanité, de dignité et de liberté qui constituent les plus remarquables conquêtes de notre histoire.
Sommes-nous prêts à céder lorsque certains discours prônent des conceptions opposées à nos principes démocratiques, réfractaires à un humanisme soucieux de l’autre dans son identité et ses vulnérabilités ? La numérisation de l’humain selon des stratégies qui visent à le dépouiller de sa dignité, préfigure une forme moderne de barbarie qui pourrait susciter l’expression d’une mobilisation dont notre législation bioéthique devrait témoigner.
J’estime que la bioéthique relève d’un engagement politique qui ne saurait se satisfaire seulement des argumentations, aussi intéressantes soient-elles, produites en comités. Trop souvent les arbitrages rendus par les compétences investies d’une autorité en ce domaine, s’évertuent à accompagner et à cautionner des évolutions en préservant encore quelques formes dont on sait l’inanité. Depuis 1983 le CCNE a rendu 128 avis souvent de grande qualité, de telle sorte que nous disposons d’un corpus d’un intérêt considérable du point de vue de la bioéthique. Nombre d’instances internationales ont produit des textes de référence qui constituent des ressources remarquables appliquées aux multiples champs de la bioéthique. Aujourd’hui les sociétés savantes qui réunissent les chercheurs intervenant notamment dans les domaines du numérique organisent des colloques et rédigent des chartes afin de donner cohérence à un positionnement éthique. Depuis 1994, en France le législateur reprend de manière régulière la loi relative à la bioéthique : il la « révise » afin de l’adapter aux évolutions et de préserver les quelques principes d’une « bioéthique à la française ». Pour autant, alors que s’engagent les travaux parlementaires de révision de la loi du 7 juillet 2011, un sentiment d’incertitude, de confusion pour ne pas dire d’impuissance s’exprime au détour des prises de positions. J’y vois une crise profonde des légitimités qui, on le sait, affecte l’autorité et la sphère politique d’un point de vue plus global.
Est-il encore possible d’encadrer, pour ne pas dire d’interdire ? Le contexte est propice au développement de stratégies favorables à l’amplification du phénomène de dérégulation des pratiques scientifiques et des avancées technologiques. Elles prospèrent sur une tendance à l’individualisme, à l’affirmation du souci de soi et de l’intérêt particulier au regard du bien commun. Adopter une position réflexive simplement prudente, tenter de discriminer entre l’acceptable et ce qui ne le serait pas, c’est se voir d’emblée accusé de passéisme, voire de mépris à l’égard de revendications qui arguent du principe de justice dans l’accès sans restriction à tous les possibles. C’est le cas en ce qui concerne l’AMP en dehors de considérations d’ordre médical, au bénéfice par exemple d’un couple de femmes. Il en sera de même dans le champ de la génomique et des neurosciences afin de favoriser à travers le triage, la manipulation ou l’augmentation, la qualité et les performances du vivant. Des normes s’instituent ainsi, et s’y opposer donnerait à penser que nous résistons au nom d’une bio-morale…
Nous observerons dans quelques mois ce que seront les choix de nos responsables politiques en matière de bioéthique. Ils pourraient estimer que des enjeux de compétitivité internationale en matière d’intelligence artificielle, de traitement des données massives ou de génomique justifieraient certaines concessions du point de vue de nos principes. De même, leur appréciation de l’acceptabilité sociale d’évolutions dans nos représentations de la famille les incitera peut-être à l’ouverture de la biomédecine à des demandes qui initialement ne la concernaient pas.
Serons-nous inventifs d’une bioéthique à hauteur des défis actuels ? Rares sont aujourd’hui ceux qui en sont convaincus.
Contribuer dans les mois qui viennent de délibération bioéthique à la mise en commun de savoirs et de questionnements, c’est s’inscrire dans une démarche de mobilisation démocratique. On pourrait espérer qu’elle permettra de renouveler une pensée de la bioéthique à hauteur d’enjeux politiques qui concernent notre vivre ensemble ainsi que les conditions de notre devenir.

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Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute http://plusdignelavie.com/?p=2921 http://plusdignelavie.com/?p=2921#comments Wed, 14 Oct 2015 10:22:16 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2921 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 . . . → Read More: Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 personnes éprouvées par un même handicap, pour que l’on puisse s’en satisfaire. Depuis des mois et à travers un enchaînement de péripéties et de rebondissements déplorables, nous sommes témoins d’une invraisemblable déroute dont il nous faudra tirer toutes les conséquences. Car elles sont désastreuses à la fois pour ceux qui sont les plus directement concernés (personnes handicapées, proches, professionnels à leurs côtés), mais également dans ce qu’elles semblent révéler de dysfonctionnements qui n’ont pu être caractérisés et en quelque sorte contrés qu’en recourant à des procédures judiciaires poussées jusqu’à l’extrême. Certains s’interrogent désormais sur la légitimité et pertinence des procédures collégiales ayant été mises en œuvre pour engager une limitation ou un arrêt de vie d’un être cher. De même que des parents expriment auprès des équipes médicales, dans des services de médecine physique et de réadaptation (accueillant dans leur projet de vie des personnes aussi dépendantes que l’est M. Vincent Lambert), leur inquiétude au regard de possibles décisions arbitraires d’arrêt des soins dans les conditions discutées à propos du CHU de Reims. Le principe fondamental de la relation de confiance indispensable à l’approche de circonstances dramatiques et redoutables pour lesquelles une concertation intègre s’impose entre les membres d’une famille et une équipe médicale afin d’envisager l’issue estimée préférable, parfois « la moins mauvaise », est entamé, entaché de soupçons. C’est une injure faite aux professionnels, notamment de la réanimation, qui ont su initier des procédures de limitation et d’arrêt des traitements (en 2002, puis revues en 2009) solidement étayées et relevant de considérations à la fois éthiques et scientifiques rigoureuses.
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie engagée le 17 juillet 2012 semblait aboutir avec la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, il est désormais évident que l’impact des circonstances présentes qui ont fait irruption sur la scène publique le 4 mai 2013 (première tentative d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert entreprise le 10 avril et interrompue sur décision de justice) ne pourra être négligé ainsi que les sénateurs l’ont démontré le 23 juin. Le droit fondamental de personnes handicapées comme M. Vincent Lambert, n’est-il pas déjà de bénéficier des soins et de l’accompagnement social les plus adaptés, sans être considérés, selon des évaluations fragiles, « en fin de vie » ? Les conditions de suivi médical de M. Vincent Lambert incarcéré depuis des années dans sa chambre, dans un contexte dont on peut aujourd’hui se demander s’il relève effectivement des droits reconnus et détaillés dans la circulaire du 3 mais 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel, n’affectent-elles pas de manière difficilement réversible sa qualité de vie ? Plutôt que d’évoquer des menaces pesant sur l’équipe médicale, nous aurions pu attendre du communiqué diffusé le 23 juillet par la Direction du CHU de Reims une attention à cet égard. Ce cumul de manquement à une expression de la compassion altère pour beaucoup la respectabilité des positions qui se sont radicalisées ces derniers mois, au point de contester la neutralité même d’une équipe médicale en fait dans l’incapacité d’arbitrer dans l’impartialité une prise de décision collégiale. Que l’on ne nous affirme donc pas que les pressions idéologiques, voire terroristes (on ne peut qu’être stupéfait, dans le contexte international présent, du recours à cette terminologie par un des proches de M. Vincent Lambert à l’annonce du renoncement à mettre en œuvre la procédure létale) ont entravé le processus décisionnel. Il est davantage probable qu’à un moment donné, et de manière tardive, les pouvoirs publics ont estimé qu’il convenait de mettre un terme à une situation à ce point désastreuse qu’on ne parvenait plus à en maîtriser les dédales et les effets pernicieux. À de multiples reprises j’ai évoqué la dimension politique de ces circonstances. Son dénouement prudentiel, transitoire, au cœur de l’été en atteste, et désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées.

Un légalisme poussé à ses limites

Je reviens brièvement sur l’analyse du renoncement de l’équipe médicale du CHU de Reims à persévérer dans sa position, selon toute vraisemblance à la suite de la procédure collégiale qui a fait apparaître la fragilité des convictions et l’impossibilité de justifier une procédure de fin de vie. Le 7 juillet 2015, le médecin assurant le suivi de M. Vincent Lambert annonçait la réunion d’un Conseil de famille, le 15 juillet, afin « d’engager une nouvelle procédure en vue d’une décision d’arrêt de traitement ». La convocation adressée aux membres de la famille ne présentait en effet aucune autre perspective que celle de convenir, de manière autant que faire consensuelle, des conditions de mise en œuvre du processus aboutissant à la mort de M. Vincent Lambert. Ni dans la méthode ni surtout dans la forme retenue pour entreprendre la concertation, n’apparaissait la moindre considération autre que le strict respect d’une procédure administrative consécutive aux arrêts du Conseil d’État et plus récemment, le 5 juin, de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce légalisme poussé à ses limites semblait révoquer toute approche circonstanciée, toute mesure, pour ne pas dire toute décence, alors que le Conseil d’État avait, pour ce qui le concerne, témoigné de valeurs d’humanité et d’une infinie retenue dans son arrêt du 24 juin 2014. Depuis deux ans, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en « état d’éveil sans conscience » nous confrontent. Leur vulnérabilité même en appelle de notre part à l’expression d’obligations morales qui ne peuvent se satisfaire de procédures et de protocoles ainsi départis de la moindre sollicitude. Comme s’il s’agissait d’une « gestion de cas », là où doit prévaloir l’esprit de discernement, la pondération, la justesse et tout autant la considération à l’égard d’une personne vulnérable ainsi que de ses proches.
Il importait de tenir compte du caractère emblématique de la situation de M. Vincent Lambert ainsi que des conséquences de la décision qui ferait de manière certaine jurisprudence (en dépit des réserves émises à cet égard par le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme) : sa portée éminemment politique justifiait une argumentation incontestable et une discrétion inconciliable avec des postures partisanes revendiquées publiquement. Dès le 5 juin 2015, j’ai ainsi considéré nécessaire que le processus décisionnel relatif au devenir de M. Vincent Lambert puisse bénéficier de l’étayage des instances nationales compétentes dans le champ de l’éthique dont l’expertise avait été sollicitée par le Conseil d’État en 2014. Si la prise de décision collégiale relève de la seule autorité d’un médecin, il nous fallait être assurés que dans un contexte inédit et des plus complexe elle bénéficierait des arguments les plus fondés. Aucune de ces instances n’a estimé de l’ordre de ses responsabilités la moindre approche à cet égard (estimant que les rapports qu’elles avaient produits sur demande du Conseil d’État n’en appelaient pas à d’autres formes d’implications), si ce n’est le Conseil national de l’ordre des médecins en soutenant publiquement l’équipe médicale du CHU de Reims… L’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre établissement qui permette à l’ensemble des membres de la famille d’avoir la conviction que l’arbitrage se ferait sans le moindre soupçon, semblait une option sage, voire évidente. Il convenait de rétablir un rapport de pleine confiance, susceptible, peut-être, d’atténuer les clivages au nom d’un intérêt estimé supérieur : celui de M. Vincent Lambert. Il s’avérait indispensable que ce temps du dénouement, à la suite de l’arrêt de la CEDH, puisse relever de ces conditions de dignité et de sérénité si souvent invoquées pour accompagner au mieux des circonstances humaines de haute vulnérabilité. Il s’agissait selon moi d’un droit que l’on devait reconnaître à M. Vincent Lambert, à ses proches et ceux qui à ses côtés expriment au nom de la société la sollicitude d’un soin et d’une indéfectible solidarité. À cet égard je tiens à redire toute ma considération à l’équipe des soignants de M. Vincent Lambert, dont les compétences et le dévouement sont reconnus. Mais au-delà des communiqués officiels, s’est-on préoccupé de ce qu’éprouvaient à titre personnels ces professionnels confrontés aux soubresauts de décisions contradictoires, d’interprétations et de commentaires inconciliables avec les valeurs du soin ; eux qui auraient pu demain contribuer à la procédure de fin de fin de M. Vincent Lambert qu’elles accompagnent dans sa vie depuis des années ?

Décrypter sans concessions ce qui s’est passé

Mes deux suggestions qui n’ont fait l’objet d’aucune suite, intervenaient probablement à mauvais escient, ou alors elles contrariaient des positionnements et des stratégies rétifs à toute forme d’atermoiement. Comme s’il y avait urgence à conclure, et que les recours juridiques ayant été épuisés rien ne devait plus faire obstacle à la seule décision qui s’imposait. Certaines considérations ont néanmoins entravé – à la stupéfaction de nombreux observateurs ce qui en soi interroge – un processus qui devait bénéficier de la torpeur estivale et permettre, à la rentrée, de reprendre le cours des choses, de conclure la discussion parlementaire de la loi relative à la fin de vie comme si rien ne s’était passé. L’assistance médicalisée en fin de vie, au cœur d’une législation qui vise à reconnaître de « nouveaux droits » à la personne malade au terme de son existence, n’est certainement pas le recours adapté aux personnes qui, comme M. Vincent Lambert, n’ont pas anticipé une situation et une décision en soi inconcevable. Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permet de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence.
Désormais il nous faudra décrypter sans concessions ce qui s’est passé au CHU de Reims pour aboutir à cette situation chaotique. Il ne s’agit pas de mettre en cause des personnes dignes de notre respect, mais de comprendre un cumul de dysfonctionnements dont on peut craindre qu’ils interviennent également dans d’autres espaces du soin : ils ne suscitent pas, pour ce qui les concerne, la réactivité d’une famille que je refuse de caricaturer dans les positions, elles aussi respectables, qu’elle défend. De même je réprouve la mise en cause a priori de toute position qui serait réfractaire aux courants de pensées dominants qui s’érigent en censeurs et s’estiment détenteurs d’une vérité, voire d’une compétence, qui légitimerait leurs positions plus idéologiques qu’on ne le pense. En démocratie chacun doit être reconnu dans un point de vue argumenté, soucieux du bien commun. Je rends hommage à la qualité de l’arbitrage du Conseil d’État qui a permis, dans le cadre d’une instruction remarquable, de comprendre la complexité de circonstances humaines si délicates et complexes qu’elles imposent des approches attentionnés, rigoureuses et d’une extrême prudence. Je souhaite adresser, comme je l’ai déjà fait, un message de compassion à la famille de M. Vincent Lambert dont je comprends le cheminement qu’il lui revient d’assumer aujourd’hui afin de ne tenir compte que de ce que serait le bien-être et le choix profond de cette personne trop souvent négligée dans nos débats. Enfin, je tiens à rendre hommage à celles et ceux qui, confrontés au handicap, à la maladie, aux détresses humaines et sociales consécutives aux situations de vulnérabilité et de dépendance demeurent attachés aux valeurs de notre démocratie, y compris lorsqu’elles peuvent leur apparaître défaillantes au regard de leurs véritables urgences. J’estime que nos obligations de démocrates justifient que notre société se mobilise à leurs côté, les soutiennent dans la dignité de leur existence et ne s’en remette pas à des procédures médico-légales voire administratives pour les accompagner jusqu’au terme de leur existence.

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Alzheimer et maladies neuro-dégénératives : le sens d’une mobilisation http://plusdignelavie.com/?p=2914 http://plusdignelavie.com/?p=2914#comments Fri, 02 Oct 2015 10:58:41 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2914 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Ce que représentent ces maladies du cerveau

Les maladies neurologiques dégénératives (MND) sont en progression de 22 % depuis 2010 : plus de 44 millions de personnes dans le monde en sont atteintes, et elles devraient être 115 millions vers 2050. La France a su développer . . . → Read More: Alzheimer et maladies neuro-dégénératives : le sens d’une mobilisation]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Ce que représentent ces maladies du cerveau

Les maladies neurologiques dégénératives (MND) sont en progression de 22 % depuis 2010 : plus de 44 millions de personnes dans le monde en sont atteintes, et elles devraient être 115 millions vers 2050. La France a su développer à cet égard des approches innovantes, soucieuses de la dignité de la personne et de ses proches. Encore est-il nécessaire d’aller plus avant et de mieux comprendre les enjeux humains et sociaux de ces maladies. Elles en appellent à une évolution de nos mentalités, de nos attitudes, de nos modes de penser le vivre ensemble. À l’expression de solidarités pratiques témoignées à ceux qui s’éprouvent d’autant plus relégués dans le vécu de ces maladies ayant, entre autres effets, d’altérer plus ou moins intensément et de manière parfois irréversible leur autonomie, voire leurs capacités décisionnelles et relationnelles.
Les limites de l’efficacité des traitements actuellement disponibles (dans le meilleur des cas ils contribuent à ralentir l’évolution de la maladie ou à en atténuer les symptômes) font de l’annonce de la maladie une sentence difficilement supportable pour la personne ainsi que ses proches. Le projet de vie semble d’emblée soumis aux aléas de circonstances peu maîtrisables. Le parcours de soin, lui aussi, procède de dispositifs incertains et complexes ramené dans trop de cas au dédale de procédures peu adaptées aux besoins immédiats. Ainsi, l’évolutivité de certaines formes de MND expose aux situations de crises et de ruptures qu’il n’est que difficile d’anticiper et d’accompagner de manière cohérente et continue. Les représentations négatives de ces pathologies contribuent pour beaucoup à la solitude et à l’exclusion, aux discriminations mais également au sentiment de perte de dignité et d’estime de soi. Les MND affectent parfois les capacités cognitives de la personne, par conséquent le rapport à sa propre identité ainsi que les conditions de relation à l‘autre et avec l’environnement social. Le modèle prôné de l’autonomisme, dans un contexte sociétal où l’individualisme et les performances personnelles sont valorisés, rajoute à l’expérience d’une disqualification éprouvée durement comme une seconde peine par ceux qui vivent une vulnérabilité d’autant plus accablante qu’elle accentue leurs dépendances. Les répercussions sur les proches se caractérisent par la sensation d’un envahissement de l’espace privé par une maladie qui contribue parfois à dénaturer les rapports interindividuels, à déstructurer l’équilibre familial, à précariser ne serait-ce que du fait de réponses encore insuffisantes en termes de suivi au domicile ou d’accueil en structures de répit ou en institution. C’est dire l’ampleur des défis qu’il convient de mieux comprendre afin de les intégrer à nos choix politiques.

Une forme singulière de chronicité

Ces maladies qui affectent le cerveau se caractérisent par une forme singulière de chronicité qui doit être prise en compte dans les dispositifs de notre système de santé. Comment penser un parcours de soins tenant compte des besoins des personnes malades et de leurs proches, suffisamment adapté et réactif pour répondre à des situations évolutives et parfois urgentes ? Comment, dans ce contexte, faciliter la vie à domicile des personnes dans un contexte humain et social bienveillant ? Qu’en est-il de la poursuite d’une activité professionnelle, d’un projet de vie lorsque les premiers signes de la maladie se manifestent chez des personnes jeunes ? Par quels dispositifs maintenir la continuité de soutiens professionnels indispensables, en phase évoluée, de la maladie sans que le coût financier imparti aux familles accentue l’injustice ou incite à renoncer aux soins ? De quelle manière implémenter le recours aux nouvelles technologies susceptibles de compenser une progressive perte d’autonomie et de maintenir la personne dans un cadre de vie adapté à ses choix ainsi qu’à ses possibilités ?
Plus encore que les autres maladies chroniques, les maladies neurologiques dégénératives doivent mobiliser la capacité d’une société à créer des solidarités appelant ainsi à une approche moins strictement médicale et curative du soin que préventive, accompagnatrice et en mesure de préserver les liens sociaux dans un contexte où la maladie peut affecter les facultés relationnelles de la personne. La fragilisation des repères identitaires et temporels gère chez la personne malade une forme singulière d’inquiétude et/ou de honte sociale au regard de la perspective d’un déclin toujours possible des capacités. Ces maladies sollicitent l’implication et la responsabilité des proches d’une façon particulièrement intense dès les premiers symptômes et l’annonce du diagnostic. Le sentiment d’abandon qu’ils éprouvent trop souvent encore conduit parfois à des situations dramatiques de précarisation, voire des cas tragiques de rupture, voire de maltraitance.
Parce qu’elles mettent en jeu, au-delà d’un savoir médical et technique, la capacité d’une société à maintenir et à adapter les solidarités concrètes entre citoyens, ces maladies représentent donc un enjeu significatif en termes de santé publique et de vie démocratique. Il apparaît dès lors urgent de faire émerger la cohérence d’une mobilisation adaptée. Elle ne saurait également négliger la cause des pays émergents eux-mêmes confrontés à la montée en puissance de ces maladies .
Au-delà de l’urgence d’attribuer à la recherche biomédicale ainsi qu’aux dispositifs sanitaires et sociaux les moyens nécessaires à des avancées et à des adaptations nécessaires, il convient, en partenariat avec les associations et les différents acteurs concernés, de s’investir dans une dynamique de sensibilisation effective de la société. Il nous faut être ensemble, inventifs d’une approche politique digne et courageuse, là où nos mentalités, nos représentations et nos quelques certitudes sont profondément interrogées.

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Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin » http://plusdignelavie.com/?p=2910 http://plusdignelavie.com/?p=2910#comments Tue, 28 Jul 2015 09:05:20 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2910 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà . . . → Read More: Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà des péripéties judiciaires et des controverses suscitées par l’état de handicap de M. Vincent Lambert, d’autres valeurs devaient être mobilisées que celles bien discutables car peu constructives de la compassion collective. Il nous faut renforcer notre vigilance lorsque les arbitrages et les équivoques menacent ce qui nous paraît essentiel. Notre engagement d’aujourd’hui concerne les droits fondamentaux de personnes plus vulnérabilisées aujourd’hui que jamais du fait de la décision de la CEDH : dépendantes d’un handicap lourd, elles risquent d’être exposées à des renoncement auxquels notre société consentira désormais sans état d’âme. Voire par esprit de justice, par charité témoignée à des personnes dont la mort semblerait, dans certaines circonstances, préférable à ce qu’aurait pu être, de notre part, la manifestation d’une sollicitude concrète à leur égard dans leur parcours de vie : aussi énigmatique et difficile soit-il. Une même attention doit être consacrée aux proches, à ces familles qui vivent au quotidien une implication sans faille : résolues dans leur présence qui signifie l’amour, la fidélité et un refus de l’abandon, elles restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité. C’est désormais ce que nous renonçons à admettre, indifférents à la violence de certaines décisions qui compromettent les conditions mêmes du vivre ensemble. Tel serait le premier enseignement que je tire des arrêts rendus par la CEDH ou le Conseil d’État le 24 juin 2014. Je ne les discute pas, respectueux de la chose jugée. Il me semble plutôt important de tenter de mieux comprendre ce qui les a justifiés, les évolutions ou les abandons qui les ont rendu possibles et tolérables, leurs conséquences s’agissant du droit des personnes en état de conscience minimale ou en état d’éveil sans réponse ; à quel type de responsabilités ils nous engagent désormais.
L’exigence éthique me semblait justifier une implication, en ce moment, des instances nationales qui ont mission de la promouvoir et de la partager dans le cadre d’une concertation nationale favorisant une nécessaire pédagogie et une appropriation par chacun des conditions d’exercice d’une responsabilité partagée. Parfois même, de défendre les principes, nos inconditionnels, dans les circonstances qui le justifient. Comme ont le courage de le faire ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel leur semble en péril. Je rends hommage à ces militants de la démocratie, à leurs engagements individuels ou dans le cadre d’organisations non gouvernementales : ils nous permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique. Ils inspirent certaines de mes résolutions certes plus modestes ; je pense à cet égard à Jonathan M. Mann qui a su penser et incarner les relations évidentes entre la santé et les droits de l’homme. Au cœur des années sida il a initié à l’OMS un modèle éthique de l’approche en santé publique, pour ne pas dire en santé politique. Il inspire au quotidien mon action et demeure présent dans ce que j’ai mis en œuvre dans le champ de l’éthique.

Des des choix qui vulnérabilisent nos valeurs

De fait, les positions exposées par nos instances d’éthique, sur saisine du Conseil d’État en 2014, n’ont pas prévalu dans les deux arbitrages relatifs à l’existence de M. Vincent Lambert. Ne seront retenues comme une jurisprudence, que les conclusions validant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation engagé au CHU de Reims le 10 avril 2013, avant d’être interrompu sur décision de justice un mois plus tard. Les nuances d’une approche circonstanciée, d’une argumentation rigoureuse et empreinte d’humanisme dans l’arrêt de la CEDH n’ont pas été en mesure ce 5 juin de pondérer l’impatience parfois indécente des partisans de l’abrégement hâtif de l’existence de M. Vincent Lambert. N’aurait-il pas été opportun que nos « sages » puissent estimer nécessaire de rappeler dans un document commun, les principes qu’ils ont su affirmés avec justesse dans leurs observations à l’intention du Conseil d’État ? Qui avait davantage légitimité qu’eux à intervenir avec mesure, pour redire la précaution qui s’impose aujourd’hui, et sauvegarder ainsi les intérêts supérieurs des personnes dont la survie, comme pour M. Vincent Lambert, tient désormais au fil d’une interprétation extensive de ces deux arrêts de justice ? Leur silence interroge ; il peut inquiéter certains, même si à titre personnel je leur maintiens toute ma confiance.
Dans le contexte actuel de fébrilité, j’ai l’imprudence de suggérer qu’on préserve au moins les formes au nom de la dignité, face à ceux qui clament « avoir gagné » avec une impudeur dont personne ne s’offusque. Faut-il se résoudre à admettre que ce ne serait pas aussi de l’éthique « institutionnelle » que l’on est en droit d’attendre actuellement, alors qu’il y a urgence, l’accompagnement indispensable ? D’autres initiatives s’imposeront demain pour explorer ce que la réflexion éthique peut apporter à l’analyse des circonstances présentes. Pour ce qui me concerne j’estime, avec d’autres, de l’ordre de nos obligations de contribuer à cet engagement.
Pour mémoire, quelques brèves références qui m’incitaient à penser que les instances nationales d’éthique ne devaient pas renoncer à témoigner de leurs réflexions tellement attendues aujourd’hui. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait présenté le 5 mai 2014, à la demande du Conseil d’État, ses observations à propos de M. Vincent Lambert. Avec une intelligence, une prudence et une minutie qui honorent cette instance, les membres du CCNE ont développé dans un document de 38 pages un raisonnement d’une qualité impressionnante. La retenue, la prudence s’imposent, affirment-ils, au regard de ces situations de vulnérabilité : elles en appellent, sans la moindre concession possible, à nos devoirs d’humanité. Une affirmation tirée de cette réflexion éclaire et interroge particulièrement dans le contexte présent : « Le CCNE considère que la distinction entre traitements et soins mérite à tout le moins d’être interrogée quand il s’agit de nutrition et d’hydratation artificielles, en particulier pour une personne hors d’état de s’exprimer et qui n’est pas en fin de vie. » Pour sa part, dans sa « réponse à la saisine du Conseil d’État » le 22 avril 2014, l’Académie nationale de médecine rappelait « qu’aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne, qu’il a mission de soigner, à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle. » Enfin, s’agissant des « observations du Conseil national des médecins », essentiellement déontologiques, la conclusion semble désormais trouver une certaine pertinence pratique, même s’il convient de se demander si au-delà des bonnes pratiques il ne faut pas être tout autant attentif au cadre dans lequel interviendrait cette sédation terminale : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins estime devoir ajouter, au nom du principe humaniste de bienfaisance, qui est un des piliers de l’éthique médicale, qu’une fois la décision prise d’interrompre les moyens artificiels qui maintenaient la seule vie somatique, une sédation profonde doit être simultanément mise en œuvre, permettant ainsi de prévenir toute souffrance résultant de cette décision. »
Ces réflexions relatives à une approche éthique des circonstances éprouvées par M. Vincent Lambert, ainsi que d’autres personnes en état dit d’éveil sans conscience, nous sont précieuses, au même titre du reste que les considérations humanistes si justement abordées par les juges du Conseil d’État et de la CEDH. J’observe à ce propos l’argumentation substantielle et courageuse, mais qui n’a pas pu prévaloir, des juges de la CEDH qui ont refusé d’adhérer aux conclusions de la Grande chambre. Il conviendra de les reprendre demain, de les approfondir ensemble afin de mieux préciser ce que sont nos obligations éthiques, nos engagements de démocrates là où la vulnérabilité humaine vulnérabilise jusqu’à nos principes d’humanité. Car, c’est évident, nous avons le sentiment d’une fragilité supplémentaire de notre société, d’une précarisation qui s’ajoute à tant d’autres, dès lors qu’elle hésite et vacille face à l’essentiel, à ce qui lui est constitutif. C’est le cas à propos de M. Vincent Lambert, lorsqu’elle renonce à considérer que ses responsabilités peuvent aussi se penser autrement qu’en consentant, comme elle le fait publiquement et dans les conditions incertaines que l’on sait, à la mort de l’autre estimée en fait comme la solution qui s’impose, comme « la bonne solution ». Sans du reste que personne n’ait pu véritablement, je veux dire indubitablement nous assurer qu’il s’agissait du choix profond de M. Vincent Lambert. Nous sommes inquiets aujourd’hui pour ces personnes vulnérables dans le handicap et la maladie dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Si même elles avaient rédigé des directives anticipées favorables au maintien de leur existence, y compris en des situations extrêmes, y donnerait-on droit désormais ? Je précise que ces observations spécifiques ne concernent en rien les circonstances de fins de vie dans des état de souffrances réfractaires à tout apaisement : je comprends qu’elles justifient une assistance médicalisée telle que la prescrit la loi du 22 avril 2002 relative aux droits des malades et à la fin de vie. J’en arrive même à admettre que la loi qui dans quelques mois proposera une nouvelle conception de l’assistance médicalisée en fin de vie, devrait parvenir jusqu’au bout de la logique qui l’inspire. Il me semblerait ainsi préférable et loyal que demain soit dépénalisée la pratique de l’euthanasie, plutôt que de l’instaurer de manière subreptice au risque de dérives et de contentieux qui accentuent les défiances et les vulnérabilités.

« Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »

Pour conclure j’estime pour ce qui me concerne justifié, comme citoyen, d’émettre quelques propositions concrètes qui pourraient ne pas être négligées a priori par ceux qui désormais ont pour responsabilité de décider des conditions de la fin de vie de M. Vincent Lambert. Après le temps de la décision judiciaire, j’ai sollicité les trois instances nationales évoquées précédemment afin qu’elles rendent possible un temps de l’éthique. Ce moment indispensable de pause et de réflexion partagé, autre qu’une médiation, pourrait permettre à chacun d’être en capacité d’assumer et d’accepter, dans le respect et avec une certaine sérénité, la décision d’accompagnement dans la mort de M. Vincent Lambert dès lors qu’elle paraitrait inévitable. Revient, me semble-t-il à nos instances d’éthique, la mission d’être présentes, en ces circonstances, auprès de M. Vincent Lambert, de ses proches et des professionnels à ses côtés, garantes ainsi des conditions d’un processus décisionnel profondément soucieux des valeurs et des positions de chacun.
Quelques questions demeurent posées auxquelles il conviendrait de trouver des réponses fondées. Les arrêts de la CEDH et du Conseil d’État révoquent-ils l’opportunité d’une nouvelle délibération collégiale ? Tout semblerait indiquer le contraire, y compris ces deux arrêts qui éclairent, après les expertises éthiques et scientifiques, des domaines qui nécessitaient des approfondissements. D’autre part, est-il respectueux à l’égard des professionnels intervenant auprès de M. Vincent Lambert depuis des années et déjà soumis aux injonctions contradictoires de décisions de justice, d’exiger de leur part qu’après deux années de « nursing d’attente » leur revienne de surcroit la mission d’accompagner le protocole de sédation profonde et continue ? J’estime qu’on leur doit à cet égard également une considération d’autant plus impérieuse qu’ils ont maintenu des mois durant une relation de soin avec une exigence de qualité, dans un contexte à la fois délicat et limitatif. Enfin et surtout, même si désormais sa vie ne tient plus qu’au fil des derniers arbitrages qui seront rendus, ne convient-il pas de permettre à M. Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier de l’hospitalité apaisée et confiante d’un établissement qui ne soit pas l’hôpital Sébastopol ? Là où, dans le contexte que l’on sait, se sont développées les circonstances qui nous consternent aujourd’hui, et alors que l’un des protagonistes de cette tragédie humaine affirmait sur France Info, de manière triomphale et sans la moindre retenue, qu’il considère comme une victoire de la « démocratie sanitaire » l’arrêt de la CEDH et donc la délivrance de M. Vincent Lambert…
Je veux dire, pour conclure, ma considération et ma sollicitude à celles et à ceux qui, directement ou indirectement, se sont trouvés ainsi impliqués dans un désastre dont on ne cerne que difficilement la portée. Qu’ils acceptent de comprendre que les positions que j’ai soutenues avec infiniment de respect à l’égard de M. Vincent Lambert et d’autres personnes confrontées à l’impensable et au si difficilement tolérable, sont celles que l’on se doit de tenir pour un proche en humanité. Si mes propos leurs sont apparus blessants, je leur prie de bien vouloir accepter mes excuses. J’ai le sentiment, contrairement à d’autres, que nous « avons perdu » avec cette conclusion du chapitre judiciaire, et qu’il y a urgence à analyser avec courage ce que signifie pour une société ce verdict de justice. Je suis convaincu que notre démocratie gagne à ce que l’on ne se satisfasse pas, dans un unanimisme complaisant et donc inquiétant, de résolutions qui pour le moins justifient qu’on en comprenne les justifications et les mobiles profonds. Que l’on en débatte ensemble afin de ne pas nous y enliser. Il nous faut désormais tirer les leçons du 5 juin, ne serait-ce que pour donner sens à ce temps d’attente et d’incertitudes qui, depuis 2013, a conditionné l’existence de M. Vincent Lambert aux péripéties de décisions judiciaires et d’un débat de société susceptibles d’affecter jusqu’à sa dignité même.
Avec d’autres personnes qui partagent ce point de vue nous avons décidé de prendre une initiative : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin ». Il nous faut avoir l’envie de renforcer nos solidarités, notre conception du bien commun, au moment où tant de signes en appellent au courage de l’engagement vrai.

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Fin de vie : pour une évolution législative justifiée http://plusdignelavie.com/?p=2890 http://plusdignelavie.com/?p=2890#comments Sat, 10 Jan 2015 15:13:04 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2890 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition . . . → Read More: Fin de vie : pour une évolution législative justifiée]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Ce temps d’écoute, de dialogue et d’approfondissement était nécessaire : il témoigne d’une exigence de respect, de prudence et de rigueur qui honore notre vie démocratique. Au-delà de la saisine de compétences convenues dans le champ de la santé et de la réflexion éthique, l’intelligence de cette approche politique aura été de favoriser l’émergence d’expressions trop souvent négligées dans le débat public. Au cours de ces deux années les postures se sont estompées, chacun prenant conscience de l’opportunité qu’il y avait à renoncer aux positions par trop marquées par l’idéologie ou des convictions réfractaires à l’analyse justifiée d’une réalité qui a évolué depuis 2005. Car contrairement aux idées reçues, la loi du 22 avril 2005 s’est implémentée dans le cadre des pratiques soignantes et a, plus qu’on ne l’admet, contribué à une pédagogie sociétale. Son évolution mesurée s’impose aujourd’hui comme le nécessaire ajustement de principes intangibles inspirés par les valeurs que nous partageons. Il me semble donc important de reconnaître la valeur et la signification de ce processus de délibération qui a été mené dans la transparence, avec pour souci d’associer, dans un esprit d’ouverture, le pluralisme des expériences, des expertises et des points de vue, sans concession, sans soumission, avec courage : de manière exemplaire. Cette démarche aboutie a rendu possible l’approche minutieuse de responsabilités complexes, délicates, relevant de nos devoirs d’humanité. Ainsi pouvons-nous dépasser ensemble le stade de controverses, de revendications, de positionnements figés qui s’avèrent aujourd’hui totalement dépassés, d’une autre époque.
La méthode choisie par le président de la République a situé le débat à son niveau d’exigence, renonçant aux slogans et aux sondages pour leur préférer l’argumentation, le discernement, la pondération et la concertation. Dans un premier temps la mission de réflexion sur la fin de vie a su recueillir avec justesse les ressentiments et les attentes suscités par la confrontation personnelle ou professionnelle au « mal mourir ». Remis le 19 décembre 2012, son rapport détaille les multiples circonstances de la fin de vie en France et soumet à une critique solidement étayée les hypothèses d’évolutions législatives avec leurs portée et conséquences possibles. Reprenant ce document de référence et répondant à de nouvelles questions formulées par François Hollande, dans leur avis n° 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » (1er juillet 2013) les membres du Comité consultatif national d’éthique poursuivent l’investigation, affinent les analyses et examinent avec précision les différentes options de ce que serait une approche de « l’assistance médicalisée en fin de vie » si, notamment, y étaient intégrés le suicide médicalement assisté ou l’euthanasie. Le 20 juin 2014 le Premier ministre confie enfin à deux parlementaires une mission visant à préparer un texte de loi relatif à l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie » qui est présentée le 12 décembre au chef de l’État, et non une loi qui dépénaliserait l’euthanasie. Depuis le début de la concertation nationale, aucune instance n’a en effet exprimé une position favorable à une telle mutation législative, même si la notion « d’exception d’euthanasie » aura été évoquée, strictement encadrée, sans pour autant justifier sa transposition dans la loi. Cette proposition de loi procède d’un travail d’élaboration profondément respectueux de la singularité de circonstances intimes et ultimes qui sollicitent, face aux vulnérabilités existentielles, une solidarité profonde, un « engagement solidaire ». Ne serait-ce qu’à cet égard, sa légitimité s’avère indiscutable.

 

Valeurs engagées dans la proposition de loi

La conclusion de ce temps de mise en commun, au cœur de la cité, d’un questionnement à tant d’égards inédit et si délicat à instruire dans un contexte sécularisé et médicalisé, peut surprendre ou décevoir ceux qui depuis des années entravent la mise en œuvre de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ses détracteurs ont en effet décidé qu’elle n’était que transitoire, avant son abrogation et le vote d’une loi dépénalisant l’euthanasie. Pour les deux parlementaires qui présentent cette proposition de loi (Alain Claeys et Jean Leonetti), il convient davantage en effet de rendre effectifs les droits de la personne malade déjà affirmés dans trois lois (9 juin 1999, 4 mars 2002, 22 avril 2005) que de se fixer l’objectif d’un texte législatif qui renoncerait à proposer un cadre conforme aux valeurs de dignité et de respect qu’incarne l’idée de démocratie. Tel est le véritable défi politique des semaines qui viennent, puisqu’un débat parlementaire est annoncé pour janvier 2015 suivi d’une loi vers mars : nos parlementaires doivent saisir la teneur et l’urgence des enjeux présents. Faute de quoi demain, par défaut de résolution, de mobilisation, de compétences, de dispositifs et de moyens il est évident que l’épreuve du « mal mourir » en France conduira inévitablement à décider d’une gestion administrative de la fin de vie en recourant notamment à la pratique de l’euthanasie. Au-delà de tout esprit partisan, au cours cette instruction publique menée depuis deux ans auront été confirmées la valeur et la pertinence de cette approche humaniste, juste et prudente de nos engagements auprès de celui qui meurt. Celle que s’est choisie avec la loi du 22 avril 2005 le pays inspirateur des droits de l’homme : elle constitue du reste une référence reprise dans nombre de pays.
Il me semble important de prendre en compte la signification politique des positions affirmées dans le préambule de la proposition de loi qui sera discutée début 2015 au parlement : « Cette longue marche vers une citoyenneté totale, y compris jusqu’au dernier instant de sa vie, doit déboucher vers la reconnaissance de nouveaux droits. À la volonté du patient, doit correspondre un acte du médecin. » (…) « Ces nouveaux droits nous semblent répondre à la volonté des Français de sauvegarder leur autonomie et de mourir de façon apaisée. » Les valeurs de dignité et de liberté sont posées comme les principes à honorer dans des circonstances où, parfois, l’évolution d’une maladie avec ses conséquences sur l’intégrité de la personne semble les compromettre : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour satisfaire ce droit. » Dans l’exercice de cette « citoyenneté totale » aucune option n’est privilégiée, de telle sorte que chacun peut se déterminer selon ses préférences pour autant qu’il ne sollicite pas de l’équipe médicale une euthanasie et qu’il ne soit pas contraint à décider par défaut. Ainsi l’accès aux soins de support et aux soins palliatifs doit pouvoir constituer une alternative tangible. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France, par manque de dispositifs dédiés tant en institution qu’au domicile et tout autant de formations appropriées. François Hollande a annoncé à ce propos un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, ce qui témoigne de sa volonté de promouvoir cet autre droit que représente la possibilité de bénéficier des soins d’accompagnement en toutes circonstances.

 

Ce que permettra la sédation profonde et continue

Un des aspects particulièrement sensible de la proposition de loi concerne la sédation profonde et continue : elle relèvera d’un droit reconnu à la personne atteinte « d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme (qui) présente une souffrance réfractaire au traitement » ou « d’une affection grave et incurable, (qui a décidé) d’arrêter un traitement, (ce qui) engage son pronostic vital à court terme ». Ce « traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » sera mis en œuvre à la demande de la personne. Elle en formulera la demande ou en aura exprimé la volonté dans la rédaction de ses directives anticipées qui s’imposeront « au médecin, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ». Ces directives deviendront ainsi « opposables » alors que dans la précédente loi elles constituaient seulement un avis ou une recommandation à prendre en compte pour orienter une délibération médicale collégiale, au même titre que la position exprimée par la personne de confiance.
La sédation profonde et continue à la demande d’une personne éprouvant une « souffrance réfractaire au traitement » ou atteinte d’une affection grave et incurable qui « engage son pronostic vital à court terme », représentera une évolution marquante dans les pratiques. L’appréciation des conditions d’indication de la sédation pourra en effet relever de critères personnels qui doivent être respectés, sans pour autant qu’ils interviennent dans le contexte limitatif du stade terminal d’une maladie. Cette conception de la « sédation terminale » applicable à des circonstances qui pourraient a priori ne pas relever au sens strict de la fin de vie est complétée par deux articles de la proposition de loi que certains ne manqueront pas de considérer comme une sorte d’ouverture possible vers ce que serait, faute d’encadrement précis, une logique d’euthanasie (dissimulée) : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement. » ; « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. » En pratique l’équipe médicale se verra entravée de toute faculté d’appréciation de la recevabilité de la décision de la personne malade, ce qui ne manquera pas d’avoir une conséquence discutable sur les pratiques professionnelles, ne serait-ce que du point de vue de la signification même de l’engagement dans le soin. À cet égard il conviendra d’être attentif aux conséquences de la loi dans le contexte, par exemple, d’une tentative de suicide.
C’est dire à quel point cette proposition de loi ne se limite pas à la reformulation superficielle et opportuniste de certains aspects de la loi du 22 avril 2005. Elle tire de son évaluation critique des avancées significatives susceptibles de répondre y compris aux quelques circonstances qui justifiaient de nouvelles dispositions. À ce propos l’irruption en 2014, au cours de la concertation nationale, de la situation de M. Vincent Lambert, a suscité des clarifications d’autant plus justifiées que le Conseil d’État y a consacré le 24 juin 2014 une décision contentieuse. Encore serait-il indispensable de ne pas assimiler sans une extrême prudence certains états de handicaps sévères ou de maladies neurologiques dégénératives à une approche relevant sans autre discussion d’une législation relative à la fin de vie. Un encadrement rigoureux s’imposera pour éviter les interprétations abusives ou extensives d’un des articles de cette proposition de loi : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées, il recueille le témoignage de la personne de confiance et à défaut de tout autre témoignage de la famille ou des proches. »

 

Pour une « assistance socialisée en fin de vie »

L’heure n’est pas encore d’analyser dans le détail une proposition de loi qui risque d’être soumise dès janvier aux controverses politiciennes et aux pressions partisanes convaincues de l’urgence d’aller plus loin et de dépénaliser l’euthanasie. Il est toutefois important, en démocrate, de considérer les conclusions de cette concertation nationale comme l’affirmation de valeurs fortes à propos desquelles on se saurait transiger. Il convient de créer les conditions favorables non seulement à l’appropriation de nouveaux droits reconnus à la personne malade jusqu’au terme de sa vie, mais également à l’affirmation de nos devoirs d’humanité là où nos responsabilités humaines et sociales sont engagées. Car ce n’est pas l’énoncé de procédures, de protocoles et de dispositifs administratifs, voire notariaux qui apportera ce supplément d’humanité et de sollicitude revendiqué comme un besoin fondamental lorsque nous sommes confrontés à la maladie grave, aux handicaps, à la souffrance et à la mort. À elle seule l’anticipation de circonstances si difficiles à se représenter et à assumer n’est en rien garante de notre faculté d’exercer de manière autonome une maîtrise idéalisée sur des circonstances qui par nature défient nos certitudes et rendent inconsistantes nos tentations de contrôle, notre « volonté de puissance ». Cette évocation ou formulation d’une sédation profonde et continue que certains dénomment déjà « sédation palliative », « sédation terminale » ou « sédation euthanasique » n’évite pas d’interroger ce qu’il en adviendra des conditions mêmes de l’accompagnement, de la relation de soin dès lors qu’y renoncer et y mettre un terme anticipé pourra constituer la manière « digne » et « apaisée » de se détacher des vivants. Cette ritualisation de l’endormissement jusqu’à ce que la mort advienne dans cette forme d’apparente sérénité, pourra bien vite perdre toute justification au point de rendre davantage impatient de la mort et de contester cette prolongation d’une existence ainsi dépouillée de la moindre signification. S’y ajouteront, à n’en pas douter, toutes sortes de normes, de suggestions, de contraintes (y compris d’ordres gestionnaires et économiques) qui influeront sur la faculté d’autodétermination notamment des plus vulnérables parmi nous. L’exigence de vigilance s’impose donc à chacun d’entre nous, en dépit de notre intime conviction de la justesse du cadre législatif proposé, attentif à prévenir les dérives et profondément respectueux de la personne dans son humanité et ses valeurs.
Les évolutions législatives qui seront discutées au parlement début 2015 procèdent d’une approche responsable des aspirations à l’autonomie et à la responsabilisation : il convient aujourd’hui de les reconnaître comme les droits fondamentaux (bien que trop souvent formels) de la personne malade. Le défi est donc celui de leur effectivité, ce qui tient certes à une volonté politique mais tout autant à notre capacité d’affronter notre finitude, d’assumer les conditions d’exercice de nos responsabilités sur la vie sans les déléguer à un « acte du médecin », y compris consenti. Il serait pernicieux que les extensions envisagées de la loi du 22 avril 2005 ne soient pas accompagnées d’une mobilisation sociétale qui permette de penser et de vivre la maladie ainsi que la fin de vie en société : reconnu dans une « citoyenneté totale ». Le défi politique ne se limite donc pas à proposer une loi relative aux « droits des malades » ou à « l’assistance médicalisée en fin de vie », là où devrait tout autant être pensée et assumée ensemble « une assistance socialisée en fin de vie ».

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L’Association Soigner dans la dignité http://plusdignelavie.com/?p=2860 http://plusdignelavie.com/?p=2860#comments Tue, 28 Oct 2014 13:33:34 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2860 Soigner dans la dignité est une association fondée au printemps 2014 par des étudiants en médecine issus de toute la France, désireux de promouvoir une conception de la médecine à l’écoute du patient, s’opposant résolument à une légalisation de l’euthanasie tout en condamnant aussi fermement l’acharnement thérapeutique.

 

Une vision pour la médecine de . . . → Read More: L’Association Soigner dans la dignité]]> Soigner dans la dignité est une association fondée au printemps 2014 par des étudiants en médecine issus de toute la France, désireux de promouvoir une conception de la médecine à l’écoute du patient, s’opposant résolument à une légalisation de l’euthanasie tout en condamnant aussi fermement l’acharnement thérapeutique.

 

Une vision pour la médecine de demain

Notre conviction est que la médecine doit rester attachée aux principes qui la structurent depuis la nuit des temps, proclamés urbi et orbi par les préceptes du serment d’Hippocrate.
- « Primum non nocere » : en premier lieu, nous refusons toute action visant à donner la mort, fut-ce pour un motif prétendument altruiste. Nous avons la conviction que ce principe est cardinal, structurant la société, et a fortiori la médecine. Dans ce domaine situé par essence à la frontière de la vie et de la mort, l’introduction d’une confusion entre ces deux réalités consisterait à mettre le doigt dans un engrenage infernal.
- Nous ne nous berçons toutefois pas d’illusions naïves : bien sûr, le médecin est confronté fréquemment à la mort, et parfois à des situations si complexes qu’elles ne peuvent déboucher sur une solution idéale. Face aux défis de la fin de vie, nous refusons avec une égale fermeté l’acharnement thérapeutique.
- Nous soutenons que l’accompagnement digne des personnes en fin de vie passe par un développement des soins palliatifs, une meilleure coordination entre les services d’hospitalisation et un renforcement des possibilités de soin à domicile.

 

Une action au sein du monde étudiant

Notre constat est celui d’un manque cruel de formation concernant les sujets de la fin de vie. Les étudiants et les médecins ne sont que trop peu initiés à la démarche palliative, à l’accompagnement du patient, dans les souffrances physiques et psychiques qu’il endure à cette période difficile, au dialogue avec la famille et les proches et à l’application de la loi Leonetti. Ce constat est symbolisé par ce chiffre publié en 2012 par le rapport Sicard : 63% des médecins n’auraient jamais été formés à la limitation ou à l’arrêt de traitements.
Face à cette lacune indéniable, nous souhaitons utiliser le poids que nous confère notre nombre d’adhérents (plus de 500 étudiants en médecine aujourd’hui), pour exiger des facultés une attention plus vive sur ces sujets. Nous voulons également agir par nous-mêmes pour sensibiliser les étudiants à ces problématiques. Nous le faisons déjà activement aujourd’hui, par le biais de notre site internet, des réseaux sociaux et de la presse.

 

Une voix au chapitre

Pour s’opposer à une légalisation de l’euthanasie, où à toute évolution législative qui irait dans ce sens, nous voulons porter la voix de nos membres dans le débat public. Pour cela, nous n’hésitons pas à interpeler la société sur les sujets qui font l’actualité aujourd’hui, souvent porteurs de graves questions, à faire de notre mieux pour former nos concitoyens et les pousser à la réflexion. Une telle démarche nous semble salutaire alors que l’opinion publique sur ces sujets se limite trop souvent au ressenti pur, habilement suscité par la médiatisation de certains cas. Nous sommes convaincus en particulier que le choix et l’emploi des mots de la fin de vie pèsera lourd dans le débat, et nous voulons promouvoir une connaissance de ces termes souvent alambiqués ou peu transparents. Nous sommes particulièrement attentifs à une confusion entre la sédation en phase terminale, relevant du principe du double-effet, et la sédation terminale, relevant de l’euthanasie. Dans la même optique, nous nous inquiétons de ce que le législateur entend faire des « directives anticipées » qui, si elles sont bienvenues car étant source de dialogue et d’écoute entre le patient et le médecin, sont improprement nommées. Les prises de position de nombreux psychologues et l’expérience de personnes sorties de comas profonds nous incitent à considérer que ces déclarations ne doivent pas devenir « directives », c’est-à-dire contraignantes, de par l’ambivalence de l’état psychologique du patient, qui change avec les situations et la maladie. Une évolution législative dans ce sens nous semble ainsi néfaste, dédouanant le médecin de toute responsabilité, et allant radicalement à l’encontre de toutes les initiatives prises ces dernières années pour encourager la réflexion éthique dans le monde médical.
Quand la loi s’intéresse de si près à la médecine, le choix des mots peut avoir des conséquences terribles ; il nous appartient d’engager les citoyens et le corps législatif à les peser soigneusement avant emploi !

Contacts : https://www.soignerdansladignite.com/definition.php

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Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée http://plusdignelavie.com/?p=2829 http://plusdignelavie.com/?p=2829#comments Wed, 24 Sep 2014 08:50:43 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2829 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu . . . → Read More: Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu le 18 septembre 2014 cet épisode douloureux : « L’état de santé du nouveau-né s’est dégradé ces dernières heures et les modalités d’accompagnement de fin de vie ont été définies en associant la famille. » Chacun aura sa propre interprétation des conditions et du contexte dans lesquels intervient cette décision éclairée par le second avis d’une équipe médicale du CHU Henri Mondor (AP-HP) et de la consultation de l’Espace de réflexion éthique de la région Poitou-Charentes. Il nous est rappelé que les bonnes pratiques professionnelles de la réanimation d’attente ont été respectées, et c’est certainement sur la base de critères d’évaluation scientifiques incontestables que le processus décisionnel aboutit au renoncement de poursuite des soins.

Dès sa naissance, le 31 août, ce nouveau-né a bénéficié de l’expertise et des compétences de professionnels conscients des dilemmes auxquels confronte la réanimation dans un contexte de détresse vitale. Cela d’autant plus que depuis 15 ans la naissance de prématurés a progressé de 45 %. Les progrès de la réanimation néonatale, les conséquences des procréations médicalement assistées, l’âge tardif de certaines grossesses expliquent ce phénomène. Chaque jour 180 enfants naissent dans ce contexte plus ou moins extrême de la prématurité. Un consensus international s’est établi pour ne pas entreprendre de réanimation avant 23 semaines de grossesses.

Chacun peut s’imaginer le désarroi et parfois l’effroi de parents qui espéraient l’heureux événements, découvrant un nouveau né si différent de leur représentation idéalisée du bébé, assisté par des moyens techniques invasifs que l’on peut assimiler à une forme de démesure biomédicale. Dans un avis du 14 septembre 2000 (avis n° 65, « Réflexions autour de la réanimation néonatale » le Comité consultatif national d’éthique détaille avec beaucoup de justesse les enjeux de cette phase si délicate, pourtant nécessaire à l’observation de l’enfant et à l’arbitrage d’un pronostic. Il reprend le travail de qualité réalisé notamment par les sociétés savantes (commission éthique de la Société française de néonatalogie) et d’autres instances conscientes de l’importance d’un cadre réflexif permettant d’instruire des décisions qui relèvent en toutes circonstances d’une approche contextuelle au cas par cas. Prendre en compte l’intérêt direct d’un enfant qui ne peut en aucun cas exprimer son choix (si ce n’est en démontrant une telle volonté de vie qu’il déjoue parfois les pronostics et évolue plus tard dans son existence avec une combativité forgée dans cette expérience), tout en créant les conditions d’une relation confiante et attentionnée avec les parents qui doivent être en capacité de se situer au regard de décision auxquelles rien de les prépare, relève de procédures partagées par l’ensemble des équipes de néonatalogie.

Les quelques témoignages recueillis depuis l’irruption sur la scène publique de la demande de ces parents qui refusaient « une vie de handicapé » pour leur enfant et dénonçaient ce qu’ils interprétaient comme de l’acharnement thérapeutique, ont permis de bien saisir la complexité de l’arbitrage d’une décision qui doit concilier les droits de l’enfants avec ce que des parents peuvent estimer supportable ou non au regard de leurs valeurs propres, de leurs représentations voire de leurs capacités à affronter la lourdeur d’une « prise en soin » qui aura un impact décisif sur leurs choix personnels de vie. Les dilemmes ne tiennent pas du reste qu’à la revendication de parents qui souhaitent une interruption rapide de la réanimation. Dans bien des cas, ce sont eux qui demandent que soient maintenues les stratégies thérapeutiques, y compris lorsque les médecins estiment que le seuil des traitements disproportionnés est atteint, qu’il serait vain, voire pernicieux de poursuivre.

Il importe de préciser qu’en phase de réanimation d’attente (elle peut se situer sur une durée de plusieurs semaines), le confort de l’enfant est assuré, que sa surveillance constante est assurée par des équipes attentives à sa qualité de vie, que des sédatifs sont administrés si nécessaire pour éviter la moindre douleur. Mais un point essentiel de ce qui se vit dans ces longs moments tient à cette relation si particulière et forte qui se noue avec un être vulnérable, engageant les parents et les soignants dans un rapport de proximité et de sollicitude qui conditionne aussi les décisions qui seront prises.

Dans cette  environnement très technique, des échanges, des partages, avec également le soutien de psychologues, permettent d’ajuster les points de vue, d’aller plus avant dans le questionnement afin de mieux saisir les enjeux de circonstances difficilement pensables et d’appréhender le champ de responsabilités qu’il conviendra, au juste moment, d’assumer.

Il est important qu’après ce temps indispensable à l’investigation clinique, à l’évaluation des données scientifiques et des critères qui vont prévaloir dans la prise de décision, l’arbitrage relève d’une procédure collégiale et finalement d’une position médicale. Comme cela est prescrit dans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mais également pour que les parents n’aient pas le sentiment qu’ils sont directement responsables d’une décision aux conséquences si redoutables.

Je ne suis pas certain que Mélanie et Aurélien ne se posent pas plus tard certaines questions de fond que ces procédures, d’apparence longues et contraignantes, s’efforcent précisément d’anticiper et d’atténuer. Ne serait-ce qu’en ayant la certitude qu’on s’est donné le temps nécessaire afin de retenir une option plutôt qu’une autre et que le choix (relevant parfois du concept de « moindre mal ») est estimé, de manière consensuelle, comme celui qui s’avérait préférable. Certains services ont pour habitude de favoriser la rencontre entre des parents qui se refusent à toute éventualité de handicap pour leur enfant avec des familles qui, elles, ont souhaité accompagner dans la vie cet être cher, fut-il atteint d’un handicap plus ou moins lourd. Elles évoquent certes les difficultés liées au regard négligeant ou compassionnel porté par la société sur la personne handicapée, aux carences dans l’accueil et le suivi notamment après l’âge de 20 ans, cette « galère » que l’on surmonte en y déployant une énergie de chaque instant. Mais tout autant le vrai bonheur de partager cette relation avec une personne qui exprime autrement sa force de vie, son exigence de relation et de reconnaissance, mobilisant autour d’elle une sollicitude qui permet à chacun de gagner en humanité.

Les équipes intervenant dans le champ de la néonatalogie ont cette culture d’une approche éthique de la vulnérabilité : elles se sont dotées des compétentes qui allient la rigueur scientifique, les qualités du suivi médical à l’exigence d’humanité. Leur préoccupation relève rarement d’une visée de performance et, pour ce qui me concerne, je n’en connais aucune qui renoncerait à intégrer au processus décisionnel une anticipation concertée de ce que seraient les conditions d’existence de l’enfant, l’impact sur la famille d’un handicap modéré ou lourd. Dans ces zones grises, incertaines des premiers jours, il est vrai que privilégier les droits de l’enfant à vivre plutôt que de précipiter une décision de soins palliatifs engage à partager des moments douloureux. Quelques soient la disponibilité des équipes, leurs soucis d’informer, de communiquer, de soutenir, nombre d’obstacles peuvent entraver cette visée à une relation dont on comprend la haute signification. L’actualité semble en attester.

J’exprime ma sollicitude à Mélanie et Aurélien. Nous sommes à leurs côtés, eux qui apparaissaient si démunis, éperdus et solitaires dans les reportages qui ont été diffusés en début de semaine. Mes pensées vont vers leur fils Titouan, lui dont l’existence si fragile a été exposée à une controverse publique qui ne me semblait pas se justifier. Il ne m’apparaît que peu conciliable avec le respect que l’on doit à la personne malade de révéler publiquement des données d’ordre médical, y compris pour justifier une décision. Je sais ce que vivent au quotidien les équipes de réanimation néonatale. Il importe de leur témoigner à elles aussi notre considération. Il ne serait pas recevable que demain les nouveaux nés qu’elles accueillent subissent le moindre préjudice du fait de l’émotion suscitée par une circonstance médiatisée.  Les procédures constituent des repères d’autant plus indispensables dans un contexte redoutable, parce qu’incertain, évolutif et susceptible d’engager des décisions aux conséquences majeures et irréversibles pour un être qui ne peut pas y consentir. Enfin, dans le contexte de concertation nationale sur la fin de vie, il ne me semblerait pas sage et en aucun cas justifié de trouver prétexte, dans cette actualité, à une évolution des pratiques qui, nous en sommes les témoins, se sont avérées pertinentes.

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Vincent Lambert : « on ne peut faire l’économie de la dignité humaine » http://plusdignelavie.com/?p=2820 http://plusdignelavie.com/?p=2820#comments Mon, 30 Jun 2014 07:01:11 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2820 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

Dans un avis du 26 octobre 2006, le Comité consultatif national d’éthique affirmait : « On ne peut faire l’économie de la dignité humaine, à moins d’accepter et d’assumer l’indignité. » Quelques années plus tôt, le 24 février 1986, cette même instance peu discutable dans la pertinence des . . . → Read More: Vincent Lambert : « on ne peut faire l’économie de la dignité humaine »]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

Dans un avis du 26 octobre 2006, le Comité consultatif national d’éthique affirmait : « On ne peut faire l’économie de la dignité humaine, à moins d’accepter et d’assumer l’indignité. » Quelques années plus tôt, le 24 février 1986, cette même instance peu discutable dans la pertinence des positions qu’elle rend publiques rappelait à un médecin qui les considérait comme « des intermédiaires entre l’animal et l’homme », que les personnes malades en état végétatif chronique « sont des êtres humains, qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité ».

La décision rendue par le Conseil d’État mardi 24 juin 2014 est pesée, pondérée et circonstanciée. Elle procède d’une expertise médicale assortie d’un examen approfondi des points déterminants de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Pourtant, d’emblée des interprétations en sont tirées pour expliquer, de manière péremptoire, que ces conclusions juridiques feront désormais jurisprudence et pourront être transposées à d’autres circonstances estimées analogues.

Les observateurs feront apparaître plus tard les significations profondes de ce qui s’est joué hier sur la scène publique avec, il convient de l’admettre, une certaine indécence. À juste titre, le président de la République avait souhaité le 17 juillet 2012 une concertation nationale sur la fin de vie, susceptible de favoriser un débat serein et de parvenir, ensemble, à un consensus juste. Les différentes compétences impliquées, à la demande de François Hollande, dans une réflexion ouverte, attentionnée et sage avaient, semble-t-il, apaisé les controverses et permettaient d’envisager sans a priori dogmatique les quelques évolutions indispensables dans un domaine à la fois intime et complexe. Il n’est pas dit que l’instrumentalisation de circonstances humaines douloureuses à Reims ou à Pau ne contribue pas à un point de rupture de cette pédagogie de la responsabilité voulue par le chef de l’État, et n’incite pas aux dérives dont certains consentent, volontairement ou non, à être les cautions.

Je n’ai aucune légitimité à mettre en cause les compétences impliquées dans la chaîne décisionnelle médicale qui, de fait, impose la contention, pour ne pas dire l’enfermement, à une personne dont l’existence tient aujourd’hui au fil d’une décision administrative. Apparemment les modalités pratiques du processus d’interruption de son alimentation et de son hydratation émeuvent davantage que ses conditions de vie actuelles : certains les assimilent à une forme de maltraitance.

Je n’ai aucune légitimé à contester l’interprétation, pour le moins discutable, que le parlementaire auteur de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a développée hier après-midi sur BFM lorsque je me suis autorisé à lui demander s’il ne convenait pas de modifier le titre même de la loi, dès lors qu’elle peut s’appliquer à des personnes qui, de fait, ne sont pas en fin de vie. La loi, selon lui concerne les malades et la fin de vie, et non les malades en fin de vie, distinction aussi subtile et convaincante qu’il a établi pendant des années entre faire mourir et laisser mourir. De telles confusions contribuent à bien des ambivalences constatées sur le terrain du soin, avec les conséquences extrêmes ces derniers jours dans les enceintes judiciaires. Ce même parlementaire, en charge, à nouveau, d’une mission d’évaluation et d’adaptation de sa loi, expliquait dans la foulée que lorsque la personne, dans l’incapacité de le faire valoir, aurait exprimé oralement un choix concernant son refus d’une obstination déraisonnable, il est incontestablement recevable. De même, en référence à l’actualité, il soutient que la famille n’a pas à être directement impliquée dans une prise décision qui relève, avant toute autre considération, de la collégialité médicale. On comprend mal dès lors son attachement aux directives anticipées, au rôle de la personne de confiance et à la prise en compte de l’intérêt supérieur de la personne malade, qui peut, en certaines circonstances, être mieux reconnu en tenant compte du témoignage de ses proches (ce qui est du reste le cas s’agissant par exemple des prélèvements d’organes). Que ce parlementaire puisse interpréter la loi relève peut-être d’une autorité qui ne se conteste plus. Le code de la santé publique est toutefois rédigé en des termes sans équivoque : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. » Le même article 9 de la loi du 22 avril relative aux droits des malades et à la fin de vie confirme qu’elle concerne explicitement la personne en fin de vie, puisqu’on évoque la notion (certes elle-même discutable) de « mourant » : « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » Au cours des auditions que ce parlementaire ne manquera pas d’organiser dans les prochains mois, il pourrait être intéressant que soit approfondie la notion de fin de vie et sa transposition aux personnes dans l’incapacité, à un moment donné, d’exprimer avec discernement leur préférence. Qu’en sera-t-il, par exemple, de la prise en compte des droits de la personne en phase évoluée d’une maladie neurologique dégénérative ?

Je n’ai pas plus de légitimité, enfin, à évoquer le sentiment de violence éprouvé par des personnes malades, lourdement handicapées ou leurs proches. Menacées dans leurs droits et dans leurs choix par des positions péremptoires qui en appellent à l’urgence de décisions politiques favorables à une gestion administrative de la fin de vie, elles s’inquiètent qu’une même préoccupation ne concerne pas l’existence au quotidien de personnes davantage en demande d’une solidarité dans la vie que d’une mort compassionnelle. Il importe qu’au plus vite des clarifications permettent de résister à cette tentation d’une « solution idéale » dont on sait qu’elle n’est concevable que dans une approche infiniment respectueuse de la personne, insoumise aux idéologies, aux arbitraires ou à l’esprit de renoncement.

Notre démocratie ne peut pas se permettre la défaite d’une abdication là où ses valeurs essentielles sont engagées. C’est du reste à un cheminement dans la dignité et le courage que nous invitait François Hollande en juillet 2012. Pour ma part c’est celui que je poursuis depuis, sans concession mais avec pour souci le bien commun.

Ma seule légitimité, peut-être, tient à ma conception de l’idée de fraternité telle qu’elle est exprimée dans notre devise républicaine. Je ne saurais davantage comprendre et admettre qu’une personne vulnérable, handicapée comme on le sait, confiée aux soins d’une équipe médicale, demeure plus longtemps l’otage de controverses et de disputations administratives. Si l’attente se poursuit désormais, sa vie étant suspendue pour partie à la décision du la Cour européenne des droits de l’homme, la dignité de son existence ne saurait lui être confisquée. Il m’apparaît indispensable que toute la clarté soit faite sur la dignité des soins qui lui sont prodigués dans un contexte profondément respectueux et attentif à son seul intérêt. Notre obligation à l’égard de Vincent Lambert tient à l’exigence de fraternité. « La dignité humaine, les droits de l’homme et les libertés fondamentales doivent être pleinement respectés. » La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, (UNESCO, 19 octobre 2005) pose en des termes sans équivoque ce que sont nos responsabilité immédiates auprès de lui et de ceux qui lui sont proches.

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DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive http://plusdignelavie.com/?p=2773 http://plusdignelavie.com/?p=2773#comments Mon, 05 May 2014 06:57:59 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2773 Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un . . . → Read More: DOSSIER. Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive]]> Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, Bruxelles

Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.

Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un devoir de publier, comme il l’a fait par le passé, tout autre document présentant selon des points de vue différents les pratiques dans les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie.

Lors de sa conférence de presse le 14 janvier 2014 François Hollande a énuméré les termes de la loi belge sur l’euthanasie sans jamais évoqué le mot. En Belgique, on se targue d’une loi sans dérives, contrôlée de manière absolue par une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. À ce jour, selon cette Commission, absolument toutes les euthanasies recensées ont été effectuées selon les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002.

Infirmière à Bruxelles, j’ai d’abord travaillé dans un service d’oncologie puis dans une unité de soins de support. De la sorte, j’ai rapidement été confrontée aux demandes et à la pratique d’euthanasies. Depuis six ans, j’ai observé combien cette loi ébranle considérablement les liens de solidarité que nous avons envers les malades. Plus que la mise en lumière de procédures bancales, nous assistons aujourd’hui à un changement radical des mentalités concernant la mort et l’accompagnement des mourants.

 

I. Euthanasies légales, éthiquement bancales

Depuis mon arrivée en Belgique en 2008, j’ai été le témoin direct de nombreuses euthanasies. Toutes ont été reconnues légales et inscrites de manière officielle dans les dossiers médicaux des patients. Dès ma prise de fonction et malgré des connaissances au départ limitées, j’ai détecté de graves défaillances d’ordre éthiques et déontologiques. À travers mon expérience personnelle dans des services de soins pratiquant l’euthanasie en Belgique, je souhaite montrer qu’il est possible, dans une chambre d’hôpital comme sur un plateau de télévision, de manipuler les opinions et les consciences, pour métamorphoser l’euthanasie en une idéologie du « mourir dignement ».

  • Monsieur R. n’a jamais demandé l’euthanasie : il a été libéré par « compassion »

C’est la parole d’un oncologue juste après l’euthanasie de Monsieur R. Quelques jours plus tôt, le médecin vient annoncer à l’épouse du malade que son mari est en phase terminale d’un cancer pulmonaire. Le médecin ajoute que le patient « souffrira énormément, bien qu’actuellement il ne présente aucun signe de douleur ni de tristesse ». L’épouse demande au spécialiste de ne dire mot à son mari « pour ne pas qu’il souffre davantage » et sollicite par la même occasion qu’on l’euthanasie pour lui épargner « l’horreur de la fin de vie ». Monsieur R. mourra par euthanasie sans jamais avoir eu connaissance de l’existence de sa maladie et sans avoir décidé ou même évoqué une seule fois le souhait d’avoir recours à l’euthanasie.

Suite à cette euthanasie, je demande des explications à mes supérieurs au cours de la réunion interdisciplinaire. En chœur, le psychologue, le chef d’unité, le chef infirmier et les oncologues, m’expliquent combien cette mort a été « douce, paisible et sans douleur », « une fin de vie digne » en somme. Sur un ton infantilisant, ils me rappellent qu’« en tant que soignant, il faut être compatissant », que « le pronostic vital  de Monsieur R. était compromis à brève échéance » et  qu’« il aurait certainement souffert de manière atroce ». L’aplomb du discours, la logique, en apparence, implacable du raisonnement, réduisent au silence les soignants.

  • Monsieur L. a « bénéficié » d’une euthanasie dans l’urgence, pour pallier des douleurs aiguës non suffisamment soulagées

Monsieur L. souffre d’un ostéosarcome du fémur droit. Hospitalisé, il a évoqué l’euthanasie au cas où son état se dégraderait. Un jour, alors qu’il est pris d’une crise de douleur foudroyante, sa femme, désespérée, appelle au secours le personnel médical : selon elle, il faut impérativement répondre à la demande d’euthanasie de son mari. Les infirmiers, paniqués, appellent d’urgence l’oncologue. Ils proposent d’augmenter les doses de morphine et de mettre en place un protocole de sédation provisoire, afin d’apaiser les symptômes et l’état de détresse. Mais l’oncologue refuse. Au milieu de l’angoisse et de l’agitation, le médecin ordonne aux soignants une préparation létale qu’il administre aussitôt à monsieur L. Un an après, l’épouse revenait dans le service et accusait les soignants d’avoir « assassiné son mari ».

L’oncologue est réticent à employer des traitements morphiniques. Aujourd’hui encore, malgré l’usage fréquent et bien maîtrisé de la morphine, certains médecins en ont encore peur. De nombreux patients subissant des souffrances terribles ne sont pas suffisamment soulagés. Dans ce contexte, nous pouvons aisément imaginer combien le désespoir peut être à l’origine d’une demande d’euthanasie. D’autre part, le contexte d’urgence dans lequel a été pratiqué cette euthanasie a conduit à une mort brutale, inhumaine et profondément choquante, aussi bien pour l’épouse que pour les soignants. Pourtant, rappelons-le, le patient entre dans les critères de la loi : demande réitérée/souffrance insupportable/maladie incurable, etc.

  • Madame G., « délivrée » d’une agonie trop longue

Une sédation palliative a été administrée  à Madame G. : elle est dans le coma depuis cinq jours. Sa famille, angoissée, guette le moindre signe de fin de vie. L’équipe soignante, continuellement sollicitée, est éprouvée par l’agitation incessante. C’est alors que le médecin, manifestement lassé par l’agonie, décide d’« abréger les jours » de Madame G., pour la « délivrer de la déchéance ». Personne ne dénonce ce geste, qui, dans l’imaginaire de la famille et des soignants, témoigne de l’altruisme et de l’humanité du médecin. Un geste pourtant brutal qui règle de manière radicale le « problème de l’agonie ».

 

En Belgique, les mentalités ont changé

Après onze ans de pratique légale d’euthanasie en Belgique, les mentalités autour de l’image de la mort changent profondément. De plus en plus, contrairement à l’euthanasie, la sédation palliative en fin de vie est considérée comme une mort sans aucun sens, dénuée d’humanité et décourageante. Certains médecins la considèrent même comme hypocrite si on l’assimile à une mort naturelle : « Assimiler sédation et mort naturelle est en fait une construction qui permet d’évacuer un sentiment de culpabilité et de considérer l’acte comme moralement bon, supérieur aux autres interventions médicales possibles. »[1]

Il est certes difficile pour les proches d’accompagner une personne en fin de vie. Cependant, j’ai remarqué au fil de mes différentes expériences (en unité de soins palliatifs en France puis en oncologie et unité de soins de supports en Belgique), combien les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation. La difficulté pour une famille de vivre l’agonie de proche, est en grande partie liée à la perception que l’environnement (soignants, institution, société) a de l’agonie.

Lorsqu’une équipe soignante est au clair sur un projet commun d’accompagnement des personnes en vie, mais également sur sa représentation de la mort et sur l’intention qu’elle met derrière la sédation palliative (elle n’est pas « faire mourir la personne » mais « soulager les souffrances »), l’accompagnement de la famille est beaucoup plus serein. Au contraire, lorsqu’il existe la possibilité d’euthanasie, peut s’ancrer dans les esprits l’idée d’une mort plus « rapide, indolore, propre, nette ». Le temps de l’agonie ne possède alors plus de valeur, plus d’existence, c’est un morceau de vie qui est considérée comme superflu. Cette confusion tient au fait que la loi belge, contrairement à la loi Léonetti,  n’encadre pas la pratique de la sédation, ne la définit pas et ne l’intègre pas dans la pratique des soins.

 

II. Omerta et marginalisation des soignants

C’est à partir de ces situations vécues que je me suis rendue compte que les soignants étaient délibérément maintenus dans l’ignorance ou contraints au silence.

 

La méconnaissance de la loi sur l’euthanasie et la fin de vie

Dans un des services où j’ai travaillé, certains patients sont accueillis le matin dans une chambre et en sortent deux heures après en direction de la morgue, après l’euthanasie programmée par l’oncologue. Les infirmiers ne sont pas mis au courant. On peut aisément se figurer le choc émotionnel que ce manque délibéré d’information et de communication, peut provoquer. Même s’ils sont ébranlés, les soignants ne se révoltent pas car ils connaissent peu ou mal la loi. Aucune formation ne leur est proposée.

 

La peur des représailles

Dans ce même service, la direction (médecins, directrice des soins, cadres de santé) place les soignants dans la peur des représailles. Beaucoup d’entre eux expriment régulièrement la peur de perdre leur emploi s’ils venaient à remettre en question le système. Cette peur est fondée : certains soignants désireux de quitter le service ont été menacés d’exclusion de l’ensemble du réseau dont la structure hospitalière fait partie, la direction pouvant exercer des pressions pour qu’ils ne retrouvent pas de travail.

 

La parole des infirmiers tue

Lors des réunions d’équipe pluridisciplinaire, créées à l’origine pour échanger nos points de vue sur la prise en charge des patients, la parole des infirmiers est complètement tue. Personne n’ose parler des euthanasies vécues difficilement ou des questionnements par rapport à certaines décisions médicales. Lorsqu’un infirmier remet en question une euthanasie, la conversation portant sur le fond et les faits est détournée. Les médecins et cadres de santé y répondent systématiquement par la même antienne : « l’acte était choisi, humain ».

 

Aucune voie de recours

N’ayant pas été entendue par mes responsables directs, je me suis rendue auprès de la direction pour dénoncer ces actes illégaux. La directrice des soins ne m’a pas écoutée. Elle m’a enjoint de me taire. Aussi, les recours en justice paraissent impossibles, il faut pour cela des preuves, des témoignages de familles qui souhaitent s’engager et dénoncer, et le courage des soignants d’affronter tout un système de santé qui protège les médecins.

Depuis onze ans, la Commission de contrôle et d’évaluation des euthanasies n’a jamais, pas une seule fois, transmis de dossier à la justice[2], ni retenue de pratique inquiétante parmi les dossiers pour lesquels il a été demandé des précisions. Cela montrait-il que la loi n’est pas si restrictive et que les conditions réunies peuvent être facilement manipulées ?

S’ajoutent à ce contexte, des demandes de plus en plus importantes d’euthanasie pour cause d’une souffrance morale insupportable lorsque la personne est lasse de vivre dans son état de vie, même lorsqu’elle ne souffre pas de maladie incurable ou de souffrance physique.

 

III. La souffrance morale : le nouvel éden de la « bonne mort »

 

À travers des exemples de mise en scène médiatique de morts jugées « exemplaires » ; puis à travers une euthanasie vécue récemment, je voudrai montrer comment l’euthanasie s’érige comme une idéologie. Onze ans après la dépénalisation de l’euthanasie, de plus en plus de demandes ont trait à la souffrance morale. Au niveau éthique, ces demandes posent de nombreuses questions, elles font souvent l’objet de discussions et de désaccords entre soignants, tant elles sont à la frontière du légal.

Les médias, eux, n’émettent aucune contradiction ou sollicitation à la prudence. Les euthanasies qu’ils exposent peuvent ainsi apparaître comme une étape logique d’extension naturelle de la loi.

 

1. Cas médiatiques qui façonnent le dogme de la « bonne mort »

 

Anticipation d’une souffrance future

Il s’agit de personnes qui ne souffrent pas dans le présent mais qui anticipent de probables souffrances liées, par exemple, à la perte d’autonomie.

« Marc et Eddy Verbessem, des jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) nés sourds. Tous deux cordonniers dans la région anversoise, les frères – inséparables –  ont toujours vécu sous le même toit. C’est l’annonce d’un diagnostic d’une maladie oculaire dégénérative, un glaucome avec perte progressive de la vision pouvant mener à la cécité, qui fut l’élément déclencheur de l’issue fatale, révélée ce week-end dans la presse néerlandophone. Car si pour ces deux hommes de 45 ans, nés avec ce handicap, le fait d’être privés de l’ouïe n’était pas un réel problème, l’idée de ne plus pouvoir se voir et de perdre toute autonomie leur est apparue littéralement insupportable. Une longue réflexion les a amenés à prendre peut-être la plus lourde des décisions : demander l’euthanasie. Voici un an, donc, que les deux frères ont entamé les démarches nécessaires. Le 14 décembre dernier, réunissant apparemment toutes les conditions légales requises, ils se sont rendus à l’UZ Brussel de Jette. »[3]

 

Nous pressentons le danger éthique sous-entendu : peut-on euthanasier des personnes qui ne relèvent pas des critères de la loi, au nom d’une souffrance potentielle future ? Dans cette situation particulière, la demande d’euthanasie est justifiée en fonction de critères légaux et non éthiques. Une journaliste a demandé à Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et membre de la Commission de Contrôle des euthanasies, si « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales »[4], soulevant-là qu’il s’agissait exclusivement d’une « souffrance psychique ». La présidente a répondu : « En effet, ils ne souffraient pas de réelles douleurs physiques. Cela dit, si l’on s’en réfère aux trois conditions essentielles de la loi, ils répondent aux critères. Cela faisait un an qu’ils étaient en demande. Pour ce type de cas, pour lequel le décès n’est pas prévisible à brève échéance, il faut à tout le moins deux médecins consultants, le second s’attachant plus particulièrement à la qualité de la demande. Il faut voir s’il s’agit bien d’une demande volontaire, réitérée et réfléchie et si l’on a aussi bien examiné toutes les pistes possibles avant d’en arriver à cette décision. La deuxième condition est la souffrance, qui peut être d’ordre physique ou psychique, ce qui était en l’occurrence le cas. La troisième condition est que la souffrance est causée par une affection grave et incurable, ce qui est le cas aussi. Actuellement du moins, même si à l’avenir, on peut espérer trouver des solutions. »[5]

Les conditions de la loi sont donc réunies. En revanche, remettre en question le regard de la société face à la détresse de ces malades, ou bien soulever le manque de créativité dans les relations humaines, ou enfin, envisager d’accompagner les jumeaux à s’adapter à leur handicap, de tout ceci il n’en est pas question.

 

La vieillesse comme souffrance

Christian de Duve, Prix Nobel de médecine en 1974, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013 à l’âge de 95 ans. En lui rendant hommage la présidente de l’ADMD ne parvient pas à démontrer que le professeur entrait dans les critères de la loi : « Doit-on encore se justifier lorsque l’on choisit l’euthanasie ? »[6] Pour quelle raison choisir la mort à 95 ans, dans un état physique et mental encore bon ? Le professeur se rendait tous les jours à la piscine et participait régulièrement à des émissions de télévision. Le premier signe de faiblesse (une chute) lui a fait comprendre la vulnérabilité naturelle due à la vieillesse.

Peu importe que Christian de Duve ne souffrait d’aucune maladie incurable, la vieillesse peut être considérée comme une souffrance. Le Premier ministre Elio di Rupo a lui-même salué « l’engagement de citoyen dont a fait preuve Christian de Duve tout au long de son existence »[7]. Cet hommage rendu nous révèle une idée centrale : l’euthanasie est un « geste citoyen », un modèle de société. L’exemple de sagesse du Prix Nobel a eu les honneurs de la presse : tous ont applaudi sa lucidité et sa force. Une journaliste du quotidien Le Soir nous raconte sa dernière entrevue avec le vieil homme : « Je suis beaucoup plus proche de la mort que ça, je dois organiser ma disparition », m’a-t-il dit. Il avait eu un malaise et il est resté par terre, sans pouvoir se relever. Il a reconnu que ça a été le signal. C’est un homme extrêmement digne, heureux et satisfait de sa vie […] mais de fait, affaibli. »[8]

Son euthanasie apparaît comme un choix évident, même, un acte de générosité, d’avoir décidé de mourir avant de coûter à la société. La valeur de la vie dépendrait donc de sa capacité à produire de bon et d’utile dans une société (mobilité, vitalité, prouesse), jusque dans la maîtrise de sa mort. Peut-on demander l’euthanasie en prévision d’un état de déclin dû à l’âge ? Quelle image relayée à travers les médias cela donne-t-il  à la personne âgée ?

 

La solitude

Les soignants commencent à être préoccupés par le nombre croissant d’euthanasies de personnes profondément seules. Il s’agit du cas médiatique de Nathan, la personne transsexuelle dont on pressent le désespoir de ne pas être entouré. Rejeté et maltraité par sa famille, sa mère aura ces mots avant de lire la lettre de Nathan écrite avant sa mort : « Sa mort ne me fait rien. Je ne ressens aucune douleur, aucun doute, aucun remords. »[9]

« Nathan est né Nancy dans une famille qui comptait trois garçons, et avait été rejeté par ses parents, qui souhaitaient un nouveau garçon, selon le quotidien, qui l’a interrogé la veille de sa mort. Rêvant depuis son adolescence de devenir un homme, il avait successivement, entre 2009 et juin 2012, subi un traitement et deux opérations : une cure d’hormones, une ablation des seins, et un changement de sexe. Des opérations dont il n’était pas satisfait : sa poitrine restait trop forte et le pénis qu’on lui avait placé était « raté ». « J’avais préparé des dragées pour fêter ma nouvelle naissance, mais la première fois que je me suis vu dans le miroir, j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps, avait raconté Nathan. J’ai eu des moments heureux, mais au final la balance penchait du mauvais côté », avait-il résumé, estimant être « resté quarante-quatre ans de trop sur cette terre ». »[10]

 

La maladie mentale, une dépression, ont-elles été diagnostiqué ? A-t-il déjà été suivi par un psychiatre, un psychologue ? Officiellement, il ne s’agit pas de dépression, ce critère n’entrant pas dans le cadre de la loi. Pour accepter la demande d’euthanasie, il a donc été conclu que Nathan est dans une détresse morale insupportable à cause d’un corps qu’il n’a jamais accepté.

 

Un modèle de « belle mort » : le couple

« Un couple âgé du Brabant flamand a demandé et obtenu une double euthanasie. C’est une première en Belgique. L’homme, âgé de 83 ans, souffrait d’un cancer en phase terminale. Son épouse, âgée de 78 ans, qui présentait des maladies liées à la vieillesse, incurables et douloureuses, n’imaginait pas la vie sans son mari. Le couple n’avait pas d’enfant et était relativement isolé. Ils sont morts à leur domicile mardi[11]. »

 

Le Dr Marc Englert (professeur honoraire ULB, rapporteur à la Commission euthanasie) avance les arguments du Dr Marc Cosyns (généraliste à Gand), en faveur de cette euthanasie :

Objectif : minimiser les risques de souffrance due à un suicide raté (l’euthanasie étant une mort douce…) : « Je considère très important que ces personnes aient montré qu’on peut mourir ainsi et qu’un survivant désespéré ne doit pas nécessairement se procurer une corde ou un revolver mais qu’une solution légale est possible lorsque, comme cette femme, on souffre de maux incurables qui peuvent être démontrés. »[12]

Répondre à la solitude des personnes âgées :  « On sait que le nombre de suicides de gens âgés de plus de 80 ans est particulièrement élevé. Il en est certainement parmi eux qui sont restés seuls et qui souhaitent mourir pour cette raison. Ce n’est pas incompréhensible. Il y a des gens qui ont vécu une union fusionnelle avec leur partenaire, comme l’a si bien exprimé Jacques Brel dans “La chanson des vieux amants”. […] Mais en même temps, nous devons faire savoir à ceux dont les souffrances ne peuvent vraiment pas être soulagées que l’euthanasie est possible … »[13]

Le militantisme du couple leur donne tous les droits : « Bien que le fait soit rare, il ne serait pas unique. Le Dr Cosyns déclare connaître cinq cas récents similaires, dont deux qu’il a pratiqués lui-même. Il considère néanmoins que l’histoire de ce couple est particulière parce que les patients ont fait savoir dans leur nécrologie qu’ils sont morts le même jour et qu’ils remerciaient le médecin qui les avait aidés. Il estime qu’ils ont brisé un tabou et déclare qu’il les admire pour l’avoir fait[14]. »

L’épouse donc, qui « n’imaginait pas la vie sans son mari »[15], a été euthanasiée au motif de maladies liées à la vieillesse comme l’arthrite rhumatoïde. Rappelons que selon la loi belge, il n’est pas nécessaire d’être en phase terminale pour obtenir le droit à l’euthanasie et que le motif de souffrance insupportable est suffisant. Est-ce que la dégradation de la qualité de vie et la baisse de l’autonomie dues à la vieillesse peuvent justifier la pratique de l’euthanasie ? Du fait du nombre d’affections incurables (diabète, arthrose, ostéoporose, surdité, Alzheimer, etc..), les restrictions de la loi sur l’euthanasie sont une fiction.

 

2. Cas pratique à l’hôpital

 

Pour ma part, je peux  exposer le cas concret d’une des dernières euthanasies à laquelle j’ai assisté. Cette histoire fait apparaître à la fois :

- le manque de solidarité de toute une société ;

- la pression exercée sur les soignants ;

- des médecins devenus plus militants que thérapeute.

Il s’agit d’une dame d’une soixantaine d’année dont les facultés cognitives et la capacité à se mouvoir se sont dégradées à cause des effets de la chimiothérapie. Elle est par ailleurs en rémission de son cancer. Elle dit avoir fait une demande anticipée d’euthanasie et renouvelle sa demande au vu de la dégradation de son autonomie et de ses pertes de mémoires importantes.

Face à cette demande d’euthanasie, la difficulté pour les soignants était triple, du fait de :

1. Ses pertes cognitives. Un jour, elle me  demande : « mais dans le fond vous me l’avez faite cette euthanasie ou non ? », comme s’il s’agit d’un traitement quelconque. Elle ne semble pas vraiment se rappeler de quoi il s’agit. Mais pour les médecins, c’est une bonne chose, elle a enfin prononcé le mot « euthanasie » ! C’est la première fois depuis longtemps, qu’elle en parle spontanément. Pour relancer la demande, le défi est de lui faire dire « je veux une euthanasie » sans avoir l’air de lui proposer, car dans la loi, la demande doit être volontaire et réitérée.

2. De la nature floue de sa souffrance (pas de douleurs ou de symptômes réfractaires au traitement). Au niveau physique elle n’a aucune douleur et est en rémission de son cancer. Donc, pas de maladie incurable, pas de décès à brève échéance. La seule solution est de trouver à quel point sa souffrance morale était insupportable. Lorsque les soignants s’assoient à côté d’elle pour discuter, elle retrouve le sourire et réclame que l’on reste davantage auprès d’elle. Pendant des semaines elle ne demande plus l’euthanasie. Cependant, dès qu’elle se sent seule, elle en reparle de manière assez vague.

3. De son entourage à l’influence inquiétante. L’entourage, constitué d’amis et peu de famille en raison de conflits, parait totalement inadapté. Il harcèle sans cesse les soignants en réclamant l’euthanasie de la dame. Les soignants se sentent mal à l’aise car ils comprennent bien que sous la demande de la patiente il y a une autre réalité : celle du sentiment d’abandon à cause du manque de solidarité. Les accompagnants sont sans doute sincères, cherchant pour la malade son bien-être. Mais leur bienveillance est dénuée d’empathie, ce recul nécessaire à une vraie solidarité. La patiente leur demande tout le long de l’hospitalisation une brosse à dents. Au lieu de brosse à dent, ils lui apportent ce qu’ils croient être bons selon eux : du vin, des gâteaux, mais ne satisfont jamais la demande de la dame.

De plus, la majorité des soignants éprouvent de la frustration car de nombreux dispositifs auraient pu être mis en place pour améliorer son confort et son désir d’être davantage entourée. Au départ, elle a accepté des structures adaptées à ses besoins, puis, sous l’influence de son environnement, elle y renonce. Ses proches sont enfermés dans l’émotion de voir leur amie handicapée. Ils ne supportent pas la voir différente. Toute autre solution que l’euthanasie leur parait inimaginable. Sur le petit carnet où ils lui laissent des messages  lorsqu’elle dort, il est question d’euthanasie à chaque page. On peut y lire des mots tels que : « N’oublie pas ton euthanasie, c’est ton droit, il faut que tu demandes aux médecins sinon ils ne te la feront jamais… ».

 

C’est dans ce contexte, que les médecins favorables à la pratique de cette euthanasie, ont dû trouvé des arguments. Afin de contourner chacune de ces difficultés, et répondre légalement à la demande d’euthanasie, des « solutions » ont été trouvées :

1. Pour l’impossibilité d’évaluer correctement sa demande d’euthanasie à cause des pertes cognitives, il a été décidé de favoriser les convictions et demandes antérieures aux pertes de mémoire, (appuyés par la lettre anticipée d’euthanasie), plutôt qu’un changement d’avis qui pourrait être dû à ses pertes de mémoire.

2. D’autre part il fallait déterminer la nature de la souffrance morale. La diminution de son autonomie étant irréversible, c’est celle-ci qui crée une souffrance morale insupportable.

3. Enfin, en ce qui concerne la défaillance de solidarité influençant ses choix, l’argument en faveur de l’euthanasie a été : son entourage fait partie de son bien-être, même si l’influence sur sa personnalité et sur ses décisions sont néfastes, ce n’est pas à nous d’en juger. De même, ce n’est pas aux soignants de pallier le manque de solidarité.

 

 

Conclusion : l’interprétation de la loi sans réelles limites se refuse à toute réflexion éthique

 

La médiatisation de ces « belles morts » semblent induire l’idée que l’euthanasie représente la mort la plus digne, la plus humaine. Elle devient un modèle du bien-mourir selon des critères de beauté et de dignité. En ce sens, il peut s’instaurer chez les malades, une culpabilité à continuer à vivre. L’acte d’euthanasie deviendrait un acte humain exemplaire. La dichotomie mentale qui en résulte entre « bonne » et « mauvaise » mort, dénature les liens de solidarité dans une communauté et rend la mort définitivement taboue.

D’autre part, l’interprétation de la « souffrance morale » est si large qu’il ne semble pas y avoir de limites légales à la pratique de l’euthanasie (baisse de l’autonomie due à la vieillesse, peur d’être seul, peur d’une souffrance future, lassitude de vivre, etc.).

Il en est de même pour le critère de « maladie incurable ». La loi autorise l’euthanasie pour des diagnostics de maladies dont le décès n’est pas prévu à brève échéance : Alzheimer, asthme, diabète, arthroses, arthrites, cécité, etc..

Enfin, la non-nécessité d’être en phase terminale d’une maladie, donne la possibilité d’anticiper une souffrance future, qui n’est donc pas une réalité, mais qui génère une peur toujours plus grande de la mort.

Ces complaisances de la loi ne dissimulent-elles pas une réalité d’abandon des plus fragiles ? Cet état des lieux n’est-il pas symptomatique d’une société en proie à la solitude, à la peur d’être mal accompagné, et à une carence de confiance envers les soignants ?

L’ouverture désormais de l’euthanasie aux mineurs n’est que la résultante d’une banalisation progressive de l’euthanasie dans les mentalités et révèle de plus en plus la fracture entre les militants et les médecins de terrain. Cent-soixante pédiatres ont adressé une lettre ouverte aux députés disant qu’il n’y avait ni urgence, ni utilité à l’extension aux mineurs. Les pédiatres argumentaient, exprimant leur avis en tant que spécialistes de terrain. Ils n’ont pourtant pas été intégrés au débat. Celui-ci a bien eu lieu, mais, semble-t-il, entre militants uniquement.

La question de l’accompagnement de la fin de vie apparaît dès lors, comme relevant d’un choix de société significatif des valeurs qu’elle porte : quelle place donnons-nous aux malades ? Quelle image avons-nous d’eux ? Qu’est-ce qu’accompagner humainement une personne ? Ces questions sont d’autant plus primordiales que les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation.

Il paraît aujourd’hui urgent pour les soignants, de se réapproprier une vision du bien-commun, ne serait-ce que pour assurer à la personne malade une sollicitude et une dignité jusqu’au terme de leur existence.



[1]Lossignol D., Damas, F., « Sédations continue : considérations pratiques et éthiques »,  Rev. Med Brux.,  2013, p.27.

[2]Rapport aux chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, tous les deux ans depuis 2004.

[3]Dardenne L., La Libre.be, « Euthanasie: unis, à la vie. Et à la mort. », 14 janvier 2013.

[4]Ibid.

[5]Dardenne L., La Libre.be, « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales », 14.01.2013.

[6]Herremans J., « Christian de Duve, merci ! » in Bulletin de l’ADMD, n° 128, juin 2013, p.8.

[7]de Decker C., Colart L., « Décès de Christian de Duve : Une personnalité scientifique exceptionnelle», Le Soir, 6 mai 2013.

[8]Propos recueillis par Delvaux B., « Si on continue comme cela, ce sera l’apocalypse, la fin », Le Soir, 10 avril 2013.

[9]Rebillat C., « Un transsexuel euthanasié après avoir changé de sexe », Paris Match, 02 octobre 2013.

[10]Le Monde.fr, « Après un changement de sexe raté, un Belge obtient le droit à l’euthanasie », Le Monde, 02 octobre 2013.

[11]D’après « La Libre » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[12]D’après « De Morgen » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.

[13]Ibid.

[14]Ibid.

[15]Ibid.

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