Plus digne la vie » non classé http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Fin de vie, une sédation politique http://plusdignelavie.com/?p=2916 http://plusdignelavie.com/?p=2916#comments Tue, 06 Oct 2015 21:42:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2916 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 . . . → Read More: Fin de vie, une sédation politique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 octobre. À en juger par la consternante réunion de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 30 septembre, les deux rapporteurs s’étant figés dans une position de refus du moindre amendement, soit le consensus résistera aux coups de butoirs des propagandistes de cette démarche désormais imposée, soit l’hostilité à tant de désinvolture et de rigidité ramènera chacun à ses positions contradictoires d’hier. Ce rejet systématique d’améliorations nécessaires d’un texte de loi dont on sait l’importance des nuances dans sa rédaction, révèle que la concertation nationale voulue par François Hollande le 17 juillet 2012 s’achève aujourd’hui dans une précipitation et une négligence qui déçoivent, une forme d’échec inattendu. Les deux rapporteurs, recourant à des arguments trop souvent discutables, ont confisqué toute possibilité d’évolutions d’un texte en certains points approximatif, voire peu convaincant ou alors suscitant des interprétations équivoques. Ils disent s’en remettre demain à la commission mixte paritaire qui sera amenée à conclure les péripéties hasardeuses d’une nouvelle approche de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. À l’heure actuelle rares sont les personnes qui estiment les avancées qu’elle prétend promouvoir à hauteur d’enjeux dilapidés dans des joutes parlementaires et des affirmations péremptoires indignes de réalités humaines qui méritent mieux. Cette suffisance parfois insultante des réponses concédées aux détracteurs des quelques points justifiant une prudence dans la formulation de la loi, ne fait désormais qu’attiser les revendications d’une loi cohérente enfin favorable à l’euthanasie. Le voile semble désormais levé, ce qui peut être le seul avantage à tirer d’une telle palinodie : l’assistance médicalisée en fin de vie devra se comprendre, tout en préservant encore quelques apparences, comme la reconnaissance d’une sédation profonde, continue et terminale, à la demande de la personne en fin de vie ou non, sur simple rédaction de ses directives anticipées opposables et applicables sans autre forme par le médecin dans l’incapacité faire valoir sa clause de conscience. L’alimentation et l’hydratation des personnes assimilées à un traitement artificiel assimilable à une obstination déraisonnable, pourront être interrompues sur décision médicale y compris pour une personne atteinte d’un handicap profond dont on ignore, faute de pouvoir communiquer, si comme le prétendent certains parlementaires, elle aurait ainsi considéré inacceptable « de prolonger inutilement sa vie ».
Rappelons, sans être certain que cela importe encore, l’esprit et la forme des quelques amendements présentés tant par les membres des commission des affaires sociale et des lois du Sénat, que des députés mercredi dernier : tous rejetés sur la base d’arguments peu satisfaisants par les deux rapporteurs de la proposition de loi.
À l’intitulé « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » était préféré celui plus précis de « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». La légitimation du suicide assisté, voire de l’euthanasie ne devait pas apparaître induite par une formulation volontairement ambiguë.
La sédation « profonde et continue » est avancée comme une évolution majeure en terme de droit de la personne malade ou en fin de vie. Là également, le texte tel qu’il est soumis en deuxième lecture aujourd’hui, sans modification de la moindre virgule depuis son approbation à l’Assemblée nationale le 17 mars 2015, justifiait des précisions parfaitement explicitées par les membres de la commission des lois du Sénat.
« La commission des lois a marqué son attachement aux deux principes cardinaux de la législation française actuelle sur la fin de vie : d’une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d’autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité. Pour cette raison, estimant que le recours à la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état d’inconscience totale jusqu’à son décès, se justifiait uniquement par le souci de soulager les souffrances d’une personne en fin de vie, elle a marqué son accord avec le choix de la commission des affaires sociales de restreindre ce recours aux cas de patients en fin de vie dont les souffrances sont réfractaires à tout autre traitement de soins palliatifs. »
Sur ce point des plus controversé, les sénateurs développent une argumentation qui n’aura pas su ébranler les convictions définitives de nos deux rapporteurs.
« Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l’intention qui la porte, la sédation (profonde) est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu’elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant. (…) La sédation profonde et continue ne pourrait être mise en œuvre, à la demande du patient, que si son pronostic vital est engagé à court terme en raison de l’arrêt d’un traitement ou de l’évolution de sa maladie. (…) Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la frontière entre une mort causée par la maladie et une mort liée à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or cette distinction permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique. »
Les sénateurs, au même titre que les députés ayant présenté des positions estimées insignifiantes le 30 septembre, n’avaient pas limité l’examen du texte à la mise en cause des points a priori les plus litigieux. Ils estimaient également nécessaire de supprimer l’alinéa de l’article L. 1110-5-1. « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » qui relève du discernement médical et non d’une décision de législateur.

Vers une loi en faveur de l’euthanasie

Ainsi que certains responsables politiques l’affirment ces dernières semaines, afin de calmer l’impatience des déçus d’une démarche qui ne tiendrait pas ses promesses, cette proposition de loi n’a qu’une fonction transitoire, pédagogique, dans la perspective d’une législation déjà évoquée qui légalisera l’euthanasie. Cette vocation de certains aux stratégies politiciennes renforce donc le défi actuel à l’égard de pratiques d’autant plus pernicieuses qu’elles concernent nos valeurs de société, notre sphère privée.
Il y avait besoin d’une clarification en des domaines complexes pour lesquels certains se sont arrogés une autorité et une expertise désormais indiscutable. Leur discours tourne en quelque sorte à vide, répétitif et refermé sur un système de pensée indifférent à ce qui susciterait le moindre doute. On ne saurait se satisfaire plus longtemps d’un unanimisme inconsistant ou d’une compassion négligente. Poursuivre ces disputations dont on ne sait au juste ce qu’elles tentent d’expliciter ou de justifier, ces atermoiements qui nous enlisent et obscurcissent le réel est devenu indécent. À chacun maintenant d’assumer ses responsabilités. Plutôt que de pervertir par des propos inconvenants et en nous assénant des convictions indiscutables, j’inciterai les responsables politiques à ne pas différer plus longtemps leur préférence pour une loi créant de nouveaux droits en faveur des malades, des personnes en fin de vie, du suicide assisté et de l’euthanasie ! Ainsi, les règles du « vivre ensemble » se comprendront demain jusque dans l’obligation d’assurer comme un droit l’administration d’une sollicitude active dans la mort, là où trop souvent nous désertons face aux vulnérabilités dans la vie. Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». La moindre enfreinte au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive. De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société « apaisée » est prête aux avancées préconisées. C’est du moins ce qu’estiment à cette heure les deux rapporteurs de la proposition de loi sans susciter la moindre réaction significative, comme si la sédation avait déjà ses premiers effets.

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Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin » http://plusdignelavie.com/?p=2910 http://plusdignelavie.com/?p=2910#comments Tue, 28 Jul 2015 09:05:20 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2910 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà . . . → Read More: Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà des péripéties judiciaires et des controverses suscitées par l’état de handicap de M. Vincent Lambert, d’autres valeurs devaient être mobilisées que celles bien discutables car peu constructives de la compassion collective. Il nous faut renforcer notre vigilance lorsque les arbitrages et les équivoques menacent ce qui nous paraît essentiel. Notre engagement d’aujourd’hui concerne les droits fondamentaux de personnes plus vulnérabilisées aujourd’hui que jamais du fait de la décision de la CEDH : dépendantes d’un handicap lourd, elles risquent d’être exposées à des renoncement auxquels notre société consentira désormais sans état d’âme. Voire par esprit de justice, par charité témoignée à des personnes dont la mort semblerait, dans certaines circonstances, préférable à ce qu’aurait pu être, de notre part, la manifestation d’une sollicitude concrète à leur égard dans leur parcours de vie : aussi énigmatique et difficile soit-il. Une même attention doit être consacrée aux proches, à ces familles qui vivent au quotidien une implication sans faille : résolues dans leur présence qui signifie l’amour, la fidélité et un refus de l’abandon, elles restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité. C’est désormais ce que nous renonçons à admettre, indifférents à la violence de certaines décisions qui compromettent les conditions mêmes du vivre ensemble. Tel serait le premier enseignement que je tire des arrêts rendus par la CEDH ou le Conseil d’État le 24 juin 2014. Je ne les discute pas, respectueux de la chose jugée. Il me semble plutôt important de tenter de mieux comprendre ce qui les a justifiés, les évolutions ou les abandons qui les ont rendu possibles et tolérables, leurs conséquences s’agissant du droit des personnes en état de conscience minimale ou en état d’éveil sans réponse ; à quel type de responsabilités ils nous engagent désormais.
L’exigence éthique me semblait justifier une implication, en ce moment, des instances nationales qui ont mission de la promouvoir et de la partager dans le cadre d’une concertation nationale favorisant une nécessaire pédagogie et une appropriation par chacun des conditions d’exercice d’une responsabilité partagée. Parfois même, de défendre les principes, nos inconditionnels, dans les circonstances qui le justifient. Comme ont le courage de le faire ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel leur semble en péril. Je rends hommage à ces militants de la démocratie, à leurs engagements individuels ou dans le cadre d’organisations non gouvernementales : ils nous permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique. Ils inspirent certaines de mes résolutions certes plus modestes ; je pense à cet égard à Jonathan M. Mann qui a su penser et incarner les relations évidentes entre la santé et les droits de l’homme. Au cœur des années sida il a initié à l’OMS un modèle éthique de l’approche en santé publique, pour ne pas dire en santé politique. Il inspire au quotidien mon action et demeure présent dans ce que j’ai mis en œuvre dans le champ de l’éthique.

Des des choix qui vulnérabilisent nos valeurs

De fait, les positions exposées par nos instances d’éthique, sur saisine du Conseil d’État en 2014, n’ont pas prévalu dans les deux arbitrages relatifs à l’existence de M. Vincent Lambert. Ne seront retenues comme une jurisprudence, que les conclusions validant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation engagé au CHU de Reims le 10 avril 2013, avant d’être interrompu sur décision de justice un mois plus tard. Les nuances d’une approche circonstanciée, d’une argumentation rigoureuse et empreinte d’humanisme dans l’arrêt de la CEDH n’ont pas été en mesure ce 5 juin de pondérer l’impatience parfois indécente des partisans de l’abrégement hâtif de l’existence de M. Vincent Lambert. N’aurait-il pas été opportun que nos « sages » puissent estimer nécessaire de rappeler dans un document commun, les principes qu’ils ont su affirmés avec justesse dans leurs observations à l’intention du Conseil d’État ? Qui avait davantage légitimité qu’eux à intervenir avec mesure, pour redire la précaution qui s’impose aujourd’hui, et sauvegarder ainsi les intérêts supérieurs des personnes dont la survie, comme pour M. Vincent Lambert, tient désormais au fil d’une interprétation extensive de ces deux arrêts de justice ? Leur silence interroge ; il peut inquiéter certains, même si à titre personnel je leur maintiens toute ma confiance.
Dans le contexte actuel de fébrilité, j’ai l’imprudence de suggérer qu’on préserve au moins les formes au nom de la dignité, face à ceux qui clament « avoir gagné » avec une impudeur dont personne ne s’offusque. Faut-il se résoudre à admettre que ce ne serait pas aussi de l’éthique « institutionnelle » que l’on est en droit d’attendre actuellement, alors qu’il y a urgence, l’accompagnement indispensable ? D’autres initiatives s’imposeront demain pour explorer ce que la réflexion éthique peut apporter à l’analyse des circonstances présentes. Pour ce qui me concerne j’estime, avec d’autres, de l’ordre de nos obligations de contribuer à cet engagement.
Pour mémoire, quelques brèves références qui m’incitaient à penser que les instances nationales d’éthique ne devaient pas renoncer à témoigner de leurs réflexions tellement attendues aujourd’hui. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait présenté le 5 mai 2014, à la demande du Conseil d’État, ses observations à propos de M. Vincent Lambert. Avec une intelligence, une prudence et une minutie qui honorent cette instance, les membres du CCNE ont développé dans un document de 38 pages un raisonnement d’une qualité impressionnante. La retenue, la prudence s’imposent, affirment-ils, au regard de ces situations de vulnérabilité : elles en appellent, sans la moindre concession possible, à nos devoirs d’humanité. Une affirmation tirée de cette réflexion éclaire et interroge particulièrement dans le contexte présent : « Le CCNE considère que la distinction entre traitements et soins mérite à tout le moins d’être interrogée quand il s’agit de nutrition et d’hydratation artificielles, en particulier pour une personne hors d’état de s’exprimer et qui n’est pas en fin de vie. » Pour sa part, dans sa « réponse à la saisine du Conseil d’État » le 22 avril 2014, l’Académie nationale de médecine rappelait « qu’aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne, qu’il a mission de soigner, à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle. » Enfin, s’agissant des « observations du Conseil national des médecins », essentiellement déontologiques, la conclusion semble désormais trouver une certaine pertinence pratique, même s’il convient de se demander si au-delà des bonnes pratiques il ne faut pas être tout autant attentif au cadre dans lequel interviendrait cette sédation terminale : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins estime devoir ajouter, au nom du principe humaniste de bienfaisance, qui est un des piliers de l’éthique médicale, qu’une fois la décision prise d’interrompre les moyens artificiels qui maintenaient la seule vie somatique, une sédation profonde doit être simultanément mise en œuvre, permettant ainsi de prévenir toute souffrance résultant de cette décision. »
Ces réflexions relatives à une approche éthique des circonstances éprouvées par M. Vincent Lambert, ainsi que d’autres personnes en état dit d’éveil sans conscience, nous sont précieuses, au même titre du reste que les considérations humanistes si justement abordées par les juges du Conseil d’État et de la CEDH. J’observe à ce propos l’argumentation substantielle et courageuse, mais qui n’a pas pu prévaloir, des juges de la CEDH qui ont refusé d’adhérer aux conclusions de la Grande chambre. Il conviendra de les reprendre demain, de les approfondir ensemble afin de mieux préciser ce que sont nos obligations éthiques, nos engagements de démocrates là où la vulnérabilité humaine vulnérabilise jusqu’à nos principes d’humanité. Car, c’est évident, nous avons le sentiment d’une fragilité supplémentaire de notre société, d’une précarisation qui s’ajoute à tant d’autres, dès lors qu’elle hésite et vacille face à l’essentiel, à ce qui lui est constitutif. C’est le cas à propos de M. Vincent Lambert, lorsqu’elle renonce à considérer que ses responsabilités peuvent aussi se penser autrement qu’en consentant, comme elle le fait publiquement et dans les conditions incertaines que l’on sait, à la mort de l’autre estimée en fait comme la solution qui s’impose, comme « la bonne solution ». Sans du reste que personne n’ait pu véritablement, je veux dire indubitablement nous assurer qu’il s’agissait du choix profond de M. Vincent Lambert. Nous sommes inquiets aujourd’hui pour ces personnes vulnérables dans le handicap et la maladie dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Si même elles avaient rédigé des directives anticipées favorables au maintien de leur existence, y compris en des situations extrêmes, y donnerait-on droit désormais ? Je précise que ces observations spécifiques ne concernent en rien les circonstances de fins de vie dans des état de souffrances réfractaires à tout apaisement : je comprends qu’elles justifient une assistance médicalisée telle que la prescrit la loi du 22 avril 2002 relative aux droits des malades et à la fin de vie. J’en arrive même à admettre que la loi qui dans quelques mois proposera une nouvelle conception de l’assistance médicalisée en fin de vie, devrait parvenir jusqu’au bout de la logique qui l’inspire. Il me semblerait ainsi préférable et loyal que demain soit dépénalisée la pratique de l’euthanasie, plutôt que de l’instaurer de manière subreptice au risque de dérives et de contentieux qui accentuent les défiances et les vulnérabilités.

« Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »

Pour conclure j’estime pour ce qui me concerne justifié, comme citoyen, d’émettre quelques propositions concrètes qui pourraient ne pas être négligées a priori par ceux qui désormais ont pour responsabilité de décider des conditions de la fin de vie de M. Vincent Lambert. Après le temps de la décision judiciaire, j’ai sollicité les trois instances nationales évoquées précédemment afin qu’elles rendent possible un temps de l’éthique. Ce moment indispensable de pause et de réflexion partagé, autre qu’une médiation, pourrait permettre à chacun d’être en capacité d’assumer et d’accepter, dans le respect et avec une certaine sérénité, la décision d’accompagnement dans la mort de M. Vincent Lambert dès lors qu’elle paraitrait inévitable. Revient, me semble-t-il à nos instances d’éthique, la mission d’être présentes, en ces circonstances, auprès de M. Vincent Lambert, de ses proches et des professionnels à ses côtés, garantes ainsi des conditions d’un processus décisionnel profondément soucieux des valeurs et des positions de chacun.
Quelques questions demeurent posées auxquelles il conviendrait de trouver des réponses fondées. Les arrêts de la CEDH et du Conseil d’État révoquent-ils l’opportunité d’une nouvelle délibération collégiale ? Tout semblerait indiquer le contraire, y compris ces deux arrêts qui éclairent, après les expertises éthiques et scientifiques, des domaines qui nécessitaient des approfondissements. D’autre part, est-il respectueux à l’égard des professionnels intervenant auprès de M. Vincent Lambert depuis des années et déjà soumis aux injonctions contradictoires de décisions de justice, d’exiger de leur part qu’après deux années de « nursing d’attente » leur revienne de surcroit la mission d’accompagner le protocole de sédation profonde et continue ? J’estime qu’on leur doit à cet égard également une considération d’autant plus impérieuse qu’ils ont maintenu des mois durant une relation de soin avec une exigence de qualité, dans un contexte à la fois délicat et limitatif. Enfin et surtout, même si désormais sa vie ne tient plus qu’au fil des derniers arbitrages qui seront rendus, ne convient-il pas de permettre à M. Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier de l’hospitalité apaisée et confiante d’un établissement qui ne soit pas l’hôpital Sébastopol ? Là où, dans le contexte que l’on sait, se sont développées les circonstances qui nous consternent aujourd’hui, et alors que l’un des protagonistes de cette tragédie humaine affirmait sur France Info, de manière triomphale et sans la moindre retenue, qu’il considère comme une victoire de la « démocratie sanitaire » l’arrêt de la CEDH et donc la délivrance de M. Vincent Lambert…
Je veux dire, pour conclure, ma considération et ma sollicitude à celles et à ceux qui, directement ou indirectement, se sont trouvés ainsi impliqués dans un désastre dont on ne cerne que difficilement la portée. Qu’ils acceptent de comprendre que les positions que j’ai soutenues avec infiniment de respect à l’égard de M. Vincent Lambert et d’autres personnes confrontées à l’impensable et au si difficilement tolérable, sont celles que l’on se doit de tenir pour un proche en humanité. Si mes propos leurs sont apparus blessants, je leur prie de bien vouloir accepter mes excuses. J’ai le sentiment, contrairement à d’autres, que nous « avons perdu » avec cette conclusion du chapitre judiciaire, et qu’il y a urgence à analyser avec courage ce que signifie pour une société ce verdict de justice. Je suis convaincu que notre démocratie gagne à ce que l’on ne se satisfasse pas, dans un unanimisme complaisant et donc inquiétant, de résolutions qui pour le moins justifient qu’on en comprenne les justifications et les mobiles profonds. Que l’on en débatte ensemble afin de ne pas nous y enliser. Il nous faut désormais tirer les leçons du 5 juin, ne serait-ce que pour donner sens à ce temps d’attente et d’incertitudes qui, depuis 2013, a conditionné l’existence de M. Vincent Lambert aux péripéties de décisions judiciaires et d’un débat de société susceptibles d’affecter jusqu’à sa dignité même.
Avec d’autres personnes qui partagent ce point de vue nous avons décidé de prendre une initiative : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin ». Il nous faut avoir l’envie de renforcer nos solidarités, notre conception du bien commun, au moment où tant de signes en appellent au courage de l’engagement vrai.

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Fin de vie : ne plus se tromper de débat http://plusdignelavie.com/?p=2807 http://plusdignelavie.com/?p=2807#comments Wed, 25 Jun 2014 21:24:35 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2807 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

Du 11 au 27 juin se tient à la Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques le procès du Dr Nicolas Bonnemaison accusé de « sept cas d’empoisonnement sur personnes vulnérables, constitués par le fait d’administrer des substances de nature à attenter à la vie d’autrui ». De son côté, . . . → Read More: Fin de vie : ne plus se tromper de débat]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

Du 11 au 27 juin se tient à la Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques le procès du Dr Nicolas Bonnemaison accusé de « sept cas d’empoisonnement sur personnes vulnérables, constitués par le fait d’administrer des substances de nature à attenter à la vie d’autrui ». De son côté, dans un contexte certes fort différent mais particulièrement sensible, le Conseil d’État se prononce le 20 juin à propos de M. Vincent Lambert. Les circonstances semblent donc réunies pour favoriser à nouveau l’expression de controverses relatives à une dépénalisation de l’euthanasie, deux ans après l’organisation par François Hollande d’une importante concertation nationale sur la fin de vie. Il conviendrait, pourtant, de ne plus se tromper de débat : les positions ont évolué à la suite de la consultation menée depuis 2012. Et l’urgence n’est certainement pas de s’enliser dans des disputations qui n’ont plus lieu d’être. Pour autant que l’on souhaite véritablement des avancées conformes aux valeurs promues par notre démocratie.

Le 17 juillet 2012, peu de temps après son élection, François Hollande a souhaité une concertation nationale sur la fin de vie. Son propos : « aborder le sujet le plus douloureux qui soit : le droit à mourir dans la dignité, j’allais dire à vivre dans la dignité, car c’est le droit de chacun de vivre pleinement sa vie. » Avec une sagesse qui a favorisé les échanges et les approfondissements indispensables, le Président de la République s’est bien gardé d’engager, sans autre forme, une consultation publique portant sur l’euthanasie : « Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? Poser cette question c’est ouvrir une perspective qui elle-même entraîne un débat. Et les questions sont multiples. » François Hollande s’est employé depuis, en différentes circonstances, à susciter la retenue et la rigueur indispensables aux évolutions qui pourraient s’avérer opportunes, pour autant qu’elles procèdent d’un consensus national réellement attentif aux valeurs engagées.

Depuis 2012, les instances les plus compétentes ont rendu publics des rapports et des avis solidement argumentés : tous concluent au devoir de prudence et à l’exigence de discernement dans un contexte de hautes vulnérabilités humaines et sociales. Les positions discordantes, favorables à une avancée législative relative à l’euthanasie persistent encore, bien qu’affaiblies dans leurs affirmations par des propositions constructives profondément justifiées dont l’application semble s’imposer désormais. Elles relèvent, notamment, d’une prise en compte réelle de l’autodétermination de la personne malade à travers ses directives anticipées, d’une approche mieux instruite de la sédation en phase terminale. D’autres possibilités sont parfois envisagées comme le suicide médicalement assisté, non sans faire apparaître des obstacles pratiques dans leur mise en œuvre.

Au moment où certains doutent de notre démocratie, la concertation nationale sur la fin de vie atteste de la capacité de penser ensemble les domaines les plus sensibles, d’apprendre les uns des autres avec respect. Il ne saurait donc être question aujourd’hui d’accepter son instrumentalisation  au prétexte du procès du Dr Nicolas Bonnemaison qui débute le 11 juin à la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques. Cela d’autant plus que quelques jours plus tard, le 20 juin, le Conseil d’État devra statuer, dans un contexte pourtant totalement différent, sur le devenir de M. Vincent Lambert en situation dite pauci relationnelle à la suite d’un accident de la route.

À l’encontre même des personnes directement concernées qui se refusent pourtant à devenir les propagandistes d’une cause qui n’est pas la leur, nous devrions, une fois encore, être contraints au jeu de postures, aux propos péremptoires, aux affirmations excessives, qui, convenons-en, ont pourtant perdu depuis des mois en crédibilité. Que l’exploitation de moments médiatiques significatifs relève de stratégies éprouvées depuis des années par les partisans en France d’une loi sur l’euthanasie apparaît comme une évidence. Qu’en juin 2014 nous ne parvenions pas à nous élever au-dessus de clivages périmés pour éviter les vaines controverses qui acculent à l’immobilisme serait préjudiciable à l’intérêt général. Cela constituerait même une erreur politique pour ceux qui n’ont pas encore compris que le débat non seulement mérite mieux mais pourrait mener aux quelques évolutions fondées et souhaitables. En témoigne l’accueil favorable réservé aux propositions faites à sa demande au Chef de l’État, une parfaite compréhension également des réticences exprimées au regard d’une évolution législative dont on ne maîtriserait pas les conséquences.

Les circonstances ont permis d’aller plus avant encore dans la concertation nationale sur la fin de vie, en bénéficiant de surcroit de l’intervention inattendue, jusqu’à présent remarquable, du Conseil d’État. Dans sa décision du 14 février 2014 à propos de M. Vincent Lambert, il a en effet sollicité différentes instances ou personnes représentatives de la réflexion éthique afin d’être en mesure de préciser ce qui relevait d’une obstination déraisonnable et du maintien artificiel de la vie dans la loi du 22 avril 2005 relative au droit des malades et à la fin de vie. Il convenait ainsi d’ajouter à la complexité d’approches en aucun cas réductibles à des considérations générales ou compassionnelles, l’intelligence d’un questionnement supplémentaire. Cette initiative devrait, pour le moins, inciter à l’humilité dans nos décisions, y compris lorsqu’elles relèvent d’une procédure collégiale elle aussi estimée trop souvent aléatoire, dès lors qu’elle identifie ces imprécisions, voire des carences, qui jusqu’alors n’inquiétaient que peu de personnes. En fait, jusqu’à présent des décisions de limitation ou d’arrêts de traitements ont été prises sur des bases parfois approximatives, ou du moins qui auraient justifié des définitions rigoureuses et certainement davantage de transparence. Tant d’équivoques ne peuvent qu’accentuer notre vigilance et notre réticence à l’égard de toute mesure hâtive, pour ne pas dire irrémédiable.

Les « observations » transmises au Conseil d’État par les différentes instances saisies auront, c’est évident, un impact fort sur notre compréhension d’enjeux souvent oubliés ou négligés par ceux-là mêmes qui assumaient jusqu’à présent la discussion publique. Elles font apparaître des aspects inédits dans une réflexion qui s’avérait encore par trop lacunaire, ce qui n’a pas empêché certains d’invoquer l’urgence à légiférer. Comme en témoigne, lui aussi, l’important « Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie » proposé par le Conseil de l’Europe en mai 2014.

De telle sorte qu’en ce mois de juin, l’opportunité me semble davantage relever d’une synthèse de la concertation nationale menée depuis 2012 et enrichie par les conclusions attendues du Conseil d’État, que d’une nouvelle montée en puissance de controverses que l’on ne saurait plus comprendre. Il y a urgence à passer le cap des débats d’hier dans lesquels se complaisent ceux qui en font un prétexte idéologique, une manière d’affirmer une autorité bien dérisoire, voire une posture éthique pourtant inconsistante. Car ce qui est attendu, et notamment des responsables politiques, c’est qu’ils puissent désormais engager une réflexion sur les conditions de vie au quotidien des personnes vulnérables dans la maladie grave ou le handicap lourd. Une fois encore, leurs si justes revendications à une sollicitude humaine et sociale dans le long court de leur vie et de celle de leurs proches devient inaudible, et pour certain indécente, quand il n’est plus question publiquement que de déterminer les conditions de leur mort. C’est ce combat qu’il convient de mener au nom de notre démocratie et non celui, bien dépassé, du droit de mourir euthanasié.

Les circonstances sont réunies pour inventer et instaurer ensemble une autre approche de ce temps de la vie menée jusqu’à son terme, dans la dignité, respecté de tous. Il faut savoir désormais oublier les concepts et les mots qui nous détournent et nous exonèrent, sans plus véritablement convaincre, de nos obligations à l’égard des plus vulnérables parmi nous. C’est ce véritable courage qui est attendu dans les jours qui viennent.

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Peut-on parvenir à un consensus sur l’aide à mourir ? http://plusdignelavie.com/?p=2753 http://plusdignelavie.com/?p=2753#comments Sat, 08 Mar 2014 19:18:55 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2753 Par Corine Pelluchon

Philosophe, professeure à l’université de Franche-Comté

Est-il possible de parvenir à un consensus ou à un désaccord raisonnable sur la réponse législative à apporter à l’accompagnement de la fin de vie ? Présentant les arguments qui divisent les citoyens sur une éventuelle loi en faveur d’une aide active à mourir, cette . . . → Read More: Peut-on parvenir à un consensus sur l’aide à mourir ?]]> Par Corine Pelluchon

Philosophe, professeure à l’université de Franche-Comté

Est-il possible de parvenir à un consensus ou à un désaccord raisonnable sur la réponse législative à apporter à l’accompagnement de la fin de vie ? Présentant les arguments qui divisent les citoyens sur une éventuelle loi en faveur d’une aide active à mourir, cette note fait un état des lieux sur les avancées de loi du 22 avril 2005, en particulier en ce qui concerne l’encadrement des décisions d’arrêt et de limitation des traitements chez des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté.
Les articles 1111-4, 1111-13 et R 4127-37 sont examinés en eux-mêmes et à la lumière de l’affaire V. Lambert et la notion d’obstination déraisonnable, qui est au coeur de la décision médicale, est analysée. Il apparaît que, pour que le dispositif législatif actuel, qui met surtout l’accent sur la responsabilité médicale, garantisse davantage le droit des personnes à être soustraites à l’obstination déraisonnable et à l’ingérence d’autrui, des évolutions sont nécessaires.
La première recommandation est de rendre les directives anticipées contraignantes et obligatoires. Elles devraient porter sur le sens qu’a, pour chacun, l’obstination déraisonnable, c’est-à-dire sur les limites au-delà desquelles il estime que les traitements sont disproportionnés, dans l’hypothèse où il souffrirait de lésions cérébrales graves et irréversibles conduisant à un état de coma, à un état végétatif ou à un état de conscience minimale (pauci-relationnel). S’agissant des directives concernant les traitements à administrer ou à interrompre en fin de vie ou au stade final d’une maladie dégénérative, il faut plutôt s’en tenir à des directives anticipées de volonté. Car la personne peut changer et il faut aussi qu’un mandataire, comme dans le modèle allemand, vérifie qu’elles correspondent encore à sa volonté. Distinguant clairement les décisions d’arrêt et de limitation des traitements de l’euthanasie, cette note examine les cas-limites, comme les nouveaux nés atteints de malformations graves. Une sédation profonde et continue jusqu’au décès est recommandée. Elle devrait également être proposée aux malades en fin de vie, ce qui correspond aux recommandations du CCNE (seconde recommandation)…Lire la suite

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Colloque « Vulnérabilités, handicaps, discriminations : on en parle ! » http://plusdignelavie.com/?p=2578 http://plusdignelavie.com/?p=2578#comments Tue, 22 Oct 2013 15:04:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2578

DATE : Mardi 19 novembre 2013 de 9h à 18h

LIEU : Maison de la mutualité ADRESSE : 24, rue Saint Victor 75005 PARIS M° Maubert-Mutualité ou Cardinal Lemoine (ligne 10) Bus 47, 63, 67, 86, 87, 89 ENTREE LIBRE sous réserve d’inscription ET GRATUITE Participation aux frais laissée à discrétion

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DATE : Mardi 19 novembre 2013 de 9h à 18h

LIEU : Maison de la mutualité
ADRESSE : 24, rue Saint Victor 75005 PARIS M° Maubert-Mutualité ou Cardinal Lemoine (ligne 10) Bus 47, 63, 67, 86, 87, 89
ENTREE LIBRE
sous réserve d’inscription
ET GRATUITE
Participation aux frais laissée à discrétion

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Fins de vie, éthique et société http://plusdignelavie.com/?p=2121 http://plusdignelavie.com/?p=2121#comments Mon, 23 Jul 2012 10:10:44 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2121 Témoigner de manière digne notre considération à la personne, ne pas être indifférent à ce qu’elle éprouve dans ces temps incertains de la fin de vie, signifie qu’on refuse d’anticiper sa mort, que nous ne l’excluons pas de notre vie en lui contestant sa place au sein de la communauté humaine.

Nous touchons . . . → Read More: Fins de vie, éthique et société]]> capture-decran-2016-12-05-a-09-45-45
Témoigner de manière digne notre considération à la personne, ne pas être indifférent à ce qu’elle éprouve dans ces temps incertains de la fin de vie, signifie qu’on refuse d’anticiper sa mort, que nous ne l’excluons pas de notre vie en lui contestant sa place au sein de la communauté humaine.

Nous touchons là au principe même de la responsabilité humaine et de l’idée de dignité, dès lors qu’est ainsi confirmée à cette personne si proche du terme de son existence, si vulnérable, l’incontestable valeur de son existence parmi et avec nous.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie confère à de telles questions une dimension politique. Les conditions du mourir interrogent à la fois nos obligations humaines, sociales et les exigences du soins. Désormais doit s’instaurer au cœur de notre cité une nouvelle culture de la fin de vie, de nouvelles solidarités, des pratiques professionnelles différentes, au service de la personne malade et de ses proches. Cet ouvrage collectif réunissant 70 auteurs s’intègre à cette démarche qui tient pour beaucoup à la qualité des analyses développées à partir des pratiques. Ces situations toujours singulières, irréductibles aux débats généraux portant sur « la mort dans la dignité » justifient une exigence de clarifications, la restitution d’expériences et la transmission de savoirs vrais.
Fins de vie, éthique et société, propose dans une approche pluridisciplinaire, associant les meilleures compétences, la synthèse la plus rigoureuse et la plus complète de réflexions et d’expériences au cœur des débats les plus délicats de notre société.
Emmanuel Hirsch

 

Informations

Un ouvrage sous la direction du Pr Emmanuel Hirsch

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En savoir plus (site de l’éditeur)

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Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan http://plusdignelavie.com/?p=1891 http://plusdignelavie.com/?p=1891#comments Fri, 23 Mar 2012 12:01:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1891 Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en . . . → Read More: Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan]]> Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en faveur de l’extension de l’euthanasie aux mineurs (PDF)

Annexe : Belgique – Les limites du contrôle a posteriori selon les rapports de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (PDF)

 

La législation belge ayant légalisé l’euthanasie a dix ans. Entre 2002 et 2009, dernière année où le nombre officiel d’euthanasies est connu, 3.451 euthanasies ont été enregistrées. La coïncidence de ces dix ans d’existence avec le débat engagé sur cette question à l’occasion de l’élection présidentielle française justifie que l’on dresse un bilan de cette expérience. Le collectif Plus Digne la vie s’est livré à cet exercice, en adressant un questionnaire à l’attention de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs.

 

Un questionnaire de 14 items a été élaboré (cf. annexe). Il a été envoyé pour des raisons linguistiques à des professionnels de santé francophones, afin de ne pas s’exposer à des ambiguïtés d’interprétation. Afin que cette analyse colle au plus près à la réalité du terrain et ne soit pas basée sur un discours partisan (pro ou anti), ces professionnels ont été choisis pour leur expérience pratique dans le domaine de l’accompagnement de fin de vie, via les plateformes de soins palliatifs francophones. Pour une vingtaine de mails envoyés, nous avons reçu 19 réponses, montrant l’intérêt porté par nos collègues belges à la démarche.

Quatre réponses n’ont pas été exploitées (3 pour absence de réponse aux questions posées et une institutionnellement opposée à la pratique de l’euthanasie ne pouvant donc pas constituer un témoignage direct). Elles sont toutefois intégralement présentées en annexe.

 

Deux médecins, se déclaraient membres de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de la loi sur l’euthanasie et/ou responsables de l’ADMD. La première mettait en garde contre les risques de propos partisans (« les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement »). La deuxième jugeait au contraire que le questionnaire démontrait « une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique ».  Un troisième est responsable d’une plateforme régionale de soins palliatifs. Il écrit notamment « Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire… Si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal des euthanasies, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi) ».

 

Une dernière réponse émanait d’un établissement clairement positionné contre la pratique des euthanasies: «  Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. »

 

C’est donc un total de quinze réponses exploitables qui ont fait l’objet d’une analyse détaillée : 7 venant de médecins, 8 d’infirmières. Aucune de ces personnes ne se présente comme une opposante de principe ou comme ayant invoqué une clause de conscience personnelle devant cette pratique.

Treize disent même avoir l’expérience personnelle directe de pratiques d’euthanasie. Comme convenu au préalable, afin de leur permettre de s’exprimer en toute liberté, l’anonymat des auteurs est respecté. Le contenu des réponses a été conservé en l’état, sans aucune réécriture sauf la correction de quelques fautes d’orthographe. Elles ont été regroupées par thèmes.

 

Ces réponses donnent un éclairage intéressant sur la réalité de l’application de la législation belge et doivent nourrir notre discussion en France, puisque c’est souvent ce modèle belge qui est présenté comme celui devant inspirer la France.


I – L’analyse de la pratique au vu des trois objectifs fixés par la loi belge

 

La volonté du législateur belge en mettant en place la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie était triple :

 

  • Supprimer les euthanasies clandestines ;
  • Réserver aux seuls médecins la pratique des euthanasies ;
  • Garantir la mise en œuvre de la volonté du patient.

 

 

La loi a-t-elle supprimé les euthanasies clandestines ?

 

Les euthanasies clandestines (au sens d’injections pratiquées dans le but de provoquer la mort en dehors du cadre légal) semblent loin d’avoir disparu selon les témoignages des professionnels. Aucun de ceux-ci n’affirme d’ailleurs que ces pratiques n’existent pas, confirmant les données de la littérature, même si certains y voient un problème, quand d’autres pondèrent l’importance de ces pratiques illégales.

 

 

Certains interlocuteurs indiquent que ces pratiques existent mais leurs semblent moins fréquentes.

 

« Pour les euthanasies clandestines, non elles n’ont pas disparu, mais elles sont en diminution. Certaines sont pratiquées de manière tout à fait « sauvage » sans se référer ni à la législation ni à une procédure bien définie ».

« Les euthanasies clandestines sont risquées pour le médecin, puisqu’il peut être dénoncé par un proche et /ou un soignant ; et comme les infirmières de soins doivent participer à la réflexion par rapport à la demande, elles sont rarement enclines à couvrir les médecins qui ne respectent pas la loi. Par contre, comme la loi est exigeante, qu’elle demande du temps, certains médecins préfèrent accélérer la fin de vie, ou sédater le patient dés qu’il le demande. Mais ces pratiques sont en diminution. »

« La législation ne semble pas avoir réellement mis fin aux euthanasies clandestines. »

 « La question des euthanasies clandestines est secondaire. Il en existe toujours probablement mais si la légalisation a permis que certaines se fassent dans la légalité, et pas en cachette comme avant. C’est déjà très important. Ca prouve que ça peut se faire de façon correcte. Mais ça n’a pas changé le monde. Des euthanasies clandestines ça se fait encore bien sûr, pour éviter des papiers notamment. »

 « Les infirmières du domicile rapportent des pratiques qui les choquent comme l’augmentation des doses de morphiniques non justifiée par l’état du patient. Ces pratiques existent, sont difficiles à chiffrer. »

 « Je ne pourrais pas les chiffrer, je ne sais pas s’il y en a moins mais je me demande si elles ne sont pas devenues « normales » vu la désinformation médiatique qui parle d’un « droit » à l’euthanasie, en banalisant la chose, en éludant la réflexion autour de cette question éthique. »

 

 

Il existe une subtilité importante qui doit être comprise pour décrypter les propos des professionnels de santé belges. Certains ne qualifient du terme d’euthanasie que les pratiques d’injections létales répondant aux critères de l’article 2 de la loi. Toutes les «euthanasies» (comprises avec ce sens restrictif) sont donc par définition légales. Par contre toutes les injections létales ne sont pas légales. Ils parlent alors «d’accélération» ou de « mort donnée ». Il faut donc faire la différence entre ce qui est qualifié d’euthanasie, forcément légal, qui respecte la volonté exprimée du patient et les «dons de mort», pratiques illégales consistant à administrer une substance dans le but d’accélérer la survenue d’une mort proche sans volonté explicite du patient (Les études publiées semblent indiquer un rapport d’environ 1 contre 1 entre les 2 pratiques en Belgique[2]).

 

« Les médecins qui pratiquent l’accélération (augmentation progressive des antalgiques et/ou benzodiazépines pour des patients en fin de vie sans indication de soulagement avec intention de précipiter le décès, souvent avec l’argument que ce temps du mourir ne sert à rien et est éprouvant pour les familles et qu’il vaut mieux « déconnecter » ces malades) estiment, à tort, qu’il ne s’agit pas vraiment d’euthanasie. »

« Les situations de fin de vie dans des situations dramatiques où les doses sont un peu augmentées ne font pas partie à mon sens d’une euthanasie réelle au sens commun du terme. »

« Bien sûr qu’il existe toujours des « morts données » hors la loi et celles là, le plus souvent sans réelle demande du patient (on ne peut dès lors parler d’euthanasie selon les Arrêtés Royaux belges : euthanasie : « acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle –ci »). Je n’ai pas de chiffre à donner mais ces pratiques sont régulières. »

« Les partisans de l’euthanasie ont depuis la légalisation en 2002, établi des statistiques très précises sur le taux de « mort naturelle par euthanasie ». Les courbes ne démontrent pas un nombre croissants exorbitants d’une année à l’autre. D’autre part, la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’euthanasie affirme avec certitude que dans les dossiers reçus, aucune euthanasie n’a été pratiquée en dehors du cadre stricte de la loi. »

« La Commission fédérale de contrôle n’étudie les dossiers de demandes d’euthanasie qu’après la pratique de l’euthanasie. En effet, le médecin est tenu d’envoyer le dossier dans les trois jours qui suivent le décès de la personne. Ainsi, on peut imaginer que seuls les médecins pratiquant des euthanasies dans le cadre de la loi envoient leurs dossiers. »

 

« Ma pratique en Belgique a commencé dans une clinique privée où la vigilance et la qualité de réflexion des soignants sont mises à mal pour des raisons économiques évidentes. Ainsi, les premières euthanasies auxquelles j’ai assisté m’ont personnellement choquée : demande de la famille et non du patient, injection de potassium pendant la nuit, euthanasies en urgence dans un contexte de stress et de crise, euthanasie à la carte de personnes arrivant le matin inconnues par l’équipe soignante. Donc oui, les euthanasies ou meurtre par compassion ou économique existent. Mais rien ne les prouve, donc aucune estimation possible. »

 

 

La loi a-t-elle supprimé la pratique des euthanasies par des non-médecins ?

 

Certains de nos interlocuteurs affirment qu’ils n’ont pas connaissance de l’existence de telles pratiques, illégales pour la loi belge ou n’en ont pas été les témoins directs.

 

« L’injection létale, à ma connaissance, est toujours réalisée par le médecin. Mais pas toujours par le médecin qui s’est engagé auprès du patient. »

« Certainement pas là où les équipes de soins palliatifs sont présentes, et pas non plus dans les hôpitaux. La loi est claire, l’enfreindre est risqué ! »

« L’injection létale ne devrait jamais être pratiquée par du personnel infirmier mais il est très possible que ce soit quand même le cas. »

« J’ai lu des choses dans la presse mais c’est hors cadre légal. Il semble que dans certaines maisons de retraite des infirmières aient pratiqué des injections létales. Pour moi ce n’est pas de l’euthanasie, c’est un crime. »

 

 

Mais une majorité, notamment du côté des infirmières, confirme cet état de fait, déjà relevé dans la littérature[3].

 

« C’est au médecin de le faire, moi, en tant qu’infirmière, je refuse de le faire. Mais cela a déjà eu lieu bien sûr. »

« C’est interdit et les confrères prennent, ici, leurs responsabilités. Pour les « dons de mort » (accélération de la survenue du décès par injection létale en dehors d’une demande explicite du patient du fait de son état), c’est souvent l’infirmière qui pose la perfusion. »

« Tout dépend de l’endroit où vous travaillez. Lorsqu’une équipe soudée, intelligente, formée, en aucun cas le personnel infirmier ne pratique l’injection. En revanche, dans d’autres lieux, j’ai vu des collègues accéder à des ordres médicaux engageant leur responsabilité dans la pratique létale. Cela est inacceptable dans le cadre de la loi. »

 « Une collègue infirmière stagiaire m’a raconté comment dans un établissement, elle avait été envoyée pratiquer l’injection du fameux « cocktail » sans le savoir. Voila un exemple très concret de procédure d’euthanasie mal encadrée conduisant à une destruction psychologique de certains stagiaires et soignants. »

 

 

La volonté des patients est-elle respectée ?

 

Le dispositif permettant de respecter la volonté du patient quand celui-ci n’est plus en capacité de l’exprimer est peu utilisé (déclaration anticipée du patient, personne de confiance ou mandataire). En fait la demande est alors souvent le fait des proches. Pour les patients conscients, la vérification du caractère réitéré de la volonté du patient ne semble pas toujours assurée.

 

 « La volonté de la personne dans sa déclaration anticipée ainsi que la consultation de la personne de confiance, seront réalisées par les personnes qui suivent la loi et qui de ce fait sont obligées de remplir un questionnaire précis qui est adressé à la Commission de Surveillance. En ce cas en général, tous les éléments préconisés sont, je le pense et le souhaite, honnêtement colligés. »

« Les euthanasies pratiquées dans le cadre de la déclaration anticipée sont très peu nombreuses (cf. les rapports), elles concernent des réanimateurs puisque la personne doit être inconsciente. La grande majorité des demandes sont le fait de personnes conscientes, arrivées au terme de leur vie à cause de maladies (cancers ou maladies neurologiques le plus souvent). »

« Je crois que oui, la volonté de la personne est respectée mais elle est souvent mal comprise par les proches/certains collègues : un cas où la personne est arrivée consciente, donc hors contexte et où elle n’a pas souhaité qu’on l’euthanasie car elle était confortable et qu’on n’a pas fait de traitements qu’elle ne souhaitait plus (famille informée et soutenant son projet de soin) : médecin traitant nous a accusé à tort de non respect) ; une autre arrivée aux urgences comateuse suite à un accident routier : avant toute prise en charge, la famille a exigé l’euthanasie (qui ne s’est pas faite mais conflits). »

« La réponse faite par le premier médecin auquel le patient demande « la piqûre » me semble déterminante pour l’évolution de cette demande et je rencontre trop peu de médecins qui écoutent, analysent cette demande…La majorité apporte une réponse immédiate « oui ou non » justifiée par leur propre position « pour ou contre »…Et le patient est nié, sa demande non entendue et surtout sa souffrance derrière cette demande est ignorée… Alors, soit le patient se « braque » et exige à tout prix « la piqûre »; soit il trouve une autre personne qui saura l’entendre….mais la relation qu’il établira avec cette personne restera marquée par la première réponse… »

« A mon avis, la volonté de la personne n’est pas toujours respectée. La déclaration anticipée est valable pour 5 ans. Il faudrait que le patient auteur d’une déclaration anticipée convienne, avec un médecin qui accepte de faire l’euthanasie, des conditions dans les quelles il souhaite cette euthanasie. Il est difficile d’exiger d’un médecin, qui ne connaît pas le patient, de faire ce geste à froid, sans connaître les antécédents de ce patient. Qui, de plus, aura pu changer d’avis. L’entourage fait souvent pression sur le personnel de soins, pour activer les choses. L’acte d’euthanasie n’est pas une urgence : mais, soulager le patient, de sa douleur, de sa dyspnée, de n’importe quel autre symptôme, ça, c’est une urgence. Je me suis trouvée devant la situation suivante : une patiente m’est envoyée pour soins palliatifs, et prise en charge de fin de vie, d’un cancer évolué. La patiente est inconsciente, paisible. Elle sort d’un service d’oncologie, où elle a encore subi un nouveau traitement oncologique ! Après 48h dans notre unité, le mari apporte une déclaration anticipée d’euthanasie, signée 3 ans auparavant ! La personne de confiance inscrite sur la déclaration se contente de prendre contact par téléphone. La patiente était inconsciente, mais calme, elle est décédée 48h plus tard, sans euthanasie, et peut être sans que ses volontés n’aient été respectées. »

« Lorsqu’une lettre de déclaration anticipée est déposée à la commune (mairie) et que le médecin connaît bien son patient et ses volontés, enfin lorsque l’entourage proche est au clair par rapport à cela, la plupart du temps les déclarations anticipées sont respectées. Par ailleurs, nous avons été confrontés à des situations où la famille n’est pas en accord ou au courant des décisions du patient, ou bien le médecin n’est pas à l’aise ou opposé à la pratique de l’euthanasie. Dans ces cas là, d’autant plus que la personne n’est plus en état d’exprimer ses désirs, nous ne pouvons pas contrôler le respect des ses droit. En ce qui concerne la personne de confiance, cette notion est encore à débattre, nous sommes en train de réfléchir là-dessus car elle ne semble pas claire et mal définie. »

« Disons que les euthanasies ne se font pas toujours dans le cadre de la loi : dans certains cas : pas forcément d’accord clair du patient, ex : proposition par le médecin traitant à un patient âgé (non demandeur !!) de l’euthanasier, pas toujours de réel 2ème avis médical, patients non en mesure de s’exprimer avec demande de la famille et non de déclaration anticipée/personne de confiance, ou exprimé une fois seulement, décision rapide. »

« Il s’agit parfois d’une demande de la famille quand la personne n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, pas forcément de la personne de confiance. »

 


II – Les autres éléments d’analyse de la pratique belge de l’euthanasie

 

La loi a-t-elle modifié les pratiques d’acharnement thérapeutique ?

 

 

Le refus de toute obstination déraisonnable est souvent le fondement de la prise de position favorable à une légalisation de « l’euthanasie ». Il est donc intéressant de savoir si effectivement les pratiques d’acharnement thérapeutique ont diminué après la mise en œuvre de la loi. Il semble qu’il n’en soit rien. Au contraire même. Une des infirmières interrogées explique qu’initialement opposée au vote de la loi, elle considère aujourd’hui que l’euthanasie est la seule façon pour les patients d’échapper aux pratiques médicales déraisonnables et au manque de formation à l’accompagnement de la fin de vie.

 

« L’acharnement thérapeutique est toujours présent, car à mon sens les médecins n’ont pas compris ce que c’était. D’ailleurs c’est parfois difficile à définir clairement dans certaines situations cliniques. Donc ils le pratiquent sans réelle conscience d’en faire. Ils ne font pas le lien avec l’euthanasie, ça n’a rien changé. »

« Les patients souffrant de maladies neuro-dégénératives se voient proposer la mise en place d’une gastrostomie, d’une aide respiratoire, d’une trachéotomie, puis d’un respirateur, sans autre choix que d’accepter tous ces soins, jusqu’au bout. Quand doit-on parler d’obstination déraisonnable ? Si on ne propose des conditions correctes d’accueil aux patients qui refusent ce qui est programmé, ces patients n’ont souvent d’autres choix que de l’accepter, et s’assurer qu’une euthanasie pourra être pratiquée, quand ils n’en pourront plus. Mais l’alternative à ces traitements est rarement discutée avec le patient. »

« L’obstination déraisonnable persiste à grande échelle; ponctuellement, les équipes de soins palliatifs travaillent à la limiter; ce sont elles les moteurs de la philosophie de désescalade thérapeutique. C’est l’acharnement qui a souvent pour corollaire une demande d’euthanasie. »

« L’acharnement thérapeutique est une question bien au-delà de l’euthanasie. Il est une question à part entière. Je ne pense pas que l’obstination déraisonnable ait diminuée depuis 2002. »

« Les acharnements se portent toujours aussi bien. J’entends les commentaires des infirmières qui travaillent dans tous les services possibles, je donne quantité de formations dans les maisons de repos et la litanie est toujours la même : les médecins n’ont aucune formation, ne se forment pas, ne donnent pas d’antalgiques ou pas les bons, s’acharnent, n’écoutent ni les patients ni les soignants. Quand on met la charrue avant les bœufs : quand on donne une solution «facile» pour en finir avec une situation ingérable à des médecins qui ne savent pas quoi faire d’autre, l’euthanasie est une réponse évidente et elle devient une demande normale des patients qui ne veulent plus finir à petits feux en souffrant. Je n’ai été témoin que de deux demandes d’euthanasie mais j’ai bien compris les patientes qui malgré cela n’ont bénéficié que d’un acharnement de la part des médecins : alors, oui ma position n’est plus la même, mes certitudes se sont envolées, et comme ces patientes, je ne suis pas prête à souffrir pour rien… »

« La fin de l’acharnement? Non ! J’ai l’impression que ce sont les mêmes qui s’acharnent et qui euthanasient : ils restent dans le contrôle, le « faire », le pouvoir sur la vie, la mort, l’autre…. Je ne constate aucune diminution de l’acharnement, bien au contraire… »

 

 

Quels sont les impacts psychologiques de l’euthanasie pour les professionnels de santé impliqués ?

 

Aucune des personnes interviewées ne conteste l’impact parfois important des pratiques d’euthanasie sur elles-mêmes et sur leur rapport au soin. Ce point, peu étudié, mériterait d’ailleurs une plus vaste exploration. Il apparaît clairement que c’est une expérience psychiquement complexe, qui pèse lourdement sur les praticiens.

 

« Dans les médecins, il y en a pas mal pour lesquels cette démarche est très difficile mais d’autres pour lesquels cela ne pose aucun problème. »

« Certains soignants vivent très mal le fait qu’une euthanasie puisse être pratiquée dans leur unité de travail. »

« J’ai eu connaissance d’impacts psychologiques néfastes, notamment par une infirmière libérale qui n’était pas forcément à l’aise avec la question. Mais on a l’impression que s’est passé dans les mœurs et que chaque soignant subit (ou ne subit pas) sans rien dire. »

« C’est une loi qui demande du temps, de la réflexion éthique si on ne veut pas être mal. Les soignants, comme les médecins, ne sont jamais obligés de participer à un acte d’euthanasie. »

« Je rencontre des médecins qui acceptent et peut-être plus qui refusent ou qui ont peur et fuient… »

« Dans ma pratique, je constate que les médecins traitants, généralistes du domicile, oncologues ou neurologues qui connaissent leur patient de longue date sont sensibles à la souffrance de leur patient, ils ne le laissent pas tomber. Et ils demandent plutôt le soutien de leurs collègues pour vivre cet acte le moins difficilement possible, en respectant leur patient et en prenant soin d’eux aussi (faire l’acte en fin de journée, jamais seul, en parler…). »

« C’est compliqué sur le plan émotionnel. Moi je le fais pas souvent, mais quand je le fais, après, je ne suis pas bien. Je suis dans un état particulier, paisible, planant. Ça dure 2 ou 3 jours. Je le vis assez difficilement. Ça a des répercussions sur moi, il y a des implications personnelles. Si je ne me sens pas bien, je ne le fais pas de toute façon. »

« Bien sûr: personne ne sort intact d’un tel acte; a fortiori s’il se répète. La « souffrance » des soignants prend souvent, ici, tout son sens; j’ai reçu des témoignages poignants. La dépénalisation de l’euthanasie a clairement fait bouger les limites et va encore les faire bouger dans des domaines parfois moins soupçonnés, comme le don d’organe. »

« Cette expérience, au total très difficile et pénible dans le contexte d’une éthique narrative, a permis de fédérer pas mal de personnes et ce, dans une mesure absolument parfaitement inimaginable et également de pouvoir supporter cette démarche qui pour moi reste très difficile et angoissante. »

« L’objection de conscience ou la clause de conscience doit être respectée. Mais ils ont l’obligation d’envoyer les patients chez un médecin en accord avec la pratique de l’euthanasie. Dans la pratique même si la loi a été votée en 2002, beaucoup de médecins ignorent ou du moins ne savent pas comment cela se passe. Nous sommes alors confrontés à des médecins spécialisés ou étiquetés ‘Dr euthanasie’. En cas de refus de pratiquer l’euthanasie, on peut imaginer la difficulté et pour le médecin de famille et pour le patient de rompre cette relation de confiance, ainsi que sur la crédibilité de la médecine en générale : il y a les bons médecins d’un côté et les mauvais de l’autre. Certains médecins et en particulier les généralistes perçoivent nettement des pressions dans un phénomène de culpabilité. Notamment par les dénonciations des militants de l’ADMD qui pointe dans leurs journaux semestriels (magasine Kaïros) les mauvaises pratiques de certains médecins. »

« Il n’y a aucune étude faite sur le sujet. En revanche il est évident qu’une euthanasie n’est pas une pratique anodine, qu’elle implique des émotions violentes, plus ou moins fortes selon l’attachement ou le lien crée avec la personne. »

« J’ai constaté et accompagné la grande souffrance psychologique tant des médecins que des soignants confrontés ou auteurs de cet acte, avec souvent une mise à distance encore plus grande ou une fuite. »

« Il y a eu beaucoup de souffrance infirmier(e) dans l’accompagnement des patients entrant dans leur service pour être euthanasiés: la décision d’hospitaliser était médicale et prise sans concertation avec les soignants. »

« J’ai une collègue qui était psychologiquement très mal et incapable d’assumer mais qui se sentait obligée de dire oui (pas d’objection de conscience mais fragilité émotionnelle personnelle non respectée : haut risque de décompensation psy). »

« La conséquence de ce passage à l’acte euthanasique reste pénible pour la majorité, malgré l’aide solidaire de confrères choisis. »

 

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

 

La variété des actes tels qu’exposés indique probablement une absence d’unicité des pratiques, y compris sur la procédure pharmacologique, laissée à l’appréciation du médecin, alors même que la moitié des procédures sont effectuées par des généralistes au domicile.

 

« Il existe des kit d’euthanasie en pharmacie pour la pratique des euthanasies à domicile, ou en maison de retraite. »

« Quand l’acte d’euthanasie a été décidé, une date est fixée, en accord avec le patient. Le patient décide des personnes qu’il souhaite ou non, auprès de lui. Les membres de l’équipe de soins qui le souhaitent, et qui sont acceptés par le patient sont présents. On ne peut obliger un soignant à participer. Le médecin qui a accepté l’acte, doit le réaliser lui même, et rester présent à côté du patient jusqu’au décès. La perfusion peut être placée par l’infirmière, mais c’est le médecin qui injecte les produits. (DormicumÒ 15mg IV, pour endormir le patient, puis DiprivanÒ à 2 %, puis NimbexÒ[4]). La déclaration de décès est une déclaration de mort ‘naturelle’. »

« Les euthanasies autorisées par la loi sont effectuées soit à domicile soit en milieu hospitalier. Il existe sur le net une « recette » concernant cette euthanasie dont l’auteur est le Docteur LOSSIGNOL à Bruxelles[5]. Il faut savoir que les curarisants qui sont préconisés ne sont disponibles qu’en milieu hospitalier… »

« La commission fédérale de contrôle de la loi et les instances professionnelles médicales et pharmaceutiques se sont mises d’accord sur une procédure : injection en IV, par le médecin, d’une substance sédative, souvent d’abord le MidazolamÒ puis du PhénobarbitalÒ[6] pour endormir profondément le patient ; puis injection d’une substance curarisante, toujours par le médecin. Parfois une infirmière est présente, parfois un autre collègue (le 2ème médecin de la loi parfois) et toujours un proche. »

« Plusieurs fois, le patient avait demandé au médecin « vous n’avez pas su me guérir (ou vous avez fait telle erreur), alors vous devez me donner l’euthanasie »…et j’ai constaté que le médecin n’avait pas remis en question cet « ordre » déguisé… et s’est engagé à le faire comme pour réparer ses erreurs ou son impuissance. »

« En principe il y a un délai d’un mois, entre la demande et l’euthanasie, mais parfois on va plus vite. C’est le médecin qui juge, aussi en fonction du malade. Si on a une détresse respiratoire, on n’attend pas un mois, on pratique l’euthanasie dès que possible. »

« Cet acte est parfois pratiqué à la sauvette en exercice libéral en en parlant un peu à un confrère, notamment dans les maisons de retraite : pas forcément considéré comme un problème sérieux, à mon sens un peu banalisé. »

 

 

Comment est apprécié le critère légal de la souffrance psychique ?

 

Il ne semble pas exister de méthodes communes, de grille de lecture objective pour apprécier ce critère autorisé par la loi, permettant la mise en œuvre d’une euthanasie. Dès lors la notion de souffrance psychique est appréciée de façon différente selon les cas.

 

« C’est évidemment toute la difficulté que d’apprécier la souffrance psychique. L’équipe de soins partage ses impressions sur le patient. Un avis est toujours demandé au psychiatre de notre hôpital. Il faut identifier une dépression sous-jacente. Il faut s’assurer que le patient reçoive tous les traitements dont il a besoin : antidépresseurs, anxiolytiques. Les questions font débat : est-il normal ou non, d’être anxieux, ou triste quand on va mourir ? Quand la souffrance devient-elle, une souffrance psychique inapaisable ? »

« Constante, inapaisable, insupportable. Mais ne doit pas être le résultat d’un état dépressif majeur. Elle doit être liée à une maladie incurable. Les personnes ayant essayé de se suicider ou qui ont des idées morbides, mortuaires, n’entrant pas dans un contexte de chronicité d’une maladie incurable n’ont pas accès à la pratique de l’euthanasie. Un psychologue, voir psychiatre peut évaluer la personne. »

« Nous faisons toujours intervenir, en soins palliatifs, en plus des infirmières et des médecins, le psychologue qui atteste de cette souffrance et surtout de l’impossibilité de la faire diminuer par un travail de soutien thérapeutique. Si le psychologue estime qu’il faut attendre, laisser du temps encore, nous essayons alors d demander une hospitalisation dans une unité de SP. Si le décès n’est pas attendu à brève échéance (insuffisance cardiaque, maladie neurologique..), c’et un psychiatre qui doit être consulté en plus. »

 « La souffrance psychique est évidemment un critère très subjectif et il reste des médecins pour lesquels la souffrance est une des conditions de la nature humaine avec tout ce que cela peut comporter comme comportement et dérives. »

« C’est très subjectif : avant, on aurait accompagné, mais maintenant si le patient rejette tout y compris l’accompagnement/dialogue, on ne peut rien faire. »

« Subjectivement. De toute façon, le médecin n’est pas là pour donner son avis (jugement) mais pour bien s’assurer qu’il n’y a pas d’autre solution que celle demandée par le patient. »

 

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation obligatoire d’un second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

L’avis d’un second médecin semble être demandé selon des méthodes variables, y compris simplement sur dossier. Il ne s’agit pas ici de l’avis du médecin sollicité quand la mort n’est pas inéluctable à court terme et qui doit être un psychiatre ou un spécialiste de la pathologie concernée. Il s’agit du médecin qui doit, dans tous les cas, être consulté obligatoirement pour confirmer le caractère grave et incurable de l’affection.

 

« Dans notre unité, nous demandons avis à un cancérologue, (aux termes de la Loi, il faut demander l’avis d’un médecin spécialiste de l’affection dont souffre le patient). »

« La consultation du second médecin indépendant du médecin traitant peut être aussi singulièrement banalisée ou tronquée ; des documents arrivant uniquement pour justifier telle pratique alors qu’ils sont un peu éloignés de la situation en cause. »

 

« Elle est obligatoire pour toutes les euthanasies. Il y a un pôle d’aide, de conseils « End Of Life » qui conseille les médecins dans la pratique mais donne aussi une liste des médecins référents. »

 

« Dans les hôpitaux, ce sont souvent les psychiatres qui acceptent ce rôle ; à domicile, un certain nombre de médecins, formés en soins palliatifs, et notamment moi même, médecin de l’équipe du domicile, ces médecins acceptent de se rendre au domicile du patient pour écouter la demande, en discuter, à la demande du médecin traitant. »

« Le second médecin consulte le dossier et donne son avis. Pour ma pratique c’est souvent un oncologue qui confirme le caractère incurable du patient. Il ne le voit pas toujours le patient, mais répond en consultant le dossier. Moi j’accepte qu’il ne vienne pas. Parfois il vient voir le patient, parfois non. »

 

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

L’appréciation de ce critère semble pour nos interlocuteurs, comme le critère sur la souffrance psychique, varier largement selon les cas.

 

« Cela doit être inscrit dans le dossier envoyé à la Commission fédérale de contrôle. »

« Il n’y a pas de vérification. La réalité du terrain c’est qu’on fait le point sur l’histoire de la maladie, on fait ce qu’on peut pour qu’il soit confortable. Si la demande d’euthanasie persiste on est amené à faire l’euthanasie. Le dialogue et le suivi permettent d’en discuter ensemble. »

« Il n’y pas de vérification, à ma connaissance. A domicile, si il y a possibilité d’organiser des soins palliatifs auprès du patient, la réussite de l’entreprise dépend de la volonté de collaboration du médecin traitant, de sa disponibilité, et beaucoup, beaucoup de la collaboration des proches : il faut assurer les gardes de nuits (très difficiles de trouver des gardes, et très cher : 70 € la nuit), l’accueil des soignants, et assumer toutes les émotions de la perte d’un proche. 12 lits, pour 300 000 habitants, ne permettent pas d’accueillir tous les patients qui le souhaiteraient. Enfin, Soins palliatifs et Euthanasie sont parfois synonymes dans l’esprit du public : il faut encore beaucoup expliquer. »

« Le problème dans les demandes d’euthanasies pour lesquelles je suis intervenue comme infirmière de soins palliatifs était la façon dont le médecin qui avait donné son accord pour l’acte semblait présenter la venue des autres intervenants comme une obligation pour qu’il puisse poser l’acte …avec la conséquence que je rencontrais des patients qui me disaient « qu’est ce que je dois vous dire pour avoir droit? » et donc la rencontre, la relation avec ce patient m’est toujours apparue comme faussée, biaisée, impossible à « ouvrir » à une rencontre vraie… »

 « Il y a des euthanasies dans le service d’à côté, l’équipe mobile de Soins Palliatifs n’est pas vraiment consultée en général, et si elle est consultée, elle n’est pas forcément entendue (parfois il suffit que le patient dise qu’il en a assez de vivre, pour que l’on considère qu’il s’agit d’une demande d’euthanasie). »

 

 

Le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle 

 

Il est spectaculaire de prendre acte de la grande confiance faite majoritairement à cette commission, qui n’a jamais relevé aucune anomalie – autre que de pure forme – sur plus de 3 000 déclarations. Ce « zero default » affiché et cet unanimisme éveillent tout de même des doutes chez plusieurs professionnels.

 

« A ce jour, aucun dossier n’a fait l’objet de poursuite a posteriori. Je pense que, seulement quelques dossiers ont fait l’objet d’une demande de renseignements complémentaires. Je n’ai pas d’avis formel sur le fonctionnement de cette Commission, sauf, que chacun de ses membres me semble favorable à l’euthanasie. »

« La commission fédérale de contrôle, pour ce que je puis en savoir (en raison de la qualité des personnes qui y siègent), fonctionne correctement et en toute indépendance. »

« Persistance de l’idéologie du « droit à mourir » majoritaire dans le groupe. Impact dans la lecture des situations qu’elle considère systématiquement comme ‘dans le cadre de la loi. »

« Il y règne, clairement, une quasi unanimité qui pourrait être suspecte. »

« Vu la diversité des personnes présentes, j’ai tendance à leur faire confiance, et cela fait assez peur aux médecins de remplir le formulaire après, cela décourage certains qui préfèrent encore les pratiques clandestines de sédation et d’accélération ! »

« J’ai un regard de confiance. Aucune anomalie n’a été détectée depuis la mise en œuvre dans les cas déclarés à la commission. Ils n’ont jamais été obligés d’interroger directement le médecin qui a fait la déclaration. Mais je leur fais confiance. »

« Quel regard je porte sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle? Ironique. Il est illusoire de penser qu’elle peut garder un semblant d’objectivité et de crédibilité par rapport au contrôle. Sa composition laisse également à désirer. »

 

 

Jugement global ou remarques supplémentaires 

 

Certaines réponses à cette dernière question, ouverte, permettent de prendre conscience de la complexité de l’impact de la loi sur les pratiques en soins palliatifs. Une des infirmières témoigne de son changement d’avis sur la question, en constatant que face à la poursuite de l’acharnement thérapeutique et à l’absence de formation des médecins dans certains services, l’euthanasie apparaît aujourd’hui pour elle, comme la moins mauvaise réponse, faute de modifier les pratiques médicales défaillantes.

 

« Je pense que cette Loi sur la dépénalisation de l’euthanasie a été bien faite : le législateur a placé des gardes fous, prévu un délai ‘raisonnable’, pensé à interroger l’équipe de soins, demandé d’expliquer aux patients les soins palliatifs. Mais, je regrette que des patients demandent l’euthanasie,

  • parce que leur traitement antalgique est mal conduit ;
  • parce que les symptômes ne sont pas correctement pris en charge ;
  • parce que les patients n’ont pas accès aux soins palliatifs (manque de lits, temps de séjour limité à 28 jours) ;
  • parce que leur dignité n’est pas respectée en maison de repos (les normes prévoient 1 seule veilleuse pour 60 lits, en maison de repos…) ;
  • parce qu’il y a peu de place en maison de repos, pour les gens âgés de moins de 60 ans ;
  • parce que les maisons de repos sont impayables, et les soins aussi ;
  • parce que notre société a peu de tolérance pour les plus faibles : combien de fois entendons-nous, « à quoi, ça sert ? » ;
  • parce que, à l’approche des périodes de vacances ou de fêtes de fin d’année, on manque cruellement de soignants pour garder des patients au domicile. »

 

« J’ai rencontré des patients qui m’ont demandé une euthanasie par ce que je ne pouvais pas les garder en unité de soins palliatifs. »

« Personnellement, j’ai souhaité que des patients atteints de tumeurs évoluées de la face me demandent une euthanasie, mais ils ne l’ont jamais fait. Il m’est par contre difficile d’entendre une demande d’euthanasie que le patient justifie par la souffrance, tout à fait respectable, de devoir quitter son domicile, son entourage, ce qu’il aime, pour vivre en maison de repos. J’ai envie alors de rappeler des notions de solidarité familiale, sociale, de faire appel à l’imagination, mais je n’ai pas le droit d’imposer mes propres valeurs. C’est parfois bien difficile. »

« Je ne revendique donc pas ce type de pratique comme quelque chose de banal mais la loi permet curieusement des pratiques intéressantes et paradoxales. J’espère avoir répondu à vos attentes ainsi mais vous comprendrez qu’il s’agit d’un sujet qui est toujours délicats et/ou très s difficile même d’en parler sans parti pris et émotion dans la mesure où nous restons des soignants. »

«Je me suis battue contre l’euthanasie il y a dix ans, mais depuis, j’ai changé d’avis parce que je travaille dans une institution où les soins ne sont pas de qualité et où tout le monde s’en fout. »

« Un seul conseil : résistez ! »

« La loi va être modifiée. Une commission travaille sur les propositions d’élargissement. Le vote reste à venir. Par exemple sur la sanction financière ou non pour les établissements (par exemple catholiques) qui refusent de pratiquer l’euthanasie En fait à mon avis il n’y aura pas de sanctions au final. Par contre la loi devrait obliger qu’on propose au malade un contact avec des médecins d’accord pour pratiquer l’euthanasie. Ce qui se fait en Hollande est une piste : création d’équipes mobiles venant pratiquer l’euthanasie si le médecin s’y refuse. Je pense que la Belgique va adopter des mesures semblables. Moi j’ai beaucoup évolué sur ces questions. Au départ j’étais très réservé mais des situations m’ont fait réfléchir. Par exemple ce patient qui m’avait demandé l’euthanasie que j’avais refusé car sa situation ne me paraissait pas correspondre. Il est sorti du service et le lendemain il s’est tiré une balle dans la tète. Il s’est raté et je l’ai repris dans le service dans une situation abominable. Un autre cas m’a fait réfléchir : j’ai eu à m’occuper d’un jeune homme qui a fait une tentative de suicide par pendaison. Suite à l’hypoxie cérébrale il est resté gravement atteint. Je l’ai suivi 2 ans dans un état pauci relationnel avec une souffrance terrible. Je me dis que s’il était venu me voir la veille de son suicide en me demandant l’euthanasie, je l’aurais fait … »

« Pour le moment la loi n’autorise pas la pratique de l’euthanasie pour des personnes mineures (contrairement à la Hollande) mais les groupes de pression s’engage aussi dans ce domaine là pour élargir le champ des possibilités à des personnes mineures responsables. Le médecin de la structure dans laquelle je travaille a déjà pratiqué l’euthanasie sur une personne mineure. »

« Le plus gros problème pour moi c’est cette désinformation, banalisation médiatique et autre… les « gens » pensent vraiment qu’ils ont maintenant « droit » à l’euthanasie et les familles pensent qu’elles peuvent l’exiger pour un de leur proche…. Pour moi-même, dans l’état actuel des choses, je ne souhaite pas être euthanasiée et j’ai prévenu mes proches que je ne ferais pas ce genre de demande pour eux, que je ne voulais pas y participer. Par contre, j’ai rédigé un acte avec mes volontés précises de non acharnement et de demande de soins de confort et avec le désir que ma mort reste quelque chose qui m’appartienne et qui n’oblige ni mes proches ni un médecin et des soignants à pratiquer un acte aussi important et toujours extrêmement source de souffrance pour chacun. »

« Je travaille depuis plusieurs années dans une unité qui pratique les euthanasies ce qui me pousse dans mes réflexions personnelles et me donne l’opportunité d’exercer mon jugement. Il est souvent difficile pour moi de travailler dans ce service, car je suis profondément convaincue au fil de mon expérience de la non-nécessité de légaliser l’euthanasie. »


Conclusions

 

Plusieurs conclusions ressortent clairement de cette enquête :

 

• L’objectif principal assigné à la législation belge n’a pas été atteint : elle n’a pas mis fin aux euthanasies clandestines. D’autres que des médecins sont toujours impliqués dans la réalisation d’injections létales (donc hors cadre légal, ce qui rejoint le premier point). Des infirmières, voire des stagiaires ont pu en être chargées. La volonté de la personne n’est pas systématiquement prise en compte.

 

• La législation belge n’a pas fait échec à l’acharnement thérapeutique, qui reste une réalité forte et qui peut même être la principale justification de la demande d’euthanasie.

 

• La procédure qu’édicte cette législation n’est pas toujours respectée ; le second médecin consulté peut statuer simplement sur dossier sans voir le patient; on ne peut pas s’assurer que l’obligation d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs soit remplie ; la notion de souffrance psychique peut être appréciée de manière très différente.

 

• Le contrôle de l’application de la loi éveille des doutes. Officiellement les 3 451 euthanasies pratiquées entre 2002 et 2009 ont été entièrement conformes à la loi. Cependant plusieurs professionnels s’interrogent sur le fonctionnement d’une institution de 16 personnes où semble régner une quasi unanimité. Cela conduit à se poser des questions sur l’efficacité d’un contrôle, qui dans un domaine aussi complexe, ne constate aucune méconnaissance de la loi, alors que les témoignages recueillis montrent l’inverse.


Annexe 1 : questionnaire adressé à des équipes de soins palliatifs belges

 

  1. La légalisation de l’euthanasie en Belgique a–t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?
  2. Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?
  3. La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?
  4. Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique ?
  5. Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?
  6. Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?
  7. Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?
  8. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?
  9. L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

10.Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

11.Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

12.Quel regard portez vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

13.Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

14.Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?


Annexe 2 : Les quatre réponses non exploitables

 

 

Une réponse d’un chef de service soins intensifs

 

« J’ai pris connaissance de votre demande d’information par les médecins travaillant en soins palliatifs sur l’application de la loi sur l’euthanasie en Belgique, en espérant recevoir de leur part de nombreux exemples de dérives. Je crains bien que je ne vais pas par un simple message modifier votre manière de voir les choses. Votre questionnaire démontre pourtant une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique. Depuis dix ans que la loi existe les esprits ont évolués substantiellement et surtout parmi beaucoup de médecins confrontés à des demandes d’euthanasie et travaillant en soins palliatifs. Beaucoup d’euthanasies sont effectuées dans des unités de soins palliatifs ou après que les patients demandeurs aient été pris en charge par des médecins spécialistes en soins palliatifs. Au moins une déclaration sur deux envoyée à la commission d’évaluation mentionne la participation de structures palliatives à la prise en charge du patient, à la décision et à l’application du geste euthanasique. L’euthanasie, comme le prévoit la loi, est un acte qui ne se fait qu’à l’initiative du patient, dans le cadre d’un suivi thérapeutique au long cours et suivant des modalités de dialogue, d’entretien avec les proches, de prise en charge typique d’une philosophie des soins dont se réclame les soins palliatifs. »

 

Il conseille de consulter le dossier : Euthanasie et soins palliatifs en Belgique,10 ans après la dépénalisation de l’euthanasie.

Il fait également parvenir des témoignages assez idylliques, recueillis par la commission d’évaluation elle-même dont il fait partie.

 

« Le patient a lutté pour la vie dans les camps de concentration et demande actuellement une mort digne. (Homme de 88 ans atteint de leucémies). »

 

« En milieu hospitalier, après une belle et très humaine discussion, en présence de l’infirmière en chef du service d’oncologie, entourée de ses deux fille et de sa soeur. (Femme de 68 ans cancer du pancréas). »

 

« C’est une chose heureuse que cette loi qui permette un geste d’humanité au médecin et une mort douce au patient entouré de tous les siens. (Néoplasie pulmonaire chez un ho de 69 ans). »

 

« C’était ma première euthanasie en 20 ans de soins palliatifs au domicile. Expérience très marquante, tout le reste devient secondaire dans les jours avant, le jour même et le lendemain. Mais cela amène un immense soulagement pour l’entourage, les soignants et le malade lui-même dans une telle situation. C’est une richesse d’avoir une loi qui permet d’aider nos patients de cette manière. Signé : un médecin catholique qui ne regrette pas d’avoir fait le pas dans cette direction. Merci. (Néoplasie ORL et envahissement carotidien). »

 

« Nous nous étions réunis, la famille et toute l’équipe soignante de l’unité oncologique et des soins palliatifs qu’elle avait fréquenté depuis certains deux ans , dès 18h pour un dernier rendez-vous “festif”. La patiente a remercié chaque personne qui était là puis s’est endormie paisiblement. (28 ans cancer métastasé du sein; décès à 20h.) »

 

« Le patient m’attendait sereinement et avait mis son plus beau costume et ses souliers vernis pour partir “en beauté”. Ses deux fils dont un est médecin avaient passé la dernière journée avec leur père et l’ont accompagné jusqu’au bout mêlant chagrin et humour. (Néo pulmonaire homme de 78 ans). »

 

« La patiente m’a appelé un dimanche. Toute la famille et de nombreux amis étaient présents. Elle a voulu que l’on partage un dernier repas puis après avoir fait lire devant tous ses dernières volontés, elle a dit au revoir à chacun puis s’est endormie paisiblement dans le salon entourée de tous dans une véritable cérémonie d’adieu simple et très émouvante. (42 ans cancer du sein, métastases pulmonaires, hépatiques et cérébrales : deux ans de chimio-radio et chirurgie). »

 

• Réponse reçue également d’un chef de clinique, soins supportifs et palliatifs. A noter que finalement et contrairement à ce qui était annoncé dans le message ci-dessous, aucune réponse au questionnaire ne nous est finalement parvenue.

 

« J’ai reçu via l’association des soins palliatifs de la province de Namur un questionnaire concernant la pratique de l’euthanasie. J’y répondrai avec plaisir mais sachez que cette procédure risque d’être faussée par des propos partisans. En tant que responsable du Forum EOL (End of Life), vice président de l’ADMD Belgique et surtout comme médecin, je tenterai de répondre au mieux à votre requête. Cela étant, les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement. Sachez également que la commission d’évaluation et de contrôle publie régulièrement un rapport sur les cas déclarés en Belgique, qu’elle est pluraliste et n’a jamais eu à transmettre un dossier à la justice. Voir http://www.ieb-eib.org/nl/pdf/rapport-euthanasie.pdf »

 

• Réponse reçue d’un président de fédération de soins Palliatifs, responsable d’une plate-forme provinciale de soins palliatifs

 

« Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire. La nature de vos questions est même apparue comme très heurtante par bon nombre de praticiens en soins palliatifs. Un biais important semble bien y transparaître au long des questions posées. De plus, si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal qui est le nôtre, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi). »

 

« Par ailleurs, vous ne semblez pas tenir compte de la réalité légale belge et de ce qu’elle a permis comme évolution dans la prise en charge de nos patients en termes de pratique de fin de vie.

 

« Nous avons un cadre légal, il se doit d’être respecté. Ce cadre légal, qui comporte – outre une loi concernant l’euthanasie – une loi sur le droit des patients et sur l’accès aux soins palliatifs pour tous, a favorisé un questionnement aux seins des équipes soignantes et a enrichi le paysage des soins palliatifs, plutôt que de le brimer de quoi que ce soit, comme certaines de vos questions semblent le sous entendre.

 

« Les patients sont, probablement plus encore qu’auparavant, respectés dans leurs choix, les soignants (y compris les médecins) restent libres de leurs opinions et pratiques.

 

« L’ensemble de ces lois favorise encore à l’heure actuelle la réflexion éthique autour de ces pratiques ; ceci constitue une ressource et une évolution indéniable dans nos pratiques et non pas un appauvrissement. Le débat, en Belgique, ne se pose plus en termes de « pour ou contre » une pratique légale de l’euthanasie. »

 

• Réponse reçue d’une maison de soins palliatifs construite suivant le modèle anglo-saxon.

 

« Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. Votre questionnaire a été soumis  à notre comité d’éthique, qui y a répondu brièvement.

 

« La légalisation de l’euthanasie en Belgique a-t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?

 

« Si l’euthanasie est « clandestine », il est bien évident qu’on ne peut facilement en évaluer la pratique. Nous ne sommes pas à même de répondre à cette question. Notre institution refusant d’un commun accord que des euthanasies soient pratiquées dans notre service. D’autre part, la loi n’a, semble-t-il, pas eu d’influence sur l’acharnement thérapeutique. Il semble que de plus en plus, surtout en Flandre, les soignants discutent avec les patients, dès le début de la maladie, du projet thérapeutique et du moment de l’arrêt des traitements.

Nous serons peut -être obligés d’évoluer vers une économie de soins vu la majoration des coûts des soins de santé… »

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

Les médecins qui pratiquaient les euthanasies avant la loi les réalisent maintenant en remplissant les critères de la loi.

 

« La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?

Nous n’avons jamais rencontré cette situation. A plusieurs reprises, nous avons rencontré des patients qui avaient rédigé leurs volontés de non acharnement et qui les présentent lors de leur entrée en unité. Comme nous affichons clairement notre position de ne pas pratiquer d’euthanasie dans notre service, les patients et leurs familles en sont informés. »

 

 

Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

« Face à un patient en souffrance et en demande d’euthanasie dans notre service, il nous arrive d’interpeller un médecin de soins palliatifs qui ne refuse pas de pratiquer des euthanasies. Celui-ci vient dans notre service rencontrer le patient et éventuellement sa famille. Cela permet au patient de se sentir entendu et respecté. Nous n’avons encore jamais dû procéder à un transfert du patient vers un lieu où l’euthanasie pourrait être pratiquée. Nous avons beaucoup réfléchi à cette démarche qui nous semble par certains aspects hypocrite (on fait faire par d’autres ce que nous refusons) mais qui respecte fondamentalement des valeurs plus hautes. »

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

 

Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?

 

« Nous ne sommes pas les seuls à refuser de pratiquer des euthanasies. C’est relativement bien perçu en général, mais certains patients ou famille pensent que le médecin a l’obligation de répondre à une demande conforme à la loi. »

 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?

 

« Les soins palliatifs n’ont pas été négligés (nombre de patients qui fréquentent les services, argent alloué aux SP…). La loi autorisant l’euthanasie sous conditions est sortie en même temps que la loi sur les soins palliatifs.

L’euthanasie ne concerne que peu de patients par rapport au nombre de patients pris en charge en soins palliatifs. »

 

L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

 

« Dans beaucoup d’hôpitaux confessionnaux, la décision de ne pas pratiquer d’euthanasie est prise. Dans d’autres hôpitaux, l’autorisation de pratiquer des euthanasies n’est pas clairement énoncée, mais personne n’est disposé à en pratiquer dans la structure. Sans doute, parce que les médecins francophones se rendent compte que gérer une demande d’euthanasie et l’appliquer selon les modalités de la loi prend énormément de temps. Par ailleurs, nos collègues qui pratiquent l’euthanasie se justifient par une volonté de bienveillance vis-à-vis des patients et tentent de ne pas le faire à la légère. Par contre, il existe un assez grand respect des positions devant la pratique de l’euthanasie dans la communauté médicale francophone. »

 

Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

 

« Psychologiquement, les soignants qui la pratiquent en sont perturbés ensuite. Ce qui permet d’aider les soignants dans leur souffrance psychologique, c’est d’avoir l’impression de poser un geste bienveillant pour le patient, de l’avoir respecté et accompagné jusqu’au bout. »

 

Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

 

« Théoriquement, les infirmières ne font pas le geste. Sauf exceptions, les médecins semblent être présents au moment de l’acte. A notre connaissance, nos collègues de soins palliatifs qui pratiquent des euthanasies sont toujours très engagés dans ces accompagnements. »

 

 

Quel regard portez-vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

 

« Vu de l’extérieur, cette commission n’est guère critique. Elle fait a priori confiance à tout le monde. Lorsqu’elle ouvre un dossier, il semble que ce soit souvent pour vérifier la façon dont l’euthanasie a été pratiquée. En effet, la loi ne spécifie pas la manière dont elle se pratique, mais il y a des règles de « bonne pratique ». Par contre, dans les demandes, on retrouve de plus en plus de cas psychiatriques (dépressions…) et de patients non cancéreux….La plupart des demandes le sont pour des souffrances psychiques. »

 

Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

 

« A notre connaissance, non. »

 

Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?

 

« Vous trouverez en pièce jointe l’argumentaire développé par le président du comité d’éthique de notre établissement. »

 



[4] NDLR : DormicumÒ (MidazolamÒ, benzodiazépine sédative) NimbexÒ (CisatracuriumÒ, un curare d’action rapide), DiprivanÒ (PropofolÒ, anesthésique d’action rapide).

[6] MidazolamÒ : cf. supra, PhenobarbitalÒ : il s’agit probablement d’une confusion avec le ThiopentalÒ (PenthotalÒou NesdonalÒ anesthésique barbiturique cité dans certains « protocoles » d’euthanasie.

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Éthique de la responsabilité, point de vue d’un père http://plusdignelavie.com/?p=1657 http://plusdignelavie.com/?p=1657#comments Tue, 14 Feb 2012 15:34:52 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1657 Cédric Gicquel

Membre du groupe polyhandicap France/Espace éthique/AP-HP

 

Tu veux rester à ses côtés Maintenant, tu n’as plus peur De voyager les yeux fermés Une blessure étrange dans ton cœur

Léonard Cohen, Suzanne

 

C’est donc un papa, un jeune papa, qui va parler de la responsabilité à travers . . . → Read More: Éthique de la responsabilité, point de vue d’un père]]> Cédric Gicquel

Membre du groupe polyhandicap France/Espace éthique/AP-HP

 

Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur

Léonard Cohen, Suzanne

 

C’est donc un papa, un jeune papa, qui va parler de la responsabilité à travers le prisme de son expérience.

Quelques éléments biographiques afin de mieux comprendre l’origine de cette parole.

Worou-Guillaume est né au Bénin, en pleine brousse, il y a cinq ans maintenant. Grossesse normale, pas de soucis particuliers, accouchement sans problème. Beau bébé, parents heureux !

Retour en France, à l’âge de 6 mois… Nous constatons des retards dans la motricité, des « angoisses nocturnes », des mouvements stéréotypés mais on nous dit que cela n’est rien, juste un peu de retard.

Au fur et à mesure, les déficits de motricité prennent de l’importance, des regards évasifs, un manque de tonicité nous inquiètent.

 

L’annonce implicite

Une kyrielle d’examens à Necker, une attente d’un diagnostic précis, un parcours du combattant pour trouver une prise en charge adapté avec ce leitmotiv de la part de certains médecins « arrêter de vous inquiéter, tout va bien ».

Arrive une IRM a deux ans, plus énigmatiques que les autres, mais toujours pas de diagnostic étiologique. Il n’y a pas eu d’annonce du handicap, il n’y a pas eu ce moment, cette date précise que de nombreux parents ont en mémoire où l’on vous annonce que votre fils est handicapé.

C’est une annonce implicite, qui se déroule sur des mois et des mois. Des allusions parfois à l’autisme mais rien de plus. C’est grâce à une psychomotricienne du CMPP, qui avait fait un stage au CESAP, que nous avons pu à la fois trouver une structure adaptée mais aussi un nom sur le mal de Guillaume.

 

Polyhandicap

Les médecins ne nous avaient jamais parlé de polyhandicap et nous découvrons ,au jour le jour, la signification de ce nom :polyhandicap.

Dans notre « malheur », nous découvrons que notre fils possède quelques acquis que d’autres non pas : il peut se déplacer à quatre pattes, il n’a jamais fait de crises d’épilepsie, il n’a pas de corset, il est en « bonne santé », pas de va et vient à l’hôpital, même pas de fausses routes pour les repas !

Ai-je eu de la culpabilité en regardant mon petit bonhomme qui ne marche pas, ne mange pas tout seul, fait de grands sourires, crie souvent, regarde le monde avec étonnement, a des crises d’angoisses , a des pleurs ou des rires incontrôlés, a des stéréotypies ?

Pas forcément, je ne me sens pas coupable, peut-être parce qu’il n’est pas sorti directement de mes entrailles. Par contre, souvent, je me sens coupable de mon incapacité à m’occuper de lui, à prendre le temps, à vivre à son allure.

« Avec eux, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange »

J.L Fournier, On va où Papa ?

Alors qu’est-ce qu’être responsable de son enfant ? Quelle est donc cette éthique de la responsabilité que doit cultiver le parent de tout en enfant, mais avec plus de force quand le petit d’homme est handicapé et qu’il est polyhandicapé.

 

Une éthique du quotidien

L’objet de la responsabilité c’est le vulnérable en tant que tel selon Paul Ricoeur, en ce sens l’enfant polyhandicapé est bien ce vulnérable car il ne possède pas cette autonomie minimale ; non seulement il ne la possède pas en acte mais il ne la possède pas non plus en puissance.

En ce sens, le sujet polyhandicapé est vulnérable à vie.

Cette vulnérabilité s’exprime dans le quotidien : Manger, se vêtir, se laver, être propre sont pour nous un combat au jour le jour.

Guillaume mange facilement, pas de fausse route si tout est bien mixé ou assez écrasé, il sait exprimer sa faim en se mettant devant le frigidaire et en grognant mais il ne peut ni boire ni manger seul ; il faut aussi se mettre à son horaire car il ne peut pas gérer sa sensation de faim et se met à pleurer en cas de retard.

Il en est de même pour le reste de la vie quotidienne, il faut s’adapter au rythme à la fois temporel mais aussi « acquisitionnel » de Guillaume. Bien qu’il fasse des efforts pour nous aider, nous sommes obligés de coller à ses capacités et non aux nôtres.

Mais le quotidien nous interroge aussi fondamentalement.

La question éthique se pose aussi de façon très concrète, dans le quotidien.

Guillaume depuis deux ans met sa main dans la bouche, se faisant baver et mouillant ses affaires ;cette stéréotypie lui est préjudiciable sur le plan physiologique (risque de déformation du palais mais également blessures aux doigts) sur le plan social (refus de la part des autres de rentrer en relation avec lui car il a la main pleine de bave) mais aussi sur le plan psychologique (il se coupe volontairement de la relation à autrui pour s’enfermer dans la succion de lui-même et concentre toute son attention sur ce geste répétitif).

 

Ces contraintes qui nous questionnent

Nous lui avons donc, après concertation avec l’équipe du CESAP, mis des attelles au niveau du coude qui l’empêchent de mettre sa main dans la bouche. Or ce système est une contrainte tout autant physique que psychologique et provoque de temps en temps des plaies sur les bras.

Depuis plus d’un an et demi, il porte ce système d’attelles en journée mais, aussitôt enlevées, il remet ses mains dans la bouche.

Quelle répercussion psychologique sur Guillaume avec cette contrainte quotidienne ? Une contrainte, donc, pour le « bien » de Guillaume mais qui nous questionne.

Autre contrainte, le brossage des dents.

Guillaume refuse catégoriquement toute intrusion dans sa bouche, s’il accepte les aliments dans sa cuillère, il est impossible d’introduire quoique ce soit d’autre. Tous les soirs, quand nous ne sommes pas fatigués, car parfois nous capitulons devant cette épreuve et pour lui et pour nous, il faut attraper Guillaume, le ceinturer et lui laver les dents : pleurs, cris et énervements.

Mais nous savons que si nous ne lui brossons pas les dents tous les jours, il risque des caries, des problèmes de gencives ,donc pour éviter une souffrance potentielle nous sommes obligés de lui faire violence. Une contrainte donc, pour le « bien » de Guillaume.

Couper les ongles.

Guillaume entre facilement en contact avec autrui avec ses mains, il attrape les cheveux, les visages, il faut donc lui couper les ongles assez régulièrement afin qu’il ne blesse pas dans sa prise de contact mais aussi qu’il ne se blesse pas lui-même (régulièrement, il se griffe le bas ventre). De nouveau, nous sommes obligés de lui faire violence car il refuse de nous donner sa main, se met à gesticuler dans tous les sens : pleurs, cris et énervements. Ce sont ce que j’appelle des violences paradoxales, car elles sont produites avec une intention bénéfique pour Guillaume et pourtant elles sont éprouvantes, et pour lui et pour nous.

Le comprend-il ? Cette question me travaille toujours. Comprend-il que nous le faisons pour son bien, parce que nous l’aimons et que nous ne voulons pas qu’il souffre plus tard ?

Épreuve particulièrement culpabilisante, qui nous renvoie à notre propre violence, à nos limites.

 

Une responsabilité qui nous ouvre à nos limites

Les trois premières années, Guillaume ne dormait pas, toutes les nuits il se réveillait et pleurait, trois ans de nuits blanches où la violence monte en vous parce que vous vous sentez inutile, fatigué, limité dans votre capacité à être proche de votre enfant, à écouter sa souffrance et ses angoisses qui, littéralement, vous avalent.

 

J’ai eu beaucoup de mal à aimer mon fils, pendant les premières années de sa vie, je ne suis pas certain de l’avoir aimé comme il le méritait ; parfois encore je m’interroge.

 

Ses longues nuits blanches, baignées de larmes et de solitude, ses dangereuses bascules en arrière à tout moment qui faisaient que nous redoutions à chaque instant qu’il se fracasse la tête, m’ont épuisé et m’ont peut-être révélé à moi-même.

La vulnérabilité de l’autre, son extrême dépendance appelle aussi en nous une violence car elles nous demandent trop, car elles exigent une rupture dans la réciprocité, un oubli de soi qui n’est absolument pas naturel ; d’autant moins évidente dans une société qui nous habitue au tout, tout de suite et qui promeut la jouissance de soi avant l’effort sur soi.

Cette vulnérabilité met à mal tout espoir, toute normalité, elle nous renvoie à cette partie sombre que nous cachons derrière une sociabilité apparente.

N’est-ce pas terrible pour un père d’éprouver cette violence, cette impuissance ?

« Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière. » J.Green.

J’ai souvent cherché quelle pouvait être cette lumière qui pouvait être au bout de cette nuit, quelle aurore m’attendait ? Pourtant, le handicap de Guillaume m’oblige, à la fois à une connaissance renouvelée de moi-même et un changement de regard.

Je ne connaissais pas du tout le polyhandicap avant son irruption dans ma vie, et mon rapport avec le handicap était marqué par une certaine défiance, une certaine gêne, bien que mes conceptions morales me poussaient à une acceptation, toute formelle, de la différence et du handicap.

 

« Sculpter notre propre statue »

Peut-être que cette lumière c’est celle qui enrichit mon regard, lui donne l’épaisseur d’une expérience certes difficile mais qui petit à petit me transforme.

Plotin nous enjoint de ne pas cesser « de sculpter notre propre statue. » Le travail d’homme est ce long travail du négatif qui nous débarrasse de la gangue de nos imperfections qui masque le chef d’œuvre que nous sommes.

Nos enfants nous sculptent, nous taillent, nous arrachent à nous-mêmes ; en les éduquant, ils nous éduquent, en les accompagnant, ils nous accompagnent. Notre statue, notre œuvre est indéfectiblement lié à nos enfants, ils sont notre renaissance, notre deuxième vie si nous acceptons à nous mettre à leur écoute. La patience est une vertu, une excellence, elle est une vertu que les parents d’enfants polyhandicapés doivent apprendre à cultiver.

Nous n’avons pas la patience des anges, mais peut-être que nous apprenons à la posséder, du moins c’est ce que j’expérimente chaque jour.

« Vous devez vivre au jour le jour. Vous ne devrez pas être obsédé par l’avenir.

Ce sera une expérience très dure mais vous ne la renierez pas. Vous en sortirez meilleur.

Ces enfants naissent deux fois. Ils doivent apprendre à se mouvoir dans un monde que leur première naissance a rendu plus difficile. Et la seconde dépend de vous, de ce que vous saurez lui donné. Mais, au bout du compte, pour vous, aussi, ce sera une renaissance. »

G.Pontiggia, Nés deux fois.

 

Je crois que dans ce texte se concentre toute la vie d’un père d’enfant handicapé.

« Vivre au jour le jour… » Les progrès de Guillaume se font sur un fond d’incertitudes, il devrait marcher mais parlera-t-il ? Dira-t-il un jour « papa » ?

Accepter ce que nous voyons aujourd’hui, ne pas se projeter pour ne pas se fracasser mais pour ne pas fracasser non plus son enfant, le perdre dans nos propres exigences de normalité. C’est aux parents de faire le deuil, ce n’est pas à l’enfant de porter le chagrin de ses parents.

« Vous ne la renierez pas. » Oui, cette expérience est douloureuse, elle me renvoie à mes propres failles, mes propres limités, souvent nous pleurons moins sur le handicap de notre fils que sur notre propre douleur, notre propre image déformée que nous projetons sur Guillaume.

S’élever à sa souffrance et non rester enfermé dans notre souffrance, s’élever à ce qu’il est et non pas à ce que nous voudrions qu’il soit.

Il faut apprendre à dépasser la blessure narcissique pour (re)découvrir son enfant par-delà sa propre souffrance, on peut, alors, parler de « renaissance » car une relation plus singulière, peut-être plus réciproque peut, petit à petit, se tisser et se construire.

Mais pour le moment, je n’en suis qu’aux commencements, et cette « renaissance » n’est que conceptuelle et lointaine.

 

Une responsabilité de père

Être père, c’est être un passeur, c’est faire passer d’une rive à l’autre de l’existence, de l’enfance à l’âge adulte, de la dépendance à l’autonomie.

J’ai surnommé Guillaume, mon « petit Socrate » car il a un regard interrogateur sur le monde, il nous examine longuement, regarde les étoiles, ouvre ses grands yeux plein de reconnaissance pour ce réel qui s’ouvre à lui, bien que ce soit ce réel qui semble le faire souffrir et l’angoisser.

Et pourtant mon « petit Socrate » me cause bien des soucis, me pose bien des questions : quel est son avenir ?Pourquoi crie t-il ? A-t-il mal quelque part ? Va t-il marcher ? Pourra t-il dire un jour « papa » ? Que puis-je lui transmettre ? Pourrais-je lui faire goûter à mon amour pour Bach, m’extasier avec lui d’un couché de soleil en Aubrac, discuter avec lui, me disputer avec lui ?

Je dois faire le deuil de cet aîné qui ne sera jamais celui de mes rêves de père, de ces moments de complicité intellectuelle que j’attendais, que j’espérai, de celui auquel j’aurai voulu transmettre mes idées, mes passions, mes principes, quitte à ce qu’il les balance à l’adolescence pour mieux les redécouvrir -ou pas- à l’âge adulte.

 

Quelle liberté transmettre ?

La tentation demeure de refuser cette vulnérabilité afin de rester dans une posture d’incompréhension, de mélancolie ; pourtant, pour le bien de Guillaume, celui de sa sœur, l’acceptation d’une différence, d’une brisure dans la vie idéale est la garantie que cette vie même est ma vie, que j’en suis acteur, responsable. Je ne peux me défausser sur une quelconque malchance ou un destin immuable.

 

Quelle liberté puis-je transmettre à Guillaume ?

Car c’est bien cela, que peut offrir un père à son enfant, une liberté, pas seulement une autonomie matérielle et un bien-être, mais une liberté, c’est-à-dire une capacité de choisir sa fin, d’orienter sa vie et non pas la subir.

Quelle liberté pour Guillaume alors que les entraves physiques ne viennent pas d’une pathologie externe mais d’une faille à l’intérieur même de son être, une faille que nul corset, nul prothèse ne pourra compenser.

Le polyhandicap, ce n’est pas seulement une incapacité de se mouvoir physiquement, de répondre soi-même aux sollicitations primaires, c’est un « être-dépendant de », une vulnérabilité où se joue la vie et la mort.

Aujourd’hui, je ne sais pas quelle liberté je pourrai lui transmettre ; de l’affection, une présence, plus qu’une présence, une alliance même. Oui tout cela je suis capable de lui donner, mais ce qui fait l’essence même de la paternité, cette transmission je n’en sais rien.

 

Le chemin à trois

Les parents d’enfants handicapés doivent accepter, et cela n’est pas forcément évident, qu’un tiers vienne s’inscrire dans la relation éducative.

Ce tiers, c’est le corps médical qui s’impose du fait même du handicap, c’est aussi tous les réseaux de professionnels socio-éducatifs et para-médicaux.

Le sentiment de dépossession de son enfant s’accentue puisqu’il ne s’agit pas seulement d’accompagnement à l’éducation mais aussi de compréhension de la pathologie et du handicap.

Comment ne pas être déstabilisé parce cette ignorance qu’est la nôtre ? Comment ne pas culpabiliser devant nos erreurs, nos tâtonnements, nos questions devant les « spécialistes » du polyhandicap.

 

Cette expertise que produit l’alchimie des jours

On sait que cette déstabilisation entraîne frustration et culpabilité ce qui pourrait mettre un terme au prises en charge sous le prétexte que nous connaissons mieux nos enfants que les experts.

Certes, nous avons l’expérience du quotidien, nous avons cette expertise que produit l’alchimie des jours ; cependant, les professionnels apportent cette distance nécessaire qui peut donner de l’espace à vivre à nos enfants.

Nos projets de vie, tel que nous le demande la MDPH, peuvent les étouffer, un peu comme ces parents qui poussent leurs enfants à devenir médecins parce qu’eux-mêmes n’ont pas su l’être ; à 3,4, 5 ans, quel peut être le projet de vie de Guillaume ?

 

Lorsque j’ai lu ce passage dans la liasse de papier à remplir pour obtenir une orientation et l’AEEH , j’avais envie d’écrire « une bonne prépa pour intégrer l’X de préférence » ! L’attente des parents est tellement grande que le regard et le conseil des professionnels, sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, est nécessaire pour l’enfant. C’est pour cela que je parle de chemin à trois.

 

Nous devons nous défaire d’une toute-puissance, pour que nos enfants ne soient pas prisonniers de nous-mêmes : ils ont déjà assez de problèmes !

La réflexion éthique est donc capitale car elle recentre l’attention vers le sujet de l’accompagnement et décentre le parent pour laisser une place à l’enfant; c’est toujours l’enfant qui est accompagné, le parent, lui, est soutenu dans l’épreuve du handicap.

Ce soutien doit se faire avec les mots justes, ni une vaine compassion ni une distance stérile.

Et, nous, nous devons savoir que malgré tout le soutien possible, la souffrance se vit toujours tout seul, solitairement.

 

Une responsabilité politique

Être parents d’un enfant polyhandicapé est non seulement un chemin compliqué dans la vie au quotidien mais il l’est aussi, et essentiellement, quant à la recherche de prise en charge adaptée et de structures adéquats.

A titre personnel, ce parcours a été relativement rapide, nous avons eu une place au SESSAD en deux mois et une place à l’IME en une année.

Mais cela ne doit pas nous voiler la face sur toutes ces situations de détresses : les parents qui passent leur temps à l’hôpital, qui jonglent avec leur travail, l’angoisse de ne pas trouver une structure qui prenne correctement en charge leur enfants, les questions de vie et de mort qu’ils se posent chaque jour, car leur enfant est très lourdement handicapé….

En face de ces situations, des professionnels de qualité mais en nombre bien insuffisant, des structures qui manquent mais aussi des structures qui n’existent pas encore, plus souples par exemple pour les enfants régulièrement hospitalisés ou pour ceux dont le comportement les condamnent à ne pas trouver d’établissement.

On connait les causes de ces manques : budgets qui ne suivent pas, tarification peu adaptée, convergences tarifaires qui risquent d’aligner l’ensemble du secteur sur le moins coûtant et pas forcément sur le mieux qualitativement, contraintes administratives où la performance et la formalisation deviennent prioritaires, etc.

 

Quitter le costume de rentier, pour prendre celui d’ « investisseur »

Les parents ont donc une responsabilité de soutien non seulement dans leur service ou établissement mais ils doivent également s’investir dans les différentes instances, associations qui peuvent faire évoluer le paysage médico-social.

Cet engagement nous le devons à nos enfants, nous le devons aussi aux autres parents, aux autres enfants qui sont exclus de cette communauté de soin et d’accompagnement causée par la pénurie ; il s’agit en quelque sorte d’une solidarité, une réciprocité car ce que nous avons reçu c’est parce que d’autres se sont battus pour que nous l’ayons.

Il me semble impératif de sortir de cette logique de rentier et endosser l’habit d’investisseur, pas pour nous qui avons la « chance » mais pour ceux qui n’ont pas accès aux structures ou aux prises en charges adaptées.

Il faut investir dans de nouvelles idées d’accompagnement mais aussi de financement, nous ne devons pas nous retourner vers le passé et attendre tout d’un Etat-Providence qui, certes, a permit le développement de nombreuses structures mais qui a aussi déresponsabilisé la société sur le nécessaire devoir de solidarité envers les plus faibles.

 

Responsabilités de différence et de vulnérabilité

En effet, de l’Etat Providence nous sommes passé à l’Etat Maternel ou Maternant qui nous a habitué à tout attendre de ce monstre froid et anonyme, si bien qu’en période de disette économique, tout le système de solidarité nationale se paralyse.

Aujourd’hui nous en payons le prix : « Ah mais il y a l’Etat pour ça ! » ce qui permet à certains de s’exonérer ne serait-ce que de vous aider à porter une poussette dans le métro !

Entre libéralisme outrancier et étatisme, une nouvelle voie doit être tracée où la responsabilité du Bien Commun appartienne à chacun dans le concret de sa vie.

 

Enfin, il s’agit aussi d’une responsabilité sur la place de la différence et de la vulnérabilité dans notre société.

Il y a actuellement deux grands mouvements de fond qui me paraissent problématiques.

Le premier consiste à voir dans le handicap une sous-catégorie des minorités, visibles ou invisibles, peu importe.

Mais le handicap n’est pas une question de minorité, c’est une altérité radicale, une différence qui n’est pas un fait culturel ni historique mais une radicalité ontologique.

Participant d’une unique nature humaine, la personne handicapé manifeste que cette humanité n’est pas uniforme, elle est l’épiphanie d’un noyau de complexités, de rapports contraires, qui loin d’être une marque de déficience, est support d’une diversité et d’une richesse.

A l’heure de la grande uniformisation, à la recherche d’une humanité performante, belle, éternellement jeune, narcissique, les personnes polyhandicapées annoncent une vérité discordante : le réel ce n’est pas le même, le réel ce n’est pas forcément le beau médiatique, le réel est cette fascination du multiple et de l’altérité.

Nous, parents, nous avons une responsabilité politique, voir même anthropologique : clamer à temps et à contretemps : oui ce sont des hommes !

 

Pas une charge, mais un surplus d’humanité

Cette uniformisation est ce second moment, où le faible, le vulnérable est soumis à l’empire d’une pensée toujours plus normalisante.

Kant, dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs, nous a appris que l’homme ne saurait jamais être considéré comme moyen mais comme sujet, comme une fin. Au vu des défis de la bioéthique, de toutes les menaces qui pèsent sur la vie, on peut s’interroger si ce grand principe éthique est encore d’actualité.

Des pressions de plus en plus fortes, un vocabulaire de plus en plus déshumanisant, des rémanences d’eugénisme « soft » (propos d’un député sur la trisomie 21, sur une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue), avec en toile de fond une vision utilitariste et économique de la vie humaine.

Guillaume n’est pas une charge pour la société, il produit de l’intelligence, des solidarités, des engagements, de la recherche, des questionnements, nos enfants polyhandicapés sont une richesse pour la société car, si elle sait les écouter, ils lui apporteront un surplus d’humanité.

 

« Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore…l’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme.

La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté »

Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire

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« Dorénavant, je me contenterai du meilleur » http://plusdignelavie.com/?p=1446 http://plusdignelavie.com/?p=1446#comments Thu, 19 Jan 2012 11:38:03 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1446 Brigitte Savelli

Cadre socio-éducatif, hôpital San Salvadour, AP-HP

 

Le titre de cet article est une phrase de Winston Churchill. Cet homme courageux, avec l’humour qui le caractérisait, a eu cette réflexion lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’un mal incurable : « Dorénavant je me contenterai du meilleur. »

 

San Salvadour

Je suis arrivée . . . → Read More: « Dorénavant, je me contenterai du meilleur »]]> Brigitte Savelli

Cadre socio-éducatif, hôpital San Salvadour, AP-HP

 

Le titre de cet article est une phrase de Winston Churchill. Cet homme courageux, avec l’humour qui le caractérisait, a eu cette réflexion lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’un mal incurable : « Dorénavant je me contenterai du meilleur. »

 

San Salvadour

Je suis arrivée à l’hôpital San Salvadour en tant qu’éducatrice spécialisée en 1981.

A cette époque et depuis quelques années, l’hôpital s’était engagé dans l’accueil de personnes lourdement handicapées, le point central de leur prise en charge était un accompagnement au cas par cas, sans possibilité de récupération ou de guérison.

L’hôpital a construit alors sa modernité sur la prise en charge de 400 enfants et adolescents polyhandicapés ; toutefois ce terme à l’époque n’existait pas, on parlait alors d’encéphalopathes.

Beaucoup de ces enfants d’alors sont encore avec nous et ont vieilli. Mais durant ces années, la société et certains professionnels se sont mobilisés et il a été crée cette notion de polyhandicapé associée une réglementation qui sont les annexes XXIV ter. Le secteur médico-social a prévalu dans la prise en charge de cette population pendant que San Salvadour s’est resitué dans ses compétences en laissant aux structures EAP et MAS les sujets stables médicalement pour offrir son plateau technique à ceux qui présentaient une véritable vulnérabilité physique, telle que l’insuffisance respiratoire, gastrostomie, etc.

Aujourd’hui fort de son  savoir San Salvadour vit une nouvelle évolution. Nous recevons des patients en état végétatif persistant ou pauci relationnel. Ces personnes ont comme différence avec le PLH le fait que leur vie passée, pour eux même et leur proche était construite de repères et que tout a été remis en question à la survenue du traumatisme.

La situation de ces nouveaux patients a cette particularité qu’ils ne relèvent plus de services de réanimation ou d’aigu sans pouvoir être pour autant orientés vers un service de rééducation.

 

Une éducation conjointe

Pour être complet sur cette présentation, j’ajoute que dans le pôle pédiatrique nous recevons des bébés cérébrolésés, non polyhandicapés de naissance, mais dont un épisode aigu a laissé des séquelles graves.

Enfin dans le pôle adulte nous avions un service traditionnel de convalescence. Il s’est transformé aujourd’hui en service de médecine interne, avec hospitalisation de plus en plus courante de personnes atteintes de SLA ou pathologie chroniques sévères pour des séjours permettant un répit aux aidants ; hospitalisation qui peut aussi aller jusqu’à assumer un accompagnement palliatif.

Aujourd’hui, nous devons avant tout être en mesure d’accompagner leur cheminement pour répondre à la question centrale qu’ils se posent et qu’ils nous posent :

«  Que nous est-il arrivé ? Comment est-ce arrivé ? Est-ce possible ? »

Des questions différemment formulées mais qui peuvent se confondre qu’avec une seule question : « comment vais-je intégrer cet évènement dans ma vie, pour l’accrocher à ma vie, créer du sens dans cette contingence ? »

Il nous faut donc répondre à l’interrogation de l’absurde : qu’est ce qu’alors une vie bonne ?

L’équipe éducative que j’encadre peut s’appuyer sur une expérience et une connaissance d’une centaine d’histoires, de cas et plus du fait de mon ancienneté. Toutefois chaque cas se présente chaque fois dans une individualité originale.

L’éducation se fait conjointement sur la personne malade et ses proches.

 

Nous avons publié un numéro spécial de la revue « Reliance » aux éditions ERES et nous avons réalisé dans ce cadre un entretien avec le philosophe André Comte Sponville. A la question « comment peut-on vivre sans espoir, voire de désespoir ? » il nous répond par une parabole : un homme croyant se réveille un matin athée, pour autant rien ne change de ses convictions, il ne va pas s’adonner à l’immoralité bien au contraire, il réunit ceux qu’il aime pour leur dire : j’ai changé mais il n’y a rien de changé dans tout ce qui nous lie d’amour et de tendresse.

André Comte Sponville poursuit en nous disant : il y a quelque chose de désespérant dans la condition humaine en tout cas pour les athées puisqu’on meurt. Tous. Toujours. Ce n’est pas une raison pour ne pas aimer la vie, ce n’est pas l’avenir qui donne la valeur du sens, c’est l’attention, le désir, la volonté, l’action, l’amour.

Vous comprenez donc qu’une vie bonne, est ce qui se déploie dans le présent, ce que nous y mettons, ceci se renouvelant tous les matins jusqu’à… aucune importance.

 

Dans la boîte à outils : des logiciels, contacteurs et des recettes de cuisine…

Il s’agit maintenant de vous décrire ce que nous faisons.

On apprend et réapprend à communiquer, afin que chacun puisse avoir une action sur les choses, sur son environnement, tout autant que des moyens pour se détendre, penser. Très souvent le patient adolescent, adulte ne veut plus rien faire mais il va falloir aller au-delà de ça, éduquer et accompagner.

Chaque matin une proposition va être faite en fonction de l’état, des goûts, des possibilités. Cuisine, peinture, relaxation, communication par l’informatique assistée (avec surtout contacteurs et logiciels adaptés)

Au cours de ces ateliers des gestes de communication et d’action mobilisés dans l’activité sont les mêmes que ceux qui vont permettre de conduire le fauteuil, contribuer à l’autonomie. Pour accepter de faire l’effort de communiquer, il est nécessaire de passer par quelque chose d’attrayant qui  redonne entre autre  la possibilité d’aller vers autrui.

Notre boite à outils est constituée de logiciels, de contacteurs, mais aussi de recettes de cuisine. Un ensemble d’éléments destinés à redonner une capacité, une motivation à communiquer et surtout faire en sorte que chaque patient puisse ré advenir à l’état de sujet.

 

Il s’agit ici de faire intervenir et d’y associer les proches, car d’une part il faut donner les clefs de cette communication aux uns et aux autres, mais demander aux proches de venir dans ces ateliers, c’est également faire avec, recréer des ambiances du passé (l’odeur des recettes préférées préparées autrefois à l’occasion de certains évènements familiaux) relancer une dynamique de vie.

La famille n’est pas malade, elle est malheureuse. Cette constatation banale détermine pourtant les options qui pourront être proposées dans le cadre d’un accompagnement thérapeutique, mais le projecteur je le porte aujourd’hui surtout, sur l’enseignement, l’éducation que cela nécessite.

Le contact quotidien avec un proche qui n’a plus la possibilité d’être celui qu’il a été, consiste à passer son temps sans obtenir de réelles réponses aux incessantes questions et stimulations : « bouge ta main droite, ferme les yeux pour me dire que tu as compris… »

Ou encore des yeux rivés sur le saturomètre pour surveiller les constantes, tout cela peut être vécu comme une plongée dans un gouffre de tristesse. Pour amorcer une désaliénation du traumatisme nous avons opté pour une éducation qui institue, qui favorise une vie quotidienne, des temps de convivialité.

 

Déconstruire la représentation traumatique

Dans le passé, l’hôpital parisien de Garches organisait pour ses jeunes patients chaque été un camp sous toile dans notre parc. Cet espace surplombe la mer et a gardé longtemps le nom de « Camp de Garches »

Aujourd’hui ces séjours de Garches n’existent plus, mais ce lieu reste, nous l’avons réaménagé et nous avons proposé aux familles et aux patients  d’y créer un lieu de rencontre.

S’il existe un jour de la semaine où la solitude risque de paraître plus prégnante que les autres jours, c’est bien le dimanche. Le dimanche est un jour marqué par des représentations sociales de réunions familiales, détentes… Or imaginer ce que peut être de passer chaque dimanche dans une salle d’hôpital avec un proche marque d’autant plus cette blessure, cette mise à l’écart de la vie ordinaire. Nous avons donc invité les familles à venir y pique-niquer certains dimanches. Les patients selon leur état y participent également, une infirmière reste en permanence sur les lieux avec le matériel d’intervention d’urgence.

Chacun amène des plats cuisinés, l’apéritif est de rigueur, nous avons même, grâce à une famille d’origine espagnole réalisé une grande paella il y a une quinzaine de jours. Cette ambiance festive, avec même l’aumônier qui passe pour partager le repas à une des tables, participe largement à la déconstruction de la représentation traumatique.

Les rires fusent, les enfants (enfants de patients ou petits frères et sœurs) s’amusent… les parties de pétanque s’organisent.

Le camp de Garches est une appellation qui ne convenait plus aux familles, elles ont proposées de rebaptiser ce lieu : Cabanon. Ce lieu est aujourd’hui comme un palimpseste, c’est-à-dire un parchemin écrit et réutilisé pour un nouveau texte mais dont il reste possible de lire les anciennes écritures : celles de Garches, grand centre de rééducation parisien pour les polytraumatisés, celle du cabanon, lieu d’évasion s’il en est un, en Provence.

 

Une présence, pour sortir du dilemme

Enfin à propos de ces instants partagés, il nous faut dire que c’est au cours de ces moments qu’entre nous et les familles la relation devient plus fluide, plus facile. Là où parfois peut exister une méfiance, un refus de se raconter, ou se constituer un mutisme qui peut conduire ces familles à se figer, ce partage du temps, de l’action permet de convaincre de notre sincérité.

La confiance si nécessaire dans cette relation soignante n’a pas besoin d’être régie par des contrats ou par des règles formelles, elle prend appui sur des aptitudes morales : la loyauté, le tact, l’écoute, l’empathie.

Dans nos unités, quelque soit la gravité de la situation, nous n’avons quasiment jamais rencontré de demande d’euthanasie. Certes il existe une position dépressive qui sera encore  plus massive si le choix de la famille se résume au dilemme suivant : soit je m’enferme avec mon proche, soit je l’abandonne.

Nous tentons de les aider à sortir de ce dilemme par notre présence et notre force de propositions.

On va ré apprendre aux familles à reprendre le cours de leur activité, avec des allers-retours. Il s’agit là d’un véritable apprentissage, d’un retour à une autonomie qui peut aller jusqu’à aider une ou un très jeune conjoint à accepter l’idée que refaire sa vie va être de l’ordre du possible, sans pour autant passer par un abandon.

Mais pour cela il faut démontrer que cette présence-absence ne laisse pas le proche hospitalisé sans proposition de vie. Donner à chaque patient repère, environnement, moyens de communication, c’est permettre à toute une famille d’essayer de reprendre le cours de la vie.

 

En conclusion : dans ces situations nous comprenons que l’essentiel est de ne laisser personne sous le coup du traumatisme. Il faut accepter la quête de la justification. Ce que nous entreprenons dans le présent peut se comprendre, voire s’historiser qu’à la fin de l’histoire. Nous pensons bien entendu à la phrase de Malraux : « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie. »

Or ce qui est véritable défi pour la pensée est d’organiser des saillances, des reliefs dans le réel qui semblent s’être confondu avec l’absurde. Alexandre arrive à San Salvadour un soir d’août, il a 18 ans, est myopathe et vient en ambulance des Ardennes. Il croit arriver dans un centre de vacance médicalisé où il pourra se faire des copains. Il ne s’y retrouve pas du tout, il voudrait repartir le soir même, pétrifié par les patients qu’il rencontre et la vision tout de même hospitalière du service.

Nous le rencontrons le lendemain matin, très poli, mais très déterminé, nous faisant part de  sa volonté de vouloir repartir, nous comprenons, il appelle sa mère qui accepte immédiatement le retour. Mais à ce moment là un petit grain va venir interférer ; les ambulanciers vont appeler la maman pour lui signifier qu’un aller-retour d’un patient  Hyères Var / Les Ardennes avec une hospitalisation d’une nuit risquait de ne pas être pris en charge par la sécurité sociale. Mère et fils s’inclinent car le montant risque d’être exorbitant.

 

« Lui donner le meilleur »

Nous apprenons par un travailleur social du réseau myopathe qui s’occupe d’Alexandre, les raisons de sa venue : Alexandre est très sérieux, il a une scolarité satisfaisante pour son âge mais vit en huis clos avec sa mère, il n’a pas d’amis. Il habite dans un logement social assez exigu et n’a pour seule distraction la lecture et la télé, n’a pas encore de matériel informatique…

Pour ces professionnels, il était vital qu’Alexandre sorte de chez lui, car le monde clos dans lequel il vivait avec sa mère ne pouvait que renforcer un enfermement, un repli dont la première conséquence était la peur de vivre.

Est-ce qu’un enseignement voire une éducation peut dégager la pulsion de vie de son intrication mortifère pour que l’une pousse à la joie et l’autre à l’acceptation du risque ?

Comment éviter la mélancolie, c’est-à-dire la douleur de vivre jusqu’au bout de la dépression ?

Avons-nous fait son éducation ? Nous avons ménagé un environnement quelque peu étonnant pour une structure hospitalière. Nous l’avons aidé a surmonter ses craintes pour parvenir à réaliser des choses qu’il avait pu rêver mais qu’il jugeait inaccessible, paralysé par la peur d’avoir mal, comme se baigner ou faire du voilier…

Nous avons mis à sa disposition un portable adapté à sa motricité qui lui a permis de surfer sur internet après le lui avoir appris.

Il rêvait du Japon, de sa culture et également de pouvoir manger un jour des sushis, un éducateur et surtout une cadre infirmier se sont mobilisés pour l’emmener dans un restaurant japonais, je dis surtout une cadre  Infirmier, car toute sortie extérieure nécessite la présence d’une infirmière.

Lorsqu’il est parti, il s’était ouvert, avait réussi à se confier un peu plus, il nous a d’ailleurs dit qu’il n’avait imaginé qu’il existait des personnes plus handicapées que lui et même qu’il n’avait jamais rencontré de handicapé et il n’abandonnait pas l’idée de pouvoir revenir !

Nous avons tenté de lui donner le meilleur.

 

Il faut enseigner aux personnes, à faire avec le décalage entre les aspirations qu’ils ont, ou pu avoir, avec les propriétés du monde. Advenir à l’équanimité et à la capacité d’intégrer ces éléments de vie dans une harmonie.

Certes pour mener cela à bien il nous faut pratiquer une générosité empathique. Ni compassion fusionnelle, ni distance chosifiante, mais sans doute un véritable goût des autres.

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