Plus digne la vie » Lutter http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde http://plusdignelavie.com/?p=2878 http://plusdignelavie.com/?p=2878#comments Thu, 18 Dec 2014 12:23:17 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2878 Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde

Jean Fontant

Interne, président de l’association Soigner dans la dignité

 

Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l’association Soigner dans la dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

Nous . . . → Read More: Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde]]> Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde

Jean Fontant

Interne, président de l’association Soigner dans la dignité

 

Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l’association Soigner dans la dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

Nous voulons lutter contre les peurs entourant la fin de vie, la défiance entretenue par certains contre le corps médical, et contre un préjugé destructeur : non, on ne meurt pas en France dans d’atroces souffrances, les solutions existent mais manquent de moyens et de visibilité.

Les lois sur la fin de vie ne sont pas assez connues et appliquées. Ce constat unanime motive certains pour demander un nouveau texte. Nous refusons cette démarche. Le cadre actuel de 2005, reconnu et estimé à l’étranger, ouvre une troisième voie raisonnable entre acharnement thérapeutique et euthanasie. La priorité est de faire connaitre cette loi, et non d’en écrire une nouvelle.

Alors que le rapport que vont rendre prochainement Jean Leonetti et Alain Claeys à l’Assemblée Nationale devrait proposer des changements importants dans ce domaine, il nous semble important de revenir sur le cas de la sédation en phase terminale d’une maladie.

Ce procédé consiste à faire baisser la vigilance du malade de manière réversible dans les  situations extrêmes de souffrances liées à une angoisse forte, de détresse respiratoire ou de très rares douleurs réfractaires au traitement antalgique. Ce protocole n’intervient qu’en dernier recours, il concerne une très faible proportion des personnes accompagnées en soins palliatifs. En effet, les médicaments utilisés sont néfastes pour l’organisme, et peuvent abréger la vie du patient par ailleurs.

La loi encadre l’utilisation de tels produits. S’applique alors le principe du double effet : un tel acte médical n’est possible que si l’intention et la volonté du médecin sont d’apaiser les souffrances de la personne, et non d’abréger sa vie. Le critère d’intentionnalité introduit ici ne se réduit pas à un concept moral, au contraire. L’intention qui préside à la mise en place d’un traitement régi par le double effet est visible dans les doses mises en place. Les médecins recherchent en effet la plus faible dose efficace, pour minimiser les effets secondaires du produit.

Nous sommes alertés par certains propos tenus actuellement à propos de la sédation. On nous parle notamment d’un « droit à la sédation profonde et terminale », évacuant le principe du double effet. On autoriserait alors très clairement le médecin à donner la mort à son patient, en conscience. Il pourrait ainsi utiliser un sédatif à forte dose, sans que la loi ne prenne en compte son intention. Nous refusons le raccourci mensonger et malheureux d’une euthanasie par sédation profonde, hypocritement déguisée sous ce nom de sédation terminale. Cette mesure n’est pas un ajustement. Elle franchit une limite dangereuse : nous entrons dans la  logique euthanasique.

Nous payons aujourd’hui le lourd tribu du manque critique de praticiens formés et disposant des moyens nécessaires à accompagner le mourant dans le respect de sa dignité d’homme. Nous, soignants de la France de demain, voulons être une force de proposition au service d’une médecine à visage humain. Nous constatons l’urgence d’informer nos concitoyens sur la loi. Nous désirons être formés à l’accompagnement et refusons  toute mesure qui donne au médecin le pouvoir de mettre fin à la vie de son patient. Notre vocation de médecins reçue d’Hippocrate est de « guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours ». Nous sommes au service de nos patients, nous ne voulons pas d’une médecine qui distille la vie ou la mort à volonté.

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« Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné… » http://plusdignelavie.com/?p=2862 http://plusdignelavie.com/?p=2862#comments Tue, 28 Oct 2014 14:04:43 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2862 Mireille Depadt Philosophe

Si l’on m’avait demandé, il y a quelques années, comment je souhaiterais que ma vie se termine, j’aurais certainement répondu : sans que je m’en aperçoive, sans que j’aie le temps de souffrir, en pensant autant à la souffrance morale de la dépendance qu’à la souffrance physique et l’idée d’une fin . . . → Read More: « Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné… »]]> Mireille Depadt
Philosophe

Si l’on m’avait demandé, il y a quelques années, comment je souhaiterais que ma vie se termine, j’aurais certainement répondu : sans que je m’en aperçoive, sans que j’aie le temps de souffrir, en pensant autant à la souffrance morale de la dépendance qu’à la souffrance physique et l’idée d’une fin de vie relativement programmée par une maladie dégénérative me serait sans doute apparue commet une des pires éventualités, puisqu’à la déchéance et aux souffrances physiques devait s’ajouter l’angoisse d’une attente désespérée.
Et puis, cette maladie est arrivée. Peu après que j’aie eu 70 ans, on a diagnostiqué ce qu’on m’a dit être une « maladie des motoneurones », qui était en fait la SLA.

Elle a arrêté tout net ce qu’était notre vie, une vie de parents et de grands parents comblés, de retraités bien occupés, bien insérés dans le tissu associatif et culturel de la ville où nous vivions. Tout cela, brutalement, s’est effondré. Il ne restait plus que la perspective d’une évolution inexorable.
Une maladie grave, à cet âge, ce n’est pas un scandale. Il était normal que je me prépare à la fin. Mais la SLA, ce n’est pas « seulement » si l’on peut dire, une maladie grave qui peut amener à une issue fatale. C’est une maladie neurologique dégénérative, une maladie réputée « terrible », qui suscite l’effroi parce qu’elle s’annonce avec un pronostic « sombre » : mortelle à moyen terme et qu’elle condamne le malade et ses proches à vivre la déchéance physique dans l’absence de tout espoir. D’emblée, on sait qu’on ne guérira pas, que rien ne pourra réparer ce qui s’est détérioré et que les efforts pour lutter contre sa progression, non seulement ne serviront pas à grand chose, mais peuvent même produire l’effet inverse. Dès qu’on se sait atteint par cette maladie, on se sait condamné. Et, autour du malade, tous le savent.

Je n’ai jamais oublié le jour où mon mari a vu entrer dans son bureau, à l’hôpital, un collègue qui était aussi un ami, lui dire qu’il était « foutu » ; il venait d’apprendre qu’on lui avait diagnostiqué une SLA !
Si l’on m’avait dit, au moment des premiers signes, ce que serait ma vie quelques mois plus tard, j’aurais pensé, comme cet ami, que pour moi, « c’était foutu » ! Que je n’avais plus qu’à attendre la fin dans l’affaiblissement et la disparition progressive des fonctions de la vie.

C’est peut-être la raison pour laquelle je n’aime pas qu’on me rappelle ma maladie. Quand le nom de la SLA ou de la maladie de Charcot est avancé, c’est cette image sinistre qui vient avec elle. Or, dans cette image, je ne me reconnais pas, je ne me sens pas « malade » en ce sens.
Il ne s’agit pas de déni. Je sais bien que je suis atteinte de cette maladie terrible et que les aides qui me sont apportées sont les conditions de ma survie. Mais ma vie ne ressemble pas à ce que laisse penser la description de la maladie ; elle ne ressemble pas à ma propre anticipation de ce que je me voyais condamnée à subir.
Si j’avais imaginé au début, la vie qui est la mienne aujourd’hui, j’y aurais surtout vu le désespoir d’un bonheur perdu. J’aurais vu l’ombre sinistre de la maladie « mortelle à moyen terme » s’étendre tout autour de moi, et rendre douloureuses les relations avec ceux que j’aime, et puis j’y aurais vu toutes les incapacités, tous les handicaps qui me sont advenus comme une telle succession de pertes et de défaites. J’aurais eu du mal à y reconnaître une vie qui vaille la peine d’être vécue.

Les événements prévisibles sont en partie arrivés. Aujourd’hui, je ne peux plus parler et je suis hydratée et alimentée par une sonde gastrique. S’ajoutent à cela, une altération progressive des mouvements, des difficultés respiratoires et des étouffements qui me laissent parfois pantelante, comme vidée de toute force.
Les événements étaient prévisibles, mais pas la vie qui serait la mienne sous l’effet de ces événements, et qui n’est pas ma vie d’avant plus le poids de tous ces handicaps ou moins les capacités que j’ai perdues. Mais une vie différente.

Une amie très proche, qui est aussi atteinte d’une maladie neurologique, m’a posé il y a quelque temps cette question apparemment absurde : « si, par un coup de baguette magique, ou disons par une découverte extraordinaire de la médecine, tu pouvais effacer ta maladie, redevenir celle que tu étais avant elle, est-ce que tu le souhaiterais ? » et elle ajoutait : « réfléchis bien avant de me répondre. »
Qui, atteint, d’une SLA, ne souhaiterait pas retrouver la santé perdue ? Souvent je rêve que je parle, que je mange et que je bois normalement. Bien sûr que je « rêverais » comme on dit, de retrouver toutes les capacités que la maladie m’a ôtées.
Mais je sentais bien que cette réponse simpliste ne suffisait pas. Mon amie m’avait prévenue : « réfléchis bien » !
Et en y réfléchissant bien, je me suis rendue compte que la réponse n’était pas si évidente, et même qu’il n’y avait pas de réponse à cette question, que c’était une fausse question. Bien sûr que je souhaiterais être libérée de la maladie, qui ne souhaiterait pas être en bonne santé plutôt que malade ? Mais la maladie n’est pas un fardeau que je traînerais derrière moi et dont je pourrais être délivrée, pas plus qu’elle n’est un ennemi intérieur qui se serait insinué en moi et qu’il suffirait d’expulser pour que je me retrouve inchangée, telle que j’étais avant elle.

En fait, cette maladie n’est pas distincte de moi. Plus exactement, elle n’existe pas. Ce qui existe, c’est ce que je suis aujourd’hui, avec les handicaps et les faiblesses qui ne me sont pas seulement arrivés, mais qui m’ont changée. Je ne dis pas que j’aime ce que je suis devenue, mais seulement que c’est ma vie, ou plus exactement que c’est la vie pour moi, telle qu’elle est aujourd’hui et que l’idée que la maladie serait seulement un poids qui nous ralentit, un empêchement à être nous-mêmes, n’est pas une idée juste.

Il arrive qu’une amie qui m’a fait part de ses malheurs ou de ses souffrances, se reprenne en me disant : « je ne devrais pas me plaindre devant toi. Tout cela n’est rien auprès de ce que tu vis ! ». Ces mots me touchent par le souci d’attention dont ils témoignent, mais ils m’assignent le statut d’une exception tragique dans laquelle je ne me reconnais pas. Cette maladie ne nous met pas hors la vie.

Quand le diagnostic a été avéré, mon seul désir a été de me rapprocher de nos filles, de nos petit- enfants. Je savais que les déplacements deviendraient de plus en plus difficiles et je ne voulais pas être privée du bonheur de les voir aussi souvent que possible. Je savais qu’elles m’accompagneraient, que nous pouvions, mon mari et moi, compter sur leur aide. J’ai essayé au début de leur cacher la nature exacte de la maladie. L’idée de vivre ensemble le désespoir d’une évolution inexorable m’était insupportable. Mais elles ont très vite appris ce qu’il en était et nous sommes passées de la tristesse et de l’isolement, où chacune essayait de cacher aux autres ses angoisses, à la joie d’être ensemble dans une lucidité partagée. Aujourd’hui les choses sont claires entre nous, plus claires qu’elles ne l’ont jamais été. Nous vivons dans l’ouverture du présent, quel qu’il soit et, dans cette ouverture, plus proches que nous l’avons jamais été les unes des autres.
Personne ne peut souhaiter une telle maladie. Mais elle m’a donné à vivre des moments de grâce, des moments où plus rien ne me sépare de ceux que j’aime, où les nuages de la peur ont disparu, où l’air est clair et léger et où le temps même ne pèse plus.

Il m’arrive de penser que cette maladie – je parle de celle que je connais, la mienne -, dispose d’elle-même les conditions de la vie intérieure, de la spiritualité.
La violence de la secousse a fait tomber tout ce à quoi nous étions attachés, tout ce qui nous occupait. Elle a fait le vide. Mais dans ce vide, on voit bientôt apparaître une question qu’on ne s’était jamais posée, ou jamais avec cette nécessité et cette urgence : la question de ce qui fait la vie digne d’être vécue.

Hannah Arendt, au 20eme siècle, a repris la réponse de Socrate : « une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue ». J’ai souvent réfléchi à cette réponse et j’ai toujours pensé qu’elle me convenait. La maladie ne m’a pas fait changer d’avis, et pourtant tout a changé pour moi. Je croyais que la pensée, l’effort pour se comprendre soi-même ou ce qu’on vit était l’essentiel, ce qui fait que la vie mérite d’être vécue. Mais quand j’ai appris que j’étais atteinte de la SLA, je n’ai eu ni le désir ni la force d’essayer de comprendre ce qui m’arrivait. J’étais « sonnée », comme on dit des boxeurs qu’un coup trop dur a mis à terre. Et puis, j’ai entendu des mots qui m’ont touchée. Ils disaient cette chose toute simple, cent fois entendue : il faut vivre au présent. Mais ils m’étaient dits par le médecin que je voyais pour la première fois à la Salpêtrière et là, dans la clarté du diagnostic et la confiance d’une relation empreinte de bienveillance et d’humanité, je les ai vraiment entendus.
Ce n’était pas une révélation, mais ils m’ouvraient une nouvelle voie où la vérité devenait ce dont je faisais l’épreuve dans le moment où je le vivais et où l’attention à ce qui m’était donné devenait la seule règle. J’ai fait connaissance avec le mot, aujourd’hui rebattu et malmené, mais pour moi nouveau, de méditation et avec ce pas de côté, la vie a repris, autrement.
Je sais bien que les difficultés ne peuvent que s’aggraver, que l’évolution est inexorable, mais je sais aussi que la maladie, c’est encore la vie, et que la vie est par définition capacité de produire du nouveau, de l’imprévisible. A tout moment et dans toutes les circonstances.

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Sédation, euthanasie, suicide assisté : clarifier les termes du débat et préciser les enjeux des mois à venir http://plusdignelavie.com/?p=2402 http://plusdignelavie.com/?p=2402#comments Mon, 10 Jun 2013 08:12:34 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2402 Bernard Devalois

Médecin, responsable du service de Médecine Palliative, CHRD Pontoise.

Le rapport Sicard remis au Président de la République en décembre dernier et la récente prise de position du Conseil national de l’Ordre des Médecins ont semé un certain trouble. Après la prochaine . . . → Read More: Sédation, euthanasie, suicide assisté : clarifier les termes du débat et préciser les enjeux des mois à venir]]> Bernard Devalois

Médecin, responsable du service de Médecine Palliative, CHRD Pontoise.

Le rapport Sicard remis au Président de la République en décembre dernier et la récente prise de position du Conseil national de l’Ordre des Médecins ont semé un certain trouble. Après la prochaine publication du rapport du CCNE, saisi par le président de la République, le gouvernement devrait prochainement dire ce qu’il compte proposer comme évolution législative sur les questions de fin de vie, en application de la proposition 21 de F Hollande.

 

De quoi la sédation est-elle le nom ?

Une clarification de ce qui se cache derrière le mot sédation est indispensable pour comprendre les enjeux du débat autour de l’assistance médicalisée à la fin de vie. Le terme de sédation est flou. Il peut en fait désigner des actions médicales très différentes, notamment dans leurs implications éthiques. Il faut impérativement distinguer entre l’utilisation de traitements à visée sédative pour soulager un malade en fin de vie, et l’utilisation d’un surdosage pharmacologique pour faire perdre conscience à un malade alors qu’il n’existe pas d’indications médicales.  La sédation à visée palliative est bien différente donc de la sédation à visée euthanasique, qu’elle soit décidée par le médecin ou qu’elle résulte d’un droit à exiger une telle sédation par le patient.

Dans le premier cas, il s’agit de soulager des symptômes d’inconfort réfractaires (c’est à dire que l’on n’arrive pas à soulager). La démarche est purement bientraitante. Elle ne vise pas à provoquer la mort du patient mais à la rendre moins insupportable. Elle est toujours proportionnée à la souffrance qu’elle soulage. Elle est réversible. Elle peut être maintenue uniquement la nuit par exemple. D’autre fois il peut être décidé de la maintenir jusqu’à la mort, pour des patients dont la mort est inéluctable et chez qui on ne peut être sûr qu’il n’y a pas de symptômes d’inconfort. C’est le cas chez certains patients cérébro-lésés ou chez des nouveau-nés, notamment quand on arrête des traitements qui maintiennent artificiellement en vie. Les textes réglementaires français ont entérinés cette pratique en 2010.

Même s’il existe un risque d’accélérer la survenue du décès, cette sédation palliative est légale (article 2 de la loi de 2005) et légitime (conformément aux recommandations professionnelles). Elle ne pose pas de problèmes sur le plan éthique. C’est même sa non-mise en œuvre qui pourrait être considérée comme de la maltraitance. Lorsqu’un patient conscient et en toute fin de vie demande à être endormi en raison de tels ou tels symptômes, y compris une détresse psychique, il est du devoir des professionnels d’y apporter une réponse adaptée et proportionnée.

Mais d’autres utilisations de la sédation sont possibles. Jusque dans les années 80 c’était une pratique courante que d’accélérer la mort des patients considérés comme en fin de vie. Un mélange de produits, détournés de leur usage thérapeutique, était explicitement nommé « cocktails lytiques ». Désormais ces pratiques –sans aucune information et sans aucun consentement – ont disparu (on l’espère en tout cas !).

Mais le recours aux sédatifs plongeant un patient dans un coma profond jusqu’à la mort, sans que cela ne soit justifié par l’existence d’un symptôme réfractaire, est une pratique loin d’être exceptionnelle actuellement. Il s’agit alors, puisque la sédation n’est plus proportionnée à la souffrance, d’un surdosage volontaire. Et donc d’une manière indirecte d’accélérer la survenue de la mort sous couvert du terme de « sédation terminale», qui évite de parler d’euthanasie lente. Notons qu’aucun pays au monde n’a donné aux médecins le droit de pratiquer de telles sédations euthanasiques, qui sont donc pratiquées clandestinement.

Si la sédation devenait un droit du patient (comme il y a un droit du patient de refuser tout traitement), cela poserait encore d’autres questions. La création d’un tel droit – que certains évoquent ouvertement – serait (contrairement à la sédation à visée palliative) une forme de légalisation des injections létales. Cette sédation à la demande du patient serait bien le moyen lui permettant d’obtenir une assistance à son intention suicidaire. Il s’agirait donc bien d’une forme de droit à l’euthanasie similaire à ce qui est légalisé dans les pays du Benelux. Au nom de la prééminence de l’autonomie de décision du malade, elle s’imposerait au médecin sans que celui-ci ne puisse s’y soustraire.

 

Du droit à la sédation au droit au suicide…

Le droit à la sédation à la demande est donc un des moyens possibles du droit au suicide. Mais la liberté du suicide n’implique pas un droit au suicide entendu comme un droit à créance (un droit à une assistance au suicide par l’Etat).

Certains considèrent que la liberté individuelle du suicide repose sur la décision et que sa réalisation peut être déléguée à un tiers  — cette réalisation peut alors être confiée par la loi aux médecins. C’est ce qui a été légalisé dans les pays du Benelux, et c’est ce qui serait légalisé par la création d’un droit à la sédation. Mais on pourrait aussi imaginer d’impliquer d’autres catégories professionnelles, voire créer un nouveau métier !

D’autres, au contraire, considèrent que la mise en œuvre du suicide ne peut être séparée de la décision, et qu’aucun tiers ne peut être autorisé ou mandaté à mettre en œuvre pour autrui ce geste intime. La création d’un droit au suicide passe alors par la fourniture, dans des conditions strictes, des moyens pharmacologiques du suicide à ceux qui remplissent les conditions fixées, en les laissant réellement libres de l’utiliser ou non. C’est le choix qui a été fait en Oregon. Cette autre piste, plus respectueuse des droits individuels, donne des garanties indiscutables, puisque c’est le patient qui s’administre le produit.

Si en tant que médecin je n’ai pas d’avis à donner sur les choix de société qui seront faits en matière de droit au suicide, j’ai tout au moins un avis de citoyen. Et je pense qu’une société qui donne aux uns les moyens de se suicider aura du mal à lutter contre le suicide des autres.  Comment à la fois promouvoir le suicide assisté, et faire campagne contre le suicide des jeunes ou des personnes âgées. ? Le modèle libertarien me paraît aller à l’encontre d’une société solidaire des plus vulnérables. Plutôt qu’aider les gens à se suicider, nous devons les aider à ne plus en avoir le désir.

 

Alors quelles pistes pour le futur projet de loi du gouvernement ?

La France est le seul pays à avoir légiféré, dans la loi Leonetti, en 2005 puis en 2010, sur la possibilité de la sédation palliative. Loin d’être en retard, nous avons donc déjà un dispositif intelligent et novateur. Cela n’empêche pas de réfléchir sereinement à ce qui pourrait l’améliorer .En fait cinq pistes sont possibles :

 

  1. Le renforcement des mesures mises en place par la loi de 2005. Au moins 3 points pourraient être améliorés : les directives anticipées, l’incitation à la sédation à visée palliative, l’obligation faite aux médecins de respecter les volontés du patient, sauf justification collégiale.
  2. La création d’un droit pour les médecins à pratiquer des injections létales dans certaines circonstances, y compris par un surdosage de produits à visée sédative (pratiques actuellement illégales dans le monde entier mais qui existent – cf. par exemple affaire de Bayonne)
  3. La création d’un droit pour les patients à exiger une assistance médicalisée pour mettre fin à leurs jours, y compris par la réalisation d’une sédation jusqu’à la mort (pratiques légalisées dans les pays du BENELUX)
  4. La dépénalisation d’une assistance active ou passive  par un tiers pour le suicide d’un malade (situation existante en Suisse)
  5. La création d’une assistance pharmacologique au suicide par la fourniture des moyens de mettre fin à leurs jours aux malades en fin de vie (Death Dignity Act de l’Oregon et de 2 autres Etats des USA).

A mon sens, seule la première alternative répond aux impératifs de la devise républicaine (Liberté, Egalité, Fraternité) et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Tous les hommes sont égaux en droits et en dignité). La cinquième, si elle apparait logique dans une stricte approche libertarienne, nous promettrait un impact sociétal radical et terrifiant. Les 3 autres sont à éviter à tout prix en raison de l’implication des professionnels de santé – contraire à l’éthique soignante (2 et 3) – et/ou de l’intervention d’un tiers dans le passage à l’acte suicidaire (3 et 4). L’exécutif français puis le législatif vont devoir se positionner sur une de ces 5 possibilités. Chaque citoyen doit également y réfléchir. Et c’est autrement plus compliqué que de répondre à la sempiternelle question : « Alors l’euthanasie, vous êtes pour ou contre ? ».

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L’euthanasie médicalement assistée : une ignorance « civilisatrice » http://plusdignelavie.com/?p=2326 http://plusdignelavie.com/?p=2326#comments Wed, 27 Feb 2013 15:05:07 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2326 Gilles Freyer

Professeur de cancérologie au CHU de Lyon, vice-doyen et responsable de l’enseignement des sciences humaines et sociales à l’UFR de médecine et Maïeutique Lyon-Sud Charles Mérieux

Notre pays accomplira peut-être, dans les prochains mois, un pas décisif vers la légalisation de l’euthanasie médicalement assistée, rebaptisée pour la circonstance « assistance . . . → Read More: L’euthanasie médicalement assistée : une ignorance « civilisatrice »]]> Gilles Freyer

Professeur de cancérologie au CHU de Lyon, vice-doyen et responsable de l’enseignement des sciences humaines et sociales à l’UFR de médecine et Maïeutique Lyon-Sud Charles Mérieux

Notre pays accomplira peut-être, dans les prochains mois, un pas décisif vers la légalisation de l’euthanasie médicalement assistée, rebaptisée pour la circonstance « assistance pour mourir »1.

Pour une large majorité de nos compatriotes, la légalisation de l’euthanasie en finira avec le « mal-mourir » en France, imputable à des décennies d’archaïsme, de conservatisme idéologique et religieux ; dans le sillage de certaines démocraties européennes – Pays Bas, Belgique –, notre pays entrera ainsi résolument dans l’ère du progrès civilisateur : l’ère du « mourir dans la dignité ».

 

Dans l’idée de loi, il y a l’idée de généralité. Une loi n’est pas faite pour traiter des cas particuliers ou exceptionnels. Elle n’a de sens que si son existence procure, au total, davantage de bienfaits que son absence. Consécration de la techno-science médicale au service du libre choix du patient pour les uns, elle devient une dangereuse généralisation de cas extrêmes pour les autres. Parmi eux, de nombreux soignants, experts de la fin de vie – par nécessité sociale2 – à défaut du mourir, que chacun soumet librement à sa propre vision métaphysique ou eschatologique.

« Mourir dans la dignité ». Comment réfléchir au-delà de cet encombrant poncif ? La dignité serait donc, de façon inacceptable et surtout irrémédiable, altérée par la souffrance physique et psychique, la dégradation du corps, la perte de l’autonomie. Pourtant, chaque jour, le dévouement des équipes formées aux soins palliatifs, l’héroïsme et la solidarité des proches, font reculer la souffrance. Dans la mort même, avec ou sans espoir d’éternité, tous retrouvent avec les mourants la dignité de leur condition commune. Il n’est pas sûr que, par l’euthanasie, l’effacement brutal de la mort, devenue obscène pour nos contemporains, préserve cette sérénité si chèrement conquise sur l’injustice. Qui enfin osera parler de la dignité des soignants « convoqués » par la loi, souvent en marge d’une société hédoniste qui les voudrait instruments de son très matérialiste désir d’immortalité ?

Pour autant, lutter contre la souffrance nécessite l’emploi de médicaments sédatifs accusés d’êtres des substituts euthanasiques, ce qui est faux. Une sédation bien conduite peut avoir certains effets positifs notamment sur le plan respiratoire. L’emploi de doses excessives, en revanche, précipitera une issue fatale : seule l’incompétence tue. Il faut vingt ans pour former un bon spécialiste de soins palliatifs. Mais il ne faut que cinq minutes à n’importe qui pour pratiquer une euthanasie.

Dans les services de réanimation, la question se pose régulièrement d’interrompre, par exemple, une ventilation artificielle lorsque la mort est inéluctable. Les soignants ont l’habitude de ces longues entrevues avec les familles, qui aboutissent à la décision de « débrancher ». La loi Leonetti autorise cet arrêt des soins inutiles, aucun autre dispositif réglementaire n’est nécessaire. Ces décisions ne sont jamais prises à la sauvette, comme on tente abusivement de le faire croire et il n’y a pas dans les hôpitaux français les milliers d’euthanasies cachées dont on mentionne si souvent l’existence en un fantasme récurrent.

La loi stipulera qu’un praticien puisse refuser de pratiquer une euthanasie ; un autre alors le fera à sa place. Qu’adviendra-t-il donc si tout un service s’y refuse ? Créera-t-on un nouveau corps de soignants spécialistes en euthanasie ? Le propos n’est pas excessif : la création d’unités mobiles, y compris à domicile, a été sérieusement imaginée aux Pays-Bas par l’association Right to die – Netherlands et des voix commencent à s’élever pour promouvoir l’euthanasie chez des personnes âgées, même éventuellement indemnes de maladie, ou tout simplement atteintes d’une démence de type Alzheimer3. Après l’eugénisme de triste mémoire, voici l’eubiotie, la vie qui vaut le coup d’être vécue, la vie digne. Mais selon quels critères ?

Les dégâts collatéraux potentiels de ce « progressisme » social sont nombreux : dérive par incompétence du soignant – je ne sais pas soulager la souffrance, donc j’y mets fin –, dérive par conviction personnelle et prosélytisme, en face de malades vulnérables que l’on peut facilement convaincre; dérive socio-économique, car un mourant qui s’éteint doucement coûte cher et épuise les soignants, accusés de gaspiller les ressources.

Bien sûr, la loi garantira la collégialité des décisions et la multiplicité des précautions. Mais aucune collégialité, aucune expertise, aucune procédure administrative, aussi sophistiquée soit-elle, ne préviendra la dérive globale, imperceptible et progressive, d’un système aussi abusivement consensuel. Sans retour en arrière possible pour les victimes de gestes inconsidérés, car la bonne mort (eu-thanasie) sous perfusion anesthésiera aussi les consciences. C’est ainsi qu’une régression sera vécue comme un progrès.

Faut-il, à un prix sociologique et humain aussi élevé, vouloir à tout prix qu’une loi s’insinue à ce point dans les méandres du particulier, de l’intime ? Le choix du personnage des Invasions barbares, le beau plaidoyer de Denys Arcand, n’est-il pas finalement de mourir sans les médecins, mais avec les siens ?

L’unanimité du moment porte en elle-même son incongruité démocratique. En vingt ans de pratique cancérologique, je n’ai jamais reçu une seule demande d’euthanasie ferme, réitérée, irrévocable. Mais j’ai passé beaucoup de temps au chevet des mourants, ce qui n’a rien rapporté à mon hôpital, soumis à la « tarification à l’activité ». Demain, quelle que soit la loi, nul ne périra simultanément de ma main et par ma volonté. Ne laissons pas l’ignorance faussement civilisatrice gagner le cœur des hommes.

 

1. Proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs, présentée par R. Courteau, Sénateur, enregistrée à la Présidence du Sénat le 8 juin 2012.

2. P. Ariès. Essais sur l’histoire de la mort en occident, Paris, Seuil, 1977.

3. New York Times, 2 avril 2012.

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L’euthanasie en cancérologie http://plusdignelavie.com/?p=1928 http://plusdignelavie.com/?p=1928#comments Thu, 29 Mar 2012 11:40:32 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1928 Jean-Louis Misset Professeur de cancérologie, CHU Saint-Louis, AP-HP

J’ai eu la chance de faire une grande partie de ma formation et de ma carrière médicale aux côtés de deux très grands médecins, grands humanistes l’un et l’autre, animés de la même passion, la lutte contre le cancer, ayant choisi de mener cette lutte ensemble . . . → Read More: L’euthanasie en cancérologie]]> Jean-Louis Misset
Professeur de cancérologie, CHU Saint-Louis, AP-HP

J’ai eu la chance de faire une grande partie de ma formation et de ma carrière médicale aux côtés de deux très grands médecins, grands humanistes l’un et l’autre, animés de la même passion, la lutte contre le cancer, ayant choisi de mener cette lutte ensemble à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif, et pourtant profondément différents l’un de l’autre.

Georges Mathé, le fondateur de la cancérologie française, homme de laboratoire, a su mieux que quiconque à son époque transférer à la clinique les découvertes du laboratoire et transférer au laboratoire les questions et problèmes à résoudre mis en évidence par le soin des patients. J’ai suivi pendant des années ses visites auprès des malades hospitalisés, y compris ceux en fin de vie dont il ne « sautait » jamais la chambre, et étais à ses côtés durant ses consultations.
Je ne l’ai jamais entendu même évoquer l’idée ou l’hypothèse de l’euthanasie, y compris dans des situations déchirantes comme la fin de vie d’enfants leucémiques ou d’échecs de greffe de moelle osseuse. Cela n’entrait tout simplement pas dans sa mission de médecin, et il savait que ceux qui s’étaient confiés à lui ne l’avaient pas fait pour cela.

Léon Schwartzenberg, homme public, favori des sondages d’opinion, éphémère ministre de la Santé, passait pour un défenseur de l’euthanasie, au nom de l’autonomie des patients. Avec Pierre Viansson-Ponté, il avait écrit un livre « Changer la mort » où il défendait cette liberté. Et pourtant ! Dans la vie quotidienne à l’hôpital, il avait la même rage, le même acharnement pour continuer à lutter jusqu’au bout, chercher des solutions, innover si besoin, être à l’écoute des besoins et des attentes des patients.

Il se plaisait à raconter cette anecdote. Une femme porteuse d’un cancer à un stade avancé vient à sa consultation pour lui demander l’euthanasie. « J’ai lu que vous n’étiez pas contre. » Après examen de son dossier médical, il lui dit :
« – Je crois qu’on peut essayer de faire mieux.
- Mais si je vous le demande, le ferez-vous ?
- Oui, répond Léon.
- Maintenant que je sais que vous le ferez quand je le demanderai, je veux bien examiner avec vous les solutions alternatives. »
Cette femme, et Léon le savait, n’était pas venue chercher « la mort », mais une « porte de sortie » face à une situation intolérable et si elle avait exprimé une demande de mort c’est tout simplement parce qu’on ne lui avait pas montré d’autre porte de sortie.

 

Demander à être encore considéré comme un sujet

Le cancer reste, pour tous les malades aujourd’hui encore hélas « non guéris », assorti d’une phase palliative qui peut durer de longs mois voire plusieurs années au cours desquels s’accumulent les symptômes physiques et psychiques, les contraintes et effets secondaires des traitements, la dégradation de l’état général conduisant à la perte progressive de l’autonomie. De quoi donner prise au découragement et demander « qu’on en finisse ».
Et pourtant, les demandes d’euthanasie, les vraies, sont exceptionnelles en cancérologie. La plupart peuvent se résoudre comme pour la malade de Schwartzenberg. Pourquoi ? Tout d’abord l’histoire d’un cancéreux non guéri n’est pas linéaire et inéluctable. Même lorsqu’on sait qu’on ne guérira pas, les périodes d’aggravation sont séparées, sous l’effet du traitement ou même sans traitement de périodes parfois longues où le patient n’a aucun symptôme et aucune menace vitale à échéance prévisible.

La plupart des patients arrivés au stade avancé de leur maladie ont vécu de telles rémissions et espèrent toujours une rémission de plus, puis peut-être encore une autre après. Le médecin lui-même, sauf aux tous derniers moments, est souvent bien en peine d’exclure formellement une telle hypothèse. C’est pourquoi les demandes que nous adressent la malades ne sont pas des demandes de mort mais des demandes de prise en charge des symptômes et des besoins physiques et psychiques, d’être accompagnés, considérés comme des sujets et non des objets porteurs d’un diagnostic d’incurabilité.

La légalisation de l’euthanasie ne peut que conduire, comme on le constate chez nos voisins qui l’ont adoptée, à l’oubli de cette exigence fondamentale du métier de médecin de respecter la vie et la personne humaine qui se confie à lui.

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Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 312 relative à l’assistance médicalisée pour mourir http://plusdignelavie.com/?p=1663 http://plusdignelavie.com/?p=1663#comments Tue, 14 Feb 2012 17:07:41 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1663 Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale  n° 312 de M. Jean-Pierre Godefroy enregistrée à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2012, prolongeant la proposition n° 21 du candidat François Hollande

Ce texte est disponible en PDF

Groupe Éthique, droit et santé, Collectif Plus digne la vie [1]

Cette proposition de loi évite tout . . . → Read More: Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 312 relative à l’assistance médicalisée pour mourir]]> Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale  n° 312 de M. Jean-Pierre Godefroy enregistrée à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2012, prolongeant la proposition n° 21 du candidat François Hollande

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Groupe Éthique, droit et santé, Collectif Plus digne la vie [1]

Cette proposition de loi évite tout comme la proposition 21 d’employer le terme d’euthanasie mais l’institue dans les faits. Pourquoi le mot est-il tabou chez ceux qui le défendent? Parce cette notion d’euthanasie est contestable d’un point de vue sociétal, médical et juridique. Parce qu’elle s’inspire de la législation belgo-hollandaise, qui connaît des dérives évidentes. Parce qu’elle apporte des réponses à des questions auxquelles il peut être répondu bien différemment.

 

 

Les arguments sociétaux

 

L’invocation de la liberté

Pour défendre le droit « à une assistance médicale pour mourir » proclamé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi , ses promoteurs font valoir qu’il s’agit d’une liberté, d’une responsabilité assumée non pas par les médecins mais assumée collectivement.

 

Une demande de mourir n’est cependant jamais formulée dans les termes idéaux d’une volonté qui ne serait contrainte par rien d’extérieur à elle. Elle se révèle être au contraire, dans cette situation, la volonté la plus contrainte qui soit. Comme l’a souligné Axel Kahn, professeur de médecine et candidat socialiste aux élections législatives de 2012 dans les VI et VIIèmes arrondissements de Paris, devant la mission de l’Assemblée nationale chargée d’évaluer la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti : « La demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable, et qui estime qu’elle n’a d’autre choix que de l’interrompre. C’est tout à fait le contraire d’une liberté. »

 

La liberté est toujours, dans une certaine mesure, celle de pouvoir changer d’avis, alors qu’à l’inverse l’euthanasie est un acte irréversible. Les données de mortalité par suicide le confirment: évalué à 45 %, le taux de récidive est la reconnaissance du fait que 55 % des personnes ayant fait une tentative de suicide ont, sous l’effet de nouvelles circonstances, préféré définitivement la vie plutôt que la mort. La volonté de la personne ne saurait être enfermée dans un système intangible. L’homme est ambivalent et en fin de vie sa volonté fluctue, oscille en permanence entre le désir d’en finir et le souhait de continuer à vivre.

 

• L’argument principal en faveur de l’euthanasie est que le malade est libre de déterminer ce qu’il souhaite pour sa fin de vie, y compris un acte euthanasique. Cette argumentation est mise à mal parce que l’euthanasie requiert un tiers qui va être impliqué pour mettre en œuvre ce droit, cette autonomie. Quelle est alors la validité d’une autonomie qui postule l’intermédiation d’un autre? L’idée d’une autonomie pleine et entière du malade ne relève-t-elle donc pas du fantasme ?

 

• Enfin, est-ce vraiment le problème quand on sait qu’aux Pays-Bas, les euthanasies sont pratiquées dans 85 % des cas chez des patients cancéreux en phase terminale, dont l’acte euthanasique réduit la durée de vie de moins d’une semaine ? Faut-il ouvrir un droit à la mort pour des patients condamnés à mourir dans un horizon d’une semaine, alors que les soins palliatifs pourraient répondre à de telles situations?

 

Un droit à mourir conçu comme un droit-créance vis-à-vis de la société

• En étant formulé comme un droit-créance, le droit à mourir fait peser sur tous le devoir de rendre effectifs les moyens nécessaires à sa réalisation. Ce droit engagerait la société, puisque le suicide ne serait alors plus une affaire privée mais une affaire qui appelle des règles garantissant des droits voire la délivrance par la puissance publique de prestations. Le droit à mourir ferait partie de ces dettes que chacun contracte avec chaque tiers aux termes du contrat social. Assimiler demain le droit à mourir à un droit-créance reviendrait comme l’a relevé Robert Badinter devant la mission d’information de l’Assemblée nationale précitée, à « concevoir, accepter, un service d’assistance au public, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour ceux qui auraient pris la décision de se suicider. À ce stade, ma réaction première n’y serait pas favorable. J’aurais trop la crainte d’une forme d’incitation, je n’ose pas dire de provocation, au suicide. L’être humain est fragile. L’angoisse de mort est présente. Par moments, chez chacun, elle connaît une très forte intensité. Chez certains, face à une épreuve, il y a une tentation de mort qui est inhérente à la condition humaine. L’existence d’un service prêt à vous accueillir pour répondre à cette tentation me paraît présenter un risque d’incitation au suicide. »

Que le contrat social contienne cette clause d’entraide ne serait pas sans paradoxe, la fin du contrat social étant pour Jean-Jacques Rousseau la « conservation des contractants ».

 

La Cour européenne des droits de l’homme s’est interrogée sur la cohérence qu’il y a à déduire un droit au suicide assisté du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a jugé que « l’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir » (arrêt Diane Pretty du 19 avril 2002). Il n’y a donc pas un droit de choisir la mort.

 

Un droit qui fragilise les plus faibles

Quel regard portera alors la société sur les plus faibles, le handicap,  si l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés ? Comment peut-on dans le même temps appeler à la solidarité de la société en faveur des plus fragiles, leur reconnaitre des droits opposables, inventer de nouveaux systèmes de prise en charge en faveur de la dépendance et consacrer un droit au suicide assisté  et à l’euthanasie? N’est-ce pas implicitement fragiliser les plus vulnérables et fragiliser la détermination de l’entourage, en pesant sur celui-ci ? Dans un arrêt Haas du 20 juin 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le droit à la vie oblige à mettre en place une procédure destinée à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie correspond bien à la volonté de l’intéressé.

 

Les personnes les plus faibles et celles ne pouvant subvenir seules à leurs besoins matériels, alors même que leur dépendance a vocation à s’accroître avec le temps, risquent d’être le plus exposées à l’euthanasie et au suicide assisté si une telle législation voit le jour. Par là même, la légalisation du suicide assisté, récusant toute solidarité au nom de l’autonomie de l’individu, favorise l’injustice et est une régression sociale. Cette dimension d’injustice n’est jamais évoquée par les tenants de l’euthanasie et du suicide assisté. Les plus faibles et les plus pauvres seront les victimes les plus exposées à l’euthanasie.

La population canadienne a bien compris ce risque. Elle se déclare très massivement favorable aux soins palliatifs car elle craint que les plus pauvres et les plus dépendants ne subissent par effet de glissement des euthanasies non déclarées.

 

Les arguments médicaux

La légalisation va générer une perte des repères sur la fonction de la médecine

S’engager dans cette voie serait générer une confusion énorme sur le rôle des médecins dans la société et sur la relation médecin-malade. Les médecins ont été formés pour soigner, non pour tuer ou aider à tuer. Comment concilier l’aide au suicide avec le serment d’Hippocrate, qui fait obligation aux médecins de « protéger (les personnes) si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » et « de ne pas provoquer délibérément la mort » ? Devra-t-on abroger l’article R. 4127-38 du code de la santé publique, qui fixe les limites infranchissables de la déontologie médicale ? « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

 

La légalisation va à l’encontre de la démarche des soins palliatifs

La proposition de loi entretient l’illusion qu’un acte euthanasique pourrait venir en complément d’une approche palliative et enrichir l’approche humaniste de la fin de vie. Ainsi, l’article premier de la proposition de loi de M. Godefroy intègre le droit à mourir dans l’article du code de la santé publique consacrant l’accès aux soins palliatifs. L’article 2 de la proposition de loi charge le collège médical d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs. Si les partisans de l’euthanasie prétendent inscrire leur action dans les pas des soins palliatifs, on n’a jamais entendu les praticiens des soins palliatifs se réclamer de valeurs communes avec les partisans de l’euthanasie. Un tel rapprochement n’a aucun fondement. L’euthanasie n’est pas le prolongement des soins palliatifs. L’acte euthanasique est en effet en contradiction avec la démarche des soins palliatifs sur plusieurs points :

 

La demande des patients 

La souffrance des patients ne s’identifie pas à l’expression d’une demande de mort. Tous les praticiens au contact de la réalité médicale savent que les patients concernés demandent à ne pas avoir mal, ont peur de souffrir, d’être abandonnées, luttent avec eux-mêmes, partagés entre le refus et l’acceptation de l’inéluctable. Ils sont en quête d’apaisement, de consolation, de lien, ils ont besoin de calme mais aussi de vie, de temps, de douceur et d’attention. La majorité des euthanasies liées à des douleurs physiques insupportables démontre plutôt de mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur car les souffrances vraiment réfractaires sont très exceptionnelles. En Belgique, l’euthanasie concerne à 83 % des patients atteints de cancer au stade terminal. 23 % des patients décèdent avant même que l’euthanasie ait pu être pratiquée. Aux Pays-Bas, on estime que dans 90 % des cas, la pratique de l’euthanasie a raccourci la durée de vie de moins d’une semaine.

 

La réponse médicale

Les soins palliatifs s’identifient à l’accompagnement des patients et ne relèvent pas d’une décision catégorique et systématique. La solution consistant à donner la mort au patient est envisagée comme un choix d’action possible de même rang que les autres et aurait pour effet d’éroder la pertinence des autres choix envisageables. Pourquoi en effet chercher des voies complexes quand un chemin direct, rapide s’ouvre devant soi ?

L’acte euthanasique ne requiert aucune compétence médicale particulière et est en contradiction avec les obligations déontologiques des médecins, soigner n’étant pas donner la mort. Lors de l’élaboration de la législation luxembourgeoise « sur le droit de mourir en dignité », le Conseil d’État luxembourgeois a fait remarquer dans son avis que « les études en médecine ne prévoient pas l’apprentissage de connaissances visant à éliminer des êtres humains. Ceux qui font mourir, à quelque dessein que ce soit, ne sont pas à recruter dans la profession de ceux qui sont à former pour guérir et pour soigner ». Cet argument n’a pas ébranlé les promoteurs de la proposition de loi, puisqu’ils proposent d’instituer une formation médicale à l’euthanasie (article 6 de la proposition de loi). Ainsi les médecins seront astreints à suivre en même temps une formation au geste létal et au soin ! Les voies de la désorganisation de notre système de soins et de la division sont ouvertes.

 

Les arguments juridiques : des règles imprécises et peu cohérentes avec notre droit

Comment peut-on faire cohabiter cette législation avec la loi du 22 avril 2005, qui a une philosophie très différente, et avec notre droit pénal ? Faudra-t-il abroger la loi de 2005 qui se fonde sur les soins palliatifs ?

 

Les critères de l’état du malade sont flous

 

On peut penser que ce droit à l’euthanasie et au suicide assisté est contraire à la protection de la santé, principe de valeur constitutionnelle reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis une décision du 22 juillet 1980 (80-117 DC).

 

Qu’est-ce qu’une souffrance physique ou psychique ne pouvant être apaisée ou [que la personne] juge insupportable (article 1er de la proposition de loi de M .Godefroy) ? On rappellera que selon une étude de l’université de Zürich, 30 % des suicides assistés en Suisse sont des dépressifs. Ce chiffre est de 26 % en Belgique.

Qui va apprécier l’état de souffrance du malade: le médecin traitant ? Le malade ? L’entourage ? Que se passera-t-il si l’entourage n’est pas unanime ?

Comment devra-t-on traiter les patients placés en curatelle ou sous tutelle ? Le placement en tutelle ou curatelle a–t-il pour effet de rendre caduques les directives anticipées et la désignation de la ou des personnes de confiance ?

 

Comment le principe selon lequel la personne malade peut à tout moment révoquer sa demande peut s’appliquer chez les personnes dans l’incapacité de communiquer jusqu’au dernier moment de façon libre et éclairée ? La directive anticipée donnée 3 ans auparavant valant décision irrévocable et définitive, est–elle compatible avec une telle situation ?

Comment ces décès pourront-ils être assimilés à des morts naturelles au regard des contrats d’assurance vie et de la sanction pénale de l’abus de faiblesse ?

Devra-t-on inclure demain les mineurs ?

 

Une procédure instituée au nom des droits des patients, qui donne en réalité tout pouvoir aux médecins

Le médecin saisi par le médecin traitant peut être tout autre membre du corps médical (article 2 de la proposition de loi de M. Godefroy). Est-ce à dire que ce second médecin ne connaîtra pas le patient ? Comment sera-t-il saisi: par téléphone ? Par écrit ? Comment pourra t-on s’assurer qu’il ne pratique pas l’euthanasie ?

 

Comment fonctionnera la clause de conscience ? Si le médecin traitant ne trouve aucun médecin pour s’acquitter de l’aide active à mourir, la collectivité devra–t-elle mettre en place une structure permanente ayant comme fonction le suicide assisté, en réquisitionnant des médecins ? Des sanctions seront-elles opposables aux médecins refusant de donner un avis? Que reste–t-il du principe constitutionnel de la liberté individuelle lorsque le médecin est obligé de se renier en renvoyant à un médecin qui ne partage pas ses convictions ?

 

Dans son arrêt Haas du 20 janvier 2011 la Cour européenne des droits de l’homme a fait valoir qu’on ne saurait sous estimer les risques d’abus inhérents à un système facilitant l’accès au suicide assisté.

 

Une qualification légale de l’aide à mourir qui pose problème au regard des incriminations existantes du droit pénal

L’acte d’aide à mourir n’est jamais défini précisément. Or ne pas définir précisément dans la loi un acte entraînant la mort est inconstitutionnel.

 

La désignation du responsable de cet acte n’est pas non plus précisée au troisième alinéa de l’article 2. Le flou règne alors même que cette détermination de l’auteur de l’acte est essentielle au regard du droit pénal et de la détermination des éléments constitutifs de l’infraction. Dans un texte fondé exclusivement sur une procédure soumise à un contrôle a posteriori, il convient de définir au préalable cet acte et le partage de responsabilité entre la personne et le médecin. Est-ce le médecin, est-ce l’infirmière, qui effectue le geste létal?

 

Comment au demeurant cette aide à mourir s’articulera-t-elle avec les sanctions pénales de non assistance à personne en danger, de provocation au suicide et d’abus de faiblesse ? Aujourd’hui le délit de provocation sanctionne la conduite d’un tiers qui affecte l’autonomie de la personne visée, en transformant par son action, ses pressions, son influence, une personne libre en victime. Où se situera demain la frontière entre la provocation au suicide et l’aide au suicide, que le patient demandeur puisse ou non agir par lui-même?

 

Un contrôle a posteriori qui n’en n’est pas un

Un contrôle a posteriori purement formel, sans recours réel. Le médecin qui a apporté son concours à l’aide à mourir fait un rapport à une commission régionale qui est juge de l’opportunité de transférer le dossier à une commission nationale, seule chargée d’apprécier la justification d’une saisine du parquet. Or s’agissant d’un organe qui doit se prononcer sur le respect de règles au regard de l’état des personnes et peut être amené à transmettre le dossier au parquet en cas de méconnaissance des règles légales, ses règles de composition et de fonctionnement n’ont pas à être définies par le règlement mais par la loi. Ces commissions en effet mettent en cause des principes qui de par l’article 34 de la Constitution ont valeur législative.

 

Comment seront composées ces commissions ? Quelle sera leur légitimité ? Juger d’une décision qui prive de la vie l’individu ne ressort-il pas fondamentalement de la compétence du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle au regard de la Constitution et non d’une commission ?
 

Une présentation très contestable des législations belge et hollandaise

Dans la mesure où la proposition de loi de M. Godefroy s’inspire très largement de ces législations, l’exposé des motifs fait valoir que « les exemples belges et néerlandais nous montrent qu’il n’y a pas à craindre de dérive si l’aide active à mourir est bien encadrée ».

        

Les pratiques belge et hollandaise ne sont malheureusement pas ce que l’on voudrait faire croire.

Des études très récentes parues dans une revue médicale canadienne, la Canadian medical association, ont mis en lumière des dérives notables dans les pratiques belges. Sur un échantillon de 208 personnes décédées à la suite d’une injection létale, 32 % n’avaient pas exprimé explicitement le souhait d’être euthanasiées. Dans cet échantillon, la décision n’avait même pas été discutée avec les intéressés dans 78 % des cas. Une autre étude révèle que dans 12 % des cas les injections létales ont été administrées par des infirmières et non par des médecins. Elle conclut que ces infirmières ont exercé illégalement ces tâches.

 

La mission de l’Assemblée nationale d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 a relevé que la procédure applicable en Belgique était déroutante par sa rapidité, le temps nécessaire estimé par un praticien pour remplir les déclarations d’euthanasie étant de 30 minutes. Une étude parue en 2009 révèle que le second médecin consulté l’est en réalité par téléphone sans qu’il examine le patient. Par ailleurs depuis l’entrée en vigueur de la loi belge, il faut savoir que la Commission de contrôle n’a transmis aucun dossier à la justice, alors que 3451 euthanasies dont 623 en Communauté française ont été officiellement effectuées. L’absence totale de saisine judiciaire amène à s’interroger sur la réalité du contrôle a posteriori effectué : soit on est en présence d’un professionnalisme exceptionnel sur un sujet extrêmement délicat où le questionnement s’impose d’évidence, soit on est conduit à avoir des doutes sur la réalité d’un contrôle, qui en réalité n’est que formel. Enfin la Belgique a pratiqué des euthanasies pour pouvoir prélever un organe à un moment fixé au préalable sans s’en remettre à l’aléa l’arrêt cardiaque de la personne une fois l’assistance respiratoire arrêtée. Un Congrès tenu en Belgique en 2008 a rapporté ainsi que des organes avaient été prélevés sur 4 personnes euthanasiées, 2 souffrant d’un locked in syndrom et 2 souffrant d’une sclérose en plaques. Ces pratiques établissent ainsi l’existence d’une corrélation entre les dons d’organes et des euthanasies à des fins utilitaristes. Une organisation néerlandaise, qui a pour objectif d’informer les gens qui veulent mourir sur la manière d’y parvenir, leur conseille d’aller acheter des pilules dans des pharmacies en Belgique. Les pharmaciens belges seraient en effet plus enclins à donner, sans ordonnance, certains médicaments nécessitant normalement une prescription, a écrit De Morgen le vendredi 3 février 2012.

 

Aux Pays-Bas, les euthanasies ont augmenté de 13 % en 2009 (2500 soit 1,9 % des décès contre 0,5 % en Belgique). Il y a plusieurs raisons à cela : des critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient flous qui favorisent une appréciation du médecin subjective ; un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux et une méconnaissance de la loi qui n’est pas sanctionnée. L’Ordre des médecins allemands fait état de l’installation croissante de personnes âgées néerlandaises en Allemagne notamment dans le Land voisin de Rhénanie du Nord Westphalie. S’y sont ouverts des établissements pour personnes âgées accueillant des Néerlandais. Ces personnes craignent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. Le ministre de la santé néerlandaise qui avait défendu cette loi en 2002 a reconnu publiquement en décembre 2009 que l’euthanasie avait pour effet de détruire les soins palliatifs. Enfin 20% des euthanasies ne seraient pas déclarées. Par conséquent l’argument de la transparence de cette procédure ne tient pas.

 

Lors de sa 96ème session, qui s’est tenue à Genève du 13 au 31 juillet 2009, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a mis en garde les Pays-Bas pour son « taux élevé de cas d’euthanasie et de suicide assisté ». Les membres du Comité se sont notamment inquiétés que « la loi permette à un médecin d’autoriser de mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge » et que « le deuxième avis médical requis puisse être obtenu
au travers d’une ligne téléphonique d’urgence ».

 

Une proposition allant à contrecourant de la prise en charge de la fin de vie en Europe

Depuis 2002, date de l’adoption de la loi luxembourgeoise, hormis le cas particulier du Luxembourg, aucun pays européen n’a suivi l’exemple belgo- luxembourgeois. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède ont une communauté de vues avec la France pour arrêter les traitements en pratiquant les soins palliatifs sur la personne en fin de vie.

 

Légaliser l’euthanasie est donc aller à contre courant de l’évolution des traitements de la fin de vie en Europe. D’ailleurs l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 25 janvier 2012 une résolution ainsi rédigée: «L’euthanasie, dans le sens de l’usage de procédés par action ou par omission permettant de provoquer intentionnellement la mort d’une personne dépendante dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite».

 

Transposés à la France les critères de la partie flamande de la Belgique représenteraient 12.160 euthanasies par an soit 50 par jour ouvrable, soit 60.000 personnes pour la durée d’un quinquennat.

 

D’autres réponses sont possibles

 

Assurer une prise en charge égale pour tous de la fin de vie

Les instruments  pour prendre en charge la douleur en fin de vie existent. Ils ont été définis par la loi du 22 avril 2005 et par le décret du 29 janvier 2010. La loi de 2005 a proscrit l’obstination déraisonnable, défini des procédures d’arrêt de traitement collégiales et transparentes accompagnées par des soins palliatifs et autorisé la pratique du double effet. Le décret du 29 janvier 2010 (article R .4127-37 du code de la santé publique) couvre l’hypothèse où l’on ne peut évaluer la douleur d’un malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ou dans le cas d’un maintien artificiel en vie. Dans cette situation les médecins sont invités à recourir aux antalgiques et aux sédatifs.

 

Toutefois ce recours aux antalgiques couplés avec des soins palliatifs n’est pas systématiquement appliqué. L’étude MAHO réalisée en France a démontré que seulement 24% des patients meurent entourés de leurs proches alors que la mort est prévue dans la très grande majorité des cas. Seulement 35% des infirmières interrogés estiment la qualité de la fin de vie des patients est à un niveau qu’elles accepteraient pour elles-mêmes.

 

Il convient donc de développer ces pratiques par de l’information, de la formation et de la pédagogie. Agir dans ce sens, c’est favoriser l’égalité des soins et faire échec à de mauvaises pratiques médicales qui fabriquent artificiellement des demandes d’euthanasie. On ne saurait admettre que des établissements s’approprient la loi de 2005 et les soins palliatifs tandis que d’autres les ignorent.

 

Lutter contre l’obstination déraisonnable.

Développer les soins palliatifs contribue aussi à faire reculer l’obstination déraisonnable. Selon un sondage réalisé en janvier 2011 pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, 68 % des personnes interrogées ne savaient pas que la loi de 2005 interdisait l’obstination déraisonnable. Une étude du Centre d’éthique de l’espace clinique de l’hôpital Cochin réalisée en 2009 et 2010 sur 167 personnes et parue en octobre 2011, a révélé que 90 % d’entre elles ignoraient les directives anticipées. La vulgarisation de la loi Leonetti accuse donc un grand retard. Des efforts doivent être donc menés dans plusieurs directions :

 

Continuer à développer les soins palliatifs.

Le programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 poursuit plusieurs objectifs: diffuser les soins palliatifs dans des services où ils étaient peu présents jusqu’à maintenant, c’est-à-dire les unités de soins de longue durée (USLD) et les hôpitaux locaux  et  identifier des lits de soins palliatifs dans les services de soins de suite.  A la notable exception de Rennes, tous les CHU disposent désormais d’une unité de soins palliatifs. En 2012, on compte 6178 lits de soins palliatifs: 4913 lits identifiés (soit 2000 de plus qu’en 2008), 1265 lits d’unités de soins palliatifs pour 105 unités de soins palliatifs et 353 équipes mobiles de soins palliatifs, financées au titre des Missions d’Intérêt Général (MIG) pour assurer un rôle de conseil, d’appui et de soutien aux personnels des unités de soins et des établissements médicosociaux La présence des soins palliatifs dans les EHPAD est également appelée à se développer grâce à l’accroissement des possibilités d’intervention des Équipes mobiles de soins palliatifs, à la diffusion de la culture palliative et à l’expérimentation de la présence d’infirmières de nuit formées aux soins palliatifs dans les EHPAD.

 

Développer les soins palliatifs, c’est également légitimer et diffuser les soins palliatifs en les consacrant au niveau universitaire. Une des conclusions du rapport d’évaluation de loi de 2005 était de favoriser la mise en place de postes de PU-PH en médecine palliative avec, dans un premier temps une création de poste dans chaque inter région puis, à terme, son développement dans chaque faculté. Dix postes de professeurs associés de médecine palliative ont été créés en 2010 et 2011.L’ouverture de postes de chefs de clinique est appelée à aller de pair avec la création de ces postes de professeur associé. En 2012 un master national Soins palliatifs, éthique et maladies graves doit voir le jour.

 

Développer les technologies médicales doit aider à prendre des décisions de limitation ou d’arrêt thérapeutique chez des patients qui ne sont pas en fin de vie comme les patients en état végétatif ou pauci-relationnel. Jusqu’à très récemment il n’était pas possible de porter un pronostic sur ces patients. Les algorithmes prévisionnels, qui combinent IRM multimodale, biologie et électrophysiologie, sont en cours de développement et s’avèrent extrêmement performants, dans la mesure où ils permettront de formuler un pronostic au bout de quelques semaines. Les perspectives offertes par ces nouvelles technologies éviteront de favoriser une obstination déraisonnable et des mauvaises pratiques médicales, qui peuvent générer artificiellement des demandes d’euthanasie.

 

Renforcer les droits des malades

L’existence des droits offerts par les directives anticipées est encore peu connue. Un moyen consistant à leur donner plus d’écho consisterait soit à les intégrer dans un registre national comme pour les refus des dons d’organes, soit à les mettre sur la carte vitale des patients. Mais la prise en compte de la volonté des malades n’est pas seulement affaire d’organisation. C’est aussi affaire de contenu. Les directives anticipées ne peuvent présenter de réel intérêt pour le malade que si elles sont précises, correspondent à une situation médicale donnée et à un traitement. Là encore la réglementation devrait l’énoncer plus précisément qu’elle ne le fait aujourd’hui.

 

Humaniser la mort hospitalière

Resocialiser la mort à l’hôpital où meurent aujourd’hui les deux tiers des malades doit participer d’une démarche collective qui ne se reconnaît pas dans le refoulement de la mort  nourrissant cette revendication du  suicide assisté.

 

La revendication de l’aide à mourir est fondée sur l’autonomie de l’individu, sur sa liberté. Or la vraie liberté de la personne en fin de vie, c’est d’être accompagné, ce n’est pas d’être seul.

Le progrès social se situe plus dans l’évitement de la solitude et l’anonymat de la mort à l’hôpital que dans l’accomplissement d’un geste brutal, qui restera toujours une transgression très difficile à assumer pour celui qui l’effectue, qu’il soit ou non médecin. Le progrès social n’est pas à rechercher dans une loi qui prétendrait ne plus avoir affaire avec la souffrance et le malade, en supprimant la personne. Historiquement le progrès social s’est toujours plus reconnu dans la valeur de solidarité que dans l’individualisme.



[1]  Ce groupe de travail réunit des juristes, des professionnels de santé de la réanimation, des soins palliatifs et des  cancérologues.

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Augmenter la puissance d’exister en fin de vie ou comment préserver la dignité du mourant http://plusdignelavie.com/?p=1301 http://plusdignelavie.com/?p=1301#comments Mon, 24 Oct 2011 10:29:21 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1301 Eric Fourneret

Docteur en philosophie, Chargé de mission au Réseau Régional de Cancérologie Rhône-Alpes, Président de l’association Santé, éthique et Liberté – Grenoble

 

Toute personne veut mourir dignement. Cela pourrait presque suffire pour définir ce qu’est une fin de vie digne : elle est ce que chacun désire pour lui-même et pour ceux . . . → Read More: Augmenter la puissance d’exister en fin de vie ou comment préserver la dignité du mourant]]> Eric Fourneret

Docteur en philosophie, Chargé de mission au Réseau Régional de Cancérologie Rhône-Alpes, Président de l’association Santé, éthique et Liberté – Grenoble

 

Toute personne veut mourir dignement. Cela pourrait presque suffire pour définir ce qu’est une fin de vie digne : elle est ce que chacun désire pour lui-même et pour ceux qui lui sont chers, au moment où la vie offre la plus petite résistance face à la mort. Mais si la dignité en fin de vie est une préoccupation, c’est justement parce qu’il existe des risques pour qu’elle ne soit pas digne. Sur ce constat, on connaît le débat : est-il souhaitable d’institutionnaliser la pratique de l’euthanasie, soit parce que la fin de vie est indigne, soit pour éviter qu’elle ne le devienne ?

Mais provoquer la mort d’autrui, fût-ce à sa demande, ne lui rend pas sa dignité. Comment rendre quelque chose à quelqu’un qui n’existe plus ? De la même façon, pourquoi euthanasier une personne si sa fin de vie est digne encore d’être vécue ? Parce qu’elle le demande, dira-t-on, et qu’elle veut absolument éviter qu’elle ne devienne indigne. Mais faut-il ne jamais avoir de relation amoureuse par crainte de la rupture ? Faut-il ne jamais travailler par peur du licenciement ? Faut-il ne jamais avoir d’enfant si on ne veut courir le risque de les perdre un jour ? On se rend bien compte qu’à raisonner ainsi on ne gagne rien. Et pourtant, l’enjeu est de taille. Il est à la mesure de notre responsabilité quand une vie est menacée.

Plus exactement, ce n’est pas de la vie même que nous sommes responsables, mais de ses conditions. La vie ne se possède pas, elle nous possède. Aussi, qu’importe finalement le jugement que nous portons sur elle, ce qu’il nous faut examiner sont ses conditions. Plutôt : ce que nous avons à examiner sont nos moyens pour réaliser les meilleures conditions. Mais un partisan de l’euthanasie dira qu’on ne le peut toujours et cela suffit pour justifier l’euthanasie, ce que contestera celui qui s’oppose à un tel droit ; aucune fin de vie n’est indigne, car la dignité n’est pas de ces attributs que l’homme peut perdre. Elle n’est d’ailleurs pas un attribut en ce que l’homme n’est pas digne par accident. Il tient sa dignité du fait même d’être homme.

De là, il y a quelques raisons de penser que la dignité est une notion éthique trop galvaudée pour penser y voir clair, impliquant des positions morales trop fortes pour espérer s’entendre. Mais tout ne mérite peut-être pas d’être laissé. Si la dignité n’était pas si importante pour nous, pourquoi nous disputer à son propos ? Aussi, les divergences de points de vue peuvent gagner en clarté si l’on part du principe qu’ils tiennent moins d’une façon de traiter une question morale que d’une façon de l’approcher. C’est dans cet esprit que l’on entend réfléchir sur la dignité en fin de vie : passer du jugement à la compréhension.

 

I – Lutter contre la douleur et la souffrance, lutter pour la dignité

Parce que mourir dignement relève d’un désir, nous avons quelques raisons de dire que tout est à faire pour que cela se réalise. Pourquoi le désirer si toutes les fins de vie se passent systématiquement dans la dignité ? Autrement dit, tant qu’elle est de l’ordre du désir, c’est qu’elle est manquée. Nous ne désirons que ce que nous n’avons pas. Mais la fin de vie est une étape particulière. D’une certaine manière, mourir prend un certain temps. Même s’il y a, à un certain moment, une séparation irréversible entre l’état du vivant et l’état du mourant, la fin de vie a besoin d’un certain temps pour cliniquement et phénoménologiquement nous persuader de sa réalité. Or, c’est dans cette incertitude que le sens même de l’existence compte. Cette incertitude semble plus humaine que médicale et la vraie difficulté est là : la prendre en compte car, la fin de vie, selon ses conditions, peut frapper et blesser le visage de l’humanité.

Face à cela, nous ne sommes pas sans défense, ni sans recours. Pour certains, l’euthanasie apparaît comme la possibilité d’éviter le pire, quand pour d’autres, l’accompagnement tel qu’il est pratiqué en soins palliatifs peut se faire sans céder à la panique. Mais quel que soit le discours, les objectifs semblent à peu près identiques : lutter contre la douleur et contre la souffrance, favoriser l’écoute, lutter contre les regards péjoratifs, soutenir, accompagner. Au moins pour une raison : tous ces états sont des limitations de la liberté. On n’est pas libre quand on a mal au point de ne plus pouvoir bouger, voire même au point de ne plus pouvoir penser. Aussi, parce que l’homme se distingue des êtres de nature (par exemple, les animaux) en ce qu’il est un être de liberté, celle-ci limitée impliquerait chez l’homme une diminution de son sentiment d’être humain. L’euthanasie peut donc être présentée comme la dernière liberté face à ces conditions de vie qui nous en privent, et la médecine palliative, le dernier combat, non contre la mort, mais contre tout ce qui lui ressemble et qui appartient encore à la vie. Si pour les premiers, il est question d’avancer le moment où la médecine est en défaite, pour les seconds, il reste ce chemin à parcourir jusqu’à la mort où chacun peut prendre part pour porter l’humanité plus haut. Finalement, si les objectifs ont quelques points communs entre les partisans de l’euthanasie et ceux qui s’y opposent, les moyens de les atteindre divergent profondément.

Mais au-delà de ces différences visibles, que l’on soit pour l’euthanasie ou pour plus de développement de la médecine palliative, il s’agit dans tous les cas, au moins dans le projet, d’aider à mourir dignement. Mais le courage n’y suffit pas toujours, ni la bonne volonté. Et la frontière peut être mince, parfois, entre lutter contre des conditions inacceptables de vie et se vouer à la mort ou se vouer aveuglément à la vie. L’euthanasie au bout d’une fin de vie n’est pas apprendre à mourir, c’est s’abandonner à la mort. De la même façon, le combat acharné contre la fin de vie ne consiste pas à apporter un peu de paix puisque nul ne saurait mourir en paix lorsqu’il meurt au combat. Ce n’est manifestement pas ce que l’on souhaite, ni dans un cas, ni dans l’autre. C’est pour cette raison que la mort ne saurait être le motif de notre préoccupation dans les situations de fin de vie, mais ce sont bien ses conditions, ou ce que l’on appelle la dignité du mourant. C’est en cela, peut-être, que la médecine palliative l’emporte sur l’euthanasie puisque cette dernière supprime le problème des conditions sans le traiter. Et cependant, que cette médecine ne suffise pas non plus, voilà qui est évident. La médecine ne commande pas le réel. Dans les situations de grand désarroi, elle y est même soumise le plus souvent. Le réel l’emporte jusqu’à emporter avec lui le goût de vivre. Et c’est ce que les apologistes de l’euthanasie ont bien compris. Mais c’est peut-être parce qu’il ne suffit pas de ne pas avoir mal pour aimer la vie. Combien sont en bonne santé, sans souci d’argent, aimant et aimé de leur famille et pourtant, tellement malheureux ? On objectera que ceux-là peuvent être distraits puisque l’on peut les détourner de leur malheur par le divertissement. Et en effet, le divertissement ne suffit pas pour ceux qui sont mourants et qui ne trouvent plus de bonnes raisons de rester en vie. Mais tout simplement parce que ceux-là ne sont pas malheureux, ils ont le malheur d’être. Et contre l’être, seul le néant est plus fort, là où les luttes contre la douleur et la souffrance ne peuvent rien. C’est donc ailleurs que se joue la question de la dignité en fin de vie.

 

II – L’absence de douleur et de souffrance n’est pas la présence de dignité

Il faut bien qu’une fin de vie digne soit quelque chose de positif pour nous rassurer de sa présence. Or, la dignité n’est pas une vérité mathématique dont la positivité découlerait de la négation d’une négation. Ainsi, l’absence de douleur ou de souffrance ne suffit pas pour remplir l’absence de dignité en ce qu’on ne remplit pas l’absence par de l’absence, même si le soulagement de la douleur et l’apaisement de la souffrance sont évidemment essentiels. Aussi, ce que nous pensons expérimenter dans une fin de vie digne n’est pas la dignité, mais son absence remplie par autre chose. Et c’est là, tout le paradoxe de la réduction de la dignité du mourant à ses conditions psycho-bio-physiques de vie. C’est donc là, sans doute, les limites de la technique en médecine.

Aussi, quand bien même cette fin de vie sans douleur et sans souffrance est évidemment préférable, elle peut rester impossible à aimer pour celui qui a le sentiment d’avoir perdu toute dignité de vivre. La vie ne suffit donc pas pour l’apprécier. Lui retirer toutes ses contraintes ne la rend pas nécessairement plus heureuse. Au moins pour une raison : les techniques contre la douleur, la souffrance, la détresse, l’angoisse, ne sont pas des techniques du bonheur, ni des techniques de la dignité. Penser le contraire, c’est confondre les choses. Le dépressif qui guérit ne découvre pas soudainement le bonheur, pas plus que celui à qui l’on évite la douleur et la souffrance en fin de vie ne découvre sa dignité. Si on le pense pourtant, c’est sans doute parce que nous nous méprenons sur les visées de la médecine. Elle n’est pas au service de nos désirs, ni au service de notre dignité. Si certains de ses aspects actuels tendraient pourtant à nous en convaincre (par exemple, la chirurgie esthétique, la procréation médicalement assistée, etc.), c’est surtout parce que la médecine ne serait pas éthique si elle participait à nous rendre malheureux et indigne de vivre, voire si elle refusait d’intervenir quand elle a les moyens de lutter contre la vulnérabilité humaine. Ainsi, permettre à des couples stériles de satisfaire leur désir d’être parents, peut être considéré comme une compensation d’une infirmité physique qui peut aboutir à une stigmatisation sociale : le fait de ne pas avoir d’enfant. Semblablement, permettre à des patients en fin de vie de ne plus avoir mal, peut être considéré comme une compensation d’une vulnérabilité psycho-bio-physique qui peut aboutir aussi à une stigmatisation sociale : une représentation négative du mourant.

Cette façon de réduire la dignité humaine aux différentes contraintes d’une fin de vie semble mettre au jour une mutation du contenu de l’idée de dignité. Le discours favorable à l’euthanasie l’illustre bien en présentant une conception de l’homme souverain sur lui-même et dont les désirs narcissiques, voire les caprices, se confondent avec l’enjeu véritable d’une fin de vie. Lorsqu’un patient offre la plus petite résistance face à la mort jusqu’à souhaiter celle-ci, son désir d’en finir est présenté comme l’expression de sa liberté individuelle. Mais au nom de quoi la dignité humaine ne tient-elle qu’à cela ? Que l’on souhaite conserver une certaine indépendance, même en fin de vie, cela est évident. Mais que l’on réduise la dignité d’une fin de vie à l’indépendance de l’individu cela reste pour le moins contestable. En effet, on ne libère pas celui qui est enchaîné en lui donnant la mort. On ne gagne sa liberté qu’à la condition d’être en vie, même si c’est pour en réclamer la fin.

Bref, l’absence de douleur et l’absence de souffrance, pour autant qu’elles sont des conditions nécessaires à une fin de vie digne, ne sont pas des conditions suffisantes, comme ne l’est pas davantage l’illusion de l’euthanasie. En effet, une fin de vie digne ne consiste pas à ne plus éprouver de douleur ni de souffrance, faute de quoi l’euthanasie constituerait toujours la solution d’une fin de vie, ce que la réalité médicale conteste par elle-même. Dire le contraire serait duper l’esprit qui ne s’y tromperait plus confronté à une telle situation. Autrement dit, il n’y a pas de fin de vie digne. Il n’y a que des absences remplies. Or, ramener la dignité de la fin de vie à cela, c’est la ramener à une incomplétude. Nulle dignité ne peut être effective par l’absence de quelque chose d’autre, encore moins par l’absence de celui que l’on a euthanasié. Ainsi, quand bien même la vie n’a plus ses contraintes qui nous la faisaient haïr, cela ne la dote pas de ce qu’il faut pour l’aimer. C’est bien peu, objectera-t-on, pour rendre une fin de vie heureuse. Mais c’est peut-être tout simplement parce qu’une fin de vie digne n’entretient pas de relation avec le bonheur, ce qui ne la rend pas indigne ni ne l’empêche d’être digne. Qui se résout dans la joie à quitter ceux qu’il aime et ceux qui l’aiment ? Il n’y a que les insensés. Et c’est pourquoi, la seule façon de remplir l’absence de dignité en fin de vie, c’est de faire sens.

 

III – Faire sens, augmenter sa puissance d’exister

La fin de vie n’est pas une réalité qui est absolument à notre portée. Si tel était le cas, on s’arrangerait pour que toutes les fins de vie soient dignes. Or, une fin de vie est une réalité où le champ des possibles s’est réduit à son minimum pour laisser la place à une certitude douloureuse : la mort arrive bientôt et pas toujours dans les meilleures conditions. C’est dire alors que toutes les autres réalités se refusent à nous pour ne laisser que celle-la. Mais si la fin de vie nous fait mal, ce n’est pas par son manque de dignité, mais parce que nous n’acceptons pas que la dignité manque. Et nous trouvons habile de crier à l’injustice de la nature pour en attendre une réparation ; réparation qui ne viendra jamais puisque la justice n’est pas une loi de la nature. Pour elle, qu’importe qu’une fin de vie nous soit digne ou indigne, elle ne fait pas dans le sentiment, elle se contente d’être tout simplement. En cela, elle est vérité. Mais cette vérité n’entretient pas de relation avec la valeur. Ce n’est pas parce qu’une fin de vie est difficile que cela indique la valeur morale de l’euthanasie, pas plus qu’elle n’indique la valeur morale de la médecine palliative. Dresser un pont entre ce qui est et ce qui doit être est un dogmatisme parfois dangereux.

Désirer qu’une fin de vie soit digne, c’est donc faire le constat d’un lieu vide. Là où il y a du désir, comme nous l’avons esquissé, c’est l’indice d’un manque. Et qu’il y ait du manque, c’est la possibilité de le remplir. De là, on pourrait rapidement conclure que désirer est une puissance en ce que désirer être un mourant digne, c’est l’être en puissance, comme l’enfant l’est de l’adulte qu’il deviendra. Mais cette conclusion est insuffisante pour expliquer pourquoi celui qui s’engage, par exemple, dans une revendication personnelle ou collective de son désir de mort, trouve, sinon le goût pour la vie, du moins un intérêt nouveau pour celle-ci. Comme si revendiquer son désir de mourir dignement, fût-ce au moyen d’une euthanasie, augmentait sa puissance d’être, puissance qui se distingue, finalement, de l’être en puissance de quelque chose.

Autrement dit, désirer mourir dignement, et quel que soit le moyen d’y parvenir, est l’expression d’un effort, un effort en acte en ce qu’il est conscient. Certes, cette conscience n’en est pas pour autant conscience des causes du désir et en cela, la thèse de l’euthanasie comme dernière liberté devient difficile à défendre. Qu’importe, puisque l’objet de cette réflexion est davantage ce qui est véritablement en jeu dans le désir qu’une fin de vie soit digne. Aussi, pouvons-nous répondre maintenant que cet enjeu se trouve dans la persévérance d’être, ce que nous pouvons appeler autrement la puissance d’exister. Spinoza, figure emblématique de cette puissance, interpelle alors fortement quand il écrit que cet effort affirme l’existence de notre corps (Ethique, III, prop. 10, démonstration). Désirer mourir dignement est alors l’indice d’une vie qui ne se laisse pas emporter par la mort. En cela, il serait contradictoire de l’y conduire nous-mêmes. Désirer, c’est donc désirer vivre, même si c’est vivre au moyen d’un désir de mort. C’est évidemment tout le paradoxe de certaines situations difficiles de fin de vie, mais c’est surtout, tout leur sens.

Cela donne l’indication d’un chemin dont nous écarte la pratique de l’euthanasie. Il consiste alors à vouloir posséder un peu moins et à s’aimer un peu plus. Ici, par «aimer», nous voulons dire « accueillir l’autre », même quand il ressemble si peu à l’image que nous nous faisons de l’humanité. Mais parce que cette humanité blessée est toujours celle de l’un des nôtres, c’est nous-mêmes que nous risquons de pousser sur les marges à ne pas déployer ces efforts extraordinaires pour poser un autre regard sur les vies les plus précaires. Il ne s’agit pas de maintenir des vies à tout prix, mais pour les vies qui semblent n’avoir plus de prix, de maintenir la puissance d’exister sans faire obstacle à la mort. Ce n’est donc pas la douleur ni la souffrance qui relancent le débat sur la dignité en fin de vie. C’est notre incapacité de faire avec la grande vulnérabilité d’autrui et notre illusion de penser que le seul moyen de l’effacer est d’effacer le vulnérable. La mort ne peut être un remède à la vulnérabilité puisqu’elle en est le paroxysme.

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Poser un autre regard sur la personne malade http://plusdignelavie.com/?p=1245 http://plusdignelavie.com/?p=1245#comments Fri, 23 Sep 2011 08:33:21 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1245 Blandine Prevost

Association AMA Diem

Le site de AMA Diem

La version vidéo de l’intervention est en bas de la page.

 

Bonjour à tous,

Emmanuel Hirsch m’a proposé de vous apporter ce matin un rapide témoignage.

Je vais aborder 3 sujets: le poids des mots et du regard posé, puis ce que j’appelle . . . → Read More: Poser un autre regard sur la personne malade]]> Blandine Prevost

Association AMA Diem

Le site de AMA Diem

La version vidéo de l’intervention est en bas de la page.

 

Bonjour à tous,

Emmanuel Hirsch m’a proposé de vous apporter ce matin un rapide témoignage.

Je vais aborder 3 sujets: le poids des mots et du regard posé, puis ce que j’appelle les trois combats, et enfin apprendre à mourir à la vie.

 

Le poids des mots

Le regard que l’on porte, les mots que l’on utilise sont importants, vous en conviendrez: le poids des mots est énorme…

 

« Bonjour, je m’appelle Blandine et j’ai 38 ans, je suis ingénieure en électronique, mariée à un homme extra, Xavier, et l’heureuse maman de 3 enfants… »

Votre regard sur moi changera peut-être, si je me présente à vous en d’autres termes:

« Bonjour je m’appelle Blandine, je suis atteinte d’une maladie apparentée Alzheimer, et ai été diagnostiquée il y a bientôt 3 ans. »

Ou encore, et parce que c’est un terme employé :

« Bonjour, je m’appelle Blandine, je suis démente… »

Le regard que vous allez poser sur moi est certainement différent si je me présente à vous d’une façon ou d’une autre… et pourtant les 3 sont vraies.

Mais avant d’être une malade de plus, je suis avant tout une personne, complètement, entièrement. Comme chacun d’entre vous, j’ai des rêves, et par dessus tout j’aime la vie.

Et certes, j’ai une particularité, une petite distinction, un petit plus…une foutue maladie qui va peu à peu me faire disparaître à vos yeux, peu à peu, on va parler de moi en ma présence, sans même avoir la décence de me consulter ou de baisser la voix, on m’animera, on m’infantilisera…

Car je vais disparaître derrière cette maladie. Si je sais que je vais disparaître derrière cette maladie, c’est parce que mon papa a été diagnostiqué il y a 8 ans, il est aujourd’hui très fortement dépendant, et je vois donc combien il est difficile de garder à l’esprit que derrière le malade, il reste une personne.

 

Actuellement, beaucoup d’entre vous doivent se dire « Cela ne se voit pas ». Certes, actuellement j’arrive encore à cacher cette maladie mais, pour autant, le regard des gens et de mes proches a changé. Qui d’entre vous n’a pas cette semaine oublié ses clés, de poster le courrier, ou encore d’acheter le pain ? Moi si j’oublie d’acheter le pain, on me regarde gravement : « c’est la maladie qui progresse…. » Que nenni ! J’ai juste oublié d’acheter le pain. Rien de pathologique là-dedans, enfin, pas toujours !

 

Il faut, je crois, que je vous explique mes vraies pertes de mémoire et pour ce faire, pour une fois, je vous invite à vous mettre à ma place : celle du malade, et moi je prends la vôtre, celle du « bien portant » :

Imaginez que je vienne vous voir à l’issue de cette journée et que je vous dise « Alors, ces fraises ? »

Là votre cerveau  va mouliner très vite: « De quoi me parle-t-elle ? De quelles fraises ? »

Donc vous tenterez peut être des questions, mine de rien : « Les fraises ?… » et je vais vous répondre : « Oui, celles que je vous ai donnée en vous croisant ce midi !»

 

Est-ce que chacun d’entre vous aujourd’hui se rappelle de ces fraises ?

Non, pour vous l’événement n’a pas existé ! Même en faisant des efforts surhumains : point de fraises… Et pourtant vous aimez ça !

 

Mais voilà, dans la vraie vie, ma réalité de malade est celle ci : point de fraises… Ce n’est pas un oubli, cela n’a juste pas existé !

Ma réalité est différente de la vôtre : pour moi, c’est bien au-delà d’un oubli classique, pour moi, je n’ai tout simplement pas vécu cet événement !

Allez, prenons les choses avec philosophie: les bonnes nouvelles, je les ai ainsi plusieurs fois !

 

Alors pitié, évitez les « Mais si, tu te souviens, enfin, tu te souviens, mais voyons… »

Eh bien non, je ne peux pas vous rassurer… Si je me souvenais, je ne serais pas là, à me ridiculiser. Moi je ne l’ai pas vécu… Vous peut être, mais moi non!
Alors parfois, pour vous rassurer, je vais apprendre à reconnaître ces différences de réalités, et à vous approuver fortement : Evidemment que je m’en souviens, elles étaient terriblement bonnes ces fraises… Vous serez rassurés, mais je serai seule face à cet arrangement qui pour moi est un mensonge.

 

Un jour, je ne serai pas capable de vous rassurer, mes difficultés seront telles que je ne saurai plus le faire. Alors je pense aujourd’hui que la meilleure solution pour moi sera de me taire, de réduire mes relations aux autres, pour ne pas leur faire savoir mes différences, ne pas leur faire peur, ne pas les éloigner de moi. Cette solitude pourrait être évitée si l’entourage apprenait à comprendre la réalité d’une personne malade et à l’accepter.

 

Lors de ma dernière visite à papa, quelqu’un lui a dit en me voyant : « Tu la reconnais ? Comment s’appelle-t-elle ? »

J’aurai aimé réagir, mais la bêtise m’a clouée sur place. Papa ne parle plus, et on lui demandait de leur répondre « Mais bien sûr: c’est Blandine, ma fille. ». Son regard m’a prouvé qu’il m’avait reconnu. Comment ? Je n’en sais rien… En temps que sa fille ? En temps qu’une femme qu’il aime bien croiser car elle lui sourit ?

Aucune idée, mais quelle importance ; il était heureux de me voir. Point.

 

Cette question rejoint la phrase culte: « Tu sais qui je suis , allez, dis qui je suis » et là quand on y réfléchit… On peut se demander qui est le plus fou des deux. Peut être ne faites-vous plus partie de ma réalité, peut être est-ce juste les mots qui me manquent pour vous nommer, ou peut-être que les mots que vous dites ne me parlent plus.
Mais pitié ne me testez pas. Il y a des professionnels qui font ça mieux que vous.

En conclusion de cette première partie, j’aimerai vous dire :

En face de vous, regardez la personne que je suis et non la maladie qui m’habite.

 

Mes 3 combats

Vivre avec cette maladie c’est un triple combat.
Le premier de ces combats, c’est avant tout pour ne pas perdre mes capacités : me battre pour les garder le plus longtemps possible.

Le deuxième c’est d’accepter, car si je n’accepte pas la perte de ces capacités, alors je n’ai qu’à sombrer. Donc ce deuxième combat : s’accepter telle que je suis ou plutôt telle que je ne suis plus et ne serais plus. M’accepter avec tout ces moins.

Et enfin, en même temps que ces deux combats : un troisième combat, celui de m’inventer des solutions, m’inventer un avenir. Le troisième combat est de trouver des solutions de remplacement.

 

Par exemple : j’adore la lecture, c’est l’une de mes passions.

Mais voilà, la maladie, actuellement touche la lecture, pas encore le déchiffrage, mais c’est plutôt pour réussir à suivre l’histoire que c’est devenu compliqué.

Donc 1er combat : me battre, m’accrocher pour continuer à maintenir la lecture.

2eme combat : accepter. Accepter de lire des romans du rayon ados, dont l’intérêt, vous en conviendrez, est limité ! Accepter la perte de cette capacité intellectuelle… Accepter sans en avoir honte? C’est dur, voire impossible !

 

3eme combat: trouver une issue de secours à long-terme : quelle activité pourrais-je trouver pour passer un aussi bon moment qu’avec un livre quand la lecture ne sera plus possible ?
Des pistes existent, mais il faut être capable de prendre du recul, de faire en sorte que la douleur s’apaise, laissant place à une solution.
Peut-être que l’une des solutions sera pour moi la photo ? Affaire à suivre… et si vous avez des idées, je prends !

 

Et voilà, ce triple combat est à mener sur bon nombre de fronts: au niveau de mes capacités, certes, mais aussi et surtout au niveau de mon mari Xavier et de mes trois enfants de 10 et 8 ans.

1er combat :  me battre pour que la vie ensemble soit la plus belle, la plus classique possible, bref que notre quotidien soit le plus normal et beau possible.

2eme combat : me battre pour accepter que je ne serais peut-être pas à leurs côtés pour les voir grandir, et les accompagner dans les étapes de leur vie.

et enfin 3eme combat, parallèlement, me battre pour trouver des solutions innovantes, différentes, pour l’avenir, pour que notre relation perdure, qu’elle reste belle, qu’elle soit apaisée.

 

Voilà, de ce 3eme combat et de ce désir de trouver une solution pour l’avenir, une solution qui permette un avenir ensemble différent, mais possible… De ce 3eme combat est né AMA Diem.

 

Je ne veux pas qu’à l’avenir, nous vivions côte à côte sous le même toit, que le poids de ma dépendance pèse sur leur vie, jusqu’à les étouffer et les empêcher de vivre.
Car j’adore la vie, et si je peux faire en sorte qu’eux aussi aiment autant la vie, qu’ils la trouvent belle… Alors la maladie ne m’aura pas vaincue, elle n’aura pas gagné même si ma fin ne sera pas différente de celle des autres personnes malades d’Alzheimer ou apparentée.
Voilà, aujourd’hui l’association AMA Diem prône ce regard différent : regarder la personne avant la maladie, regarder tout ce qui nous reste plutôt que tout ce qui nous manque, et faire en sorte que l’avenir nous permettent de vivre sereinement, dans un espace humain, non pas qui ressemble a une maison mais qui SOIT une maison.

Une maison qui permettra à la personne vulnérable d’évoluer à son rythme, et à ses proches de venir chez elle, pour que la relation, libérée des contingences matérielles, se trouve apaisée.
Pour qu’à l’Amour ne succède pas l’épuisement puis la haine, mais bien qu’à l’Amour succède la tendresse.

 

En conclusion de cette deuxième partie:

AMA Diem veut dire AIME le jour… aime le jour avec et malgré la maladie… et je peux vous dire: c’est tout un programme!

 

Apprendre à mourir à ma vie

Emmanuel Hirsch, vous avez écrit un livre, je ne saurai pas le lire, mais le titre me fait sourire car il m’interpelle : « Apprendre à mourir ». Moi, j’apprends à vivre avec une mort différente, une mort cérébrale, intellectuelle, un avenir qui me pose la question :

« Qui suis-je vraiment ? Suis-je moi actuellement ? Est-ce la vraie Blandine ? Et quand la maladie m’aura enlevé mes capacités… Serai-je encore moi ? Quand on décidera pour moi, où sera ma liberté ? »

 

J’ai toujours aimé vieillir, cela peut paraître étrange, mais pour moi, la vie nous aide à grandir, à nous former, et peu-à-peu, l’âge nous apporte une certaine sagesse. Parfois la lucidité que nous apporte la vie, ou l’avancée en âge, peut rendre acariâtre, ou amer, mais je trouve qu’une personne âgée pleine de rides, c’est assez fabuleux à regarder, surtout si l’on regarde ces rides comme autant d’expériences, de joies, de peines vécues, si l’on regarde la personne âgée en se disant qu’elle est le résultat de millions de rencontres, d’événements.

 

La perspective de vieillir ne m’a donc jamais traumatisée, mais m’a toujours rendue sereine : certaine que tout ce que j’aurai été amenée à vivre, m’aura façonnée, modifiée, et aidé à grandir.

Mais la maladie est entrée dans ma vie et biaise cette vision de ma vieillesse : Comment gérer le fait que je ne vais pas « accumuler » des événements mais plutôt me vider ? Quelle finalité trouver dans une avancée en âge qui ne vous remplit plus, mais vous vide ? Comme axe de progrès pour ma vie personnelle, on a déjà fait mieux !

 

Là encore, la maladie me met face à une question : Je sais qui j’étais hier, j’ai quelques doutes sur qui je suis aujourd’hui, qu’est-ce qui est de la part de ma propre personnalité, qu’est ce qui est la part de la maladie ? Quand je m’énerve, quand j’ai des sautes d’humeur… Est-ce moi ou est-ce la maladie ?
Cela m’arrangerait peut-être de me dire : c’est la maladie, mais d’un autre coté, c’est à moi de lutter contre, et c’est ma décision de ne pas faciliter ma conscience en reportant ma responsabilité sur « la maladie… » en me faisant moi-même disparaître derrière cette maladie!

 

Qui suis-je aujourd’hui donc, ou plutôt, où suis-je ? Et que serai-je demain ? Qui serai-je demain, serai-je encore moi ? Ou est-ce que le vide qui peu-à-peu va m’envahir va me vider de ma substance ? Mais là encore, je ne veux pas me « déresponsabiliser » : Je ne veux pas que l’on ne me regarde plus que comme une malade, alors je pense que je souhaite assumer : même vide, ce sera moi, aux autres d’apprendre à faire connaissance avec cette autre facette de ma personne… Un vrai challenge pour tous!!

 

Apprendre à mourir à ma vie… Voilà une tâche qui m’incombe, et j’espère bien pouvoir compter sur vos éclairages à tous!

 

Mot de fin

Je vais terminer sur cette phrase de Michel Audiard, découverte il y a quelques temps :

« Heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière »

 

Cette phrase je l’entends de multiples façons :

Tout d’abord elle raisonne à la manière des Béatitudes, et on peut entendre dans « fêlé », nos fêlures, nos fragilités, et y voir un chemin vers Dieu.

 

Autre interprétation que j’affectionne également : dans ce terme « fêlé », j’y vois aussi la folie, la joyeuse folie qui nous fait déjanter, « péter un plomb », tenter des choses un peu folles

Ca, j’y adhère, et j’y ai toujours adhéré : pouvoir mettre une graine de folie dans la vie, c’est pour moi un don, car ça illumine la vie, ça permet des rencontres, des joies, de bons délires, un bon défouloir… Une joyeuse lumière.

 

La maladie m’aura aussi permit de lire cette phrase différemment

« Heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière. » Aujourd’hui j’entends aussi dans cette phrase un espoir.

La maladie va me rendre démente, fêlée… J’espère que cette maladie me permettra de laisser passer la lumière, d’apporter quelquechose aux autres : un regard, une façon d’être, etc. Quelque chose de positif dans la vie de ceux qui me côtoieront !

 

Merci a tous pour votre écoute, et je vous, je nous, souhaite une belle réflexion sur ces vastes sujets de l’éthique.


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Le polyhandicap nous oblige, nous parents, à devenir des conquérants http://plusdignelavie.com/?p=301 http://plusdignelavie.com/?p=301#comments Mon, 06 Jun 2011 14:52:38 +0000 http://dev.plusdignelavie.com/?p=301 Martine Laurent Groupe Polyhandicap France

Marie, ma fille, a 17 ans. Elle est polyhandicapée à la suite d’une encéphalite non étiquetée révélée à 12 jours, puis d’un syndrome de West à six mois. Notre petite famille à peine constituée a basculé d’un coup et sans filet dans le monde du polyhandicap dont nous . . . → Read More: Le polyhandicap nous oblige, nous parents, à devenir des conquérants]]>

Martine Laurent
Groupe Polyhandicap France

Marie, ma fille, a 17 ans. Elle est polyhandicapée à la suite d’une encéphalite non étiquetée révélée à 12 jours, puis d’un syndrome de West à six mois.
Notre petite famille à peine constituée a basculé d’un coup et sans filet dans le monde du polyhandicap dont nous ignorions tout, mosaïque de solitudes, d’archaïsmes souvent, mais aussi d’humanisme et, parfois, d’âmes exceptionnelles.
La force qu’ a su nous transmettre, par son humanité, le neurologue de l’hôpital qui a si vite pris Marie en charge, nous a d’emblée projetés dans la bataille.

Pour autant, la réalité vous terrasse lorsque vous rentrez seuls à la maison, déconnectés d’un monde hospitalier difficile mais protecteur, avec dans les bras votre enfant tellement abîmée que vous doutez d’être pourvu de cet instinct maternel que vous imaginiez «inné» et «infaillible» et sur lequel vous aviez pensé pouvoir vous appuyer.

Je me souviens parfaitement de ces questions qui me taraudaient sans répit : qu’allons nous faire ensemble ? comment vais-je pouvoir communiquer avec mon enfant ?
Ma prise de conscience progressive qu’il était nécessaire que Marie puisse s’exprimer et agir a pris ses racines dans cet élan puissant qui me tenaillait, d’établir avec elle un lien dont la qualité me semblait le fondement incontournable d’un avenir que je voulais heureux.

Je crois qu’un enfant ne peut pas se construire si personne n’a pour lui le désir qu’il existe pour lui-même. Et il faut du temps lorsqu’on est parent confronté au polyhandicap pour que ce désir émerge, prenne corps et sens.

Je ne me suis donc pas réveillée un beau matin avec l’objectif défini d’aider Marie à développer son autonomie. Le polyhandicap a tellement bouleversé nos ancrages que, pour accompagner notre enfant, nous n’avons pas pu faire l’économie d’élaborer d’abord tout un travail de reconstruction complexe, long, toujours perfectible.
Marie m’a depuis bien longtemps montré que l’essentiel est au creux de chacun d’entre nous. La richesse de ses perceptions, la finesse de sa sensibilité en sont de magnifiques témoins.
A cette époque pourtant, outre le fait de trouver ma place de mère, il a fallu que j’affronte tout de suite les terribles représentations que j’avais du handicap mental, qui me faisaient confondre «capacité d’abstraction» et «conscience». C’est l’obstacle qui fut le plus insidieux je crois et le plus difficile à franchir.
Quelle pouvait être la vie intérieure d’un être aussi démuni, comment allais-je pouvoir aider ma fille à se sentir exister ? Par quels chemins son cerveau allait-il pouvoir lui permettre d’intégrer son environnement ? On me disait que le lobe frontal était touché et je traduisais : Marie ne pourra pas «penser», si Marie ne peut pas penser quel va donc être le sens de son existence ?

Je ne voulais pas être le maître qui tire les fils de la marionnette pour l’animer.
J’avais imaginé bien autre chose… Je ne voulais pas de marionnette.
Nourrir son appétence pour la vie, assurer à Marie une sécurité intérieure la plus solide possible pour que, malgré ses fragilités de toutes natures, elle ait suffisamment de ressources pour accueillir les sollicitations et relations extérieures, a toujours été une préoccupation essentielle.
Pendant des années, j’ai eu le sentiment de m’employer sans relâche à réchauffer une flamme souvent fragile et parfois vacillante.

Il me semblait vital pour elle, que Marie puisse acquérir son autonomie psychique car autant il me paraissait évident qu’il fallait qu’elle puise dans mon désir de mère et dans notre désir de parents des forces de vie solides, autant j’ai vite été consciente que cette alchimie n’avait de sens que pour lui permettre d’exister aussi en dehors de ce lien, faute de quoi, un jour, notre mort (à nous ses parents) signerait aussi la sienne.
Lorsque j’expliquais à une éducatrice ma crainte que Marie n’y parvienne pas, la gentillesse de son discours ne me rassurait pas : je sais bien qu’il faut trouver en soi le désir de vivre.
C’est toute la problématique de notre vie, réactivée à chaque passage important de la vie de Marie.

Mais finalement tous les parents accompagnent leurs enfants sur le chemin de l’autonomie et ce parcours est souvent source de nombreux questionnements.
A ce détail près cependant, que le polyhandicap, situation extrême, majore considérablement la difficulté, pour deux raisons :
- la première, parce que tout au long de la vie vous êtes en permanence confrontés à un décalage de plus en plus important entre l’âge réel de votre enfant et ses capacités effectives ;
- la seconde, parce que l’extrême dépendance de votre enfant vous engage dans une proximité tellement continue et intense, que votre enfant comprend bien que vous lui êtes indispensable pour vivre, et que vous vous trouvez confronté vous-mêmes au fait très concret que, pour tout ce qui concerne sa vie, votre enfant ne peut pas se «débrouiller» sans vous.

Quoi qu’il arrive vous savez que vous êtes et serez le « Garant » de sa sécurité et d’une grande partie de son bonheur.
Vous êtes et serez toujours le dernier rempart.
La société ne nous permet pas vraiment pour l’instant d’envisager les choses autrement.
Alors, dans ce contexte, comment aider cet enfant si dépendant à développer son autonomie  (je dis « enfant » en me référant à notre lien de filiation), quelle autonomie et pourquoi ?

Notre vécu n’est pas une succession d’étapes bien séquencées, que nous aurions élaborées l’une après l’autre. Les années décisives de l’enfance de Marie ont été un bouillonnement de maturations, de deuils, d’élaboration de représentations nouvelles.

Parce que pour envisager d‘aider son enfant polyhandicapé à développer son autonomie, aussi modeste soit-elle, il faut à la fois pouvoir :

- stabiliser le socle du lien ;
- se sentir suffisamment confiant dans ses capacités de parent ;
- avoir suffisamment intégré que son enfant a des capacités et qu’il peut les développer ;
- pouvoir penser l’avenir pour nourrir un projet de vie, que l’on réajustera de toute façon naturellement au fil du temps.
Tout s’articule ensemble, tout est lié, tout se fait en même temps.

Cela suppose des soutiens multiples et forts, celui de mes proches aura été et reste déterminant, celui des professionnels aussi est indispensable.
Cela implique également que, si nous avons absolument besoin d’explications précises (je redoutais plus que tout de fonctionner dans l’illusion), nous avons aussi besoin de perspectives. Et l’angle par lequel nous est délivré le/les diagnostic (s) les oriente considérablement.

Dans notre histoire, nous avons eu très vite à supporter un diagnostic de « Cécité corticale », qui ainsi formulé et sans autres explications a télescopé le travail de « reconnaissance » que nous amorcions.
J’ai retenu « Cécité ». Je pensais « ma fille ne me voit pas » et j’avais l’impression qu’un mur nous séparait. Nous étions coupées l’une de l’autre. C’était comme une main que je tendais dans le vide. Marie ne me voyait pas et c’était moi qui avais alors l’impression de ne pas pouvoir l’atteindre. Blessure extrême : je n’en ai jamais connu de plus douloureuse.

Pour que tout change, il a fallu que nous ayons la chance de rencontrer à Bordeaux une orthoptiste exceptionnelle, qui travaille depuis très longtemps en collaboration avec le Professeur Bullinger.
Je me souviens, lorsque j’ai vu le regard de Marie accrocher sans équivoque les damiers noirs et blancs, stimulation particulière à laquelle elle pouvait dans un contexte bien spécifique répondre, du sentiment de ce possible, débordant, vivant. Impression de renaître, de voir enfin la lumière. C’est la représentation même de mon enfant qui a basculé, la représentation de son avenir et de notre avenir commun qui s’est alors transformée.

Pendant de nombreuses années, avec l’appui des compétences de notre extraordinaire guide nous avons tissé encore et encore, inventé, osé, encouragé Marie, beaucoup, autour du visuel et … bien au-delà du visuel.
Elle était si contente de ses réussites
Nous développions notre parentalité et dans le même temps nous aidions Marie à exister.
Cet espace avait je crois, sous une forme différente pour chacun de nous trois, le goût de la liberté.

On ne peut pas aider son enfant polyhandicapé à développer ses capacités d’action et d’expression sans s’inscrire dans une dynamique d’échanges et d’interactions, parce que c’est à travers la relation qu’émerge la proposition de l’un et la réponse (ou l’ébauche de réponse) de l’autre.

Et je suis inquiète lorsque dans une institution on demande aux professionnels un
« détachement » ambigüe, tel qu’il ne permet plus de développer une relation vraie.
Il est bien sûr indispensable de réfléchir aux pourquoi du comment de cette relation d’aide dans laquelle sont engagés les professionnels, mais à trop vouloir se protéger, à ne pas vouloir finalement se risquer à la relation, on peut tout simplement mettre la personne polyhandicapée en danger en passant à côté de son essentiel.
Ce n’est pas le Lien qu’il faut s’évertuer à dénouer. C’est l’authenticité du lien au contraire qu’il faut développer, pour que chacun justement puisse garder Son autonomie, la personne polyhandicapée comme le professionnel. Ce n’est pas de l’Autre dont il faut se détacher, c’est sur soi-même qu’il faut travailler : il n’y a pas d’autres risques dans une relation que ceux de sa propre fragilité.
C’est parce que cette orthoptiste remarquable met ses connaissances et ses compétences scientifiques très pointues au service de l’être, que la rééducation de son regard a permis à Marie d’accéder au monde.

Se préoccuper de l’autonomie de son enfant, c’est aussi, pour les petites et grandes choses de la vie, l’encourager à exprimer ses désirs et ses émotions, lui permettre  autant qu’il est possible d’anticiper et de participer, vouloir chercher son approbation ou son désaccord pour lui permettre d’être au cœur de ce qui le concerne.

Lorsque Marie était petite, je rêvais qu’elle puisse me dire non, en particulier lorsque je lui donnais à manger. Il me paraissait essentiel pour elle, qu’elle puisse me signifier avec un code que je puisse comprendre, si elle voulait poursuivre ou s’arrêter.
Et je pensais que si nous trouvions le moyen d’y arriver, ce serait une clef formidable.
Comme il n’était pas question pour Marie à cette époque d’expression orale bien précise, j’ai eu l’idée d’utiliser ce qu’elle savait faire et, pendant les repas, nous avons petit à petit élaboré un code en lui donnant du sens. Marie a dépassé nos espérances, car même si le code oui / non ne fonctionne pas au Centre comme à la maison, même si bien sûr il est aléatoire dans de nombreux domaines, il est devenu dans certains pertinent. Si Marie a encore beaucoup de chemin à parcourir pour s’affirmer, en particulier lorsqu’elle est en groupe, elle sait très souvent signifier parfaitement ce qu’elle veut et nous ne nous privons pas, pour ce qui nous concerne, de développer le sujet avec elle.

Aider Marie à développer son autonomie c’est aussi lui donner des repères : par exemple au quotidien lui expliquer le rythme de sa journée, ce qui va se passer tout à l’heure ou demain. C’est lui parler, beaucoup, des évènements de sa vie (l’arthrodèse vertébrale, les déplacements professionnels de son papa et mille autres choses).

C’est, dans un registre plus direct encore, donner du sens aux manipulations de toutes sortes que son polyhandicap nécessite si souvent. J’explique à Marie mes actes, autant que je le peux. Il ne s’agit pas de me parler à moi-même en décrivant par le menu ce que je fais. Non, il s’agit par ce biais de faire participer Marie, pour qu’il y ait de la distance entre mes actes et ses ressentis, pour qu’elle ne subisse pas ce que je suis obligée de lui imposer malgré toutes  mes précautions.
L’impliquer, toujours, et lorsqu’il s’agit de son intégrité physique, c’est capital.

Je redis qu’il faut vouloir guider cette autonomie, parce que c’est sous cet angle que le polyhandicap nous oblige à envisager la question.
Les personnes polyhandicapées sont tellement fragilisées, que c’est à nous de nous mettre en disponibilité pour comprendre ce qu’elles veulent nous dire : tel regard, tel geste, tel changement d’expression, pour ensuite pouvoir rebondir sur ce qu’elles expriment et leur permettre d’aller plus loin dans cette expression.
Cela implique d’être attentif à leurs besoins et d’apprendre à décoder les signes qu’elle nous envoient. Le polyhandicap nous invite à développer beaucoup d’empathie et de vigilance. Pour aller droit au but, il faut aller droit au cœur de cette humanité dépouillée que nous accompagnons. Le superflu nous encombre.
Et quand la personne polyhandicapée est trop affaiblie, c’est dans le regard respectueux qu’on porte sur elle que s’inscrit son autonomie d’être humain, à travers les attentions et les préoccupations que nous lui manifestons de son « bien-être ».

S’interroger sur l’autonomie de la personne polyhandicapée qu’on accompagne, c’est aussi souvent s’interroger sur son propre désir.
J’ai dans mon souvenir un épisode difficile autour d’une proposition de gastrostomie. Cette gastrostomie était pour nous le signe même d’une perte d’autonomie que nous n’arrivions pas à envisager. La décision finale nous revenait : elle était très compliquée à prendre.
S’agissait-il vraiment pour nous de préserver cette partie de l’autonomie de Marie ou s’agissait-il de nos propres blocages que nous n’arrivions pas à assumer ? En refusant la gastrostomie que nous percevions comme une entrave, n’étions nous pas en train tout simplement de jouer avec sa vie ? L’autonomie jusqu’où ?
Se questionner permet de garder la distance mentale nécessaire indispensable qui protège Marie et évite finalement, le plus possible, que par glissement nous confondions nos désirs et ses besoins.

Pour Marie comme pour n’importe quel être en devenir, et nous sommes toute notre vie en devenir, chaque pas en appelle un autre, différent. On n’est jamais sûr de pouvoir faire plus, mais on n’apprend pas à marcher si on n’essaie pas de se mettre debout.
Et si le polyhandicap nous recentre toujours sur des ambitions modestes, ce n’est pas la performance qu’il faut viser comme une fin en soi, bien sûr si elle est atteinte c’est formidable, ce qui compte plus encore  : c’est la dynamique.

Et pour cela : il faut oser, plus que pour d’autres. Oser lire à Marie des histoires (j’aurais beaucoup à développer). Oser proposer à Marie toute petite, le plaisir de bouger dans un youpala qui lui a permis d’expérimenter des sensations formidables. Oser proposer à Marie de jouer à la poupée. Oser, pendant deux ans, aller voir régulièrement une orthophoniste expérimentée et enfin réussir à convaincre le médecin de rééducation fonctionnelle du Centre de Marie de la laisser intégrer le petit groupe d’expression que l’orthophoniste de ce Centre avait constitué. Ce petit groupe qui s’appelait « Atelier vocalises » fut pour Marie un tremplin formidable.

Cependant, l’autonomie de Marie ne se décline pas comme une accumulation de compétences allant crescendo. Par la force des choses, elle évolue en fonction de l’évolution de sa pathologie.
Marie par exemple ne peut plus se servir comme lorsqu’elle avait dix ans de ses capacités motrices pour intervenir et agir. Par contre son système de communication orale est plus développé.
L’autonomie s’entretient. Marie devra toujours faire beaucoup d’efforts pour gagner sa liberté et ses aidants devront également développer beaucoup de perspicacité pour l’accompagner sur ce chemin et lui permettre de s’adapter.
C’est fondamental, parce que pour être sujet il faut d’une façon ou d’une autre, pouvoir agir sur ce qui nous concerne, que l’on soit polyhandicapé ou non.
Choisir, agir, c’est donner du sens à sa vie et Marie nous montre très bien combien c’est important pour elle. C’est parce qu’on agit qu’on se sent exister, et c’est parce qu’on existe qu’on a envie d’agir.

Se préoccuper de l’autonomie des personnes polyhandicapées, alors même qu’elles sont extrêmement dépendantes, c’est tout simplement se préoccuper de leur dignité d’être humain.
Et reconnaître la plénitude de leur humanité c’est reconnaître les droits qui sont les leurs.
Parce qu’elles ne peuvent pas facilement s’exprimer pour elles-mêmes, il est de notre responsabilité individuelle et collective de faire en sorte que les personnes polyhandicapées ne deviennent jamais « transparentes ».

Lutter, chaque jour, contre cette transparence, parce que tout ce que Marie peut exprimer d’une manière ou d’une autre la pose en tant qu’Etre, et qu’ Etre particulier, parce que sa capacité à signifier à l’Autre est tout simplement indispensable pour qu’elle soit reconnue.

Je ne peux pas parler de l’autonomie de Marie sans parler aussi de la mienne : l’une et autre sont liées.

Mon autonomie malmenée, bousculée, reste toujours à consolider :

- toute ma vie il faudra que je lutte pour ne pas me laisser happer par une situation humaine qui m’oblige à vivre sur le fil du rasoir.
Et comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi que je lutte sans relâche pour desserrer les mailles du filet dans lequel m’emprisonne souvent un système médicosocial déficient, reflet d’une société à la fois prisonnière des ses tabous et obnubilée par le fonctionnement des systèmes qu’elle génère aux dépens des Etres que ces systèmes concernent.

Mon autonomie s’est trouvée engluée dans un magma complexe de sentiments de souffrance, de culpabilité, de réparation, et de contraintes de tous ordres.
Il m’a donc fallu reconstruire « en plein » tout ce qui s’inscrivait « en creux ».
J’ai compris qu’à chaque fois que j’envisageais ma fille d’abord comme un poids, un obstacle à ma liberté, j’employais toute mon énergie uniquement à lutter contre ce poids et que cette Représentation m’aliénait.

C’est en restructurant ma disponibilité mentale, en me situant dans une dynamique d’échanges, que j’ai pu éviter de me laisser envahir. Cela demande de s’ouvrir totalement et implique aussi une certaine forme de rigueur mentale. C’est une clef essentielle pour moi : donner du sens à cet accompagnement, m’inscrire dans le mouvement : pour et avec, en me recentrant sur les questions fondamentales : Qui suis-je vraiment ? Qu’est-ce qui compte pour moi ? Qu’est-ce que j’accepte que le polyhandicap change dans ma vie et pourquoi ?

Pour reconquérir mon autonomie il m’a aussi fallu apprendre à ne pas me perdre dans la douleur de ma fille lorsqu’elle est en souffrance. Ne pas m’abîmer dans une proximité qui, je le sais, pourrait devenir destructrice pour l’une et l’autre.
Apprendre à recueillir cette souffrance, quelle qu’elle soit, et l’apaiser aussi sereinement que  je le peux. Accepter mon impuissance parfois et donner à Marie seulement le meilleur de moi-même, pour qu’elle puisse se battre en utilisant ses propres forces de vie.
Le respect toujours de cet être qui vient de ma chair, mais n’est pas moi.
Notre autonomie nous appartient et si c’est bien à nous de la mettre en œuvre et d’arriver à retrouver le chemin de notre liberté intérieure, je ne crois pas que cela soit possible sans étayage, sans guide, sans soutien.

Etre autonome c’est aussi pouvoir s’ assumer économiquement. C’est également pouvoir s’inscrire dans la vie sociale, sans être acculé, lorsqu’ on est en couple, à devoir empiéter sur l’autonomie de l’autre pour développer la sienne.
L’autonomie c’est un Tout, dont les composantes interagissent les unes avec les autres.

Aujourd’hui, mon autonomie, notre autonomie est malgré tout, limitée.

Notre société a bien du mal à changer de regard et à comprendre que nous ne sommes ni coupables, ni débiteurs d’aucune dette.
Oublier les personnes polyhandicapées du champ de la solidarité, c’est du même coup condamner leurs familles à une inexistence sociale inacceptable.

Construire des établissements adaptés suffisants en nombre, développer des formules d’accueil temporaire souples et des services à la personnes ponctuels de proximité, développer les réseaux, les centres ressources : c’est indispensable, mais pas encore suffisant.
Rien n’est plus dévastateur pour ma propre existence que lorsque je suis confrontée au dilemme terrible de ne pouvoir envisager mon autonomie qu’en sacrifiant la dignité de Marie.
Comment puis-je devenir autonome si je sais que l’accompagnement des personnes polyhandicapées ne s’inscrit pas dans une dimension éthique forte? C’est un écartèlement insoutenable : pallier aux carences du système pour protéger ma fille, aux dépens de mon autonomie, ou privilégier mon autonomie aux dépens de ma fille. L’autonomie à quel prix ?

Malgré de très lourdes séquelles et une très grande dépendance, Marie je crois sait qui elle est, sans se confondre avec ceux qui l’entourent, établissant avec les uns et les autres un degré de relation différent.
C’est une belle victoire je trouve qu’elle a su remporter.

C’est dans le présent que s’écrit l’avenir et j’espère que Marie aura encore de belles pages à rédiger.
J’avais imaginé bien sûr partir après elle et pouvoir toujours l’aider à conquérir sa liberté.
« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » dit le Petit Prince, et j’ai beaucoup apprivoisé ma rose.
Je me suis souvent accroché au fantasme que peut-être nous pourrions partir ensemble, mais en réalité je refuse que de notre lutte il ne reste plus rien que le néant d’une terre brûlée.

Plus encore que des combattants, le polyhandicap nous oblige, nous parents, à devenir des conquérants et, de toutes les victoires que nous devons remporter, celle de l’autonomie, pour notre enfant et pour nous-mêmes, est essentielle.

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Ne jamais abandonner l’espoir que porte un combat http://plusdignelavie.com/?p=291 http://plusdignelavie.com/?p=291#comments Mon, 06 Jun 2011 14:49:49 +0000 http://dev.plusdignelavie.com/?p=291 Gabriel Gomis Juriste, étudiant en master, Espace éthique/AP-HP

Si je pouvais donner l’espérance aux personnes dormantes, assommées par leur maladie, même résoudre ce qui les a arraché au monde habituel, si les mots devenaient magie je ne me lasserais pas de les exprimer. Si je pouvais en ces dates donner . . . → Read More: Ne jamais abandonner l’espoir que porte un combat]]> Gabriel Gomis
Juriste, étudiant en master, Espace éthique/AP-HP

Si je pouvais donner l’espérance aux personnes dormantes, assommées par leur maladie, même résoudre ce qui les a arraché au monde habituel, si les mots devenaient magie je ne me lasserais pas de les exprimer. Si je pouvais en ces dates donner l’espoir d´être pour toujours sauvé aux personnes marginalisées par leur condition, soit par la maladie ou l’exclusion sociale, j’en ferais des couplets sans fin pour finir et lire dans leurs yeux le bonheur.
Si je lutte pour quelque chose depuis plus d’un an maintenant afin de ne pas dépendre de remèdes et d’hôpitaux, je voudrais courir pour les aider et non pas végéter. Ils sont transis de froid, d’obscurité ou de désespoir. Je ne veux que personne ne soit condamné parce que sa nature lui a joué des mauvais coups qui ne sauraient contester l’inestimable condition d’être. Les sages, les magistrats, les médecins pourront les guérir ou les juger, les décrire, les classifier, mais rien ne pourra les réduire à un néant déshumanisant.
Si j’arrache à mon être les mots, les paroles, les gestes qui me permettent avec eux de communiquer, rien ne sera éphémère et passager. Si un jour je pouvais donner à la vie tout ce qu’elle m´a offerte, mon bonheur serait à eux, et dans ce bonheur je pourrais me réjouir. Mais je parle au conditionnel, et la condition humaine demeure ainsi à travers le temps.
Un jour je suis bien, l’autre je me perds aux confins d’un univers que dont je ne veux pas qu’il soit le mien ou le leur. Pourtant les choix qui nous sont proposés sont pauvres, restreints. Je comprends que dès la prime révolte il nous faut constamment batailler. La bataille se perd dans l’obscurité et dans l’inexorable durée de la souffrance. C’est à peine si j’ai parfois le courage et la possibilité de continuer, de maintenir l’engagement. Mais tant que des paroles résonneront comme un clairon, mes actions pour encourager l’autre ne sont que l’expression d’une timide bonté. Il faut toujours recommencer, parce que même si la nuit nous submerge en plein jour par sa torride clarté, je sais combien les souffrances de toute sorte ne nous excluent pas de la vie. Elles nous obligent même à la vivre.
L´horreur d’une perspective de dépendance, de sénilité ou de mort, ces batailles confuses du jugement, tout cela n’est que poussière, résidu. Il suffit d’une particule de bonté pour combattre tous ces malheurs qui arrivent toujours et sans exception à l’heure convenue. Suivre les sentiers de la vie, accepter leur cheminement c´est apprendre toujours à perdre mais peut-être aussi à gagner en amour substantiel. J’aimerais, vie, que tu me dises où voyager pour être prophète d’espoir, mais je butte constamment sur des paroles sans pouvoir réaliser ce à quoi j’ai toujours aspiré.
Je vis dans l´ombre de la lumière, car elle me blesse lorsqu’elle me frappe, cette photophobie que mon corps a pour partenaire. Face à tous les malheurs je trouve toujours le refuge d’un recoin de bonheur, si infime et passager soit-il. Ce que l´on vit a un sens pour autant qu’on puisse l’assumer sans être obligé de le taire, le découvrir sans y renoncer. La vie est toujours un combat. Laissons venir l’avenir mais n’abandonnons jamais l’espoir que porte un combat.

Soutenir une conversation dans la chambre d’un mourant, d’un patient en soins intensifs, ou encore parler même dans le vide en ne sachant pas si cet autre nous entend, l’espoir est toujours tentant. Perdu dans la force des jours, nous devons pourtant à l’amitié ce qu’elle nous offre, une présence et un attachement. Les larmes qui coulent sur ces visages torturés par la maladie, une perte, une souffrance ressemblent au labour d’un terrain labouré avant les plantations. Ainsi se renouvelle l’existence dans le don, l’engagement d’une bataille qui peut être perdue sans pour autant anéantir une existence.

Maintenant que tout sommeille, que l’obscurité enveloppe ma nuit, j’égraine le chapelet de mes prières. Ces neuf ans passés dans la précarité m´ont enseigné à aider, car si l´on donne ne pas de soi-même quelque chose périt dans notre être. Et me voilà confronté moi-même à la maladie, à la chirurgie. Plus que tout je lutterai inlassablement en malade et pour les malades. Ils nous transmettent l´espoir et mobilisent nos ressources dans la volonté de préserver la vie.
Dès que j´engage une conversation je me découvre seul et démuni, parce l’autre, en dépit de son exigence, ne peut comprendre ce qu’est notre souffrance. Le monde bruisse de calamités et me voilà inerte, dans la pénombre, ne sachant plus que faire et demandant, quémandant une aide. L’espoir avant tout. Je suis en phase palliative, sachant que cette circonstance ne peut perdurer moralement et durer physiquement. J’ai subi le parcours des médecins spécialistes et aucun n’ose intervenir sur l’opération réalisée précédemment par un autre neurochirurgien. Je me bats de toutes mes forces pour parvenir malgré tout à une issue qui ne soit pas l’acceptation du renoncement.

Je traverse des moments où les maux de tête, invisibles, m’immobilisent. Je cherche en vain les paroles et parfois l’intensité de leur manque m’accable au point de douter de tout. Prostré, je me réfugie dans cette part intime de moi-même à laquelle je ne peux renoncer. Au fil des jours je perds la force de porter la torche du combattant qui braverait la terreur et les assauts de la maladie. Les mots ne se substituent pas toujours aux maux, et la parole se dissipe dans une fiévreuse lumière. Je me découvre face aux combats menés par d’autres malades, j’entends leurs cris de douleur. Je pense à ces malades ravagés, dévastés par la maladie et à l’héroïque patience des gestes de sollicitude témoignés par leurs soignants. Les cauchemars peuplés de leur espoir et de leur force me rendent si proches d’eux, de cet entremêlement de souffrance et de confiance.

Sur mon bureau s’empilent des livres, des images. Un verre d’eau à côté de toutes ces seringues pour antalgique ou antiémétique, ces traces de ce que les jours éprouvants signifient pour moi. Drogues parfois illégales pour atténuer le carnage que j’éprouve en moi.
La maladie est en même temps faiblesse et forteresse. Comment en abattre les murs ? Ils sont chaque fois plus hauts ou me le semblent. Et les proches qui souffrent comme nous, victimes de ces secrets dangers que dissimule la nature. Et les mots, jamais à niveau de ce que l’on souhaiterait qu’ils disent.
J´ai perdu aujourd´hui une amie dévastée par la maladie, jeune, belle, 35 ans. On s´est soutenus l’un et l’autre pendant tout l’été. Mon cœur désespéré a voulu se dissimuler à ce soleil qu´elle ne verra plus, à ses paroles disparues dans une étoile. Je ne pensais pas que j’allais la perdre, alors que pendant de longues semaines nous discutions comme si de rien n’était, en ignorant l’échéance.
Elle est partie et m’a confié son témoignage, je suis le légataire de ces paroles exprimées dans cette incertitude du vivant. Sa maladie a été foudroyante mais elle a su la vivre avec une ténacité indescriptible. Curieusement, le temps de la maladie semble nous rendre une liberté avant de la confisquer définitivement.
Je me révolte, dans un silence respectueux. Maintenant que j’ai observé cette mort, je me rends compte que chaque mort est semblable et différente. Semblable dans sa réalité physique, différente s’agissant de la personne qui en quelque sorte s´échappe par la porte du jour, portant avec elle son histoire, insolite et mystérieuse.
Les mots me pèsent, apaisant toutefois mon esprit souvent trop confus pour exprimer et restituer ce qu’il éprouve.

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