Il y a trahison à la vocation du médecin de confondre l’acte de sollicitude avec le geste du meurtre

Emmanuel Hirsch,

Président du Collectif Plus Digne la Vie, professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud 11, Auteur de Apprendre à mourir, éditions Grasset

 

Mise à mort médicalisée par compassion

 

C’est désormais à Bayonne qu’est relancée la controverse sur la dépénalisation de l’euthanasie. Au cœur d’un établissement hospitalier, à la suite de la décision non concertée d’un médecin de mettre un terme à l’existence de personnes malades confiées à ses soins. Selon un dispositif et des stratégies minutieusement élaborées à travers les années, se remettent en place, comme dans une pièce de théâtre hâtivement ressortie des cartons, les protagonistes d’une mauvaise comédie qui reprennent leurs postures convenues en quête d’une audience qu’ils viennent quérir faisant feu de tous les artifices dont ils se sont faits un métier. Voilà que nous reviennent les pieuses litanies, les vertueuses admonestations, les savantes dissertations, parfois même les mises en cause personnelles déclinant sur le registre de la dignité à reconquérir les grandeurs d’une liberté portée au degré supérieur de la justification du meurtre par compassion. Voilà que nous sont à nouveau imposées ces condamnations sommaires, ces révocations à travers une contestation idéologique péremptoire de ceux qui s’emploient encore à ne pas renoncer ou du moins à penser autrement l’urgence de nos responsabilités. Dans la déroute de la maladie incurable, il est en effet d’autres approches de la sollicitude et de la compréhension que l’agitation d’un débat public simplificateur et les manipulations démagogiques visant à forcer la légitimation de la mise à mort médicalisée des personnes à ce point contestées dans leur dignité et dans leurs droits qu’on leur concède, comme ultime privilège, celui d’une mise à mort planifiée ou alors improvisée, selon « le bon plaisir » d’un médecin.

Les circonstances étaient assez semblables en 2008 lorsque nous avons créé le Collectif Plus Digne la Vie, suscitant une adhésion massive qui ne peut que renforcer notre résolution. Il ne s’agit en rien, pour ce qui nous concerne, d’exprimer une position « pour » ou « contre » l’euthanasie, cette affaire si personnelle et intime qui ne relève certainement pas des positions idéologiques ou d’intrigues politiciennes. Notre engagement citoyen est celui de démocrates sensibles aux devoirs d’humanité qui engagent franchement auprès des personnes les plus vulnérables. Celles et ceux qui s’associent à notre démarche sont pour beaucoup d’entre eux investis au quotidien auprès de personnes malades ou handicapées, parfois en fin de vie. Leurs expériences les incitent à réfuter des thèses inappropriées, détournées des quelques savoirs vrais acquis au plus près des réalités humaines de la fin de vie. Ils ne se reconnaissent donc pas dans les termes de disputations émotionnelles qui tentent de détourner le corps social de ses véritables responsabilités en proposant des solutions dénaturées. Leurs positions engagées sur le terrain en dehors des enceintes médiatiques, dans l’intimité d’une relation d’autant plus indispensable et essentielle que le temps est limité, s’avèrent d’une toute autre nature que la recherche frénétique des dispositifs « de minutie » adaptés aux pratiques de l’euthanasie organisée dans un système. Leur conception de la démocratie s’exprime en des termes de solidarité, d’écoute, de compréhension et de soutien actif. Certainement pas à travers le discours de la disqualification, du rejet et de l’exclusion, lorsqu’il parvient dans ses excès à estimer préférable une euthanasie professionnalisée  faute d’avoir le courage d’inventer ensemble les conditions humaines et sociales d’une existence encore digne d’être vécue jusqu’à son terme. A cet égard, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie constitue l’avancée législative nécessaire qu’il ne convient plus que d’accepter de mettre en œuvre, dans les circonstances qui la justifient, partout sur notre territoire national.

 

 

Penser et assumer nos obligations

 

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie concerne davantage nos obligations à l’égard de la personne en fin de vie que des droits en fait équivoques et pour le moins difficiles à cerner. Il nous faut penser les réalités délicates et très souvent douloureuses des phases terminales dans un contexte médicalisé, en surmontant la tentation du renoncement ou au contraire de l’opiniâtreté contestable. Le juste soin ou la justesse des pratiques nous incite à mieux définir une position de respect et de mesure à l’égard de la personne malade et de ceux qui lui sont proches.
La valeur de cet encadrement législatif est de nous permettre d’assumer une position, un engagement au service de la personne au terme de son existence. La reconnaître dans sa dignité et ses droits renvoie désormais à l’exigence de prendre en compte sa volonté, ses choix, qu’ils soient explicites ou exprimés par un interlocuteur qui lui serait fidèle. L’attention accordée à la décision de la personne, éventuellement à ses directives anticipées, à la procédure de collégialité dans la limitation ou l’arrêt des traitements témoigne d’une évolution marquante.

Dans ces circonstances si particulières et étranges, la notion de revendication semble donc dénaturer la signification d’enjeux infiniment plus essentiels. Il semble toujours très discutable d’idéaliser la « bonne mort » ou la « mort dans la dignité » alors que ce qui importe c’est de pouvoir vivre une existence accompagnée et soutenue jusqu’aux derniers instants. Une mort en société et non à ses marges, anticipée, reléguée, ignorée, abandonnée.
Que l’on ne confonde pas les registres. L’indifférence apeurée de notre société au regard du très grand âge, de la condition des personnes handicapées ou de la maladie chronique, le manque de réponses acceptables en termes d’accueil et de suivi ne sauraient justifier la destitution du droit de la personne à vivre encore parmi nous. Il s’agit là d’une expression manifeste des droits de l’homme et de notre démocratie. Un tel principe confère une signification particulière au fait que le Parlement, à l’unanimité, se soit accordé sur un texte d’une portée humaine et sociale évidente.
La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie ne saurait donc se limiter à la mise en œuvre de procédures à nouveau conformes à la tradition éthique d’un soin digne. Elle en appelle à une prise de conscience et à une mobilisation qui nous concernent au-delà de l’enceinte des institutions hospitalières. La personne malade doit retrouver sa place au cœur de la cité et bénéficier d’une sollicitude qui ne se résume pas à l’inventaire de droits souvent très théoriques. Il importe de lui reconnaître une place, une position, un rôle qui la confirment dans ses sentiments d’appartenance, d’estime de soi, de considération. Faute de quoi sa destitution ou sa mort sociale ne peut que l’inciter à exiger le coup de grâce, à demander la mort.

S’il est un droit de la personne malade en fin de vie, c’est celui de vivre sa vie jusqu’aux limites de ce qu’elle souhaite, dans un contexte favorable aux exigences qu’une telle intention sollicite. On néglige ce que représente une existence entravée et dépendante, affectée de manière intense par l’évolution d’une maladie qui envahit tout. Il convient de rendre encore possible et tenable une espérance, un projet qui permettent à la personne de parvenir, selon ses préférences, au terme de son cheminement, de sa réalisation.
Les derniers temps d’une existence sont affaire à la fois intime et ultime. Le législateur a eu la sensibilité et l’intelligence de comprendre que la personne devait être respectée dans son autonomie, en fait dans l’expression de sa liberté. Tel est, selon moi, l’enjeu majeur. Comment respecter la liberté d’une personne à ce point dépendante d’une maladie ou d’altérations que l’on ne maîtrise plus ? Comment envisager, avec elle, les conditions d’une liberté digne d’être vécue mais aussi qui, à un moment donné, incite à ne plus persévérer de manière vaine ou injustifiée ?

La loi permet aujourd’hui de renouer avec l’humanité, l’humilité et la retenue que sollicite de notre part la mort d’un homme, de s’élever au-delà du médical pour renouveler notre regard, nos attitudes et plus encore nos responsabilités à l’égard du mourant et de ses proches. Ce texte représente désormais la réponse la plus juste à l’appel, à l’attente des personnes qui souhaitent vivre leur mort autrement que dans l’abandon ou par euthanasie.

Nous pensons que c’est en ces termes que s’imposent nos obligations auprès des personnes malades qui vont mourir, et qu’il y a trahison à la vocation du médecin de confondre l’acte de sollicitude avec le geste du meurtre.

 Lire et signer le manifeste à l’occasion de cette nouvelle mobilisation

 

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