Deux récits de dignité

Par l’équipe de l’hôpital de jour de soins palliatifs, Hôpital Paul Brousse, Villejuif

Jean Becchio
Médecin-hypnopraticien

Patrick Martin
Psychomotricien

Sylvain Pourchet
Médecin

Catherine Richard
Assistante sociale

Michèle H. Salamagne
Médecin

Lambert Vadrot
Infirmier

Catherine Vilanou-Lacroix
Psychologue

 

 

La dignité : ce mot qui revient sans cesse dès qu’il est question de fin de vie, ce mot qui à force d’être répété perd une partie de son sens.

Pourquoi ne pas s’installer autour d’une table pour évoquer en équipe le parcours de deux malades, choisis parmi tant d’autres, suivis dernièrement à l’hôpital de jour de soins palliatifs de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif, pour comprendre ce que « dignité » signifiait pour eux.

 

Tout d’abord relatons l’arrivée de cet homme, journaliste, nous apportant un récit très détaillé de son parcours de malade. Avec une minutie toute particulière il avait transcrit sur son ordinateur portable tous les événements au jour le jour depuis le diagnostic de sa maladie cancéreuse, d’abord sous forme de texte libre, puis conjointement sous forme de tableaux. Transcrire et rapporter avec une extrême minutie était pour lui de l’ordre de l’obligation, du désir de communiquer, de transmettre. Ses divers symptômes, tels que la douleur physique, l’essoufflement au moindre effort, la fatigue, la perte d’appétit, passaient au deuxième plan. Sa dignité s’inscrivait dans ce projet d’écriture de son dernier reportage, c’était le reportage de sa vie.

Épuisé mais conscient que nous avions entendu sa volonté, il nous confia même son ordinateur et son imprimante pour ne pas avoir à les transporter entre deux consultations, sachant implicitement qu’il n’avait plus l’énergie de taper seul ses derniers écrits.

 

Nous revient aussi le cas de cette femme, ayant opté délibérément pour l’arrêt de tout traitement curatif, alors qu’elle aurait pu bénéficier d’un nouveau protocole de chimiothérapie. Ne plus rentrer dans une filière thérapeutique pré-établie était son vœu le plus cher.

Affirmer son désir de remplir pleinement son rôle de maitresse de maison occupait une place essentielle lors des entretiens. « Des médicaments pour calmer ma douleur, pour préserver mon autonomie, tout à fait d’accord, mais pas question de provoquer une baisse de ma vigilance » nous répétait elle à chaque entretien.

« Parler du futur ? Pourquoi faire, puisque je vais bien ». Envisager sa fin de vie était de l’ordre de l’interdit. Elle laissait place à quiconque d’aborder le sujet, mais s’autorisait à venir avec des chaussures, dont les motifs représentaient des têtes de morts.

Venir à la consultation à pied, ne pas s’allonger sur le lit d’examen, ne pas se dévêtir, repartir au plus vite, était devenue sa règle.

Accepter son désir de fuir dès son arrivée, ne pas prédire son devenir, ne pas calquer son histoire sur celle d’autres patients, rester en terrain neutre pour ne pas devancer sa volonté, telle a été la construction de notre accompagnement, comme réponse à sa demande de prise en  charge. C’était pour nous la façon de la respecter dans ce qui était pour elle « sa » dignité.

 

Préserver la dignité de nos patients, c’est donner du temps au temps, nous autoriser à lever l’ancre de nos schémas classiques de soignants, rentrer dans la construction d’un devenir choisi par le patient, tout en gardant nos fonctions de professionnels de santé.

Préserver la dignité de nos patients, c’est pouvoir faire le point entre soignants, mettre en commun pour orienter une prise en charge qui respecte au mieux leur volonté, qui se fient et se confient à nous.

Un lieu, pour accueillir la personne malade et ses proches à la jonction du curatif et du palliatif, un espace de mise en commun des savoirs, un temps modulable au-delà des contraintes économiques, sont autant de richesses que nous apporte l’hôpital de jour.

 

Laisser un commentaire