Une conception éthique de la dignité et de la démocratie

Emmanuel Hirsch

Professeur à l’université Paris 11, président du Collectif Plus digne la vie

 

Au cœur des enjeux les plus délicats de la vie en société, le soignant est sollicité par des demandes et des attentes chaque jour plus fortes. Garant à sa façon des valeurs démocratiques, notre système de santé constitue majoritairement un espace d’exception, accessible de manière continue et en toutes circonstances, créatif et performant, vers lequel sont dirigées les fragilités et les souffrances de la vie au même titre que d’autres attentes ou espérances qui ne trouvent plus audience ailleurs. L’hospitalité y est vécue dans l’engagement éthique et pratique du soin. Cela ne peut qu’inciter à contester les professionnels indifférents au sens de leurs missions et en appeler, pour ce qui les concerne, à une profonde refondation.

Aux visions et perceptions spirituelles de la maladie, de la souffrance et de la pauvreté se sont substituées d’autres figures de la personne malade ou vulnérable. Les avancées biomédicales et l’avènement des techniques du vivant ont radicalement transformé les fonctions humaines et sociales du soin. Il n’en demeure pas moins que la sollicitude dans le soin constitue encore l’expression la plus sensible du témoignage de nos obligations à l’égard de l’autre. Le soin peut être compris comme un engagement éthique qui s’exprime parfois comme une position de résistance ou de dissidence face aux arbitraires, aux excès et aux abus.

D’autres obligations du soin s’imposent aujourd’hui. On ne saurait les ramener aux seules prouesses biomédicales ou technologiques. Les professionnels de santé ne sauraient donc se soustraire aux exigences d’une conception démocratique de la responsabilité, là même où la cité se révèle dans ses sensibilités, détresses, espérances les plus fortes. Mais aussi dans ses limites, carences et incertitudes. Il leur faut partager un mode de questionnement à la fois subtil, spécifique car bien souvent appliqué à des domaines d’une grande complexité, pourtant de nature à solliciter des argumentations d’une richesse et d’une intensité très exceptionnelles. Qu’en est-il de la liberté, de la dignité, du respect, de l’autonomie dans les circonstances où la chronicité, la douleur, la dépendance, l’échéance rapprochée d’une fin de vie semblent en atténuer le sens, la valeur, ou alors, fort paradoxalement, les exacerber ? De telles dimensions philosophiques, éthiques ou politiques sollicitent à chaque instant une vigilance qui tient pour beaucoup aux conditions d’exercice et d’expression d’une réflexion invulnérable aux tentations de l’esquive ou du renoncement.

L’exigence d’une pensée forte et l’effort de discernement s’avèrent donc indispensables dans un domaine où culminent tant d’impératifs et d’enjeux qu’il convient d’identifier, analyser, hiérarchiser, négocier, alors que doivent être prises en compte de multiples considérations souvent contraignantes et parfois même contradictoires.

L’encadrement législatif, au même titre que les préconisations formulées par les instances compétentes, représente dans nombre de circonstances un repérage nécessaire. Toutefois ne peut-on pas s’interroger sur certains excès d’ordre organisationnel ou strictement juridiques qui altèrent l’esprit même du soin ? L’exercice des missions imparties aux professionnels de santé s’avère chaque jour plus incertain et exposé. Dès lors, il leur faut repenser ensemble, afin de mieux la comprendre et la défendre, l’idée de responsabilité assumée dans l’acte de soin.

C’est aux limites et parfois même aux marges du soin, mais aussi de notre système social, que s’imposent les réflexions les plus exigeantes. Il ne faut pas craindre cette confrontation et accompagner dans leur combat ceux qui l’assument chaque jour avec humilité, sans grande reconnaissance, au nom des valeurs qui inspirent une conception vivante de la dignité humaine et de la démocratie.

 

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