Droit à l’euthanasie : le fantasme institué

Elisabeth G. Sledziewski

Université Paris-Est Crétail / Espace éthique/AP-HP

Quelques remarques sur les enjeux politiques de notre mobilisation.

1. L’euthanasie est culturellement majoritaire.

Certes, des signes encourageants confortent notre démarche. Un récent sondage fait apparaître une réticence de l’opinion à l’égard de toute surenchère euthanasique. Du même coup, les médias, qui déversaient naguère à jet continu la pensée unique pro-euthanasie, se sont faits un peu plus nuancés, ou du moins prudents.
Mais la lecture des blogs, chats et forums marqués à gauche ne laisse planer aucun doute : massivement, l’euthanasie est du côté de la modernité sympa, et la défense du statu quo législatif du côté de l’obscurantisme clérical…
La logique irrésistible du « si je veux, quand je veux, comme je veux, j’y ai droit parce que je le vaux bien » érige la « mort choisie » en figure non discutable de l’autonomie individuelle, vouée, comme naguère  l’avortement, à devenir un droit fondamental de la personne humaine. A cet égard, même si notre démarche relève d’une exigence éthique indépendante de toute affiliation partisane, il est clair qu’elle a déjà commencé à être politiquement minoritaire et que l’alternance de 2012, quelle qu’en soit l’orientation, peut être l’occasion de balayer le fragile statu quo législatif.

2. Prendre un parti de résistance.

Mais il nous faut persister… et résister, puisque le combat est politique. Contre la culture de mort dominante, celle de l’accompagnement de fin de vie et des soins palliatifs doit s’affirmer comme un parti de résistance. Celle-ci doit se dérouler dans le champ politique, où les positions ne sont pas symétriques comme dans une ”disputatio” des fresques de la Sorbonne : soumis à un rapport de force qui nous est défavorable, n’omettons jamais de souligner que nous défendons les valeurs de l’humanisme, et que ces valeurs sont mises à mal.
Ne nous contentons pas de dire pourquoi nous combattons – »Why we fight »–, mais pourquoi la simple cause des droits de l’homme réclame un combat face au rouleau compresseur du nihilisme, de l’utilitarisme, de la déshumanisation. Il convient d’avoir ici un discours offensif, qui soit à la fois de dénonciation et d’indignation (cf. S. Hessel).
Dénonçons, sous le clinquant des proclamations libertaires, les affinités glauques entre le thème de la ”mort choisie” et ceux de l’eugénisme, qu’il soit public ou privé. L’idolâtrie de la volonté est le plus petit dénominateur commun entre le fantasme individuel de meurtre et le permis de tuer légalement institué par des « ministres de la mort ». Sous cet angle, la débâcle des normes (cf. P. Legendre) à la sauce postmoderne procède de la même logique tyrannique que la dérive totalitaire du pouvoir d’Etat.
Indignons-nous du signal criminel que pourrait constituer, en temps de pression budgétaire accrue, la liberté donnée à chacun d’évaluer sa propre vie… ou la suggestion faite aux plus faibles de le faire. N’hésitons pas à stigmatiser comme une régression barbare, contraire à tous les codes de déontologie médicale et aux conventions internationales en vigueur, le projet de former le personnel soignant à dispenser la mort.

3. ¡Viva la muerte!

Le combat politique requiert aussi de s’interroger sur l’intérêt poursuivi par l’adversaire : qu’est-ce qui fait courir les partisans d’une loi libéralisant l’euthanasie active ? pourquoi prétendent-ils que la législation actuelle (loi Leonetti d’avril 2005 sur les droits des patients en fin de vie) est inadaptée et insuffisante, alors qu’elle est plutôt mal connue et mal appliquée ? quel bénéfice escomptent-ils de cette surenchère idéologique en faveur du pouvoir de donner la mort ?
C’est ce pouvoir qui les fascine justement, avec sa promesse de libération des forces de l’anomie. Le culte narcissique du moi, l’extase consumériste, poussés jusqu’à leur limite absurde -mon désir fait loi– travaillent ici au service du libéralisme fou et participent à une œuvre d’ensauvagement, absolument antidémocratique.
Sûrs de leur bon droit et prenant leur fascination pour de l’humanisme, les activistes de la piqûre sont des militants de la mort. Comme d’autres avant eux, mais dans une transposition conviviale méconnaissable, ils font résonner le sinistre « Viva la muerte » : « paradoxe barbare », (cf. M. de Unamuno), « cri nécrophile et insensé ».

 

3 comments to Droit à l’euthanasie : le fantasme institué

  • d. bourguet

    merci à madame Elisabeth G. Sledziewski d’oser dire que au delà de la mode, de la politique, du désir de faire des électeurs, ou d’agiter les églises il y a un droit à la vie. ce droit est le premier et le moins inaliénable de nos bien. merci

  • martin villepou eliane

    Il est indéniable que cette culture de mort et ce degré zéro de la pensée en l’homme, voire de l’éthique , érigés en idéal doivent servir à quelques uns… Le maire d’Olivet a permis à « l’association mourir dans la dignité »,le droit de planter un arbre sur un terrain public le 1er Novembre et des représentants de la mairie étaient présents, ainsi que la presse.
    S’en est suivi un échange de courrier avec le Maire.
    Dans le cas présent il confondait liberté de pensée individuelle et mandat public donc respect de la législation puisqu’il en est le représentant. Est-ce démocratique?
    De plus par cet acte symbolique très fort il ancrait dans les esprits autant que dans l’espace et dans le temps l’idée simpliste que tuer est la seule issue possible, le bien désirable. En tant que citoyenne , membre de l’association JALMALV,et art-thérapeute j’en ai été très choquée.

    • Elisabeth G. Sledziewski

      Merci pour cette information précieuse : la démarche de l’association, l’accord du maire et la controverse qui s’est ensuivie illustrent, au-delà de l’éthique personnelle, la dimension politique du débat sur l’euthanasie et son enjeu de civilisation. Je ferai état de votre témoignage dans une prochaine communication. Cordialement, E G S

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