Le polyhandicap nous oblige, nous parents, à devenir des conquérants

Martine Laurent
Groupe Polyhandicap France

Marie, ma fille, a 17 ans. Elle est polyhandicapée à la suite d’une encéphalite non étiquetée révélée à 12 jours, puis d’un syndrome de West à six mois.
Notre petite famille à peine constituée a basculé d’un coup et sans filet dans le monde du polyhandicap dont nous ignorions tout, mosaïque de solitudes, d’archaïsmes souvent, mais aussi d’humanisme et, parfois, d’âmes exceptionnelles.
La force qu’ a su nous transmettre, par son humanité, le neurologue de l’hôpital qui a si vite pris Marie en charge, nous a d’emblée projetés dans la bataille.

Pour autant, la réalité vous terrasse lorsque vous rentrez seuls à la maison, déconnectés d’un monde hospitalier difficile mais protecteur, avec dans les bras votre enfant tellement abîmée que vous doutez d’être pourvu de cet instinct maternel que vous imaginiez «inné» et «infaillible» et sur lequel vous aviez pensé pouvoir vous appuyer.

Je me souviens parfaitement de ces questions qui me taraudaient sans répit : qu’allons nous faire ensemble ? comment vais-je pouvoir communiquer avec mon enfant ?
Ma prise de conscience progressive qu’il était nécessaire que Marie puisse s’exprimer et agir a pris ses racines dans cet élan puissant qui me tenaillait, d’établir avec elle un lien dont la qualité me semblait le fondement incontournable d’un avenir que je voulais heureux.

Je crois qu’un enfant ne peut pas se construire si personne n’a pour lui le désir qu’il existe pour lui-même. Et il faut du temps lorsqu’on est parent confronté au polyhandicap pour que ce désir émerge, prenne corps et sens.

Je ne me suis donc pas réveillée un beau matin avec l’objectif défini d’aider Marie à développer son autonomie. Le polyhandicap a tellement bouleversé nos ancrages que, pour accompagner notre enfant, nous n’avons pas pu faire l’économie d’élaborer d’abord tout un travail de reconstruction complexe, long, toujours perfectible.
Marie m’a depuis bien longtemps montré que l’essentiel est au creux de chacun d’entre nous. La richesse de ses perceptions, la finesse de sa sensibilité en sont de magnifiques témoins.
A cette époque pourtant, outre le fait de trouver ma place de mère, il a fallu que j’affronte tout de suite les terribles représentations que j’avais du handicap mental, qui me faisaient confondre «capacité d’abstraction» et «conscience». C’est l’obstacle qui fut le plus insidieux je crois et le plus difficile à franchir.
Quelle pouvait être la vie intérieure d’un être aussi démuni, comment allais-je pouvoir aider ma fille à se sentir exister ? Par quels chemins son cerveau allait-il pouvoir lui permettre d’intégrer son environnement ? On me disait que le lobe frontal était touché et je traduisais : Marie ne pourra pas «penser», si Marie ne peut pas penser quel va donc être le sens de son existence ?

Je ne voulais pas être le maître qui tire les fils de la marionnette pour l’animer.
J’avais imaginé bien autre chose… Je ne voulais pas de marionnette.
Nourrir son appétence pour la vie, assurer à Marie une sécurité intérieure la plus solide possible pour que, malgré ses fragilités de toutes natures, elle ait suffisamment de ressources pour accueillir les sollicitations et relations extérieures, a toujours été une préoccupation essentielle.
Pendant des années, j’ai eu le sentiment de m’employer sans relâche à réchauffer une flamme souvent fragile et parfois vacillante.

Il me semblait vital pour elle, que Marie puisse acquérir son autonomie psychique car autant il me paraissait évident qu’il fallait qu’elle puise dans mon désir de mère et dans notre désir de parents des forces de vie solides, autant j’ai vite été consciente que cette alchimie n’avait de sens que pour lui permettre d’exister aussi en dehors de ce lien, faute de quoi, un jour, notre mort (à nous ses parents) signerait aussi la sienne.
Lorsque j’expliquais à une éducatrice ma crainte que Marie n’y parvienne pas, la gentillesse de son discours ne me rassurait pas : je sais bien qu’il faut trouver en soi le désir de vivre.
C’est toute la problématique de notre vie, réactivée à chaque passage important de la vie de Marie.

Mais finalement tous les parents accompagnent leurs enfants sur le chemin de l’autonomie et ce parcours est souvent source de nombreux questionnements.
A ce détail près cependant, que le polyhandicap, situation extrême, majore considérablement la difficulté, pour deux raisons :
- la première, parce que tout au long de la vie vous êtes en permanence confrontés à un décalage de plus en plus important entre l’âge réel de votre enfant et ses capacités effectives ;
- la seconde, parce que l’extrême dépendance de votre enfant vous engage dans une proximité tellement continue et intense, que votre enfant comprend bien que vous lui êtes indispensable pour vivre, et que vous vous trouvez confronté vous-mêmes au fait très concret que, pour tout ce qui concerne sa vie, votre enfant ne peut pas se «débrouiller» sans vous.

Quoi qu’il arrive vous savez que vous êtes et serez le « Garant » de sa sécurité et d’une grande partie de son bonheur.
Vous êtes et serez toujours le dernier rempart.
La société ne nous permet pas vraiment pour l’instant d’envisager les choses autrement.
Alors, dans ce contexte, comment aider cet enfant si dépendant à développer son autonomie  (je dis « enfant » en me référant à notre lien de filiation), quelle autonomie et pourquoi ?

Notre vécu n’est pas une succession d’étapes bien séquencées, que nous aurions élaborées l’une après l’autre. Les années décisives de l’enfance de Marie ont été un bouillonnement de maturations, de deuils, d’élaboration de représentations nouvelles.

Parce que pour envisager d‘aider son enfant polyhandicapé à développer son autonomie, aussi modeste soit-elle, il faut à la fois pouvoir :

- stabiliser le socle du lien ;
- se sentir suffisamment confiant dans ses capacités de parent ;
- avoir suffisamment intégré que son enfant a des capacités et qu’il peut les développer ;
- pouvoir penser l’avenir pour nourrir un projet de vie, que l’on réajustera de toute façon naturellement au fil du temps.
Tout s’articule ensemble, tout est lié, tout se fait en même temps.

Cela suppose des soutiens multiples et forts, celui de mes proches aura été et reste déterminant, celui des professionnels aussi est indispensable.
Cela implique également que, si nous avons absolument besoin d’explications précises (je redoutais plus que tout de fonctionner dans l’illusion), nous avons aussi besoin de perspectives. Et l’angle par lequel nous est délivré le/les diagnostic (s) les oriente considérablement.

Dans notre histoire, nous avons eu très vite à supporter un diagnostic de « Cécité corticale », qui ainsi formulé et sans autres explications a télescopé le travail de « reconnaissance » que nous amorcions.
J’ai retenu « Cécité ». Je pensais « ma fille ne me voit pas » et j’avais l’impression qu’un mur nous séparait. Nous étions coupées l’une de l’autre. C’était comme une main que je tendais dans le vide. Marie ne me voyait pas et c’était moi qui avais alors l’impression de ne pas pouvoir l’atteindre. Blessure extrême : je n’en ai jamais connu de plus douloureuse.

Pour que tout change, il a fallu que nous ayons la chance de rencontrer à Bordeaux une orthoptiste exceptionnelle, qui travaille depuis très longtemps en collaboration avec le Professeur Bullinger.
Je me souviens, lorsque j’ai vu le regard de Marie accrocher sans équivoque les damiers noirs et blancs, stimulation particulière à laquelle elle pouvait dans un contexte bien spécifique répondre, du sentiment de ce possible, débordant, vivant. Impression de renaître, de voir enfin la lumière. C’est la représentation même de mon enfant qui a basculé, la représentation de son avenir et de notre avenir commun qui s’est alors transformée.

Pendant de nombreuses années, avec l’appui des compétences de notre extraordinaire guide nous avons tissé encore et encore, inventé, osé, encouragé Marie, beaucoup, autour du visuel et … bien au-delà du visuel.
Elle était si contente de ses réussites
Nous développions notre parentalité et dans le même temps nous aidions Marie à exister.
Cet espace avait je crois, sous une forme différente pour chacun de nous trois, le goût de la liberté.

On ne peut pas aider son enfant polyhandicapé à développer ses capacités d’action et d’expression sans s’inscrire dans une dynamique d’échanges et d’interactions, parce que c’est à travers la relation qu’émerge la proposition de l’un et la réponse (ou l’ébauche de réponse) de l’autre.

Et je suis inquiète lorsque dans une institution on demande aux professionnels un
« détachement » ambigüe, tel qu’il ne permet plus de développer une relation vraie.
Il est bien sûr indispensable de réfléchir aux pourquoi du comment de cette relation d’aide dans laquelle sont engagés les professionnels, mais à trop vouloir se protéger, à ne pas vouloir finalement se risquer à la relation, on peut tout simplement mettre la personne polyhandicapée en danger en passant à côté de son essentiel.
Ce n’est pas le Lien qu’il faut s’évertuer à dénouer. C’est l’authenticité du lien au contraire qu’il faut développer, pour que chacun justement puisse garder Son autonomie, la personne polyhandicapée comme le professionnel. Ce n’est pas de l’Autre dont il faut se détacher, c’est sur soi-même qu’il faut travailler : il n’y a pas d’autres risques dans une relation que ceux de sa propre fragilité.
C’est parce que cette orthoptiste remarquable met ses connaissances et ses compétences scientifiques très pointues au service de l’être, que la rééducation de son regard a permis à Marie d’accéder au monde.

Se préoccuper de l’autonomie de son enfant, c’est aussi, pour les petites et grandes choses de la vie, l’encourager à exprimer ses désirs et ses émotions, lui permettre  autant qu’il est possible d’anticiper et de participer, vouloir chercher son approbation ou son désaccord pour lui permettre d’être au cœur de ce qui le concerne.

Lorsque Marie était petite, je rêvais qu’elle puisse me dire non, en particulier lorsque je lui donnais à manger. Il me paraissait essentiel pour elle, qu’elle puisse me signifier avec un code que je puisse comprendre, si elle voulait poursuivre ou s’arrêter.
Et je pensais que si nous trouvions le moyen d’y arriver, ce serait une clef formidable.
Comme il n’était pas question pour Marie à cette époque d’expression orale bien précise, j’ai eu l’idée d’utiliser ce qu’elle savait faire et, pendant les repas, nous avons petit à petit élaboré un code en lui donnant du sens. Marie a dépassé nos espérances, car même si le code oui / non ne fonctionne pas au Centre comme à la maison, même si bien sûr il est aléatoire dans de nombreux domaines, il est devenu dans certains pertinent. Si Marie a encore beaucoup de chemin à parcourir pour s’affirmer, en particulier lorsqu’elle est en groupe, elle sait très souvent signifier parfaitement ce qu’elle veut et nous ne nous privons pas, pour ce qui nous concerne, de développer le sujet avec elle.

Aider Marie à développer son autonomie c’est aussi lui donner des repères : par exemple au quotidien lui expliquer le rythme de sa journée, ce qui va se passer tout à l’heure ou demain. C’est lui parler, beaucoup, des évènements de sa vie (l’arthrodèse vertébrale, les déplacements professionnels de son papa et mille autres choses).

C’est, dans un registre plus direct encore, donner du sens aux manipulations de toutes sortes que son polyhandicap nécessite si souvent. J’explique à Marie mes actes, autant que je le peux. Il ne s’agit pas de me parler à moi-même en décrivant par le menu ce que je fais. Non, il s’agit par ce biais de faire participer Marie, pour qu’il y ait de la distance entre mes actes et ses ressentis, pour qu’elle ne subisse pas ce que je suis obligée de lui imposer malgré toutes  mes précautions.
L’impliquer, toujours, et lorsqu’il s’agit de son intégrité physique, c’est capital.

Je redis qu’il faut vouloir guider cette autonomie, parce que c’est sous cet angle que le polyhandicap nous oblige à envisager la question.
Les personnes polyhandicapées sont tellement fragilisées, que c’est à nous de nous mettre en disponibilité pour comprendre ce qu’elles veulent nous dire : tel regard, tel geste, tel changement d’expression, pour ensuite pouvoir rebondir sur ce qu’elles expriment et leur permettre d’aller plus loin dans cette expression.
Cela implique d’être attentif à leurs besoins et d’apprendre à décoder les signes qu’elle nous envoient. Le polyhandicap nous invite à développer beaucoup d’empathie et de vigilance. Pour aller droit au but, il faut aller droit au cœur de cette humanité dépouillée que nous accompagnons. Le superflu nous encombre.
Et quand la personne polyhandicapée est trop affaiblie, c’est dans le regard respectueux qu’on porte sur elle que s’inscrit son autonomie d’être humain, à travers les attentions et les préoccupations que nous lui manifestons de son « bien-être ».

S’interroger sur l’autonomie de la personne polyhandicapée qu’on accompagne, c’est aussi souvent s’interroger sur son propre désir.
J’ai dans mon souvenir un épisode difficile autour d’une proposition de gastrostomie. Cette gastrostomie était pour nous le signe même d’une perte d’autonomie que nous n’arrivions pas à envisager. La décision finale nous revenait : elle était très compliquée à prendre.
S’agissait-il vraiment pour nous de préserver cette partie de l’autonomie de Marie ou s’agissait-il de nos propres blocages que nous n’arrivions pas à assumer ? En refusant la gastrostomie que nous percevions comme une entrave, n’étions nous pas en train tout simplement de jouer avec sa vie ? L’autonomie jusqu’où ?
Se questionner permet de garder la distance mentale nécessaire indispensable qui protège Marie et évite finalement, le plus possible, que par glissement nous confondions nos désirs et ses besoins.

Pour Marie comme pour n’importe quel être en devenir, et nous sommes toute notre vie en devenir, chaque pas en appelle un autre, différent. On n’est jamais sûr de pouvoir faire plus, mais on n’apprend pas à marcher si on n’essaie pas de se mettre debout.
Et si le polyhandicap nous recentre toujours sur des ambitions modestes, ce n’est pas la performance qu’il faut viser comme une fin en soi, bien sûr si elle est atteinte c’est formidable, ce qui compte plus encore  : c’est la dynamique.

Et pour cela : il faut oser, plus que pour d’autres. Oser lire à Marie des histoires (j’aurais beaucoup à développer). Oser proposer à Marie toute petite, le plaisir de bouger dans un youpala qui lui a permis d’expérimenter des sensations formidables. Oser proposer à Marie de jouer à la poupée. Oser, pendant deux ans, aller voir régulièrement une orthophoniste expérimentée et enfin réussir à convaincre le médecin de rééducation fonctionnelle du Centre de Marie de la laisser intégrer le petit groupe d’expression que l’orthophoniste de ce Centre avait constitué. Ce petit groupe qui s’appelait « Atelier vocalises » fut pour Marie un tremplin formidable.

Cependant, l’autonomie de Marie ne se décline pas comme une accumulation de compétences allant crescendo. Par la force des choses, elle évolue en fonction de l’évolution de sa pathologie.
Marie par exemple ne peut plus se servir comme lorsqu’elle avait dix ans de ses capacités motrices pour intervenir et agir. Par contre son système de communication orale est plus développé.
L’autonomie s’entretient. Marie devra toujours faire beaucoup d’efforts pour gagner sa liberté et ses aidants devront également développer beaucoup de perspicacité pour l’accompagner sur ce chemin et lui permettre de s’adapter.
C’est fondamental, parce que pour être sujet il faut d’une façon ou d’une autre, pouvoir agir sur ce qui nous concerne, que l’on soit polyhandicapé ou non.
Choisir, agir, c’est donner du sens à sa vie et Marie nous montre très bien combien c’est important pour elle. C’est parce qu’on agit qu’on se sent exister, et c’est parce qu’on existe qu’on a envie d’agir.

Se préoccuper de l’autonomie des personnes polyhandicapées, alors même qu’elles sont extrêmement dépendantes, c’est tout simplement se préoccuper de leur dignité d’être humain.
Et reconnaître la plénitude de leur humanité c’est reconnaître les droits qui sont les leurs.
Parce qu’elles ne peuvent pas facilement s’exprimer pour elles-mêmes, il est de notre responsabilité individuelle et collective de faire en sorte que les personnes polyhandicapées ne deviennent jamais « transparentes ».

Lutter, chaque jour, contre cette transparence, parce que tout ce que Marie peut exprimer d’une manière ou d’une autre la pose en tant qu’Etre, et qu’ Etre particulier, parce que sa capacité à signifier à l’Autre est tout simplement indispensable pour qu’elle soit reconnue.

Je ne peux pas parler de l’autonomie de Marie sans parler aussi de la mienne : l’une et autre sont liées.

Mon autonomie malmenée, bousculée, reste toujours à consolider :

- toute ma vie il faudra que je lutte pour ne pas me laisser happer par une situation humaine qui m’oblige à vivre sur le fil du rasoir.
Et comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi que je lutte sans relâche pour desserrer les mailles du filet dans lequel m’emprisonne souvent un système médicosocial déficient, reflet d’une société à la fois prisonnière des ses tabous et obnubilée par le fonctionnement des systèmes qu’elle génère aux dépens des Etres que ces systèmes concernent.

Mon autonomie s’est trouvée engluée dans un magma complexe de sentiments de souffrance, de culpabilité, de réparation, et de contraintes de tous ordres.
Il m’a donc fallu reconstruire « en plein » tout ce qui s’inscrivait « en creux ».
J’ai compris qu’à chaque fois que j’envisageais ma fille d’abord comme un poids, un obstacle à ma liberté, j’employais toute mon énergie uniquement à lutter contre ce poids et que cette Représentation m’aliénait.

C’est en restructurant ma disponibilité mentale, en me situant dans une dynamique d’échanges, que j’ai pu éviter de me laisser envahir. Cela demande de s’ouvrir totalement et implique aussi une certaine forme de rigueur mentale. C’est une clef essentielle pour moi : donner du sens à cet accompagnement, m’inscrire dans le mouvement : pour et avec, en me recentrant sur les questions fondamentales : Qui suis-je vraiment ? Qu’est-ce qui compte pour moi ? Qu’est-ce que j’accepte que le polyhandicap change dans ma vie et pourquoi ?

Pour reconquérir mon autonomie il m’a aussi fallu apprendre à ne pas me perdre dans la douleur de ma fille lorsqu’elle est en souffrance. Ne pas m’abîmer dans une proximité qui, je le sais, pourrait devenir destructrice pour l’une et l’autre.
Apprendre à recueillir cette souffrance, quelle qu’elle soit, et l’apaiser aussi sereinement que  je le peux. Accepter mon impuissance parfois et donner à Marie seulement le meilleur de moi-même, pour qu’elle puisse se battre en utilisant ses propres forces de vie.
Le respect toujours de cet être qui vient de ma chair, mais n’est pas moi.
Notre autonomie nous appartient et si c’est bien à nous de la mettre en œuvre et d’arriver à retrouver le chemin de notre liberté intérieure, je ne crois pas que cela soit possible sans étayage, sans guide, sans soutien.

Etre autonome c’est aussi pouvoir s’ assumer économiquement. C’est également pouvoir s’inscrire dans la vie sociale, sans être acculé, lorsqu’ on est en couple, à devoir empiéter sur l’autonomie de l’autre pour développer la sienne.
L’autonomie c’est un Tout, dont les composantes interagissent les unes avec les autres.

Aujourd’hui, mon autonomie, notre autonomie est malgré tout, limitée.

Notre société a bien du mal à changer de regard et à comprendre que nous ne sommes ni coupables, ni débiteurs d’aucune dette.
Oublier les personnes polyhandicapées du champ de la solidarité, c’est du même coup condamner leurs familles à une inexistence sociale inacceptable.

Construire des établissements adaptés suffisants en nombre, développer des formules d’accueil temporaire souples et des services à la personnes ponctuels de proximité, développer les réseaux, les centres ressources : c’est indispensable, mais pas encore suffisant.
Rien n’est plus dévastateur pour ma propre existence que lorsque je suis confrontée au dilemme terrible de ne pouvoir envisager mon autonomie qu’en sacrifiant la dignité de Marie.
Comment puis-je devenir autonome si je sais que l’accompagnement des personnes polyhandicapées ne s’inscrit pas dans une dimension éthique forte? C’est un écartèlement insoutenable : pallier aux carences du système pour protéger ma fille, aux dépens de mon autonomie, ou privilégier mon autonomie aux dépens de ma fille. L’autonomie à quel prix ?

Malgré de très lourdes séquelles et une très grande dépendance, Marie je crois sait qui elle est, sans se confondre avec ceux qui l’entourent, établissant avec les uns et les autres un degré de relation différent.
C’est une belle victoire je trouve qu’elle a su remporter.

C’est dans le présent que s’écrit l’avenir et j’espère que Marie aura encore de belles pages à rédiger.
J’avais imaginé bien sûr partir après elle et pouvoir toujours l’aider à conquérir sa liberté.
« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » dit le Petit Prince, et j’ai beaucoup apprivoisé ma rose.
Je me suis souvent accroché au fantasme que peut-être nous pourrions partir ensemble, mais en réalité je refuse que de notre lutte il ne reste plus rien que le néant d’une terre brûlée.

Plus encore que des combattants, le polyhandicap nous oblige, nous parents, à devenir des conquérants et, de toutes les victoires que nous devons remporter, celle de l’autonomie, pour notre enfant et pour nous-mêmes, est essentielle.

 

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