Notre vie est un château de cartes : ma personne de confiance

Valérie Chmielewski
Ingénieur de recherche et de formation au CNAM, étudiante, master Éthique, science, santé, et société, Espace éthique/AP-HP, université Paris-Sud 11

A Jérôme

Au départ notre vie est un château de cartes qui semblent indestructibles avec cette solidité d’être un être humain égal en droit et en dignité.
Il n’est pas à la portée de tous les médecins d’annoncer un diagnostic défavorable et en même temps de pouvoir entretenir un lien humain qui vous laisse penser que vous êtes encore en pleine possession de cette dignité.
Même si même si la loi n°2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie porte sur les droits il est évident que la réalité s’en éloigne et pas uniquement à cause des médecins même si certains sont en cause (la connaissant à peine), au même titre que je n’exonère pas la responsabilité des scientifiques dans le choix des projets qu’ils développent plus pour asseoir leur carrière alors que ces projets devraient relever d’une problématique sociétale humaine. S’arroger de tels pouvoirs n’est pas acceptable.
Ainsi nous, scientifiques dans les domaines du vivant avons des obligations envers les sociétés les plus défavorisées et les personnes vulnérabilisées par la maladie ou par d’autres accidents de la vie.
Tombée malade le 17 décembre 2004, j’ai connu le temps où tout s’arrête et où la vie bascule.
Notre vie est un château de cartes que le souffle du vent balaye en un instant faisant s ‘envoler l’armure qui nous protège. La perte de confiance est totale, avec ce sentiment mortifère de n’être plus rien.
Mais quelquefois c’est le malade qui s’arroge un pouvoir d’une façon totalitaire en désignant une personne de confiance sans même prendre le temps de lui demander son accord. C’est dire combien la maladie peut vous décentrer de vous-même même si des circonstances l’expliquent. Lorsque dans un espace de deux mois vous vous relevez d’une intervention chirurgicale en urgence, que vous apprenez que vous êtes atteinte d’une maladie génétique vasculaire rare sans traitement et que vous devez faire des choix décisifs quant à la prochaine intervention chirurgicale avec des risques vasculaires majorées, comment ne pas entrevoir le pire (hémorragie, accident vasculaire cérébrale) lorsque vous venez de faire l’expérience du plus improbable scénario ? Je me suis sentie perdue, fragilisée et ceci malgré les meilleurs soins techniques.
Aussi, je voulais exprimer mon soulagement à rédiger des directives anticipées et à avoir pu libérer toutes mes angoisses dans le secret d’un colloque singulier avec un médecin qui n’a pas hésité à sacrifier plus d’une heure de son temps : nous étions loin de la Tarification à l’acte (T2A)!
Dès lors parce que tout se dit de l’essentiel d’un côté et de l’autre, un lien se tisse indestructible.

Notre vie n’est qu’un château de cartes avec cette indicible et incommensurable fragilité.
Les directives anticipées représentent un testament de l’être (et non de l’avoir) c’est-à-dire de l’essentiel oubliant les futilités. A ne pas confondre avec le testament notarié concernant les avoirs dans une société qui a plus de facilité à gérer ses biens et tant de difficultés à gérer le reste.
Trois ans après, parce que les directives anticipées sont révocables et révisables il est nécessaire de les reconduire ou de les repenser, et c’est au cours de la rédaction d’une copie d’examen que cette fois, dictée par la raison et pas seulement par l’intuition, je pouvais analyser le choix de la personne de confiance.
C’est alors qu’en plein examen concernant la décision médicale, mon esprit se perdit dans le labyrinthe « House of cards », la personne de confiance m’apparaissait à l’évidence, toujours le même.
Mes critères de choix ne sont peut-être pas ceux que d’autres choisiraient : j’avais choisi dans un premier temps d’exclure les aimants familiaux parce que je considérais indispensable de ne pas dissocier la compétence médicale et l’assurance du respect de la volonté de la personne afin que les décisions thérapeutiques et de limitation des soins en fin de vie ne soient pas prises de manière arbitraire. La décision de limitation des soins de laquelle peut dépendre la séparation de l’être aimé se fait dans un contexte si douloureux que certains aimants ne peuvent s’y résoudre qu’au prix d’une culpabilité indélébile que je ne souhaite à personne. Pourquoi décider d’une limitation de soins ? Parce que nous ne sommes que de passage sous les débris de notre château de cartes et que cette place occupée en milieu hospitalier sera plus utile à quelqu’un dont les chances sont meilleures. Aussi, au moment où je rédige mes directives anticipées pour la troisième fois, la personne de confiance dans un accord respectif reste toujours la même, même s’il n’est plus mon médecin attitré, j’ai acquis d’autant plus la certitude de ne pas m’être trompée.

Et soudain, mon château de cartes se consolide un peu face aux tempêtes à venir.
À ceux qui se demanderaient à quoi bon choisir un médecin comme personne de confiance lorsqu’on sait que quel que soit le choix thérapeutique il est sous la responsabilité d’un médecin, voici ma réponse.
En partageant avec lui des valeurs éthiques philosophiques qui sont fortes et se rejoignent au même titre que celles que je partage avec certains, il possède la carte maîtresse de mon château de cartes : le respect de ma dignité et le courage et la compétence de s’opposer s’il le juge nécessaire, et celui de transmettre à ceux qui restent la lumière qui a éclairé mon chemin vers une humanité.
Et ce « prendre soin » n’est pas à la portée de tous les médecins, comme j’ai pu en juger.
Mais aujourd’hui si j’accepte non sans peur, l’idée que de vouloir gommer les affects est une illusion dans la relation de soin en fin de vie, c’est parce que deux humanités qui se sont rencontrées poursuivent le chemin de la vie dans une même direction. Aura t-il eu raison du dernier rempart d’une croyance scientifique qui se voudrait totalement objective ?
Il n’est qu’une seule valeur qui consolide mon château de cartes, la carte maîtresse de la dignité dont il est le garant jusqu’au dernier souffle qui fera s’envoler l’édifice.

 

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