Sédation, euthanasie, suicide assisté : clarifier les termes du débat et préciser les enjeux des mois à venir

Bernard Devalois

Médecin, responsable du service de Médecine Palliative, CHRD Pontoise.

Le rapport Sicard remis au Président de la République en décembre dernier et la récente prise de position du Conseil national de l’Ordre des Médecins ont semé un certain trouble. Après la prochaine publication du rapport du CCNE, saisi par le président de la République, le gouvernement devrait prochainement dire ce qu’il compte proposer comme évolution législative sur les questions de fin de vie, en application de la proposition 21 de F Hollande.

 

De quoi la sédation est-elle le nom ?

Une clarification de ce qui se cache derrière le mot sédation est indispensable pour comprendre les enjeux du débat autour de l’assistance médicalisée à la fin de vie. Le terme de sédation est flou. Il peut en fait désigner des actions médicales très différentes, notamment dans leurs implications éthiques. Il faut impérativement distinguer entre l’utilisation de traitements à visée sédative pour soulager un malade en fin de vie, et l’utilisation d’un surdosage pharmacologique pour faire perdre conscience à un malade alors qu’il n’existe pas d’indications médicales.  La sédation à visée palliative est bien différente donc de la sédation à visée euthanasique, qu’elle soit décidée par le médecin ou qu’elle résulte d’un droit à exiger une telle sédation par le patient.

Dans le premier cas, il s’agit de soulager des symptômes d’inconfort réfractaires (c’est à dire que l’on n’arrive pas à soulager). La démarche est purement bientraitante. Elle ne vise pas à provoquer la mort du patient mais à la rendre moins insupportable. Elle est toujours proportionnée à la souffrance qu’elle soulage. Elle est réversible. Elle peut être maintenue uniquement la nuit par exemple. D’autre fois il peut être décidé de la maintenir jusqu’à la mort, pour des patients dont la mort est inéluctable et chez qui on ne peut être sûr qu’il n’y a pas de symptômes d’inconfort. C’est le cas chez certains patients cérébro-lésés ou chez des nouveau-nés, notamment quand on arrête des traitements qui maintiennent artificiellement en vie. Les textes réglementaires français ont entérinés cette pratique en 2010.

Même s’il existe un risque d’accélérer la survenue du décès, cette sédation palliative est légale (article 2 de la loi de 2005) et légitime (conformément aux recommandations professionnelles). Elle ne pose pas de problèmes sur le plan éthique. C’est même sa non-mise en œuvre qui pourrait être considérée comme de la maltraitance. Lorsqu’un patient conscient et en toute fin de vie demande à être endormi en raison de tels ou tels symptômes, y compris une détresse psychique, il est du devoir des professionnels d’y apporter une réponse adaptée et proportionnée.

Mais d’autres utilisations de la sédation sont possibles. Jusque dans les années 80 c’était une pratique courante que d’accélérer la mort des patients considérés comme en fin de vie. Un mélange de produits, détournés de leur usage thérapeutique, était explicitement nommé « cocktails lytiques ». Désormais ces pratiques –sans aucune information et sans aucun consentement – ont disparu (on l’espère en tout cas !).

Mais le recours aux sédatifs plongeant un patient dans un coma profond jusqu’à la mort, sans que cela ne soit justifié par l’existence d’un symptôme réfractaire, est une pratique loin d’être exceptionnelle actuellement. Il s’agit alors, puisque la sédation n’est plus proportionnée à la souffrance, d’un surdosage volontaire. Et donc d’une manière indirecte d’accélérer la survenue de la mort sous couvert du terme de « sédation terminale», qui évite de parler d’euthanasie lente. Notons qu’aucun pays au monde n’a donné aux médecins le droit de pratiquer de telles sédations euthanasiques, qui sont donc pratiquées clandestinement.

Si la sédation devenait un droit du patient (comme il y a un droit du patient de refuser tout traitement), cela poserait encore d’autres questions. La création d’un tel droit – que certains évoquent ouvertement – serait (contrairement à la sédation à visée palliative) une forme de légalisation des injections létales. Cette sédation à la demande du patient serait bien le moyen lui permettant d’obtenir une assistance à son intention suicidaire. Il s’agirait donc bien d’une forme de droit à l’euthanasie similaire à ce qui est légalisé dans les pays du Benelux. Au nom de la prééminence de l’autonomie de décision du malade, elle s’imposerait au médecin sans que celui-ci ne puisse s’y soustraire.

 

Du droit à la sédation au droit au suicide…

Le droit à la sédation à la demande est donc un des moyens possibles du droit au suicide. Mais la liberté du suicide n’implique pas un droit au suicide entendu comme un droit à créance (un droit à une assistance au suicide par l’Etat).

Certains considèrent que la liberté individuelle du suicide repose sur la décision et que sa réalisation peut être déléguée à un tiers  — cette réalisation peut alors être confiée par la loi aux médecins. C’est ce qui a été légalisé dans les pays du Benelux, et c’est ce qui serait légalisé par la création d’un droit à la sédation. Mais on pourrait aussi imaginer d’impliquer d’autres catégories professionnelles, voire créer un nouveau métier !

D’autres, au contraire, considèrent que la mise en œuvre du suicide ne peut être séparée de la décision, et qu’aucun tiers ne peut être autorisé ou mandaté à mettre en œuvre pour autrui ce geste intime. La création d’un droit au suicide passe alors par la fourniture, dans des conditions strictes, des moyens pharmacologiques du suicide à ceux qui remplissent les conditions fixées, en les laissant réellement libres de l’utiliser ou non. C’est le choix qui a été fait en Oregon. Cette autre piste, plus respectueuse des droits individuels, donne des garanties indiscutables, puisque c’est le patient qui s’administre le produit.

Si en tant que médecin je n’ai pas d’avis à donner sur les choix de société qui seront faits en matière de droit au suicide, j’ai tout au moins un avis de citoyen. Et je pense qu’une société qui donne aux uns les moyens de se suicider aura du mal à lutter contre le suicide des autres.  Comment à la fois promouvoir le suicide assisté, et faire campagne contre le suicide des jeunes ou des personnes âgées. ? Le modèle libertarien me paraît aller à l’encontre d’une société solidaire des plus vulnérables. Plutôt qu’aider les gens à se suicider, nous devons les aider à ne plus en avoir le désir.

 

Alors quelles pistes pour le futur projet de loi du gouvernement ?

La France est le seul pays à avoir légiféré, dans la loi Leonetti, en 2005 puis en 2010, sur la possibilité de la sédation palliative. Loin d’être en retard, nous avons donc déjà un dispositif intelligent et novateur. Cela n’empêche pas de réfléchir sereinement à ce qui pourrait l’améliorer .En fait cinq pistes sont possibles :

 

  1. Le renforcement des mesures mises en place par la loi de 2005. Au moins 3 points pourraient être améliorés : les directives anticipées, l’incitation à la sédation à visée palliative, l’obligation faite aux médecins de respecter les volontés du patient, sauf justification collégiale.
  2. La création d’un droit pour les médecins à pratiquer des injections létales dans certaines circonstances, y compris par un surdosage de produits à visée sédative (pratiques actuellement illégales dans le monde entier mais qui existent – cf. par exemple affaire de Bayonne)
  3. La création d’un droit pour les patients à exiger une assistance médicalisée pour mettre fin à leurs jours, y compris par la réalisation d’une sédation jusqu’à la mort (pratiques légalisées dans les pays du BENELUX)
  4. La dépénalisation d’une assistance active ou passive  par un tiers pour le suicide d’un malade (situation existante en Suisse)
  5. La création d’une assistance pharmacologique au suicide par la fourniture des moyens de mettre fin à leurs jours aux malades en fin de vie (Death Dignity Act de l’Oregon et de 2 autres Etats des USA).

A mon sens, seule la première alternative répond aux impératifs de la devise républicaine (Liberté, Egalité, Fraternité) et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Tous les hommes sont égaux en droits et en dignité). La cinquième, si elle apparait logique dans une stricte approche libertarienne, nous promettrait un impact sociétal radical et terrifiant. Les 3 autres sont à éviter à tout prix en raison de l’implication des professionnels de santé – contraire à l’éthique soignante (2 et 3) – et/ou de l’intervention d’un tiers dans le passage à l’acte suicidaire (3 et 4). L’exécutif français puis le législatif vont devoir se positionner sur une de ces 5 possibilités. Chaque citoyen doit également y réfléchir. Et c’est autrement plus compliqué que de répondre à la sempiternelle question : « Alors l’euthanasie, vous êtes pour ou contre ? ».

 

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