Les personnes en état végétatif chronique : ces éternels oubliés !

Témoignage de Paul et Danièle Pierra

 

Nous sommes les parents d’Hervé Pierra. Notre fils est resté plongé pendant 8 ans ½ dans un coma végétatif chronique irréversible, à l’âge de 20 ans, suite à une tentative de suicide par pendaison. Il était figé dans une grande rigidité, paralysé à 100 %, inconscient, trachéotomisé et nourri par sonde gastrique. Il s’étouffait chaque jour, depuis le début de son calvaire, dans ses propres glaires, entrainant de récurrentes et éprouvantes régurgitations. Affecté de problèmes pulmonaires persistants à cause de la présence de bactéries multi-résistantes, il était placé très souvent en isolement. Sa position fœtale, ses attitudes viciées et le fait de n’être jamais déplacé, avaient provoqué une plaie atone grave (escarre au 4ème degré). Il est décédé en novembre 2006, après notre requête d’application de la loi Leonetti. Ce parcours, semé d’embûches, a duré 18 mois. Les plus hautes instances politiques et médicales de l’époque étaient intervenues pour faire infléchir le corps médical. Le comité d’éthique de Cochin avait donné son aval ainsi que le docteur Régis Aubry (missionné par Jean Leonetti).

Après le retrait de la sonde gastrique, notre fils est mort en 6 jours cauchemardesques, sans aucune sédation, brûlant, cyanosé et faisant des bonds dans son lit, comme électrocuté. Il s’agit, dans notre cas, qui a été médiatisé, d’un « laisser crever », comme l’a écrit le député Jean Leonetti dans son livre À la lumière du crépuscule. Les médecins avaient eu peur d’être accusés d’euthanasie si notre enfant avait été sédaté et surtout si son décès était intervenu trop rapidement.

Notre drame, parfaite illustration d’un fiasco, de bout en bout, se résume en quelques mots : souffrance, incompréhension, injustice, impuissance, effroi, anéantissement, combativité et amour.

Le 8 février 2013, le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est prononcé en faveur d’une évolution de la législation sur la fin de vie en France en envisageant pour la première fois le recours à une sédation terminale dans des « situations exceptionnelles ». Il évoque exclusivement les cas de personnes lucides qui réitèrent leurs requêtes pour être délivrées en phase terminale de maladies incurables. Les grands oubliés de toutes ces délibérations sont à nouveau les patients en état végétatif chronique irréversible qui eux, ne pouvant pas s’exprimer, ne bénéficieront donc pas d’un recours à une sédation terminale, n’étant pas estimés en situation exceptionnelle.

 

Les lésions cérébrales sont telles que seule une vie végétative se profile, que faire ? Il n’y a pas de tuyaux à enlever, de machines à débrancher…, on ne peut plus revenir en arrière, seul le corps survit, de façon autonome. Ces calvaires peuvent durer des années et des années. Des médecins formidables, tenaces et débordants d’humanité, comme le professeur Louis Puybasset, essaient de mettre en place des « scores » par des IRM recoupées et autres méthodes et investigations, pour établir des diagnostiques précoces. Ces protocoles permettraient de réagir très vite, en phase de réanimation, pour éviter en quelque sorte, des drames comme celui qu’a vécu notre enfant. À ce jour, cette solution est néanmoins expérimentale.

Dans la notion très prégnante d’obstination déraisonnable qui figure dans la loi Leonetti, chaque médecin peut placer le curseur de la raison où il veut. Les familles ou les personnes de confiance des patients en EVC qui adressent une requête d’application de la loi peuvent se voir opposer un refus, sans que celui-ci soit motivé. Ainsi, la pertinence de l’application de la loi appartient aux seuls médecins, que les personnes aient rédigé ou pas des directives anticipées. Quelques cas médiatisés, dont le nôtre, ont mis en exergue la frilosité de certains médecins qui, par crainte d’être accusés d’euthanasie, si les décès intervenaient trop rapidement, laissent se prolonger d’effroyables agonies. La frontière si ténue entre le licite et l’illicite aboutit à ces terrifiantes aberrations.

La loi Leonetti stipule que la sédation est en place pour soulager la douleur et non pour accéder à la mort, même si elle risque de la hâter. Or, pour ce qui concerne les états végétatifs, cela est faux ! Notre fils n’était pas plus mal, ou aussi mal, 2 jours, 6 mois ou 8 ans auparavant. L’intention était donc bien là, euthanasique. Pourquoi, alors ces agonies longues et douloureuses, quel sens leur accorder ?

Pour sacrifier à l’illusion d’une non euthanasie, on voit émerger une forme de « maltraitance institutionnalisée ». Celle-ci est dénoncée par Philippe Bataille, sociologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur du livre À la vie à la mort. Il relate le cas édifiant, entre autres, d’un prématuré non viable auquel on a appliqué la loi Leonetti (laisser mourir de faim et de soif) alors qu’avant, il aurait été aidé à mourir en paix et en toute humanité.

Le principe fondateur de notre société : «  Tu ne tueras point ! », est abusivement et de manière éhontée argué pour fermer la porte à tout débat. La compassion n’est pas « un homicide volontaire » ! C’est l’institution (c’est-à-dire l’homme) qui, en décidant que la mort n’est pas autorisée, se substitue à Dieu et condamne à des doubles peines : celle de ne plus pouvoir vivre et celle de ne pas avoir le droit de mourir. La mort s’inscrit légitimement dans la vie, mais cependant, « mourir » devient un droit à revendiquer. Nous pensons, avec toute la force de notre conviction, que la vie ne saurait se résumer à la seule vie biologique.

 

Nous réfutons l’argument souvent entendu autour de nous selon lequel, l’euthanasie est déjà une réalité dans nos hôpitaux, alors, à quoi bon légiférer ! Comment peut-on accorder « force de loi » à la clandestinité, en risquant par ailleurs, des dérapages dans un sens ou dans un autre.

Peut-on croire que l’on fasse preuve de courage personnel, d’héroïsme, ou de vertus chrétienne, avec la souffrance des autres ?

Comment peut-on prôner « une mort naturelle » comme seule issue à « une vie artificielle » ?

Pourquoi opposer aide active à mourir et soins palliatifs ? Ces deux dispositions participent d’une même écoute empathique due à ceux que nous aimons et qui nous quittent.

 

Nous n’avons abordé que notre drame mais, sommes aussi acquis à une aide active à mourir pour les personnes qui en font la demande, submergées par la douleur, en phase terminale de maladies incurables.

Conscients qu’un tel bouleversement poserait certains problèmes éthiques au corps médical, nous espérons cependant, que loin des clivages politiques, des idéologies et des dogmes, un débat dépassionné s’instaurera qui apportera des réponses concrètes. Légiférer sur un sujet sociétal qui relève tellement de l’intime : « notre propre mort », doit exiger certainement une grande rigueur et beaucoup de courage.

Quoiqu’il en soit et quoi qu’il advienne, sachez que notre « combat » et nos témoignages s’inscrivent dans une promesse faite à notre fils sur son lit de souffrance et de mort : « plus jamais ça !… »

 

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