C’est le regard de l’autre qui conditionne notre dignité

Christophe Trivalle

Médecin

 

Plutôt que de fin de vie, il faut parler de fins de vie au pluriel. En effet, chaque décès est différent. Lorsque l’on demande aux gens où et comment ceux-ci voudraient mourir, la réponse est « chez moi, entouré des miens et sans souffrance ».

Mais il s’agit d’une vision idéalisée de la mort. Dans nos sociétés modernes, la mort a pratiquement disparu de la vie quotidienne et beaucoup de personnes n’ont pas vu un mort et encore moins vu quelqu’un en train de mourir. En réalité, très peu de personnes réfléchissent vraiment à leur fin de vie. Seuls certains intellectuels, philosophes ou militants prennent position sur les conditions de leur décès.

Par contre, beaucoup de gens vont anticiper et organiser leurs obsèques. Comme si ce qui arrivait après la mort était plus important que ce qui arrivait pendant la période de fin de vie! Mourir à domicile est bien souvent une utopie. Cela arrive essentiellement en cas de mort subite, certains meurent dans leur sommeil. Il y a bien sûr aussi toutes les morts accidentelles. Mais lorsqu’il s’agit d’une maladie plus ou moins chronique ou mortelle avec une phase d’agonie qui peut être longue, il est très difficile de mourir à domicile. Le principal problème en ce qui concerne la fin de vie est donc celui des agonies prolongées, le lent mourir. Ces fins de vie prolongées ne sont pas tant difficiles pour le mourant (autant qu’on peut le savoir) que pour l’entourage qui y assiste. Il est difficile de rester à coté de quelqu’un qui peut gémir, avoir des râles agoniques ou une respiration qui s’accélère puis ralentie, puis fait des poses pour repartir. Et même si les réseaux de soins palliatifs sont très performants, il ne peut pas y avoir au domicile un soignant à coté du mourant en permanence. Bien souvent, c’est dans ces cas là, au dernier moment, à la phase agonique, que la famille craque, appelle le Samu ou les pompiers et accompagne le mourant aux urgences où il va décéder sur un brancard.

Car le vrai problème est là, il est extrêmement difficile d’accompagner une personne en fin de vie. Mais le fait que ce soit difficile, aussi bien pour la famille que pour les soignants – surtout s’ils ne sont pas formés – peut-il justifier d’autoriser le suicide assisté ou le recours à l’euthanasie? Pour moi, la réponse est non. D’autre part, remarquons que pour les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, la véritable question n’est pas finalement celle de la fin de vie, mais plutôt celle d’une certaine déchéance ou perte de dignité liée à la dépendance ou à la maladie. Ainsi, bien souvent le recours à ces gestes ultimes se situe bien en aval de toute situation de fin de vie. Et c’est donc l’image qu’on se fait de la vieillesse et de la perte d’autonomie qui conditionne ces choix et non la crainte réelle de la fin de vie elle-même. Il s’agit d’une vision déshumanisée de l’être humain qui considère que lorsque l’on devient dépendant physiquement ou psychiquement (maladie d’Alzheimer) sa dignité est perdue.

Or la dignité est le propre de l’homme et ne disparaît jamais. Par contre, elle doit être respectée et protégée par ceux qui entourent la personne dépendante ou en fin de vie. C’est ce regard extérieur qui va conditionner la qualité de cette dignité. Le meilleur moyen de mourir dans la dignité est donc de changer le regard de notre société sur toutes les dépendances, y compris celle de la fin de vie. Cet accompagnement demande des moyens humains et financiers. Ceci a donc un coût bien plus élevé que celui de légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté. Notre société est-elle prête à assumer ce coût ?

 

Laisser un commentaire