Se laisser interroger par l’idée du suicide assisté

Carole Froucht

 

« Quelques heures de printemps » du réalisateur Stéphane Brizé ne restera sans doute pas dans les mémoires des cinéphile comme un film majeur mais il suscite néanmoins l’intérêt et la sympathie. Voila un film intelligent, conçu par un réalisateur impliqué et consciencieux, et soutenu par des acteurs excellents : un Vincent Lindon on ne peut plus fermé et taiseux et une Hélène Vincent remarquable en femme corsetée dans ses rites ménagers.

L’histoire  est simple et humaine, celle de deux êtres qui ne se parlent plus depuis longtemps, une mère et son fils enfermés dans leur silence. L’approche de la mort de la mère les conduit à devoir ouvrir le cadenas qui les isole. C’est la dernière chance qui leur est donnée de se dire tout l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre. C’est la dernière chance pour le fils de se libérer et d’assumer sa vie.

Dans cette histoire, le suicide voulu par la mère n’est que la conséquence logique mais terrible d’un choix assumé par la mère de maitriser sa fin et inconsciemment de pouvoir dire l’amour qu’elle a pour son fils. Ce suicide choisi par la mère, atteinte d’un cancer, est l’ultime maîtrise du temps qui reste pour faire ce qui n’a pas été possible tout au long de ces années : se dire que l’on s’aime.

Pourtant, par sa portée ce choix du suicide n’est pas sans soulever beaucoup de commentaires et de questionnements. Un film n’est qu’un prétexte mais aussi le reflet des interrogations de notre société.

Dans cette histoire, l’amour et la mort sont intimement liés : amour du chien et tentative de le tuer qui rapproche une première fois la mère et le fils. Comme une répétition de l’acte final, le suicide de la mère pour échapper à une fin plus difficile, celle de la douleur générée par sa maladie. Aussi le choix du suicide ne peut être analysé sans prendre en compte cette dimension issue d’une histoire familiale particulière.

Que nous dit cette histoire ? Tout d’abord que le suicide est un choix assumé, réfléchi et qu’il échappe à tout discussion. À aucun moment personne ne vient raisonner la mère car il n’y a rien à dire pour personne : le médecin, le fils ou le voisin. Banalisation terrible du suicide comme solution possible, alternative crédible et respectable à d’autres comme celle que propose la médecine avec les soins palliatifs.

Cette banalisation du suicide est une vraie interrogation pour nos sociétés en crise car elle est le reflet du lien qui se délite ou qui ne s’établit plus. La mère va rétablir le lien avec son fils grâce tout d’abord à la tentative de tuer son chien, enfin avec son propre suicide ?

 

En second lieu, ce choix du suicide est un choix individuel dans le lequel le médecin n’a pas prise. Dans le film, la mère a bien compris ce que lui propose son médecin comme soins palliatifs mais elle les refuse. Elle exprime ainsi une liberté totale de ne pas saisir une autre solution. C’est une décision qui échappe au corps médical. La mère a fait un choix digne, qui est réfléchi, qui est le fruit de son histoire et qui est l’ultime don qu’elle fait à son fils : celui de lui donner enfin le droit de vivre sa vie. Face à ce choix, le médecin est désarmé : comment un médecin peut-il intervenir dans ce choix, ce don assumé et terrible.

Ce film interroge donc également la place du médecin. Il porte un rôle terrible, il est celui qui apporte les mauvaises nouvelles, celui qui annonce et révèle un terme inéluctable qui devient une date fixée. Il est l’oiseau de mauvaise augure. Rôle terrible qui révèle à la fois la toute puissance du médecin mais aussi son impuissance : puissance du soignant qui a la technique pour prolonger la vie, impuissance quand ses moyens ne permettent plus de soigner et de guérir, et impuissance quand le médecin est rejeté comme ultime accompagnateur du malade qui a choisi de se « débrouiller » seul.

Dernier volet qui suscite de l’interrogation : comment est organisé le suicide. La mère ne se jette pas par la fenêtre ou ne mange pas les croquettes qu’elle a donné à son chien. Elle choisit une solution qui passe par un voyage en Suisse  (le dernier voyage organisé…). Elle confie à des tiers le soin de faire tout pour que cela se passe bien pour elle mais aussi pour son fils. C’est un moment choisi, anticipé, qui permet à son fils de s’inscrire dans l’histoire de sa mère, de l’accompagner dans son voyage par un dernier don réciproque. Cet accompagnement donne le temps à la mère et au fils de se retrouver, de s’installer dans l’inévitable et l’inéluctable. On ne peut donc juger sur le plan moral. C’est le choix d’une femme libre, c’est l’aboutissement de son histoire. Tout cela mérite donc le respect. On ne peut reprocher à quiconque d’avoir empêché ce choix : le médecin, le fils ou le voisin. Le médecin a fait son travail honnêtement, il n’a pas été au-delà de son rôle. Le fils reçoit son don avec le poids lourd qu’il représente.

 

Concernant l’organisation du suicide, quelques questions sont soulevées : qui est l’organisateur, quel est son cadre de référence, selon quel protocole agit-il, comment l’association est-elle financée, est-elle reconnue… ? Bref peut-on lui confier son suicide en toute confiance !

Ainsi au travers cette ces différentes remarques, on peut en tirer quelques enseignements simples.

Ce film n’oppose pas soins palliatifs et suicide assisté ; il dit simplement que l’individu peut choisir de recourir au suicide assisté, parce que son choix est le fruit de son histoire et que le médecin ne peut maîtriser ce choix. Les soins palliatifs ne sont évidemment pas questionnés ou remis en cause. Ils doivent continuer à se développer et bénéficier des moyens de la puissance publique. Si le suicide assisté devait se développer, il ne faut pas le laisser aux mains des marchands du temple, et l’organisation de cette pratique doit être organisée. Le débat ne doit pas être de savoir si le suicide assisté est juste ou pas, mais bien comme pour d’autres pratiques médicales d’en définir les modalités afin d’éviter des dérives irrespectueuses du droit profond des personnes.

 

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