Droits des malades et fin de vie : Réalités du terrain, situations extrêmes

Saisir dans leur complexité les questions qui se posent à nous et ouvrir ainsi la possibilité d’y répondre avec la finesse requise, Roselyne Bachelot-Narquin

Évaluer les apports de la loi du 22 avril 2005, de même que ses éventuelles insuffisances, Jean Leonetti

1. Quelques réalités de terrain

Personne de confiance, directives anticipées : d’autres responsabilités en gériatrie, Marie-Pierre Hervy

Médecine physique et de réadaptation : interroger le projet de vie, Alain Yelnik

SLA : des dilemmes singuliers,Vincent Meininger

La diffusion de la réflexion éthique constitue un préalable à tout progrès, François Goldwasser

Amyotrophie spinale infantile : anticiper la prise de décision, Brigitte Rul

2.Face aux situations extrêmes

Soins palliatifs : les conditions de l’amélioration d’un dialogue soigné-soignant, Sylvain Pourchet

Quelle application de la loi dans un contexte d’hospitalisation à domicile ?,Elisabeth Balladur

Prendre authentiquement en charge la douleur de malades en fin de vie, Philippe Poulain

C’est notre rapport à la vie et au corps qui est en jeu, Régis Aubry

 

Introduction :

Saisir dans leur complexité les questions qui se posent à nous et ouvrir ainsi la possibilité d’y répondre avec la finesse requise
Roselyne Bachelot-Narquin
Ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative

C’est une habitude commode de se fonder sur l’étymologie pour assigner aux responsables politiques l’obligation de répondre, s’épargnant trop souvent le préalable d’un questionnement nécessaire. Il est désormais courant d’invoquer le consensus, et de faire ainsi l’économie de débats supposés inutiles pour exiger sans tarder la mise en œuvre de solutions appropriées aux dernières inflexions de la demande sociale.
Or, la question qui nous réunit ce soir, celle du droit des malades en fin de vie, requiert la sérénité d’une réflexion d’où puisse naître un accord fondé sur la reconnaissance de valeurs communes.
Cet espace de temps libéré des contraintes de l’urgence, « espace éthique », cher Emmanuel Hirsch, quand il s’agit de s’interroger sur le sens de la destinée humaine, n’est pas un luxe démocratique.
L’essence même du politique se définit, en effet, par cette capacité d’œuvrer à la construction d’un monde commun, d’agir et de décider en fonction de principes qui transcendent nos opinions particulières.
Il est nécessaire, en ce sens, de savoir s’affranchir de l’emprise de la logique sondagière qui procède par addition de points de vue séparés, produisant ainsi l’illusion d’une unanimité factice.
Il faut aussi savoir résister au diktat de la sincérité communicationnelle qui commande à chacun d’exprimer ses sentiments, sans médiation.
Je ne suis donc pas, ce soir, parmi vous, pour dire ma vérité, ni énoncer aucun dogme.

La complexité des enjeux implique plutôt un questionnement paradoxal qu’il nous revient de poursuivre, armé de la patience du concept.
La force de l’idéologie dominante qui nous demande d’arbitrer entre une « bonne » mort et une « mauvaise » mort, requiert, en effet, d’engager un difficile travail « maïeutique ».
Comment s’affranchir, en ce sens, d’un certain nombre de fausses représentations qui opacifient les consciences et donnent au débat public, trop souvent, un tour inutile et parfois périlleux ?
Ainsi, chacun voulant le bien plutôt que le mal, comme on le sait depuis Platon, quiconque se trouverait interrogé pour savoir s’il préfère « bien mourir » plutôt que « mal mourir » répondrait sans hésitation.
Ce n’est pas le moindre prestige de la notion d’euthanasie que de parvenir ainsi à nous faire oublier, comme par magie, en quoi la mort nous concerne tous, également, communément.
Réduite à cette sortie individuelle réussie, venant satisfaire le refus de souffrir, en accord avec la représentation du corps conçu comme la propriété de chacun, l’euthanasie répondrait donc à la demande spontanée d’individus désormais soucieux d’affirmer ainsi leur autonomie et de garantir leur dignité.
Présentée de cette manière, la question de la fin de vie occulte ce fait anthropologique fondamental : l’existence n’est jamais individuelle et nous ne saurions, en ce sens, ni vivre ni mourir en individus. Comme le rappelle le philosophe Emmanuel Levinas : « exister, sortir de soi, c’est s’occuper de l’autre, et de sa souffrance et de sa mort ».
En une occurrence peut-être moins métaphysique et plus politique, il n’est pas inutile de rappeler que la façon dont nous nous représentons la fin de vie est déterminée par une conception du vivre ensemble qui prend sa source dans la tradition humaniste. L’homme, animal politique, serait-il en voie de devenir cet homo economicus, hyper individualisé, réduit à sa force productive, indifférent aux valeurs d’hospitalité dont Montesquieu et Rousseau soulignaient déjà qu’elle tendait à s’étioler dans les civilisations du Nord, à mesure que s’imposait le primat de la civilité marchande et l’impératif de rentabilité ?

Notre destin commun se réduit-il à organiser la satisfaction de la demande sociale suscitée par l’offre techniquement disponible ?
L’inflexion qui serait donnée à la civilisation contredit clairement les principes qui sont les nôtres.
Ces principes soutiennent, faut-il le rappeler, tout notre édifice de soins : le mourant n’est pas déjà mort.
Surtout, notre mortalité commune n’implique aucune indignité. Bien au contraire, la Dignité avec un grand D ne cesse pas avec la maladie, ne diminue pas quand déclinent nos forces.
Si l’usure d’une chose peut diminuer son prix, l’affaiblissement d’un être ne dégrade pas sa dignité.
Cette distinction essentielle entre les choses et les personnes, les moyens et les fins, fonde la distinction, clairement établie par Kant, entre la dignité et le prix qui définit l’anthropologie moderne au fondement de nos principes.
Concrètement, chacun le vit, sensiblement le ressent, quand, dans les jours où s’annonce la mort d’un proche, il faut être là, près de lui, tendre la main, marquer sa présence. Ces gestes silencieux, ces gestes de vie révèlent alors l’essence d’une relation constitutive de notre être.
Là où la mort se réduirait à la stricte fin d’un être, s’annonce la barbarie d’un monde déshumanisé d’où la vulnérabilité aurait soudain comme l’obligation de s’absenter.
Aussi faut-il défaire l’illusion d’une omnipotence que le progrès des sciences et des techniques permettrait d’atteindre, dissiper le fantasme d’une hyper-maîtrise qui permettrait de convertir la mort en simple disparition, résister aux tentations démiurgiques qui altèrent l’esprit même du soin.

La culture palliative, en ce sens, favorisant l’esprit critique et l’esprit de finesse qui permet d’appréhender l’irréductible singularité de chaque situation, est un humanisme.
Elle nous invite à repenser la vocation éthique du geste soignant qui structure la manière d’être de tous ceux qui se sont engagés à soigner leurs semblables, à soulager leur douleur, à sauver des vies.
Médecins et soignants sont ainsi tenus de respecter la volonté des patients. Le droit des malades à voir reconnue la souveraineté de leurs décisions est un droit fondamental de la personne humaine.
C’est en ce sens que la loi Leonetti proscrit, dans son article 1er, l’acharnement thérapeutique, l’obstination déraisonnable.
C’est en ce sens aussi qu’elle donne droit aux malades qui le souhaitent de recevoir les traitements palliatifs visant à soulager leur douleur, à apaiser leurs souffrances.
Si les médecins ont le devoir de prodiguer de tels soins, quand une demande s’exprime, les malades conservent bien entendu le droit de refuser ces traitements.
Cependant, l’intervention du médecin ne saurait en aucun cas avoir pour but de mettre fin à la vie du patient.
Il s’agit là d’un des principes irréfragables régissant l’éthique médicale. La mort peut être une conséquence mais ne peut en aucun cas procéder d’un projet auquel le corps médical serait associé.
L’article 2 de la loi Leonetti précise que le médecin est tenu de soulager les souffrances extrêmes, y compris par l’utilisation de médications très puissantes, tout en informant les malades des conséquences éventuelles de leurs choix, à savoir la mort.
Lorsque le traitement appliqué pour soulager la douleur contribue à abréger la vie d’un malade dont l’état de santé est particulièrement dégradé, alors la mort n’est qu’un effet indirect possible.
Ce qu’il est convenu d’appeler le double effet constitue une réponse légitime et, je voudrais le rappeler ici, recevable au regard des exigences spécifiques du soin.
Croire que ce serait hypocrite de vouloir le bien (premier effet) sans vouloir le mal (second effet) reviendrait à postuler que notre vraie conscience d’un bien cache un mal. Pourquoi notre conscience serait-elle nécessairement trompeuse ?

La différence entre le bien d’une intention et le mal d’une conséquence non voulue permet de distinguer nettement ce qui relève de l’euthanasie et ce qui relève des justes moyens de lutte contre la douleur.
Cette loi organise un équilibre subtil des droits et responsabilités de chacun, incorpore l’idée selon laquelle, en médecine, le véritable respect  ne peut être abstrait.
Le véritable respect se tient nécessairement au plus près d’une personne concrète dont la liberté est le bien le plus précieux. Faciliter l’accès au suicide, prétendument aider, reviendrait à réduire une personne à un être enfermé dans la douleur. La première des urgences consiste, au contraire, à tout faire pour qu’une personne soit libérée du tourment et de la douleur physique.
C’est en ce sens que lutter pour la vie et combattre pour la liberté constituent un seul et même défi.
Ce défi, bien entendu, est concrètement toujours difficile à relever.

Je me dois ici de rendre l’hommage qu’ils méritent aux personnels soignants qui, dans des situations dramatiques, se trouvent parfois placés devant des cas de conscience.
Ainsi, l’arrêt des traitements n’est pas un acte mécanique, résultant d’une froide équation. Il n’implique d’ailleurs pas la suspension des soins. Il exige, au contraire, une extrême attention au malade.

A cet égard, l’expression consacrée de « laisser mourir » n’est pas sans équivoque. En l’opposant à l’ « aide active à mourir », on laisse trop souvent entendre, très malencontreusement, qu’à l’action s’oppose le délaissement. C’est ignorer la réalité de la pratique. C’est méconnaître l’esprit des soins palliatifs, tout entier soutenus par une philosophie de l’effort et du dévouement.

Les soins palliatifs, en effet, impliquent, une présence exigeante dans l’accompagnement qui s’incarne dans le geste soignant dont la vocation éthique se trouve ainsi restituée.

Trois ans après sa promulgation, il apparaît que la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie reste insuffisamment connue et appliquée.
C’est pourquoi, j’attends avec impatience les conclusions de la mission d’évaluation en cours, confiée par le Premier ministre à Jean Leonetti.
Il apparaît, en effet, indispensable d’accompagner d’un point de vue éthique  le développement de la loi Leonetti, en favorisant notamment la formation des personnels.
Il est nécessaire de ne jamais perdre de vue les fondements anthropologiques de la démarche palliative qui s’est développée, dès son origine, dans une perspective résolument pluridisciplinaire, favorisant ainsi la laïcisation de la question de la mort.
Vous avez sans doute le sentiment de devoir parfois lutter contre l’air du temps.

Mais ce combat pour la vie et pour la liberté que je suis, pour ma part, déterminée à mener, en accord avec les principes irréfragables qui régissent l’éthique du soin, justifie tous nos efforts.

Il nous revient, en effet, conformément au vœu d’Hippocrate qui prétendait déjà « mettre davantage de médecine dans la philosophie et de philosophie dans la médecine », de promouvoir la pratique de l’échange entre des disciplines trop souvent tenues séparées, à l’instar de ce qui se fait au sein des Espaces éthiques.

Seule une vision globale, élaborée dans une perspective critique, peut nous permettre de saisir dans leur complexité les questions qui se posent à nous et ouvrir ainsi la possibilité d’y répondre avec la finesse requise.
Sauf à dénier au réel sa consistance spécifique, sauf à ignorer les contradictions qui l’animent, répondre aux interrogations ici formulées, c’est d’abord poser un problème. Ce problème est celui qui se pose à chaque conscience libre. Je vous remercie.

 

Évaluer les apports de la loi du 22 avril 2005, de même que ses éventuelles insuffisances

Jean Leonetti
Député des Alpes-Maritimes, président de la Mission d’évaluation de l’application de la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, Assemblée Nationale

Le propos empreint de profondeur et d’ouverture de Madame la Ministre n’appelle guère de longs développements. Je puis toutefois commenter la nouvelle mission qui m’a été confiée. Il s’agit d’une seconde mission, la première ayant été diligentée dans le contexte de « l’affaire Humbert ». La présente mission d’évaluation qui nous a été confiée s’est également inscrite dans l’environnement d’une « nouvelle affaire ». Celle-ci est très complexe et sa trame n’est pas superposable à celle de Vincent Humbert. Néanmoins, les dispositifs médiatiques qui se sont mis en place sont les mêmes, à ceci près que à l’injonction simpliste de compassion l’image a été ajoutée. Il n’était plus question des mots prononcés par un jeune homme, demandant officiellement la mort au Président de la République. Cette fois, nous étions face au visage d’une femme défigurée, criant sa misère à travers les écrans de télévision. Ainsi, la force médiatique de l’émotion a-t-elle pu atteindre son paroxysme. Cependant, comme la Ministre vient de le souligner, ne laissons pas l’émotion se substituer à la réflexion.

Nous avons pour mission d’évaluer les apports de la loi du 22 avril 2005, de même que ses éventuelles insuffisances. En conséquence, il nous a été demandé d’émettre, le cas échéant, des propositions. Nous avons eu la chance de voir notre démarche de réflexion rencontrer un vaste écho au Ministère de la Santé, qui a souhaité appuyer notre réflexion en mettant à notre disposition tous les moyens qu’il était possible d’y consacrer. C’est fort de ce soutien et de cette convergence d’interrogations que nous allons nous employer à déterminer les incompréhensions ou la mauvaise application d’un texte de loi, qui n’a pas à être remis en cause sur la seule base des injonctions de l’air du temps. Certaines réflexions ne s’élaborent que dans la durée.
Naturellement, il sera procédé à de très nombreuses auditions afin de cerner toute la complexité dans laquelle la loi s’est inscrite. Il n’y a pas lieu de considérer qu’elle est parfaite dans sa formulation actuelle. Au fond, nous sommes tous conduits à nous interroger sur la vie végétative, sur le sort des grands prématurés, sur les conditions du maintien de personnes en vie artificielle ou encore sur la souffrance exprimée dans les unités de soins palliatifs. Cette souffrance conduit exceptionnellement à des demandes de mort. Plus généralement, reconnaissons que nous nous trouvons face à l’exception, en considérant l’ensemble de ces situations extrêmes. C’est pourquoi il est si difficile de les appréhender à travers le prisme d’une norme de portée universelle, applicable à tous.

Il nous importe au plus haut point de comprendre les difficultés qui ont été rencontrées dans l’application d’un texte de loi qui a été voté – rappelons le – à l’unanimité. Quelle était la vocation première de cette loi ? Il ne fallait pas tant dire le bien ou le mal que permettre des cheminements dans des situations oh combien délicates. L’enjeu capital ne résidait pas dans une définition du permis et de l’interdit. Face à des cas extrêmes, il est avant tout précieux de se tromper le moins possible dans le questionnement, afin de déterminer une marche à suivre. Il n’est pas concevable de produire une loi qui doute. Néanmoins, nous avons voulu écrire un texte de loi qui suscite le doute, c’est-à-dire la réflexion éthique dans des cas de figure très singuliers. En effet, nous sommes en proie à des problèmes qui forcent le doute, qu’il soit individuel ou collectif, sur ce que signifie la mort pour nous tous. Un sociologue disait que les sociétés ont la mort qu’elles méritent. En fait, la relation à la mort reflète exactement l’identité d’une culture. Avec la mort, c’est un enjeu de civilisation qui se joue. Chacun sait que notre société est marquée par l’individualisme. Plutôt qu’à la construction d’une volonté collective par la délibération et, partant, d’une destinée commune, elle est encline au « c’est mon choix ».

Finalement, la question posée n’est autre que celle-ci : qu’est-ce que l’homme ? Nous sommes naturellement amenés à considérer les choses sur un plan collectif. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Au-delà du questionnement de nos institutions et de l’organisation médicale du soin, du lien avec le monde médico-social, nous sommes conduits à interroger le sens de l’unicité de la personne humaine. Dans quelle société voulons-nous donc vivre demain, et voulons-nous mourir ?
Dans la démarche d’analyse et de questionnement qui est la nôtre, nous remercions Madame la Ministre de nous avoir accordé plus qu’un soutien ou une aide technique. C’est bien une identité de vue qui s’est révélée dans l’appréhension de questions aussi délicates. Nous ne céderons pas à l’air du temps et à la pression dictée par une affaire médiatique. Certaines choses ne sont que bien passagères. Elles ne méritent pas de marquer la destinée de façon indélébile d’un individu, a fortiori d’un Ministre.

 

1. Quelques réalités de terrain

 

Personne de confiance, directives anticipées : d’autres responsabilités en gériatrie

Marie-Pierre Hervy Médecin, chef de service de gériatrie, CHU de Bicêtre, AP-HP

La première question qui doit être posée est celle de la désignation de la personne de confiance. Comment une personne fragilisée par la maladie, par le grand âge peut-elle procéder ? Je fais là référence aux situations les plus fréquentes, sans même avoir à invoquer les cas où toute capacité de décision est totalement remise en cause par l’existence d’une pathologie installant, progressivement, un état de démence. De plus, choisir une personne de confiance n’est pas un acte qui est à considérer en dehors de tout rapport de force. Ceci étant rappelé, on est parfois en droit de se demander si, en dernière instance, la personne de confiance ne s’est pas en quelque sorte auto-désignée. En tout état de cause, dans notre pratique de la gériatrie, nous avons pu constater que la désignation d’une personne de confiance ne renvoie pas à une demande systématique. Parfois, soulever cette option induit même de la méfiance !

Quelques données éparses ont été glanées quant aux comportements de recours à une personne de confiance, à l’hôpital de Reims et la Clinique de la Porte Verte à Versailles. De l’ordre de 35 % des personnes ont effectivement formulé une demande. Seulement 15 % des démarches ont effectivement abouti.
De plus, sur un plan éthique, le fait qu’une personne de confiance ait été désignée ne dispense pas d’entendre la voix des autres aidants, même si la loi accorde une primauté de l’avis de la première sur celui des seconds. La mise sous tutelle constitue dans notre domaine de spécialité une situation très fréquente. Un tel régime juridique met fin à la validité du mandat de la personne de confiance. Cette dernière n’en reste pas moins un interlocuteur de choix. Que faire alors des cas de figure où se superposent deux rôles : celui du tuteur et celui de la personne de confiance ? Une telle question n’a rien de théorique. De même, dans des circonstances où une personne est atteinte de la maladie d’Alzheimer, jusqu’à quand est-elle en mesure de procéder à une désignation valide ? En principe, la ligne de démarcation est fixée à deux années suivant le début des troubles, mais la pertinence de ce seuil peut être fort bien questionnée.

Lorsque l’on considère les directives anticipées, on peut s’interroger sur l’importance du poids de la dépendance dans leur rédaction. En effet, cette dernière est souvent considérée à l’aune de son retentissement affectif et financier. Il n’est pas rare d’entendre des patients nous faire part de leur volonté de ne pas être réanimés à la suite d’un éventuel AVC, pour que leurs enfants n’aient pas à les prendre en charge par la suite, compte tenu des contraintes considérables potentiellement générées.
Face à un refus du traitement proposé, le médecin est tenu de réitérer ses explications. En gériatrie, que doit-il faire ? Il n’est pas rare qu’un malade âgé ait des troubles de la mémoire et de la compréhension. De ce fait, un refus de traitement peut-il être décrit comme « éclairé » ? Réciproquement, à quelles conditions le consentement le sera-t-il ? Le refus d’actes médicaux lourds se conçoit, s’apprécie et se discute au cas par cas. Toutefois, comment appréhender les refus multiples et réitérés qui mettent potentiellement en jeu la vie d’un malade ? Concrètement, il s’agira de patients qui refuseront de s’alimenter, la dénutrition ne manquant pas d’accélérer la détérioration de leur état général. Dans notre discipline, l’accompagnement du début des pathologies installant progressivement un état démentiel est très délicat. En effet, dans un premier temps ce n’est pas tant le processus dégénératif qui est à redouter que l’état dépressif que son diagnostic peut potentiellement causer.  Pour tout patient, il importe de distinguer la capacité d’expression, la capacité de compréhension et la capacité à s’autodéterminer.

N’hésitons pas à dire que la loi Leonetti fait peser une très lourde responsabilité sur les épaules des patients. À son tour, la responsabilité des soignants dans leur accompagnement s’en trouve questionnée. La loi a entériné des pratiques déjà existantes relativement à la collégialité dans la prise de décision. Il est toutefois prévu qu’un médecin ne saurait requérir l’avis d’un supérieur hiérarchique dans le cadre d’une procédure collégiale. N’est-ce pas là faire abstraction de la sociologie hospitalière ? Bien souvent, ce sont les médecins les plus expérimentés (volontiers désignés comme des « mandarins ») qui sont le mieux à même d’éclairer la prise de décision. En quoi ne pourraient-ils être consultés en raison de l’existence de liens hiérarchiques avec le médecin devant, effectivement, la prendre ? Prenons encore l’exemple des médecins coordonnateurs d’EHPAD, qui ont une relation privilégiée avec l’ensemble des soignants et qui connaissent très bien les patients de leurs établissements, bien au-delà du contenu de leurs dossiers médicaux. Le Conseil de l’Ordre des médecins a estimé que ces médecins ne pouvaient être la source d’un deuxième avis, tel que dans la procédure de décision collégiale. Cette position n’est pas sans soulever de profondes difficultés. Y a-t-il un deuxième médecin dans les EHPAD ? Doit-on recourir aux médecins des équipes mobiles (par avances menacés de burn out) ? Plus généralement, les médecins spécialistes en provenance de services extérieurs n’ont aucune connaissance du malade et de la réalité institutionnelle de sa prise en charge.

L’article 2 a partiellement pour but de rassurer les prescripteurs. Il recèle toutefois un effet pervers dont il faut avoir conscience : en l’occurrence il sous-entend que les antalgiques majeurs ont un rôle létal. Or, lorsque les règles de prescription sont respectées, ces agents médicamenteux ne font mourir en aucune façon les personnes âgées. Par contre, le risque d’une insuffisance de prise en charge de la douleur des très grands vieillards est réel  avant la toute fin de vie. En phase terminale, on peut évoquer des cas qui relèveraient d’une euthanasie masquée, qui ne dirait pas son nom.
La loi Leonetti a fait sensiblement avancer les choses. Elle nous a forcés à soulever de bonnes questions, sans nous réfugier derrière des faux-semblants. Surtout, elle a jeté les bases juridiques de soins palliatifs de qualité dans les établissements de santé et médico-sociaux.

 

Médecine physique et de réadaptation : interroger le projet de vie

Alain Yelnik Professeur de médecine, chef du service de médecine physique et de réadaptation, groupe hospitalier Lariboisière-Fernand Widal, AP-HP

Quel tableau peindre des problèmes que nous rencontrons en médecine physique et de réadaptation ? Il est habituel, dans nos services, d’être confronté à des personnes dramatiquement handicapées à la suite d’un AVC, d’un traumatisme du crâne ou du rachis, d’une maladie du système nerveux très lourdement invalidante come la sclérose en plaques, devant vivre longtemps avec leur handicap. Mon propos sera centré sur les handicaps sévères, stabilisés ou à faible potentiel d’amélioration, pour peu que l’on en prenne le soin minimum… et nous voici au cœur d’une des questions de fond : qu’est-ce que le soin minimum ? Plus rien ou presque à investiguer, peu (ou pas) de traitements curatifs à prescrire, nursing et alimentation. Le fait que l’alimentation soit incluse dans le soin doit être souligné avec force.

La loi Leonetti s’applique aux « malades et aux mourants ». Dans notre champ d’exercice de la médecine, qu’est-ce qu’un mourant ? Quelqu’un qui n’est physiquement pas en mesure de porter la nourriture à sa bouche doit-il être ainsi désigné ? De fait, des troubles de la coordination motrice empêchent des patients de s’alimenter seuls, mais plus encore, ces troubles sont à l’origine de risques très élevés d’étouffement. C’est pour cela que l’on a souvent recours à des sondes placées directement dans l’estomac, la gastrostomie. Alimenter une personne qui n’est plus en état de s’alimenter par elle-même relève-t-il donc de l’acharnement thérapeutique ? Nous pensons que tel n’est pas le cas. Lui donner la becquée est une obligation morale et légale, il y aurait à défaut, non assistance à personne en danger. Dès lors, la sonde gastrique n’est elle pas comparable en tous points à une simple orthèse, une orthèse d’alimentation, destinée à pallier une fonction déficiente ?

En Médecine physique et de réadaptation, l’alimentation constitue un soin de base et non pas un traitement. À titre personnel, j’ai été choqué que l’on puisse dire qu’il serait normal de contraindre une personne Témoin de Jéhovah à subir une transfusion sanguine, alors qu’il serait immoral de « forcer » quelqu’un, ne pouvant s’exprimer, à s’alimenter. Dans le premier cas, il y a viol manifeste de la liberté individuelle de la personne, avec des conséquences psychiques définitives graves. Dans le second cas, il y a tout lieu de souligner que les conséquences physiologiques de l’absence d’alimentation sont très vite irréversibles.
Quelles seraient, au juste, les conséquences d’une assimilation de l’alimentation à un traitement médical ? La société laisserait les équipes médicales soignantes assumer seules la responsabilité de causer la mort aux personnes qui ne sont plus en état de se nourrir par elles-mêmes. Ce serait là une solution de facilité. À l’inverse, si l’alimentation relève des soins de base, normalement assurés pour garantir la survie de la personne, alors il s’agit d’une demande de suicide assisté, adressée à la société et non pas seulement au corps médical. Ce sont de tels enjeux qui entrent en ligne de compte et qu’il est impératif de souligner.
Finalement, derrière cette question se pose la question principale : quel projet avons-nous à proposer à ces personnes en état de requérir la mort, directement ou par l’intermédiaire de leur entourage ?

Notre vocation de rééducation, de réadaptation, et de réinsertion ne fait sens que si nous sommes en mesure de proposer un authentique projet aux personnes que nous avons à prendre en charge. On imagine mal un accompagnement des patients au quotidien, au besoin par un nursing quotidien, si de telles perspectives font défaut. Ce serait là causer de grandes souffrances, y compris dans nos équipes. Observons en outre que, le plus souvent, la grande brutalité de survenue du handicap rend utopique l’élaboration de directives anticipées. Ces dernières ne sauraient donc immanquablement servir de repère. De plus, quand un patient ne peut plus s’exprimer, il est très difficile de déterminer qui sera le référent familial, si tant est qu’une famille soit là, auprès de la personne vulnérable.

Deux populations doivent être différenciées, selon que les fonctions intellectuelles et de communication avec l’extérieur sont intactes ou possibles, ou qu’elles ne le sont pas. Dans le premier cas, nous avons à faire avec des handicaps dramatiques tels les locked-in syndroms. A un moment où à un autre, les personnes plongées dans de telles conditions paralysantes passent par une étape où elles réclament la mort. A l’expérience, nous avons constaté que seul un projet d’avenir – aussi ténu soit-il – est de nature, sinon à dissoudre le désespoir, du moins à éviter qu’il n’accapare totalement les pensées du patient. Les demandes les plus extrêmes et poignantes émanent toujours de personnes totalement isolées. À l’évidence, l’isolement représente la plus terrible des situations. Lorsqu’il s’accompagne en plus d’un handicap moteur à peu près total, il devient insupportable. Il faut dire que trop souvent, face à des personnes presque totalement paralysées mais ayant conservé leur discernement, nous manquons de capacités d’accompagnement psychologiques et matérielles. La médecine bute ici sur des limites qui la dépassent et qui concernent toute la société. C’est en effet le rapport de la société avec les personnes lourdement handicapées qui est en cause. Collectivement, quel projet de vie avons-nous à offrir à ces personnes ? Seul un projet, aussi fragile soit-il, est de nature à donner un sens à leur accompagnement. Lorsqu’une telle perspective existe, la demande de mort ne nous paraît pas être supérieure à celle émanant de la « population générale ». Les études relatives à la vie à domicile des patients atteints de locked-in syndrom corroborent ce sentiment.
C’est lorsque les fonctions intellectuelles sont abolies que nous rencontrons les difficultés les plus grandes. Concrètement, c’est à des états végétatifs chroniques qu’il est fait référence. Les personnes dont il est question émettent tout juste ce qui pourrait être perçu comme un signe. Il n’est pas toujours évident d’apprécier le degré réel d’atteinte des capacités intellectuelles d’un individu. Nous sommes là en présence d’une problématique similaire à celle qui est décrite s’agissant des personnes âgées atteintes d’affections dégénératives. Parfois, l’on croit comprendre le patient ou deviner ce qu’il semble exprimer. Les vécus auxquels je fais référence sont parfois extrêmement pénibles. Au quotidien, nos équipes ont à assurer des soins de base, dont l’alimentation fait partie intégrante. Toute intervention médicale quelque peu sophistiquée est l’objet d’un débat pour en s’en assurer le sens. Naturellement, ce sont surtout les familles qui sont en quête de sens, face à l’état de leur proche et à la souffrance dont il est à l’origine.

Pour conclure, les équipes de médecine physique et de réadaptation sont moins confrontées aux questions de fin de vie, qu’à la question du sens de celle-ci. Les demandes de fin de vie explicitement formulées sont rarissimes. J’insisterai sur le fait que lorsqu’une personne lourdement handicapée réclame qu’on cesse de l’alimenter, c’est par défaut et par dépit. Elle signale le manque d’un projet de vie minimal proposé aux personnes lourdement handicapées et souligne l’insuffisance de moyens humains et matériels mis à leur disposition par la société qui a pourtant consacré, il y a là disproportion, d’importants moyens médicaux pour les maintenir en vie.

SLA : des dilemmes singuliers

Vincent Meininger Professeur de médecine, Fédération de neurologie, groupe hospitalier Pitié- Salpêtrière, AP-HP

Quel rôle avons-nous, dans l’élaboration des directives anticipées ? Cette question me paraît, à bien des égards, insoluble. La loi pose un cadre. Elle ne saurait résoudre mécaniquement des dilemmes singuliers. Les cas de conscience qui se posent au praticien que je suis ne sont pas liés à l’existence ou à l’absence d’une loi. Intérieurement, nous avons besoin d’un principe ou d’une voix intérieurs qui nous affirme, a posteriori, que nous avons bien agi. Le contact avec les malades atteints de sclérose latérale amyotrophique nous éloigne peut-être des lois, pour plutôt nous amener à rechercher avant tout la sérénité.

Lorsque l’on évoque la sclérose latérale amyotrophique, ce n’est au fond pas d’une fin de vie dont il s’agit. Les malades apparaissent condamnées à mourir de cette pathologie mais, au fond, ils peuvent vivre. C’est dans cette perspective que les directives anticipées sont redoutables. Elles posent aux équipes soignantes cette question : avons-nous donné à ces personnes, jusqu’au bout, les moyens de vivre ?
À titre personnel, je n’hésiterai pas à confesser la terreur que m’inspirent les directives anticipées. Des médecins en imposent la rédaction à des malades qui n’ont pas vraiment envie de les écrire. Cette violence doit être désignée, pour être dénoncée. Tout de même, est-il si facile de dire à un malade : « vous entrez dans un processus conduisant irrévocablement à un trouble respiratoire, voulez-vous vivre ou mourir ? » Or nous savons pertinemment que la société n’a rien fait pour que les personnes atteintes de SLA puissent vivre correctement et dignement.
Telle est cette réalité avec laquelle nous sommes aux prises. En effet, toutes les structures susceptibles d’accepter ces patients au long cours les refusent Il n’est qu’à leur poser la question pour couper court à tout échange téléphonique. Quel projet de vie a-t-on donc à offrir ? À peu de choses près, aucun. On attendrait bien d’une loi qu’elle nous retire la douleur d’avoir à dire : « je n’ai rien à vous offrir car, socialement, je ne suis pas en mesure de proposer quoi que ce soit… ».

En matière de prise de décision collégiale, il convient de souligner que, nécessairement, quelqu’un doit trancher à un moment donné du processus d’accompagnement du malade. Les paroles ne suffisent plus. Effectivement, il faut décider. La pathologie qu’est la sclérose latérale amyotrophique pose des questions quasiment insolubles au quotidien. Pour cette raison, il faut par-dessus tout proscrire la caricature. J’ai souvenir d’une patiente qui, régulièrement, venait discuter de sa situation en consultation. Elle s’efforçait de garder le contrôle des circonstances et même des apparences puisqu’elle allait chez le coiffeur avant chaque consultation. Or, avant un voyage à Lourdes qu’elle avait programmé, cette femme a été harcelée par un médecin qui a exigé d’elle qu’elle signe un document pour savoir si elle acceptait, ou pas, la perspective de la trachéotomie. Je lui ai alors signifié qu’elle pouvait aller à Lourdes sans avoir à inscrire de telles volontés dans le marbre d’un document écrit… D’une manière générale, il est pour le moins pernicieux de demander à une personne de renoncer à l’exercice de son intelligence au profit d’un document écrit. C’est l’intelligence qu’il faut défendre et non pas la trace écrite d’une volonté formulée à un moment donné, aussi définitive qu’intimidante ! Il y a risque que l’intelligence figée du texte se substitue à l’intelligence vivante de la personne.

Lorsque je dois discuter avec un malade de la perspective de la trachéotomie – seule à même d’écarter une mort sinon rapidement inéluctable – il m’est très difficile d’intégrer dans le dialogue les directives anticipées. En toile de fond prévaut encore ce que nous avons, collectivement, à offrir aux malades. La sclérose latérale amyotrophique ne cause aucune perte de fonction intellectuelle. Nos patients gardent toute leur faculté de jugement. Lorsque la maladie a fortement progressé, il arrive qu’un apport de morphine les aide un peu à mourir. C’est un euphémisme de dire que, parfois, nous aidons nos malades à mourir, après en avoir discuté préalablement avec eux… En pareille circonstance, il m’est difficile de faire référence à un consentement éclairé. En réalité il est clair que l’on ne peut que parler de pénombre.  Car au fond comment bien « expliquer », « éclairer » lorsqu’il faut expliquer à quelqu’un ce qu’est la vie sous trachéotomie ? Les explications peuvent être bonnes ou mauvaises. Après des années de pratique, je ne sais toujours pas comment présenter à autrui d’une manière neutre ce que représente une vie après trachéotomie, car c’est bien d’une vie dont il est question et c’est cela qui importe.
Il est tout à fait envisageable de vivre une quinzaine d’années après trachéotomie et gastrostomie. Si le médecin n’arrive pas à se persuader que c’est une vie qui demeure ouverte, comment pourra-t-il en persuader le patient ? Nous touchons une pathologie dans laquelle les représentations sont à peine vivables…
Ne nous leurrons pas, au-delà de la problématique du consentement éclairé, un malade s’inscrit dans un environnement social et familial. Si l’entourage estime que la condition du malade est proprement invivable, alors il n’y a plus vraiment lieu de parler de consentement éclairé et de liberté de décision. D’une façon générale, nous ne sommes pas autonomes. Acceptons de dire que nous sommes dépendants d’autrui. Dans ma pratique, faire référence à un consentement éclairé soulève des difficultés considérables. En dernière instance, c’est l’honnêteté dans le rapport au malade et la perception de ses aspirations qui compte.

La diffusion de la réflexion éthique constitue un préalable à tout progrès

François Goldwasser Professeur de médecine, Faculté de médecine Paris Descartes, et service de cancérologie, (CHU de) Groupe Hospitalier Cochin, AP-HP

Mon propos traitera de l’état des lieux de la cancérologie et de celui de l’application de la loi Leonetti dans ce domaine, avant de formuler quelques propositions.
En cancérologie, il est tout d’abord nécessaire de prendre la mesure de l’insuffisance des capacités d’accueil. Une fin de vie n’est pas quelque chose qui se décide ponctuellement mais, au contraire, constitue l’aboutissement d’un parcours à anticiper.
Comment décrire les insuffisances des capacités de prise en charge des malades en cancérologie et en fin de vie ? Un parallèle avec les événements de la canicule d’août 2003 est très évocateur. Tous se rappellent dans quelles conditions les corps des personnes décédées avaient dû être « stockés » faute de cercueils en nombre suffisant. Avant de discuter d’éthique, encore faut-il qu’il n’y ait pas un défaut manifeste de capacités de prise en charge, eu égard aux besoins manifestes par tous constatables. Le cancer occasionne de l’ordre de 400 décès par jour. Ce chiffre est comparable au nombre de décès causés quotidiennement lors du pic de canicule en 2003. En ce sens, sur le plan des besoins à satisfaire, le cancer, c’est la canicule tous les jours. Le point de départ de la démarche de prise en charge d’un malade en phase terminale consiste et parfois se réduit à rechercher un lit disponible. C’est également un point de départ – ou une limite – sur le plan de l’éthique de la fin de vie. Les parcours des patients sont parfois chaotiques en cancérologie. Ils sont rythmés par la T2A. L’activité de soins et les dépenses induites font l’objet d’une évaluation, contrairement à la qualité, supposée garantie implicitement sans nécessiter vérification. Si l’on se référait à la seule boussole de la T2A pour guider ses actes, on arriverait à la conclusion qu’une euthanasie revient 100 fois moins cher qu’une prise en charge longue d’un malade en fin de vie. C’est pourquoi l’enjeu essentiel réside dans la substitution de la boussole de la T2A par le GPS de l’éthique, pour guider nos actions.

Traditionnellement, une ou deux décennies sont requises pour que les pratiques soient effectivement alignées avec ce que demande le droit, ou même avec ce qu’il est de coutume de dénommer les « bonnes pratiques ». En effet, moins de 10 % des médecins hospitaliers savent prescrire des antalgiques de niveau 3 en toute circonstance. À l’occasion d’une formation dispensée à des médecins généralistes motivés, j’ai pu constater qu’aucun n’était familier avec ces médicaments essentiels en médecine quotidienne. Dans le même ordre d’idées, en Ile-de-France, seulement 3 % des cancérologues sont formés aux soins palliatifs. Moins de 1 % sont en mesure de définir une démarche éthique pour prendre une décision. Il faut souligner que, longtemps, l’éthique médicale n’a jamais été enseignée et qu’elle l’est aujourd’hui très marginalement et sans lien concret avec la clinique.
Dans ces conditions, que peut-on proposer ? à l’évidence, la carence de formation à l’éthique doit être corrigée. Sans généralisation des modes de raisonnement de l’éthique médicale, parler de « légaliser l’euthanasie » est tout bonnement impensable. La diffusion de la réflexion éthique et donc l’aptitude des médecins à être responsables constitue donc un préalable à toute évolution législative allant dans le sens d’augmenter le pouvoir médical.

Quelles autres pistes d’amélioration de l’existant sont envisageables ? Il est nécessaire de concevoir une procédure de recours en cas de symptôme très sérieux et incontrôlé, à l’image de la procédure obligatoire à suivre face à un arrêt cardiaque. Beaucoup de services n’ont pas le réflexe de recourir à des experts, lorsqu’une expertise palliative est nécessaire.
En outre,  la T2A doit être contrebalancée, sans remettre en cause l’intérêt de l’amélioration de l’efficience des soins. A côté des données quantitatives de flux de patients, il est nécessaire d’ajouter des indicateurs de qualité ; l’un d’entre eux pourrait être en rapport avec l’application de la loi Leonetti. Pourquoi ne pas le nommer « indicateur Leonetti » ?  De plus, dans le cas de personnes en fin de vie, je suis favorable à la conservation d’une trace écrite de toute décision médicale, notamment lorsque celle-ci est de nature à avoir pour conséquence indirecte d’abréger les jours d’un malade. Une décision éthique peut toujours s’écrire. La traçabilité des décisions en cancérologie participe d’un enracinement de la réflexion pluridisciplinaire, s’agissant des cas les plus complexes. Naturellement, lorsque l’on délibère, on doit demander son avis au patient. C’est là un bon sens élémentaire qui n’est peut être pas si partagé que d’aucuns pourraient le croire.
L’adaptation des institutions de soins aux besoins réels des patients est incontournable. Il n’y a pas lieu de tenir un raisonnement éthique lorsqu’il n’existe pas de lit disponible pour accueillir une personne se trouvant en fin de vie à cause de son cancer, lorsqu’il n’y a encore pas de place aux urgences. L’adaptation de l’hôpital passe par celle des disciplines médicales. Quelques une d’entre elles, largement anachroniques, occupent une place figée dans l’organisation hospitalière, alors qu’il est par ailleurs impératif de dégager des capacités d’accueil dans d’autres disciplines (gériatrie, cancérologie, etc.).

Le « Plan cancer » a mis l’accent sur le suivi d’un dispositif d’annonce de la maladie. Dorénavant, cette annonce est codifiée. C’est entre cette annonce et la fin de vie que l’accompagnement de la personne est à construire, en cohérence avec le projet médical proposé. Comment s’assurer de cette cohérence ? Un temps de consultation soignant doit être réservé au suivi du malade, tout au long de son parcours de soins, pour vérifier l’adéquation entre ce qui a été envisagé au départ, ce qui a été entrepris et les valeurs et priorités de la personne. La cancérologie reste encore un champ de soins dominé par la prescription médicale. De ce fait, c’est également un terrain fertile pour l’acharnement thérapeutique. Dans cette perspective, la consultation infirmière devrait être considérablement valorisée et permettre un temps de discussion soignant-soigné, l’introduction d’une lenteur propice pour évaluer avec le patient si la proposition médicale a bien un sens pour la personne malade ou est incohérente par rapport à ses priorités. Eu égard aux traitements coûteux potentiellement évitables, il y a tout lieu de penser que de telles infirmières spécialisées  induiraient des économies massives et immédiates, 1000 fois supérieures aux surcoûts liés à la revalorisation de la profession infirmière.

Enfin, on ne peut qu’espérer la parution d’un décret sur l’exercice pluridisciplinaire des soins en situation d’incurabilité en cancérologie, en écho à la réussite du décret concernant les réunions de concertation plurdisciplinaire (RCP) lors du diagnostic. Les RCPs ont considérablement amélioré la prise en charge initiale des patients atteints de cancer en imposant une pluridisciplinarité regroupant expertises diagnostiques (imagerie, anatomo-pathologie) et thérapeutiques (chirurgien, cancérologue, etc.). En situation avancée et incurable, le médecin redevient solitaire tandis qu’émotion et détresse culminent, l’exposant à de mauvaises décisions, parmi lesquelles l’acharnement thérapeutique tient une place manifeste. Un nouvel indicateur pertinent en cancérologie, serait donc la structuration de la pluridisciplinarité adéquate en situation d’incurabilité. Elle est différente de la précédente et regroupe cancérologue, médecin de soins palliatifs, équipe paramédicale soignante, psychologue. Elle est expérimentée depuis mai 2002 à Cochin avec succès. L’objectif ici de mettre en miroir la démarche la plus performante comportant l’évaluation du rapport bénéfice-risque et l’accès à l’innovation et aux soins palliatifs et l’attitude la plus raisonnable, en lien avec le souhait de la personne, ses priorités.

Amyotrophie spinale infantile : anticiper la prise de décision

Brigitte Rul, Cadre infirmier, Centre de référence des maladies neuromusculaires, GNMH, hôpital Raymond-Poincaré, Garches, AP-HP, Département de recherche en éthique, Université Paris-Sud 11

Je réalise actuellement une recherche auprès d’une population de parents qui ont ou ont eu un enfant atteint d’amyotrophie spinale infantile. C’est une maladie rare d’origine génétique, qui provoque une dégénérescence des neurones moteurs de la corne antérieure de la moelle épinière. Les ordres envoyés par le cerveau ne peuvent donc pas cheminer jusqu’aux muscles. Ceci provoque des paralysies musculaires très graves qui lorsqu’elles atteignent les muscles respiratoires mettent le pronostic vital en jeu. Il n’existe pas de traitement curatif pour cette maladie. La seule stratégie possible pour éviter le décès consiste à mettre en place une assistance ventilatoire invasive associant trachéotomie et dépendance à un respirateur. Malgré le handicap moteur, ces enfants possèdent toutes leurs capacités intellectuelles.
Je travaille uniquement sur la forme la plus grave appelée amyotrophie spinale infantile de type 1. Les symptômes vont se déclarer avant le 6ème mois de vie et pour les formes les plus sévères, la question de l’assistance ventilatoire invasive se posera dès la première année de vie. Mon travail consiste à recueillir le témoignages de parents d’enfants vivant trachéotomisés ou décédés. L’objectif de ma recherche est de  comprendre comment et pourquoi certains enfants ont été trachéotomisés et d’autre non, et surtout quelle a été l’implication des parents dans le processus décisionnel de mise en route ou d’abstention d’une assistance ventilatoire invasive.
Je pense que la loi Leonetti répond parfaitement à ces situations, c’est à dire que dans l’article 1er  il est dit que lorsque les actes n’ont pas « d’autres effets que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ».
Nous sommes bien dans un tel cas de figure lorsqu’il est décidé de ne pas faire de trachéotomie, puisqu’elle ne fera qu’entretenir le « maintien artificiel de la vie» sans que l’on puisse guérir la maladie.
Mon exposé s’articulera sur 3 thèmes en s’appuyant directement sur des témoignages recueillis :

  1. l’annonce de diagnostic,
  2. la fin de vie,
  3. un décret d’application la loi.

Avec les parents, nous commençons toujours les entretiens en parlant de la façon dont l’annonce du diagnostic a été faite. De nombreux témoignages ont mis en évidence un sentiment d’abandon très difficilement vécu. Au cours d’un entretien généralement bref au regard d’une telle information à donner, le médecin est souvent ressenti en difficulté pour annoncer la présence d’une maladie rare et mortelle dont il n’est pas expert. Au moment de l’annonce de diagnostic, il est souvent précisé « qu’il n’y a rien à faire » parce que nous ne sommes pas dans une démarche de guérison. Ce « il n’y a rien à faire » est “ inentendable ” pour les parents.
Prenons l’exemple concret de parents qui ont fait mention d’une double annonce. La première était celle d’un pied bot, malformation bénigne diagnostiquée par échographie vers le 6ème mois de grossesse et pour lequel les parents avaient été conviés à une réunion avec la présence d’un chirurgien, d’un pédiatre et d’un kinésithérapeute pour leur donner une information exhaustive sur cette malformation et sa prise en charge. Ces parents se sont sentis accompagnés, rassurés et très satisfaits de toute l’attention qu’on leur avait accordée. En revanche, deux mois après la naissance de leur enfant, après l’apparition des premiers symptômes d’amyotrophie spinale infantile, la maladie leur a été annoncée au cours d’un entretien qui n’a pas duré plus de 10 minutes. Les parents ont entendu : « votre enfant mourra dans les mois à venir et il n’y a rien à faire ». Rien en terme de prise en charge ne leur a été proposé. Ces parents ont fait un comparatif avec la première annonce d’une malformation bénigne très bien faite, et la deuxième où à l’annonce d’une maladie mortelle il leur a simplement été dit qu’« on ne pouvait rien faire » et le sentiment qu’ils ont alors ressenti d’être abandonnés par les professionnels. Un des problèmes est la difficulté qu’ont les médecins à parler de cette maladie que souvent ils ne connaissent pas puisque c’est une pathologie rare. Pourtant, malgré la gravité de celle-ci, il y a lieu de discuter de projets de vie à mettre en œuvre, quand bien même aucune solution curative n’existe. Des soins sont en mesure de contribuer au confort et à la qualité de vie de l’enfant. Mentionnons par exemple la kinésithérapie motrice et respiratoire qui est indispensable. Vers l’âge de 7 mois, il importe que l’enfant soit placé dans une coque le maintenant en station assise (car l’hypotonie induite par l’amyotrophie fait qu’ils ne peuvent se tenir assis), ce qui permet une participation à la vie de famille : être autour de la table sur une chaise haute par exemple.
La série d’entretiens que j’ai eus avec ces parents a mis en lumière des maladresses lourdes de conséquences. Ainsi, une mère a pu entendre comme conseil d’arrêter l’allaitement pour ne pas trop s’attacher à son enfant. L’enfant est en quelque sorte enterré vivant de par le diagnostic posé. Or, force est de constater que ces enfants ne meurent pas au moment du diagnostic. Parfois, les troubles respiratoires débutent tôt, parfois ils ne se manifestent que vers un an. Nécessairement, des soins palliatifs doivent être instaurés. Le problème est que souvent, on assimile étroitement la médecine palliative à une médecine de mort ou tout au moins de fin de vie, ce qui est une erreur.

Une étude rétrospective menée sur 8 ans en 1999 par le Dr Desguerre  sous la forme de questionnaires envoyés à 12 centres de neuropédiatrie  montrait également un manque de suivi de ces enfants. L’étude avait porté sur 106 dossiers et montrait dans ses résultats une forte méconnaissance du devenir des patients et de leur famille. Ainsi, restait inconnu : l’âge du décès dans 25% des cas, le lieu du décès dans 28% des cas et le suivi des parents après le décès était inférieur à 15 % des cas.Concernant le deuxième point de mon exposé portant sur la fin de vie de ces enfants, je parlerai de l’insuffisance de prise en charge de la douleur. Chaque  témoignage retrace une situation singulière, mais plusieurs fois cette insuffisance de prise en charge m’a été rapportée, comme cet exemple qui m’a particulièrement marqué concernant un enfant pour lequel il avait été convenu avec les parents de ne pas mettre en route d’assistance ventilatoire invasive. Pendant trois jours, les parents ont entendu leur enfant gémir parce qu’il avait beaucoup de mal à respirer. Les parents m’ont dit avoir « harcelé le personnel médical et paramédical » pour qu’il soit mis un terme à ces souffrances manifestes. Au bout du troisième jour, leur requête a été entendue et une seringue de morphine a été poussée en présence des parents, jusqu’à l’arrêt respiratoire de l’enfant, pendant que sa mère lui tenait la main. Ces parents n’ont pas prononcé le mot « euthanasie » pour parler de cette fin de vie, ne sachant pas eux-même comment la nommer et se demandant si cela représentait vraiment de l’euthanasie, avec toutes les difficultés que cela a pu comporter ensuite pour en parler, particulièrement avec les grands parents ou avec le frère aîné de l’enfant décédé. Leur choix motivé était de  faire cesser les douleurs et non pas d’abréger la vie de leur enfant. Ceci me ramène à nouveau à l’étude du Dr Desguerre précédemment citée qui avait mis en évidence que les morphiniques n’avaient été employés que dans 19 cas sur 106.
Le troisième et dernier point de mon exposé est une interrogation sur un décret d’application  de la loi du 22 avril 2005 qui stipule que « lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur … » Que veut dire, au juste, « recueillir l’avis des parents » lorsque l’on est confronté à un enfant en décompensation respiratoire ? Un papa arrivé de nuit dans un service de pédiatrie avec son enfant de 8 mois en décompensation respiratoire sévère et qui était à un stade terminal de la maladie a été interrogé pour savoir s’il voulait qu’on intube son enfant. Ce papa a été directement placé en agent décisionnel sur ce qui devait être fait médicalement, ce qui, bien entendu, l’a dramatiquement mis en difficulté. Je ne souhaite pas ici incriminer ce médecin car ses agissements trouvent des explications par le fait qu’il était jeune, seul cette nuit de garde et qu’il ne connaissait pas la maladie (je rappelle que c’est une maladie rare).
Un autre témoignage peut être cité. Il est afférent au cas d’une petite fille de 8 mois, en phase terminale d’amyotrophie spinale infantile et qui avait présenté deux arrêts respiratoires à la suite desquels elle fût réanimée. Les parents avaient noué une relation privilégiée avec une infirmière qui leur avait demandé s’ils avaient réfléchi sur leurs souhaits quant à la marche à suivre si un troisième arrêt respiratoire survenait. Cette question posée dans un contexte de non-urgence alors que l’état de leur enfant était stabilisé a permis aux parents d’ouvrir entre eux ce dialogue à la suite duquel la mère s’est alors adressée à sa fille. Au terme d’un long monologue avec son bébé, cette maman a compris et lu dans le regard de son enfant : « maintenant, vous pouvez me laisser partir ». Il va sans dire qu’une telle épreuve a été très lourde à surmonter pour les parents, qui ont finalement pris la décision de ne pas réanimer la petite une fois de plus lorsque une nouvelle décompensation respiratoire surviendrait. Deux années après ce choix de fin de vie, ces parents m’ont assuré n’avoir jamais ressenti le moindre remord quant au choix qu’ils avaient fait. De leur point de vue, ils estiment avoir agi en tant que parents, dont le rôle était de protéger leur enfant de souffrances intolérables et que cela les aide actuellement dans leur deuil.
Recueillir l’avis des parents peut prendre des formes multiples et variées et il me parait capital que les équipes y réfléchissent en amont et non pas quand elles sont en quelque sorte au pied du mur.
En conclusion, une information sur la loi Leonetti me parait vraiment nécessaire et indispensable à faire au sein des équipes pour qu’elles la connaissent avec exactitude et qu’elles réfléchissent à sa mise en œuvre dans leur service. Il faudrait également développer non seulement une culture des soins palliatifs qui ne soit pas assimilée uniquement à la fin de vie, mais  également une culture de l’éthique aussi bien en formation initiale que dans les formations continues au sein des services hospitaliers.

 

2. Face aux situations extrêmes

 

Soins palliatifs : les conditions de l’amélioration d’un dialogue soigné-soignant

Sylvain Pourchet, Médecin, responsable de l’unité de soins palliatifs, hôpital Paul Brousse, AP-HP

« Les conditions de la mort sont insatisfaisantes à l’hôpital ! »
Vous avez dû, comme moi, lire ce titre dans les journaux, voici quelques semaines, au moment de la publication dans Archives of Internal Medicine, de l’étude menée par le Pr Edouard Ferrand.
Cette étude conduite en 2004, confirme d’ailleurs les résultats d’études précédentes sur la  mort à l’hôpital (MAHO) :
- Plus de 80 % des malades en fin de vie ne reçoivent pas la visite d’une équipe de soins palliatifs dans leurs derniers jours.
- 82 % des malades meurent avec des symptômes mal soulagés
- ¾ des malades meurent sans leurs familles.

Quatre ans après cette étude, 3 ans après la loi de 2002, la situation a-t-elle la véritablement changée ?
Nous avons des raisons de penser que des progrès sont encore à accomplir…

Que se passe-t-il donc pour qu’un tel constat soit fait dans un pays où les soins palliatifs se développent depuis vingt ans, où nous disposons à la fois des connaissances médicales et de l’encadrement légal nécessaire pour répondre à l’immense majorité des besoins ?
J’ajouterai, s’agissant de l’encadrement légal : nécessaire… et suffisant !

La prise en charge des situations de fin de vie est complexe. Certes !
Mais les éléments de cette complexité sont assez connus …puisqu’ils sont humains.
Ensuite,  l’équation que les soignants ont à résoudre peut se simplifier puisque les paramètres à prendre en compte sont  constants :

1. Une histoire médicale dense : plusieurs années de suivi, des antécédents, des complications… de réflexions et de décisions
La question à laquelle nous devons répondre ici est qui en fait la synthèse ?

2. Une situation clinique évolutive chaque jour avec de nouveaux besoins physiques et psychologique :
La question à laquelle nous devons répondre ici est celle du suivi, de la réactivité, de l’anticipation.
Ainsi, alors qu’à l’approche de la fin de vie, on sait que les situations requièrent une plus grande vigilance, on observe souvent que les rendez-vous de consultations sont plus espacés.

3. Un grand nombre d’intervenants
- professionnels : à la fois personnels soignants différents et également institutions différentes, donc lieux de prise en charge multiples, entre la ville et l’hôpital ;
- entourage : personne de confiance, familles, amis… Internet !
La question à laquelle nous devons répondre ici est : qui assure la cohérence ?

4. Une prise en charge « globale » : patient et entourage ; médicale, psychologique, sociale et, osera t’on encore le dire en 2008, spirituelle, comme cela figure dans la définition des soins palliatifs de 1996 ?
La question à laquelle nous devons répondre ici est celle de l’identification des priorités dans les prises en charge, la définition d’un projet thérapeutique, d’un projet de vie
Une patiente atteinte de cancer est hospitalisée à l’unité. Elle présente des douleurs. Elle va mourir de sa maladie. Isolée, elle a élevé seule ses enfants, actuellement âgés de 17,12 et 5 ans. Il faut traiter ses symptômes, accompagner son désir de vivre et son angoisse de mourir, rendre possible la présence de ses enfants auprès d’elle, s’assurer de leur placement, de leur éducation, des conditions matérielles de leur existence, se préoccuper des conditions de  leur deuil…

5. Un haut niveau d’exigence, justifié lorsqu’il s’agit de la compétence dans le soin, inapproprié voire contre productif, lorsqu’il est dans l’illusion d’une maîtrise totale des conditions la mort.

 

Qui sont les patients que nous accueillons aujourd’hui en unités de soins palliatifs ?
Eh bien ce sont les patients qui sont « hors normes ».
« Hors normes »,  parce que la prise en charge de leur symptômes physiques et psychologiques, nécessitent des compétences particulières (sédation, respirateur, pansement sous anesthésie générale, lourdeur du nursing, etc.).
« Hors normes », parce qu’ils existe des problèmes dits « relationnels » que l’approche de la fin de vie, les contraintes d’un séjour en institution, une maladie psychiatrique ou une psychopathologie familiale font décompenser et où la relation est conçue sur le mode du conflit ou de la revendication, de la suspicion plutôt que de la confiance.
« Hors normes »,  parce qu’il existe un besoin de temps, et plus que de temps, un besoin de disponibilité. Le besoin d’une autre vision de la maladie que celle qui se réduit à la mise à disposition de solutions ponctuelles face au moindre problème surgissant.
Le « hors norme » se définit donc à la fois du point de vue du soin et du point de vue d’une organisation du soin, de plus en plus contrainte, dans un hôpital qui vit sa révolution industrielle : optimisation des tâches, maîtrise des coûts, prévisibilité des actions.

Dans ce contexte de comment s’applique la loi 2005 ?
Premier constat, à partir de notre expérience : peu de directives anticipées et de plus en plus de personnes de confiance :

- la loi paraît donc mieux connue…
- mieux connue mais encore mal comprise : quel est le rôle de la personne de confiance ? La personne de confiance s’autorise-t-elle à considérer le meilleur compromis dans une situation médicale inédite ou conçoit-elle sa mission, comme celle d’un gardien veillant sur une promesse donnée, même lorsque celle-ci s’avère, à l’évidence inappropriée : « Il a dit qu’il ne voulait pas mourir à l’hôpital… » oui, mais il n’aurait peut être pas souhaité, pour ce faire, risquer de mourir douloureux… « Il a dit qu’il voulait retourner à la maison… »
- mieux connue, encore mal comprise et trop tardivement appliquée : ce n’est pas lorsqu’on arrive dans une unité soins palliatifs, avec l’implication émotionnelle que cela sous entend, où alors qu’il existe des altérations cognitives, qu’on est le plus à même de faire les choix les plus judicieux en terme de désignation de la personne de confiance.

Il existe donc sur ce premier constat de la notoriété de la loi, plus qu’une information des usagers à promouvoir : un véritable besoin d’accompagnement pédagogique à  la rédaction de directives anticipées ou la désignation de personne de confiance, si nous voulons que ces mesures servent efficacement les intérêts du malade.

Deuxième constat : la formation des soignants
On sait que les cours théoriques sur les soins palliatifs, donc sur la législation, existent dans la plupart des lieux de formation des professionnels de santé aujourd’hui.
Pour quelle application sur le terrain ?
Dans quels lieux, et avec quel compagnonnage les soignants vont-ils pouvoir assimiler la pratique de la collégialité, de l’interdisciplinarité, de la relation thérapeutique, dont on vient de voire qu’il s’agit là d’un besoin important ?
Il existe pour ce deuxième constat de la formation professionnelle, des solutions simples, et qui ont fait leurs preuves, pour développer le socle des compétences interpersonnelles et renforcer le travail collaboratif, je pense à des groupes de parole, type Balint, ou d’analyse des pratiques.

 

Nous avons donc la chance qu’en 2008 existe un cadre législatif pour les soins palliatifs qui pose clairement les conditions de l’amélioration d’un dialogue soigné-soignant alors que nous sommes dans des circonstances rendues particulièrement complexes par les évolutions de la médecine et les circonstances particulières de la fin de vie

Il reste encore aux usagers et aux professionnels de santé à apprendre à mieux utiliser les nouveaux outils mis à leur disposition :

- pédagogie concrète vis-à-vis du grand public ;
- développement des compétences interpersonnelles pour les soignants.

Quelle application de la loi dans un contexte d’hospitalisation à domicile ?

Elisabeth Balladur Médecin coordonnateur HAD, AP-HP

Au domicile du malade, en principe au milieu de ses proches, bien des choses sont à considérer d’une manière toute autre qu’à l’hôpital. Des décisions n’ont pas les mêmes conséquences à l’hôpital lieu de vie du patient. Dans ce dernier cas, il est à son domicile, dans un contexte familial parfois très pesant tout en étant paradoxalement plongé dans un relatif isolement social à cause de sa condition de malade.
Lorsque l’on évoque le maintien à domicile, on soulève des éléments de nature médicale et extra-médicale. Les intervenants soignants sont essentiellement des praticiens libéraux. Ce mode d’exercice particulier les rend parfois réticents à entrer dans des logiques collectives de soin, d’autant que le domicile ne favorise pas la mise en place d’organisations permanentes. En principe, les malades ont tendance à vouloir rester à leur domicile. Ils ne peuvent toutefois le faire que si des proches le permettent en les aidant.

Dans les 5 à 10 dernières années, nous avons assisté à des changements considérables. Le profil moyen du patient suivi à domicile a évolué. Nous passons progressivement d’un « exercice solitaire du soin » où chaque soignant applique ses propres convictions en matière de pratiques à des propositions d’accompagnement à domicile plus collectives, soutenues par des réseaux de soins palliatifs ou réalisés par des HAD. Cependant les réseaux de soins restent fragiles. La pérennité du développement de l’accompagnement à domicile des malades repose sur eux.
Au domicile, le déficit considérable de réflexion sur la fin de vie, dans la cité, est tout aussi perceptible qu’à l’hôpital. Le bénévolat reste très peu développé. Bien des initiatives reposent aujourd’hui sur des individus. C’est donc un vaste chantier de transformations qui s’ouvre à nous. Il n’appartient pas aux seuls professionnels de réfléchir à ces transformations, mais à encore à nombre d’institutions sociales.

Quel bilan peut-on dresser de l’application de la loi Leonetti dans notre champ d’activités ? Je ne surprendrai personne en affirmant qu’elle est méconnue, à al fois dans son existence et dans son contenu. Depuis la loi de 2002, il est question de désigner une personne de confiance. Or, nous avons pu constater – après avoir échangé avec de nombreux généralistes d’un département situé en périphérie de Paris – qu’aucun d’entre eux n’a pu citer les attributions de la personne de confiance. Ce sont ces médecins généralistes les premiers interlocuteurs des malades. Au niveau des HAD, seules structures du domicile devant proposer la désignation d’une personne de confiance, un déficit d’information est perceptible. C’est l’explicitation de ce qu’est une personne de confiance et de son rôle qui fait problème, les soignants eux-mêmes étant peu formés. Spontanément, les malades tendent à désigner… la personne à prévenir. Notons qu’à domicile, ces derniers doivent composer avec un entourage familial qui peut fort bien exercer une certaine pression d’autant plus que la souffrance liée à la maladie fait émerger des tensions familiales. Il est demandé au professionnel de santé, d’intervenir seul dans des situations souvent fragiles dans lesquelles la demande de désignation de la personne de confiance peut être risquée. Il n’est pas exceptionnel qu’à domicile, dans un espace privé confiné, des pressions ou des manifestations de souffrance de l’entourage prennent des proportions importantes. De ce fait, la volonté du malade doit être recherchée, voir protégée. Au domicile, il n’est pas rare que le patient éprouve des difficultés à exprimer son avis. Pour rester chez lui, il n’hésitera pas au besoin à épouser les avis émis par ses proches. Il convient donc assez paradoxalement  d’essayer de recueillir la parole du malade et s’accepter le compromis familial qui se dégage. Il serait intéressant de travailler en amont – sur cette notion de personne de confiance – pour tout citoyen et non pas seulement dans les cas de maladies graves. Désigner une telle personne dans de circonstances très délicates risque de contribuer à créer des tensions familiale.

Est-il envisageable de suivre une procédure de prise de décision collégiale au domicile des malades ? À l’évidence, les acteurs de la prise en charge n’appartiennent pas une même institution. De plus, un retour à domicile après un séjour hospitalier induit un flou dans la traçabilité de l’information qui est souvent partiellement partagée. Dans l’évolution de la maladie, le temps de séjour à domicile représente une temporalité bien particulière, où il est souvent bien difficile de rassembler en un même lieu les protagonistes requis pour que l’on puisse parler d’une authentique collégialité.
Enfin, quant au recueil des directives anticipées, force est de constater qu’une certaine expertise est requise afin d’aider les personnes à rédiger autre chose que des prescriptions souvent peu utiles. Lorsqu’un degré de précision minimal est requis, il est difficile de rendre présents au domicile, dans un temps adapté, les soignants pouvant aider à la réflexion et à la formalisation.

Prendre authentiquement en charge la douleur de malades en fin de vie

Philippe Poulain, Médecin, centre de la douleur, Institut Gustave Roussy, Villejuif

La douleur tend à s’insinuer chez un individu, jusqu’à ce que parfois il ne pense plus qu’à elle. Ce syndrome subjectif, émotionnel, varie considérablement suivant les individus. Cette composante subjective de la douleur ne doit pas être sous-estimée.
Naturellement, le rôle de la médecine est de traiter la composante physique de la douleur. Prenons l’exemple de la cancérologie. En principe, la douleur aiguë est bien traitée, si ce n’est qu’il nous faut faire attention aux gestes pratiques, aux examens que nous requérons afin que les patients soient effectivement soulagés. Dans l’évolution d’un cancer, la douleur se répète dans le temps, en une succession d’épisodes qui en font une authentique pathologie. En fin de vie, 85 % des malades sont douloureux. Si le patient perçoit d’emblée que sa prise en charge a pour but de lui éviter des souffrances inutiles, alors il a tendance à être moins angoissé au fil de l’évolution de sa maladie. De quoi ont peur les malades ? Ils craignent la déréliction, qu’on n’éprouve même plus le besoin de traiter leur maladie sur un plan médical. Ils redoutent naturellement de souffrir. Ce n’est pas tant la mort qui est crainte que les conditions de la mort. Vais-je étouffer, rester conscient, être victime d’une hémorragie spectaculaire ? Telles sont quelques questions qui sont susceptibles de hanter un malade. Si l’équipe soignante qui l’entoure n’est pas capable de le rassurer et de le convaincre que tout sera entrepris pour lui garantir le meilleur confort possible, alors il y a lieu de redouter une exacerbation des craintes, lesquelles ne manquent pas d’alimenter la composante subjective de la douleur.

La douleur mine le corps et l’esprit. Aujourd’hui, on magnifie l’autonomie, mais est-il défendable d’affirmer qu’une personne souffrant continuellement peut désigner sereinement une personne de confiance ou rédiger des directives ? La sérénité ne s’inscrit que dans le cours de choses relativement maîtrisables. Elle est presque inatteignable dans l’urgence.
L’information du patient en fin de vie est également déterminante, pour qu’une autonomie – même fragile – puisse s’exercer. Ainsi, il nous arrive d’indiquer aux malades le sens de ce que nous faisons, compte tenu de leurs cas et des statistiques dont nous disposons. Parfois, il s’agit de gagner quelques semaines, éventuellement quelques mois de vie supplémentaire en ayant recours à un traitement de nature à occasionner des souffrances significatives. En fonction des situations médicales et subjectives des personnes, ce sont des arbitrages délicats qui doivent être rendus, au quotidien.

Des progrès ont été réalisés, notamment dans la formation des jeunes médecins aux soins palliatifs. Cette nouvelle génération n’exercera toutefois la médecine que dans 5 ans au minimum. Au demeurant, l’écrasante majorité des praticiens n’ont jamais été formés. Certes, les laboratoires pharmaceutiques dispensent des formations. Des DU ont été créés, de même qu’un DESC « douleurs et soins palliatifs ». Ces formations sont très utiles, mais elles ne suffisent pas pour être en mesure d’appréhender la grande douleur, dans l’ensemble des cas de figure qui peuvent se poser. C’est pourquoi des centres référents pour la douleur ont été mis en place dans les grands centres hospitaliers, afin que des spécialistes se déplacent dans les services au besoin.
Prendre authentiquement en charge la douleur de malades en fin de vie réclame du temps. Etant donné les contraintes qui pèsent sur les services hospitaliers, la meilleure solution réside dans l’anticipation du parcours que devra emprunter le malade, le plus en amont possible. Cette anticipation est gage d’efficacité et permet de gagner la confiance du malade, capitale pour que l’équipe l’entourant soit le mieux à même de gérer son cas. Une organisation pluridisciplinaire efficace ne peut aller au bout de ce qu’elle est capable de faire si le malade n’est pas enclin à coopérer. Les personnes se trouvant en soins palliatifs victimes de douleurs intenses voudraient, bien naturellement, que la science progresse. Même si l’espoir n’est que ténu, des malades – en cancérologie notamment – acceptent de participer à des essais cliniques contraignants. Il importe alors d’agir afin que cette participation se déroule dans les meilleures conditions. Tel n’est malheureusement pas toujours le cas.

Ne passons pas sous silence que les patients retrouvés en unités de soins palliatifs sont les plus complexes. Bien souvent, ils cumulent problèmes sociaux, familiaux et psychologiques. On ne saurait l’ignorer. La confiance dans une équipe s’appuie sur un contrat de confiance initial, articulé autour d’un projet de soin, en informant le malade sur ce qu’il est possible ou impossible de faire. Le patient souhaite guérir. Hélas, on doit bien envisager le soin lorsque la guérison n’est plus rationnellement concevable. Une évolution péjorative peut déclencher une crise, laquelle n’est pas toujours prévisible. La douleur peut devenir réfractaire. Il n’est pas aisé de faire la part des choses entre la douleur physiologique et l’angoisse intense qui est associée à une telle condition.
En 25 années de pratique, je n’ai jamais pu avoir de certitude quant à l’efficacité de l’aide apportée en cas de douleur réfractaire et intense. Sur le plan technique, nous disposons de solutions. Certes, la méthadone fait encore défaut pour soulager certains patients. Nous possédons quantité de dispositifs (pompes, etc.) auxquels nous avons recours dans des circonstances où la douleur semble s’emballer. Lorsque rien ne semble avoir de prise sur elle, il ne nous reste plus qu’à proposer au malade de l’endormir. Ce n’est pas là le tuer. Durant une période déterminée, ce dernier est plongé en sommeil artificiel au moyen d’agents médicamenteux. Nous continuons bien entendu à le soigner, comme tous les autres. Au besoin, il sera réveillé afin de déterminer si ses douleurs sont toujours réfractaires. Observons que le recours à la cure de sommeil a une longue histoire dans la médecine, notamment lorsqu’il faut soulager des douleurs d’origine psychologique.

Sur un plan strictement technique, je n’ai jamais constaté de douleur intraitable. Des efforts considérables ont été consentis ces dernières années dans le but de comprendre la douleur. Des formations et enseignements très pertinents ont été mis en œuvre. Des équipes référentes sont en mesure de soulager les malades dans un délai relativement court. La douleur occasionnée par un processus tumoral est toujours une urgence. Dans l’ensemble des centres prenant en charge des malades présentant ce type de douleur, des consultations sont accessibles en moins d’une semaine, même si ce délai est parfois difficile à maintenir en toutes circonstances.

Il faut continuer à militer pour que la douleur soit toujours mieux enseignée. Les vingt prochaines années constitueront une longue période de transition avant qu’un changement culturel complet ne soit opérant, avec le renouvellement des générations. Concrètement, il faut s’attendre à ce que la douleur continue à poser problème. Bien des oncologues n’ont pas été formés à la prise en charge de la douleur alors qu’ils traitent des patients pour la plupart douloureux.

C’est notre rapport à la vie et au corps qui est en jeu

Régis Aubry, Médecin responsable du service de soins palliatifs du CHU de Besançon, président du Comité de suivi du développement des soins palliatifs, ministère de la Santé, de La Jeunesse et des Sports

Avons-nous compris d’où nous venions et avons-nous fait l’effort de voir où nous allions ? Le thème des « situations extrêmes » peut être éclairé par le propos suivant : nous sommes bénéficiaires et quelque peu victimes des magnifiques progrès accomplis dans le champ de la santé. Collectivement, nous allons vivre de plus en plus longtemps, avec des maladies de plus en plus complexes. Vers quel avenir tendons-nous ? La modernité médicale mérite d’être questionnée. Elle le sera en premier lieu par les personnes malades.
Que signifie une survie accrue au détriment de la qualité de vie ? Il nous appartient, collectivement, de donner du sens aux transformations auxquelles nous assistons. Nous sommes contraints d’appréhender la complexité que nous avons nous mêmes générée. C’est sans doute là que réside une grande partie de la grandeur de l’homme, que d’affronter la complexité dont il est à l’origine. Les droits ne sont pas à concevoir d’une manière obtuse, car ils constituent un élément d’une réponse à des questions très difficiles. Nul ne saurait prétendre y répondre de manière caricaturale. Comment pourrions-nous simplifier notre discours alors que la matière qui est la nôtre nécessite des mémoires, des analystes, des doctorats ? Les médias voudraient nous convoquer à une alternative simple : l’euthanasie sera-t-elle légalisée ou ne le sera-t-elle pas ? Y aura-t-il « dépénalisation » ou non ? Ce qui est en cause n’est autre que les limites de la vie, de nos savoirs et de l’humanité. Ici, c’est le doute qui est central et non la certitude. C’est également du doute dont proviennent les progrès qui contribuent aux espoirs des malades en fin de vie.

L’avenir qui se dessine n’est pas un avenir facile. Notre économie ne se porte pas à merveille et l’économie de la santé est pleine d’équations difficiles à résoudre. Comment allons-nous gérer l’extension des situations limites que nous fabriquons, qui élève mécaniquement les coûts de la santé ? Il appartiendra aux citoyens d’élaborer dans l’espace public des réponses à cette question.
J’appellerai de mes vœux la construction d’une plus grande capacité de résistance à une vision quelque peu populiste de la complexité et de la finitude de l’homme. À mon sens, c’est encore d’un grand effort d’investissement dont nous avons besoin. Par exemple, investissons dans les soins palliatifs, qui ne sont pas une spécialité mais une culture. C’est une logique d’investissement qui nous épargnera les épisodes plus ou moins dramatisés d’injonction d’agir « face à l’urgence ». L’investissement dans la formation est fondamental. Notre système hérite automatiquement des lacunes que nous pouvons avoir dans ce domaine. Des champs entiers de compétences clés ne sont même pas l’objet de formations dédiées. Par exemple, l’enseignement de la relation et de la communication n’existe pas. C’est anormal et dangereux.
En outre, de nombreux rapports ont mis en lumière la nécessité du renforcement des coordinations territoriales. Depuis longtemps, il est établi que bien des progrès restent à accomplir dans le champ du travail en réseau.

Pourquoi refusons-nous d’affronter notre réalité ? Parler des situations extrêmes aujourd’hui est une chose. Pourtant, nous devrions considérer ce qui risque, demain, d’être d’une banalité affligeante si nous ne prenons pas garde à la façon dont nous allons vivre, vieillir avec des maladies qui seront devenues comme nous compagnes. C’est notre rapport à la vie et au corps qui est en jeu. Nous vivons donc une époque singulière, riche de défis. L’enjeu capital n’est autre que la réforme de la façon dont notre société appréhende la santé, en maintenant une forme de solidarité qui fera honneur à notre république démocratique. Notre société ne manquera pas d’être jugée à l’aune de la solidarité naturelle – et non artificielle – dont elle sera capable, à l’endroit des plus vulnérables.

Conclusion

La médecine est devenue plus performante avec le développement d’une culture de soins palliatifs

Jean Leonetti Je souhaite livrer un propos optimiste, car il convient en effet de regarder d’où l’on vient.

Je souhaite livrer un propos optimiste, car il convient en effet de regarder d’où l’on vient.
Croyez-vous que la mort dans nos villages, il y a des décennies, était une belle mort exempte de souffrance ? Les marques de solidarité manifestées à l’occasion d’un deuil n’étaient-elles pas une piètre compensation de l’absence totale de prise en charge sociale et humaine ? Le passé ne doit pas être glorifié sur ce point et nous devons le considérer tel qu’il était. Lorsque j’étais interne, 1 personne sur 3 frappée d’un infarctus mourait. Une sur 10 parvenait à l’hôpital. Aujourd’hui, la mortalité n’est plus que de 1 sur 12 ou 1 sur 15. La durée de vie a été très sensiblement allongée. Est-ce toujours au détriment de la qualité de vie ? À l’évidence, bien des personnes ayant la cinquantaine ou la soixantaine sont rayonnantes et performantes. À considérer les photos de nos grands-pères, déjà mourants à cet âge, assis au coin d’une cheminée, on est en droit de penser que bien des choses positives ont été accomplies. Une certaine affection pour les vieillards n’était bien souvent, autrefois, que la rançon de l’inutilité.

En peu de temps, une idée majeure a émergé dans la médecine : le progrès technique ne serait pas suffisant. La professionnalisation de la médecine a peut-être charrié une certaine vanité. Des échecs à répétition dans certains domaines ont été difficiles à accepter, à une ère où l’on espérait tout pouvoir guérir. Prométhée a été, en quelque sorte, pris à son propre jeu et ramené à davantage d’humilité. N’a-t-on pas relégué au second plan la dimension humaine de la médecine ? N’a-t-on pas manqué de cohérence en ne considérant pas l’homme dans sa globalité et à travers les liens qui sont constitutifs de son identité ?
Sans cesse, on vante le dialogue, l’information du malade. Cependant, que comprend-il vraiment ? Quel retentissement les propos qui lui sont tenus ont-ils dans son vécu ? Surtout, quel projet de vie reste-t-il à énoncer lorsqu’une existence arrive à son terme et bute sur sa finitude ? Idéalement, il faudrait faire renaître de la vie chez le mourant, qui demeure un vivant comme Madame la Ministre vient de le souligner.

Nous sommes passés par une phase d’utopies, en politique. La pauvreté devait être vaincue par le marxisme, le capitalisme ou je ne sais quelle autre idéologie. Heureusement, nous ne sommes plus à l’ère de l’idéologie. Nous sommes entrés dans celle de la complexité. Par conséquent, nous nous trouvons dans un espace d’incertitude qui génère autant de craintes que d’espoirs. Nous ne savons pas tout. Le pire comme le meilleur peuvent survenir. Faut-il être pessimiste, en nous bornant à redouter le pire ? Ne voyons-nous pas au quotidien des vieillards ayant subi des opérations médicales majeures profiter de la vie ? La vieillesse est-elle assimilable à un fléau en tant que tel, enlevant tout goût à la vie ? Léonard de Vinci a peint la Joconde à 60 ans. La vieillesse est une forme de sagesse qu’il nous appartient d’écouter et de valoriser. Ce sont les aînés qui prennent les décisions les plus importantes dans notre société.

Il y a peu, on ne mourrait pas bien dans les hôpitaux. On y souffrait largement en raison des limites intrinsèques d’une vision étroitement prométhéenne de la médecine. Longtemps, nous ne nous en sommes que peu soucié. Force est de constater qu’une prise de conscience a fait avancer les choses. Surtout, nous avons des problèmes de riches. Croyez-vous que, dans bien des pays en développement, on s’interroge sur le sens de la longévité dans des termes identiques qu’en France ? Ailleurs, n’est-ce pas le sort des plus jeunes enfants qui est préoccupant ?
Nous sommes une ancienne civilisation, qui a dû affronter une série d’événements et de problèmes. Elle n’a cessé de générer des solutions, plus ou moins complexes. Ne laissons pas la logique médiatique simplifier le débat à outrance en matière de fin de vie, par exemple par l’alternative « pour » ou « contre » l’euthanasie. Est-ce bien là que réside l’essentiel ? Une demande de mort n’est pas accessoire. Elle n’est pas à réduire car elle s’inscrit dans une globalité. Il appartient au médecin de la comprendre.
Un médecin nouveau est en train d’émerger. Dans une dizaine d’années, cette émergence sera patente. Ce médecin sera tout aussi performant que ses aînés, mais il sera plus modeste. Il saura prendre le recul nécessaire, dans une société qui va s’arrêter de croire que tout est facile. Acceptons d’être humbles et de reconnaître que certaines choses nous échappent. Ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à être fiers d’une grande culture et d’une grande civilisation. La médecine est devenue plus performante avec le développement d’une culture de soins palliatifs. C’est là une performance humaine. On imagine mal, en effet, que la médecine ne puisse progresser qu’avec le développement de robots toujours plus perfectionnés. Les questions humaines doivent rester premières dans notre ordre de pensée. Les soins palliatifs attestent d’une renaissance de l’humanisme dans la médecine.

Nous comptons bien nous battre contre la culture de l’instantané, la médiocrité et la médiatisation caricaturale des tragédies individuelles. Nous nous battrons encore contre le compassionnel larmoyant. Une loi ne combattra à notre place car, en dernière instance, c’est une certaine idée de l’homme qui est en cause. Tant que nous serons en mesure de la transmettre et de la faire vivre, auprès des malades, nous n’échouerons pas.

 

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