Débat public sur la fin de vie : témoigner de la solidité et de la vitalité du pacte démocratique

Régis Aubry

Chef du département douleur – soins palliatifs du CHU de Besançon, président de l’Observatoire national de la fin de vie

 

L’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) a été créé en 2010 conformément aux préconisations de la mission d’évaluation de la loi Leonetti, mise en place suite au retentissement médiatique et politique de la fin de vie de Chantal Sébire. Cet observatoire a pour mission de produire des données fiables sur les conditions de la fin de vie en France.

Notre pays est aujourd’hui l’un des pays européens qui la médicalise le plus : il se distingue par une très forte proportion de décès à l’hôpital (environ 60%) depuis le début des années 80. Nous avons sans doute mal mesuré l’ampleur des conséquences induites par les formidables progrès accomplis ces cinquante dernières années dans le champ de la santé : très efficace pour freiner le développement de maladies qui, sinon, auraient conduit très vite à la mort, la médecine moderne a paradoxalement généré des situations d’une très grande complexité.

En tant que médecins, nous rencontrons des patients dans des situations cliniques que nous n’aurions jamais imaginées il y a dix ou quinze ans. Par certains aspects, la médecine en est venue à privilégier de manière parfois déraisonnable la recherche de la survie, au détriment de la qualité de vie. Au risque, bien souvent, d’une forme d’acharnement thérapeutique. Il ne s’agit pas de faire le procès de la médecine, et encore moins celui des médecins : la culture médicale n’est que le reflet grossissant de la façon dont notre société envisage la maladie, la vieillesse et la mort. Dans un contexte économique difficile où celui qui ne produit plus pourrait être perçu comme une charge, et dans un monde où la fin de vie est vécue par beaucoup comme une mise en échec de la médecine, nous devons être très rigoureux dans la façon dont nous abordons ces questions. Il faut d’abord faire attention à ne pas réduire les questions de fin de vie à celles qui entourent l’euthanasie : à ne concentrer le regard et l’attention que sur cette question, nous risquons d’en laisser d’autres hors du débat de société, les condamnant à une discussion uniquement entre experts. Toutes les questions sur la fin de vie ne sont pas solubles dans celles sur l’euthanasie : les pratiques d’acharnement thérapeutique, l’insuffisante prise en compte de la douleur dans les hôpitaux, le coût du maintien à domicile pour les patients ou l’égalité d’accès aux soins palliatifs doivent eux aussi être au cœur du débat.

 

Comment débattre sans savoir ?

Sur la question de l’euthanasie proprement dite, il est temps aussi que nous ayons un débat véritablement démocratique. Cela passe en premier lieu par une clarification des termes de la discussion : les notions d’euthanasie et de suicide assisté ne font toujours pas l’objet, en France, d’une définition stabilisée. La confusion qui règne autour de ces questions empêche de distinguer ce qui fait débat : savoir si l’on ouvre la possibilité de mettre fin à la vie d’une personne qui le demande. Ce qui ne fait pas débat, il faut que nous soyons très clairs là-dessus, c’est le fait de donner la mort à une personne qui ne l’a pas demandé. Sommes-nous aujourd’hui tous prêts à débattre sur cette base ? Si oui, il faudra ensuite que le débat s’appuie sur des données factuelles, fiables, et pas seulement sur des sondages d’opinion et des convictions personnelles.

Les travaux de l’ONFV montrent à quel point ces sondages dominent le débat : ils font ainsi ressortir de manière constante une opinion favorable à la légalisation de l’euthanasie (plus de 80% des Français s’y disent ainsi favorables). Mais ces chiffres spectaculaires créent l’illusion, au sein de la société, qu’une question aussi complexe que celle de l’euthanasie pourrait être résolue sans que l’on sache réellement ce qui se cache derrière ce terme mal défini : faute de travaux rigoureux, nous ne sommes pas en mesure de dire combien de demandes d’euthanasie sont formulées chaque année ni combien sont pratiquées dans notre pays. Autrement dit, les chiffres parfois avancés dans la presse ne reposent sur aucune étude sérieuse… Est-il acceptable que nous continuions à débattre d’une question dont nous ne savons en réalité presque rien ?

L’Institut national d’études démographiques s’apprête à publier, d’ici à l’automne, une étude menée avec le concours de l’ONFV, portant sur près de 5 000 situations de fin de vie. Ces résultats, très attendus, permettront pour la première fois de disposer de données fiables pour décrire la réalité des décisions de limitation et d’arrêt des traitements (loi Leonetti) et pour mesurer les pratiques d’euthanasie en France chaque année. Si nous voulons mener un débat véritablement informé, argumenté et transparent, ces données devront constituer la base de la discussion.

Nous ne pouvons plus continuer à « débattre » de questions aussi fondamentales en nous appuyant simplement sur des sondages et sur des idées reçues, sans jamais tenter ni d’interroger les personnes les plus concernées ni de connaître précisément la réalité de ce dont nous parlons.

Le président de la République a fait des questions de fin de vie un enjeu important de sa campagne, sans les réduire d’ailleurs à la question de l’euthanasie : la capacité de notre société à investir sereinement les questions soulevées par la fin de vie témoignera de la solidité et de la vitalité du pacte démocratique qui nous lie.

« États généraux », « grand débat national » ou encore « consultations publiques », peu importe le nom que nous donnerons à ce débat : l’essentiel est qu’il ait lieu, qu’il s’agisse d’un exercice de démocratie participative et qu’il soit mené de façon exemplaire.

 

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