Il n’y a pas d’urgence à mourir

Claire-Marie Le Huu-Etchecopar

Infirmière, unité de soins de support, Bruxelles

 

« Je soussigné Patrick, en toute connaissance de cause et en pleine possession de mes moyens, désire exprimer par la présente ma décision d’avoir recours à l’euthanasie si je me retrouve réduit à l’état de dégradation physique et intellectuelle, en cas de douleurs incontrôlables, de souffrances insupportables, de dépendance, de déchéance physique et/ou intellectuelle. »

L’injection est rapide, indolore, le patient meurt sous nos yeux dix minutes plus tard. La tension est palpable, des membres de sa famille pleurent, nous sortons discrètement de la chambre. Expatriée en Belgique depuis quatre ans, je pratique l’euthanasie dépénalisée depuis dix ans. Mon expérience m’a permis au quotidien de réfléchir à la portée de cette loi, son application et l’éthique qu’elle sous-entend. Infirmière en oncologie, je soigne particulièrement des patients hospitalisés dans un contexte de non-maîtrise de la maladie qui subissent des douleurs morales et physiques réfractaires aux traitements. L’idée de déchéance humaine dans ces situations de crise est éminemment posée par ces patients qui demandent à mourir tant leurs souffrances sont inimaginables. Dès lors, la demande d’euthanasie paraît légitime pour les soignants et la famille qui assistent au spectacle abominable de la déshumanisation progressive de la personne. On peut comprendre les militants de l’ADMD qui, ayant pour la plupart vécu des situations similaires de fin de vie de leurs proches soient enclins à revendiquer ce droit individuel.

Pourtant, j’affirme aujourd’hui à la lumière de mes connaissances et de ma pratique professionnelle qu’il serait une grave erreur pour la France d’appliquer une loi sur l’euthanasie, ou « aide active à mourir » pour les friands de périphrases.

 

Face à la dichotomie arbitraire entre souffrance et euthanasie

Il est nécessaire dans ce débat de ne pas se tromper de sujet. Les actions menées par les politiques amènent bien trop souvent son lot de caricatures ou des simplifications douteuses. Nous pouvons même dire que nous assistons parfois à une certaine forme de dérive populiste qui cherche des réponses simples à des problèmes éminemment complexes. Le grossissement médiatique d’histoires dramatiques véhicule  l’idée fausse que ces affaires sont fréquentes et résument les questions de fin de vie. L’euthanasie constitue dans les sondages d’opinion sur la fin de vie (notons que les personnes interrogées sont en bonne santé) une revendication arbitraire basée sur la dichotomie unique entre la souffrance ou l’euthanasie. Les véritables concernés, les malades et ceux qui les accompagnent peuvent témoigner que les épreuves engagent bien souvent à de nouvelles réflexions, priorités et ressources personnelles auxquelles bien souvent ils ne s’attendent pas. Il n’y a pas de solutions miracle pour soulager la souffrance. En revanche, en tant qu’accompagnant, soignant, citoyen, nous avons le devoir de créer un espace d’ouverture à celui qui souffre dans une attitude empathique nécessaire au dialogue et à la compréhension de l’autre.

En effet, il s’agit avant tout d’écouter l’authentique question de la personne qui demande à mourir. Elle doit nous faire réfléchir, nous bousculer : quelle place donnons-nous au vulnérable dans une société de performance et de jeunisme ? Peut-être est-ce notre regard sur le « fragile » qui doit changer en faisant le pari de l’accepter pleinement dans la cité. Combien sont-ils à demander à mourir à cause de ce sentiment dérangeant d’inutilité ou de détresse lié au non-sens des épreuves de la vie ?

 

« Qu’est ce qu’une vie que l’on prolonge sans une réflexion sur sa qualité ? »

D’autre part, il est nécessaire de prendre en compte le progrès des techniques médicales qui rallongent considérablement l’espérance de vie. Les patients que nous soignons ont déjà derrière eux un parcours de vie ponctuée de traitements extrêmement lourds qui ont offert des années supplémentaires de vie. Parfois, par l’effet d’escalades thérapeutiques, certains patients éprouvent un sentiment de déchéance humaine physique et morale. C’est dans ces moments-là que les demandes à mourir affluent. Si tout le monde est d’accord pour combattre l’acharnement thérapeutique, beaucoup de médecins sont perdus quant à la prise de décision d’arrêt des traitements curatifs. Pourtant qu’est ce qu’une vie que l’on prolonge si on ne réfléchit plus à sa qualité ? Se posent alors les questions de la limite du savoir et des conséquences du progrès.

Enfin, dans notre société où l’idée d’atteindre l’excellence, l’idéal de beauté et de performance est à son apogée, peut-être que remettre à l’honneur la notion d’incertitude, de doute, de mise en balance des décisions thérapeutiques ouvre une relation plus interpersonnelle, plus humaine entre le trio : patient/famille et proches/soignants. Les connaissances médicales doivent être au service de l’homme et non du microscope ou de la radiologie.

 

L’urgence à deviner l’humain

Une éthique de la discussion réajuste les décisions, donne du sens à la prise en charge et empêche la personne malade de s’enfoncer dans une solitude inacceptable. Ceci dans un objectif créatif d’inventer, de renouveler ensemble des stratagèmes pour améliorer la situation de vie du malade. De cette solidarité découle la véritable autonomie de la personne en fin de vie : être homme et le rester jusqu’au bout soutenu par la communauté pour préserver le sentiment de dignité et de liberté d’entreprendre, inhérent à chaque être humain.

Sous un gouvernement socialiste qui se veut solidaire des plus fragiles, ne tombons pas dans les réponses faciles. Si notre société est prête à un débat public, elle laisse à penser qu’elle est véritablement une démocratie capable de s’intéresser aux plus vulnérables. Plus que « l’avoir » d’un droit individuel, penchons nous sur « être » pour l’autre dans la société entière. Il n’y a pas urgence à créer une nouvelle loi, il y a urgence à deviner l’homme derrière le masque de la souffrance, c’est là l’ultime liberté de l’être humain.

 

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