Polyhandicap : la solitude des parents

Anne Khelfat

Parent de personne polyhandicapée, Groupe Polyhandicap France

 

Dans mes souvenirs d’enfance, le soin était très présent à la table de ma famille entre mon père, pneumologue, ma mère pharmacien et leurs amis soignants. Je suis née peu de temps après la découverte des antibiotiques. Ils ne parlaient que de leur métier, de l’éradication de la tuberculose. Nous habitions les Ardennes, département en retard dans les années 50.

J’ai si souvent décroché le téléphone quand on appelait mon père en urgence, à toute heure du jour et de la nuit. Je me souviens des malades, qui faisaient des détresses respiratoires qui duraient. À la maison, cela retentissait. Tout le monde trouvait cela normal, personne n’en était dérangé. Mes parents étaient des gens bien normaux avec leurs défauts mais le soin était, à ce moment, l’axe de leur vie. Les médecins, qui sont là aujourd’hui, n’ont-ils pas le même genre de souvenir de cette volonté de soigner ?

La découverte à 8 mois, en 1984, de la maladie de mon fils Adnan a été une bombe dans toute la famille. Il a été terriblement malade, fragile, rattrapé par un cheveu un grand nombre de fois, comme, je pense, de nombreuses personnes polyhandicapées, avec un goût de vivre forcené, chevillé au corps. Et, pendant toute son enfance, nous avons été aidés par des médecins, des équipes soignantes, accueillantes, méticuleuses, attentives. Je retrouvais en eux la volonté de soigner que j’avais connue dans mon enfance.

Aujourd’hui, je ne suis pas certaine que les jeunes parents trouvent partout sur leur chemin les mêmes aides. Dans le milieu médical hospitalier, les gens sont très compétents. Il n’y a plus, en revanche, depuis qu’il a dépassé 18 ans, d’accompagnement comme en pédiatrie.

Son accueil, à 6 ans dans un IME, a marqué un tournant pour moi. Ses soins, sa prise en charge, m’ont rapidement inquiétée. Des incidents se sont succédés : nez cassé, dents cassées, hématomes, fécalome, escarres sous le corset, coma par intoxication médicamenteuse, qui n’a été diagnostiqué et pris en charge que parce que je me suis opposée au médecin de l’établissement, déficit alimentaire (sa croissance marquait le pas) que personne ne mesurait. Il aurait continué s’il n’avait pas aussi été vu par un médecin extérieur.

Au premier pépin, j’ai excusé l’accident. Leur répétition m’a fait changer d’avis ; c’était plus que des erreurs. Mon fils n’avait pas droit à la considération qu’on a pour les enfants qui vont bien. Il ne leur était pas également humain. Pourtant, les personnes qui s’occupaient de lui à l’IME étaient de bonne foi mais leur bonne foi intégrait sans difficulté ces insuffisances qu’elles n’auraient pas acceptées pour leurs enfants.

J’ai rencontré plusieurs familles qui ont retiré leur enfant d’établissement après des observations semblables aux miennes. J’ai recueilli, auprès de familles d’enfants et surtout de jeunes adultes, de nombreux témoignages de difficultés, de défaut de soin en établissement et à l’hôpital.

 

  • Mon fils, actuellement en MAS, est sanglé dans son fauteuil, freins bloqués, presque toute la journée (la sécurité a bon dos), bourré de laxatif pour éviter les fécalomes
  • Marie, accompagnée de sa mère, a rendez-vous à Pompidou en gynécologie. Le médecin a peur, fait marche arrière devant cette grande adulte en fauteuil qui ne parle pas, ne marche pas, ne sait rien faire… l’examen n’a pas été fait.
  • Pierre, 12 ans, fait une septicémie à la suite d’une pneumopathie. Avant de le placer sous machine respiratoire, le médecin demande à la maman si elle souhaite vraiment qu’on réanime son fils, lui est prêt à le laisser partir…de bonne foi.
  •  Jacques, adulte de très petite taille, a eu la trachée brisée lors d’une trachéotomie : la canule utilisée était trop large dans un service d’urgence adulte…

 

Parfois, les parents sont laissés seuls – terriblement – devant des choix qui les dépassent et pour lesquels ils n’ont pas compétence : la maman de Marie a pris 10 avis d’orthopédistes pour un problème de jambe de sa fille : aucun ne propose la même intervention. Bien sûr, la médecine n’est pas une science exacte !

Notre solitude de parent, devant la difficulté à trouver des soins, est fréquente.

En janvier 2008, mon fils est rentré un soir avec un abcès dentaire non soignable par mon dentiste. Il a deux tiges de métal dans le rachis qui empêchent son dos de se déformer. Le moindre germe peut venir s’y greffer. Il m’a fallu trois voyages à La Salpêtrière et insister, insister, insister pour qu’il soit soigné. Pour ne pas me retrouver dans la même situation angoissante je me suis mise en quête  d’un service de stomato accessible. Je suis arrivée à mes fins en posant mon problème par lettre recommandée à 5 directeurs de CHU……

Trouver un kiné, un dermato, un généraliste… nécessite de frapper à bien des portes, même si la Sécurité Sociale exige qu’on aille au plus proche, sous peine de ne pas rembourser les transports. Souvent, de plus, les cabinets ne sont pas matériellement accessibles.

Je tiens à disposition, de qui le souhaite, le texte ci-dessous distribué dans un hôpital parisien : « dans le cas de l’hospitalisation programmée d’un adulte handicapé, il est demandé à la famille de rester présente jour et nuit pendant toute la durée de l’hospitalisation, condition sine qua non à la prise en charge de ce type de patient ».

Nombreux sont les parents qui connaissent ces longs séjours éreintants, inquiets, où ils veillent leurs enfants sur une chaise, un matelas par terre parfois, repas vite pris à la cafétéria quand l’enfant dort, avec des frais supplémentaires non pris en charge. Pourtant, nous sommes indispensables pour les rassurer, pour interpréter les signes de douleur, de faim, de mieux-être aux soignants, qui ne les connaissent pas, surveiller qu’ils n’arrachent une sonde, un pansement, donner les repas, faire les toilettes. Nous travaillons pour compenser le manque de personnel. Demande-t-on le même effort aux familles des cardiaques

Selon l’hôpital, l’Article Premier de la Charte du patient hospitalisé est pourtant adapté aux personnes handicapées…

La prise en charge d’une personne 24 h/24, 365 jours par an demande la création de 5 postes équivalent temps plein. Certains parents assument cette charge depuis 20-30 ans !

Les membres du Groupe Polyhandicap France (GPF) connaissent tout cela.

Bien sûr les avancées médicales ont permis à nos enfants de vivre : les antiépileptiques permettent de mieux contenir les crises ; les corsets, la chirurgie, ont permis d’empêcher l’aggravation des scolioses.

Mais nous, parents, avançons en âge, vivant dans une grande angoisse de ce qui se passera quand nous ne pourrons plus. Certains déclarent souhaiter voir la mort de leurs enfants sachant qu’aucun relais ne les remplacera.

J’avais été effarée de trouver cette déclaration dans l’Avis n° 65 de septembre 2000 du CNE au sujet de la réanimation néonatale : « une enquête révèle que les néonatalogistes français […] considèrent que des gestes dont le but avéré est de mettre un terme à la vie d’un nouveau-né dans des situations qu’ils jugent particulièrement désespérées sont acceptables du point de vue de leur éthique professionnelle ». Il s’agit d’enfants ayant acquis une autonomie respiratoire malgré les lésions cérébrales graves : les nôtres.

Tout se passe comme si, pour nos enfants, « l’obstination déraisonnable » surgissait beaucoup plus tôt que pour les autres humains. Crise, réduction de personnel dans les hôpitaux et les services médico-sociaux, resserrage des budgets, refus de prise en charge par la Sécurité Sociale… De bonne foi !

Si nous, au Groupe Polyhandicap France, ne cherchons pas, ne trouvons pas une solution pour que nos très fragiles soient protégés, qui le fera ?

Nos enfants sont des sentinelles. Si eux ne sont pas soignés au mieux, que se passera-t-il pour nous ?

 

2 comments to Polyhandicap : la solitude des parents

  • Dr deminiere

    J’ai une fille handicapée depuis son autolyse il y a 6ans
    J’ai failli me détruire avec elle tant je trouve notre vie absurde
    Je suis tres touche par cet article car je fais partie des gens qui ne peuvent pas donner pour etre a la hauteur du polyhandicapé .je suis vraiment incapable de supporter cela longtemps …pour un medecin ça la fout mal.
    J ai beau etre catho,me soigner,je n’y arrive pas…épuisement ou lâcheté ?

  • mme Ollivier

    je prpose aux parents dont les enfants sont pris en charge dans une MAS, de se faire inscrire pour recevoir une newsletter sur la bientraitance (www.bientraitance.fr) et de demander à la direction de la MAS de faire parti du conseil de la vie sociale et de ne rien laisser passer quand il y a un doute sur la maltraitance

    je suis moi-même maman d’un adulte polyhandicapé

    amicalement à tous

    Mme Ollivier

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