« À la vie, à la mort » : une prise en otage ?

Stéphane Bourez

Cadre de Santé, CHU Henri Mondor, AP-HP, Membre du Conseil d’Administration de l’AFITCH-OR

 

Ce documentaire diffusé sur France 2 avait la prétention d’être un support à la réflexion. Il pourrait en fait être ramené en réalité au niveau d’un tract polémique qui reprend les ressorts de Mar Adentro, en moins poétique et avec les armes habituelles de l’ADMD : le show télé réalité. En effet, « vous allez enfin pouvoir partager les émotions d’une famille désemparée par les échecs de la médecine techniciste ». Comment réparer cette erreur ? Une seule réponse selon cette bande annonce publicitaire : « Donner la mort ! ». L’auteur déroule sa mécanique en 3 actes.

 

Spectateurs de sa vie

Le premier acte est de constater le désespoir d’une famille qui accompagne un patient en état de locked in syndrom après la survenue d’un AVC. Vous êtes dans sa chambre, spectateur de sa vie dans toute sa fragilité. La famille et les amis témoignent tour à tour de l’absurdité de la situation. Michel S. dit vouloir mourir, mais par delà cet appel il témoigne d’une profonde vie de relation avec sa famille, ses amis et ses proches. Certes, ce n’est pas la vie qu’il espérait. Certes, cette vie peut faire émerger un sentiment d’injustice et d’absurdité.

 

À Paris, on réfléchit !

Le deuxième acte est un acte de combat : celui du combat pour le droit à l’euthanasie pour cette vie « qui ne mérite pas d’être vécue » selon la famille et les artisans de ce film de propagande. Combat contre une équipe d’un hôpital de province qui ne veut se résoudre à donner la mort à une personne malade vulnérable. « Où veux-tu mourir papa ?… » Long silence, puis pleurs du patient : peut-on répondre à cette question lorsque l’on maintient une relation d’une grande profondeur avec ses proches depuis trois ans ? Le documentaire est largement ponctué de temps de discussion au Centre d’éthique clinique avec journaliste, penseurs et professionnels du soin pour donner le sentiment que cette famille et ce combat sont nourris d’une réflexion, d’un argumentaire discuté. À Paris, on réfléchit !

 

Le coupable idéal

Le troisième acte se déroule à la manière des « 5 dernières minutes ». Un service de soins palliatifs accède aux désirs de la famille et du patient. La mort est donnée rapidement en arrêtant « ce qu’il y a à arrêter ». Au final, tout semble facile et le coupable est tout trouvé : l’équipe soignante de Berck et les soignants en général pour lesquels « une révolution culturelle est à mener ». En effet, ajoute l’auteur, il faudrait dépasser ce sentiment de « transgression » lorsque l’on « accompagne » la mort en la provoquant. Ce film affirme avoir trouvé la solution : déculpabiliser le soignant qui donne la mort. Mais est-ce le problème ?

 

Une vulnérabilité qui impose

Ce film veut ainsi donner le sentiment à l’opinion publique que les soignants prennent en otage les personnes malades. Une révolution culturelle serait à mener pour que le fait de donner la mort à quelqu’un devienne banal lorsque « la vie est absurde et ne mérite pas d’être vécue ». En réalité, la mort n’est pas une transgression : c’est le fait de la donner qui constitue un interdit. Ce n’est pas un interdit seulement pour les soignants. Il s’agit d’un principe relevant de la morale universelle. Certains peuples ont voulu réaliser une « révolution culturelle » en souhaitant « nettoyer la société » des « vies absurdes ou inutiles qui ne méritent pas d’être vécues »… Emmanuel Levinas a révolutionné la philosophie moderne en affirmant que le visage, par sa vulnérabilité, fait surgir l’impératif éthique du « tu ne tueras point ». La vulnérabilité de Michel S. a imposé à cette équipe soignante de le protéger et de l’accompagner véritablement dans ce qu’il avait à partager avec son épouse, ses deux filles et ses amis. La vie de relation est fragile mais préservée. Elle nous accompagne tout au long du film. Ce destin s’est terminé dans une unité de soins palliatifs. Ce documentaire ne nous dit pas véritablement ce qui s’y est vécu. Chaque professionnel est en droit de penser que c’est d’un accompagnement dont il a bénéficié et non d’une euthanasie.

 

Cette fin ne justifie pas ce moyen

Au final, ce film donne le sentiment que Michel S. et l’éthique du soin ont été pris en otage par des brigands déguisés en philosophes. Séduire un patient et ses proches en leur laissant penser que « ce qu’ils vivent est intolérable » et « qu’ils sont victimes des soignants » ne permet pas de faire avancer la réflexion ni de permettre à ceux qui vivent ces situations redoutables de faire leur travail de deuil « sereinement ». La véritable révolution culturelle est à vivre pour les politiques qui considèrent que « toutes les situations suscitant l’émotion » sont bonnes pour attirer l’attention et améliorer les sondages. Ce film révèle en fait que certains politiques gagneraient à développer personnellement une éthique du « prendre soin » : il devrait y avoir un impératif moral consistant à « ne pas prendre en otage un patient vulnérable et ses proches pour en faire une tribune politique ». La politique se doit d’aborder tous les sujets de société. Mais cette fin ne justifie pas ce moyen.

 

1 comment to « À la vie, à la mort » : une prise en otage ?

  • [...] A la vie, à la mort : Une prise en otage ?, par Stéphane Bourez, Cadre de Santé, CHU Henri Mondor, AP-HP, Membre du Conseil d’Administration de l’AFITCH-OR Ce film donne le sentiment que Michel S. et l’éthique du soin ont été pris en otage par des brigands déguisés en philosophes. Séduire un patient et ses proches en leur laissant penser que « ce qu’ils vivent est intolérable » et « qu’ils sont victimes des soignants » ne permet pas de faire avancer la réflexion ni de permettre à ceux qui vivent ces situations redoutables de faire leur travail de deuil « sereinement ». La véritable révolution culturelle est à vivre pour les politiques qui considèrent que « toutes les situations suscitant l’émotion » sont bonnes pour attirer l’attention et améliorer les sondages. [...]

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