Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie

Erwan le Morhedec

Avocat à la Cour, Paris

 

« Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain — c’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort — et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie. »

Robert Badinter, 16 septembre 2008.

La proposition n° 21 de François Hollande visant à accorder à un malade en fin de vie « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », a manifestement pour objectif de constituer un marqueur idéologique, un signal à son électorat.

Ceci est d’autant plus évident que sa formulation, d’une confusion toute électoraliste, la rend à la fois sans intérêt et dépourvue de portée pratique. Comment définit-on  la « souffrance psychique » d’un malade « en phase terminale ou avancée d’une maladie incurable » qui ne pourrait « être apaisée » ? À partir de quel stade considère-t-on que la souffrance psychique concernée ne peut être apaisée ? Quant à la souffrance physique, l’argument est resservi sans jamais prendre en considération les progrès considérables de sa prise en charge. Soit dit en passant, François Hollande a-t-il conscience (et l’ADMD avec lui) que cela aurait également conduit à refuser toute euthanasie active dans le cas que l’on a voulu emblématique, celui de Chantal Sébire ? Le bricolage de cette proposition souligne ainsi de plus fort son caractère purement idéologique.

Elle se situe dans le cadre d’une certaine mythologie de la gauche, ravie de se dépeindre en « force de progrès », le progrès consistant nécessairement en une libéralisation des mœurs.

 

S’il existe de nombreux partisans de l’euthanasie à droite, sa revendication est en effet majoritairement portée par la gauche qui l’a fait fréquemment figurer dans ses programmes. Et s’il existe également de nombreux opposants à l’euthanasie à gauche, ceux-ci se montrent étonnamment discrets, comme s’il était acquis pour eux qu’ils portaient là une conviction sinon honteuse du moins nécessairement minoritaire.

Et pourtant. À quoi rime donc cet unanimisme qui fait bon marché de valeurs de la gauche que l’on aurait pu croire supérieures ?

S’opposer à l’euthanasie, c’est aussi marquer sa solidarité indéfectible avec les plus faibles, les plus pauvres, les sans-voix. C’est se placer résolument aux côtés de ceux qui, faibles déjà, et encore affaiblis par la maladie, céderont à la pression familiale, médicale, sociale…, comptable. Du côté de ceux qui n’auront pas la force de caractère de dire non. Du côté de ceux qui n’ont jamais eu les moyens de dire non. Du côté de ceux qui n’auront pas les moyens de s’opposer à l’euthanasie ou de s’offrir les services d’une maison médicalisée, avec la meilleure prise en charge de la douleur, si d’aventure — comme c’est à craindre — l’hôpital n’avait plus les moyens d’accompagner ceux qui mourront bien de toutes façons quelques jours ou semaines après. D’autres trouveront les cliniques bien équipées pour cela. C’est se placer du côté de ceux dont on raccourcirait bien l’agonie, parce qu’ils rendraient là un bon service à tout le monde.

 

Soutenir l’euthanasie active, c’est exalter l’individu contre la société. Il s’agit de faire droit à une vision de l’homme comme individu que l’on pourrait isoler du corps social dans lequel il se situe, dont les choix n’auraient de conséquences que pour lui seul… et qui serait en outre autorisés à exiger d’un tiers qu’il se conforme à ses vues, et qu’il transgresse l’interdit de tuer. Il est pour le moins surprenant de voir un François Hollande désigner dans un même discours « le monde de la finance » comme son ennemi direct, et sacrifier en même temps à ce principe ultralibéral — ou ultra libertaire — qu’est la prééminence radicale de l’autonomie individuelle.

Ceci est d’autant plus manifeste qu’aujourd’hui la loi Leonetti (adoptée à l’unanimité par l’Assemblée) codifiée aux articles L.1110-10 et suivants et L.1110-1 du Code de la santé publique interdit déjà l’« obstination déraisonnable » (connue du public comme l’«acharnement thérapeutique ») et fait obligation au médecin de se conformer à la volonté du patient de mettre fin au traitement. Elle autorise d’ores et déjà un « laisser mourir », consistant notamment en une sédation qui place le patient dans un état de coma excluant la souffrance, jusqu’à la mort. Dès lors, la revendication de l’euthanasie active ne revient plus seulement à exiger de cesser de souffrir. Elle ne revient plus à décider de l’instant où l’on interrompra les traitements mais à dicter très exactement la seconde précise où il conviendra que la vie s’arrête — quand bien même le patient ne serait pas conscient des jours qui suivraient la sédation. Telle est l’exigence, et elle devrait de surcroît s’imposer à un tiers qui sera contraint de pratiquer l’injection mortelle. On peut difficilement concevoir décision plus individualiste.

 

Soutenir l’euthanasie active, c’est exalter l’individu contre la personne car la fin de vie reste un temps de la vie et, dans bien des cas un temps à vivre encore. C’est à tout le moins un temps de mystère. Et l’on avait cru entendre la gauche revendiquer de se situer dans l’être plus que dans l’avoir.

Le libertarianisme irrigue peut-être la gauche, à tout le moins la gauche contemporaine. Mais comment peut-il primer à ce point qu’il conduise à faire litière de l’égalité et de la fraternité ? Si la gauche établit une hiérarchie de ses valeurs, comment peut-elle placer son libertarianisme au-dessus de l’égalité et de la fraternité ?

 

Il est enfin, sinon une valeur, du moins un acte fondateur que revendique la gauche. Il n’est pas dépourvu de lien avec le débat sur l’euthanasie. Le 9 octobre 1981, la majorité parlementaire de gauche votait l’abolition de la peine de mort. Ce jour-là, ni elle ni François Mitterrand ne se sont frileusement retranchés derrière des sondages.

La gauche rappelle le courage qu’ils ont eu de s’opposer à l’opinion publique : qu’elle ne se laisse donc pas abuser et entraîner par des sondages qui traduiraient prétendument une volonté des citoyens de voir légalisée l’euthanasie. D’autres sondages ont surtout démontré la méconnaissance par les citoyens de la voie équilibrée et juste empruntée par la France, du fait notamment de l’absence d’information par les pouvoirs publics, ainsi que leur préférence pour un développement des soins palliatifs contre une légalisation de l’euthanasie.

Auditionné par la mission d’évaluation de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, Robert Badinter avait déclaré : « ma position fondamentale, bien connue, est simple et catégorique : le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain — c’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort — et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie. »

Que les opposants de gauche à l’euthanasie soient donc fiers de revendiquer ouvertement cette position de gauche cohérente ! Et que les partisans de l’euthanasie — notamment François Hollande — s’en inspirent…

 

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