Pour une société humaine

Véronique Normand

Kinésithérapeute

Je suis kinésithérapeute et accompagne des personnes atteintes de handicaps lourds, enfants et adultes et des personnes atteintes de maladies incurables. Ma formation en neurologie pédiatrique et mon activité à domicile m’ont confortée dans une approche plus relationnelle et sociale, participant à une dynamique des soins de proximité, en lien avec l’hôpital et les centres de rééducation fonctionnelle. Prendre soin est œuvre de patience, d’écoute, de création, de relation. Plus la personne est vulnérable, plus il est délicat et impérieux de lui parler, de la contenir, de la soutenir, de la rejoindre, plus les efforts pour la suivre sont épuisants, interrogeant, incertains, mais plus cette recherche devient nécessaire, et s’affine dans une incertitude du faire du dire qui forge des certitudes de choses à ne pas faire ou à ne pas dire, mais plus à être.

Être présent, ne pas fuir, ne pas nier, ne pas aggraver, ne pas en rajouter. Soulager la douleur, installer, consoler, masser, partager un moment de douceur, d’attente, d’inquiétude, d’angoisse, de joie, de tristesse, prêter sa force à un corps qui ne bouge plus, pour le mobiliser , pour le tourner sur le côté, pour soulager les appuis, protéger la peau , l’envelopper, le couvrir, lui mettre une double peau, hydrater, laver, toucher, parler au corps, parler à la personne, laisser parler son cœur, laisser parler la personne, se taire, laisser la personne se taire, laisser la personne ressentir. Ne pas induire de rupture dans le soin, ne pas induire une rupture de plus ; Les soins palliatifs sont concomitants dans sa dimension préventive, du soin curatif dans les maladies Incurables, dans les grands handicaps, parce qu’il n’y a pas de séparation nette entre la vie, la fin de la vie et la fin, dans une maladie où la mort est annoncée. Il n’y a que la vie qui coule en continu. . Il n’y a qu’un prendre soin de la personne, dans toutes ses dimensions, sans oublier ce qui le soutient, ce qui lui donne envie de vivre, ce qui meut la vie, ce qui rassure, soulage et assure d’une bienveillance et d’une confiance, déplace l’angoisse, L’apaise. Porter, asseoir, lever, recoucher, remettre un oreiller, un coussin, une mousse au pied du lit. Puis recommencer, encore les gestes et la recherche des mots qui soulagent.

Des mots de tous les jours, qui nous rappellent que nous sommes en vie

Quels mots soulageraient ? Pas des mensonges, à ce stade, on n’est plus dupe de rien, mais des mots humains, tout simples, des mots qui racontent la vie, des mots qui font se souvenir de moments heureux , de ce qui nous a été dit avant, avant que la fin de la vie ne vienne , avant que la maladie ne nous surprenne, des mots insouciants, des mots sans souci, sans échéance, sans importance, des mots d’insouciants, des mots sans souci, sans échéance, sans importance, des mots de tous les jours qui nous rappellent que nous sommes en vie , puisque nous pouvons rire ensemble et qu’ensemble, nous avons toujours trouvé une solution à tout. Et puis il y a des moments de silence qui laisse passer le silence du soin, des moments de pensées, des moments de respiration, des moments de concentration, puis des moments d’oubli, puis des moments de larmes, puis des moments de révolte. parfois, on en a assez, assez de tout ça, assez d’avoir mal, assez de se battre, assez d’être fatigué, assez d’être moche et assez de peser sur l’autre, la vie perd son sens, plus envie de rien, plus envie de parler, plus envie d’être retourné, plus envie de manger, plus envie de vie. Ça arrive à la fin de la vie, on veut mourir, on est épuisé, plus de ressources, plus de force. Et puis, le jour d’après, cela revient, tout revient, Et puis le jour d’après tout repart. Il y a des marées hautes et des marées basses dans les maladies graves. Il y a des journées avec et des journées sans rien à attendre à la fin de la vie. La douleur donne le ton du jour parfois, donne l’impression de mourir , donne envie de mourir. La douleur est tellement envahissante qu’elle se confond avec la personne qui souffre et c’est peut-être cette douleur qui demande à mourir. Que faire devant cette douleur insupportable ? Qu’est-ce qui pourrait encore soulager ? Se souvenir, imaginer encore des plaisirs possibles, simples, n’est pas un placebo, le cerveau enregistre la joie même dans la douleur, enregistre l’accueil, l’attention, la caresse, l’amour qu’on met dans les mots ou dans les gestes plus que dans les mots ou dans les gestes. La manière de faire est plus importante que ce que l’on fait, le cadeau n’est pas dans le cadeau, il est dans l’attention, plus que dans l’intention.

Une fragilité qui ne peut plus rien, mais qui se donne

Comprendre ces nuances permet de comprendre que le désir de vivre n’est plus comme on le conçoit chez les personnes en bonne santé, dans le posséder, dans le pouvoir faire ou dire, il est entièrement remis en nos mains de proches ou de soignants, une fragilité qui ne peut plus rien, mais se donne, entièrement, sans réserve et sans concession, dans la discrétion, dans son combat, dans son désespoir, dans sa nudité. Une vie est entre nos mains, qu’allons nous en faire ? Voilà la question essentielle de la vie. Il n’y a pas de question qui soit plus importante et plus grave que celle là. ce projet de loi ouvrant un droit à une aide active à mourir, est une réponse violente à la violence de la maladie. Au lieu d’accompagner dans la vie des personnes qui sont déjà déportées, exilées, isolées, on leur montre la porte de sortie. Le poids de la maladie est déjà très lourd, on en rajoute, on persécute les consciences de nos grands malades et de leurs proches, en inculquant une culpabilité de plus en plus intolérable de couter cher, de peser lourd, on accuse leur dépendance d’entraver la collectivité, de ne pas être raisonnable. La raison tiendrait à cela à céder à un système morbide d’aseptisation ?

Comment survivrons nous à cette absence de sens, nous professionnels de santé, proches de maladies incurables, qui voyons pourtant bien que les valeurs que l’on défend grandissent l’être humain dans un dépassement de soi, qui vaut bien la peine d’être vécu, auprès d’eux , alors que cette loi avorte d’emblée toute contradiction à un suicide , ce qui ne peut, auprès de personnes vulnérables valoir que confortation au désespoir et à la défaite et à la société une connivence et une complicité au meurtre. La relation thérapeutique est un contrat de confiance, qu’en sera-t-il de cette confiance, si au lieu d’avoir à notre chevet un accompagnant dont on est sûr qu’il ne nous donnera pas la mort, on se trouvera, peut-être sans le savoir auprès d’un bénévole formé à l’accompagnement pour le suicide assisté ? Qui viendra jusque dans notre chambre, nous préparer à la mort, préparer nos proches, nous manipuler, nous démoraliser ? Nous connaissons déjà trop ces manipulateurs de mauvaise conscience et ces empêcheurs d’espoir, dans le parcours des maladies graves et dans celui du handicap, on ne va quand même pas leur donner un droit légal ! Comment vivre alors une annonce de maladie incurable ? Comment ne pas être désespéré ? Comment taire ce désespoir ? Où puiser Ses ressources ? Sur quelle épaule le malade peut-il encore se reposer ? A qui peut-il encore confier son désespoir ?, Qui va l’écouter ? Il est facile d’arriver à « je veux me tuer, je ne veux plus peser sur mes proches, je ne me supporte plus, je suis foutu ». Le malade a le droit de dire ça. Lui proposer une aide au suicide assisté, c’est lui ôter ce droit.

S’attacher à leur faire une vie plus digne

Formulé clairement, cet interdit du meurtre dans la démarche palliative est fondamental pour le malade, c’est la clef de voute du pacte de confiance. aucune relation thérapeutique n’est possible sans cette confiance. Il est intolérable pour un professionnel de santé de vivre l’exécution de malades que nous avons suivi dans leurs difficultés, intolérable de voir de quelle manipulation sont parfois victimes des personnes fragiles que l’on persuade que leur vie ne vaut pas d’être vécue, ou des proches qui sont « travaillés » allègrement dans ce sens, au sein même de nos hôpitaux où on culpabilise des mamans qui ont choisi de ne pas avoir voulu avorter de leur enfant handicapé. C’est une torture psychologique. C’est un manquement très grave aux règles déontologiques. Il est parfaitement inconvenant pour un médecin de se vanter dans la presse d’avoir exécuté 50 patients. Multiplié par le nombre de médecins, cela laisse augurer ce qu’un droit légalisé pourra avoir comme conséquence ! De même que l’argument concernant le manque de soins palliatifs, la seule alternative humaine est de les développer, de donner aux professionnels les moyens de travailler décemment, et aux malades gravement handicapés ou atteints le droit à une reconnaissance de leurs besoins, de leurs difficultés et même de leur détresse , pour s’attacher à leur faire une vie plus digne. Nous appelons tous les professionnels de santé à réfléchir sur ces actes qui participent à une annihilation des valeurs humaines les plus nobles, celles de mettre nos forces au service des gens qui ne le peuvent plus, forces physique, psychique, sociétale et économique.

 

1 comment to Pour une société humaine

  • Vallier Corinne

    Magnifique texte et témoignage. Avec remise en question et réflexion sur nos pratiques de soignants, dans notre « savoir être » et dans nos valeurs profondes sur la question de la dignité au profit de l’humanité accompagnée. Merci à Véronique Normand