Plus digne la vie » utilité sociale http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2969 http://plusdignelavie.com/?p=2969#comments Sun, 03 Sep 2017 11:10:18 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2969 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles et de numérisation des échanges, relèvent d’un anonymat et d’un cynisme peu favorables à la préoccupation morale. Le sentiment de relégation sociale, d’exclusion et de mépris qu’éprouvent parmi nous les personnes en situation de précarité économique, de vulnérabilité face à la maladie ou le handicap, d’exil pour cause « d’inutilité sociale » ou du fait de leur révocation parce que « hors d’âge », est révélateur, lui aussi, d’une indifférence, voire d’une imposture peu compatible avec des principes moraux. Ces violences à la personne et au contrat social, appellent davantage l’expression d’une sollicitude, d’une attention et d’une vigilance favorisant un plus juste respect des valeurs de fraternité et de justice que prône notre République, que des admonestations dont on ne peut que déplorer l’inanité. Se consacrer à refonder les principes de la vie publique du point de vue de la moralité, n’est pas un exercice qui peut s’envisager dans le cénacle d’experts. Sauf si l’on estime sans importance d’y associer la société dans son ensemble, de prendre en compte ses richesses dans la diversité de réflexions et d’engagements qui permettent de maintenir une cohésion alors que menace un délitement social qui pourrait aboutir à une implosion.

Sommes nous prêts, dans le cadre d’une concertation nationale à repenser ensemble les valeurs de la République ou alors estime-t-on que l’urgence justifie d’édicter les nouvelles règles de la morale en politique sans affronter la complexité et les enjeux de fond ? Prendre la mesure de ce que signifie l’exigence de moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à proposer une régulation procédurière ayant pour vertu de restaurer un sens des responsabilités qui ferait défaut. Cela d’autant plus que l’analyse s’avère à cet égard pour le moins sommaire, car les serviteurs de l’État ne déméritent pas comme on le donnerait à croire à travers la dénonciation du comportement scandaleux de certains d’entre eux. Porter le discrédit de manière indifférenciée sur les acteurs de la vie publique c’est renoncer à considérer dans quelles conditions s’exercent notamment les missions d’enseignement, de justice, de sécurité, de défense et de soin. C’est ne pas saisir l’appel récurrent à une reconnaissance, à une dignité publique qui elle aussi procède d’une considération morale. C’est peut-être ne pas comprendre où se situe l’urgence morale.

Il s’agit de débattre du bien commun, du vivre ensemble, de ce qui détermine notre devenir en termes de choix de société, et dès lors de ne pas renoncer à intégrer à la démarche une analyse des fragilités sociales, des ruptures et des mutations qui bouleversent nos systèmes de référence. Notre ambition doit être également de reconnaître l’intelligence d’engagements et de solidarités qui défendent au quotidien les plus hautes valeurs de notre démocratie, d’intégrer leur expertise. Le courage est une vertu morale, un certaine audace également.

Les lois du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique constituent une approche déjà détaillée des règles qui s’imposent dans l’exercice de responsabilités publiques assumées « avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Les instances dévolues à la déontologie et à l’éthique se sont démultipliées ces dernières années afin d’apporter les encadrements et les contrôles indispensables. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’Agence française anticorruption, au même titre que tant d’autres autorités administratives indépendantes, assurent des missions visant notamment à la prévention des manquements et au renforcement de la probité dans les pratiques. Dans ce domaine, le législateur n’a pas failli à sa mission. La rectitude et le principe de précaution s’imposent même parfois avec une rigueur qui génère une suspicion systématique, une défiance et un discrédit dont on peut constater les effets par exemple dans le champ de la santé publique. Les règles sont certes nécessaires, encore importe-t-il d’en saisir le sens et l’intention, de se les approprier et de les appliquer avec conscience, discernement et prudence. La pédagogie, y compris dans le cursus de formation de nos décideurs, ne constitue-t-elle pas un enjeu tout aussi considérable que le contrôle systématisé ?

Moraliser la vie publique en estimant que prescrire des normes contraignantes de bonne conduite à ceux qui nous gouvernent ou exercent des responsabilités restaurera la confiance et renforcera la cohésion sociale, relève d’une appréciation hâtive. Affirmer – ce qui est différent – qu’une morale publique comprise en ce qu’elle exprime d’une conception de nos valeurs démocratiques puisse être refondée du point de vue de ses enjeux concrets et de ses finalités pratiques en y apportant l’intelligence et le pluralisme d’une consultation nationale, s’avère d’une toute autre pertinence. De surcroit, les conditions actuelles de recomposition politique et cette envie de renouveler les modes de gouvernance en y associant le dynamisme de compétences et de talents trop souvent négligés, ne peuvent qu’inciter à une ambition plus exigeante qu’un acte législatif précipité, aussi symbolique ou « politique » soit-il.

Le président de la République porte un message que nous avons compris dans son exigence de sollicitude, cette attention qu’il porte à l’autre et à sa place reconnue dans notre démocratie. Refonder notre morale publique ne saurait pas seulement consister à moraliser des pratiques qui doivent être exemplaires et intègres. Il s’agit de créer les conditions d’une mobilisation politique riche de la diversité des compétences et des engagements qui témoignent d’un même souci des valeurs de notre démocratie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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« Comme un déchet » : Enchaînement absurde mais banal sur France 2 autour de la personne malade économiquement non productive http://plusdignelavie.com/?p=1597 http://plusdignelavie.com/?p=1597#comments Thu, 09 Feb 2012 13:23:11 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1597 Catherine Ollivet

Présidente de l’association France Alzheimer 93

Benjamin Pitcho 

Avocat à la cour (Paris), maître de conférences en droit privé, Université Paris 8

 

Membres du Conseil exécutif de Plus Digne la vie

 

 

Jeudi 12 janvier 2012, à l’écoute du journal télévisé du soir sur France 2, les nouvelles, . . . → Read More: « Comme un déchet » : Enchaînement absurde mais banal sur France 2 autour de la personne malade économiquement non productive]]> Catherine Ollivet

Présidente de l’association France Alzheimer 93

Benjamin Pitcho 

Avocat à la cour (Paris), maître de conférences en droit privé, Université Paris 8

 

Membres du Conseil exécutif de Plus Digne la vie

 

 

Jeudi 12 janvier 2012, à l’écoute du journal télévisé du soir sur France 2, les nouvelles, forcément mauvaises, s’égrènent : l’Afghanistan, les centrales nucléaires et leurs risques éventuels d’augmentation des leucémies, etc.

Le journaliste enchaîne ensuite avec les informations économiques et financières, du même acabit : 3 minutes sont consacrées aux déboires de la banque britannique RBS, qui va supprimer 3500 emplois, puis est présenté le plan social d’Air France qui annonce le gel des embauches et des salaires, avant la diffusion d’un reportage sur l’envolée du prix des jus d’orange. Réel inventaire à la Prévert du « malheur » qui frappe tous et chacun.

 

Entre les deux, le présentateur prend cependant le temps d’annoncer un reportage bouleversant. Un homme de 83 ans ayant aidé à mourir sa femme atteinte d’arthrose et de dépression, aux souffrances insupportables, est aujourd’hui poursuivi pour homicide volontaire et non assistance à personne en danger.

Le vieil homme serein, à la voix paisible, raconte comment il est allé chercher les « médicaments pour ça » qu’il avait mis de côté, et les a donnés à sa femme. Et comment il l’a sereinement regardée mourir à côté de lui pendant un quart d’heure. Sa voix ne s’échauffe que pour réclamer une loi sur l’euthanasie. Puis il réclame aussi qu’un médecin l’aide à mourir après, plus tard, parce qu’il se sait atteint d’une maladie de Parkinson et ne veut pas finir « comme un déchet ».

 

Après cet interlude de 2 minutes, étrangement incongru au milieu d’informations financières, sans aucun commentaire spécifique, le journaliste reprend le fil que l’on ne croirait pas même interrompu des informations financières. Et c’est encore une « mauvaise nouvelle pour les porte-monnaie puisque le jus d’orange a augmenté en un an de plus de 10 % ». Cruauté de la vie de rendre la disponibilité du jus d’orange aussi difficile.

En dehors de tout jugement sur la décision de cet homme, en principe partagée avec elle, d’aider sa femme à mourir, l’étrangeté du déroulé de ce journal télévisé est frappante : comment un rédacteur, a-t-il pu autoriser cet enchaînement choquant et absurde ?

S’agit-il d’un journaliste militant pour une dépénalisation de l’euthanasie, qui souhaiterait comparer l’amertume de la situation du vieil homme à l’acidité du prix du jus d’orange ? Tout placer sur un même niveau d’importance permet, nous le savons, de rendre plus supportable des choses qui, présentées différemment, ne peuvent que susciter la stupéfaction. D’autant que, à rebours de l’unité théâtrale, le drame s’est déroulé en novembre. Rien ne semble donc justifier d’une part sa présentation en janvier et d’autre part son insertion spécifique entre différentes informations financières.

 

Passé le mouvement viscéral de refus et le moment de sidération, une telle place surprend pourtant déjà moins.

Le reportage trouve parfaitement sa place dans une analyse économique. Ces vieux malades, qui demandent eux-mêmes la mort, choisissent de se décrire comme « déchets ». Ils coûtent si cher à maintenir en vie et n’ont plus aucune utilité productive.

Nous sommes enfin parvenus à un moment de l’histoire dans lequel l’homme peut être produit, puis analysé dans sa stricte utilité économique. Partant, s’il est inutile, il constitue un « déchet » qu’il n’est pas aberrant d’éliminer.

Car combien de frais sont engagés afin de permettre un tel maintien en vie ? Combien de personnes travaillent directement pour les soins d’un individu devenu une charge sociale, et combien encore travaillent pour financer ceux qui le maintiennent dans son inutilité ?

 

Leur offrir une mort tranquille constituerait alors presque, une mesure de salubrité publique, voire une chance gracieuse à saisir.

 

Plusieurs fois par an cependant, quelques faits divers relatent le drame d’un mari qui tue sa femme atteinte par la maladie d’Alzheimer puis se suicide. Ces actes sont désormais regroupés sous le vocabulaire de « meurtre-suicide » de désespoir, tel que celui encore commis, il y a quelques jours, près de Charleville dans les Ardennes.

Il n’est pas nécessaire de s’étendre plus longuement sur la charge énorme, maintes fois relatée  que peuvent représenter au quotidien, l’accompagnement et les soins donnés par les conjoints des personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Ces épreuves peuvent ainsi mener certains aidants isolés à des états d’épuisement moral et physique tels que la mort ensemble peut leur paraître parfois constituer la seule issue.

 

En 2008, une étude de la Délégation aux victimes du Ministère de l’Intérieur, recensait treize homicides dans lesquels la maladie d’Alzheimer de la personne tuée était authentiquement identifiée. Neuf auteurs de l’homicide se sont suicidés et trois ont tenté de le faire. Un seul est allé se livrer à la police sans attenter à ses jours. Les personnes malades tuées sont toujours des femmes.

Dans ce reportage télévisé au contraire, peut-on clairement identifier une maladie terrible dont les douleurs physiques sont insupportables ? Il faut songer au message – et sa violence –délivré aux centaines de milliers de personnes atteintes d’arthrose ou de la maladie de Parkinson, assises face à leur télévision devant une chaîne nationale, qui ont ainsi appris que leur vie ne méritait pas d’être vécue.

Parmi toutes les mauvaises nouvelles économiques, ils savent dorénavant qu’ils ne constituent plus qu’un poids financier insupportable dans une société en dérive pour laquelle il n’est pas vraiment choquant qu’un joueur de football gagne en un mois 58 années de SMIC, alors qu’un malade de Parkinson, n’est qu’un « déchet » trop coûteux qu’il faut balayer.

 

Ne soyons pourtant pas dupes d’une telle logique. À s’y complaire, il viendra un jour où le soit disant bénéfice de cette fin de vie médicalement assistée et de ces « médicaments pour ça » sera remis en cause. Car, finalement, pourquoi la société devrait-elle avoir à payer pour éliminer un « déchet » ? La diminution régulière du nombre d’actifs ayant à financer les retraites et les soins aux personnes âgées malades pourraient rendre cette idée insupportable et, demain, chacun devra financer sa propre élimination.

Interrogeons-nous sur le sentiment de ces malades qui en sont réduits à se qualifier eux-mêmes ainsi. Ce n’est pas la maladie qui impose une telle appellation car l’individu fragilisé, quel que soit son état, doit continuer à être regardé avec toute la considération qui lui est due.

 

En arriver à se traiter de « déchet », c’est faire du regard social sa propre analyse. Et la violence ne réside pas tant dans le reportage de France 2, ni sa place dans le contenu rédactionnel, mais bien dans une société qui ne trouve même plus à s’ébaubir (a minima) ou s’indigner (normalement) qu’une personne, parce qu’elle est malade et économiquement non productive, puisse se traiter de « déchet ». Il nous incombe à tous d’agir pour que jamais une personne, quel que soit état, puisse se penser en « déchet ».

Car euthanasie ou non, c’est ici que git alors l’échec de notre projet social.

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