Plus digne la vie » philosophie http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Le droit politique de vivre et de mourir dans la dignité http://plusdignelavie.com/?p=2949 http://plusdignelavie.com/?p=2949#comments Thu, 23 Mar 2017 18:13:17 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2949 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud / Paris-Saclay

Se soucier effectivement de la personne vulnérable en fin de vie

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie bouleverse certains repères dans notre approche des responsabilités humaines et sociales . . . → Read More: Le droit politique de vivre et de mourir dans la dignité]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud / Paris-Saclay

Se soucier effectivement de la personne vulnérable en fin de vie

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie bouleverse certains repères dans notre approche des responsabilités humaines et sociales assumées auprès d’une personne malade ou en fin de vie. Elle propose une nouvelle conception de la médicalisation de l’existence jusqu’à son terme, et incite à repenser certaines des missions relevant certes des soins palliatifs, mais, au-delà, des pratiques médicales dans leur confrontation à des processus décisionnels complexes.
La dignité humaine exige de notre part une réflexion intègre et courageuse, qui se refuse aux complaisances de la compassion. Il importe de réhabiliter et de restaurer une relation de confiance, alors que le soupçon s’insinue de manière délétère dans les espaces du soin, accentuant les vulnérabilités. S’il est en ce domaine un droit, n’est-il pas celui de mourir en humanité ?
Mourir en société peut exprimer la revendication d’une mort accompagnée avec humanité, digne, insoumise aux seules considérations biomédicales ou à l’organisation administrative des fins de vie. Il s’agit désormais de renouveler la pensée que justifie ce domaine si sensible. Il concerne les fondements de la société. Elle ne saurait se limiter à la reconnaissance des conditions de la « mort médicalement assistée », à la dépénalisation ou à la légalisation de l’euthanasie revendiquée d’un point de vue politique.
La mort est révélatrice de nos attitudes face à la vie. La médicalisation de l’existence semble ne plus solliciter que des considérations où prédominerait l’approche scientifique, et à défaut un soin compassionnel sédatif, au détriment de toute autre requête ou préoccupation d’ordre anthropologique. Les temps d’une fin de vie s’avèrent cependant d’autant plus respectés et respectables qu’ils ne sont pas ramenés à des évaluations, à des estimations qui détermineraient en quoi et selon quels critères les considérer « utiles », dignes ou non d’être vécus.
Témoigner une attention à la personne vulnérable dans la maladie relève d’une préoccupation politique profondément justifiée. Consacrer – depuis 2012 et jusqu’au vote de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie – tant de discussions, de disputations et de controverses au droit de la personne en fin de vie, aurait pu tout d’abord consisté à rendre effectifs ses droits plus généraux tels qu’ils sont énoncés dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Ceux qui concernent la continuité de son parcours de soin, la reconnaissance de ses besoins afin de vivre dans la dignité et en société le temps incertain de la maladie. Ils conditionnent de toute évidence nos approches des situations spécifiques que nous ramenons, à mauvais escient, à des enjeux circonscrits à l’imminence de la mort. Une même observation concernerait les lois du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs et celle du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : on constate à quel point les responsables politiques et ceux des administrations centrales se sont avérés pour le moins peu attentifs à en mettre en œuvre les engagements.

Repenser la fin de vie et la mort en société

Penser le droit politique de vivre dans la dignité, y compris dans des circonstances de précarité existentielle sans rapport direct avec la maladie, s’avérait dans le contexte présent plus urgent que de déterminer les conditions d’exercice du « droit de mourir dans la dignité », considéré comme une urgence politique. Ce qui nous oblige à l’égard d’une personne embourbée dans la désespérance d’une maladie qui la spolierait de ce qui justifie de persévérer, en appelle à la fois à la retenue et à la capacité d’engager à ses côtés une faculté de mobilisation qui, parfois, semble excéder ce que l’on peut effectivement. Certes, il n’est pas évident de se porter au secours de l’autre alors que d’évidence nous sommes l’un et l’autres démunis pour envisager les termes mêmes de l’engagement. Mais c’est trahir une relation de confiance que de renoncer à tout autre expédient qu’un protocole médicalisé de sédation terminale, et de s’en remettre aux procédures prescrites dans une loi et dans ses décrets d’application pour s’estimer exonérer de toute autre obligation morale.
Se préparer à la mort, « apprendre à mourir » comme les mystiques et les philosophes en tentaient l’exercice, voire l’expérience, doit s’inventer de nos jours dans un contexte peu favorable aux approches spéculatives et spirituelles. Seules les procédures médicalisées de gestion d’une fin de vie, semblent susceptibles de proposer un salut dans l’apaisement, ici et maintenant. Elles relèvent de la précision de dispositifs qui abolissent la moindre sensation de dépossession d’une existence.
D’autres enjeux sont à privilégier comme par exemple l’humanisation et la socialisation de ce temps d’achèvement d’une existence, trop souvent reléguée aux marges des préoccupations de la cité. Ce à quoi vise, notamment, une plus juste compréhension des valeurs portées par la philosophie des soins palliatifs, selon moi plus justifiée que jamais, pour autant que les professionnels en assument effectivement les exigences, et bénéficient pour ce faire de la reconnaissance, des compétences et des moyens indispensables.
Il nous faut penser de tels enjeux en des termes politiques, car nos décisions en ce domaine si particulier déterminent, plus qu’on ne le pense, nos représentations de la vie démocratique, dans un contexte de défiance et d’aspirations individualistes qui fragile déjà suffisamment le lien social, le vivre ensemble.
On l’a compris, à proximité ou face à la mort, personne ne détient la vérité. Les certitudes et les savoirs sont défiés au point de verser trop souvent dans la caricature, l’insignifiance ou la démesure, là où seules s’imposeraient la retenue, la pudeur. Simplement, peut-être, une infinie tendresse.
Pour achever dignement son existence, encore faut-il avoir le sentiment de l’avoir pleinement vécue, y compris lorsqu’en phase terminale l’attente de l’instant qui vient peut ne pas être celle de la mort prochaine. Encore convient-il de reconnaître, d’assumer et de rendre effective cette ultime liberté de l’attente, absolument différente de celle de la mort sollicitée, donnée, parfois même précipitée.
Peut-on admettre qu’on puisse s’autoriser à vivre encore, malgré la maladie, en dépit d’une mort plus ou moins prochaine ? Le droit à « vivre sa vie » serait-il contestable et contesté, dès lors que prévaudraient des considérations supérieures habilement dissimulées derrière le paravent d’une dignité ravalée à la justification de ce qui pourrait être considéré comme l’exécution de basses besognes ?

« Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? Poser cette question, c’est ouvrir une perspective qui elle-même entraîne un débat. Et les questions sont multiples. »
François Hollande a posé cette question. Il y a apporté – après consultation – ses réponses qui sont consacrées dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On les sait fragiles, provisoires, transitoires, d’une applicabilité incertaine et d’une portée équivoque. Comme démocrates, nous aurons à cœur de préserver le sens d’un engagement qui permette d’encore « penser solidairement la fin de vie ».

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À défaut de secourir notre prochain, l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance http://plusdignelavie.com/?p=2270 http://plusdignelavie.com/?p=2270#comments Thu, 03 Jan 2013 13:32:55 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2270 Joseph Gligorov

Cancérologue citoyen, Institut Universitaire de Cancérologie Paris VI- Assistance Publique des Hôpitaux de Paris

 

La dernière personne au monde à avoir été exécutée au moyen d’une guillotine l’a été le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille. Quatre ans après, le Président François Mitterrand abolissait la peine de . . . → Read More: À défaut de secourir notre prochain, l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance]]> Joseph Gligorov

Cancérologue citoyen, Institut Universitaire de Cancérologie Paris VI- Assistance Publique des Hôpitaux de Paris

 

La dernière personne au monde à avoir été exécutée au moyen d’une guillotine l’a été le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille. Quatre ans après, le Président François Mitterrand abolissait la peine de mort dans notre pays. Le 14 décembre 2012, un jugement du tribunal administratif de Marseille ordonne à l’administration pénitentiaire de cette même prison une amélioration de l’état des cellules reconnaissant ainsi une carence portant sur l’atteinte à la dignité des détenus. Quelques jours plus tard était remis le rapport du professeur Didier Sicard sur la fin de vie répondant à une revendication de plus en plus forte : celle du droit à mourir dans la dignité.

Étranges échos de notre société face à la mort et son histoire. La guillotine est née dans l’esprit d’un homme qui contribua à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et voulu semble-t-il dans ce même esprit apaiser la souffrance et rendre moins cruelle l’exécution capitale.

Étranges échos de notre société face à la mort et son histoire. C’est le même lieu qu’est la prison des Baumettes, qui nous rappelle à l’ordre avec 35 ans d’écart sur le sens de retirer la vie mais également le mépris que l’on peut y porter en la maintenant sans dignité : une mort non souhaitée, une déchéance insoutenable, l’oubli même du fondement de nos sociétés dites modernes, celle du respect de la vie.

 

Juger une pièce sur son épilogue

Il n’y a pas plus de droit à mourir dans la dignité qu’il n’y en a à vivre dignement. Il y a juste un devoir, une obligation morale que notre société oublie, celle à défaut de secourir notre prochain au moins de l’entendre lorsqu’il est dans la souffrance. Une mort digne est-elle devenue plus importante que la dignité de la vie à laquelle notre société à parfois du mal à répondre ? Assurer une « belle » sortie même si la prestation est médiocre deviendrait pressant pour ne pas dire oppressant. C’est comme si l’on jugeait une pièce de théâtre sur son épilogue et que l’objet même de celle-ci était occulté. Nombreux sont les critiques qui auraient à écrire…

Sur cette vaste scène, quelques-uns souhaitent partir leur vie pleinement remplie, se sentant abandonnés par leurs corps et inutiles à des âges avancés, d’autres parfois très jeunes meurtris par leur existences ont tenté à maintes reprises de mettre fin à leurs jours et quitter ce monde qu’ils jugent insupportables car leur âme est malade. Certains enfin, condamnés par la société à rester entre quatre murs cherchent à s’enfuir en y laissant leur vie comme ce détenu à mobilité réduite qui s’est suicidé récemment dans sa cellule se plaignant d’être réduit à l’état de « légume ».

Et si j’avais été le médecin de ce détenu et qu’il m’avait demandé d’en finir qu’aurais-je du faire ? De quel droit sa demande de fin de vie digne aurait-elle été moins légitime que celle de mes patients atteints parfois de maladies incurables, ou celle des patients de mes collègues psychiatres face à un adulte jeune qui fait sa cinquième tentative de suicide, ou de l’insuffisant rénal qui ne dispose pas de greffe et ne veut plus de dialyse … Car il est suggéré dans la proposition de loi du sénateur Roland Courteau (8 juin 2012) relative à l’assistance médicale pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs, que « toute personne, majeure non protégée, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit l’origine, lui causant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu’elle juge insupportables, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicale pour mourir ». Il n’y a pas que les maladies organiques qui soient graves et incurables, certains troubles psychiques expliquent même des agissements considérés comme criminels…

Qui suis-je par ailleurs pour décider de la légitimité ou non de cette demande ? Spectateur et acteur à la fois, juge et exécutant ? Et pourquoi pas d’autres qui passent encore plus de temps aux cotés de ceux qui partent ? Pourquoi pas l’aide soignante qui fait la toilette de certains corps meurtris, ou l’infirmière qui hésite à donner un soin ne sachant plus s’il est légitime ? Que penser, que faire ? Qui a la compétence du juste ? Peut-il même y avoir un juste ?

Il m’a été enseigné que l’éthique était un objet fondamental de la philosophie et le questionnement sa principale méthode. Il est donc salutaire qu’ait lieu ce débat sur la mort assistée. Mais dans l’esprit d’un projet de loi concernant la maladie et s’inscrivant donc dans le droit, on ne peut faire abstraction des principes fondamentaux de notre République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

La liberté exclue la contrainte, or la loi en est une par essence car elle régit des interdits et des obligations. Le droit à une assistance à la mort entraîne une contrainte d’exercice et modifie la relation soignant/soigné. Avec une obligation de résultat, à savoir la mort, alors même que l’obligation médicale n’est à ce jour qu’une obligation de moyens. Nous n’avons jamais été assuré de pouvoir guérir certaines maladies, mais nous devrions l’être de pouvoir mettre fin aux jours de certains. Serait-ce après l’abolition de la peine de mort le retour du crime légalisé ?

 

Nécessaire égalité

L’égalité doit être garantie pour tous car elle est l’un des fondements de la dignité, sous-entendant l’égalité d’accès à tous les soins et notamment les soins de supports et les soins palliatifs permettant déjà de répondre à l’angoisse de la souffrance. La sédation en phase terminale à visée antalgique et anxiolytique est régie par des recommandations de la Haute Autorité de Santé qui préconise d’avertir le patient de la possibilité d’une sédation irréversible si le contrôle de la douleur le nécessite. N’est-ce pas assurer une assistance à la mort dans la dignité ?

La fraternité n’est que l’expression morale du lien qui unit les êtres humains entre eux. Or, cette morale rapportée à une situation singulière unissant le soignant au soigné dans ces moments si intenses que sont la fin d’une vie ne constitue-t-elle pas à ce moment un principe éthique ?

Nous disposons déjà dans notre pratique de tous les éléments nécessaires permettant de répondre aux angoisses d’une « non assistance à personne en fin de vie », angoisse du soigné mais également angoisse du soignant. Pourtant, comme souvent, il est difficile d’observer ce qui nous est si intime et s’avère en pratique si difficile à décider et à mettre en œuvre. Prendre conscience de l’importance de ces approches possibles et nécessaires, les enseigner, les appliquer et les évaluer s’imposent à nous maintenant.

Peu de choses au final régissent la pratique des soins médicaux dans cette relation si personnelle et subtile que constitue le rapport entre le soignant et le soigné en fin de vie. Jusqu’au dernier souffle ces personnes vivent, et jusqu’au dernier souffle nous devons être préoccupés par leur dignité. Cela tient avant tout aux valeurs profondes que l’on honore dans les espaces de soins, aux conditions d’accueil de recueil et de suivi. L’enjeu est d’apaiser, d’écouter, d’accompagner dans les meilleures conditions possibles, de répondre aux angoisses, aux douleurs, aux maux de l’âme et du corps. En fait de demeurer présent à ce qui fait de nous des humains.

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Débat public à Lille sur l’accompagnement des personnes en fin de vie http://plusdignelavie.com/?p=2217 http://plusdignelavie.com/?p=2217#comments Mon, 12 Nov 2012 11:51:27 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2217 Dans le cadre de la mission relative à la fin de vie, présidée par le Pr Didier Sicard, un débat citoyen se tiendra le 17 novembre à Lille (Hôtel de Ville) de 10h30 à 16h30.

 

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Les thématiques de réflexion

Au cours de cette journées pourront être abordé les thèmes suivants . . . → Read More: Débat public à Lille sur l’accompagnement des personnes en fin de vie]]> Dans le cadre de la mission relative à la fin de vie, présidée par le Pr Didier Sicard, un débat citoyen se tiendra le 17 novembre à Lille (Hôtel de Ville) de 10h30 à 16h30.

 

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Les thématiques de réflexion

Au cours de cette journées pourront être abordé les thèmes suivants :

- Les personnes âgées à domicile, en maison de retraite ou en EHPAD et leur famille
- La personne en état d’inconscience prolongée après un accident ou une maladie
- La personne atteinte de maladie létale au-dessus de toute ressource thérapeutique et refusant un service de soins palliatifs
- L’enfant nouveau-né porteur d’une atteinte cérébrale majeure
- La personne en réanimation qui souhaite mettre fin à sa vie
- La personne en grande souffrance psychique et souhaitant une assistance à l’interruption de sa vie
- La demande de suicide assisté

Le débat est public. Pour faciliter son organisation, il est conseillé de confirmer votre participation au 03.20.49.50.64 ou [email protected]


Horaires : de 10h30 à 16h30

Hôtel de ville de Lille- Grand Carré
Place Augustin Laurent
59000 Lille

La commission

La commission présidée par Didier Sicard est composée de :
- Jean-Claude AMEISEIN, professeur d’immunologie
- Régis AUBRY, Président de l’Observatoire national de la fin de vie
- Marie-Frédérique BACQUE, professeur de psychopathologie clinique
- Alain CORDIER, inspecteur général des finances
- Chantal DESCHAMPS, vice présidente de la commission nationale d’agrément des associations d’usager de la santé
- Eric FOURNERET, post-doctorant en philosophie au Centre de Recherche Sens, Ethique et Société
- Florence GRUAT, directrice des soins au Centre Hospitalier spécialisé Théophile Roussel
- Valérie SEBAG, maitre de conférences en droit de la biomédecine

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Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan http://plusdignelavie.com/?p=1891 http://plusdignelavie.com/?p=1891#comments Fri, 23 Mar 2012 12:01:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1891 Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en . . . → Read More: Légalisation de l’euthanasie en Belgique : un bilan]]> Résultats d’une enquête qualitative auprès de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs

 

Étude a été réalisée par le Groupe de travail « Ethique, droit et santé » / Plus Digne la vie, sous la direction du Dr. Bernard Devalois

Ce document est disponible au téléchargement en PDF

Annexe : Proposition parlementaires belges en faveur de l’extension de l’euthanasie aux mineurs (PDF)

Annexe : Belgique – Les limites du contrôle a posteriori selon les rapports de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (PDF)

 

La législation belge ayant légalisé l’euthanasie a dix ans. Entre 2002 et 2009, dernière année où le nombre officiel d’euthanasies est connu, 3.451 euthanasies ont été enregistrées. La coïncidence de ces dix ans d’existence avec le débat engagé sur cette question à l’occasion de l’élection présidentielle française justifie que l’on dresse un bilan de cette expérience. Le collectif Plus Digne la vie s’est livré à cet exercice, en adressant un questionnaire à l’attention de professionnels de santé belges travaillant en soins palliatifs.

 

Un questionnaire de 14 items a été élaboré (cf. annexe). Il a été envoyé pour des raisons linguistiques à des professionnels de santé francophones, afin de ne pas s’exposer à des ambiguïtés d’interprétation. Afin que cette analyse colle au plus près à la réalité du terrain et ne soit pas basée sur un discours partisan (pro ou anti), ces professionnels ont été choisis pour leur expérience pratique dans le domaine de l’accompagnement de fin de vie, via les plateformes de soins palliatifs francophones. Pour une vingtaine de mails envoyés, nous avons reçu 19 réponses, montrant l’intérêt porté par nos collègues belges à la démarche.

Quatre réponses n’ont pas été exploitées (3 pour absence de réponse aux questions posées et une institutionnellement opposée à la pratique de l’euthanasie ne pouvant donc pas constituer un témoignage direct). Elles sont toutefois intégralement présentées en annexe.

 

Deux médecins, se déclaraient membres de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de la loi sur l’euthanasie et/ou responsables de l’ADMD. La première mettait en garde contre les risques de propos partisans (« les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement »). La deuxième jugeait au contraire que le questionnaire démontrait « une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique ».  Un troisième est responsable d’une plateforme régionale de soins palliatifs. Il écrit notamment « Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire… Si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal des euthanasies, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi) ».

 

Une dernière réponse émanait d’un établissement clairement positionné contre la pratique des euthanasies: «  Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. »

 

C’est donc un total de quinze réponses exploitables qui ont fait l’objet d’une analyse détaillée : 7 venant de médecins, 8 d’infirmières. Aucune de ces personnes ne se présente comme une opposante de principe ou comme ayant invoqué une clause de conscience personnelle devant cette pratique.

Treize disent même avoir l’expérience personnelle directe de pratiques d’euthanasie. Comme convenu au préalable, afin de leur permettre de s’exprimer en toute liberté, l’anonymat des auteurs est respecté. Le contenu des réponses a été conservé en l’état, sans aucune réécriture sauf la correction de quelques fautes d’orthographe. Elles ont été regroupées par thèmes.

 

Ces réponses donnent un éclairage intéressant sur la réalité de l’application de la législation belge et doivent nourrir notre discussion en France, puisque c’est souvent ce modèle belge qui est présenté comme celui devant inspirer la France.


I – L’analyse de la pratique au vu des trois objectifs fixés par la loi belge

 

La volonté du législateur belge en mettant en place la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie était triple :

 

  • Supprimer les euthanasies clandestines ;
  • Réserver aux seuls médecins la pratique des euthanasies ;
  • Garantir la mise en œuvre de la volonté du patient.

 

 

La loi a-t-elle supprimé les euthanasies clandestines ?

 

Les euthanasies clandestines (au sens d’injections pratiquées dans le but de provoquer la mort en dehors du cadre légal) semblent loin d’avoir disparu selon les témoignages des professionnels. Aucun de ceux-ci n’affirme d’ailleurs que ces pratiques n’existent pas, confirmant les données de la littérature, même si certains y voient un problème, quand d’autres pondèrent l’importance de ces pratiques illégales.

 

 

Certains interlocuteurs indiquent que ces pratiques existent mais leurs semblent moins fréquentes.

 

« Pour les euthanasies clandestines, non elles n’ont pas disparu, mais elles sont en diminution. Certaines sont pratiquées de manière tout à fait « sauvage » sans se référer ni à la législation ni à une procédure bien définie ».

« Les euthanasies clandestines sont risquées pour le médecin, puisqu’il peut être dénoncé par un proche et /ou un soignant ; et comme les infirmières de soins doivent participer à la réflexion par rapport à la demande, elles sont rarement enclines à couvrir les médecins qui ne respectent pas la loi. Par contre, comme la loi est exigeante, qu’elle demande du temps, certains médecins préfèrent accélérer la fin de vie, ou sédater le patient dés qu’il le demande. Mais ces pratiques sont en diminution. »

« La législation ne semble pas avoir réellement mis fin aux euthanasies clandestines. »

 « La question des euthanasies clandestines est secondaire. Il en existe toujours probablement mais si la légalisation a permis que certaines se fassent dans la légalité, et pas en cachette comme avant. C’est déjà très important. Ca prouve que ça peut se faire de façon correcte. Mais ça n’a pas changé le monde. Des euthanasies clandestines ça se fait encore bien sûr, pour éviter des papiers notamment. »

 « Les infirmières du domicile rapportent des pratiques qui les choquent comme l’augmentation des doses de morphiniques non justifiée par l’état du patient. Ces pratiques existent, sont difficiles à chiffrer. »

 « Je ne pourrais pas les chiffrer, je ne sais pas s’il y en a moins mais je me demande si elles ne sont pas devenues « normales » vu la désinformation médiatique qui parle d’un « droit » à l’euthanasie, en banalisant la chose, en éludant la réflexion autour de cette question éthique. »

 

 

Il existe une subtilité importante qui doit être comprise pour décrypter les propos des professionnels de santé belges. Certains ne qualifient du terme d’euthanasie que les pratiques d’injections létales répondant aux critères de l’article 2 de la loi. Toutes les «euthanasies» (comprises avec ce sens restrictif) sont donc par définition légales. Par contre toutes les injections létales ne sont pas légales. Ils parlent alors «d’accélération» ou de « mort donnée ». Il faut donc faire la différence entre ce qui est qualifié d’euthanasie, forcément légal, qui respecte la volonté exprimée du patient et les «dons de mort», pratiques illégales consistant à administrer une substance dans le but d’accélérer la survenue d’une mort proche sans volonté explicite du patient (Les études publiées semblent indiquer un rapport d’environ 1 contre 1 entre les 2 pratiques en Belgique[2]).

 

« Les médecins qui pratiquent l’accélération (augmentation progressive des antalgiques et/ou benzodiazépines pour des patients en fin de vie sans indication de soulagement avec intention de précipiter le décès, souvent avec l’argument que ce temps du mourir ne sert à rien et est éprouvant pour les familles et qu’il vaut mieux « déconnecter » ces malades) estiment, à tort, qu’il ne s’agit pas vraiment d’euthanasie. »

« Les situations de fin de vie dans des situations dramatiques où les doses sont un peu augmentées ne font pas partie à mon sens d’une euthanasie réelle au sens commun du terme. »

« Bien sûr qu’il existe toujours des « morts données » hors la loi et celles là, le plus souvent sans réelle demande du patient (on ne peut dès lors parler d’euthanasie selon les Arrêtés Royaux belges : euthanasie : « acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle –ci »). Je n’ai pas de chiffre à donner mais ces pratiques sont régulières. »

« Les partisans de l’euthanasie ont depuis la légalisation en 2002, établi des statistiques très précises sur le taux de « mort naturelle par euthanasie ». Les courbes ne démontrent pas un nombre croissants exorbitants d’une année à l’autre. D’autre part, la Commission Fédérale de Contrôle et d’Evaluation de l’euthanasie affirme avec certitude que dans les dossiers reçus, aucune euthanasie n’a été pratiquée en dehors du cadre stricte de la loi. »

« La Commission fédérale de contrôle n’étudie les dossiers de demandes d’euthanasie qu’après la pratique de l’euthanasie. En effet, le médecin est tenu d’envoyer le dossier dans les trois jours qui suivent le décès de la personne. Ainsi, on peut imaginer que seuls les médecins pratiquant des euthanasies dans le cadre de la loi envoient leurs dossiers. »

 

« Ma pratique en Belgique a commencé dans une clinique privée où la vigilance et la qualité de réflexion des soignants sont mises à mal pour des raisons économiques évidentes. Ainsi, les premières euthanasies auxquelles j’ai assisté m’ont personnellement choquée : demande de la famille et non du patient, injection de potassium pendant la nuit, euthanasies en urgence dans un contexte de stress et de crise, euthanasie à la carte de personnes arrivant le matin inconnues par l’équipe soignante. Donc oui, les euthanasies ou meurtre par compassion ou économique existent. Mais rien ne les prouve, donc aucune estimation possible. »

 

 

La loi a-t-elle supprimé la pratique des euthanasies par des non-médecins ?

 

Certains de nos interlocuteurs affirment qu’ils n’ont pas connaissance de l’existence de telles pratiques, illégales pour la loi belge ou n’en ont pas été les témoins directs.

 

« L’injection létale, à ma connaissance, est toujours réalisée par le médecin. Mais pas toujours par le médecin qui s’est engagé auprès du patient. »

« Certainement pas là où les équipes de soins palliatifs sont présentes, et pas non plus dans les hôpitaux. La loi est claire, l’enfreindre est risqué ! »

« L’injection létale ne devrait jamais être pratiquée par du personnel infirmier mais il est très possible que ce soit quand même le cas. »

« J’ai lu des choses dans la presse mais c’est hors cadre légal. Il semble que dans certaines maisons de retraite des infirmières aient pratiqué des injections létales. Pour moi ce n’est pas de l’euthanasie, c’est un crime. »

 

 

Mais une majorité, notamment du côté des infirmières, confirme cet état de fait, déjà relevé dans la littérature[3].

 

« C’est au médecin de le faire, moi, en tant qu’infirmière, je refuse de le faire. Mais cela a déjà eu lieu bien sûr. »

« C’est interdit et les confrères prennent, ici, leurs responsabilités. Pour les « dons de mort » (accélération de la survenue du décès par injection létale en dehors d’une demande explicite du patient du fait de son état), c’est souvent l’infirmière qui pose la perfusion. »

« Tout dépend de l’endroit où vous travaillez. Lorsqu’une équipe soudée, intelligente, formée, en aucun cas le personnel infirmier ne pratique l’injection. En revanche, dans d’autres lieux, j’ai vu des collègues accéder à des ordres médicaux engageant leur responsabilité dans la pratique létale. Cela est inacceptable dans le cadre de la loi. »

 « Une collègue infirmière stagiaire m’a raconté comment dans un établissement, elle avait été envoyée pratiquer l’injection du fameux « cocktail » sans le savoir. Voila un exemple très concret de procédure d’euthanasie mal encadrée conduisant à une destruction psychologique de certains stagiaires et soignants. »

 

 

La volonté des patients est-elle respectée ?

 

Le dispositif permettant de respecter la volonté du patient quand celui-ci n’est plus en capacité de l’exprimer est peu utilisé (déclaration anticipée du patient, personne de confiance ou mandataire). En fait la demande est alors souvent le fait des proches. Pour les patients conscients, la vérification du caractère réitéré de la volonté du patient ne semble pas toujours assurée.

 

 « La volonté de la personne dans sa déclaration anticipée ainsi que la consultation de la personne de confiance, seront réalisées par les personnes qui suivent la loi et qui de ce fait sont obligées de remplir un questionnaire précis qui est adressé à la Commission de Surveillance. En ce cas en général, tous les éléments préconisés sont, je le pense et le souhaite, honnêtement colligés. »

« Les euthanasies pratiquées dans le cadre de la déclaration anticipée sont très peu nombreuses (cf. les rapports), elles concernent des réanimateurs puisque la personne doit être inconsciente. La grande majorité des demandes sont le fait de personnes conscientes, arrivées au terme de leur vie à cause de maladies (cancers ou maladies neurologiques le plus souvent). »

« Je crois que oui, la volonté de la personne est respectée mais elle est souvent mal comprise par les proches/certains collègues : un cas où la personne est arrivée consciente, donc hors contexte et où elle n’a pas souhaité qu’on l’euthanasie car elle était confortable et qu’on n’a pas fait de traitements qu’elle ne souhaitait plus (famille informée et soutenant son projet de soin) : médecin traitant nous a accusé à tort de non respect) ; une autre arrivée aux urgences comateuse suite à un accident routier : avant toute prise en charge, la famille a exigé l’euthanasie (qui ne s’est pas faite mais conflits). »

« La réponse faite par le premier médecin auquel le patient demande « la piqûre » me semble déterminante pour l’évolution de cette demande et je rencontre trop peu de médecins qui écoutent, analysent cette demande…La majorité apporte une réponse immédiate « oui ou non » justifiée par leur propre position « pour ou contre »…Et le patient est nié, sa demande non entendue et surtout sa souffrance derrière cette demande est ignorée… Alors, soit le patient se « braque » et exige à tout prix « la piqûre »; soit il trouve une autre personne qui saura l’entendre….mais la relation qu’il établira avec cette personne restera marquée par la première réponse… »

« A mon avis, la volonté de la personne n’est pas toujours respectée. La déclaration anticipée est valable pour 5 ans. Il faudrait que le patient auteur d’une déclaration anticipée convienne, avec un médecin qui accepte de faire l’euthanasie, des conditions dans les quelles il souhaite cette euthanasie. Il est difficile d’exiger d’un médecin, qui ne connaît pas le patient, de faire ce geste à froid, sans connaître les antécédents de ce patient. Qui, de plus, aura pu changer d’avis. L’entourage fait souvent pression sur le personnel de soins, pour activer les choses. L’acte d’euthanasie n’est pas une urgence : mais, soulager le patient, de sa douleur, de sa dyspnée, de n’importe quel autre symptôme, ça, c’est une urgence. Je me suis trouvée devant la situation suivante : une patiente m’est envoyée pour soins palliatifs, et prise en charge de fin de vie, d’un cancer évolué. La patiente est inconsciente, paisible. Elle sort d’un service d’oncologie, où elle a encore subi un nouveau traitement oncologique ! Après 48h dans notre unité, le mari apporte une déclaration anticipée d’euthanasie, signée 3 ans auparavant ! La personne de confiance inscrite sur la déclaration se contente de prendre contact par téléphone. La patiente était inconsciente, mais calme, elle est décédée 48h plus tard, sans euthanasie, et peut être sans que ses volontés n’aient été respectées. »

« Lorsqu’une lettre de déclaration anticipée est déposée à la commune (mairie) et que le médecin connaît bien son patient et ses volontés, enfin lorsque l’entourage proche est au clair par rapport à cela, la plupart du temps les déclarations anticipées sont respectées. Par ailleurs, nous avons été confrontés à des situations où la famille n’est pas en accord ou au courant des décisions du patient, ou bien le médecin n’est pas à l’aise ou opposé à la pratique de l’euthanasie. Dans ces cas là, d’autant plus que la personne n’est plus en état d’exprimer ses désirs, nous ne pouvons pas contrôler le respect des ses droit. En ce qui concerne la personne de confiance, cette notion est encore à débattre, nous sommes en train de réfléchir là-dessus car elle ne semble pas claire et mal définie. »

« Disons que les euthanasies ne se font pas toujours dans le cadre de la loi : dans certains cas : pas forcément d’accord clair du patient, ex : proposition par le médecin traitant à un patient âgé (non demandeur !!) de l’euthanasier, pas toujours de réel 2ème avis médical, patients non en mesure de s’exprimer avec demande de la famille et non de déclaration anticipée/personne de confiance, ou exprimé une fois seulement, décision rapide. »

« Il s’agit parfois d’une demande de la famille quand la personne n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, pas forcément de la personne de confiance. »

 


II – Les autres éléments d’analyse de la pratique belge de l’euthanasie

 

La loi a-t-elle modifié les pratiques d’acharnement thérapeutique ?

 

 

Le refus de toute obstination déraisonnable est souvent le fondement de la prise de position favorable à une légalisation de « l’euthanasie ». Il est donc intéressant de savoir si effectivement les pratiques d’acharnement thérapeutique ont diminué après la mise en œuvre de la loi. Il semble qu’il n’en soit rien. Au contraire même. Une des infirmières interrogées explique qu’initialement opposée au vote de la loi, elle considère aujourd’hui que l’euthanasie est la seule façon pour les patients d’échapper aux pratiques médicales déraisonnables et au manque de formation à l’accompagnement de la fin de vie.

 

« L’acharnement thérapeutique est toujours présent, car à mon sens les médecins n’ont pas compris ce que c’était. D’ailleurs c’est parfois difficile à définir clairement dans certaines situations cliniques. Donc ils le pratiquent sans réelle conscience d’en faire. Ils ne font pas le lien avec l’euthanasie, ça n’a rien changé. »

« Les patients souffrant de maladies neuro-dégénératives se voient proposer la mise en place d’une gastrostomie, d’une aide respiratoire, d’une trachéotomie, puis d’un respirateur, sans autre choix que d’accepter tous ces soins, jusqu’au bout. Quand doit-on parler d’obstination déraisonnable ? Si on ne propose des conditions correctes d’accueil aux patients qui refusent ce qui est programmé, ces patients n’ont souvent d’autres choix que de l’accepter, et s’assurer qu’une euthanasie pourra être pratiquée, quand ils n’en pourront plus. Mais l’alternative à ces traitements est rarement discutée avec le patient. »

« L’obstination déraisonnable persiste à grande échelle; ponctuellement, les équipes de soins palliatifs travaillent à la limiter; ce sont elles les moteurs de la philosophie de désescalade thérapeutique. C’est l’acharnement qui a souvent pour corollaire une demande d’euthanasie. »

« L’acharnement thérapeutique est une question bien au-delà de l’euthanasie. Il est une question à part entière. Je ne pense pas que l’obstination déraisonnable ait diminuée depuis 2002. »

« Les acharnements se portent toujours aussi bien. J’entends les commentaires des infirmières qui travaillent dans tous les services possibles, je donne quantité de formations dans les maisons de repos et la litanie est toujours la même : les médecins n’ont aucune formation, ne se forment pas, ne donnent pas d’antalgiques ou pas les bons, s’acharnent, n’écoutent ni les patients ni les soignants. Quand on met la charrue avant les bœufs : quand on donne une solution «facile» pour en finir avec une situation ingérable à des médecins qui ne savent pas quoi faire d’autre, l’euthanasie est une réponse évidente et elle devient une demande normale des patients qui ne veulent plus finir à petits feux en souffrant. Je n’ai été témoin que de deux demandes d’euthanasie mais j’ai bien compris les patientes qui malgré cela n’ont bénéficié que d’un acharnement de la part des médecins : alors, oui ma position n’est plus la même, mes certitudes se sont envolées, et comme ces patientes, je ne suis pas prête à souffrir pour rien… »

« La fin de l’acharnement? Non ! J’ai l’impression que ce sont les mêmes qui s’acharnent et qui euthanasient : ils restent dans le contrôle, le « faire », le pouvoir sur la vie, la mort, l’autre…. Je ne constate aucune diminution de l’acharnement, bien au contraire… »

 

 

Quels sont les impacts psychologiques de l’euthanasie pour les professionnels de santé impliqués ?

 

Aucune des personnes interviewées ne conteste l’impact parfois important des pratiques d’euthanasie sur elles-mêmes et sur leur rapport au soin. Ce point, peu étudié, mériterait d’ailleurs une plus vaste exploration. Il apparaît clairement que c’est une expérience psychiquement complexe, qui pèse lourdement sur les praticiens.

 

« Dans les médecins, il y en a pas mal pour lesquels cette démarche est très difficile mais d’autres pour lesquels cela ne pose aucun problème. »

« Certains soignants vivent très mal le fait qu’une euthanasie puisse être pratiquée dans leur unité de travail. »

« J’ai eu connaissance d’impacts psychologiques néfastes, notamment par une infirmière libérale qui n’était pas forcément à l’aise avec la question. Mais on a l’impression que s’est passé dans les mœurs et que chaque soignant subit (ou ne subit pas) sans rien dire. »

« C’est une loi qui demande du temps, de la réflexion éthique si on ne veut pas être mal. Les soignants, comme les médecins, ne sont jamais obligés de participer à un acte d’euthanasie. »

« Je rencontre des médecins qui acceptent et peut-être plus qui refusent ou qui ont peur et fuient… »

« Dans ma pratique, je constate que les médecins traitants, généralistes du domicile, oncologues ou neurologues qui connaissent leur patient de longue date sont sensibles à la souffrance de leur patient, ils ne le laissent pas tomber. Et ils demandent plutôt le soutien de leurs collègues pour vivre cet acte le moins difficilement possible, en respectant leur patient et en prenant soin d’eux aussi (faire l’acte en fin de journée, jamais seul, en parler…). »

« C’est compliqué sur le plan émotionnel. Moi je le fais pas souvent, mais quand je le fais, après, je ne suis pas bien. Je suis dans un état particulier, paisible, planant. Ça dure 2 ou 3 jours. Je le vis assez difficilement. Ça a des répercussions sur moi, il y a des implications personnelles. Si je ne me sens pas bien, je ne le fais pas de toute façon. »

« Bien sûr: personne ne sort intact d’un tel acte; a fortiori s’il se répète. La « souffrance » des soignants prend souvent, ici, tout son sens; j’ai reçu des témoignages poignants. La dépénalisation de l’euthanasie a clairement fait bouger les limites et va encore les faire bouger dans des domaines parfois moins soupçonnés, comme le don d’organe. »

« Cette expérience, au total très difficile et pénible dans le contexte d’une éthique narrative, a permis de fédérer pas mal de personnes et ce, dans une mesure absolument parfaitement inimaginable et également de pouvoir supporter cette démarche qui pour moi reste très difficile et angoissante. »

« L’objection de conscience ou la clause de conscience doit être respectée. Mais ils ont l’obligation d’envoyer les patients chez un médecin en accord avec la pratique de l’euthanasie. Dans la pratique même si la loi a été votée en 2002, beaucoup de médecins ignorent ou du moins ne savent pas comment cela se passe. Nous sommes alors confrontés à des médecins spécialisés ou étiquetés ‘Dr euthanasie’. En cas de refus de pratiquer l’euthanasie, on peut imaginer la difficulté et pour le médecin de famille et pour le patient de rompre cette relation de confiance, ainsi que sur la crédibilité de la médecine en générale : il y a les bons médecins d’un côté et les mauvais de l’autre. Certains médecins et en particulier les généralistes perçoivent nettement des pressions dans un phénomène de culpabilité. Notamment par les dénonciations des militants de l’ADMD qui pointe dans leurs journaux semestriels (magasine Kaïros) les mauvaises pratiques de certains médecins. »

« Il n’y a aucune étude faite sur le sujet. En revanche il est évident qu’une euthanasie n’est pas une pratique anodine, qu’elle implique des émotions violentes, plus ou moins fortes selon l’attachement ou le lien crée avec la personne. »

« J’ai constaté et accompagné la grande souffrance psychologique tant des médecins que des soignants confrontés ou auteurs de cet acte, avec souvent une mise à distance encore plus grande ou une fuite. »

« Il y a eu beaucoup de souffrance infirmier(e) dans l’accompagnement des patients entrant dans leur service pour être euthanasiés: la décision d’hospitaliser était médicale et prise sans concertation avec les soignants. »

« J’ai une collègue qui était psychologiquement très mal et incapable d’assumer mais qui se sentait obligée de dire oui (pas d’objection de conscience mais fragilité émotionnelle personnelle non respectée : haut risque de décompensation psy). »

« La conséquence de ce passage à l’acte euthanasique reste pénible pour la majorité, malgré l’aide solidaire de confrères choisis. »

 

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

 

La variété des actes tels qu’exposés indique probablement une absence d’unicité des pratiques, y compris sur la procédure pharmacologique, laissée à l’appréciation du médecin, alors même que la moitié des procédures sont effectuées par des généralistes au domicile.

 

« Il existe des kit d’euthanasie en pharmacie pour la pratique des euthanasies à domicile, ou en maison de retraite. »

« Quand l’acte d’euthanasie a été décidé, une date est fixée, en accord avec le patient. Le patient décide des personnes qu’il souhaite ou non, auprès de lui. Les membres de l’équipe de soins qui le souhaitent, et qui sont acceptés par le patient sont présents. On ne peut obliger un soignant à participer. Le médecin qui a accepté l’acte, doit le réaliser lui même, et rester présent à côté du patient jusqu’au décès. La perfusion peut être placée par l’infirmière, mais c’est le médecin qui injecte les produits. (DormicumÒ 15mg IV, pour endormir le patient, puis DiprivanÒ à 2 %, puis NimbexÒ[4]). La déclaration de décès est une déclaration de mort ‘naturelle’. »

« Les euthanasies autorisées par la loi sont effectuées soit à domicile soit en milieu hospitalier. Il existe sur le net une « recette » concernant cette euthanasie dont l’auteur est le Docteur LOSSIGNOL à Bruxelles[5]. Il faut savoir que les curarisants qui sont préconisés ne sont disponibles qu’en milieu hospitalier… »

« La commission fédérale de contrôle de la loi et les instances professionnelles médicales et pharmaceutiques se sont mises d’accord sur une procédure : injection en IV, par le médecin, d’une substance sédative, souvent d’abord le MidazolamÒ puis du PhénobarbitalÒ[6] pour endormir profondément le patient ; puis injection d’une substance curarisante, toujours par le médecin. Parfois une infirmière est présente, parfois un autre collègue (le 2ème médecin de la loi parfois) et toujours un proche. »

« Plusieurs fois, le patient avait demandé au médecin « vous n’avez pas su me guérir (ou vous avez fait telle erreur), alors vous devez me donner l’euthanasie »…et j’ai constaté que le médecin n’avait pas remis en question cet « ordre » déguisé… et s’est engagé à le faire comme pour réparer ses erreurs ou son impuissance. »

« En principe il y a un délai d’un mois, entre la demande et l’euthanasie, mais parfois on va plus vite. C’est le médecin qui juge, aussi en fonction du malade. Si on a une détresse respiratoire, on n’attend pas un mois, on pratique l’euthanasie dès que possible. »

« Cet acte est parfois pratiqué à la sauvette en exercice libéral en en parlant un peu à un confrère, notamment dans les maisons de retraite : pas forcément considéré comme un problème sérieux, à mon sens un peu banalisé. »

 

 

Comment est apprécié le critère légal de la souffrance psychique ?

 

Il ne semble pas exister de méthodes communes, de grille de lecture objective pour apprécier ce critère autorisé par la loi, permettant la mise en œuvre d’une euthanasie. Dès lors la notion de souffrance psychique est appréciée de façon différente selon les cas.

 

« C’est évidemment toute la difficulté que d’apprécier la souffrance psychique. L’équipe de soins partage ses impressions sur le patient. Un avis est toujours demandé au psychiatre de notre hôpital. Il faut identifier une dépression sous-jacente. Il faut s’assurer que le patient reçoive tous les traitements dont il a besoin : antidépresseurs, anxiolytiques. Les questions font débat : est-il normal ou non, d’être anxieux, ou triste quand on va mourir ? Quand la souffrance devient-elle, une souffrance psychique inapaisable ? »

« Constante, inapaisable, insupportable. Mais ne doit pas être le résultat d’un état dépressif majeur. Elle doit être liée à une maladie incurable. Les personnes ayant essayé de se suicider ou qui ont des idées morbides, mortuaires, n’entrant pas dans un contexte de chronicité d’une maladie incurable n’ont pas accès à la pratique de l’euthanasie. Un psychologue, voir psychiatre peut évaluer la personne. »

« Nous faisons toujours intervenir, en soins palliatifs, en plus des infirmières et des médecins, le psychologue qui atteste de cette souffrance et surtout de l’impossibilité de la faire diminuer par un travail de soutien thérapeutique. Si le psychologue estime qu’il faut attendre, laisser du temps encore, nous essayons alors d demander une hospitalisation dans une unité de SP. Si le décès n’est pas attendu à brève échéance (insuffisance cardiaque, maladie neurologique..), c’et un psychiatre qui doit être consulté en plus. »

 « La souffrance psychique est évidemment un critère très subjectif et il reste des médecins pour lesquels la souffrance est une des conditions de la nature humaine avec tout ce que cela peut comporter comme comportement et dérives. »

« C’est très subjectif : avant, on aurait accompagné, mais maintenant si le patient rejette tout y compris l’accompagnement/dialogue, on ne peut rien faire. »

« Subjectivement. De toute façon, le médecin n’est pas là pour donner son avis (jugement) mais pour bien s’assurer qu’il n’y a pas d’autre solution que celle demandée par le patient. »

 

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation obligatoire d’un second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

L’avis d’un second médecin semble être demandé selon des méthodes variables, y compris simplement sur dossier. Il ne s’agit pas ici de l’avis du médecin sollicité quand la mort n’est pas inéluctable à court terme et qui doit être un psychiatre ou un spécialiste de la pathologie concernée. Il s’agit du médecin qui doit, dans tous les cas, être consulté obligatoirement pour confirmer le caractère grave et incurable de l’affection.

 

« Dans notre unité, nous demandons avis à un cancérologue, (aux termes de la Loi, il faut demander l’avis d’un médecin spécialiste de l’affection dont souffre le patient). »

« La consultation du second médecin indépendant du médecin traitant peut être aussi singulièrement banalisée ou tronquée ; des documents arrivant uniquement pour justifier telle pratique alors qu’ils sont un peu éloignés de la situation en cause. »

 

« Elle est obligatoire pour toutes les euthanasies. Il y a un pôle d’aide, de conseils « End Of Life » qui conseille les médecins dans la pratique mais donne aussi une liste des médecins référents. »

 

« Dans les hôpitaux, ce sont souvent les psychiatres qui acceptent ce rôle ; à domicile, un certain nombre de médecins, formés en soins palliatifs, et notamment moi même, médecin de l’équipe du domicile, ces médecins acceptent de se rendre au domicile du patient pour écouter la demande, en discuter, à la demande du médecin traitant. »

« Le second médecin consulte le dossier et donne son avis. Pour ma pratique c’est souvent un oncologue qui confirme le caractère incurable du patient. Il ne le voit pas toujours le patient, mais répond en consultant le dossier. Moi j’accepte qu’il ne vienne pas. Parfois il vient voir le patient, parfois non. »

 

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

L’appréciation de ce critère semble pour nos interlocuteurs, comme le critère sur la souffrance psychique, varier largement selon les cas.

 

« Cela doit être inscrit dans le dossier envoyé à la Commission fédérale de contrôle. »

« Il n’y a pas de vérification. La réalité du terrain c’est qu’on fait le point sur l’histoire de la maladie, on fait ce qu’on peut pour qu’il soit confortable. Si la demande d’euthanasie persiste on est amené à faire l’euthanasie. Le dialogue et le suivi permettent d’en discuter ensemble. »

« Il n’y pas de vérification, à ma connaissance. A domicile, si il y a possibilité d’organiser des soins palliatifs auprès du patient, la réussite de l’entreprise dépend de la volonté de collaboration du médecin traitant, de sa disponibilité, et beaucoup, beaucoup de la collaboration des proches : il faut assurer les gardes de nuits (très difficiles de trouver des gardes, et très cher : 70 € la nuit), l’accueil des soignants, et assumer toutes les émotions de la perte d’un proche. 12 lits, pour 300 000 habitants, ne permettent pas d’accueillir tous les patients qui le souhaiteraient. Enfin, Soins palliatifs et Euthanasie sont parfois synonymes dans l’esprit du public : il faut encore beaucoup expliquer. »

« Le problème dans les demandes d’euthanasies pour lesquelles je suis intervenue comme infirmière de soins palliatifs était la façon dont le médecin qui avait donné son accord pour l’acte semblait présenter la venue des autres intervenants comme une obligation pour qu’il puisse poser l’acte …avec la conséquence que je rencontrais des patients qui me disaient « qu’est ce que je dois vous dire pour avoir droit? » et donc la rencontre, la relation avec ce patient m’est toujours apparue comme faussée, biaisée, impossible à « ouvrir » à une rencontre vraie… »

 « Il y a des euthanasies dans le service d’à côté, l’équipe mobile de Soins Palliatifs n’est pas vraiment consultée en général, et si elle est consultée, elle n’est pas forcément entendue (parfois il suffit que le patient dise qu’il en a assez de vivre, pour que l’on considère qu’il s’agit d’une demande d’euthanasie). »

 

 

Le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle 

 

Il est spectaculaire de prendre acte de la grande confiance faite majoritairement à cette commission, qui n’a jamais relevé aucune anomalie – autre que de pure forme – sur plus de 3 000 déclarations. Ce « zero default » affiché et cet unanimisme éveillent tout de même des doutes chez plusieurs professionnels.

 

« A ce jour, aucun dossier n’a fait l’objet de poursuite a posteriori. Je pense que, seulement quelques dossiers ont fait l’objet d’une demande de renseignements complémentaires. Je n’ai pas d’avis formel sur le fonctionnement de cette Commission, sauf, que chacun de ses membres me semble favorable à l’euthanasie. »

« La commission fédérale de contrôle, pour ce que je puis en savoir (en raison de la qualité des personnes qui y siègent), fonctionne correctement et en toute indépendance. »

« Persistance de l’idéologie du « droit à mourir » majoritaire dans le groupe. Impact dans la lecture des situations qu’elle considère systématiquement comme ‘dans le cadre de la loi. »

« Il y règne, clairement, une quasi unanimité qui pourrait être suspecte. »

« Vu la diversité des personnes présentes, j’ai tendance à leur faire confiance, et cela fait assez peur aux médecins de remplir le formulaire après, cela décourage certains qui préfèrent encore les pratiques clandestines de sédation et d’accélération ! »

« J’ai un regard de confiance. Aucune anomalie n’a été détectée depuis la mise en œuvre dans les cas déclarés à la commission. Ils n’ont jamais été obligés d’interroger directement le médecin qui a fait la déclaration. Mais je leur fais confiance. »

« Quel regard je porte sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle? Ironique. Il est illusoire de penser qu’elle peut garder un semblant d’objectivité et de crédibilité par rapport au contrôle. Sa composition laisse également à désirer. »

 

 

Jugement global ou remarques supplémentaires 

 

Certaines réponses à cette dernière question, ouverte, permettent de prendre conscience de la complexité de l’impact de la loi sur les pratiques en soins palliatifs. Une des infirmières témoigne de son changement d’avis sur la question, en constatant que face à la poursuite de l’acharnement thérapeutique et à l’absence de formation des médecins dans certains services, l’euthanasie apparaît aujourd’hui pour elle, comme la moins mauvaise réponse, faute de modifier les pratiques médicales défaillantes.

 

« Je pense que cette Loi sur la dépénalisation de l’euthanasie a été bien faite : le législateur a placé des gardes fous, prévu un délai ‘raisonnable’, pensé à interroger l’équipe de soins, demandé d’expliquer aux patients les soins palliatifs. Mais, je regrette que des patients demandent l’euthanasie,

  • parce que leur traitement antalgique est mal conduit ;
  • parce que les symptômes ne sont pas correctement pris en charge ;
  • parce que les patients n’ont pas accès aux soins palliatifs (manque de lits, temps de séjour limité à 28 jours) ;
  • parce que leur dignité n’est pas respectée en maison de repos (les normes prévoient 1 seule veilleuse pour 60 lits, en maison de repos…) ;
  • parce qu’il y a peu de place en maison de repos, pour les gens âgés de moins de 60 ans ;
  • parce que les maisons de repos sont impayables, et les soins aussi ;
  • parce que notre société a peu de tolérance pour les plus faibles : combien de fois entendons-nous, « à quoi, ça sert ? » ;
  • parce que, à l’approche des périodes de vacances ou de fêtes de fin d’année, on manque cruellement de soignants pour garder des patients au domicile. »

 

« J’ai rencontré des patients qui m’ont demandé une euthanasie par ce que je ne pouvais pas les garder en unité de soins palliatifs. »

« Personnellement, j’ai souhaité que des patients atteints de tumeurs évoluées de la face me demandent une euthanasie, mais ils ne l’ont jamais fait. Il m’est par contre difficile d’entendre une demande d’euthanasie que le patient justifie par la souffrance, tout à fait respectable, de devoir quitter son domicile, son entourage, ce qu’il aime, pour vivre en maison de repos. J’ai envie alors de rappeler des notions de solidarité familiale, sociale, de faire appel à l’imagination, mais je n’ai pas le droit d’imposer mes propres valeurs. C’est parfois bien difficile. »

« Je ne revendique donc pas ce type de pratique comme quelque chose de banal mais la loi permet curieusement des pratiques intéressantes et paradoxales. J’espère avoir répondu à vos attentes ainsi mais vous comprendrez qu’il s’agit d’un sujet qui est toujours délicats et/ou très s difficile même d’en parler sans parti pris et émotion dans la mesure où nous restons des soignants. »

«Je me suis battue contre l’euthanasie il y a dix ans, mais depuis, j’ai changé d’avis parce que je travaille dans une institution où les soins ne sont pas de qualité et où tout le monde s’en fout. »

« Un seul conseil : résistez ! »

« La loi va être modifiée. Une commission travaille sur les propositions d’élargissement. Le vote reste à venir. Par exemple sur la sanction financière ou non pour les établissements (par exemple catholiques) qui refusent de pratiquer l’euthanasie En fait à mon avis il n’y aura pas de sanctions au final. Par contre la loi devrait obliger qu’on propose au malade un contact avec des médecins d’accord pour pratiquer l’euthanasie. Ce qui se fait en Hollande est une piste : création d’équipes mobiles venant pratiquer l’euthanasie si le médecin s’y refuse. Je pense que la Belgique va adopter des mesures semblables. Moi j’ai beaucoup évolué sur ces questions. Au départ j’étais très réservé mais des situations m’ont fait réfléchir. Par exemple ce patient qui m’avait demandé l’euthanasie que j’avais refusé car sa situation ne me paraissait pas correspondre. Il est sorti du service et le lendemain il s’est tiré une balle dans la tète. Il s’est raté et je l’ai repris dans le service dans une situation abominable. Un autre cas m’a fait réfléchir : j’ai eu à m’occuper d’un jeune homme qui a fait une tentative de suicide par pendaison. Suite à l’hypoxie cérébrale il est resté gravement atteint. Je l’ai suivi 2 ans dans un état pauci relationnel avec une souffrance terrible. Je me dis que s’il était venu me voir la veille de son suicide en me demandant l’euthanasie, je l’aurais fait … »

« Pour le moment la loi n’autorise pas la pratique de l’euthanasie pour des personnes mineures (contrairement à la Hollande) mais les groupes de pression s’engage aussi dans ce domaine là pour élargir le champ des possibilités à des personnes mineures responsables. Le médecin de la structure dans laquelle je travaille a déjà pratiqué l’euthanasie sur une personne mineure. »

« Le plus gros problème pour moi c’est cette désinformation, banalisation médiatique et autre… les « gens » pensent vraiment qu’ils ont maintenant « droit » à l’euthanasie et les familles pensent qu’elles peuvent l’exiger pour un de leur proche…. Pour moi-même, dans l’état actuel des choses, je ne souhaite pas être euthanasiée et j’ai prévenu mes proches que je ne ferais pas ce genre de demande pour eux, que je ne voulais pas y participer. Par contre, j’ai rédigé un acte avec mes volontés précises de non acharnement et de demande de soins de confort et avec le désir que ma mort reste quelque chose qui m’appartienne et qui n’oblige ni mes proches ni un médecin et des soignants à pratiquer un acte aussi important et toujours extrêmement source de souffrance pour chacun. »

« Je travaille depuis plusieurs années dans une unité qui pratique les euthanasies ce qui me pousse dans mes réflexions personnelles et me donne l’opportunité d’exercer mon jugement. Il est souvent difficile pour moi de travailler dans ce service, car je suis profondément convaincue au fil de mon expérience de la non-nécessité de légaliser l’euthanasie. »


Conclusions

 

Plusieurs conclusions ressortent clairement de cette enquête :

 

• L’objectif principal assigné à la législation belge n’a pas été atteint : elle n’a pas mis fin aux euthanasies clandestines. D’autres que des médecins sont toujours impliqués dans la réalisation d’injections létales (donc hors cadre légal, ce qui rejoint le premier point). Des infirmières, voire des stagiaires ont pu en être chargées. La volonté de la personne n’est pas systématiquement prise en compte.

 

• La législation belge n’a pas fait échec à l’acharnement thérapeutique, qui reste une réalité forte et qui peut même être la principale justification de la demande d’euthanasie.

 

• La procédure qu’édicte cette législation n’est pas toujours respectée ; le second médecin consulté peut statuer simplement sur dossier sans voir le patient; on ne peut pas s’assurer que l’obligation d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs soit remplie ; la notion de souffrance psychique peut être appréciée de manière très différente.

 

• Le contrôle de l’application de la loi éveille des doutes. Officiellement les 3 451 euthanasies pratiquées entre 2002 et 2009 ont été entièrement conformes à la loi. Cependant plusieurs professionnels s’interrogent sur le fonctionnement d’une institution de 16 personnes où semble régner une quasi unanimité. Cela conduit à se poser des questions sur l’efficacité d’un contrôle, qui dans un domaine aussi complexe, ne constate aucune méconnaissance de la loi, alors que les témoignages recueillis montrent l’inverse.


Annexe 1 : questionnaire adressé à des équipes de soins palliatifs belges

 

  1. La légalisation de l’euthanasie en Belgique a–t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?
  2. Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?
  3. La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?
  4. Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique ?
  5. Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?
  6. Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?
  7. Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?
  8. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?
  9. L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

10.Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

11.Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

12.Quel regard portez vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

13.Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

14.Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?


Annexe 2 : Les quatre réponses non exploitables

 

 

Une réponse d’un chef de service soins intensifs

 

« J’ai pris connaissance de votre demande d’information par les médecins travaillant en soins palliatifs sur l’application de la loi sur l’euthanasie en Belgique, en espérant recevoir de leur part de nombreux exemples de dérives. Je crains bien que je ne vais pas par un simple message modifier votre manière de voir les choses. Votre questionnaire démontre pourtant une très grande méconnaissance de ce qui se passe en Belgique. Depuis dix ans que la loi existe les esprits ont évolués substantiellement et surtout parmi beaucoup de médecins confrontés à des demandes d’euthanasie et travaillant en soins palliatifs. Beaucoup d’euthanasies sont effectuées dans des unités de soins palliatifs ou après que les patients demandeurs aient été pris en charge par des médecins spécialistes en soins palliatifs. Au moins une déclaration sur deux envoyée à la commission d’évaluation mentionne la participation de structures palliatives à la prise en charge du patient, à la décision et à l’application du geste euthanasique. L’euthanasie, comme le prévoit la loi, est un acte qui ne se fait qu’à l’initiative du patient, dans le cadre d’un suivi thérapeutique au long cours et suivant des modalités de dialogue, d’entretien avec les proches, de prise en charge typique d’une philosophie des soins dont se réclame les soins palliatifs. »

 

Il conseille de consulter le dossier : Euthanasie et soins palliatifs en Belgique,10 ans après la dépénalisation de l’euthanasie.

Il fait également parvenir des témoignages assez idylliques, recueillis par la commission d’évaluation elle-même dont il fait partie.

 

« Le patient a lutté pour la vie dans les camps de concentration et demande actuellement une mort digne. (Homme de 88 ans atteint de leucémies). »

 

« En milieu hospitalier, après une belle et très humaine discussion, en présence de l’infirmière en chef du service d’oncologie, entourée de ses deux fille et de sa soeur. (Femme de 68 ans cancer du pancréas). »

 

« C’est une chose heureuse que cette loi qui permette un geste d’humanité au médecin et une mort douce au patient entouré de tous les siens. (Néoplasie pulmonaire chez un ho de 69 ans). »

 

« C’était ma première euthanasie en 20 ans de soins palliatifs au domicile. Expérience très marquante, tout le reste devient secondaire dans les jours avant, le jour même et le lendemain. Mais cela amène un immense soulagement pour l’entourage, les soignants et le malade lui-même dans une telle situation. C’est une richesse d’avoir une loi qui permet d’aider nos patients de cette manière. Signé : un médecin catholique qui ne regrette pas d’avoir fait le pas dans cette direction. Merci. (Néoplasie ORL et envahissement carotidien). »

 

« Nous nous étions réunis, la famille et toute l’équipe soignante de l’unité oncologique et des soins palliatifs qu’elle avait fréquenté depuis certains deux ans , dès 18h pour un dernier rendez-vous “festif”. La patiente a remercié chaque personne qui était là puis s’est endormie paisiblement. (28 ans cancer métastasé du sein; décès à 20h.) »

 

« Le patient m’attendait sereinement et avait mis son plus beau costume et ses souliers vernis pour partir “en beauté”. Ses deux fils dont un est médecin avaient passé la dernière journée avec leur père et l’ont accompagné jusqu’au bout mêlant chagrin et humour. (Néo pulmonaire homme de 78 ans). »

 

« La patiente m’a appelé un dimanche. Toute la famille et de nombreux amis étaient présents. Elle a voulu que l’on partage un dernier repas puis après avoir fait lire devant tous ses dernières volontés, elle a dit au revoir à chacun puis s’est endormie paisiblement dans le salon entourée de tous dans une véritable cérémonie d’adieu simple et très émouvante. (42 ans cancer du sein, métastases pulmonaires, hépatiques et cérébrales : deux ans de chimio-radio et chirurgie). »

 

• Réponse reçue également d’un chef de clinique, soins supportifs et palliatifs. A noter que finalement et contrairement à ce qui était annoncé dans le message ci-dessous, aucune réponse au questionnaire ne nous est finalement parvenue.

 

« J’ai reçu via l’association des soins palliatifs de la province de Namur un questionnaire concernant la pratique de l’euthanasie. J’y répondrai avec plaisir mais sachez que cette procédure risque d’être faussée par des propos partisans. En tant que responsable du Forum EOL (End of Life), vice président de l’ADMD Belgique et surtout comme médecin, je tenterai de répondre au mieux à votre requête. Cela étant, les questions sont pertinentes mais les réponses devront être analysées avec beaucoup de discernement. Sachez également que la commission d’évaluation et de contrôle publie régulièrement un rapport sur les cas déclarés en Belgique, qu’elle est pluraliste et n’a jamais eu à transmettre un dossier à la justice. Voir http://www.ieb-eib.org/nl/pdf/rapport-euthanasie.pdf »

 

• Réponse reçue d’un président de fédération de soins Palliatifs, responsable d’une plate-forme provinciale de soins palliatifs

 

« Je suis totalement stupéfait par votre questionnaire. La nature de vos questions est même apparue comme très heurtante par bon nombre de praticiens en soins palliatifs. Un biais important semble bien y transparaître au long des questions posées. De plus, si vous souhaitez vous intéresser à ce qui se ferait toujours en dehors du cadre légal qui est le nôtre, les questions posées n’y apporteront sûrement aucune réponse (s’il est évident que des euthanasies qui n’en portent pas le nom ont encore lieu, aucun praticien ne le révélera ainsi). »

 

« Par ailleurs, vous ne semblez pas tenir compte de la réalité légale belge et de ce qu’elle a permis comme évolution dans la prise en charge de nos patients en termes de pratique de fin de vie.

 

« Nous avons un cadre légal, il se doit d’être respecté. Ce cadre légal, qui comporte – outre une loi concernant l’euthanasie – une loi sur le droit des patients et sur l’accès aux soins palliatifs pour tous, a favorisé un questionnement aux seins des équipes soignantes et a enrichi le paysage des soins palliatifs, plutôt que de le brimer de quoi que ce soit, comme certaines de vos questions semblent le sous entendre.

 

« Les patients sont, probablement plus encore qu’auparavant, respectés dans leurs choix, les soignants (y compris les médecins) restent libres de leurs opinions et pratiques.

 

« L’ensemble de ces lois favorise encore à l’heure actuelle la réflexion éthique autour de ces pratiques ; ceci constitue une ressource et une évolution indéniable dans nos pratiques et non pas un appauvrissement. Le débat, en Belgique, ne se pose plus en termes de « pour ou contre » une pratique légale de l’euthanasie. »

 

• Réponse reçue d’une maison de soins palliatifs construite suivant le modèle anglo-saxon.

 

« Le refus de l’euthanasie est un choix institutionnel pour lequel le comité d’éthique a développé un argumentaire, toujours en travail, que vous trouverez en pièce jointe. Votre questionnaire a été soumis  à notre comité d’éthique, qui y a répondu brièvement.

 

« La légalisation de l’euthanasie en Belgique a-t-elle mis fin aux euthanasies clandestines ? Avez-vous une estimation de ces euthanasies clandestines ? A-t-elle mis fin aux pratiques d’acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) ?

 

« Si l’euthanasie est « clandestine », il est bien évident qu’on ne peut facilement en évaluer la pratique. Nous ne sommes pas à même de répondre à cette question. Notre institution refusant d’un commun accord que des euthanasies soient pratiquées dans notre service. D’autre part, la loi n’a, semble-t-il, pas eu d’influence sur l’acharnement thérapeutique. Il semble que de plus en plus, surtout en Flandre, les soignants discutent avec les patients, dès le début de la maladie, du projet thérapeutique et du moment de l’arrêt des traitements.

Nous serons peut -être obligés d’évoluer vers une économie de soins vu la majoration des coûts des soins de santé… »

 

Comment sont pratiquées concrètement les euthanasies autorisées par la loi ?

Les médecins qui pratiquaient les euthanasies avant la loi les réalisent maintenant en remplissant les critères de la loi.

 

« La volonté de la personne exprimée dans sa déclaration anticipée est-elle toujours pleinement respectée ? La personne de confiance est-elle consultée ?

Nous n’avons jamais rencontré cette situation. A plusieurs reprises, nous avons rencontré des patients qui avaient rédigé leurs volontés de non acharnement et qui les présentent lors de leur entrée en unité. Comme nous affichons clairement notre position de ne pas pratiquer d’euthanasie dans notre service, les patients et leurs familles en sont informés. »

 

 

Comment est apprécié le critère de la souffrance psychique?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

Dans quelles conditions est effectuée la consultation du second médecin indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant ?

 

« Face à un patient en souffrance et en demande d’euthanasie dans notre service, il nous arrive d’interpeller un médecin de soins palliatifs qui ne refuse pas de pratiquer des euthanasies. Celui-ci vient dans notre service rencontrer le patient et éventuellement sa famille. Cela permet au patient de se sentir entendu et respecté. Nous n’avons encore jamais dû procéder à un transfert du patient vers un lieu où l’euthanasie pourrait être pratiquée. Nous avons beaucoup réfléchi à cette démarche qui nous semble par certains aspects hypocrite (on fait faire par d’autres ce que nous refusons) mais qui respecte fondamentalement des valeurs plus hautes. »

 

Comment est vérifiée l’obligation légale pour le médecin d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs ?

 

« Pas d’objet chez nous. »

 

 

Savez-vous si beaucoup de médecins opposent leur clause de conscience ?

 

« Nous ne sommes pas les seuls à refuser de pratiquer des euthanasies. C’est relativement bien perçu en général, mais certains patients ou famille pensent que le médecin a l’obligation de répondre à une demande conforme à la loi. »

 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2002, le secteur des soins palliatifs a –t-il été négligé ?

 

« Les soins palliatifs n’ont pas été négligés (nombre de patients qui fréquentent les services, argent alloué aux SP…). La loi autorisant l’euthanasie sous conditions est sortie en même temps que la loi sur les soins palliatifs.

L’euthanasie ne concerne que peu de patients par rapport au nombre de patients pris en charge en soins palliatifs. »

 

L’entrée en vigueur de la loi a-t-elle eu pour effet de diviser la communauté médicale et dans quelle mesure ?

 

« Dans beaucoup d’hôpitaux confessionnaux, la décision de ne pas pratiquer d’euthanasie est prise. Dans d’autres hôpitaux, l’autorisation de pratiquer des euthanasies n’est pas clairement énoncée, mais personne n’est disposé à en pratiquer dans la structure. Sans doute, parce que les médecins francophones se rendent compte que gérer une demande d’euthanasie et l’appliquer selon les modalités de la loi prend énormément de temps. Par ailleurs, nos collègues qui pratiquent l’euthanasie se justifient par une volonté de bienveillance vis-à-vis des patients et tentent de ne pas le faire à la légère. Par contre, il existe un assez grand respect des positions devant la pratique de l’euthanasie dans la communauté médicale francophone. »

 

Vous a-t-il été rapporté que l’application de cette loi avait des conséquences psychologiques sur le comportement des soignants et sur le sens de la pratique du soin ?

 

« Psychologiquement, les soignants qui la pratiquent en sont perturbés ensuite. Ce qui permet d’aider les soignants dans leur souffrance psychologique, c’est d’avoir l’impression de poser un geste bienveillant pour le patient, de l’avoir respecté et accompagné jusqu’au bout. »

 

Savez –vous si l’injection létale a pu être pratiquée par du personnel infirmier ?

 

« Théoriquement, les infirmières ne font pas le geste. Sauf exceptions, les médecins semblent être présents au moment de l’acte. A notre connaissance, nos collègues de soins palliatifs qui pratiquent des euthanasies sont toujours très engagés dans ces accompagnements. »

 

 

Quel regard portez-vous sur le fonctionnement et l’indépendance de la Commission fédérale de contrôle ?

 

« Vu de l’extérieur, cette commission n’est guère critique. Elle fait a priori confiance à tout le monde. Lorsqu’elle ouvre un dossier, il semble que ce soit souvent pour vérifier la façon dont l’euthanasie a été pratiquée. En effet, la loi ne spécifie pas la manière dont elle se pratique, mais il y a des règles de « bonne pratique ». Par contre, dans les demandes, on retrouve de plus en plus de cas psychiatriques (dépressions…) et de patients non cancéreux….La plupart des demandes le sont pour des souffrances psychiques. »

 

Des mineurs ont-ils pu faire l’objet d’injections létales ?

 

« A notre connaissance, non. »

 

Souhaitez-vous porter à notre connaissance d’autres informations qui méritent d’être relevées ?

 

« Vous trouverez en pièce jointe l’argumentaire développé par le président du comité d’éthique de notre établissement. »

 



[4] NDLR : DormicumÒ (MidazolamÒ, benzodiazépine sédative) NimbexÒ (CisatracuriumÒ, un curare d’action rapide), DiprivanÒ (PropofolÒ, anesthésique d’action rapide).

[6] MidazolamÒ : cf. supra, PhenobarbitalÒ : il s’agit probablement d’une confusion avec le ThiopentalÒ (PenthotalÒou NesdonalÒ anesthésique barbiturique cité dans certains « protocoles » d’euthanasie.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=1891 1
François Hollande : «L’euthanasie, je n’y suis pas favorable» http://plusdignelavie.com/?p=1701 http://plusdignelavie.com/?p=1701#comments Mon, 20 Feb 2012 11:24:02 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1701 Signer le Manifeste citoyen pour la dignité de la personne en fin de vie.

 

Emmanuel Hirsch

Président du Collectif Plus digne la vie

 

Marianne publie ce 17 février un entretien avec François Hollande : « Hollande réplique à Sarkozy sur les valeurs. »

Le candidat s’emploie à y clarifier sa proposition 21 déjà reprise de . . . → Read More: François Hollande : «L’euthanasie, je n’y suis pas favorable»]]> Signer le Manifeste citoyen pour la dignité de la personne en fin de vie.

 

Emmanuel Hirsch

Président du Collectif Plus digne la vie

 

Marianne publie ce 17 février un entretien avec François Hollande : « Hollande réplique à Sarkozy sur les valeurs. »

Le candidat s’emploie à y clarifier sa proposition 21 déjà reprise de telle manière dans une proposition de loi du 31 janvier dernier relative à l’assistance médicalisée pour mourir.

Dans sa proposition 21, le candidat à la présidentielle s’engageait à proposer « que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Certains avaient déjà célébré à force voix et à force invectives à l’égard des positions réfractaires à une légalisation sans autre forme de l’euthanasie, cette avancée démocratique attendue de manière unanime par le peuple français.

Les personnes en situation de fragilité sollicitent de notre part une sollicitude active, concrète qui relève d’autres responsabilités et d’autres urgences que d’envahir la scène publique par une controverse idéologique portant sur les conditions de mise à mort d’une personne socialement et médicalement régulée.

Il est vrai qu’il s’agirait là de la conquête la plus significative en termes de dignité, d’émancipation et de droits des personnes malades ou non, dans un contexte sociopolitique confronté à toutes sortes de vulnérabilités qui marginalisent et meurtrissent ceux qui aspirent, avant toute autre considération, à vivre humainement leur vie en société ! Ils en appellent à une solidarité concrète au cours de leur vie et non à des expressions de compassions fatales dans leurs derniers jours.

C’est tout l’engagement profondément démocratique que soutient le Collectif Plus digne la vie. Les personnes en situation de fragilité sollicitent de notre part une sollicitude active, concrète qui relève d’autres responsabilités et d’autres urgences que d’envahir la scène publique par une controverse idéologique portant sur les conditions de mise à mort d’une personne socialement et médicalement régulée.

Dans nos précédents éditoriaux nous sollicitions des précisions de la part de François Hollande, ne serait-ce que parce que nous ne souhaitions en aucun cas que nos positions à l’égard de la proposition 21 soient considérées comme une forme d’expression d’un choix politique. La force du Collectif Plus digne la vie est précisément de rassembler au-delà des courants politiques, tenant compte de conceptions représentatives de la diversité des opinions dans notre pays. C’est pourquoi notre site présente les textes de référence, de véritables arguments, des analyses, des témoignages de terrain et s’emploie à mieux faire connaître les lois de la République qui concernent par exemple le droit des malades en fin de vie.

 

Une prudence qui rejoint nos préoccupations

Dans son entretien dans Marianne, François Hollande témoigne d’une attention à la complexité des circonstances et d’une prudence qui rejoint nos préoccupations : « L’euthanasie, je n’y suis pas favorable. Je suis pour le droit de mourir dans la dignité. Aujourd’hui, il y a de 10 000 à 15 000 lits pour les soins palliatifs, il en faudrait le double. À quel moment décider ou non d’arrêter les soins palliatifs, même si la souffrance, grâce à eux, est amoindrie ? Il faut avoir une expression de la personne, de la famille, des médecins qui doivent être consultés, et à ce moment-là, dans quelques très rares cas, il s’agit de faire un acte de compassion qui va soulager non la famille, mais la personne. » Mieux, il nous expose ce qu’est la philosophie de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, soucieuse d’apporter les réponses ajustées aux « très rares cas » qui justifient (dans le cadre d’une approche collégiale intégrant le choix de la personne malade et le sentiment de ses proches) la décision d’arrêt ou de limitation des traitements.

Il est important que deux candidats à la présidentielle adoptent une posture digne des valeurs de la démocratie dans un domaine aussi sensible. C’est courageux, d’autant plus lorsqu’une telle position contrecarre celle de sénateurs socialistes et apparentés exprimée dans la proposition de loi du 31 janvier dernier relative à l’assistance médicalisée pour mourir.

Ne pas abandonner […] et persévérer dans notre combat au service des valeurs pratiques de la démocratie.

François Hollande évoque le nombre restreint des lits de soins palliatifs (1913 lits en 2011, 105 unités de soins palliatifs). Il semble évident aujourd’hui que la culture des soins palliatifs se diffuse plus qu’on ne le dit dans les services hospitaliers ou dans les soins à domicile. À tel enseigne qu’en fait (et heureusement) très peu de circonstances extrêmes suscitent depuis quelques années les controverses que l’on connaissait avant le vote de la loi du 22 avril 2005. Le Collectif Plus digne la vie témoigne toutefois une grande attention aux situations qui justifient une meilleure pédagogie à l’intention des professionnels de santé. Depuis des mois il va à leur rencontre sur le terrain, constatant que dans les espaces du soin qui accueillent les personnes les plus affectées par une maladie ou un handicap, les réponses apportées sont bien souvent d’une qualité exceptionnelle. Cet engagement de soignants soucieux des valeurs de notre démocratie semble moins soucier les relais médiatiques que les quelques réalités exhibées avec la caution d’instances à prétention moralisatrice. Le Collectif Plus digne la vie a d’autre part rédigé le livret « Connaître la « loi Leonetti » et l’appliquer ». Il connaît un très vif succès, significatif d’une demande d’informations dans un contexte où les personnes aspirent à mieux que les simplificatrices doctrinales et idéologiques.

Nicolas Sarkozy affirmait le 11 févier une conception opposée à toute justification d’une nouvelle législation dans ce domaine : « L’euthanasie légalisée risquerait de nous entraîner vers des débordements dangereux et serait contraire à nos conceptions de la dignité de l’être humain. […] Pour le reste, laissons place au dialogue entre le malade, sa famille et le médecin. Cela s’appelle faire preuve de compréhension et d’humanité. On n’est pas obligé de légiférer sur tout et tout le temps. »

François Bayrou adopte une position très proche dans Le Généraliste du 17 février à propos de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie qui « constitue un équilibre qu’il faut préserver car elle évite deux écueils que je ne souhaite pas : d’un côté l’acharnement thérapeutique et de l’autre l’euthanasie qui porte un risque non négligeable de comportements contraire à nos valeurs. »

Que des personnalités politiques de cette stature partagent un point de vue, sur un sujet aussi déterminant que nos responsabilités citoyennes auprès de la personne en fin de vie et de ses proches, s’avère finalement rassurant et nous renforce dans la conviction que plus que jamais il ne faut pas abandonner un tel engagement et persévérer dans notre combat au service des valeurs pratiques de la démocratie.

 

Robert Badinter, une personnalité politique incarnant des valeurs d’humanité au-delà de toute option immédiatement partisane l’affirmait au cours de son audition en 2008 par la commission parlementaire qui établissait un premier bilan de la loi du 22 avril 2005 : « Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain — c’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort — et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie. »

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« À la vie, à la mort » : une prise en otage ? http://plusdignelavie.com/?p=1691 http://plusdignelavie.com/?p=1691#comments Fri, 17 Feb 2012 16:38:30 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1691 Stéphane Bourez

Cadre de Santé, CHU Henri Mondor, AP-HP, Membre du Conseil d’Administration de l’AFITCH-OR

 

Ce documentaire diffusé sur France 2 avait la prétention d’être un support à la réflexion. Il pourrait en fait être ramené en réalité au niveau d’un tract polémique qui reprend les ressorts de Mar Adentro, en moins poétique . . . → Read More: « À la vie, à la mort » : une prise en otage ?]]> Stéphane Bourez

Cadre de Santé, CHU Henri Mondor, AP-HP, Membre du Conseil d’Administration de l’AFITCH-OR

 

Ce documentaire diffusé sur France 2 avait la prétention d’être un support à la réflexion. Il pourrait en fait être ramené en réalité au niveau d’un tract polémique qui reprend les ressorts de Mar Adentro, en moins poétique et avec les armes habituelles de l’ADMD : le show télé réalité. En effet, « vous allez enfin pouvoir partager les émotions d’une famille désemparée par les échecs de la médecine techniciste ». Comment réparer cette erreur ? Une seule réponse selon cette bande annonce publicitaire : « Donner la mort ! ». L’auteur déroule sa mécanique en 3 actes.

 

Spectateurs de sa vie

Le premier acte est de constater le désespoir d’une famille qui accompagne un patient en état de locked in syndrom après la survenue d’un AVC. Vous êtes dans sa chambre, spectateur de sa vie dans toute sa fragilité. La famille et les amis témoignent tour à tour de l’absurdité de la situation. Michel S. dit vouloir mourir, mais par delà cet appel il témoigne d’une profonde vie de relation avec sa famille, ses amis et ses proches. Certes, ce n’est pas la vie qu’il espérait. Certes, cette vie peut faire émerger un sentiment d’injustice et d’absurdité.

 

À Paris, on réfléchit !

Le deuxième acte est un acte de combat : celui du combat pour le droit à l’euthanasie pour cette vie « qui ne mérite pas d’être vécue » selon la famille et les artisans de ce film de propagande. Combat contre une équipe d’un hôpital de province qui ne veut se résoudre à donner la mort à une personne malade vulnérable. « Où veux-tu mourir papa ?… » Long silence, puis pleurs du patient : peut-on répondre à cette question lorsque l’on maintient une relation d’une grande profondeur avec ses proches depuis trois ans ? Le documentaire est largement ponctué de temps de discussion au Centre d’éthique clinique avec journaliste, penseurs et professionnels du soin pour donner le sentiment que cette famille et ce combat sont nourris d’une réflexion, d’un argumentaire discuté. À Paris, on réfléchit !

 

Le coupable idéal

Le troisième acte se déroule à la manière des « 5 dernières minutes ». Un service de soins palliatifs accède aux désirs de la famille et du patient. La mort est donnée rapidement en arrêtant « ce qu’il y a à arrêter ». Au final, tout semble facile et le coupable est tout trouvé : l’équipe soignante de Berck et les soignants en général pour lesquels « une révolution culturelle est à mener ». En effet, ajoute l’auteur, il faudrait dépasser ce sentiment de « transgression » lorsque l’on « accompagne » la mort en la provoquant. Ce film affirme avoir trouvé la solution : déculpabiliser le soignant qui donne la mort. Mais est-ce le problème ?

 

Une vulnérabilité qui impose

Ce film veut ainsi donner le sentiment à l’opinion publique que les soignants prennent en otage les personnes malades. Une révolution culturelle serait à mener pour que le fait de donner la mort à quelqu’un devienne banal lorsque « la vie est absurde et ne mérite pas d’être vécue ». En réalité, la mort n’est pas une transgression : c’est le fait de la donner qui constitue un interdit. Ce n’est pas un interdit seulement pour les soignants. Il s’agit d’un principe relevant de la morale universelle. Certains peuples ont voulu réaliser une « révolution culturelle » en souhaitant « nettoyer la société » des « vies absurdes ou inutiles qui ne méritent pas d’être vécues »… Emmanuel Levinas a révolutionné la philosophie moderne en affirmant que le visage, par sa vulnérabilité, fait surgir l’impératif éthique du « tu ne tueras point ». La vulnérabilité de Michel S. a imposé à cette équipe soignante de le protéger et de l’accompagner véritablement dans ce qu’il avait à partager avec son épouse, ses deux filles et ses amis. La vie de relation est fragile mais préservée. Elle nous accompagne tout au long du film. Ce destin s’est terminé dans une unité de soins palliatifs. Ce documentaire ne nous dit pas véritablement ce qui s’y est vécu. Chaque professionnel est en droit de penser que c’est d’un accompagnement dont il a bénéficié et non d’une euthanasie.

 

Cette fin ne justifie pas ce moyen

Au final, ce film donne le sentiment que Michel S. et l’éthique du soin ont été pris en otage par des brigands déguisés en philosophes. Séduire un patient et ses proches en leur laissant penser que « ce qu’ils vivent est intolérable » et « qu’ils sont victimes des soignants » ne permet pas de faire avancer la réflexion ni de permettre à ceux qui vivent ces situations redoutables de faire leur travail de deuil « sereinement ». La véritable révolution culturelle est à vivre pour les politiques qui considèrent que « toutes les situations suscitant l’émotion » sont bonnes pour attirer l’attention et améliorer les sondages. Ce film révèle en fait que certains politiques gagneraient à développer personnellement une éthique du « prendre soin » : il devrait y avoir un impératif moral consistant à « ne pas prendre en otage un patient vulnérable et ses proches pour en faire une tribune politique ». La politique se doit d’aborder tous les sujets de société. Mais cette fin ne justifie pas ce moyen.

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Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 312 relative à l’assistance médicalisée pour mourir http://plusdignelavie.com/?p=1663 http://plusdignelavie.com/?p=1663#comments Tue, 14 Feb 2012 17:07:41 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1663 Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale  n° 312 de M. Jean-Pierre Godefroy enregistrée à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2012, prolongeant la proposition n° 21 du candidat François Hollande

Ce texte est disponible en PDF

Groupe Éthique, droit et santé, Collectif Plus digne la vie [1]

Cette proposition de loi évite tout . . . → Read More: Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 312 relative à l’assistance médicalisée pour mourir]]> Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale  n° 312 de M. Jean-Pierre Godefroy enregistrée à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2012, prolongeant la proposition n° 21 du candidat François Hollande

Ce texte est disponible en PDF

Groupe Éthique, droit et santé, Collectif Plus digne la vie [1]

Cette proposition de loi évite tout comme la proposition 21 d’employer le terme d’euthanasie mais l’institue dans les faits. Pourquoi le mot est-il tabou chez ceux qui le défendent? Parce cette notion d’euthanasie est contestable d’un point de vue sociétal, médical et juridique. Parce qu’elle s’inspire de la législation belgo-hollandaise, qui connaît des dérives évidentes. Parce qu’elle apporte des réponses à des questions auxquelles il peut être répondu bien différemment.

 

 

Les arguments sociétaux

 

L’invocation de la liberté

Pour défendre le droit « à une assistance médicale pour mourir » proclamé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi , ses promoteurs font valoir qu’il s’agit d’une liberté, d’une responsabilité assumée non pas par les médecins mais assumée collectivement.

 

Une demande de mourir n’est cependant jamais formulée dans les termes idéaux d’une volonté qui ne serait contrainte par rien d’extérieur à elle. Elle se révèle être au contraire, dans cette situation, la volonté la plus contrainte qui soit. Comme l’a souligné Axel Kahn, professeur de médecine et candidat socialiste aux élections législatives de 2012 dans les VI et VIIèmes arrondissements de Paris, devant la mission de l’Assemblée nationale chargée d’évaluer la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti : « La demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable, et qui estime qu’elle n’a d’autre choix que de l’interrompre. C’est tout à fait le contraire d’une liberté. »

 

La liberté est toujours, dans une certaine mesure, celle de pouvoir changer d’avis, alors qu’à l’inverse l’euthanasie est un acte irréversible. Les données de mortalité par suicide le confirment: évalué à 45 %, le taux de récidive est la reconnaissance du fait que 55 % des personnes ayant fait une tentative de suicide ont, sous l’effet de nouvelles circonstances, préféré définitivement la vie plutôt que la mort. La volonté de la personne ne saurait être enfermée dans un système intangible. L’homme est ambivalent et en fin de vie sa volonté fluctue, oscille en permanence entre le désir d’en finir et le souhait de continuer à vivre.

 

• L’argument principal en faveur de l’euthanasie est que le malade est libre de déterminer ce qu’il souhaite pour sa fin de vie, y compris un acte euthanasique. Cette argumentation est mise à mal parce que l’euthanasie requiert un tiers qui va être impliqué pour mettre en œuvre ce droit, cette autonomie. Quelle est alors la validité d’une autonomie qui postule l’intermédiation d’un autre? L’idée d’une autonomie pleine et entière du malade ne relève-t-elle donc pas du fantasme ?

 

• Enfin, est-ce vraiment le problème quand on sait qu’aux Pays-Bas, les euthanasies sont pratiquées dans 85 % des cas chez des patients cancéreux en phase terminale, dont l’acte euthanasique réduit la durée de vie de moins d’une semaine ? Faut-il ouvrir un droit à la mort pour des patients condamnés à mourir dans un horizon d’une semaine, alors que les soins palliatifs pourraient répondre à de telles situations?

 

Un droit à mourir conçu comme un droit-créance vis-à-vis de la société

• En étant formulé comme un droit-créance, le droit à mourir fait peser sur tous le devoir de rendre effectifs les moyens nécessaires à sa réalisation. Ce droit engagerait la société, puisque le suicide ne serait alors plus une affaire privée mais une affaire qui appelle des règles garantissant des droits voire la délivrance par la puissance publique de prestations. Le droit à mourir ferait partie de ces dettes que chacun contracte avec chaque tiers aux termes du contrat social. Assimiler demain le droit à mourir à un droit-créance reviendrait comme l’a relevé Robert Badinter devant la mission d’information de l’Assemblée nationale précitée, à « concevoir, accepter, un service d’assistance au public, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour ceux qui auraient pris la décision de se suicider. À ce stade, ma réaction première n’y serait pas favorable. J’aurais trop la crainte d’une forme d’incitation, je n’ose pas dire de provocation, au suicide. L’être humain est fragile. L’angoisse de mort est présente. Par moments, chez chacun, elle connaît une très forte intensité. Chez certains, face à une épreuve, il y a une tentation de mort qui est inhérente à la condition humaine. L’existence d’un service prêt à vous accueillir pour répondre à cette tentation me paraît présenter un risque d’incitation au suicide. »

Que le contrat social contienne cette clause d’entraide ne serait pas sans paradoxe, la fin du contrat social étant pour Jean-Jacques Rousseau la « conservation des contractants ».

 

La Cour européenne des droits de l’homme s’est interrogée sur la cohérence qu’il y a à déduire un droit au suicide assisté du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a jugé que « l’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir » (arrêt Diane Pretty du 19 avril 2002). Il n’y a donc pas un droit de choisir la mort.

 

Un droit qui fragilise les plus faibles

Quel regard portera alors la société sur les plus faibles, le handicap,  si l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés ? Comment peut-on dans le même temps appeler à la solidarité de la société en faveur des plus fragiles, leur reconnaitre des droits opposables, inventer de nouveaux systèmes de prise en charge en faveur de la dépendance et consacrer un droit au suicide assisté  et à l’euthanasie? N’est-ce pas implicitement fragiliser les plus vulnérables et fragiliser la détermination de l’entourage, en pesant sur celui-ci ? Dans un arrêt Haas du 20 juin 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le droit à la vie oblige à mettre en place une procédure destinée à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie correspond bien à la volonté de l’intéressé.

 

Les personnes les plus faibles et celles ne pouvant subvenir seules à leurs besoins matériels, alors même que leur dépendance a vocation à s’accroître avec le temps, risquent d’être le plus exposées à l’euthanasie et au suicide assisté si une telle législation voit le jour. Par là même, la légalisation du suicide assisté, récusant toute solidarité au nom de l’autonomie de l’individu, favorise l’injustice et est une régression sociale. Cette dimension d’injustice n’est jamais évoquée par les tenants de l’euthanasie et du suicide assisté. Les plus faibles et les plus pauvres seront les victimes les plus exposées à l’euthanasie.

La population canadienne a bien compris ce risque. Elle se déclare très massivement favorable aux soins palliatifs car elle craint que les plus pauvres et les plus dépendants ne subissent par effet de glissement des euthanasies non déclarées.

 

Les arguments médicaux

La légalisation va générer une perte des repères sur la fonction de la médecine

S’engager dans cette voie serait générer une confusion énorme sur le rôle des médecins dans la société et sur la relation médecin-malade. Les médecins ont été formés pour soigner, non pour tuer ou aider à tuer. Comment concilier l’aide au suicide avec le serment d’Hippocrate, qui fait obligation aux médecins de « protéger (les personnes) si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » et « de ne pas provoquer délibérément la mort » ? Devra-t-on abroger l’article R. 4127-38 du code de la santé publique, qui fixe les limites infranchissables de la déontologie médicale ? « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

 

La légalisation va à l’encontre de la démarche des soins palliatifs

La proposition de loi entretient l’illusion qu’un acte euthanasique pourrait venir en complément d’une approche palliative et enrichir l’approche humaniste de la fin de vie. Ainsi, l’article premier de la proposition de loi de M. Godefroy intègre le droit à mourir dans l’article du code de la santé publique consacrant l’accès aux soins palliatifs. L’article 2 de la proposition de loi charge le collège médical d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs. Si les partisans de l’euthanasie prétendent inscrire leur action dans les pas des soins palliatifs, on n’a jamais entendu les praticiens des soins palliatifs se réclamer de valeurs communes avec les partisans de l’euthanasie. Un tel rapprochement n’a aucun fondement. L’euthanasie n’est pas le prolongement des soins palliatifs. L’acte euthanasique est en effet en contradiction avec la démarche des soins palliatifs sur plusieurs points :

 

La demande des patients 

La souffrance des patients ne s’identifie pas à l’expression d’une demande de mort. Tous les praticiens au contact de la réalité médicale savent que les patients concernés demandent à ne pas avoir mal, ont peur de souffrir, d’être abandonnées, luttent avec eux-mêmes, partagés entre le refus et l’acceptation de l’inéluctable. Ils sont en quête d’apaisement, de consolation, de lien, ils ont besoin de calme mais aussi de vie, de temps, de douceur et d’attention. La majorité des euthanasies liées à des douleurs physiques insupportables démontre plutôt de mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur car les souffrances vraiment réfractaires sont très exceptionnelles. En Belgique, l’euthanasie concerne à 83 % des patients atteints de cancer au stade terminal. 23 % des patients décèdent avant même que l’euthanasie ait pu être pratiquée. Aux Pays-Bas, on estime que dans 90 % des cas, la pratique de l’euthanasie a raccourci la durée de vie de moins d’une semaine.

 

La réponse médicale

Les soins palliatifs s’identifient à l’accompagnement des patients et ne relèvent pas d’une décision catégorique et systématique. La solution consistant à donner la mort au patient est envisagée comme un choix d’action possible de même rang que les autres et aurait pour effet d’éroder la pertinence des autres choix envisageables. Pourquoi en effet chercher des voies complexes quand un chemin direct, rapide s’ouvre devant soi ?

L’acte euthanasique ne requiert aucune compétence médicale particulière et est en contradiction avec les obligations déontologiques des médecins, soigner n’étant pas donner la mort. Lors de l’élaboration de la législation luxembourgeoise « sur le droit de mourir en dignité », le Conseil d’État luxembourgeois a fait remarquer dans son avis que « les études en médecine ne prévoient pas l’apprentissage de connaissances visant à éliminer des êtres humains. Ceux qui font mourir, à quelque dessein que ce soit, ne sont pas à recruter dans la profession de ceux qui sont à former pour guérir et pour soigner ». Cet argument n’a pas ébranlé les promoteurs de la proposition de loi, puisqu’ils proposent d’instituer une formation médicale à l’euthanasie (article 6 de la proposition de loi). Ainsi les médecins seront astreints à suivre en même temps une formation au geste létal et au soin ! Les voies de la désorganisation de notre système de soins et de la division sont ouvertes.

 

Les arguments juridiques : des règles imprécises et peu cohérentes avec notre droit

Comment peut-on faire cohabiter cette législation avec la loi du 22 avril 2005, qui a une philosophie très différente, et avec notre droit pénal ? Faudra-t-il abroger la loi de 2005 qui se fonde sur les soins palliatifs ?

 

Les critères de l’état du malade sont flous

 

On peut penser que ce droit à l’euthanasie et au suicide assisté est contraire à la protection de la santé, principe de valeur constitutionnelle reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis une décision du 22 juillet 1980 (80-117 DC).

 

Qu’est-ce qu’une souffrance physique ou psychique ne pouvant être apaisée ou [que la personne] juge insupportable (article 1er de la proposition de loi de M .Godefroy) ? On rappellera que selon une étude de l’université de Zürich, 30 % des suicides assistés en Suisse sont des dépressifs. Ce chiffre est de 26 % en Belgique.

Qui va apprécier l’état de souffrance du malade: le médecin traitant ? Le malade ? L’entourage ? Que se passera-t-il si l’entourage n’est pas unanime ?

Comment devra-t-on traiter les patients placés en curatelle ou sous tutelle ? Le placement en tutelle ou curatelle a–t-il pour effet de rendre caduques les directives anticipées et la désignation de la ou des personnes de confiance ?

 

Comment le principe selon lequel la personne malade peut à tout moment révoquer sa demande peut s’appliquer chez les personnes dans l’incapacité de communiquer jusqu’au dernier moment de façon libre et éclairée ? La directive anticipée donnée 3 ans auparavant valant décision irrévocable et définitive, est–elle compatible avec une telle situation ?

Comment ces décès pourront-ils être assimilés à des morts naturelles au regard des contrats d’assurance vie et de la sanction pénale de l’abus de faiblesse ?

Devra-t-on inclure demain les mineurs ?

 

Une procédure instituée au nom des droits des patients, qui donne en réalité tout pouvoir aux médecins

Le médecin saisi par le médecin traitant peut être tout autre membre du corps médical (article 2 de la proposition de loi de M. Godefroy). Est-ce à dire que ce second médecin ne connaîtra pas le patient ? Comment sera-t-il saisi: par téléphone ? Par écrit ? Comment pourra t-on s’assurer qu’il ne pratique pas l’euthanasie ?

 

Comment fonctionnera la clause de conscience ? Si le médecin traitant ne trouve aucun médecin pour s’acquitter de l’aide active à mourir, la collectivité devra–t-elle mettre en place une structure permanente ayant comme fonction le suicide assisté, en réquisitionnant des médecins ? Des sanctions seront-elles opposables aux médecins refusant de donner un avis? Que reste–t-il du principe constitutionnel de la liberté individuelle lorsque le médecin est obligé de se renier en renvoyant à un médecin qui ne partage pas ses convictions ?

 

Dans son arrêt Haas du 20 janvier 2011 la Cour européenne des droits de l’homme a fait valoir qu’on ne saurait sous estimer les risques d’abus inhérents à un système facilitant l’accès au suicide assisté.

 

Une qualification légale de l’aide à mourir qui pose problème au regard des incriminations existantes du droit pénal

L’acte d’aide à mourir n’est jamais défini précisément. Or ne pas définir précisément dans la loi un acte entraînant la mort est inconstitutionnel.

 

La désignation du responsable de cet acte n’est pas non plus précisée au troisième alinéa de l’article 2. Le flou règne alors même que cette détermination de l’auteur de l’acte est essentielle au regard du droit pénal et de la détermination des éléments constitutifs de l’infraction. Dans un texte fondé exclusivement sur une procédure soumise à un contrôle a posteriori, il convient de définir au préalable cet acte et le partage de responsabilité entre la personne et le médecin. Est-ce le médecin, est-ce l’infirmière, qui effectue le geste létal?

 

Comment au demeurant cette aide à mourir s’articulera-t-elle avec les sanctions pénales de non assistance à personne en danger, de provocation au suicide et d’abus de faiblesse ? Aujourd’hui le délit de provocation sanctionne la conduite d’un tiers qui affecte l’autonomie de la personne visée, en transformant par son action, ses pressions, son influence, une personne libre en victime. Où se situera demain la frontière entre la provocation au suicide et l’aide au suicide, que le patient demandeur puisse ou non agir par lui-même?

 

Un contrôle a posteriori qui n’en n’est pas un

Un contrôle a posteriori purement formel, sans recours réel. Le médecin qui a apporté son concours à l’aide à mourir fait un rapport à une commission régionale qui est juge de l’opportunité de transférer le dossier à une commission nationale, seule chargée d’apprécier la justification d’une saisine du parquet. Or s’agissant d’un organe qui doit se prononcer sur le respect de règles au regard de l’état des personnes et peut être amené à transmettre le dossier au parquet en cas de méconnaissance des règles légales, ses règles de composition et de fonctionnement n’ont pas à être définies par le règlement mais par la loi. Ces commissions en effet mettent en cause des principes qui de par l’article 34 de la Constitution ont valeur législative.

 

Comment seront composées ces commissions ? Quelle sera leur légitimité ? Juger d’une décision qui prive de la vie l’individu ne ressort-il pas fondamentalement de la compétence du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle au regard de la Constitution et non d’une commission ?
 

Une présentation très contestable des législations belge et hollandaise

Dans la mesure où la proposition de loi de M. Godefroy s’inspire très largement de ces législations, l’exposé des motifs fait valoir que « les exemples belges et néerlandais nous montrent qu’il n’y a pas à craindre de dérive si l’aide active à mourir est bien encadrée ».

        

Les pratiques belge et hollandaise ne sont malheureusement pas ce que l’on voudrait faire croire.

Des études très récentes parues dans une revue médicale canadienne, la Canadian medical association, ont mis en lumière des dérives notables dans les pratiques belges. Sur un échantillon de 208 personnes décédées à la suite d’une injection létale, 32 % n’avaient pas exprimé explicitement le souhait d’être euthanasiées. Dans cet échantillon, la décision n’avait même pas été discutée avec les intéressés dans 78 % des cas. Une autre étude révèle que dans 12 % des cas les injections létales ont été administrées par des infirmières et non par des médecins. Elle conclut que ces infirmières ont exercé illégalement ces tâches.

 

La mission de l’Assemblée nationale d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 a relevé que la procédure applicable en Belgique était déroutante par sa rapidité, le temps nécessaire estimé par un praticien pour remplir les déclarations d’euthanasie étant de 30 minutes. Une étude parue en 2009 révèle que le second médecin consulté l’est en réalité par téléphone sans qu’il examine le patient. Par ailleurs depuis l’entrée en vigueur de la loi belge, il faut savoir que la Commission de contrôle n’a transmis aucun dossier à la justice, alors que 3451 euthanasies dont 623 en Communauté française ont été officiellement effectuées. L’absence totale de saisine judiciaire amène à s’interroger sur la réalité du contrôle a posteriori effectué : soit on est en présence d’un professionnalisme exceptionnel sur un sujet extrêmement délicat où le questionnement s’impose d’évidence, soit on est conduit à avoir des doutes sur la réalité d’un contrôle, qui en réalité n’est que formel. Enfin la Belgique a pratiqué des euthanasies pour pouvoir prélever un organe à un moment fixé au préalable sans s’en remettre à l’aléa l’arrêt cardiaque de la personne une fois l’assistance respiratoire arrêtée. Un Congrès tenu en Belgique en 2008 a rapporté ainsi que des organes avaient été prélevés sur 4 personnes euthanasiées, 2 souffrant d’un locked in syndrom et 2 souffrant d’une sclérose en plaques. Ces pratiques établissent ainsi l’existence d’une corrélation entre les dons d’organes et des euthanasies à des fins utilitaristes. Une organisation néerlandaise, qui a pour objectif d’informer les gens qui veulent mourir sur la manière d’y parvenir, leur conseille d’aller acheter des pilules dans des pharmacies en Belgique. Les pharmaciens belges seraient en effet plus enclins à donner, sans ordonnance, certains médicaments nécessitant normalement une prescription, a écrit De Morgen le vendredi 3 février 2012.

 

Aux Pays-Bas, les euthanasies ont augmenté de 13 % en 2009 (2500 soit 1,9 % des décès contre 0,5 % en Belgique). Il y a plusieurs raisons à cela : des critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient flous qui favorisent une appréciation du médecin subjective ; un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux et une méconnaissance de la loi qui n’est pas sanctionnée. L’Ordre des médecins allemands fait état de l’installation croissante de personnes âgées néerlandaises en Allemagne notamment dans le Land voisin de Rhénanie du Nord Westphalie. S’y sont ouverts des établissements pour personnes âgées accueillant des Néerlandais. Ces personnes craignent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. Le ministre de la santé néerlandaise qui avait défendu cette loi en 2002 a reconnu publiquement en décembre 2009 que l’euthanasie avait pour effet de détruire les soins palliatifs. Enfin 20% des euthanasies ne seraient pas déclarées. Par conséquent l’argument de la transparence de cette procédure ne tient pas.

 

Lors de sa 96ème session, qui s’est tenue à Genève du 13 au 31 juillet 2009, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a mis en garde les Pays-Bas pour son « taux élevé de cas d’euthanasie et de suicide assisté ». Les membres du Comité se sont notamment inquiétés que « la loi permette à un médecin d’autoriser de mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge » et que « le deuxième avis médical requis puisse être obtenu
au travers d’une ligne téléphonique d’urgence ».

 

Une proposition allant à contrecourant de la prise en charge de la fin de vie en Europe

Depuis 2002, date de l’adoption de la loi luxembourgeoise, hormis le cas particulier du Luxembourg, aucun pays européen n’a suivi l’exemple belgo- luxembourgeois. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède ont une communauté de vues avec la France pour arrêter les traitements en pratiquant les soins palliatifs sur la personne en fin de vie.

 

Légaliser l’euthanasie est donc aller à contre courant de l’évolution des traitements de la fin de vie en Europe. D’ailleurs l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 25 janvier 2012 une résolution ainsi rédigée: «L’euthanasie, dans le sens de l’usage de procédés par action ou par omission permettant de provoquer intentionnellement la mort d’une personne dépendante dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite».

 

Transposés à la France les critères de la partie flamande de la Belgique représenteraient 12.160 euthanasies par an soit 50 par jour ouvrable, soit 60.000 personnes pour la durée d’un quinquennat.

 

D’autres réponses sont possibles

 

Assurer une prise en charge égale pour tous de la fin de vie

Les instruments  pour prendre en charge la douleur en fin de vie existent. Ils ont été définis par la loi du 22 avril 2005 et par le décret du 29 janvier 2010. La loi de 2005 a proscrit l’obstination déraisonnable, défini des procédures d’arrêt de traitement collégiales et transparentes accompagnées par des soins palliatifs et autorisé la pratique du double effet. Le décret du 29 janvier 2010 (article R .4127-37 du code de la santé publique) couvre l’hypothèse où l’on ne peut évaluer la douleur d’un malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ou dans le cas d’un maintien artificiel en vie. Dans cette situation les médecins sont invités à recourir aux antalgiques et aux sédatifs.

 

Toutefois ce recours aux antalgiques couplés avec des soins palliatifs n’est pas systématiquement appliqué. L’étude MAHO réalisée en France a démontré que seulement 24% des patients meurent entourés de leurs proches alors que la mort est prévue dans la très grande majorité des cas. Seulement 35% des infirmières interrogés estiment la qualité de la fin de vie des patients est à un niveau qu’elles accepteraient pour elles-mêmes.

 

Il convient donc de développer ces pratiques par de l’information, de la formation et de la pédagogie. Agir dans ce sens, c’est favoriser l’égalité des soins et faire échec à de mauvaises pratiques médicales qui fabriquent artificiellement des demandes d’euthanasie. On ne saurait admettre que des établissements s’approprient la loi de 2005 et les soins palliatifs tandis que d’autres les ignorent.

 

Lutter contre l’obstination déraisonnable.

Développer les soins palliatifs contribue aussi à faire reculer l’obstination déraisonnable. Selon un sondage réalisé en janvier 2011 pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, 68 % des personnes interrogées ne savaient pas que la loi de 2005 interdisait l’obstination déraisonnable. Une étude du Centre d’éthique de l’espace clinique de l’hôpital Cochin réalisée en 2009 et 2010 sur 167 personnes et parue en octobre 2011, a révélé que 90 % d’entre elles ignoraient les directives anticipées. La vulgarisation de la loi Leonetti accuse donc un grand retard. Des efforts doivent être donc menés dans plusieurs directions :

 

Continuer à développer les soins palliatifs.

Le programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 poursuit plusieurs objectifs: diffuser les soins palliatifs dans des services où ils étaient peu présents jusqu’à maintenant, c’est-à-dire les unités de soins de longue durée (USLD) et les hôpitaux locaux  et  identifier des lits de soins palliatifs dans les services de soins de suite.  A la notable exception de Rennes, tous les CHU disposent désormais d’une unité de soins palliatifs. En 2012, on compte 6178 lits de soins palliatifs: 4913 lits identifiés (soit 2000 de plus qu’en 2008), 1265 lits d’unités de soins palliatifs pour 105 unités de soins palliatifs et 353 équipes mobiles de soins palliatifs, financées au titre des Missions d’Intérêt Général (MIG) pour assurer un rôle de conseil, d’appui et de soutien aux personnels des unités de soins et des établissements médicosociaux La présence des soins palliatifs dans les EHPAD est également appelée à se développer grâce à l’accroissement des possibilités d’intervention des Équipes mobiles de soins palliatifs, à la diffusion de la culture palliative et à l’expérimentation de la présence d’infirmières de nuit formées aux soins palliatifs dans les EHPAD.

 

Développer les soins palliatifs, c’est également légitimer et diffuser les soins palliatifs en les consacrant au niveau universitaire. Une des conclusions du rapport d’évaluation de loi de 2005 était de favoriser la mise en place de postes de PU-PH en médecine palliative avec, dans un premier temps une création de poste dans chaque inter région puis, à terme, son développement dans chaque faculté. Dix postes de professeurs associés de médecine palliative ont été créés en 2010 et 2011.L’ouverture de postes de chefs de clinique est appelée à aller de pair avec la création de ces postes de professeur associé. En 2012 un master national Soins palliatifs, éthique et maladies graves doit voir le jour.

 

Développer les technologies médicales doit aider à prendre des décisions de limitation ou d’arrêt thérapeutique chez des patients qui ne sont pas en fin de vie comme les patients en état végétatif ou pauci-relationnel. Jusqu’à très récemment il n’était pas possible de porter un pronostic sur ces patients. Les algorithmes prévisionnels, qui combinent IRM multimodale, biologie et électrophysiologie, sont en cours de développement et s’avèrent extrêmement performants, dans la mesure où ils permettront de formuler un pronostic au bout de quelques semaines. Les perspectives offertes par ces nouvelles technologies éviteront de favoriser une obstination déraisonnable et des mauvaises pratiques médicales, qui peuvent générer artificiellement des demandes d’euthanasie.

 

Renforcer les droits des malades

L’existence des droits offerts par les directives anticipées est encore peu connue. Un moyen consistant à leur donner plus d’écho consisterait soit à les intégrer dans un registre national comme pour les refus des dons d’organes, soit à les mettre sur la carte vitale des patients. Mais la prise en compte de la volonté des malades n’est pas seulement affaire d’organisation. C’est aussi affaire de contenu. Les directives anticipées ne peuvent présenter de réel intérêt pour le malade que si elles sont précises, correspondent à une situation médicale donnée et à un traitement. Là encore la réglementation devrait l’énoncer plus précisément qu’elle ne le fait aujourd’hui.

 

Humaniser la mort hospitalière

Resocialiser la mort à l’hôpital où meurent aujourd’hui les deux tiers des malades doit participer d’une démarche collective qui ne se reconnaît pas dans le refoulement de la mort  nourrissant cette revendication du  suicide assisté.

 

La revendication de l’aide à mourir est fondée sur l’autonomie de l’individu, sur sa liberté. Or la vraie liberté de la personne en fin de vie, c’est d’être accompagné, ce n’est pas d’être seul.

Le progrès social se situe plus dans l’évitement de la solitude et l’anonymat de la mort à l’hôpital que dans l’accomplissement d’un geste brutal, qui restera toujours une transgression très difficile à assumer pour celui qui l’effectue, qu’il soit ou non médecin. Le progrès social n’est pas à rechercher dans une loi qui prétendrait ne plus avoir affaire avec la souffrance et le malade, en supprimant la personne. Historiquement le progrès social s’est toujours plus reconnu dans la valeur de solidarité que dans l’individualisme.



[1]  Ce groupe de travail réunit des juristes, des professionnels de santé de la réanimation, des soins palliatifs et des  cancérologues.

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Euthanasie : changer la loi ? http://plusdignelavie.com/?p=1583 http://plusdignelavie.com/?p=1583#comments Tue, 07 Feb 2012 08:23:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1583 Pierre Le Coz

Maître de conférences en philosophie, Aix-Marseille Université 

 

À l’occasion de l’élection présidentielle, certains candidats promettent un nouveau cadre législatif qui dépénalisera l’euthanasie. À la demande d’un homme atteint d’une maladie incurable, la société autorisera de répondre par l’administration d’une substance létale afin qu’il puisse mourir dans la dignité. Il . . . → Read More: Euthanasie : changer la loi ?]]> Pierre Le Coz

Maître de conférences en philosophie, Aix-Marseille Université 

 

À l’occasion de l’élection présidentielle, certains candidats promettent un nouveau cadre législatif qui dépénalisera l’euthanasie. À la demande d’un homme atteint d’une maladie incurable, la société autorisera de répondre par l’administration d’une substance létale afin qu’il puisse mourir dans la dignité. Il est vrai qu’en ces temps de crise économique, il est plus facile aux responsables politiques de nous promettre un droit de mourir qu’un droit de vivre dans la dignité.

Pour autant, de la part d’esprits qui se veulent progressistes, on aurait pu s’attendre à un peu plus de prudence. On leur rappellera la mise en garde de Montesquieu : « On ne doit légiférer que d’une main tremblante. » 

Historiquement, on doit aux pères fondateurs du socialisme d’avoir alerté les consciences sur le poids de l’argent dans la déshumanisation des relations au sein de la cité. Est-il opportun d’envisager de légaliser l’euthanasie à une époque de grand désarroi, sur fond de pauvreté sociale et de niches fiscales, où le seul projet de notre société se ramène à éponger la dette publique pour éviter au pays de sombrer dans la faillite ?

 

Dans ce monde de guerre ultralibérale de tous contre tous, autoriser un homme à en faire mourir un autre permettrait de retrouver foi en l’idée de « progrès ». Le maintien de l’interdit de donner la mort, en revanche, serait le résidu d’une mentalité judéo-chrétienne, entretenue par le conservatisme de quelques esprits rétrogrades.

En ce cas, néanmoins, comment expliquer qu’à l’échelle mondiale, il n’existe aucun pays démographiquement comparable au nôtre qui ait admis une loi autorisant l’euthanasie ? Par leur esprit de sollicitude et de fraternité, les soignants et les aidants quotidiennement présents auprès des malades en fin de vie nous délivrent un message humaniste qui n’en revêt qu’une plus grande valeur symbolique : l’euthanasie n’est pas la seule alternative à l’acharnement thérapeutique.

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Un centre de ressources consacré aux soins palliatifs http://plusdignelavie.com/?p=1403 http://plusdignelavie.com/?p=1403#comments Thu, 01 Dec 2011 09:22:36 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1403 Le Centre national de ressources soin palliatif, tenu par la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon, propose un service d’information et de documentation consacré :

Au soins palliatifs : soins infirmiers, maladie grave, douleur, symptômes et traitements, accompagnement psychologique et spirituel, dimension éthique, aspects juridiques et administratifs, formation et pédagogie ; A la mort . . . → Read More: Un centre de ressources consacré aux soins palliatifs]]>
Le Centre national de ressources soin palliatif, tenu par la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon, propose un service d’information et de documentation consacré :

  • Au soins palliatifs : soins infirmiers, maladie grave, douleur, symptômes et traitements, accompagnement psychologique et spirituel, dimension éthique, aspects juridiques et administratifs, formation et pédagogie ;
  • A la mort : histoire, anthropologie, philosophie, psychanalyse, esthétique, droit, sociologie ;
  • Au deuil : deuil périnatal, veuvage, suicide, etc.

Plaquette de présentation (présentation des ressources, tarifs d’accès,…)

Le CNDR Soin Palliatif dispose également d’un service d’Écoute et d’Information des publics, un service de formation et un atelier des projets.

Il dispose également d’une plateforme interactive de référence  incluant le portail documentaire VigiPallia : www.soin-palliatif.org
Cette plateforme s’adresse autant aux particuliers qu’aux professionnels sur les questions de fin de vie, de soins palliatifs, de mort et deuil.

Pour tout contact :

Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon
Centre National De Ressources Soin Palliatif, Information et Documentation
35 rue du Plateau, 75019 Paris
Mail : [email protected]
Tél : 01.53.72.33.10
http://vigipallia.org

http://www.soin-palliatif.org/

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Prix Pierre Simon – Éthique et société 2011 http://plusdignelavie.com/?p=1394 http://plusdignelavie.com/?p=1394#comments Tue, 29 Nov 2011 16:14:28 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=1394 Depuis sa création en 2007, la soirée de remise du prix Pierre Simon – Éthique et société s’est imposée à travers les années comme un rendez-vous obligé de « l’éthique en acte ». Les prix sont remis aux récipiendaires dans le cadre d’un échange avec un membre du jury qui permet de . . . → Read More: Prix Pierre Simon – Éthique et société 2011]]> Le Prix

Depuis sa création en 2007, la soirée de remise du prix Pierre Simon – Éthique et société s’est imposée à travers les années comme un rendez-vous obligé de « l’éthique en acte ». Les prix sont remis aux récipiendaires dans le cadre d’un échange avec un membre du jury qui permet de mieux cerner les enjeux éthiques d’une recherche, d’une réflexion ou d’un engagement.

La seconde partie de la soirée est consacrée à une conférence : une personnalité présente sa conception de l’éthique.

 

L’édition 2011 de ce Prix de référence aura lieu :

Mardi 13 décembre 2011 de 19H à 21H

au Ministère de la Santé

8, avenue de Ségur – 75007 Paris

 

Inscription obligatoire à cette adresse

 Programmation de l’édition 2011 (PDF)

Présentation du Prix (PDF)

Le site du Prix Pierre Simon

Inscriptions

 

Sélection 2011

 

Éthique & recherche

  • Décisions cruciales en réanimation néonatale
    Laurence Caeymex, université Paris Sud, 2011
  • La relation médecin-patient-aidant dans la maladie d’Alzheimer
    Cédric Bornes, université Paris Descartes, 2010
  • La démarche éthique dans les pratiques psychiatriques institutionnelles
    Nicole Cano-Gavaudan, université de la méditerranée, 2010
  • Les experts de l’intime et les femmes, médecins et démographes en France de 1945 à 1975
    Frédérique Liotard-Schneider, université Paris Ouest – Nanterre La Défense, 2010

 

Éthique & réflexion

  • Éthique du soin ultime
    Jacques Ricot, Presses de l’EHESP, 2010
  • La pudeur et le soin
    Sous la direction de Bruno Py, Presses universitaires de Nancy, 2011
  • La Blessure et la force
    Philippe Barrier, PUF, 2010
  • Éléments pour une éthique de la vulnérabilité – Les hommes, les animaux, la nature
    Corine Pelluchon, Cerf, 2011
  • La Reine Alice
    Lydia Flem, Seuil, 2011
  • Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre nazie
    Christian Ingrao, Paris, Fayard, 2010
  • La philosophie du porc et autres essais
    Liu Xiaobo, Gallimard, 2011
  • Qui écrira notre histoire ? : les archives secrètes du ghetto de Varsovie
    Samuel D. Kassow, Grasset, 2011

 

Éthique & société

  • Lia Cavalcanti
    Fondatrice et directrice de l’Association Espoir goutte d’Or (Paris)
  • Antoine Gapapon
    Magistrat, producteur à France Culture, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice
  • Jean-Pierre Dupuy
    Professeur à l’université de Stanford
  • Blandine Prevost
    Association Ama Diem (ouverture d’une maison d’accueil pour jeunes malades atteints de la maladie d’Alzheimer)
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