Plus digne la vie » partage http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2999 0
Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin » http://plusdignelavie.com/?p=2910 http://plusdignelavie.com/?p=2910#comments Tue, 28 Jul 2015 09:05:20 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2910 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà . . . → Read More: Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà des péripéties judiciaires et des controverses suscitées par l’état de handicap de M. Vincent Lambert, d’autres valeurs devaient être mobilisées que celles bien discutables car peu constructives de la compassion collective. Il nous faut renforcer notre vigilance lorsque les arbitrages et les équivoques menacent ce qui nous paraît essentiel. Notre engagement d’aujourd’hui concerne les droits fondamentaux de personnes plus vulnérabilisées aujourd’hui que jamais du fait de la décision de la CEDH : dépendantes d’un handicap lourd, elles risquent d’être exposées à des renoncement auxquels notre société consentira désormais sans état d’âme. Voire par esprit de justice, par charité témoignée à des personnes dont la mort semblerait, dans certaines circonstances, préférable à ce qu’aurait pu être, de notre part, la manifestation d’une sollicitude concrète à leur égard dans leur parcours de vie : aussi énigmatique et difficile soit-il. Une même attention doit être consacrée aux proches, à ces familles qui vivent au quotidien une implication sans faille : résolues dans leur présence qui signifie l’amour, la fidélité et un refus de l’abandon, elles restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité. C’est désormais ce que nous renonçons à admettre, indifférents à la violence de certaines décisions qui compromettent les conditions mêmes du vivre ensemble. Tel serait le premier enseignement que je tire des arrêts rendus par la CEDH ou le Conseil d’État le 24 juin 2014. Je ne les discute pas, respectueux de la chose jugée. Il me semble plutôt important de tenter de mieux comprendre ce qui les a justifiés, les évolutions ou les abandons qui les ont rendu possibles et tolérables, leurs conséquences s’agissant du droit des personnes en état de conscience minimale ou en état d’éveil sans réponse ; à quel type de responsabilités ils nous engagent désormais.
L’exigence éthique me semblait justifier une implication, en ce moment, des instances nationales qui ont mission de la promouvoir et de la partager dans le cadre d’une concertation nationale favorisant une nécessaire pédagogie et une appropriation par chacun des conditions d’exercice d’une responsabilité partagée. Parfois même, de défendre les principes, nos inconditionnels, dans les circonstances qui le justifient. Comme ont le courage de le faire ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel leur semble en péril. Je rends hommage à ces militants de la démocratie, à leurs engagements individuels ou dans le cadre d’organisations non gouvernementales : ils nous permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique. Ils inspirent certaines de mes résolutions certes plus modestes ; je pense à cet égard à Jonathan M. Mann qui a su penser et incarner les relations évidentes entre la santé et les droits de l’homme. Au cœur des années sida il a initié à l’OMS un modèle éthique de l’approche en santé publique, pour ne pas dire en santé politique. Il inspire au quotidien mon action et demeure présent dans ce que j’ai mis en œuvre dans le champ de l’éthique.

Des des choix qui vulnérabilisent nos valeurs

De fait, les positions exposées par nos instances d’éthique, sur saisine du Conseil d’État en 2014, n’ont pas prévalu dans les deux arbitrages relatifs à l’existence de M. Vincent Lambert. Ne seront retenues comme une jurisprudence, que les conclusions validant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation engagé au CHU de Reims le 10 avril 2013, avant d’être interrompu sur décision de justice un mois plus tard. Les nuances d’une approche circonstanciée, d’une argumentation rigoureuse et empreinte d’humanisme dans l’arrêt de la CEDH n’ont pas été en mesure ce 5 juin de pondérer l’impatience parfois indécente des partisans de l’abrégement hâtif de l’existence de M. Vincent Lambert. N’aurait-il pas été opportun que nos « sages » puissent estimer nécessaire de rappeler dans un document commun, les principes qu’ils ont su affirmés avec justesse dans leurs observations à l’intention du Conseil d’État ? Qui avait davantage légitimité qu’eux à intervenir avec mesure, pour redire la précaution qui s’impose aujourd’hui, et sauvegarder ainsi les intérêts supérieurs des personnes dont la survie, comme pour M. Vincent Lambert, tient désormais au fil d’une interprétation extensive de ces deux arrêts de justice ? Leur silence interroge ; il peut inquiéter certains, même si à titre personnel je leur maintiens toute ma confiance.
Dans le contexte actuel de fébrilité, j’ai l’imprudence de suggérer qu’on préserve au moins les formes au nom de la dignité, face à ceux qui clament « avoir gagné » avec une impudeur dont personne ne s’offusque. Faut-il se résoudre à admettre que ce ne serait pas aussi de l’éthique « institutionnelle » que l’on est en droit d’attendre actuellement, alors qu’il y a urgence, l’accompagnement indispensable ? D’autres initiatives s’imposeront demain pour explorer ce que la réflexion éthique peut apporter à l’analyse des circonstances présentes. Pour ce qui me concerne j’estime, avec d’autres, de l’ordre de nos obligations de contribuer à cet engagement.
Pour mémoire, quelques brèves références qui m’incitaient à penser que les instances nationales d’éthique ne devaient pas renoncer à témoigner de leurs réflexions tellement attendues aujourd’hui. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait présenté le 5 mai 2014, à la demande du Conseil d’État, ses observations à propos de M. Vincent Lambert. Avec une intelligence, une prudence et une minutie qui honorent cette instance, les membres du CCNE ont développé dans un document de 38 pages un raisonnement d’une qualité impressionnante. La retenue, la prudence s’imposent, affirment-ils, au regard de ces situations de vulnérabilité : elles en appellent, sans la moindre concession possible, à nos devoirs d’humanité. Une affirmation tirée de cette réflexion éclaire et interroge particulièrement dans le contexte présent : « Le CCNE considère que la distinction entre traitements et soins mérite à tout le moins d’être interrogée quand il s’agit de nutrition et d’hydratation artificielles, en particulier pour une personne hors d’état de s’exprimer et qui n’est pas en fin de vie. » Pour sa part, dans sa « réponse à la saisine du Conseil d’État » le 22 avril 2014, l’Académie nationale de médecine rappelait « qu’aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne, qu’il a mission de soigner, à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle. » Enfin, s’agissant des « observations du Conseil national des médecins », essentiellement déontologiques, la conclusion semble désormais trouver une certaine pertinence pratique, même s’il convient de se demander si au-delà des bonnes pratiques il ne faut pas être tout autant attentif au cadre dans lequel interviendrait cette sédation terminale : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins estime devoir ajouter, au nom du principe humaniste de bienfaisance, qui est un des piliers de l’éthique médicale, qu’une fois la décision prise d’interrompre les moyens artificiels qui maintenaient la seule vie somatique, une sédation profonde doit être simultanément mise en œuvre, permettant ainsi de prévenir toute souffrance résultant de cette décision. »
Ces réflexions relatives à une approche éthique des circonstances éprouvées par M. Vincent Lambert, ainsi que d’autres personnes en état dit d’éveil sans conscience, nous sont précieuses, au même titre du reste que les considérations humanistes si justement abordées par les juges du Conseil d’État et de la CEDH. J’observe à ce propos l’argumentation substantielle et courageuse, mais qui n’a pas pu prévaloir, des juges de la CEDH qui ont refusé d’adhérer aux conclusions de la Grande chambre. Il conviendra de les reprendre demain, de les approfondir ensemble afin de mieux préciser ce que sont nos obligations éthiques, nos engagements de démocrates là où la vulnérabilité humaine vulnérabilise jusqu’à nos principes d’humanité. Car, c’est évident, nous avons le sentiment d’une fragilité supplémentaire de notre société, d’une précarisation qui s’ajoute à tant d’autres, dès lors qu’elle hésite et vacille face à l’essentiel, à ce qui lui est constitutif. C’est le cas à propos de M. Vincent Lambert, lorsqu’elle renonce à considérer que ses responsabilités peuvent aussi se penser autrement qu’en consentant, comme elle le fait publiquement et dans les conditions incertaines que l’on sait, à la mort de l’autre estimée en fait comme la solution qui s’impose, comme « la bonne solution ». Sans du reste que personne n’ait pu véritablement, je veux dire indubitablement nous assurer qu’il s’agissait du choix profond de M. Vincent Lambert. Nous sommes inquiets aujourd’hui pour ces personnes vulnérables dans le handicap et la maladie dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Si même elles avaient rédigé des directives anticipées favorables au maintien de leur existence, y compris en des situations extrêmes, y donnerait-on droit désormais ? Je précise que ces observations spécifiques ne concernent en rien les circonstances de fins de vie dans des état de souffrances réfractaires à tout apaisement : je comprends qu’elles justifient une assistance médicalisée telle que la prescrit la loi du 22 avril 2002 relative aux droits des malades et à la fin de vie. J’en arrive même à admettre que la loi qui dans quelques mois proposera une nouvelle conception de l’assistance médicalisée en fin de vie, devrait parvenir jusqu’au bout de la logique qui l’inspire. Il me semblerait ainsi préférable et loyal que demain soit dépénalisée la pratique de l’euthanasie, plutôt que de l’instaurer de manière subreptice au risque de dérives et de contentieux qui accentuent les défiances et les vulnérabilités.

« Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »

Pour conclure j’estime pour ce qui me concerne justifié, comme citoyen, d’émettre quelques propositions concrètes qui pourraient ne pas être négligées a priori par ceux qui désormais ont pour responsabilité de décider des conditions de la fin de vie de M. Vincent Lambert. Après le temps de la décision judiciaire, j’ai sollicité les trois instances nationales évoquées précédemment afin qu’elles rendent possible un temps de l’éthique. Ce moment indispensable de pause et de réflexion partagé, autre qu’une médiation, pourrait permettre à chacun d’être en capacité d’assumer et d’accepter, dans le respect et avec une certaine sérénité, la décision d’accompagnement dans la mort de M. Vincent Lambert dès lors qu’elle paraitrait inévitable. Revient, me semble-t-il à nos instances d’éthique, la mission d’être présentes, en ces circonstances, auprès de M. Vincent Lambert, de ses proches et des professionnels à ses côtés, garantes ainsi des conditions d’un processus décisionnel profondément soucieux des valeurs et des positions de chacun.
Quelques questions demeurent posées auxquelles il conviendrait de trouver des réponses fondées. Les arrêts de la CEDH et du Conseil d’État révoquent-ils l’opportunité d’une nouvelle délibération collégiale ? Tout semblerait indiquer le contraire, y compris ces deux arrêts qui éclairent, après les expertises éthiques et scientifiques, des domaines qui nécessitaient des approfondissements. D’autre part, est-il respectueux à l’égard des professionnels intervenant auprès de M. Vincent Lambert depuis des années et déjà soumis aux injonctions contradictoires de décisions de justice, d’exiger de leur part qu’après deux années de « nursing d’attente » leur revienne de surcroit la mission d’accompagner le protocole de sédation profonde et continue ? J’estime qu’on leur doit à cet égard également une considération d’autant plus impérieuse qu’ils ont maintenu des mois durant une relation de soin avec une exigence de qualité, dans un contexte à la fois délicat et limitatif. Enfin et surtout, même si désormais sa vie ne tient plus qu’au fil des derniers arbitrages qui seront rendus, ne convient-il pas de permettre à M. Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier de l’hospitalité apaisée et confiante d’un établissement qui ne soit pas l’hôpital Sébastopol ? Là où, dans le contexte que l’on sait, se sont développées les circonstances qui nous consternent aujourd’hui, et alors que l’un des protagonistes de cette tragédie humaine affirmait sur France Info, de manière triomphale et sans la moindre retenue, qu’il considère comme une victoire de la « démocratie sanitaire » l’arrêt de la CEDH et donc la délivrance de M. Vincent Lambert…
Je veux dire, pour conclure, ma considération et ma sollicitude à celles et à ceux qui, directement ou indirectement, se sont trouvés ainsi impliqués dans un désastre dont on ne cerne que difficilement la portée. Qu’ils acceptent de comprendre que les positions que j’ai soutenues avec infiniment de respect à l’égard de M. Vincent Lambert et d’autres personnes confrontées à l’impensable et au si difficilement tolérable, sont celles que l’on se doit de tenir pour un proche en humanité. Si mes propos leurs sont apparus blessants, je leur prie de bien vouloir accepter mes excuses. J’ai le sentiment, contrairement à d’autres, que nous « avons perdu » avec cette conclusion du chapitre judiciaire, et qu’il y a urgence à analyser avec courage ce que signifie pour une société ce verdict de justice. Je suis convaincu que notre démocratie gagne à ce que l’on ne se satisfasse pas, dans un unanimisme complaisant et donc inquiétant, de résolutions qui pour le moins justifient qu’on en comprenne les justifications et les mobiles profonds. Que l’on en débatte ensemble afin de ne pas nous y enliser. Il nous faut désormais tirer les leçons du 5 juin, ne serait-ce que pour donner sens à ce temps d’attente et d’incertitudes qui, depuis 2013, a conditionné l’existence de M. Vincent Lambert aux péripéties de décisions judiciaires et d’un débat de société susceptibles d’affecter jusqu’à sa dignité même.
Avec d’autres personnes qui partagent ce point de vue nous avons décidé de prendre une initiative : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin ». Il nous faut avoir l’envie de renforcer nos solidarités, notre conception du bien commun, au moment où tant de signes en appellent au courage de l’engagement vrai.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2910 0
Fin de vie : pour une évolution législative justifiée http://plusdignelavie.com/?p=2890 http://plusdignelavie.com/?p=2890#comments Sat, 10 Jan 2015 15:13:04 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2890 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition . . . → Read More: Fin de vie : pour une évolution législative justifiée]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Ce temps d’écoute, de dialogue et d’approfondissement était nécessaire : il témoigne d’une exigence de respect, de prudence et de rigueur qui honore notre vie démocratique. Au-delà de la saisine de compétences convenues dans le champ de la santé et de la réflexion éthique, l’intelligence de cette approche politique aura été de favoriser l’émergence d’expressions trop souvent négligées dans le débat public. Au cours de ces deux années les postures se sont estompées, chacun prenant conscience de l’opportunité qu’il y avait à renoncer aux positions par trop marquées par l’idéologie ou des convictions réfractaires à l’analyse justifiée d’une réalité qui a évolué depuis 2005. Car contrairement aux idées reçues, la loi du 22 avril 2005 s’est implémentée dans le cadre des pratiques soignantes et a, plus qu’on ne l’admet, contribué à une pédagogie sociétale. Son évolution mesurée s’impose aujourd’hui comme le nécessaire ajustement de principes intangibles inspirés par les valeurs que nous partageons. Il me semble donc important de reconnaître la valeur et la signification de ce processus de délibération qui a été mené dans la transparence, avec pour souci d’associer, dans un esprit d’ouverture, le pluralisme des expériences, des expertises et des points de vue, sans concession, sans soumission, avec courage : de manière exemplaire. Cette démarche aboutie a rendu possible l’approche minutieuse de responsabilités complexes, délicates, relevant de nos devoirs d’humanité. Ainsi pouvons-nous dépasser ensemble le stade de controverses, de revendications, de positionnements figés qui s’avèrent aujourd’hui totalement dépassés, d’une autre époque.
La méthode choisie par le président de la République a situé le débat à son niveau d’exigence, renonçant aux slogans et aux sondages pour leur préférer l’argumentation, le discernement, la pondération et la concertation. Dans un premier temps la mission de réflexion sur la fin de vie a su recueillir avec justesse les ressentiments et les attentes suscités par la confrontation personnelle ou professionnelle au « mal mourir ». Remis le 19 décembre 2012, son rapport détaille les multiples circonstances de la fin de vie en France et soumet à une critique solidement étayée les hypothèses d’évolutions législatives avec leurs portée et conséquences possibles. Reprenant ce document de référence et répondant à de nouvelles questions formulées par François Hollande, dans leur avis n° 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » (1er juillet 2013) les membres du Comité consultatif national d’éthique poursuivent l’investigation, affinent les analyses et examinent avec précision les différentes options de ce que serait une approche de « l’assistance médicalisée en fin de vie » si, notamment, y étaient intégrés le suicide médicalement assisté ou l’euthanasie. Le 20 juin 2014 le Premier ministre confie enfin à deux parlementaires une mission visant à préparer un texte de loi relatif à l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie » qui est présentée le 12 décembre au chef de l’État, et non une loi qui dépénaliserait l’euthanasie. Depuis le début de la concertation nationale, aucune instance n’a en effet exprimé une position favorable à une telle mutation législative, même si la notion « d’exception d’euthanasie » aura été évoquée, strictement encadrée, sans pour autant justifier sa transposition dans la loi. Cette proposition de loi procède d’un travail d’élaboration profondément respectueux de la singularité de circonstances intimes et ultimes qui sollicitent, face aux vulnérabilités existentielles, une solidarité profonde, un « engagement solidaire ». Ne serait-ce qu’à cet égard, sa légitimité s’avère indiscutable.

 

Valeurs engagées dans la proposition de loi

La conclusion de ce temps de mise en commun, au cœur de la cité, d’un questionnement à tant d’égards inédit et si délicat à instruire dans un contexte sécularisé et médicalisé, peut surprendre ou décevoir ceux qui depuis des années entravent la mise en œuvre de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ses détracteurs ont en effet décidé qu’elle n’était que transitoire, avant son abrogation et le vote d’une loi dépénalisant l’euthanasie. Pour les deux parlementaires qui présentent cette proposition de loi (Alain Claeys et Jean Leonetti), il convient davantage en effet de rendre effectifs les droits de la personne malade déjà affirmés dans trois lois (9 juin 1999, 4 mars 2002, 22 avril 2005) que de se fixer l’objectif d’un texte législatif qui renoncerait à proposer un cadre conforme aux valeurs de dignité et de respect qu’incarne l’idée de démocratie. Tel est le véritable défi politique des semaines qui viennent, puisqu’un débat parlementaire est annoncé pour janvier 2015 suivi d’une loi vers mars : nos parlementaires doivent saisir la teneur et l’urgence des enjeux présents. Faute de quoi demain, par défaut de résolution, de mobilisation, de compétences, de dispositifs et de moyens il est évident que l’épreuve du « mal mourir » en France conduira inévitablement à décider d’une gestion administrative de la fin de vie en recourant notamment à la pratique de l’euthanasie. Au-delà de tout esprit partisan, au cours cette instruction publique menée depuis deux ans auront été confirmées la valeur et la pertinence de cette approche humaniste, juste et prudente de nos engagements auprès de celui qui meurt. Celle que s’est choisie avec la loi du 22 avril 2005 le pays inspirateur des droits de l’homme : elle constitue du reste une référence reprise dans nombre de pays.
Il me semble important de prendre en compte la signification politique des positions affirmées dans le préambule de la proposition de loi qui sera discutée début 2015 au parlement : « Cette longue marche vers une citoyenneté totale, y compris jusqu’au dernier instant de sa vie, doit déboucher vers la reconnaissance de nouveaux droits. À la volonté du patient, doit correspondre un acte du médecin. » (…) « Ces nouveaux droits nous semblent répondre à la volonté des Français de sauvegarder leur autonomie et de mourir de façon apaisée. » Les valeurs de dignité et de liberté sont posées comme les principes à honorer dans des circonstances où, parfois, l’évolution d’une maladie avec ses conséquences sur l’intégrité de la personne semble les compromettre : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour satisfaire ce droit. » Dans l’exercice de cette « citoyenneté totale » aucune option n’est privilégiée, de telle sorte que chacun peut se déterminer selon ses préférences pour autant qu’il ne sollicite pas de l’équipe médicale une euthanasie et qu’il ne soit pas contraint à décider par défaut. Ainsi l’accès aux soins de support et aux soins palliatifs doit pouvoir constituer une alternative tangible. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France, par manque de dispositifs dédiés tant en institution qu’au domicile et tout autant de formations appropriées. François Hollande a annoncé à ce propos un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, ce qui témoigne de sa volonté de promouvoir cet autre droit que représente la possibilité de bénéficier des soins d’accompagnement en toutes circonstances.

 

Ce que permettra la sédation profonde et continue

Un des aspects particulièrement sensible de la proposition de loi concerne la sédation profonde et continue : elle relèvera d’un droit reconnu à la personne atteinte « d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme (qui) présente une souffrance réfractaire au traitement » ou « d’une affection grave et incurable, (qui a décidé) d’arrêter un traitement, (ce qui) engage son pronostic vital à court terme ». Ce « traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » sera mis en œuvre à la demande de la personne. Elle en formulera la demande ou en aura exprimé la volonté dans la rédaction de ses directives anticipées qui s’imposeront « au médecin, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ». Ces directives deviendront ainsi « opposables » alors que dans la précédente loi elles constituaient seulement un avis ou une recommandation à prendre en compte pour orienter une délibération médicale collégiale, au même titre que la position exprimée par la personne de confiance.
La sédation profonde et continue à la demande d’une personne éprouvant une « souffrance réfractaire au traitement » ou atteinte d’une affection grave et incurable qui « engage son pronostic vital à court terme », représentera une évolution marquante dans les pratiques. L’appréciation des conditions d’indication de la sédation pourra en effet relever de critères personnels qui doivent être respectés, sans pour autant qu’ils interviennent dans le contexte limitatif du stade terminal d’une maladie. Cette conception de la « sédation terminale » applicable à des circonstances qui pourraient a priori ne pas relever au sens strict de la fin de vie est complétée par deux articles de la proposition de loi que certains ne manqueront pas de considérer comme une sorte d’ouverture possible vers ce que serait, faute d’encadrement précis, une logique d’euthanasie (dissimulée) : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement. » ; « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. » En pratique l’équipe médicale se verra entravée de toute faculté d’appréciation de la recevabilité de la décision de la personne malade, ce qui ne manquera pas d’avoir une conséquence discutable sur les pratiques professionnelles, ne serait-ce que du point de vue de la signification même de l’engagement dans le soin. À cet égard il conviendra d’être attentif aux conséquences de la loi dans le contexte, par exemple, d’une tentative de suicide.
C’est dire à quel point cette proposition de loi ne se limite pas à la reformulation superficielle et opportuniste de certains aspects de la loi du 22 avril 2005. Elle tire de son évaluation critique des avancées significatives susceptibles de répondre y compris aux quelques circonstances qui justifiaient de nouvelles dispositions. À ce propos l’irruption en 2014, au cours de la concertation nationale, de la situation de M. Vincent Lambert, a suscité des clarifications d’autant plus justifiées que le Conseil d’État y a consacré le 24 juin 2014 une décision contentieuse. Encore serait-il indispensable de ne pas assimiler sans une extrême prudence certains états de handicaps sévères ou de maladies neurologiques dégénératives à une approche relevant sans autre discussion d’une législation relative à la fin de vie. Un encadrement rigoureux s’imposera pour éviter les interprétations abusives ou extensives d’un des articles de cette proposition de loi : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées, il recueille le témoignage de la personne de confiance et à défaut de tout autre témoignage de la famille ou des proches. »

 

Pour une « assistance socialisée en fin de vie »

L’heure n’est pas encore d’analyser dans le détail une proposition de loi qui risque d’être soumise dès janvier aux controverses politiciennes et aux pressions partisanes convaincues de l’urgence d’aller plus loin et de dépénaliser l’euthanasie. Il est toutefois important, en démocrate, de considérer les conclusions de cette concertation nationale comme l’affirmation de valeurs fortes à propos desquelles on se saurait transiger. Il convient de créer les conditions favorables non seulement à l’appropriation de nouveaux droits reconnus à la personne malade jusqu’au terme de sa vie, mais également à l’affirmation de nos devoirs d’humanité là où nos responsabilités humaines et sociales sont engagées. Car ce n’est pas l’énoncé de procédures, de protocoles et de dispositifs administratifs, voire notariaux qui apportera ce supplément d’humanité et de sollicitude revendiqué comme un besoin fondamental lorsque nous sommes confrontés à la maladie grave, aux handicaps, à la souffrance et à la mort. À elle seule l’anticipation de circonstances si difficiles à se représenter et à assumer n’est en rien garante de notre faculté d’exercer de manière autonome une maîtrise idéalisée sur des circonstances qui par nature défient nos certitudes et rendent inconsistantes nos tentations de contrôle, notre « volonté de puissance ». Cette évocation ou formulation d’une sédation profonde et continue que certains dénomment déjà « sédation palliative », « sédation terminale » ou « sédation euthanasique » n’évite pas d’interroger ce qu’il en adviendra des conditions mêmes de l’accompagnement, de la relation de soin dès lors qu’y renoncer et y mettre un terme anticipé pourra constituer la manière « digne » et « apaisée » de se détacher des vivants. Cette ritualisation de l’endormissement jusqu’à ce que la mort advienne dans cette forme d’apparente sérénité, pourra bien vite perdre toute justification au point de rendre davantage impatient de la mort et de contester cette prolongation d’une existence ainsi dépouillée de la moindre signification. S’y ajouteront, à n’en pas douter, toutes sortes de normes, de suggestions, de contraintes (y compris d’ordres gestionnaires et économiques) qui influeront sur la faculté d’autodétermination notamment des plus vulnérables parmi nous. L’exigence de vigilance s’impose donc à chacun d’entre nous, en dépit de notre intime conviction de la justesse du cadre législatif proposé, attentif à prévenir les dérives et profondément respectueux de la personne dans son humanité et ses valeurs.
Les évolutions législatives qui seront discutées au parlement début 2015 procèdent d’une approche responsable des aspirations à l’autonomie et à la responsabilisation : il convient aujourd’hui de les reconnaître comme les droits fondamentaux (bien que trop souvent formels) de la personne malade. Le défi est donc celui de leur effectivité, ce qui tient certes à une volonté politique mais tout autant à notre capacité d’affronter notre finitude, d’assumer les conditions d’exercice de nos responsabilités sur la vie sans les déléguer à un « acte du médecin », y compris consenti. Il serait pernicieux que les extensions envisagées de la loi du 22 avril 2005 ne soient pas accompagnées d’une mobilisation sociétale qui permette de penser et de vivre la maladie ainsi que la fin de vie en société : reconnu dans une « citoyenneté totale ». Le défi politique ne se limite donc pas à proposer une loi relative aux « droits des malades » ou à « l’assistance médicalisée en fin de vie », là où devrait tout autant être pensée et assumée ensemble « une assistance socialisée en fin de vie ».

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2890 0
Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée http://plusdignelavie.com/?p=2829 http://plusdignelavie.com/?p=2829#comments Wed, 24 Sep 2014 08:50:43 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2829 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu . . . → Read More: Fin de vie de Titouan, une controverse publique injustifiée]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Mélanie et Aurélien se sont trouvés dans une situation de solitude et d’incommunicabilité qui, pour eux, ne pourrait trouver d’issue favorable à leur demande d’interruption de la réanimation néonatale de leur enfant, qu’en saisissant l’opinion publique. Un communiqué de presse du CHU de Poitiers a conclu le 18 septembre 2014 cet épisode douloureux : « L’état de santé du nouveau-né s’est dégradé ces dernières heures et les modalités d’accompagnement de fin de vie ont été définies en associant la famille. » Chacun aura sa propre interprétation des conditions et du contexte dans lesquels intervient cette décision éclairée par le second avis d’une équipe médicale du CHU Henri Mondor (AP-HP) et de la consultation de l’Espace de réflexion éthique de la région Poitou-Charentes. Il nous est rappelé que les bonnes pratiques professionnelles de la réanimation d’attente ont été respectées, et c’est certainement sur la base de critères d’évaluation scientifiques incontestables que le processus décisionnel aboutit au renoncement de poursuite des soins.

Dès sa naissance, le 31 août, ce nouveau-né a bénéficié de l’expertise et des compétences de professionnels conscients des dilemmes auxquels confronte la réanimation dans un contexte de détresse vitale. Cela d’autant plus que depuis 15 ans la naissance de prématurés a progressé de 45 %. Les progrès de la réanimation néonatale, les conséquences des procréations médicalement assistées, l’âge tardif de certaines grossesses expliquent ce phénomène. Chaque jour 180 enfants naissent dans ce contexte plus ou moins extrême de la prématurité. Un consensus international s’est établi pour ne pas entreprendre de réanimation avant 23 semaines de grossesses.

Chacun peut s’imaginer le désarroi et parfois l’effroi de parents qui espéraient l’heureux événements, découvrant un nouveau né si différent de leur représentation idéalisée du bébé, assisté par des moyens techniques invasifs que l’on peut assimiler à une forme de démesure biomédicale. Dans un avis du 14 septembre 2000 (avis n° 65, « Réflexions autour de la réanimation néonatale » le Comité consultatif national d’éthique détaille avec beaucoup de justesse les enjeux de cette phase si délicate, pourtant nécessaire à l’observation de l’enfant et à l’arbitrage d’un pronostic. Il reprend le travail de qualité réalisé notamment par les sociétés savantes (commission éthique de la Société française de néonatalogie) et d’autres instances conscientes de l’importance d’un cadre réflexif permettant d’instruire des décisions qui relèvent en toutes circonstances d’une approche contextuelle au cas par cas. Prendre en compte l’intérêt direct d’un enfant qui ne peut en aucun cas exprimer son choix (si ce n’est en démontrant une telle volonté de vie qu’il déjoue parfois les pronostics et évolue plus tard dans son existence avec une combativité forgée dans cette expérience), tout en créant les conditions d’une relation confiante et attentionnée avec les parents qui doivent être en capacité de se situer au regard de décision auxquelles rien de les prépare, relève de procédures partagées par l’ensemble des équipes de néonatalogie.

Les quelques témoignages recueillis depuis l’irruption sur la scène publique de la demande de ces parents qui refusaient « une vie de handicapé » pour leur enfant et dénonçaient ce qu’ils interprétaient comme de l’acharnement thérapeutique, ont permis de bien saisir la complexité de l’arbitrage d’une décision qui doit concilier les droits de l’enfants avec ce que des parents peuvent estimer supportable ou non au regard de leurs valeurs propres, de leurs représentations voire de leurs capacités à affronter la lourdeur d’une « prise en soin » qui aura un impact décisif sur leurs choix personnels de vie. Les dilemmes ne tiennent pas du reste qu’à la revendication de parents qui souhaitent une interruption rapide de la réanimation. Dans bien des cas, ce sont eux qui demandent que soient maintenues les stratégies thérapeutiques, y compris lorsque les médecins estiment que le seuil des traitements disproportionnés est atteint, qu’il serait vain, voire pernicieux de poursuivre.

Il importe de préciser qu’en phase de réanimation d’attente (elle peut se situer sur une durée de plusieurs semaines), le confort de l’enfant est assuré, que sa surveillance constante est assurée par des équipes attentives à sa qualité de vie, que des sédatifs sont administrés si nécessaire pour éviter la moindre douleur. Mais un point essentiel de ce qui se vit dans ces longs moments tient à cette relation si particulière et forte qui se noue avec un être vulnérable, engageant les parents et les soignants dans un rapport de proximité et de sollicitude qui conditionne aussi les décisions qui seront prises.

Dans cette  environnement très technique, des échanges, des partages, avec également le soutien de psychologues, permettent d’ajuster les points de vue, d’aller plus avant dans le questionnement afin de mieux saisir les enjeux de circonstances difficilement pensables et d’appréhender le champ de responsabilités qu’il conviendra, au juste moment, d’assumer.

Il est important qu’après ce temps indispensable à l’investigation clinique, à l’évaluation des données scientifiques et des critères qui vont prévaloir dans la prise de décision, l’arbitrage relève d’une procédure collégiale et finalement d’une position médicale. Comme cela est prescrit dans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mais également pour que les parents n’aient pas le sentiment qu’ils sont directement responsables d’une décision aux conséquences si redoutables.

Je ne suis pas certain que Mélanie et Aurélien ne se posent pas plus tard certaines questions de fond que ces procédures, d’apparence longues et contraignantes, s’efforcent précisément d’anticiper et d’atténuer. Ne serait-ce qu’en ayant la certitude qu’on s’est donné le temps nécessaire afin de retenir une option plutôt qu’une autre et que le choix (relevant parfois du concept de « moindre mal ») est estimé, de manière consensuelle, comme celui qui s’avérait préférable. Certains services ont pour habitude de favoriser la rencontre entre des parents qui se refusent à toute éventualité de handicap pour leur enfant avec des familles qui, elles, ont souhaité accompagner dans la vie cet être cher, fut-il atteint d’un handicap plus ou moins lourd. Elles évoquent certes les difficultés liées au regard négligeant ou compassionnel porté par la société sur la personne handicapée, aux carences dans l’accueil et le suivi notamment après l’âge de 20 ans, cette « galère » que l’on surmonte en y déployant une énergie de chaque instant. Mais tout autant le vrai bonheur de partager cette relation avec une personne qui exprime autrement sa force de vie, son exigence de relation et de reconnaissance, mobilisant autour d’elle une sollicitude qui permet à chacun de gagner en humanité.

Les équipes intervenant dans le champ de la néonatalogie ont cette culture d’une approche éthique de la vulnérabilité : elles se sont dotées des compétentes qui allient la rigueur scientifique, les qualités du suivi médical à l’exigence d’humanité. Leur préoccupation relève rarement d’une visée de performance et, pour ce qui me concerne, je n’en connais aucune qui renoncerait à intégrer au processus décisionnel une anticipation concertée de ce que seraient les conditions d’existence de l’enfant, l’impact sur la famille d’un handicap modéré ou lourd. Dans ces zones grises, incertaines des premiers jours, il est vrai que privilégier les droits de l’enfant à vivre plutôt que de précipiter une décision de soins palliatifs engage à partager des moments douloureux. Quelques soient la disponibilité des équipes, leurs soucis d’informer, de communiquer, de soutenir, nombre d’obstacles peuvent entraver cette visée à une relation dont on comprend la haute signification. L’actualité semble en attester.

J’exprime ma sollicitude à Mélanie et Aurélien. Nous sommes à leurs côtés, eux qui apparaissaient si démunis, éperdus et solitaires dans les reportages qui ont été diffusés en début de semaine. Mes pensées vont vers leur fils Titouan, lui dont l’existence si fragile a été exposée à une controverse publique qui ne me semblait pas se justifier. Il ne m’apparaît que peu conciliable avec le respect que l’on doit à la personne malade de révéler publiquement des données d’ordre médical, y compris pour justifier une décision. Je sais ce que vivent au quotidien les équipes de réanimation néonatale. Il importe de leur témoigner à elles aussi notre considération. Il ne serait pas recevable que demain les nouveaux nés qu’elles accueillent subissent le moindre préjudice du fait de l’émotion suscitée par une circonstance médiatisée.  Les procédures constituent des repères d’autant plus indispensables dans un contexte redoutable, parce qu’incertain, évolutif et susceptible d’engager des décisions aux conséquences majeures et irréversibles pour un être qui ne peut pas y consentir. Enfin, dans le contexte de concertation nationale sur la fin de vie, il ne me semblerait pas sage et en aucun cas justifié de trouver prétexte, dans cette actualité, à une évolution des pratiques qui, nous en sommes les témoins, se sont avérées pertinentes.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2829 0
Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État http://plusdignelavie.com/?p=2774 http://plusdignelavie.com/?p=2774#comments Mon, 05 May 2014 06:57:00 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2774 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et . . . → Read More: Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et sur l’inconstance du dispositif législatif actuel. En état de crise, il convenait donc de le révoquer dans l’urgence, sans plus attente. En attestait, de surcroît, la multitude d’appels désespérés, adressés nuit et jour, nous disait-on, à une association qui proposait l’enregistrement informatisé de directives anticipées comme un viatique indispensable au salut ou encore un acte suprême de dignité et de liberté !
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie initiée en juillet 2012 par François Hollande se conclura dans quelques semaines sur un rapport du Comité consultatif national d’éthique qui devrait être représentatif d’avancées mesurées mais significatives, ce dernier combat idéologique revêtait un intérêt stratégique indiscutable. Au mépris même de ses conséquences délétères pour les 1700 personnes en état dit végétatif chronique (EVC) ou pauci relationnel (EPR). Sans autre forme de procès, leur existence découverte de manière fortuite au détour d’une actualité douloureuse, n’inciterait en effet qu’à revendiquer pour soi une « mort dans la dignité » et même à consentir sans le moindre état d’âme à ce que cette position puisse tenir lieu de norme…
Le fait même d’avoir à recourir à une appellation comme celle d’EVC ou d’EPR en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter humainement cet impensable que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir été auprès de ces personnes lourdement handicapées ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur avait même considéré ces personnes comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite de ses expérimentations dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
Le Conseil d’État apporte le 14 février 2014 un démenti flagrant à ces discours hâtifs, catégoriques, pour ne pas dire expéditifs, qui ont consisté pour l’essentiel à instrumentaliser la douleur émanant de cette situation singulière pour exprimer une position dogmatique sur le droit au suicide médicalement assisté et à l’euthanasie. Un simple détour « coté vie » auprès de ces personnes en état de conscience altérée aurait sans aucun doute changé la teneur de tels discours, tant leurs proches et les établissements qui les accueillent sont loin de donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de sollicitude et d’affections dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le Conseil d’état évoque, avec une rigueur et une prudence qui manquaient au débat, les enjeux propres à cette situation singulière : une réalité humaine « de grande fragilité », sensible, délicate car si spécifique ; l’approche médicale et scientifique qu’elle appelle : complexe, incertaine, irréductible aux positions péremptoires et définitives ; l’environnement au sein duquel les circonstances évoluent et qui, lui aussi, justifie une grande pondération. Il convenait d’implanter de la dignité et de l’intelligence dans des disputations qui dérivaient de manière pernicieuse, sans émouvoir apparemment les instances nationales en charge de la réflexion éthique. Elle sont désormais, elles aussi, sollicitées afin de préciser et de rappeler solennellement les valeurs d’humanité et de liberté sur lesquelles une démocratie ne transige pas, sans pour autant s’exonérer d’une exigence de compassion.

 

Loyauté, compétence et clarté

Avec le dispositif d’instruction qu’il impose pour les prochains mois, le Conseil d’État affirme la singularité et la complexité de la situation de M. Vincent Lambert. Elle doit désormais relever d’une expertise appropriée qui tienne compte des compétences les plus actuelles dans le champ des neurosciences et permettre ainsi de disposer de données factuelles indispensables à une prise de décision d’une telle gravité. Le caractère emblématique et extrême des circonstances justifie les clarifications qui font défaut afin d’envisager un arbitrage fondé sur une argumentation solidement étayée. Cette décision s’avère d’autant plus sage qu’elle nous fait comprendre de manière pédagogique qu’un tel dispositif est rarement mobilisé et devrait donc constituer un référentiel applicable dans d’autres circonstances analogues. Les avancées des techniques de réanimation ont induit des circonstances dites limites qui ne bénéficient pas toujours des modalités les mieux ajustées à des prises de décisions complexes, même si la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis à cet égard des évolutions significatives.
Lorsque dans le cadre d’une formation dite collégiale, une équipe médicale se prononce à propos d’une limitation ou d’un arrêt de traitement, il serait en effet important d’être assuré de la valeur du consensus décisionnel obtenu à la suite d’une délibération à la fois loyale, juste, et donc argumentée sur la base de principes clairement établis. Le Conseil d’état exprime à cet égard une exigence dont certains estimaient à tort qu’elle n’avait plus à être rappelée. Il saisit l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et l’Ordre national des médecins afin de recueillir leurs définitions de notions comme celle d’obstination déraisonnable ou de maintien artificiel de la vie. L’analyse de ces concepts, au même titre que d’autres déterminants d’ordre médico-scientifique, est requise dans des prises de décisions qui concernent près de 100 000 arrêts de traitement chaque année.
À n’en pas douter nous disposerons ainsi dans quelques mois de repères qui s’avèrent indispensables à cette haute instance, ce qui interroge, malgré tout, certains critères de décision privilégiés jusqu’à présent. Encore conviendra-t-il d’être assuré de la qualité des compétences et des procédures mises en œuvre une fois ces définitions validées. Les services hospitaliers concernés ne font pas apparaître de manière homogène une même expertise qui relève d’une culture et d’une rigueur méthodologique exigeantes.
Le Conseil d’État sollicite également, et cela me semble significatif, le point de vue de Jean Leonetti. Ce choix n’est pas anodin dès lors qu’il réaffirme la place déterminante de la législation dont il est l’auteur dans le contexte présent. Depuis des mois en effet la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est soumise aux assauts constants des propagandistes d’une loi favorable à l’euthanasie. Le Conseil d’État considère d’une part que cette loi est applicable à une personne qui se trouve dans un état de maladie ou de handicap dont l’irréversibilité est caractérisée, et d’autre part que le dispositif législatif incluant la loi du 09 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, et la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, apportent les modes de négociation les plus ajustés à des situations qui pourraient même ne pas être directement assimilées à la période de fin de vie. De telle sorte qu’il ne faudrait certainement pas trouver dans les circonstances présentes la justification à une évolution législative.
Pour autant, nous ne pourrons pas nous exonérer d’une réflexion délicate mais nécessaire portant sur les personnes dans l’incapacité d’exprimer un choix personnel (ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas souhaité rédiger des directives anticipées) qui, bien que n’étant pas en situation de fin de vie, suscitent les questionnements délicats relatifs au maintien artificiel de leur vie. À cet égard les trois instances consultées devront être attentives aux conséquences de leurs conceptions au regard de personnes atteintes par exemple de maladies neurologiques, évolutives ou non, à impact cognitif.

 

L’exigence d’une pensée politique

Le Conseil d’État se réfère à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour rappeler que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (…). » Mais simultanément il consacre une autre liberté fondamentale : celle d’être reconnu dans le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable. Cette position ne fait que renforcer à cet égard la pertinence de loi du 22 avril 2005 qui proscrit toute obstination déraisonnable. À ce propos l’approche à la fois humaine et responsable de la sédation en dit long des évolutions profondes qui sont intervenues depuis des années dans la relation de soin : elles semblent rendre caduques certaines controverses d’arrière-garde.
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un traitement, y compris d’une hydratation et d’une alimentation puisque le Conseil d’État considère que, dans certaines circonstances, il pourrait s’agir d’un maintien artificiel de la vie. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur eux un regard et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs au moindre signe de présence. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
S’impose donc une pensée politique de réalités humaines qui défient nos représentations de la vie, de l’existence humaine, de nos responsabilités individuelles et sociales à l’égard de personnes qui éprouvent autrement un parcours de vie dont il me semble a priori irrecevable de discuter la légitimité. L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement personnel et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’eux. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ces responsabilités qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuivrait sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de la signification qu’elle aurait pour la personne. À cet égard la réflexion à la fois politique et éthique doit être approfondie, sans quoi s’accentuera le risque d’être tenté de plaquer d’inacceptables réponses sur des questions, certes redoutables, mais que l’on ne peut pas pour autant négliger. Soucieux des libertés individuelles, le Conseil d’État déploie pour servir la cause supérieure de M. Vincent Lambert un dispositif minutieux. On sait d’évidence qu’il n’est certainement pas appliqué avec tant de rigueur lorsque, de manière quotidienne et trop souvent routinière, se prennent certaines décisions collégiales cruciales. Il importerait que les sociétés savantes concernées accordent une grande attention à cette intervention éclairée du Conseil d’État dans une sphère trop souvent confinée dans des logiques ou des certitudes médico-scientifiques. On est bien loin des caricatures d’une intrusion des « robes noires » dans l’espace où interviennent les « blouses blanches » dès lors que prime l’intérêt supérieur d’une personne vulnérable à protéger dans son intégrité, voire dans son droit à la vie.

Dans la sagesse et la justesse des décisions qu’ils ont adoptées pour protéger les droits de M. Vincent Lambert, les membres de la section du contentieux du Conseil d’État nous éveillent à un sens de la retenue et de la responsabilité qui devrait s’imposer à nous en situation d’incertitude et d’exposition à des défis qui engagent nos valeurs.
Nous devons donc à M. Vincent Lambert comme à ses proches, mais également aux autres personnes dans une situation qui le justifierait, une approche singulière, pondérée, soucieuse dans le respect et la discrétion, de leurs droits fondamentaux. Ces personnes ne sauraient être réduites de manière indifférenciée à des catégories, ou devenir l’otage de causes qui les instrumentalisent dans un combat qui dénature une fois encore les véritables enjeux.
Lorsque, dans quelques mois, les expertises médicales permettront de produire de manière incontestable les conclusions indispensables à une décision médicale fondée pour M. Vincent Lambert, encore conviendra-t-il d’être assuré qu’une même rigueur s’imposera désormais dans tout processus décisionnel collégial. Car la décision que rendra alors le Conseil d’État concernera une personne en particulier et ne saurait donc faire jurisprudence. Mais ses modalités de mise en œuvre et le souci accordé à la sollicitation des compétences les plus légitimes dans l’arbitrage devront viser une même exigence. Il y va de leur recevabilité d’un point de vue démocratique.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2774 0
Journée EVC-EPR 2014 http://plusdignelavie.com/?p=2662 http://plusdignelavie.com/?p=2662#comments Wed, 08 Jan 2014 10:41:35 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2662 Journée EVC-EPR 2014 Etude EVC-EPR 2013. Principales réflexions. Propositions innovantes Centre Ressources Francilien du Traumatisme Crânien (CRFTC)

Objectifs : -Partager avec les professionnels et les familles les résultats de l’enquête francilienne, menée dans les unités EVC-EPR, sur les patients accueillis dans celles-ci, leur parcours de soins et les moyens mis en oeuvre pour . . . → Read More: Journée EVC-EPR 2014]]> Journée EVC-EPR 2014
Etude EVC-EPR 2013. Principales réflexions. Propositions innovantes
Centre Ressources Francilien du Traumatisme Crânien (CRFTC)

logo artc

Objectifs :
-Partager avec les professionnels et les familles les résultats de l’enquête francilienne, menée dans les unités EVC-EPR, sur les patients accueillis dans celles-ci, leur parcours de soins et les moyens mis en oeuvre pour leur prise en charge
-Partager les attentes des familles afin d’enrichir les relations familles/professionnels
-Apporter une réflexion éthique et juridique autour de l’accompagnement de fin de vie et de limitation de soins de ces patients

Publics :
Toute personne concernée par l’accompagnement des patients
-Professionnels
-Familles

Intervenants : Professionnels de santé et représentants des familles

Méthodes pédagogiques et dispositif d’évaluation :
-Exposés théoriques
-Table ronde
-Evaluation de la formation par un questionnaire Formation éligible au titre de la formation continue Programme évalué et enregistré au dispositif DPC pour les médecins et paramédicaux (Aide-soignant, Ergothérapeute, Infirmier, Masseur-kinésithérapeute, Orthophoniste, Psychomotricien)
Comité d’organisation : C. Kiefer, Hôpital Nord 92, B. Albinet-Fournot, Clinique Korian Canal de l’Ourcq, JJ. Weïss et J. Charanton, CRFTC

Télécharger le programme complet

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2662 0
Le rendez-vous des soins palliatifs – Edition 2013 http://plusdignelavie.com/?p=2509 http://plusdignelavie.com/?p=2509#comments Wed, 09 Oct 2013 07:39:48 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2509 Dans le cadre de la Journée mondiale des soins palliatifs et sous le parrainage de Michèle Guigon, l’association “Les p’tites lumières”, le Fonds pour les soins palliatifs et la Fédération RESPALIF, forts du succès de l’édition 2012 et 2011, reconduisent Les Rendez-vous de la place de la Sorbonne, une manifestation d’ampleur pour le . . . → Read More: Le rendez-vous des soins palliatifs – Edition 2013]]> Capture d’écran 2013-10-09 à 09.36.12
Dans le cadre de la Journée mondiale des soins palliatifs et sous le parrainage de Michèle Guigon, l’association “Les p’tites lumières”, le Fonds pour les soins palliatifs et la Fédération RESPALIF, forts du succès de l’édition 2012 et 2011, reconduisent Les Rendez-vous de la place de la Sorbonne, une manifestation d’ampleur pour le grand public qui se déroulera du 5 au 11octobre avec de nombreux temps forts le 8 octobre.

Voir le programme 

Editorial

La mission de réflexion sur la fin de vie en France confiée au Professeur Didier Sicard en juillet 2012 par le Président de la République a conclu à la nécessité de la « pluridisciplinarité des approches ». C’est pourquoi nous choisissons en 2013 de consacrer Les Rendez-vous de la Place de la Sorbonne aux différents aspects de l’accompagnement de la personne malade selon la place de chacun. La variété des approches et la complémentarité des personnes, professionnelles ou non, fondent la démarche palliative.

Le sujet « Soignants, proches, bénévoles : regards croisés en soins palliatifs » permettra à chacun de se reconnaître, de témoigner, d’échanger et d’appréhender la dimension humaine des soins palliatifs, qui fait sens à ce moment si particulier de la vie.

A travers les priorités énoncées : « l’information de la population et la formation des professionnels », nous souhaitons profiter de l’ouverture d’un tel espace de réflexion pour communiquer sur les soins palliatifs auprès du grand public. Nous partageons cette idée que la réflexion sur la fin de vie est un enjeu de société majeur et que des espaces de discussion doivent être accessibles à tous les citoyens. D’autant que le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu le 1er juillet 2013 son avis sur « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » qui invite à poursuivre le débat public. 

Nous accueillons, cette année, Jean Leonetti, le Dr Vincent Morel et le Pr Didier Sicard pour la conférence de presse ainsi que des professionnels, des bénévoles et des proches de grande qualité pour les trois cafés-rencontres, animées par Vincent Josse. Jean-Claude Ameisen, Président du CCNE, ainsi que plusieurs écrivains connus participeront aux rencontres littéraires et philosophiques. Une exposition-photographique, de Jean-Louis Courtinat, illustrera les débats.

Les promotrices des Rendez-vous

]]>
http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2509 0
Auprès de la personne en situation de handicap http://plusdignelavie.com/?p=2494 http://plusdignelavie.com/?p=2494#comments Mon, 07 Oct 2013 12:32:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2494 Manuel Col Parent d’un garçon polyhandicapé

Batailler contre le renoncement

Voir ‘Actualités’ : « Journée l’enfant polyhandicapé », 4 octobre 2013

Récemment, la question posée dans le cadre d’un atelier de réflexion éthique tournait autour de l’apport à son entourage et à la société de la personne polyhandicapée. Je m’étais d’abord étonné que l’on . . . → Read More: Auprès de la personne en situation de handicap]]> Manuel Col
Parent d’un garçon polyhandicapé

Batailler contre le renoncement

Voir ‘Actualités’ : « Journée l’enfant polyhandicapé », 4 octobre 2013

Récemment, la question posée dans le cadre d’un atelier de réflexion éthique tournait autour de l’apport à son entourage et à la société de la personne polyhandicapée. Je m’étais d’abord étonné que l’on nous interroge à ce propos car si je n’avais pas été père d’un fils polyhandicapé à quel moment aurais-je eu répondre à répondre à cette question ? Imaginez que chaque parent ait à répondre à cette question sur leur enfant « normal »… Dans mon cas, qu’est ce qu’un enfant de 12 ans apporte à son entourage et à la société ? Ne serait-ce que par rapport à l’adolescence que j’ai vécue, j’aurais bien de la peine à trouver quelque chose de concret ou positif…
Mais après avoir dépassé ce questionnement, j’ai réfléchi à ce que mon fils a fait naitre chez moi : un sens de la responsabilité envers lui, mais cela est un standard pour tout parent même si l’on peut débattre de ce que l’on entend dans la responsabilité, la culpabilité pouvant se trouver à proximité.
Mais la qualité particulière que mon fils m’a apporté, c’est d’avoir exacerbé mon combat contre l’injustice, contre l’incompréhension de l’autre, la bataille contre le renoncement, d’essayer de contribuer à améliorer la société. La difficulté de vie due à l’état de santé des personnes polyhandicapées devrait par nature créer des solidarités avec les valides, ne serait-ce que par fraternité. Au lieu de cela, j’ai pu constater chez certains de mes au mieux de l’indifférence, au pire du rejet et de la moquerie. Je ne généralise pas, tous ne sont pas comme ça mais avant que ces derniers deviennent solidaires et impliqués pour une société inclusive il me faudra continuer à éduquer et démontrer à mon niveau que nous avons beaucoup plus en commun que la différence perçue au premier regard. Mon fils me force à avancer car je n’admettrai jamais que sa différence constitue une fin de non-recevoir à son acceptation dans la société.

Il est vrai aussi pour moi que ma capacité à être patient a dû augmenter, par rapport à mon fils évidemment mais surtout celle envers nos institutions. Concrètement, avoir à remplir tous les 2 ou 3 ans les documents de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). dans lesquels il est demandé un projet de vie (rien que les mots de projet de vie ont résonné longtemps dans ma tête la première fois que je les ai lus sur des documents officiels) pour mon fils, des questions nombreuses où l’on noircit toujours la même colonne « ne sait pas, ne peut pas… ». Ce rappel continu des incapacités de mon fils… Ces démarches pour créer des structures d’accueil pour les personnes polyhandicapées où les décideurs, tout en rappelant la légitimité de nos revendications, nous signalent leur impossibilité de couvrir ces besoins en dépit des lois existantes…
Il me semble qu’Albert Camus avait énoncé qu’une société se jugeait à l’état de ses prisons… Moi, je pense qu’une société peut être évaluée à la place qu’elle accorde aux personnes les plus fragiles dont notamment les personnes handicapées, ces dernières étant exclues de la norme par nature. L’intégration ne peut se faire qu’à condition d’une réelle volonté de la société, à l’heure où des réflexions sont en cours pour édulcorer les principes d’accessibilités, mes remarques pourraient prêter à sourire, si ce n’était pas si triste.
Pour conclure, mon fils m’apporte par ses sourires lorsqu’il veut me montrer qu’il a compris une phrase que j’ai prononcée et qui le concerne, par son naturel « câlin » (à 12 ans c’est rare !), par ses petits progrès qui nous semblent à chaque fois d’immenses avancées. Si j’osais dire tout le bonheur que sa présence m’apporte, la MDPH pourrait considérer ne plus avoir à me verser une allocation…

Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Notre pays s’est efforcé à travers les trente dernières années de mettre en œuvre une politique moins indifférente que par le passé à la cause des personnes handicapées. Des acquis en attestent, et pourtant le contexte présent s’avère à cet égard plus incertain et fragile que jamais tant semblent s’imposer d’autres priorités sociales, d’autres urgences politiques, dans un contexte de désinvestissement de l’État, de crise économique et d’atomisation de la société à travers des revendications individualistes bien souvent peu préoccupées du bien commun.
Au-delà des traitements médicaux, des si pénibles tentatives de réadaptation, de rééducation, du suivi au long cours dans le soin au domicile ou en institution, accompagner la personne et ses proches dans le parcours du handicap ne peut se comprendre qu’en termes d’exigence et de revendications politiques. Par quelles approches et quelles évolutions dans nos mentalités et nos pratiques, parvenir en effet à reconnaître une citoyenneté, une appartenance et une existence dans la cité à des personnes si habituellement contestées en ce qu’elles sont, exclues des préoccupations immédiates, acculées à un statut approximatif et précaire, survivant à la merci d’une condescendante charité publique ou d’initiatives associatives elles-mêmes vulnérabilisées par des arbitrages économiques contraints ? Cette absence d’un regard, d’une attention vraie — si ce n’est dans l’espace relativement confiné du domicile ou d’instances spécialisées propices à une hospitalité vraie, assumée ensemble par des professionnels engagés et des proches vigilants — est révélatrice d’une incapacité à saisir la richesse que recèlent ces existences — autant de faits d’humanité dont la valeur et la signification ne peuvent que renforcer un souci exigeant du bien commun dès lors que cette intelligence du réel, cette expérience dans sa singularité même peuvent nous enrichir là même où la modernité nous a appauvri.
Les réalités du handicap sollicitent ainsi une prévenance qui trop souvent s’avère carentielle. Comment comprendre l’accueil, la reconnaissance, la position parmi nous de personnes inattendues en ce qu’elles révèlent de notre humanité, indispensables dans ce dont témoigne leur présence parfois énigmatique ? Notre considération à leur égard sollicite d’autres registres que ceux des conventions établies ou des protocoles organisationnels qui délimiteraient a minima un cadre d’intervention. À contre-courant des évidences sommaires, des résolutions incantatoires ou des procédures réductrices, s’impose à nous une nécessaire capacité de dissidence, une position de contestation propices à une faculté d’intervention soucieuse de l’expression rebelle de ces personnes inquiètes à chaque instant, quand elles le peuvent, de la continuité d’un fil de vie, revendicatrices d’un espace de liberté, d’expression de soi au-delà de ce que sont les entraves, les limites oppressantes. Y compris lorsque les mots sont indicibles, murés dans l’immobilité et le silence, parfois évoqués par un regard qui ne trompe pas et révèle l’étrangeté d’une sagesse défiant nos certitudes.
La personne affectée d’un handicap est trop habituellement révoquée en ce qu’elle est, et ramenée à la condition péjorative du “handicapé”, en quelque sorte déqualifiée ou disqualifiée. Là même ou nos responsabilités humaines sont les plus fortes à l’égard de personnes dont l’existence tient pour beaucoup à la sollicitude qu’on leur témoigne, c’est en termes de parcimonie, de négligences et parfois de renoncements que dans nombre de circonstances nous leurs concédons une attention dédaigneuse.
Je demeure fasciné par ce que des personnes handicapées, leurs proches et aussi ceux qui maintiennent une présence vraie auprès d’eux, affirment d’un attachement à l’existence, d’une confiance et d’une résolution irréductibles aux expériences du mépris, à la détresse que suscitent les circonstances de la solitude, la sensation d’être en quelque sorte déplacé, « de trop » dans une société mystificatrice et, plus qu’on ne l’admet, discriminatrice. Cette posture d’engagement, pour les personnes qui trouvent en elles les ressources d’un véritable combat, ce parti pris de vie et de dignité ainsi défendu au quotidien m’impressionne. Ils révèlent une conviction humaine, un courage qui si souvent nous manquent.

La position de cette personne qui peut être entravée dans sa possibilité d’exprimer — selon les modes qui nous sont habituels — ce qu’elle recèle de richesse intérieure ainsi que son besoin d’existence et d’intense partage, tient pour beaucoup à l’espace qu’on lui confère auprès de nous, dans nos existences. Qu’avons-nous à vivre avec elle si l’on estime que rien ne nous est commun, que l’étrangeté de sa manière d’être la condamnerait à demeurer étrangère à ce qui nous constitue ? Déplacée, imprévisible, en dehors des normes et déjà hors de notre temps, parce que vivant dans sa vie la dimension concrète d’un handicap qui l’assujettirait à une condition de dépendance, cette personne en deviendrait comme indifférente. Son existence ne nous importerait pas, ne nous concernerait pas. Elle n’existerait pas, si ce n’est, à bas bruit, dans l’invisibilité et aux marges de la société, dans la réclusion, là où rien ne saurait déranger nos convenances et solliciter la moindre prévenance. Dans un « entre soi » évité et négligé, au sein de familles ou d’institutions repoussées dans cette extériorité qui les dissimule à la visibilité, à une authentique sollicitude sociale.
Il nous faut inventer des possibles, renouer avec l’humanité, reconquérir des espaces de vie, édifier ensemble un avenir, susciter des relations, vivre la communauté d’un espoir, exiger de chacun d’entre nous la capacité et la subtilité d’une attention. Il nous faut défier les préventions et les peurs — elles font de ceux qui semblent nous être différents ces étrangers qui nous deviennent indifférents, lorsqu’ils ne suscitent pas, dans des affirmations extrêmes, une hostilité portée jusqu’à leur contester le droit de vie.
Apprendre l’autre, le découvrir, le reconnaître dans sa vérité et sa dignité d’être, c’est aussi envisager la rencontre inattendue avec ce que nous sommes au-delà des postures convenues ou des renoncements désastreux.

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2494 0
Rencontre – « Soignants, proches, bénévoles : regards croisés en soins palliatifs » http://plusdignelavie.com/?p=2472 http://plusdignelavie.com/?p=2472#comments Thu, 12 Sep 2013 14:13:28 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2472 Dans le cadre de la Journée Mondiale des Soins Palliatifs et sous le parrainage de la comédienne et humoriste, Michèle Guigon, l’association “Les p’tites lumières”, le Fonds pour les soins palliatifs et la Fédération RESPALIF, forts du succès des éditions 2012 et 2011, reconduisent Les Rendez-vous de la place de la Sorbonne, une manifestation . . . → Read More: Rencontre – « Soignants, proches, bénévoles : regards croisés en soins palliatifs »]]> Dans le cadre de la Journée Mondiale des Soins Palliatifs et sous le parrainage de la comédienne et humoriste, Michèle Guigon, l’association “Les p’tites lumières”, le Fonds pour les soins palliatifs et la Fédération RESPALIF, forts du succès des éditions 2012 et 2011, reconduisent Les Rendez-vous de la place de la Sorbonne, une manifestation d’ampleur pour le grand public qui se déroulera du 5 au 11 octobre avec de nombreux temps forts le 8 octobre.

« Soignants, proches, bénévoles : regards croisés en soins palliatifs »
La mission de réflexion sur la fi n de vie en France confiée au Professeur Didier Sicard en juillet 2012 par le Président de la République a conclu à la nécessité de la « pluridisciplinarité des approches ».
C’est pourquoi, nous choisissons en 2013 de consacrer Les Rendez-vous de la Place de la Sorbonne aux différents aspects de l’accompagnement de la personne malade selon la place de chacun. La variété des approches et la complémentarité des personnes, professionnelles ou non, fondent la démarche palliative. Le sujet « Soignants, proches, bénévoles : regards croisés en soins palliatifs » permett ra à chacun de se reconnaître, de témoigner, d’échanger et d’appréhender la dimension humaine des soins palliatifs, qui fait sens à ce moment si particulier de la vie.
À travers les priorités énoncées : « l’information de la population et la formation des professionnels », nous souhaitons profiter de l’ouverture d’un tel espace de réflexion pour communiquer sur les soins palliatifs auprès du grand public. Nous partageons cette idée que la réflexion sur la fin de vie est un enjeu de société majeur et que des espaces de discussion doivent être accessibles à tous les citoyens. D’autant que le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) a rendu le 1er juillet 2013 son avis sur « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » qui invite à poursuivre le débat public.
Nous accueillons, cette année, Jean Leonetti, le Dr Vincent Morel et le Pr Didier Sicard pour la conférence de presse ainsi que des professionnels, des bénévoles et des proches de grande qualité pour les trois café-rencontres, animées par Vincent Josse. Jean-Claude Ameisen, Président du CCNE, ainsi que plusieurs écrivains connus participeront aux rencontres littéraires et philosophiques. Une exposition photographique, de Jean-Louis Courtinat, illustrera les débats.
Cet événement est organisé grâce au soutien financier d’Humanis.

 

Programme et informations en ligne :

http://www.rendez-vousplacedelasorbonne.fr/

 

]]>
http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2472 0
Fins de vies : L’amour et la Mort. http://plusdignelavie.com/?p=2232 http://plusdignelavie.com/?p=2232#comments Tue, 04 Dec 2012 14:39:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2232 Véronique Normand

Kinésithérapeute J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 . Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on . . . → Read More: Fins de vies : L’amour et la Mort.]]> Véronique Normand

Kinésithérapeute
J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 .
Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on ne peut plus répondre. Un aveu d’impuissance.

Qui sait si en d’autres circonstances, ne pouvant pas partager mon impuissance, je n’aurai pas fait la même chose?? On ne peut pas prédire grand chose en fin de vie, mais on peut prévoir, prévenir, appeler du secours, du renfort.

Un seul coup de fil et contact extérieur suffit à changer le cours des choses. Le mari de Mireille (personne atteinte de SLA) me l’a dit, quand je venais, c’était une « fête » pour lui.
J’étais le seul soignant à domicile, le médecin mettait l’ordonnance dans la boite aux lettres, enfin son remplaçant, parce que lui ne se déplaçait pas. Le médecin d’aujourd’hui s’efface trop dans la fin de vie, ne trouvant plus son rôle pourtant si important de réassurance.
Les soignants à domicile assument la proximité, parfois difficilement, évitant le piège béant de la promiscuité.
Mais un seul soignant suffirait, dans le strict minimum, à condition que ce soignant garde contact avec l’extérieur et bénéficie de ressources extérieures de soins, acheminant dans la casa le souffle nécessaire et les rayons du soleil du dehors.
Dans la fin de vie, l’autrement et l’ailleurs servent à enrichir l’intérieur. Je ne vois pas d’autre distance à garder que celle ci.

La maladie n’est pas une honte, le handicap n’est pas une fatalité.

Une maladie démédicalisée, ça conduit à l’enfermement, à l’asphyxie, à la solitude et à la mort par étouffement, l’euthanasie n’est pas dans ce cas un choix libre, c’est le contraire de la liberté. Le soin a cet enjeu de tiers entre le malade et sa maladie et de préserver le proche. Mais ce n’est pas en multipliant les intermédiaires, les tiers entre le malade et le soignant qu’on résoudra les problèmes de refus de soin. Le meilleurs tiers, c’est le soin lui-même et la relation qui l’accompagne. Pas de soin sans relation, pas de relation sans soin, Le soin éloigne la maladie du malade, soigne la douleur et éloigne la souffrance.
Franchement, cette dame dans le film, dès le début, avait besoin d’un kiné. Et elle n’était pas en phase palliative; quand je vois le corps abandonné, cette raideur qui ne peut que conduire à une raideur de la situation, quand je vois comment il l’a fait marcher, je me dis que rien n’a été fait des soins de réadaptation, l’abandon a déjà eu lieu. La question est de savoir si il y a eu refus de soin, l’hospitalisation semble avoir été difficile, ou si les soins ne lui ont pas été prescrits. Le médecin est présent dans l’histoire, il prescrit les médicaments. Est-ce que des médicaments suffisent dans une hémiplégie?
Or dans ce film, L’hémiplégie du début n’est même pas mise en soin. Un kiné aurait été le bienvenu pour lui redonner confiance en ses possibilités.
Quand je le vois marcher mal avec elle, le transférer avec difficulté alors qu’elle a une jambe saine et pas d’aide pour maintenir une marche possible, je me dis que rien n’a été fait.
Les soins sans doute possible dès le début n’ont pas été prescrits. On entend parler du médecin, on ne le voit pas. Dans l’esprit du réalisateur, le médecin prescrit des médicaments. Les médicaments suffisent-ils au handicap? Suffisent-ils à la dépression normale de découverte des déficits? Une seule personne aimante suffit-elle, sans des compétences de soins?
Autant mettre un pansement sur une jambe de bois!
Un AVC ça se traite avec des médicaments, mais la rééducation ça existe,
La honte d’être en fauteuil, la honte de la déchéance, la honte de l’incontinence, le sentiment de perte de dignité qui creuse et qu’un seul homme ne peut porter.
L’amour est atteint peu à peu par ce sentiment d’indignité, que la fille ne manque pas d’exprimer dans sa douleur.
Comment aimer quelqu’un qui ne s’aime pas?
Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point, abandonné dans sa raideur, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terrible dans les transferts et retournements dans le lit; Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire. D’ailleurs à un moment donné la main recroquevillée est cachée sous la couverture.

Parce que si les soins corporels se résument à un hygiénisme, on ne s’étonnera pas que l’incontinence vienne plus tard sonner le glas de la dignité.
Parce que sans soin, évidemment la maladie mène à l’enraidissement, à la perte de la sensation de soi, à la perte d’estime, à la perte de confiance, à la perte d’une pensée saine, à la paralysie d’une situation, à la haine de soi, à la relégation dans un huis clos et à la mort par étouffement.

Il ne s’agit pas que de bouger, que de marcher, il s’agit de redécouvrir ce corps, le handicap n’est pas une fatalité, un corps entravé ne peut pas donner lieu à une pensée libre !

Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point , abandonné dans sa raideur,, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terribles dans les transferts et retournements dans le lit;
Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire.

Toute l’histoire du soin interviendra dans la fin de vie ; le traumatisme laisse des traces, la fin de vie est un deuil et convoque au bord du lit toutes les mémoires, on n’oublie jamais les joies, ni les blessures ; jamais, et elles affleurent à fleur de peau lorsqu’on souffre.
Ce n’est pas l’histoire ancienne qui est la cause, c’est la souffrance actuelle qui ravive les autres. Ce n’est pas non plus que le geste malheureux ou la blessure actuelle qui rend sensible à ce point, c’est le lit dans lequel repose cette goutte qui fait déborder le vase.
Ce sont les deux additionnés qui font le trop plein.  Une solution, c’est laisser un peu déborder le vase, pleurer.

Les larmes ont besoin d’une épaule solide, sinon elles se retiennent ou sont des larmes vaines, des larmes perdues, des larmes sans mot, des lettres mortes, des larmes sèches, des larmes pour rien. Ni pour personne.

Alors, on ne pleure pas, on reste dur, et cette dureté nous fait du mal et fait du mal autour de nous.
On devient effrayant de ne pas pleurer, on devient si vite inhumain, on pourrait devenir un monstre de ne plus voir ni sentir la peine de l’autre. On ne peut pas s’aimer soi-même si on se voit comme un monstre, on peut encore moins aimer l’autre. Il faut être vivant pour aimer et non mort.

La douleur fait souffrir, la souffrance tue, l’isolement tue.

Et la souffrance, c’est le soin absent ou pire, le soin mal fait. On préfère alors comme moindre mal refuser les soins. Ou alors en regard de ce que cette entrée en maladie exige, le patient devient plus exigeant. On peut le comprendre. Le proche pousse aussi les exigences de lui même à ses limites et il devient forcément exigeant.
La souffrance est une tension; oh combien cette tension aurait pu être évitée!

Quand l’isolement s’étend, la confiance s’effrite.

La présence soignante est dans ce film à peine présente, pour faire la toilette. Est-ce là tout ce que peut apporter un soignant ?
Une infirmière maladroite se fera rabrouer dans sa violence à vouloir confronter la personne à son image dans un miroir. Rien d’étonnant à ce qu’elle se retrouve dehors. Une phrase m’a marqué dans ce film c’est ce que dit cet homme à sa fille « je n’ai pas le temps de recevoir ton inquiétude ».
L’inquiétude, effectivement, semble en retard, pas souhaitable dans ses conseils qui n’ont pas leur place. Et le père finit par dire « laisse nous notre histoire, vis ta vie. » La fille n’a plus d’accès même dans sa tentative à raconter sa vie pour mettre un peu de vie dans ce huis clos en leur parlant de sa vie, se voir rembarrer dans sa vie. Comme si elle n’était pas concernée. Pourtant elle dit bien que lorsqu’elle était petite, elle était rassurée de les entendre faire l’amour, façon de dire qu’elle participait de leur amour.
Mais la voilà réduite à l’errance d’un invité indésirable, qui n’a qu’à s’occuper de sa vie.
Le vide est donc fait autour d’eux et creuse son lit de mort ;

Les exigences que cet homme a de lui même, tournées un temps dans le soin, perdront patience, la violence viendra montrer son nez lors d’un repas. La femme se voit sous l’emprise de l’aide de son mari, ce qu’elle craignait au début, lorsqu’elle lui disait  » tu peux t’éloigner de moi, et ne pas regarder comment je fais tenir mon livre » est arrivé; Mais il ne s’éloignera pas d’elle. Si peu… Il ne l’abandonnera pas.
Là voilà entièrement prisonnière de la maladie et prisonnière de lui. Ne s’aimant pas, elle ne peut pas y voir dans l’approche de son mari l’amour, elle parle de « mauvaise confiance »; son amour est réduit à la pitié, à la condescendance, elle lui renvoie une haine d’elle même.
Le voilà prisonnier de la maladie et prisonnier d’elle.
Le pli est pris. Le faux pli, l’erreur de penser que l’amour puisse s’obliger à aimer et que prendre soin de la personne qu’on aime puisse cacher quelque pouvoir que l’on voudrait prendre sur elle, profitant de la situation pour jouir de sa propre puissance. C’est un sentiment que l’on peut comprendre et qui est toujours inhérent, toujours présent dans l’aide, le soupçon, la crainte de l’abus.
Crainte malheureusement justifiée et tellement justifiée dans la déperdition d’un corps qui ne peut plus…
Il est caractéristique du sentiment de vulnérabilité. Moyen de défense, histoire de prévenir l’abus qui peut toujours avoir lieu, la confiance qui peut toujours être trahie.

Quand on ne s’aime pas, c’est qu’on a perdu confiance en soi. Le soin en convoquant cette confiance, en demandant un effort à la personne afin d’améliorer la situation convoque cette confiance et la possibilité de garder un pouvoir sur son autonomie.

L’amour est essentiel, mais l’amour ne suffit pas

Bien sûr que l’amour est essentiel, mais il ne suffit pas ! L’amour ploie se plie et se replie sans ressources extérieures. Les couples explosent devant la lourdeur de certaines maladies ou handicaps. Les soins sont des ressources extérieures. Et je ne parle toujours pas que de soins palliatifs. Cette dame au début du film n’en est pas aux soins palliatifs, elle en est aux soins de réadaptation du handicap !

L’amour est atteint par cette hémiplégie, il est rabougri, noirci de honte, il ne trouve même plus d’accès ou d’ouverture dans la nostalgie des souvenirs.
Se souvenir des belles choses n’est même plus possible, même plus pensable.
L’amour est en danger d’exclusivité. L’emprise est l’amour passionnel qui étouffe.

La visite du jeune musicien est une scène clef ; ce dernier intervient comme intrusif dans un monde brisé, alors qu’il aurait pu être un élément clef de la transmission positive qu’a laissé cette femme qui lui a enseigné la musique (nostalgie positive). Alors qu’il aurait pu représenter un élément positif de son œuvre personnelle, il heurte. Alors que son hommage, même à la découverte du handicap ne change pas son regard positif, on sent bien que cela ne change rien à l’hommage qu’il est venu lui rendre, et c’est ce regard positif qui est lui aussi devenu scrutateur, indésirable à elle-même.
Il s’en va désolé, dépité, remballant son hommage et sa joie à la gloire du passé.
Lorsqu’il joue, c’est une mémoire mélancolique, tournée vers elle et le passé, proche de celle que nomme Nietzsche, le ressentiment, au lieu d’entendre l’envolée de la transmission et la joie de l’avenir construit qui est devant elle, à travers ce jeune pianiste qu’elle a formé.
Centré sur elle, tout est concentré sur elle, les autres ont disparu.
C’est le huis clos de la destruction de l’intérieur, l’amour qui s’étouffe n’a plus d’air, l’amour de la vie qui enfermé sur lui-même ne peut plus sortir de lui- même.

On trouvait déjà cet amour malheureux de ne plus pouvoir s’exprimer dans le film Quelques jours de printemps de Stéphane Brizé, amour qui ne pourra s’exprimer qu’en toute dernière instance de la mort irréversible, que dans un au revoir.

Que dire, que faire face à cette dépression qui ne peut plus voir l’amour extérieur qui pourrait lui permettre d’aller vers l’autre et recevoir ce que ce jeune homme est venu lui apporter par sa visite ?

L’amour s’échoue au lieu de s’envoler, il n’a plus d’aile.
Ce danger d’emprise et d’enfermement, les professionnels de santé le connaissent, redoutent et préviennent ce sentiment de glissement où l’impossible gagne et où l’amour échoue.

Que dire du geste final d’étouffement, sinon qu’il est la suite logique d’un étouffement physique et psychique de la maladie et de la vie?
Que dire d’autre, sinon que les soins absents génèrent ce genre de situations d’enfermement et de dérive ?
Que dire, sinon que le handicap, la maladie chronique, la fin de vie ne peuvent qu’échoir dans un amour déchu s’il n’est pas soutenu en actes, en présence, en relation avec des ressources de soins, si la personne proche et la famille en général ne sont pas soutenues, si chacun se contente de rester subjugué et impressionné et plein de respect et d’interdit à admirer de loin ces situations qui nécessitent un engagement humain , dont les soins constituent un rempart contre cette exclusion et ce naufrage que la maladie convoque, mais que ces soins apportés par les soignants dans une maladie ne suffisent, pas, qu’il y a un engagement personnel à soutenir tous les liens, y compris les liens familiaux et les liens d’amour plutôt qu’à se concentrer à les analyser, tous les liens qui maintiennent la personne dans son envie de vivre, non pas uniquement en vie.

Ce film pour moi décrit l’extinction de l’envie de vivre, dont on a raté le « coche » dès le début.

Il est évident que si le débat de la fin de vie évoque l’amour dans cet acte. On y comprendra, je l’espère, la nécessite de ne pas intoxiquer l’amour et l’enfermer dans un huis clos malsain, on comprendra que cet acte d’étouffement n’est pas un acte libre, c’en est même l’opposé.
On comprendra que si liberté de l’amour en fin de vie il y a, c’est dans la liberté de puiser les ressources, toutes les ressources, existantes avant de déclarer forfait.

On y comprendra aussi que seul face à l’adversité l’homme ne peut faire face. Il arrive aux limites de ses propres ressources et si la moindre fenêtre ne s’ouvre pas sur l’extérieur, c’est plus que la mort, c’est l’amour qui est tué.
L’amour sans soin est disqualifié. La maladie ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche.

Penser la mort, c’est pourtant penser l’amour

« Je vous souhaite à tous de vivre d’amour et de création ». Dernière phrase écrite de J.P. Rouette avant sa mort à ses amis cinéastes.

Il y a les amours malheureux de Rimbaud, il y a les morts malheureuses et tragiques, les morts solitaires, les morts violentes, les morts de toutes sortes, mais je ne peux m’empêcher de penser avec Goethe qu’ »on peut aussi construire de belles choses avec les pierres qui entravent le chemin »;

Qu’il y a aussi des morts simples, des morts qui se passent bien, des fins de vie riches, des fins de vie paisible, des fins de vie qui laissent un sentiment de beauté et de grandeur, qui laissent un sentiment d’achèvement et non de fin, qui laisse une lueur qui brille dans les yeux de ceux qui restent.

J’aime pouvoir encore penser que l’amour donne des ailes pour s’envoler, qu’il ne les replie pas, mais les ouvre. Qu’il n’a pas de limite dans la recherche de solution, qu’il en éprouve même du plaisir à braver les obstacles, à ne jamais céder à rien, j’aime à penser que l’amour soit assez rebelle, soit assez indomptable et libre pour se défaire des chaines qui l’entravent. J’aime à penser qu’il puisse durer au delà de l’adversité et y voir plus loin, j’aime lorsqu’il s’allie à construire du possible, à créer plutôt que de détruire, j’aime quand il dénigre le mal, donne un coup de botte aux nuages qui l’empêchent de voir clair, j’aime son audace et son impétuosité à vouloir pousser les murs pour agrandir les espaces, j’aime plus que tout, rayer le malheur du programme de soin, j’aime lui apporter contradiction, opposition, résistance, et lutte contre la souffrance. Voilà ce que c’est que veux penser de l’amour et si l’amour se résume à ne plus pouvoir le faire , si l’amour se résume au pouvoir, au pouvoir dire, au pouvoir faire, c’est pas étonnant qu’on en arrive à se désespérer lorsqu’on perd le pouvoir de faire et de dire.

Il y a pourtant autre chose qui dépasse, qui déborde ce que peux faire l’humain de sa vie, il y a autre chose de plus infini que sa propre fin, C’est ce qui rayonne de lui, dans les liens qu’il a crée, dans la trace qu’il laisse chaque jour de lui-même, dans ce qui même dans la vulnérabilité la plus démunie, c’est ce qui subsiste de lui.
Cette femme qui chante et danse sur le pont d’Avignon, ce n’est pas rien. Peut-être que finalement, ce chant qui soutient leur lien, s’étouffe de ne pas être repris en cœur. On y souhaiterait l’aide des sept nains de blanche neige qui viennent y entrainer les chants ! On y souhaiterait la cohésion d’une famille et la chaleur d’un ensemble repris en échos.
Il nous va droit au cœur ce pont d’Avignon, où on y danse encore …

Lorsqu’on attrape l’oiseau de la liberté, c’est pour le soigner, pour qu’il puisse s’envoler, pas pour l’étouffer et s’approprier sa vie. C’est peut-être alors sauver la beauté des choses et des êtres qu’il nous revient de préférer, au delà de l’image qu’ils laissent voir, c’est peut-être au plus profond de nous même penser qu’il y a dans la profondeur de la nuit et du désespoir un infime espoir, une étoile dont la lumière est juste voilée , juste cachée , mais qu’elle est là en chacun de nous.
Que cet amour, enfant de liberté s’envole de lui-même, sans qu’on ait à le pousser … sans le contraindre à s’en aller…
Peut-être que nous ne savons plus entendre la voix humaine, jusqu’au cri comme le chant humain d’une présence humaine, peut-être même que nous ne savons plus gouter la paix qu’il y dans l’apaisement de la souffrance d’une personne en fin de vie qui dort, peut-être que nous ne savons plus comment s’apaiser.
Pourtant, souvenez-vous, Assurément nous connaissons cette lueur de joie qui éclaire un regard dans la personne qui aime, c’est peut-être cela que nous devrions chercher ensemble, cette lueur qui éclaire ce travail des soignants, celle qui éclaire le cœur des proches qui transforment souvent l’effort en plaisir, celle qui fait de nous des êtres capables de supporter les choses difficiles de la vie.

Penser la fin de vie, c’est penser le soin et le lien au monde

Il est déjà tard en fin de vie pour réagir, je n’ai pas dit trop tard; mais il serait souhaitable et préférable que les soins s’installent à domicile, quand tout va encore bien et que la rencontre est encore possible. Au caractère palliatifs des soins, il faut un accompagnement précoce dès les premiers stades de la maladie, dès le retour à domicile, sinon le souhait de retour à domicile des personnes en fin de vie tournera au cauchemar, et on sait combien la liberté se paye en sécurité à domicile.

L’urgence est de développer et permettre l’accès facilité à ces soins palliatifs, permettre qu’ils soient introduits au domicile des patients par un accompagnement des soins en amont et non plaqués en fin de vie les derniers jours de la vie;
Il ne s’agit pas non plus de devenir intrusif en transportant l’hôpital au lieu intime du domicile, on ne peut être qu’intrusif dans ces manières de faire.
La fin de vie à domicile est vécue comme une continuité de la vie, ne cassons pas cette continuité et cette « harmonie » si précieuse dans la poursuite des soins, utilisons les moyens humains existants et les professionnels du domicile qui connaissent parfaitement cette forme de proximité intime de la casa, travaillons avec les moyens techniques de l’hôpital, avec l’esprit et l’âme intérieure qui convient à cette phase ultime de la vie.

Si la fin de vie est unique, et intime, elle est pourtant tellement intimement collective, qu’on ne saurait supporter qu’elle devienne le synonyme d’un repli de notre humanité,
le débat sur la fin de vie je l’espère mettra à jour tous ces enjeux intimes et ultimes du soin et de l’amour qui l’accompagne, fera connaitre l’avancée que permet la loi Léonetti et permettra aux gens de mieux connaitre leurs droits , leurs droits à des soins de qualité, à ne pas souffrir et mourir isolés, leurs droits à des égards et à vivre leur maladie ou leur handicap, sans être toujours menacé , sans être toujours malmenés, sans être écoutés et entendus.
Je souhaite que ce grand débat de société soit l’occasion de redire à nos pouvoirs publics que lorsque la vulnérabilité gagne l’ensemble du corps soignant, il s’agit au moins d’en préserver les compétences acquises, et que le « soin » que peuvent apporter nos politiques et nos juristes est peut-être de reconnaitre à travers la présence du soin quel qu’il soit, le dernier rempart à la barbarie postmoderne qui divise au lieu de rassembler.
Je souhaite qu’on se préoccupe de ce « maintien à domicile », pour qu’il devienne et reste un choix à part entière, pour qu’il reste possible de mourir en toute intimité de la société ;
Je souhaite qu’il demeure une discrétion aimante, qui ne soit ni un secret, ni une outrance de l’exposition de la condition humaine du mourir.
Je souhaite que la délicatesse, la pudeur et l’intimité puisse être épargnées de bousculades de dernière minute, pour quelques bouffées printanières de dernières minutes , quand le manque a creusé son sillon dans une terre aride , sans que quelques jardiniers n’y voient la nécessité d’arroser et de nourrir nos fleurs de liberté.

La fin de vie un débat intimement citoyen

Si la fin de vie nous rassemble toujours autour des funérailles, j’oserai dire qu’il ne faut pas attendre « Quelques heures de printemps » dans la crise générale et dans l’urgence finale de l’apoptose sociétale, qu’il faut agir de manière urgente pour préparer ce retour à domicile, et je ne vois pas comment faire autrement qu’en nous croisant toujours sans nous parler, sans nous connaître, sans communiquer sur les métiers du soin, sans assurer nos patients les plus gravement atteints qu’ils ne seront pas livrés à eux mêmes, qu’ils sont au cœur de nos préoccupations, qu’ils sont au cœur de l’humanité de nos sociétés.

Je souhaite que ce grand débat humain tant attendu et tant souhaité sera l’occasion de mettre en valeur la grandeur de la personne humaine jusque dans ses derniers instants, une grandeur qui dépasse les rôles, les cartes professionnelles et les missions, qui déborde de partout.
Franchement, j’espère qu’on se rendra compte de cela, de cette loi non inscrite, qui n’est pas une loi de la nature de l’homme, mais une loi de la nature civilisée qui nous fait participer du monde qui nous entoure

]]> http://plusdignelavie.com/?feed=rss2&p=2232 0