Plus digne la vie » lois http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2969 http://plusdignelavie.com/?p=2969#comments Sun, 03 Sep 2017 11:10:18 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2969 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud – Paris-Saclay

Privilégier des intérêts privés au mépris du bien public et de tout sens de l’exemplarité, n’est pas l’apanage de nos responsables politiques. Les modèles qu’impose une gouvernance évaluée selon son obsession de la performance et des protocoles, dans le contexte de dématérialisation des relations interindividuelles et de numérisation des échanges, relèvent d’un anonymat et d’un cynisme peu favorables à la préoccupation morale. Le sentiment de relégation sociale, d’exclusion et de mépris qu’éprouvent parmi nous les personnes en situation de précarité économique, de vulnérabilité face à la maladie ou le handicap, d’exil pour cause « d’inutilité sociale » ou du fait de leur révocation parce que « hors d’âge », est révélateur, lui aussi, d’une indifférence, voire d’une imposture peu compatible avec des principes moraux. Ces violences à la personne et au contrat social, appellent davantage l’expression d’une sollicitude, d’une attention et d’une vigilance favorisant un plus juste respect des valeurs de fraternité et de justice que prône notre République, que des admonestations dont on ne peut que déplorer l’inanité. Se consacrer à refonder les principes de la vie publique du point de vue de la moralité, n’est pas un exercice qui peut s’envisager dans le cénacle d’experts. Sauf si l’on estime sans importance d’y associer la société dans son ensemble, de prendre en compte ses richesses dans la diversité de réflexions et d’engagements qui permettent de maintenir une cohésion alors que menace un délitement social qui pourrait aboutir à une implosion.

Sommes nous prêts, dans le cadre d’une concertation nationale à repenser ensemble les valeurs de la République ou alors estime-t-on que l’urgence justifie d’édicter les nouvelles règles de la morale en politique sans affronter la complexité et les enjeux de fond ? Prendre la mesure de ce que signifie l’exigence de moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à proposer une régulation procédurière ayant pour vertu de restaurer un sens des responsabilités qui ferait défaut. Cela d’autant plus que l’analyse s’avère à cet égard pour le moins sommaire, car les serviteurs de l’État ne déméritent pas comme on le donnerait à croire à travers la dénonciation du comportement scandaleux de certains d’entre eux. Porter le discrédit de manière indifférenciée sur les acteurs de la vie publique c’est renoncer à considérer dans quelles conditions s’exercent notamment les missions d’enseignement, de justice, de sécurité, de défense et de soin. C’est ne pas saisir l’appel récurrent à une reconnaissance, à une dignité publique qui elle aussi procède d’une considération morale. C’est peut-être ne pas comprendre où se situe l’urgence morale.

Il s’agit de débattre du bien commun, du vivre ensemble, de ce qui détermine notre devenir en termes de choix de société, et dès lors de ne pas renoncer à intégrer à la démarche une analyse des fragilités sociales, des ruptures et des mutations qui bouleversent nos systèmes de référence. Notre ambition doit être également de reconnaître l’intelligence d’engagements et de solidarités qui défendent au quotidien les plus hautes valeurs de notre démocratie, d’intégrer leur expertise. Le courage est une vertu morale, un certaine audace également.

Les lois du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique constituent une approche déjà détaillée des règles qui s’imposent dans l’exercice de responsabilités publiques assumées « avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Les instances dévolues à la déontologie et à l’éthique se sont démultipliées ces dernières années afin d’apporter les encadrements et les contrôles indispensables. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, l’Agence française anticorruption, au même titre que tant d’autres autorités administratives indépendantes, assurent des missions visant notamment à la prévention des manquements et au renforcement de la probité dans les pratiques. Dans ce domaine, le législateur n’a pas failli à sa mission. La rectitude et le principe de précaution s’imposent même parfois avec une rigueur qui génère une suspicion systématique, une défiance et un discrédit dont on peut constater les effets par exemple dans le champ de la santé publique. Les règles sont certes nécessaires, encore importe-t-il d’en saisir le sens et l’intention, de se les approprier et de les appliquer avec conscience, discernement et prudence. La pédagogie, y compris dans le cursus de formation de nos décideurs, ne constitue-t-elle pas un enjeu tout aussi considérable que le contrôle systématisé ?

Moraliser la vie publique en estimant que prescrire des normes contraignantes de bonne conduite à ceux qui nous gouvernent ou exercent des responsabilités restaurera la confiance et renforcera la cohésion sociale, relève d’une appréciation hâtive. Affirmer – ce qui est différent – qu’une morale publique comprise en ce qu’elle exprime d’une conception de nos valeurs démocratiques puisse être refondée du point de vue de ses enjeux concrets et de ses finalités pratiques en y apportant l’intelligence et le pluralisme d’une consultation nationale, s’avère d’une toute autre pertinence. De surcroit, les conditions actuelles de recomposition politique et cette envie de renouveler les modes de gouvernance en y associant le dynamisme de compétences et de talents trop souvent négligés, ne peuvent qu’inciter à une ambition plus exigeante qu’un acte législatif précipité, aussi symbolique ou « politique » soit-il.

Le président de la République porte un message que nous avons compris dans son exigence de sollicitude, cette attention qu’il porte à l’autre et à sa place reconnue dans notre démocratie. Refonder notre morale publique ne saurait pas seulement consister à moraliser des pratiques qui doivent être exemplaires et intègres. Il s’agit de créer les conditions d’une mobilisation politique riche de la diversité des compétences et des engagements qui témoignent d’un même souci des valeurs de notre démocratie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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Le droit politique de vivre et de mourir dans la dignité http://plusdignelavie.com/?p=2949 http://plusdignelavie.com/?p=2949#comments Thu, 23 Mar 2017 18:13:17 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2949 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud / Paris-Saclay

Se soucier effectivement de la personne vulnérable en fin de vie

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie bouleverse certains repères dans notre approche des responsabilités humaines et sociales . . . → Read More: Le droit politique de vivre et de mourir dans la dignité]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud / Paris-Saclay

Se soucier effectivement de la personne vulnérable en fin de vie

La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie bouleverse certains repères dans notre approche des responsabilités humaines et sociales assumées auprès d’une personne malade ou en fin de vie. Elle propose une nouvelle conception de la médicalisation de l’existence jusqu’à son terme, et incite à repenser certaines des missions relevant certes des soins palliatifs, mais, au-delà, des pratiques médicales dans leur confrontation à des processus décisionnels complexes.
La dignité humaine exige de notre part une réflexion intègre et courageuse, qui se refuse aux complaisances de la compassion. Il importe de réhabiliter et de restaurer une relation de confiance, alors que le soupçon s’insinue de manière délétère dans les espaces du soin, accentuant les vulnérabilités. S’il est en ce domaine un droit, n’est-il pas celui de mourir en humanité ?
Mourir en société peut exprimer la revendication d’une mort accompagnée avec humanité, digne, insoumise aux seules considérations biomédicales ou à l’organisation administrative des fins de vie. Il s’agit désormais de renouveler la pensée que justifie ce domaine si sensible. Il concerne les fondements de la société. Elle ne saurait se limiter à la reconnaissance des conditions de la « mort médicalement assistée », à la dépénalisation ou à la légalisation de l’euthanasie revendiquée d’un point de vue politique.
La mort est révélatrice de nos attitudes face à la vie. La médicalisation de l’existence semble ne plus solliciter que des considérations où prédominerait l’approche scientifique, et à défaut un soin compassionnel sédatif, au détriment de toute autre requête ou préoccupation d’ordre anthropologique. Les temps d’une fin de vie s’avèrent cependant d’autant plus respectés et respectables qu’ils ne sont pas ramenés à des évaluations, à des estimations qui détermineraient en quoi et selon quels critères les considérer « utiles », dignes ou non d’être vécus.
Témoigner une attention à la personne vulnérable dans la maladie relève d’une préoccupation politique profondément justifiée. Consacrer – depuis 2012 et jusqu’au vote de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie – tant de discussions, de disputations et de controverses au droit de la personne en fin de vie, aurait pu tout d’abord consisté à rendre effectifs ses droits plus généraux tels qu’ils sont énoncés dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Ceux qui concernent la continuité de son parcours de soin, la reconnaissance de ses besoins afin de vivre dans la dignité et en société le temps incertain de la maladie. Ils conditionnent de toute évidence nos approches des situations spécifiques que nous ramenons, à mauvais escient, à des enjeux circonscrits à l’imminence de la mort. Une même observation concernerait les lois du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs et celle du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : on constate à quel point les responsables politiques et ceux des administrations centrales se sont avérés pour le moins peu attentifs à en mettre en œuvre les engagements.

Repenser la fin de vie et la mort en société

Penser le droit politique de vivre dans la dignité, y compris dans des circonstances de précarité existentielle sans rapport direct avec la maladie, s’avérait dans le contexte présent plus urgent que de déterminer les conditions d’exercice du « droit de mourir dans la dignité », considéré comme une urgence politique. Ce qui nous oblige à l’égard d’une personne embourbée dans la désespérance d’une maladie qui la spolierait de ce qui justifie de persévérer, en appelle à la fois à la retenue et à la capacité d’engager à ses côtés une faculté de mobilisation qui, parfois, semble excéder ce que l’on peut effectivement. Certes, il n’est pas évident de se porter au secours de l’autre alors que d’évidence nous sommes l’un et l’autres démunis pour envisager les termes mêmes de l’engagement. Mais c’est trahir une relation de confiance que de renoncer à tout autre expédient qu’un protocole médicalisé de sédation terminale, et de s’en remettre aux procédures prescrites dans une loi et dans ses décrets d’application pour s’estimer exonérer de toute autre obligation morale.
Se préparer à la mort, « apprendre à mourir » comme les mystiques et les philosophes en tentaient l’exercice, voire l’expérience, doit s’inventer de nos jours dans un contexte peu favorable aux approches spéculatives et spirituelles. Seules les procédures médicalisées de gestion d’une fin de vie, semblent susceptibles de proposer un salut dans l’apaisement, ici et maintenant. Elles relèvent de la précision de dispositifs qui abolissent la moindre sensation de dépossession d’une existence.
D’autres enjeux sont à privilégier comme par exemple l’humanisation et la socialisation de ce temps d’achèvement d’une existence, trop souvent reléguée aux marges des préoccupations de la cité. Ce à quoi vise, notamment, une plus juste compréhension des valeurs portées par la philosophie des soins palliatifs, selon moi plus justifiée que jamais, pour autant que les professionnels en assument effectivement les exigences, et bénéficient pour ce faire de la reconnaissance, des compétences et des moyens indispensables.
Il nous faut penser de tels enjeux en des termes politiques, car nos décisions en ce domaine si particulier déterminent, plus qu’on ne le pense, nos représentations de la vie démocratique, dans un contexte de défiance et d’aspirations individualistes qui fragile déjà suffisamment le lien social, le vivre ensemble.
On l’a compris, à proximité ou face à la mort, personne ne détient la vérité. Les certitudes et les savoirs sont défiés au point de verser trop souvent dans la caricature, l’insignifiance ou la démesure, là où seules s’imposeraient la retenue, la pudeur. Simplement, peut-être, une infinie tendresse.
Pour achever dignement son existence, encore faut-il avoir le sentiment de l’avoir pleinement vécue, y compris lorsqu’en phase terminale l’attente de l’instant qui vient peut ne pas être celle de la mort prochaine. Encore convient-il de reconnaître, d’assumer et de rendre effective cette ultime liberté de l’attente, absolument différente de celle de la mort sollicitée, donnée, parfois même précipitée.
Peut-on admettre qu’on puisse s’autoriser à vivre encore, malgré la maladie, en dépit d’une mort plus ou moins prochaine ? Le droit à « vivre sa vie » serait-il contestable et contesté, dès lors que prévaudraient des considérations supérieures habilement dissimulées derrière le paravent d’une dignité ravalée à la justification de ce qui pourrait être considéré comme l’exécution de basses besognes ?

« Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? Poser cette question, c’est ouvrir une perspective qui elle-même entraîne un débat. Et les questions sont multiples. »
François Hollande a posé cette question. Il y a apporté – après consultation – ses réponses qui sont consacrées dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On les sait fragiles, provisoires, transitoires, d’une applicabilité incertaine et d’une portée équivoque. Comme démocrates, nous aurons à cœur de préserver le sens d’un engagement qui permette d’encore « penser solidairement la fin de vie ».

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Fin de vie, une sédation politique http://plusdignelavie.com/?p=2925 http://plusdignelavie.com/?p=2925#comments Tue, 02 Feb 2016 09:55:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2925 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 . . . → Read More: Fin de vie, une sédation politique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 octobre. À en juger par la consternante réunion de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 30 septembre, les deux rapporteurs s’étant figés dans une position de refus du moindre amendement, soit le consensus résistera aux coups de butoirs des propagandistes de cette démarche désormais imposée, soit l’hostilité à tant de désinvolture et de rigidité ramènera chacun à ses positions contradictoires d’hier. Ce rejet systématique d’améliorations nécessaires d’un texte de loi dont on sait l’importance des nuances dans sa rédaction, révèle que la concertation nationale voulue par François Hollande le 17 juillet 2012 s’achève aujourd’hui dans une précipitation et une négligence qui déçoivent, une forme d’échec inattendu. Les deux rapporteurs, recourant à des arguments trop souvent discutables, ont confisqué toute possibilité d’évolutions d’un texte en certains points approximatif, voire peu convaincant ou alors suscitant des interprétations équivoques. Ils disent s’en remettre demain à la commission mixte paritaire qui sera amenée à conclure les péripéties hasardeuses d’une nouvelle approche de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. À l’heure actuelle rares sont les personnes qui estiment les avancées qu’elle prétend promouvoir à hauteur d’enjeux dilapidés dans des joutes parlementaires et des affirmations péremptoires indignes de réalités humaines qui méritent mieux. Cette suffisance parfois insultante des réponses concédées aux détracteurs des quelques points justifiant une prudence dans la formulation de la loi, ne fait désormais qu’attiser les revendications d’une loi cohérente enfin favorable à l’euthanasie. Le voile semble désormais levé, ce qui peut être le seul avantage à tirer d’une telle palinodie : l’assistance médicalisée en fin de vie devra se comprendre, tout en préservant encore quelques apparences, comme la reconnaissance d’une sédation profonde, continue et terminale, à la demande de la personne en fin de vie ou non, sur simple rédaction de ses directives anticipées opposables et applicables sans autre forme par le médecin dans l’incapacité faire valoir sa clause de conscience. L’alimentation et l’hydratation des personnes assimilées à un traitement artificiel assimilable à une obstination déraisonnable, pourront être interrompues sur décision médicale y compris pour une personne atteinte d’un handicap profond dont on ignore, faute de pouvoir communiquer, si comme le prétendent certains parlementaires, elle aurait ainsi considéré inacceptable « de prolonger inutilement sa vie ».
Rappelons, sans être certain que cela importe encore, l’esprit et la forme des quelques amendements présentés tant par les membres des commission des affaires sociale et des lois du Sénat, que des députés mercredi dernier : tous rejetés sur la base d’arguments peu satisfaisants par les deux rapporteurs de la proposition de loi.
À l’intitulé « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » était préféré celui plus précis de « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». La légitimation du suicide assisté, voire de l’euthanasie ne devait pas apparaître induite par une formulation volontairement ambiguë.
La sédation « profonde et continue » est avancée comme une évolution majeure en terme de droit de la personne malade ou en fin de vie. Là également, le texte tel qu’il est soumis en deuxième lecture aujourd’hui, sans modification de la moindre virgule depuis son approbation à l’Assemblée nationale le 17 mars 2015, justifiait des précisions parfaitement explicitées par les membres de la commission des lois du Sénat.
« La commission des lois a marqué son attachement aux deux principes cardinaux de la législation française actuelle sur la fin de vie : d’une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d’autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité. Pour cette raison, estimant que le recours à la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état d’inconscience totale jusqu’à son décès, se justifiait uniquement par le souci de soulager les souffrances d’une personne en fin de vie, elle a marqué son accord avec le choix de la commission des affaires sociales de restreindre ce recours aux cas de patients en fin de vie dont les souffrances sont réfractaires à tout autre traitement de soins palliatifs. »
Sur ce point des plus controversé, les sénateurs développent une argumentation qui n’aura pas su ébranler les convictions définitives de nos deux rapporteurs.
« Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l’intention qui la porte, la sédation (profonde) est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu’elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant. (…) La sédation profonde et continue ne pourrait être mise en œuvre, à la demande du patient, que si son pronostic vital est engagé à court terme en raison de l’arrêt d’un traitement ou de l’évolution de sa maladie. (…) Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la frontière entre une mort causée par la maladie et une mort liée à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or cette distinction permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique. »
Les sénateurs, au même titre que les députés ayant présenté des positions estimées insignifiantes le 30 septembre, n’avaient pas limité l’examen du texte à la mise en cause des points a priori les plus litigieux. Ils estimaient également nécessaire de supprimer l’alinéa de l’article L. 1110-5-1. « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » qui relève du discernement médical et non d’une décision de législateur.

Vers une loi en faveur de l’euthanasie

Ainsi que certains responsables politiques l’affirment ces dernières semaines, afin de calmer l’impatience des déçus d’une démarche qui ne tiendrait pas ses promesses, cette proposition de loi n’a qu’une fonction transitoire, pédagogique, dans la perspective d’une législation déjà évoquée qui légalisera l’euthanasie. Cette vocation de certains aux stratégies politiciennes renforce donc le défi actuel à l’égard de pratiques d’autant plus pernicieuses qu’elles concernent nos valeurs de société, notre sphère privée.
Il y avait besoin d’une clarification en des domaines complexes pour lesquels certains se sont arrogés une autorité et une expertise désormais indiscutable. Leur discours tourne en quelque sorte à vide, répétitif et refermé sur un système de pensée indifférent à ce qui susciterait le moindre doute. On ne saurait se satisfaire plus longtemps d’un unanimisme inconsistant ou d’une compassion négligente. Poursuivre ces disputations dont on ne sait au juste ce qu’elles tentent d’expliciter ou de justifier, ces atermoiements qui nous enlisent et obscurcissent le réel est devenu indécent. À chacun maintenant d’assumer ses responsabilités. Plutôt que de pervertir par des propos inconvenants et en nous assénant des convictions indiscutables, j’inciterai les responsables politiques à ne pas différer plus longtemps leur préférence pour une loi créant de nouveaux droits en faveur des malades, des personnes en fin de vie, du suicide assisté et de l’euthanasie ! Ainsi, les règles du « vivre ensemble » se comprendront demain jusque dans l’obligation d’assurer comme un droit l’administration d’une sollicitude active dans la mort, là où trop souvent nous désertons face aux vulnérabilités dans la vie. Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». La moindre enfreinte au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive. De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société « apaisée » est prête aux avancées préconisées. C’est du moins ce qu’estiment à cette heure les deux rapporteurs de la proposition de loi sans susciter la moindre réaction significative, comme si la sédation avait déjà ses premiers effets.

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Fin de vie, une sédation politique http://plusdignelavie.com/?p=2916 http://plusdignelavie.com/?p=2916#comments Tue, 06 Oct 2015 21:42:13 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2916 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 . . . → Read More: Fin de vie, une sédation politique]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Le gâchis d’une concertation rompue

Après son rejet par le Sénat le 23 juin 2015, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est discutée en seconde lecture à l’Assemblée nationale les 5 et 6 octobre. À en juger par la consternante réunion de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 30 septembre, les deux rapporteurs s’étant figés dans une position de refus du moindre amendement, soit le consensus résistera aux coups de butoirs des propagandistes de cette démarche désormais imposée, soit l’hostilité à tant de désinvolture et de rigidité ramènera chacun à ses positions contradictoires d’hier. Ce rejet systématique d’améliorations nécessaires d’un texte de loi dont on sait l’importance des nuances dans sa rédaction, révèle que la concertation nationale voulue par François Hollande le 17 juillet 2012 s’achève aujourd’hui dans une précipitation et une négligence qui déçoivent, une forme d’échec inattendu. Les deux rapporteurs, recourant à des arguments trop souvent discutables, ont confisqué toute possibilité d’évolutions d’un texte en certains points approximatif, voire peu convaincant ou alors suscitant des interprétations équivoques. Ils disent s’en remettre demain à la commission mixte paritaire qui sera amenée à conclure les péripéties hasardeuses d’une nouvelle approche de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. À l’heure actuelle rares sont les personnes qui estiment les avancées qu’elle prétend promouvoir à hauteur d’enjeux dilapidés dans des joutes parlementaires et des affirmations péremptoires indignes de réalités humaines qui méritent mieux. Cette suffisance parfois insultante des réponses concédées aux détracteurs des quelques points justifiant une prudence dans la formulation de la loi, ne fait désormais qu’attiser les revendications d’une loi cohérente enfin favorable à l’euthanasie. Le voile semble désormais levé, ce qui peut être le seul avantage à tirer d’une telle palinodie : l’assistance médicalisée en fin de vie devra se comprendre, tout en préservant encore quelques apparences, comme la reconnaissance d’une sédation profonde, continue et terminale, à la demande de la personne en fin de vie ou non, sur simple rédaction de ses directives anticipées opposables et applicables sans autre forme par le médecin dans l’incapacité faire valoir sa clause de conscience. L’alimentation et l’hydratation des personnes assimilées à un traitement artificiel assimilable à une obstination déraisonnable, pourront être interrompues sur décision médicale y compris pour une personne atteinte d’un handicap profond dont on ignore, faute de pouvoir communiquer, si comme le prétendent certains parlementaires, elle aurait ainsi considéré inacceptable « de prolonger inutilement sa vie ».
Rappelons, sans être certain que cela importe encore, l’esprit et la forme des quelques amendements présentés tant par les membres des commission des affaires sociale et des lois du Sénat, que des députés mercredi dernier : tous rejetés sur la base d’arguments peu satisfaisants par les deux rapporteurs de la proposition de loi.
À l’intitulé « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » était préféré celui plus précis de « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». La légitimation du suicide assisté, voire de l’euthanasie ne devait pas apparaître induite par une formulation volontairement ambiguë.
La sédation « profonde et continue » est avancée comme une évolution majeure en terme de droit de la personne malade ou en fin de vie. Là également, le texte tel qu’il est soumis en deuxième lecture aujourd’hui, sans modification de la moindre virgule depuis son approbation à l’Assemblée nationale le 17 mars 2015, justifiait des précisions parfaitement explicitées par les membres de la commission des lois du Sénat.
« La commission des lois a marqué son attachement aux deux principes cardinaux de la législation française actuelle sur la fin de vie : d’une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d’autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa dignité. Pour cette raison, estimant que le recours à la sédation profonde et continue, qui place le patient dans un état d’inconscience totale jusqu’à son décès, se justifiait uniquement par le souci de soulager les souffrances d’une personne en fin de vie, elle a marqué son accord avec le choix de la commission des affaires sociales de restreindre ce recours aux cas de patients en fin de vie dont les souffrances sont réfractaires à tout autre traitement de soins palliatifs. »
Sur ce point des plus controversé, les sénateurs développent une argumentation qui n’aura pas su ébranler les convictions définitives de nos deux rapporteurs.
« Selon le cadre dans lequel elle intervient, et l’intention qui la porte, la sédation (profonde) est donc une pratique médicale acceptable ou expose à des dérives, contraires aux principes qui fondent la législation française sur la fin de vie. À cet égard, le fait qu’elle intervienne ou non dans une situation effective de fin de vie est déterminant. (…) La sédation profonde et continue ne pourrait être mise en œuvre, à la demande du patient, que si son pronostic vital est engagé à court terme en raison de l’arrêt d’un traitement ou de l’évolution de sa maladie. (…) Enfin, lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la frontière entre une mort causée par la maladie et une mort liée à une autre cause, voire aux conséquences d’un traitement médical. Or cette distinction permet d’écarter tout risque de dérive euthanasique. »
Les sénateurs, au même titre que les députés ayant présenté des positions estimées insignifiantes le 30 septembre, n’avaient pas limité l’examen du texte à la mise en cause des points a priori les plus litigieux. Ils estimaient également nécessaire de supprimer l’alinéa de l’article L. 1110-5-1. « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » qui relève du discernement médical et non d’une décision de législateur.

Vers une loi en faveur de l’euthanasie

Ainsi que certains responsables politiques l’affirment ces dernières semaines, afin de calmer l’impatience des déçus d’une démarche qui ne tiendrait pas ses promesses, cette proposition de loi n’a qu’une fonction transitoire, pédagogique, dans la perspective d’une législation déjà évoquée qui légalisera l’euthanasie. Cette vocation de certains aux stratégies politiciennes renforce donc le défi actuel à l’égard de pratiques d’autant plus pernicieuses qu’elles concernent nos valeurs de société, notre sphère privée.
Il y avait besoin d’une clarification en des domaines complexes pour lesquels certains se sont arrogés une autorité et une expertise désormais indiscutable. Leur discours tourne en quelque sorte à vide, répétitif et refermé sur un système de pensée indifférent à ce qui susciterait le moindre doute. On ne saurait se satisfaire plus longtemps d’un unanimisme inconsistant ou d’une compassion négligente. Poursuivre ces disputations dont on ne sait au juste ce qu’elles tentent d’expliciter ou de justifier, ces atermoiements qui nous enlisent et obscurcissent le réel est devenu indécent. À chacun maintenant d’assumer ses responsabilités. Plutôt que de pervertir par des propos inconvenants et en nous assénant des convictions indiscutables, j’inciterai les responsables politiques à ne pas différer plus longtemps leur préférence pour une loi créant de nouveaux droits en faveur des malades, des personnes en fin de vie, du suicide assisté et de l’euthanasie ! Ainsi, les règles du « vivre ensemble » se comprendront demain jusque dans l’obligation d’assurer comme un droit l’administration d’une sollicitude active dans la mort, là où trop souvent nous désertons face aux vulnérabilités dans la vie. Il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant « à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». La moindre enfreinte au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive. De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société « apaisée » est prête aux avancées préconisées. C’est du moins ce qu’estiment à cette heure les deux rapporteurs de la proposition de loi sans susciter la moindre réaction significative, comme si la sédation avait déjà ses premiers effets.

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Fin de vie : pour une évolution législative justifiée http://plusdignelavie.com/?p=2890 http://plusdignelavie.com/?p=2890#comments Sat, 10 Jan 2015 15:13:04 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2890 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition . . . → Read More: Fin de vie : pour une évolution législative justifiée]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, auteur de Fin de vie. Le choix de l’euthanasie ?, éditions le Cherche midi

 

L’intelligence d’une approche politique

La concertation nationale sur la fin de vie engagée par François Hollande le 17 juillet 2012 s’est conclue le 12 décembre 2014 par une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ». Ce temps d’écoute, de dialogue et d’approfondissement était nécessaire : il témoigne d’une exigence de respect, de prudence et de rigueur qui honore notre vie démocratique. Au-delà de la saisine de compétences convenues dans le champ de la santé et de la réflexion éthique, l’intelligence de cette approche politique aura été de favoriser l’émergence d’expressions trop souvent négligées dans le débat public. Au cours de ces deux années les postures se sont estompées, chacun prenant conscience de l’opportunité qu’il y avait à renoncer aux positions par trop marquées par l’idéologie ou des convictions réfractaires à l’analyse justifiée d’une réalité qui a évolué depuis 2005. Car contrairement aux idées reçues, la loi du 22 avril 2005 s’est implémentée dans le cadre des pratiques soignantes et a, plus qu’on ne l’admet, contribué à une pédagogie sociétale. Son évolution mesurée s’impose aujourd’hui comme le nécessaire ajustement de principes intangibles inspirés par les valeurs que nous partageons. Il me semble donc important de reconnaître la valeur et la signification de ce processus de délibération qui a été mené dans la transparence, avec pour souci d’associer, dans un esprit d’ouverture, le pluralisme des expériences, des expertises et des points de vue, sans concession, sans soumission, avec courage : de manière exemplaire. Cette démarche aboutie a rendu possible l’approche minutieuse de responsabilités complexes, délicates, relevant de nos devoirs d’humanité. Ainsi pouvons-nous dépasser ensemble le stade de controverses, de revendications, de positionnements figés qui s’avèrent aujourd’hui totalement dépassés, d’une autre époque.
La méthode choisie par le président de la République a situé le débat à son niveau d’exigence, renonçant aux slogans et aux sondages pour leur préférer l’argumentation, le discernement, la pondération et la concertation. Dans un premier temps la mission de réflexion sur la fin de vie a su recueillir avec justesse les ressentiments et les attentes suscités par la confrontation personnelle ou professionnelle au « mal mourir ». Remis le 19 décembre 2012, son rapport détaille les multiples circonstances de la fin de vie en France et soumet à une critique solidement étayée les hypothèses d’évolutions législatives avec leurs portée et conséquences possibles. Reprenant ce document de référence et répondant à de nouvelles questions formulées par François Hollande, dans leur avis n° 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » (1er juillet 2013) les membres du Comité consultatif national d’éthique poursuivent l’investigation, affinent les analyses et examinent avec précision les différentes options de ce que serait une approche de « l’assistance médicalisée en fin de vie » si, notamment, y étaient intégrés le suicide médicalement assisté ou l’euthanasie. Le 20 juin 2014 le Premier ministre confie enfin à deux parlementaires une mission visant à préparer un texte de loi relatif à l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est une « Proposition de loi modifiant la loi 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie » qui est présentée le 12 décembre au chef de l’État, et non une loi qui dépénaliserait l’euthanasie. Depuis le début de la concertation nationale, aucune instance n’a en effet exprimé une position favorable à une telle mutation législative, même si la notion « d’exception d’euthanasie » aura été évoquée, strictement encadrée, sans pour autant justifier sa transposition dans la loi. Cette proposition de loi procède d’un travail d’élaboration profondément respectueux de la singularité de circonstances intimes et ultimes qui sollicitent, face aux vulnérabilités existentielles, une solidarité profonde, un « engagement solidaire ». Ne serait-ce qu’à cet égard, sa légitimité s’avère indiscutable.

 

Valeurs engagées dans la proposition de loi

La conclusion de ce temps de mise en commun, au cœur de la cité, d’un questionnement à tant d’égards inédit et si délicat à instruire dans un contexte sécularisé et médicalisé, peut surprendre ou décevoir ceux qui depuis des années entravent la mise en œuvre de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ses détracteurs ont en effet décidé qu’elle n’était que transitoire, avant son abrogation et le vote d’une loi dépénalisant l’euthanasie. Pour les deux parlementaires qui présentent cette proposition de loi (Alain Claeys et Jean Leonetti), il convient davantage en effet de rendre effectifs les droits de la personne malade déjà affirmés dans trois lois (9 juin 1999, 4 mars 2002, 22 avril 2005) que de se fixer l’objectif d’un texte législatif qui renoncerait à proposer un cadre conforme aux valeurs de dignité et de respect qu’incarne l’idée de démocratie. Tel est le véritable défi politique des semaines qui viennent, puisqu’un débat parlementaire est annoncé pour janvier 2015 suivi d’une loi vers mars : nos parlementaires doivent saisir la teneur et l’urgence des enjeux présents. Faute de quoi demain, par défaut de résolution, de mobilisation, de compétences, de dispositifs et de moyens il est évident que l’épreuve du « mal mourir » en France conduira inévitablement à décider d’une gestion administrative de la fin de vie en recourant notamment à la pratique de l’euthanasie. Au-delà de tout esprit partisan, au cours cette instruction publique menée depuis deux ans auront été confirmées la valeur et la pertinence de cette approche humaniste, juste et prudente de nos engagements auprès de celui qui meurt. Celle que s’est choisie avec la loi du 22 avril 2005 le pays inspirateur des droits de l’homme : elle constitue du reste une référence reprise dans nombre de pays.
Il me semble important de prendre en compte la signification politique des positions affirmées dans le préambule de la proposition de loi qui sera discutée début 2015 au parlement : « Cette longue marche vers une citoyenneté totale, y compris jusqu’au dernier instant de sa vie, doit déboucher vers la reconnaissance de nouveaux droits. À la volonté du patient, doit correspondre un acte du médecin. » (…) « Ces nouveaux droits nous semblent répondre à la volonté des Français de sauvegarder leur autonomie et de mourir de façon apaisée. » Les valeurs de dignité et de liberté sont posées comme les principes à honorer dans des circonstances où, parfois, l’évolution d’une maladie avec ses conséquences sur l’intégrité de la personne semble les compromettre : « Toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour satisfaire ce droit. » Dans l’exercice de cette « citoyenneté totale » aucune option n’est privilégiée, de telle sorte que chacun peut se déterminer selon ses préférences pour autant qu’il ne sollicite pas de l’équipe médicale une euthanasie et qu’il ne soit pas contraint à décider par défaut. Ainsi l’accès aux soins de support et aux soins palliatifs doit pouvoir constituer une alternative tangible. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France, par manque de dispositifs dédiés tant en institution qu’au domicile et tout autant de formations appropriées. François Hollande a annoncé à ce propos un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, ce qui témoigne de sa volonté de promouvoir cet autre droit que représente la possibilité de bénéficier des soins d’accompagnement en toutes circonstances.

 

Ce que permettra la sédation profonde et continue

Un des aspects particulièrement sensible de la proposition de loi concerne la sédation profonde et continue : elle relèvera d’un droit reconnu à la personne atteinte « d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme (qui) présente une souffrance réfractaire au traitement » ou « d’une affection grave et incurable, (qui a décidé) d’arrêter un traitement, (ce qui) engage son pronostic vital à court terme ». Ce « traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » sera mis en œuvre à la demande de la personne. Elle en formulera la demande ou en aura exprimé la volonté dans la rédaction de ses directives anticipées qui s’imposeront « au médecin, pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation ». Ces directives deviendront ainsi « opposables » alors que dans la précédente loi elles constituaient seulement un avis ou une recommandation à prendre en compte pour orienter une délibération médicale collégiale, au même titre que la position exprimée par la personne de confiance.
La sédation profonde et continue à la demande d’une personne éprouvant une « souffrance réfractaire au traitement » ou atteinte d’une affection grave et incurable qui « engage son pronostic vital à court terme », représentera une évolution marquante dans les pratiques. L’appréciation des conditions d’indication de la sédation pourra en effet relever de critères personnels qui doivent être respectés, sans pour autant qu’ils interviennent dans le contexte limitatif du stade terminal d’une maladie. Cette conception de la « sédation terminale » applicable à des circonstances qui pourraient a priori ne pas relever au sens strict de la fin de vie est complétée par deux articles de la proposition de loi que certains ne manqueront pas de considérer comme une sorte d’ouverture possible vers ce que serait, faute d’encadrement précis, une logique d’euthanasie (dissimulée) : « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement. » ; « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. » En pratique l’équipe médicale se verra entravée de toute faculté d’appréciation de la recevabilité de la décision de la personne malade, ce qui ne manquera pas d’avoir une conséquence discutable sur les pratiques professionnelles, ne serait-ce que du point de vue de la signification même de l’engagement dans le soin. À cet égard il conviendra d’être attentif aux conséquences de la loi dans le contexte, par exemple, d’une tentative de suicide.
C’est dire à quel point cette proposition de loi ne se limite pas à la reformulation superficielle et opportuniste de certains aspects de la loi du 22 avril 2005. Elle tire de son évaluation critique des avancées significatives susceptibles de répondre y compris aux quelques circonstances qui justifiaient de nouvelles dispositions. À ce propos l’irruption en 2014, au cours de la concertation nationale, de la situation de M. Vincent Lambert, a suscité des clarifications d’autant plus justifiées que le Conseil d’État y a consacré le 24 juin 2014 une décision contentieuse. Encore serait-il indispensable de ne pas assimiler sans une extrême prudence certains états de handicaps sévères ou de maladies neurologiques dégénératives à une approche relevant sans autre discussion d’une législation relative à la fin de vie. Un encadrement rigoureux s’imposera pour éviter les interprétations abusives ou extensives d’un des articles de cette proposition de loi : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées, il recueille le témoignage de la personne de confiance et à défaut de tout autre témoignage de la famille ou des proches. »

 

Pour une « assistance socialisée en fin de vie »

L’heure n’est pas encore d’analyser dans le détail une proposition de loi qui risque d’être soumise dès janvier aux controverses politiciennes et aux pressions partisanes convaincues de l’urgence d’aller plus loin et de dépénaliser l’euthanasie. Il est toutefois important, en démocrate, de considérer les conclusions de cette concertation nationale comme l’affirmation de valeurs fortes à propos desquelles on se saurait transiger. Il convient de créer les conditions favorables non seulement à l’appropriation de nouveaux droits reconnus à la personne malade jusqu’au terme de sa vie, mais également à l’affirmation de nos devoirs d’humanité là où nos responsabilités humaines et sociales sont engagées. Car ce n’est pas l’énoncé de procédures, de protocoles et de dispositifs administratifs, voire notariaux qui apportera ce supplément d’humanité et de sollicitude revendiqué comme un besoin fondamental lorsque nous sommes confrontés à la maladie grave, aux handicaps, à la souffrance et à la mort. À elle seule l’anticipation de circonstances si difficiles à se représenter et à assumer n’est en rien garante de notre faculté d’exercer de manière autonome une maîtrise idéalisée sur des circonstances qui par nature défient nos certitudes et rendent inconsistantes nos tentations de contrôle, notre « volonté de puissance ». Cette évocation ou formulation d’une sédation profonde et continue que certains dénomment déjà « sédation palliative », « sédation terminale » ou « sédation euthanasique » n’évite pas d’interroger ce qu’il en adviendra des conditions mêmes de l’accompagnement, de la relation de soin dès lors qu’y renoncer et y mettre un terme anticipé pourra constituer la manière « digne » et « apaisée » de se détacher des vivants. Cette ritualisation de l’endormissement jusqu’à ce que la mort advienne dans cette forme d’apparente sérénité, pourra bien vite perdre toute justification au point de rendre davantage impatient de la mort et de contester cette prolongation d’une existence ainsi dépouillée de la moindre signification. S’y ajouteront, à n’en pas douter, toutes sortes de normes, de suggestions, de contraintes (y compris d’ordres gestionnaires et économiques) qui influeront sur la faculté d’autodétermination notamment des plus vulnérables parmi nous. L’exigence de vigilance s’impose donc à chacun d’entre nous, en dépit de notre intime conviction de la justesse du cadre législatif proposé, attentif à prévenir les dérives et profondément respectueux de la personne dans son humanité et ses valeurs.
Les évolutions législatives qui seront discutées au parlement début 2015 procèdent d’une approche responsable des aspirations à l’autonomie et à la responsabilisation : il convient aujourd’hui de les reconnaître comme les droits fondamentaux (bien que trop souvent formels) de la personne malade. Le défi est donc celui de leur effectivité, ce qui tient certes à une volonté politique mais tout autant à notre capacité d’affronter notre finitude, d’assumer les conditions d’exercice de nos responsabilités sur la vie sans les déléguer à un « acte du médecin », y compris consenti. Il serait pernicieux que les extensions envisagées de la loi du 22 avril 2005 ne soient pas accompagnées d’une mobilisation sociétale qui permette de penser et de vivre la maladie ainsi que la fin de vie en société : reconnu dans une « citoyenneté totale ». Le défi politique ne se limite donc pas à proposer une loi relative aux « droits des malades » ou à « l’assistance médicalisée en fin de vie », là où devrait tout autant être pensée et assumée ensemble « une assistance socialisée en fin de vie ».

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Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde http://plusdignelavie.com/?p=2878 http://plusdignelavie.com/?p=2878#comments Thu, 18 Dec 2014 12:23:17 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2878 Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde

Jean Fontant

Interne, président de l’association Soigner dans la dignité

 

Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l’association Soigner dans la dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

Nous . . . → Read More: Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde]]> Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde

Jean Fontant

Interne, président de l’association Soigner dans la dignité

 

Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l’association Soigner dans la dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.

Nous voulons lutter contre les peurs entourant la fin de vie, la défiance entretenue par certains contre le corps médical, et contre un préjugé destructeur : non, on ne meurt pas en France dans d’atroces souffrances, les solutions existent mais manquent de moyens et de visibilité.

Les lois sur la fin de vie ne sont pas assez connues et appliquées. Ce constat unanime motive certains pour demander un nouveau texte. Nous refusons cette démarche. Le cadre actuel de 2005, reconnu et estimé à l’étranger, ouvre une troisième voie raisonnable entre acharnement thérapeutique et euthanasie. La priorité est de faire connaitre cette loi, et non d’en écrire une nouvelle.

Alors que le rapport que vont rendre prochainement Jean Leonetti et Alain Claeys à l’Assemblée Nationale devrait proposer des changements importants dans ce domaine, il nous semble important de revenir sur le cas de la sédation en phase terminale d’une maladie.

Ce procédé consiste à faire baisser la vigilance du malade de manière réversible dans les  situations extrêmes de souffrances liées à une angoisse forte, de détresse respiratoire ou de très rares douleurs réfractaires au traitement antalgique. Ce protocole n’intervient qu’en dernier recours, il concerne une très faible proportion des personnes accompagnées en soins palliatifs. En effet, les médicaments utilisés sont néfastes pour l’organisme, et peuvent abréger la vie du patient par ailleurs.

La loi encadre l’utilisation de tels produits. S’applique alors le principe du double effet : un tel acte médical n’est possible que si l’intention et la volonté du médecin sont d’apaiser les souffrances de la personne, et non d’abréger sa vie. Le critère d’intentionnalité introduit ici ne se réduit pas à un concept moral, au contraire. L’intention qui préside à la mise en place d’un traitement régi par le double effet est visible dans les doses mises en place. Les médecins recherchent en effet la plus faible dose efficace, pour minimiser les effets secondaires du produit.

Nous sommes alertés par certains propos tenus actuellement à propos de la sédation. On nous parle notamment d’un « droit à la sédation profonde et terminale », évacuant le principe du double effet. On autoriserait alors très clairement le médecin à donner la mort à son patient, en conscience. Il pourrait ainsi utiliser un sédatif à forte dose, sans que la loi ne prenne en compte son intention. Nous refusons le raccourci mensonger et malheureux d’une euthanasie par sédation profonde, hypocritement déguisée sous ce nom de sédation terminale. Cette mesure n’est pas un ajustement. Elle franchit une limite dangereuse : nous entrons dans la  logique euthanasique.

Nous payons aujourd’hui le lourd tribu du manque critique de praticiens formés et disposant des moyens nécessaires à accompagner le mourant dans le respect de sa dignité d’homme. Nous, soignants de la France de demain, voulons être une force de proposition au service d’une médecine à visage humain. Nous constatons l’urgence d’informer nos concitoyens sur la loi. Nous désirons être formés à l’accompagnement et refusons  toute mesure qui donne au médecin le pouvoir de mettre fin à la vie de son patient. Notre vocation de médecins reçue d’Hippocrate est de « guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours ». Nous sommes au service de nos patients, nous ne voulons pas d’une médecine qui distille la vie ou la mort à volonté.

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PUBLICATION « Fin de vie : le choix de l’euthanasie ? » (Emmanuel Hirsch) http://plusdignelavie.com/?p=2838 http://plusdignelavie.com/?p=2838#comments Thu, 23 Oct 2014 08:46:30 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2838 NOUVEAUTE à paraître début novembre

Le Parlement pourrait décider de la dépénalisation de l’assistance médicalisée au suicide ou de l’euthanasie. Reprenant les temps forts de la concertation nationale sur la fin de vie, cet ouvrage en est aussi l’une des contributions.

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NOUVEAUTE à paraître début novembre

Le Parlement pourrait décider de la dépénalisation de l’assistance médicalisée au suicide ou de l’euthanasie. Reprenant les temps forts de la concertation nationale sur la fin de vie, cet ouvrage en est aussi l’une des contributions.

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« L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas ! http://plusdignelavie.com/?p=2609 http://plusdignelavie.com/?p=2609#comments Wed, 30 Oct 2013 12:23:15 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2609 Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ». Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de . . . → Read More: « L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas !]]> Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ».
Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de Prader-Willi, une affection génétique qui la rend dépendante et justifie un accompagnement constant. Après avoir été condamné par la justice à trouver une structure adaptée à cette jeune femme lourdement handicapée, l’État a tenté de faire appel de la décision afin d’éviter une jurisprudence qui l’obligerait à trouver une solution adaptée à de nombreuses familles en attente de propositions pour leurs enfants. Devant le tollé général, la ministre déléguée auprès des personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion vient d’abandonner ce recours. L’UNAPEI avait vivement réagi à l’annonce de la saisine du Conseil d’État en affirmant que « le ministère cherche à institutionnaliser une mort sociale pour les personnes handicapées et leurs familles ».
Après un rétropédalage pitoyable et des explications consternantes de Marie-Arlette Carlotti, avec notamment cette savoureuse proposition destinée aux familles d’appeler le 3977 (numéro vert contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées) pour « dire leur désarroi » si les nouveaux « comités Théodule » ne trouvent pas de solution adaptées, les personnes lourdement handicapées et vulnérables se retrouvent insultées et méprisées par l’absence d’une volonté politique forte et cohérente.
En parlant de « comité Théodule », on se rend compte qu’il est bien loin le temps où Charles de Gaulle affirmait « l’essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l’essentiel pour le général de Gaulle, le Président de la France, c’est ce qui est utile au peuple français… »

 

Nos enfants ne sont pas de dossiers

Nos enfants sont handicapés mais ils ne sont pas des sujets de laboratoire dont les dossiers passeraient de commission en commission, où leur histoire, leur faiblesse seraient exposées devant des inconnus même bien intentionnés qui décideraient qui est le plus vulnérable ou le plus apte à trouver une place dans un système qui gère la compassion et le déficit de structures.
C’est déjà bien trop souvent le cas : dossier à l’hôpital, dossier à la MDPH, dossier dans les institutions, dossier à la CPAM, la vie de nos enfants circule de services en services, souvent d’inconnus en inconnus. Où est la dignité de la personne lorsque sa biographie, son intimité se réduisent à une somme de dossiers sur lequel on statue, on décide ?
Nos enfants sont avant tout des êtres humains dont la dignité est consubstantielle, inaliénable et commune à celle des autres hommes. Elle ne se monnaie pas, elle ne se négocie pas.
Pourtant l’État, en ne respectant pas ses propres lois et en laissant des familles à l’abandon, amoindrit cette dignité. En créant une section d’alerte dans chaque Agence régionale de santé (ARS) pour les « cas difficiles » il ajoute une souffrance supplémentaire à ces familles qui demandent simplement un lieu où leur enfant puisse être heureux, accueilli avec humanité, des parents qui pourraient souffler un peu et ne pas être obligés de penser au pire, des parents qui pourraient redécouvrir leur enfant sans les jours d’angoisse et la culpabilité de ne plus pouvoir faire face. Non seulement nos enfants sont déjà catalogués lourdement handicapés, mais en plus s’ils ne rentrent pas dans les petites cases ou bien s’ils sont reconnus comme « ingérables » pour les établissements, ils deviennent de nouveaux sujets d’études d’une nouvelle section crée spécialement pour eux. Et ayant une confiance sans faille dans notre administration entomologiste, nous pouvons être certains que dans quelques années il se créera une sous-section de la section « cas difficiles » !
Où allons-nous ?

 

Défendre des principes d’humanité

Être parent d’un enfant handicapé, c’est faire des choix pour lui et pour soi durant toute sa vie, c’est dans la constellation du système médico-social être obligé de faire les bons choix : dois-je penser à l’orientation de mon enfant dès 10 ans sachant que sa structure d’accueil prend en charge les enfants jusqu’à 14 ans et que les autres structures trouvent qu’à 14 ans il est « trop vieux » ? Mais il a aussi établi des liens d’amitiés avec ses camarades : dois-je les rompre pour trouver un autre établissement ? Dois-je envisager de le diriger vers la Belgique et rompre ainsi les liens avec sa famille ?
Dans ce labyrinthe les associations gestionnaires renvoient parfois un peu facilement la balle en prétextant un manque de moyens ou des structures pas adaptées : on peut l’accueillir mais à condition qu’il ne développe pas de trop gros troubles du comportement, s’il n’est pas trop malade ni trop fragile. Attention il est trop autonome ! Attention il n’est pas assez autonome, parfois même il est pas assez handicapé ou trop handicapé…
Nous acceptons, parents, d’être responsable de nos enfants et de porter avec eux le handicap mais nous refusons le sur-handicap pesant induit par un système qui ne prend pas en compte l’humanité de nos enfants.

Les personnes lourdement handicapées et/ou vulnérables interrogent notre société et nous renvoient aux principes-mêmes de notre civilisation.
Ils opposent aux valeurs « modernes » (culte de la vitesse et de la toute-puissance) des principes fondateurs comme l’écoute, le respect du temps, la dignité de toute vie. Par leur vie fragile ils révèlent que toute vie mérite d’être vécue mais aussi que toute vie s’inscrit dans un large réseau de liens, dans une communauté qui tout en affirmant la singularité de chaque personne rattache tous les hommes à la Cité.
Au-delà de la question de places disponibles et de structures adaptée, la situation d’Amélie nous rappelle qu’avant toute autre considérations nous avons à assumer des devoirs envers les plus vulnérables et que la beauté du monde luit parfois dans des regards absents et des silences de vie.

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Auprès de la personne en situation de handicap http://plusdignelavie.com/?p=2494 http://plusdignelavie.com/?p=2494#comments Mon, 07 Oct 2013 12:32:51 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2494 Manuel Col Parent d’un garçon polyhandicapé

Batailler contre le renoncement

Voir ‘Actualités’ : « Journée l’enfant polyhandicapé », 4 octobre 2013

Récemment, la question posée dans le cadre d’un atelier de réflexion éthique tournait autour de l’apport à son entourage et à la société de la personne polyhandicapée. Je m’étais d’abord étonné que l’on . . . → Read More: Auprès de la personne en situation de handicap]]> Manuel Col
Parent d’un garçon polyhandicapé

Batailler contre le renoncement

Voir ‘Actualités’ : « Journée l’enfant polyhandicapé », 4 octobre 2013

Récemment, la question posée dans le cadre d’un atelier de réflexion éthique tournait autour de l’apport à son entourage et à la société de la personne polyhandicapée. Je m’étais d’abord étonné que l’on nous interroge à ce propos car si je n’avais pas été père d’un fils polyhandicapé à quel moment aurais-je eu répondre à répondre à cette question ? Imaginez que chaque parent ait à répondre à cette question sur leur enfant « normal »… Dans mon cas, qu’est ce qu’un enfant de 12 ans apporte à son entourage et à la société ? Ne serait-ce que par rapport à l’adolescence que j’ai vécue, j’aurais bien de la peine à trouver quelque chose de concret ou positif…
Mais après avoir dépassé ce questionnement, j’ai réfléchi à ce que mon fils a fait naitre chez moi : un sens de la responsabilité envers lui, mais cela est un standard pour tout parent même si l’on peut débattre de ce que l’on entend dans la responsabilité, la culpabilité pouvant se trouver à proximité.
Mais la qualité particulière que mon fils m’a apporté, c’est d’avoir exacerbé mon combat contre l’injustice, contre l’incompréhension de l’autre, la bataille contre le renoncement, d’essayer de contribuer à améliorer la société. La difficulté de vie due à l’état de santé des personnes polyhandicapées devrait par nature créer des solidarités avec les valides, ne serait-ce que par fraternité. Au lieu de cela, j’ai pu constater chez certains de mes au mieux de l’indifférence, au pire du rejet et de la moquerie. Je ne généralise pas, tous ne sont pas comme ça mais avant que ces derniers deviennent solidaires et impliqués pour une société inclusive il me faudra continuer à éduquer et démontrer à mon niveau que nous avons beaucoup plus en commun que la différence perçue au premier regard. Mon fils me force à avancer car je n’admettrai jamais que sa différence constitue une fin de non-recevoir à son acceptation dans la société.

Il est vrai aussi pour moi que ma capacité à être patient a dû augmenter, par rapport à mon fils évidemment mais surtout celle envers nos institutions. Concrètement, avoir à remplir tous les 2 ou 3 ans les documents de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). dans lesquels il est demandé un projet de vie (rien que les mots de projet de vie ont résonné longtemps dans ma tête la première fois que je les ai lus sur des documents officiels) pour mon fils, des questions nombreuses où l’on noircit toujours la même colonne « ne sait pas, ne peut pas… ». Ce rappel continu des incapacités de mon fils… Ces démarches pour créer des structures d’accueil pour les personnes polyhandicapées où les décideurs, tout en rappelant la légitimité de nos revendications, nous signalent leur impossibilité de couvrir ces besoins en dépit des lois existantes…
Il me semble qu’Albert Camus avait énoncé qu’une société se jugeait à l’état de ses prisons… Moi, je pense qu’une société peut être évaluée à la place qu’elle accorde aux personnes les plus fragiles dont notamment les personnes handicapées, ces dernières étant exclues de la norme par nature. L’intégration ne peut se faire qu’à condition d’une réelle volonté de la société, à l’heure où des réflexions sont en cours pour édulcorer les principes d’accessibilités, mes remarques pourraient prêter à sourire, si ce n’était pas si triste.
Pour conclure, mon fils m’apporte par ses sourires lorsqu’il veut me montrer qu’il a compris une phrase que j’ai prononcée et qui le concerne, par son naturel « câlin » (à 12 ans c’est rare !), par ses petits progrès qui nous semblent à chaque fois d’immenses avancées. Si j’osais dire tout le bonheur que sa présence m’apporte, la MDPH pourrait considérer ne plus avoir à me verser une allocation…

Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Notre pays s’est efforcé à travers les trente dernières années de mettre en œuvre une politique moins indifférente que par le passé à la cause des personnes handicapées. Des acquis en attestent, et pourtant le contexte présent s’avère à cet égard plus incertain et fragile que jamais tant semblent s’imposer d’autres priorités sociales, d’autres urgences politiques, dans un contexte de désinvestissement de l’État, de crise économique et d’atomisation de la société à travers des revendications individualistes bien souvent peu préoccupées du bien commun.
Au-delà des traitements médicaux, des si pénibles tentatives de réadaptation, de rééducation, du suivi au long cours dans le soin au domicile ou en institution, accompagner la personne et ses proches dans le parcours du handicap ne peut se comprendre qu’en termes d’exigence et de revendications politiques. Par quelles approches et quelles évolutions dans nos mentalités et nos pratiques, parvenir en effet à reconnaître une citoyenneté, une appartenance et une existence dans la cité à des personnes si habituellement contestées en ce qu’elles sont, exclues des préoccupations immédiates, acculées à un statut approximatif et précaire, survivant à la merci d’une condescendante charité publique ou d’initiatives associatives elles-mêmes vulnérabilisées par des arbitrages économiques contraints ? Cette absence d’un regard, d’une attention vraie — si ce n’est dans l’espace relativement confiné du domicile ou d’instances spécialisées propices à une hospitalité vraie, assumée ensemble par des professionnels engagés et des proches vigilants — est révélatrice d’une incapacité à saisir la richesse que recèlent ces existences — autant de faits d’humanité dont la valeur et la signification ne peuvent que renforcer un souci exigeant du bien commun dès lors que cette intelligence du réel, cette expérience dans sa singularité même peuvent nous enrichir là même où la modernité nous a appauvri.
Les réalités du handicap sollicitent ainsi une prévenance qui trop souvent s’avère carentielle. Comment comprendre l’accueil, la reconnaissance, la position parmi nous de personnes inattendues en ce qu’elles révèlent de notre humanité, indispensables dans ce dont témoigne leur présence parfois énigmatique ? Notre considération à leur égard sollicite d’autres registres que ceux des conventions établies ou des protocoles organisationnels qui délimiteraient a minima un cadre d’intervention. À contre-courant des évidences sommaires, des résolutions incantatoires ou des procédures réductrices, s’impose à nous une nécessaire capacité de dissidence, une position de contestation propices à une faculté d’intervention soucieuse de l’expression rebelle de ces personnes inquiètes à chaque instant, quand elles le peuvent, de la continuité d’un fil de vie, revendicatrices d’un espace de liberté, d’expression de soi au-delà de ce que sont les entraves, les limites oppressantes. Y compris lorsque les mots sont indicibles, murés dans l’immobilité et le silence, parfois évoqués par un regard qui ne trompe pas et révèle l’étrangeté d’une sagesse défiant nos certitudes.
La personne affectée d’un handicap est trop habituellement révoquée en ce qu’elle est, et ramenée à la condition péjorative du “handicapé”, en quelque sorte déqualifiée ou disqualifiée. Là même ou nos responsabilités humaines sont les plus fortes à l’égard de personnes dont l’existence tient pour beaucoup à la sollicitude qu’on leur témoigne, c’est en termes de parcimonie, de négligences et parfois de renoncements que dans nombre de circonstances nous leurs concédons une attention dédaigneuse.
Je demeure fasciné par ce que des personnes handicapées, leurs proches et aussi ceux qui maintiennent une présence vraie auprès d’eux, affirment d’un attachement à l’existence, d’une confiance et d’une résolution irréductibles aux expériences du mépris, à la détresse que suscitent les circonstances de la solitude, la sensation d’être en quelque sorte déplacé, « de trop » dans une société mystificatrice et, plus qu’on ne l’admet, discriminatrice. Cette posture d’engagement, pour les personnes qui trouvent en elles les ressources d’un véritable combat, ce parti pris de vie et de dignité ainsi défendu au quotidien m’impressionne. Ils révèlent une conviction humaine, un courage qui si souvent nous manquent.

La position de cette personne qui peut être entravée dans sa possibilité d’exprimer — selon les modes qui nous sont habituels — ce qu’elle recèle de richesse intérieure ainsi que son besoin d’existence et d’intense partage, tient pour beaucoup à l’espace qu’on lui confère auprès de nous, dans nos existences. Qu’avons-nous à vivre avec elle si l’on estime que rien ne nous est commun, que l’étrangeté de sa manière d’être la condamnerait à demeurer étrangère à ce qui nous constitue ? Déplacée, imprévisible, en dehors des normes et déjà hors de notre temps, parce que vivant dans sa vie la dimension concrète d’un handicap qui l’assujettirait à une condition de dépendance, cette personne en deviendrait comme indifférente. Son existence ne nous importerait pas, ne nous concernerait pas. Elle n’existerait pas, si ce n’est, à bas bruit, dans l’invisibilité et aux marges de la société, dans la réclusion, là où rien ne saurait déranger nos convenances et solliciter la moindre prévenance. Dans un « entre soi » évité et négligé, au sein de familles ou d’institutions repoussées dans cette extériorité qui les dissimule à la visibilité, à une authentique sollicitude sociale.
Il nous faut inventer des possibles, renouer avec l’humanité, reconquérir des espaces de vie, édifier ensemble un avenir, susciter des relations, vivre la communauté d’un espoir, exiger de chacun d’entre nous la capacité et la subtilité d’une attention. Il nous faut défier les préventions et les peurs — elles font de ceux qui semblent nous être différents ces étrangers qui nous deviennent indifférents, lorsqu’ils ne suscitent pas, dans des affirmations extrêmes, une hostilité portée jusqu’à leur contester le droit de vie.
Apprendre l’autre, le découvrir, le reconnaître dans sa vérité et sa dignité d’être, c’est aussi envisager la rencontre inattendue avec ce que nous sommes au-delà des postures convenues ou des renoncements désastreux.

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