Plus digne la vie » établissement http://plusdignelavie.com Le site du collectif Plus digne la vie, défenses et réflexions autour de la dignité de la personne, notamment en situation de handicap et de fin de vie Sun, 05 May 2019 23:10:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=3.8.29 Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ? http://plusdignelavie.com/?p=2999 http://plusdignelavie.com/?p=2999#comments Sun, 05 May 2019 23:09:29 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2999 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la . . . → Read More: Vincent Lambert : au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier d’un cadre d’existence digne ?]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Lundi 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit se prononcer sur le devenir de M. Vincent Lambert et, dit-on, mettre un terme à un dédale judiciaire ayant débuté en décembre 2012. Le 29 septembre 2008, M. Vincent Lambert avait été victime d’un accident de la route.

Nos devoirs à l’égard de la personne en situation de vulnérabilité

Dès le lancement il y a quelques jours du Grand débat national par le Président de la République, la réflexion et les engagements politiques que l’on doit aux personnes en situation de handicap se sont imposés. Elles relèvent de l’exigence de refondation de notre pacte social. Dans les prochains mois également, le parlement discutera la révision du projet de loi relatif à la bioéthique : il est évident qu’il posera les grands principes d’une « bioéthique à la française » soucieuse de valeurs de respect, de justice et de fraternité. Ce contexte favorable à l’expression de notre souci de l’autre devrait inciter, enfin, à envisager la décision qui semble s’imposer pour M. Vincent Lambert après plus de six années de joutes judiciaires. Au nom de quelles considérations lui refuser le droit de bénéficier du cadre d’existence digne, attentionné et compétent qui est proposé à d’autres personnes, comme lui, en situation de handicap extrême ?
Près de 1700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle « d’état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ». Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.

Comprendre, assumer et défendre nos valeurs

Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme par exemple leurs fluctuations possible et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures , ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaitrait à un moment donné injustifiée.
Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut-on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ?
Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicap sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ? Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée !
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.

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L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert http://plusdignelavie.com/?p=2997 http://plusdignelavie.com/?p=2997#comments Sun, 05 May 2019 18:46:31 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2997 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 . . . → Read More: L’euthanasie consentie de M. Vincent Lambert]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay

Publié dans Le Figaro, samedi 4 mai 2019

Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) a rendu vendredi 3 mai 2019 une décision demandant à l’État français de ne pas mettre à exécution la décision d’arrêt d’alimentation et d’hydratation pourtant autorisée le 30 avril par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette instance, au même titre que le Conseil d’État le 24 avril, avait rejeté la requête des parents de M. Vincent Lambert qui contestaient la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims d’interrompre ses traitements.

Que l’usage du mot puisse surprendre, c’est pourtant l’euthanasie de M. Vincent Lambert qui aujourd’hui est juridiquement autorisée. Les controverses aboutissent, en dépit des arguments et des recours présentés depuis 2013, à une reconnaissance en France de cette pratique que l’équipe médicale du CHU de Reims peut décider en toute légalité. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, bénéficie ainsi d’une jurisprudence formellement incontestée qui rend obsolètes les quelques prudences transitoires qui la distinguaient encore d’une légalisation, de fait, de l’euthanasie. On comprendrait mal désormais les réticences politiques à transposer dans un nouveau texte de loi « l’assistance médicalisée active à mourir » présentée dans la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017. Il convient d’être cohérent et conséquent, tout particulièrement lorsque les enjeux sont sensibles, puisqu’il ne s’agit pas moins que de permettre la mort intentionnelle d’une personne par un médecin.
De manière délibérée et sans avoir obtenu son consentement, une injection est susceptible d’être pratiquée dès à présent sur M. Vincent Lambert. Selon les prescriptions de la loi du 2 février 2016, afin « de ne pas prolonger inutilement sa vie, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie ». Il s’agit là d’une stricte description de l’euthanasie, du point de vue de son intentionnalité et de ses modalités d’application. La vie à ne « pas prolonger inutilement » est toutefois celle d’une personne dite, suite à nombre de controverses d’experts, en « état végétatif » et non en fin de vie, semblable à d’autres personnes en situation de handicaps neurologiques, accompagnées par leurs familles et accueillies dans des établissements spécialisés jusqu’au terme de leur existence. La loi du 2 février 2016 a permis, de manière subreptice, de nous habituer non seulement à l’acceptation de décisions médico-légales assimilables à une euthanasie sous couvert de sédation profonde et continue, mais plus encore à considérer notre vigilance et toute expression critique suspectes et inconvenantes. Le consentement social quasi unanime ou l’indifférence à l’euthanasie de M. Vincent Lambert en témoignent, de même que le discours compassionnel et empressé qu’on « en finisse enfin », ainsi que cette contestation moralisante de ce qui est considéré comme l’acharnement intolérable, car idéologique, de ses proches à vouloir qu’on respecte sa vie. Comme si nos positions en ce domaine s’avéraient détachées de toute conviction personnelle, nous exonérant de toute idéologie y compris s’agissant de notre conception de « la mort dans la dignité »…
Si, chaque jour, le processus décisionnel collégial en réanimation peut justifier, selon des considérations avérées, des limitations et des interruptions de thérapeutiques, elles se différencient de la pratique d’une euthanasie dès lors que leur finalité est de se refuser à une obstination déraisonnable dans le cadre d’un traitement. M. Vincent Lambert n’est pas en réanimation ; il devrait donc bénéficier des droits et des soins adaptés au confort de vie d’une personne en situation de handicap. Ce droit lui est contesté et confisqué, au nom précisément du droit. Des magistrats ont confirmé que, du fait de l’évaluation de son état de handicap et de la législation en vigueur, ce droit n’avait plus pour autorité et signification que d’autoriser sa mort médicalisée. Il s’agit d’une évolution qui n’a pas été soulignée, voire que l’on pourrait estimer dissimulée dans la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. On a compris en effet, dans son intitulé même, qu’elle concerne à la fois des malades et des personnes en fin de vie, donc que l’échéance rapprochée de la mort ne constitue pas le critère déterminant de son applicabilité. Son interprétation et son extension suscitent déjà, de ce point de vue, bien des difficultés d’appréciation et de mise en œuvre. Il convient, de surcroît, de considérer, du fait de cette loi, que les personnes en situation de handicap neurologique, dont nombre d’études précisent cependant les spécificités et les vulnérabilités liées à leur état de dépendance et aux difficultés d’instruire leur expertise médicale, sont assimilées à des personnes malades ou à des personnes en fin de vie dont on peut ne « pas prolonger inutilement » l’existence. De ce point de vue, la proposition de loi portant sur la fin de vie dans la dignité du 27 septembre 2017 semble présenter les clarifications et les distinctions indispensables fautes desquelles toutes formes de dérives menacent : « Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. » La pratique de l’euthanasie relève d’exceptions strictement encadrées, y compris dans les quelques pays européens qui se sont dotés d’une législation et de dispositifs d’évaluation.
En novembre dernier, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie publiait les conclusions d’une concertation relative à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) . « Le législateur s’est défendu d’ouvrir une possibilité d’accès à l’euthanasie et a cherché à nettement différencier la SPCJD de l’euthanasie. Pourtant, sur le terrain, beaucoup ressentent une certaine confusion éthique entre les deux pratiques. La sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est-elle pas une sorte d’euthanasie déguisée ? À tort ou à raison, la frontière entre les deux pratiques est ressentie comme poreuse et la nouvelle possibilité de recourir à une SPCJD comme introduisant un flou entre le faire mourir et le laisser mourir. » Les circonstances actuelles révèlent les insuffisances et les ambiguïté d’une loi qui ambitionnait prétendument de promouvoir des valeurs et des pratiques de fait contestées.
Pour ce qui concerne M. Vincent Lambert, l’euthanasie ne sera pas « déguisée ». Il s’agirait même d’un acte public, voire d’un acte que certains considèrent d’ordre politique. Un signal fort dans une société qui apparaît démunie, voire équivoque au regard de ses vulnérabilités humaines. Il n’est pas certain que cette expression d’une compassion collective accentue l’exigence de solidarités qui de la sorte s’appauvrissent de leur signification démocratique. Il est plus évident qu’elle cautionne le dernier acte précédant la légalisation en France d’une euthanasie ainsi consentie.

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Moraliser la vie publique, à quelles conditions ? http://plusdignelavie.com/?p=2964 http://plusdignelavie.com/?p=2964#comments Tue, 25 Jul 2017 09:42:58 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2964 Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées . . . → Read More: Moraliser la vie publique, à quelles conditions ?]]> Vincent Lambert, ce que devrait être la décision collégiale

 Emmanuel Hirsch

 

Les conditions de l’arbitrage

La décision que rend ce 19 juillet 2017 le Conseil d’État à propos du maintien ou de l’arrêt des traitements de M. Vincent Lambert n’a rien de surprenant. Il revient effectivement à l’équipe médicale, selon des conditions fixées par la loi, de mettre en œuvre une procédure collégiale dans les circonstances qui la justifie. Une telle démarche relève des bonnes pratiques professionnelles et ne suscite aucune controverse dès lors que les règles sont respectées. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie a clarifié les approximations que certains dénonçaient, au risque de simplifier voire de systématiser des arbitrages dont on sait la complexité et la gravité.

Inutile de revenir une fois encore sur les conditions de la consultation collégiale qui le 11 janvier 2014 préconisait l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert. Nous sommes les témoins involontaires d’un chaos qui ne tient pas aux seules positions idéologiques ou religieuses des différents protagonistes associés à ce désastre humain, à cette débâcle qu’aucune instance éthique n’aura permis d’éviter.

Le Conseil d’État ne se substitue pas au médecin qui devra se prononcer à la suite de la délibération qu’il instruira. Il confirme la règle de droit sans autre commentaire. Ainsi, dans sa décision, la haute juridiction n’estime pas justifié de s’interroger sur ce qu’éprouvent les soignants qui accompagnent au CHU de Reims M. Vincent Lambert depuis des années, avec sollicitude et bienveillance.  De même il n’estime pas préférable l’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre contexte médical, entaché d’aucune suspicion, afin d’engager un processus décisionnel dont chacun devrait alors comprendre qu’aucun passif ne risquerait de le déterminer.

La procédure collégiale relève de l’examen scrupuleux de données et d’arguments scientifiques qui contribuent à l’arbitrage d’une décision qui se doit d’être incontestable. Mais la consultation justifie également la prise en compte de l’ensemble des éclairages permettant de cerner au mieux ce à quoi engage, dans ces circonstances, le devoir de respecter l’intérêt supérieur de la personne concernée. Le médecin responsable doit être en capacité de prononcer sa décision à partir de cette instruction, avec pour autre souci de créer les conditions favorables à ce qu’elle puisse être considérée non seulement acceptable mais également comme la plus pertinente – celle qui s’impose – quelle qu’en soit la gravité. C’est dire à quel point la sérénité, la rigueur, l’esprit de discernement, la loyauté et l’indépendance doivent prévaloir. Chaque jour des décisions d’arrêt ou de limitations de traitement sont prises dans des services hospitaliers sans susciter la moindre polémique, dès lors que sont respectées les règles de bonnes pratiques professionnelles et que l’équipe soignante les accompagnent par une communication soucieuse d’attention, de bienveillance et de compassion.

C’est parce que M. Vincent Lambert n’avait pas exprimé dans des directives anticipées une volonté explicite, que les controverses se sont développées à travers des interprétations contradictoires de ce qu’aurait été sa position en de telles circonstances. Les ambiguïtés ont été renforcées par les incertitudes relatives à la caractérisation de ses incapacités cérébrales et à l’irréversibilité de son handicap, en dépit des expertises compétentes sollicitées par le Conseil d’État. La polémique devenant publique a été attisée par des prises de positions inconsidérées et volontairement outrancières qui ont bénéficie du contexte favorable de la concertation nationale sur la fin de vie lancée par François Hollande en juillet 2012.

Aucune instance légitime à intervenir lorsque l’éthique et la déontologie médicales sont saccagées par des manquements au secret professionnel, n’a daigné prendre position afin d’éviter cette indécente mise à nue sur la place publique de considérations confidentielles instrumentalisées au préjudice de M. Vincent Lambert. Cela tant du point de vue du respect de sa dignité que de la neutralité nécessaire à l’examen des critères décisionnels à mobiliser dans la perspective d’une éventuelle cessation des traitements.

Les motifs peu convaincants de la suspension, le 23 juillet 2015, de la troisième procédure collégiale ont, eux aussi, à la fois surpris et interrogé, suscitant des zones d’approximations qui ne me semblent pas imputables au médecin qui en a pris la décision. La prudence du CHU de Reims depuis, me semble relever à cet égard du souci de restaurer une dignité et une discrétion.

 

Une certaine idée de nos responsabilités

Il me semble aujourd’hui que les conditions sont propices à l’arbitrage qui ne peut être plus longtemps différé.

Une décision va donc être prise dont rien n’indique qu’elle aboutira à la sédation profonde et continue que propose désormais notre législation dans des circonstances spécifiques. Entre autre hypothèse à investiguer au cours de cette procédure collégiale, ne négligeons pas la question de la justification de l’hospitalisation de M. Vincent Lambert dans un CHU, alors que son accompagnement pourrait relever des compétences d’un établissement spécialisé.

M. Vincent Lambert témoigne, du fait de sa vie qu’il poursuit dans le confinement d’une chambre d’hôpital, d’un non abandon, d’un non renoncement dont personne ne peut affirmer qu’il est dénué de signification. M. Vincent Lambert témoigne d’une vulnérabilité extrême partagée avec tant d’autres personnes : elle suscite des engagements d’humanité et des solidarités dont personne ne peut contester la valeur, y compris en terme de démocratie. C’est dire que le médecin qui annoncera à M. Vincent Lambert la destinée qui l’autorisera ou non à se maintenir dans la communauté des vivants, engage une certaine conception de nos principes d’humanité. Et c’est ce que j’ai compris de ces temps si douloureux pour M. Vincent Lambert, ses proches et ses soignants. Au-delà de positionnements inconsidérés, une certaine idée de nos responsabilités humaines, de nos devoirs de démocrates s’est renforcée. Elle ne peut qu’enrichir notre pensée et notre approche de la fragilité humaine, des précarités sociales et de nos obligations politiques à cet égard.

Quelque soit la décision médicale qui sera prise au CHU de Reims, je retiens que l’attention portée à M. Vincent Lambert, notre préoccupation à son égard nous ont permis de mieux comprendre l’être qu’il est, y compris en état « d’éveil sans réponse ». Sans avoir la capacité de s’exprimer, il nous a transmis, à sa façon, une leçon d’humanité, une sagesse et peut-être l’idée d’une forme inédite, voire paradoxale de résistance éthique. Chacun se devrait désormais d’en comprendre la haute signification, au moment où se refonde notre République.

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Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute http://plusdignelavie.com/?p=2921 http://plusdignelavie.com/?p=2921#comments Wed, 14 Oct 2015 10:22:16 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2921 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 . . . → Read More: Vincent Lambert : les premières leçons à tirer d’une déroute]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Vendredi 24 juillet 2015

Désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées

La décision prise par l’équipe médicale du CHU de Reims le 23 juillet, intervient trop tardivement et dans un contexte à ce point préjudiciable à l’intérêt supérieur de M. Vincent Lambert et des 1700 personnes éprouvées par un même handicap, pour que l’on puisse s’en satisfaire. Depuis des mois et à travers un enchaînement de péripéties et de rebondissements déplorables, nous sommes témoins d’une invraisemblable déroute dont il nous faudra tirer toutes les conséquences. Car elles sont désastreuses à la fois pour ceux qui sont les plus directement concernés (personnes handicapées, proches, professionnels à leurs côtés), mais également dans ce qu’elles semblent révéler de dysfonctionnements qui n’ont pu être caractérisés et en quelque sorte contrés qu’en recourant à des procédures judiciaires poussées jusqu’à l’extrême. Certains s’interrogent désormais sur la légitimité et pertinence des procédures collégiales ayant été mises en œuvre pour engager une limitation ou un arrêt de vie d’un être cher. De même que des parents expriment auprès des équipes médicales, dans des services de médecine physique et de réadaptation (accueillant dans leur projet de vie des personnes aussi dépendantes que l’est M. Vincent Lambert), leur inquiétude au regard de possibles décisions arbitraires d’arrêt des soins dans les conditions discutées à propos du CHU de Reims. Le principe fondamental de la relation de confiance indispensable à l’approche de circonstances dramatiques et redoutables pour lesquelles une concertation intègre s’impose entre les membres d’une famille et une équipe médicale afin d’envisager l’issue estimée préférable, parfois « la moins mauvaise », est entamé, entaché de soupçons. C’est une injure faite aux professionnels, notamment de la réanimation, qui ont su initier des procédures de limitation et d’arrêt des traitements (en 2002, puis revues en 2009) solidement étayées et relevant de considérations à la fois éthiques et scientifiques rigoureuses.
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie engagée le 17 juillet 2012 semblait aboutir avec la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, il est désormais évident que l’impact des circonstances présentes qui ont fait irruption sur la scène publique le 4 mai 2013 (première tentative d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de M. Vincent Lambert entreprise le 10 avril et interrompue sur décision de justice) ne pourra être négligé ainsi que les sénateurs l’ont démontré le 23 juin. Le droit fondamental de personnes handicapées comme M. Vincent Lambert, n’est-il pas déjà de bénéficier des soins et de l’accompagnement social les plus adaptés, sans être considérés, selon des évaluations fragiles, « en fin de vie » ? Les conditions de suivi médical de M. Vincent Lambert incarcéré depuis des années dans sa chambre, dans un contexte dont on peut aujourd’hui se demander s’il relève effectivement des droits reconnus et détaillés dans la circulaire du 3 mais 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel, n’affectent-elles pas de manière difficilement réversible sa qualité de vie ? Plutôt que d’évoquer des menaces pesant sur l’équipe médicale, nous aurions pu attendre du communiqué diffusé le 23 juillet par la Direction du CHU de Reims une attention à cet égard. Ce cumul de manquement à une expression de la compassion altère pour beaucoup la respectabilité des positions qui se sont radicalisées ces derniers mois, au point de contester la neutralité même d’une équipe médicale en fait dans l’incapacité d’arbitrer dans l’impartialité une prise de décision collégiale. Que l’on ne nous affirme donc pas que les pressions idéologiques, voire terroristes (on ne peut qu’être stupéfait, dans le contexte international présent, du recours à cette terminologie par un des proches de M. Vincent Lambert à l’annonce du renoncement à mettre en œuvre la procédure létale) ont entravé le processus décisionnel. Il est davantage probable qu’à un moment donné, et de manière tardive, les pouvoirs publics ont estimé qu’il convenait de mettre un terme à une situation à ce point désastreuse qu’on ne parvenait plus à en maîtriser les dédales et les effets pernicieux. À de multiples reprises j’ai évoqué la dimension politique de ces circonstances. Son dénouement prudentiel, transitoire, au cœur de l’été en atteste, et désormais chacun doit avoir conscience des responsabilités engagées.

Un légalisme poussé à ses limites

Je reviens brièvement sur l’analyse du renoncement de l’équipe médicale du CHU de Reims à persévérer dans sa position, selon toute vraisemblance à la suite de la procédure collégiale qui a fait apparaître la fragilité des convictions et l’impossibilité de justifier une procédure de fin de vie. Le 7 juillet 2015, le médecin assurant le suivi de M. Vincent Lambert annonçait la réunion d’un Conseil de famille, le 15 juillet, afin « d’engager une nouvelle procédure en vue d’une décision d’arrêt de traitement ». La convocation adressée aux membres de la famille ne présentait en effet aucune autre perspective que celle de convenir, de manière autant que faire consensuelle, des conditions de mise en œuvre du processus aboutissant à la mort de M. Vincent Lambert. Ni dans la méthode ni surtout dans la forme retenue pour entreprendre la concertation, n’apparaissait la moindre considération autre que le strict respect d’une procédure administrative consécutive aux arrêts du Conseil d’État et plus récemment, le 5 juin, de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce légalisme poussé à ses limites semblait révoquer toute approche circonstanciée, toute mesure, pour ne pas dire toute décence, alors que le Conseil d’État avait, pour ce qui le concerne, témoigné de valeurs d’humanité et d’une infinie retenue dans son arrêt du 24 juin 2014. Depuis deux ans, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en « état d’éveil sans conscience » nous confrontent. Leur vulnérabilité même en appelle de notre part à l’expression d’obligations morales qui ne peuvent se satisfaire de procédures et de protocoles ainsi départis de la moindre sollicitude. Comme s’il s’agissait d’une « gestion de cas », là où doit prévaloir l’esprit de discernement, la pondération, la justesse et tout autant la considération à l’égard d’une personne vulnérable ainsi que de ses proches.
Il importait de tenir compte du caractère emblématique de la situation de M. Vincent Lambert ainsi que des conséquences de la décision qui ferait de manière certaine jurisprudence (en dépit des réserves émises à cet égard par le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme) : sa portée éminemment politique justifiait une argumentation incontestable et une discrétion inconciliable avec des postures partisanes revendiquées publiquement. Dès le 5 juin 2015, j’ai ainsi considéré nécessaire que le processus décisionnel relatif au devenir de M. Vincent Lambert puisse bénéficier de l’étayage des instances nationales compétentes dans le champ de l’éthique dont l’expertise avait été sollicitée par le Conseil d’État en 2014. Si la prise de décision collégiale relève de la seule autorité d’un médecin, il nous fallait être assurés que dans un contexte inédit et des plus complexe elle bénéficierait des arguments les plus fondés. Aucune de ces instances n’a estimé de l’ordre de ses responsabilités la moindre approche à cet égard (estimant que les rapports qu’elles avaient produits sur demande du Conseil d’État n’en appelaient pas à d’autres formes d’implications), si ce n’est le Conseil national de l’ordre des médecins en soutenant publiquement l’équipe médicale du CHU de Reims… L’accueil de M. Vincent Lambert dans un autre établissement qui permette à l’ensemble des membres de la famille d’avoir la conviction que l’arbitrage se ferait sans le moindre soupçon, semblait une option sage, voire évidente. Il convenait de rétablir un rapport de pleine confiance, susceptible, peut-être, d’atténuer les clivages au nom d’un intérêt estimé supérieur : celui de M. Vincent Lambert. Il s’avérait indispensable que ce temps du dénouement, à la suite de l’arrêt de la CEDH, puisse relever de ces conditions de dignité et de sérénité si souvent invoquées pour accompagner au mieux des circonstances humaines de haute vulnérabilité. Il s’agissait selon moi d’un droit que l’on devait reconnaître à M. Vincent Lambert, à ses proches et ceux qui à ses côtés expriment au nom de la société la sollicitude d’un soin et d’une indéfectible solidarité. À cet égard je tiens à redire toute ma considération à l’équipe des soignants de M. Vincent Lambert, dont les compétences et le dévouement sont reconnus. Mais au-delà des communiqués officiels, s’est-on préoccupé de ce qu’éprouvaient à titre personnels ces professionnels confrontés aux soubresauts de décisions contradictoires, d’interprétations et de commentaires inconciliables avec les valeurs du soin ; eux qui auraient pu demain contribuer à la procédure de fin de fin de M. Vincent Lambert qu’elles accompagnent dans sa vie depuis des années ?

Décrypter sans concessions ce qui s’est passé

Mes deux suggestions qui n’ont fait l’objet d’aucune suite, intervenaient probablement à mauvais escient, ou alors elles contrariaient des positionnements et des stratégies rétifs à toute forme d’atermoiement. Comme s’il y avait urgence à conclure, et que les recours juridiques ayant été épuisés rien ne devait plus faire obstacle à la seule décision qui s’imposait. Certaines considérations ont néanmoins entravé – à la stupéfaction de nombreux observateurs ce qui en soi interroge – un processus qui devait bénéficier de la torpeur estivale et permettre, à la rentrée, de reprendre le cours des choses, de conclure la discussion parlementaire de la loi relative à la fin de vie comme si rien ne s’était passé. L’assistance médicalisée en fin de vie, au cœur d’une législation qui vise à reconnaître de « nouveaux droits » à la personne malade au terme de son existence, n’est certainement pas le recours adapté aux personnes qui, comme M. Vincent Lambert, n’ont pas anticipé une situation et une décision en soi inconcevable. Se refuser ainsi de circonscrire la situation de M. Vincent Lambert aux controverses que l’on a connu à propos de son droit ou non à la vie, et plus encore aux conditions de sa mort, me semble constituer l’étape attendue. Elle nous permet de poser autrement les enjeux démocratiques de la place parmi nous de personnes affectées par un handicap si profond que l’on s’interroge parfois sur la réalité même (voire la justification…) de leur existence.
Désormais il nous faudra décrypter sans concessions ce qui s’est passé au CHU de Reims pour aboutir à cette situation chaotique. Il ne s’agit pas de mettre en cause des personnes dignes de notre respect, mais de comprendre un cumul de dysfonctionnements dont on peut craindre qu’ils interviennent également dans d’autres espaces du soin : ils ne suscitent pas, pour ce qui les concerne, la réactivité d’une famille que je refuse de caricaturer dans les positions, elles aussi respectables, qu’elle défend. De même je réprouve la mise en cause a priori de toute position qui serait réfractaire aux courants de pensées dominants qui s’érigent en censeurs et s’estiment détenteurs d’une vérité, voire d’une compétence, qui légitimerait leurs positions plus idéologiques qu’on ne le pense. En démocratie chacun doit être reconnu dans un point de vue argumenté, soucieux du bien commun. Je rends hommage à la qualité de l’arbitrage du Conseil d’État qui a permis, dans le cadre d’une instruction remarquable, de comprendre la complexité de circonstances humaines si délicates et complexes qu’elles imposent des approches attentionnés, rigoureuses et d’une extrême prudence. Je souhaite adresser, comme je l’ai déjà fait, un message de compassion à la famille de M. Vincent Lambert dont je comprends le cheminement qu’il lui revient d’assumer aujourd’hui afin de ne tenir compte que de ce que serait le bien-être et le choix profond de cette personne trop souvent négligée dans nos débats. Enfin, je tiens à rendre hommage à celles et ceux qui, confrontés au handicap, à la maladie, aux détresses humaines et sociales consécutives aux situations de vulnérabilité et de dépendance demeurent attachés aux valeurs de notre démocratie, y compris lorsqu’elles peuvent leur apparaître défaillantes au regard de leurs véritables urgences. J’estime que nos obligations de démocrates justifient que notre société se mobilise à leurs côté, les soutiennent dans la dignité de leur existence et ne s’en remette pas à des procédures médico-légales voire administratives pour les accompagner jusqu’au terme de leur existence.

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Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin » http://plusdignelavie.com/?p=2910 http://plusdignelavie.com/?p=2910#comments Tue, 28 Jul 2015 09:05:20 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2910 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà . . . → Read More: Vincent Lambert : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Défendre nos valeurs, exercer nos responsabilités

L’arrêt rendu le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est important. Il ne saurait pour autant être question d’un épilogue ; la résignation n’est donc pas de mise. Depuis 2013 nous avons compris qu’au-delà des péripéties judiciaires et des controverses suscitées par l’état de handicap de M. Vincent Lambert, d’autres valeurs devaient être mobilisées que celles bien discutables car peu constructives de la compassion collective. Il nous faut renforcer notre vigilance lorsque les arbitrages et les équivoques menacent ce qui nous paraît essentiel. Notre engagement d’aujourd’hui concerne les droits fondamentaux de personnes plus vulnérabilisées aujourd’hui que jamais du fait de la décision de la CEDH : dépendantes d’un handicap lourd, elles risquent d’être exposées à des renoncement auxquels notre société consentira désormais sans état d’âme. Voire par esprit de justice, par charité témoignée à des personnes dont la mort semblerait, dans certaines circonstances, préférable à ce qu’aurait pu être, de notre part, la manifestation d’une sollicitude concrète à leur égard dans leur parcours de vie : aussi énigmatique et difficile soit-il. Une même attention doit être consacrée aux proches, à ces familles qui vivent au quotidien une implication sans faille : résolues dans leur présence qui signifie l’amour, la fidélité et un refus de l’abandon, elles restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité. C’est désormais ce que nous renonçons à admettre, indifférents à la violence de certaines décisions qui compromettent les conditions mêmes du vivre ensemble. Tel serait le premier enseignement que je tire des arrêts rendus par la CEDH ou le Conseil d’État le 24 juin 2014. Je ne les discute pas, respectueux de la chose jugée. Il me semble plutôt important de tenter de mieux comprendre ce qui les a justifiés, les évolutions ou les abandons qui les ont rendu possibles et tolérables, leurs conséquences s’agissant du droit des personnes en état de conscience minimale ou en état d’éveil sans réponse ; à quel type de responsabilités ils nous engagent désormais.
L’exigence éthique me semblait justifier une implication, en ce moment, des instances nationales qui ont mission de la promouvoir et de la partager dans le cadre d’une concertation nationale favorisant une nécessaire pédagogie et une appropriation par chacun des conditions d’exercice d’une responsabilité partagée. Parfois même, de défendre les principes, nos inconditionnels, dans les circonstances qui le justifient. Comme ont le courage de le faire ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel leur semble en péril. Je rends hommage à ces militants de la démocratie, à leurs engagements individuels ou dans le cadre d’organisations non gouvernementales : ils nous permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique. Ils inspirent certaines de mes résolutions certes plus modestes ; je pense à cet égard à Jonathan M. Mann qui a su penser et incarner les relations évidentes entre la santé et les droits de l’homme. Au cœur des années sida il a initié à l’OMS un modèle éthique de l’approche en santé publique, pour ne pas dire en santé politique. Il inspire au quotidien mon action et demeure présent dans ce que j’ai mis en œuvre dans le champ de l’éthique.

Des des choix qui vulnérabilisent nos valeurs

De fait, les positions exposées par nos instances d’éthique, sur saisine du Conseil d’État en 2014, n’ont pas prévalu dans les deux arbitrages relatifs à l’existence de M. Vincent Lambert. Ne seront retenues comme une jurisprudence, que les conclusions validant le processus d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation engagé au CHU de Reims le 10 avril 2013, avant d’être interrompu sur décision de justice un mois plus tard. Les nuances d’une approche circonstanciée, d’une argumentation rigoureuse et empreinte d’humanisme dans l’arrêt de la CEDH n’ont pas été en mesure ce 5 juin de pondérer l’impatience parfois indécente des partisans de l’abrégement hâtif de l’existence de M. Vincent Lambert. N’aurait-il pas été opportun que nos « sages » puissent estimer nécessaire de rappeler dans un document commun, les principes qu’ils ont su affirmés avec justesse dans leurs observations à l’intention du Conseil d’État ? Qui avait davantage légitimité qu’eux à intervenir avec mesure, pour redire la précaution qui s’impose aujourd’hui, et sauvegarder ainsi les intérêts supérieurs des personnes dont la survie, comme pour M. Vincent Lambert, tient désormais au fil d’une interprétation extensive de ces deux arrêts de justice ? Leur silence interroge ; il peut inquiéter certains, même si à titre personnel je leur maintiens toute ma confiance.
Dans le contexte actuel de fébrilité, j’ai l’imprudence de suggérer qu’on préserve au moins les formes au nom de la dignité, face à ceux qui clament « avoir gagné » avec une impudeur dont personne ne s’offusque. Faut-il se résoudre à admettre que ce ne serait pas aussi de l’éthique « institutionnelle » que l’on est en droit d’attendre actuellement, alors qu’il y a urgence, l’accompagnement indispensable ? D’autres initiatives s’imposeront demain pour explorer ce que la réflexion éthique peut apporter à l’analyse des circonstances présentes. Pour ce qui me concerne j’estime, avec d’autres, de l’ordre de nos obligations de contribuer à cet engagement.
Pour mémoire, quelques brèves références qui m’incitaient à penser que les instances nationales d’éthique ne devaient pas renoncer à témoigner de leurs réflexions tellement attendues aujourd’hui. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait présenté le 5 mai 2014, à la demande du Conseil d’État, ses observations à propos de M. Vincent Lambert. Avec une intelligence, une prudence et une minutie qui honorent cette instance, les membres du CCNE ont développé dans un document de 38 pages un raisonnement d’une qualité impressionnante. La retenue, la prudence s’imposent, affirment-ils, au regard de ces situations de vulnérabilité : elles en appellent, sans la moindre concession possible, à nos devoirs d’humanité. Une affirmation tirée de cette réflexion éclaire et interroge particulièrement dans le contexte présent : « Le CCNE considère que la distinction entre traitements et soins mérite à tout le moins d’être interrogée quand il s’agit de nutrition et d’hydratation artificielles, en particulier pour une personne hors d’état de s’exprimer et qui n’est pas en fin de vie. » Pour sa part, dans sa « réponse à la saisine du Conseil d’État » le 22 avril 2014, l’Académie nationale de médecine rappelait « qu’aucun médecin ne peut accepter que le droit de la personne, qu’il a mission de soigner, à l’alimentation, aux autres soins (kinésithérapie, prévention des escarres, hygiène) et mesures appropriées à la qualité de vie, soit subordonné à sa capacité relationnelle. » Enfin, s’agissant des « observations du Conseil national des médecins », essentiellement déontologiques, la conclusion semble désormais trouver une certaine pertinence pratique, même s’il convient de se demander si au-delà des bonnes pratiques il ne faut pas être tout autant attentif au cadre dans lequel interviendrait cette sédation terminale : « Le Conseil national de l’Ordre des médecins estime devoir ajouter, au nom du principe humaniste de bienfaisance, qui est un des piliers de l’éthique médicale, qu’une fois la décision prise d’interrompre les moyens artificiels qui maintenaient la seule vie somatique, une sédation profonde doit être simultanément mise en œuvre, permettant ainsi de prévenir toute souffrance résultant de cette décision. »
Ces réflexions relatives à une approche éthique des circonstances éprouvées par M. Vincent Lambert, ainsi que d’autres personnes en état dit d’éveil sans conscience, nous sont précieuses, au même titre du reste que les considérations humanistes si justement abordées par les juges du Conseil d’État et de la CEDH. J’observe à ce propos l’argumentation substantielle et courageuse, mais qui n’a pas pu prévaloir, des juges de la CEDH qui ont refusé d’adhérer aux conclusions de la Grande chambre. Il conviendra de les reprendre demain, de les approfondir ensemble afin de mieux préciser ce que sont nos obligations éthiques, nos engagements de démocrates là où la vulnérabilité humaine vulnérabilise jusqu’à nos principes d’humanité. Car, c’est évident, nous avons le sentiment d’une fragilité supplémentaire de notre société, d’une précarisation qui s’ajoute à tant d’autres, dès lors qu’elle hésite et vacille face à l’essentiel, à ce qui lui est constitutif. C’est le cas à propos de M. Vincent Lambert, lorsqu’elle renonce à considérer que ses responsabilités peuvent aussi se penser autrement qu’en consentant, comme elle le fait publiquement et dans les conditions incertaines que l’on sait, à la mort de l’autre estimée en fait comme la solution qui s’impose, comme « la bonne solution ». Sans du reste que personne n’ait pu véritablement, je veux dire indubitablement nous assurer qu’il s’agissait du choix profond de M. Vincent Lambert. Nous sommes inquiets aujourd’hui pour ces personnes vulnérables dans le handicap et la maladie dans l’incapacité d’exprimer leur volonté. Si même elles avaient rédigé des directives anticipées favorables au maintien de leur existence, y compris en des situations extrêmes, y donnerait-on droit désormais ? Je précise que ces observations spécifiques ne concernent en rien les circonstances de fins de vie dans des état de souffrances réfractaires à tout apaisement : je comprends qu’elles justifient une assistance médicalisée telle que la prescrit la loi du 22 avril 2002 relative aux droits des malades et à la fin de vie. J’en arrive même à admettre que la loi qui dans quelques mois proposera une nouvelle conception de l’assistance médicalisée en fin de vie, devrait parvenir jusqu’au bout de la logique qui l’inspire. Il me semblerait ainsi préférable et loyal que demain soit dépénalisée la pratique de l’euthanasie, plutôt que de l’instaurer de manière subreptice au risque de dérives et de contentieux qui accentuent les défiances et les vulnérabilités.

« Penser et assumer ensemble l’après-5 juin »

Pour conclure j’estime pour ce qui me concerne justifié, comme citoyen, d’émettre quelques propositions concrètes qui pourraient ne pas être négligées a priori par ceux qui désormais ont pour responsabilité de décider des conditions de la fin de vie de M. Vincent Lambert. Après le temps de la décision judiciaire, j’ai sollicité les trois instances nationales évoquées précédemment afin qu’elles rendent possible un temps de l’éthique. Ce moment indispensable de pause et de réflexion partagé, autre qu’une médiation, pourrait permettre à chacun d’être en capacité d’assumer et d’accepter, dans le respect et avec une certaine sérénité, la décision d’accompagnement dans la mort de M. Vincent Lambert dès lors qu’elle paraitrait inévitable. Revient, me semble-t-il à nos instances d’éthique, la mission d’être présentes, en ces circonstances, auprès de M. Vincent Lambert, de ses proches et des professionnels à ses côtés, garantes ainsi des conditions d’un processus décisionnel profondément soucieux des valeurs et des positions de chacun.
Quelques questions demeurent posées auxquelles il conviendrait de trouver des réponses fondées. Les arrêts de la CEDH et du Conseil d’État révoquent-ils l’opportunité d’une nouvelle délibération collégiale ? Tout semblerait indiquer le contraire, y compris ces deux arrêts qui éclairent, après les expertises éthiques et scientifiques, des domaines qui nécessitaient des approfondissements. D’autre part, est-il respectueux à l’égard des professionnels intervenant auprès de M. Vincent Lambert depuis des années et déjà soumis aux injonctions contradictoires de décisions de justice, d’exiger de leur part qu’après deux années de « nursing d’attente » leur revienne de surcroit la mission d’accompagner le protocole de sédation profonde et continue ? J’estime qu’on leur doit à cet égard également une considération d’autant plus impérieuse qu’ils ont maintenu des mois durant une relation de soin avec une exigence de qualité, dans un contexte à la fois délicat et limitatif. Enfin et surtout, même si désormais sa vie ne tient plus qu’au fil des derniers arbitrages qui seront rendus, ne convient-il pas de permettre à M. Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier de l’hospitalité apaisée et confiante d’un établissement qui ne soit pas l’hôpital Sébastopol ? Là où, dans le contexte que l’on sait, se sont développées les circonstances qui nous consternent aujourd’hui, et alors que l’un des protagonistes de cette tragédie humaine affirmait sur France Info, de manière triomphale et sans la moindre retenue, qu’il considère comme une victoire de la « démocratie sanitaire » l’arrêt de la CEDH et donc la délivrance de M. Vincent Lambert…
Je veux dire, pour conclure, ma considération et ma sollicitude à celles et à ceux qui, directement ou indirectement, se sont trouvés ainsi impliqués dans un désastre dont on ne cerne que difficilement la portée. Qu’ils acceptent de comprendre que les positions que j’ai soutenues avec infiniment de respect à l’égard de M. Vincent Lambert et d’autres personnes confrontées à l’impensable et au si difficilement tolérable, sont celles que l’on se doit de tenir pour un proche en humanité. Si mes propos leurs sont apparus blessants, je leur prie de bien vouloir accepter mes excuses. J’ai le sentiment, contrairement à d’autres, que nous « avons perdu » avec cette conclusion du chapitre judiciaire, et qu’il y a urgence à analyser avec courage ce que signifie pour une société ce verdict de justice. Je suis convaincu que notre démocratie gagne à ce que l’on ne se satisfasse pas, dans un unanimisme complaisant et donc inquiétant, de résolutions qui pour le moins justifient qu’on en comprenne les justifications et les mobiles profonds. Que l’on en débatte ensemble afin de ne pas nous y enliser. Il nous faut désormais tirer les leçons du 5 juin, ne serait-ce que pour donner sens à ce temps d’attente et d’incertitudes qui, depuis 2013, a conditionné l’existence de M. Vincent Lambert aux péripéties de décisions judiciaires et d’un débat de société susceptibles d’affecter jusqu’à sa dignité même.
Avec d’autres personnes qui partagent ce point de vue nous avons décidé de prendre une initiative : « Penser et assumer ensemble l’après-5 juin ». Il nous faut avoir l’envie de renforcer nos solidarités, notre conception du bien commun, au moment où tant de signes en appellent au courage de l’engagement vrai.

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Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État http://plusdignelavie.com/?p=2774 http://plusdignelavie.com/?p=2774#comments Mon, 05 May 2014 06:57:00 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2774 Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et . . . → Read More: Vincent Lambert : leçons éthiques et politiques du Conseil d’État]]> Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Les valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie

Depuis quelques semaines, les stratèges des controverses publiques portant sur la fin de vie étaient parvenus à imposer un discours ne portant plus que sur l’indécence des conditions de survie de M. Vincent Lambert et sur l’inconstance du dispositif législatif actuel. En état de crise, il convenait donc de le révoquer dans l’urgence, sans plus attente. En attestait, de surcroît, la multitude d’appels désespérés, adressés nuit et jour, nous disait-on, à une association qui proposait l’enregistrement informatisé de directives anticipées comme un viatique indispensable au salut ou encore un acte suprême de dignité et de liberté !
Alors que la concertation nationale sur la fin de vie initiée en juillet 2012 par François Hollande se conclura dans quelques semaines sur un rapport du Comité consultatif national d’éthique qui devrait être représentatif d’avancées mesurées mais significatives, ce dernier combat idéologique revêtait un intérêt stratégique indiscutable. Au mépris même de ses conséquences délétères pour les 1700 personnes en état dit végétatif chronique (EVC) ou pauci relationnel (EPR). Sans autre forme de procès, leur existence découverte de manière fortuite au détour d’une actualité douloureuse, n’inciterait en effet qu’à revendiquer pour soi une « mort dans la dignité » et même à consentir sans le moindre état d’âme à ce que cette position puisse tenir lieu de norme…
Le fait même d’avoir à recourir à une appellation comme celle d’EVC ou d’EPR en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter humainement cet impensable que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir été auprès de ces personnes lourdement handicapées ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur avait même considéré ces personnes comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite de ses expérimentations dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. »
Le Conseil d’État apporte le 14 février 2014 un démenti flagrant à ces discours hâtifs, catégoriques, pour ne pas dire expéditifs, qui ont consisté pour l’essentiel à instrumentaliser la douleur émanant de cette situation singulière pour exprimer une position dogmatique sur le droit au suicide médicalement assisté et à l’euthanasie. Un simple détour « coté vie » auprès de ces personnes en état de conscience altérée aurait sans aucun doute changé la teneur de tels discours, tant leurs proches et les établissements qui les accueillent sont loin de donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de sollicitude et d’affections dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des valeurs de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le Conseil d’état évoque, avec une rigueur et une prudence qui manquaient au débat, les enjeux propres à cette situation singulière : une réalité humaine « de grande fragilité », sensible, délicate car si spécifique ; l’approche médicale et scientifique qu’elle appelle : complexe, incertaine, irréductible aux positions péremptoires et définitives ; l’environnement au sein duquel les circonstances évoluent et qui, lui aussi, justifie une grande pondération. Il convenait d’implanter de la dignité et de l’intelligence dans des disputations qui dérivaient de manière pernicieuse, sans émouvoir apparemment les instances nationales en charge de la réflexion éthique. Elle sont désormais, elles aussi, sollicitées afin de préciser et de rappeler solennellement les valeurs d’humanité et de liberté sur lesquelles une démocratie ne transige pas, sans pour autant s’exonérer d’une exigence de compassion.

 

Loyauté, compétence et clarté

Avec le dispositif d’instruction qu’il impose pour les prochains mois, le Conseil d’État affirme la singularité et la complexité de la situation de M. Vincent Lambert. Elle doit désormais relever d’une expertise appropriée qui tienne compte des compétences les plus actuelles dans le champ des neurosciences et permettre ainsi de disposer de données factuelles indispensables à une prise de décision d’une telle gravité. Le caractère emblématique et extrême des circonstances justifie les clarifications qui font défaut afin d’envisager un arbitrage fondé sur une argumentation solidement étayée. Cette décision s’avère d’autant plus sage qu’elle nous fait comprendre de manière pédagogique qu’un tel dispositif est rarement mobilisé et devrait donc constituer un référentiel applicable dans d’autres circonstances analogues. Les avancées des techniques de réanimation ont induit des circonstances dites limites qui ne bénéficient pas toujours des modalités les mieux ajustées à des prises de décisions complexes, même si la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis à cet égard des évolutions significatives.
Lorsque dans le cadre d’une formation dite collégiale, une équipe médicale se prononce à propos d’une limitation ou d’un arrêt de traitement, il serait en effet important d’être assuré de la valeur du consensus décisionnel obtenu à la suite d’une délibération à la fois loyale, juste, et donc argumentée sur la base de principes clairement établis. Le Conseil d’état exprime à cet égard une exigence dont certains estimaient à tort qu’elle n’avait plus à être rappelée. Il saisit l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et l’Ordre national des médecins afin de recueillir leurs définitions de notions comme celle d’obstination déraisonnable ou de maintien artificiel de la vie. L’analyse de ces concepts, au même titre que d’autres déterminants d’ordre médico-scientifique, est requise dans des prises de décisions qui concernent près de 100 000 arrêts de traitement chaque année.
À n’en pas douter nous disposerons ainsi dans quelques mois de repères qui s’avèrent indispensables à cette haute instance, ce qui interroge, malgré tout, certains critères de décision privilégiés jusqu’à présent. Encore conviendra-t-il d’être assuré de la qualité des compétences et des procédures mises en œuvre une fois ces définitions validées. Les services hospitaliers concernés ne font pas apparaître de manière homogène une même expertise qui relève d’une culture et d’une rigueur méthodologique exigeantes.
Le Conseil d’État sollicite également, et cela me semble significatif, le point de vue de Jean Leonetti. Ce choix n’est pas anodin dès lors qu’il réaffirme la place déterminante de la législation dont il est l’auteur dans le contexte présent. Depuis des mois en effet la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est soumise aux assauts constants des propagandistes d’une loi favorable à l’euthanasie. Le Conseil d’État considère d’une part que cette loi est applicable à une personne qui se trouve dans un état de maladie ou de handicap dont l’irréversibilité est caractérisée, et d’autre part que le dispositif législatif incluant la loi du 09 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, et la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, apportent les modes de négociation les plus ajustés à des situations qui pourraient même ne pas être directement assimilées à la période de fin de vie. De telle sorte qu’il ne faudrait certainement pas trouver dans les circonstances présentes la justification à une évolution législative.
Pour autant, nous ne pourrons pas nous exonérer d’une réflexion délicate mais nécessaire portant sur les personnes dans l’incapacité d’exprimer un choix personnel (ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas souhaité rédiger des directives anticipées) qui, bien que n’étant pas en situation de fin de vie, suscitent les questionnements délicats relatifs au maintien artificiel de leur vie. À cet égard les trois instances consultées devront être attentives aux conséquences de leurs conceptions au regard de personnes atteintes par exemple de maladies neurologiques, évolutives ou non, à impact cognitif.

 

L’exigence d’une pensée politique

Le Conseil d’État se réfère à l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour rappeler que « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (…). » Mais simultanément il consacre une autre liberté fondamentale : celle d’être reconnu dans le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable. Cette position ne fait que renforcer à cet égard la pertinence de loi du 22 avril 2005 qui proscrit toute obstination déraisonnable. À ce propos l’approche à la fois humaine et responsable de la sédation en dit long des évolutions profondes qui sont intervenues depuis des années dans la relation de soin : elles semblent rendre caduques certaines controverses d’arrière-garde.
Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un traitement, y compris d’une hydratation et d’une alimentation puisque le Conseil d’État considère que, dans certaines circonstances, il pourrait s’agir d’un maintien artificiel de la vie. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur eux un regard et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs au moindre signe de présence. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
S’impose donc une pensée politique de réalités humaines qui défient nos représentations de la vie, de l’existence humaine, de nos responsabilités individuelles et sociales à l’égard de personnes qui éprouvent autrement un parcours de vie dont il me semble a priori irrecevable de discuter la légitimité. L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement personnel et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’eux. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ces responsabilités qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuivrait sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de la signification qu’elle aurait pour la personne. À cet égard la réflexion à la fois politique et éthique doit être approfondie, sans quoi s’accentuera le risque d’être tenté de plaquer d’inacceptables réponses sur des questions, certes redoutables, mais que l’on ne peut pas pour autant négliger. Soucieux des libertés individuelles, le Conseil d’État déploie pour servir la cause supérieure de M. Vincent Lambert un dispositif minutieux. On sait d’évidence qu’il n’est certainement pas appliqué avec tant de rigueur lorsque, de manière quotidienne et trop souvent routinière, se prennent certaines décisions collégiales cruciales. Il importerait que les sociétés savantes concernées accordent une grande attention à cette intervention éclairée du Conseil d’État dans une sphère trop souvent confinée dans des logiques ou des certitudes médico-scientifiques. On est bien loin des caricatures d’une intrusion des « robes noires » dans l’espace où interviennent les « blouses blanches » dès lors que prime l’intérêt supérieur d’une personne vulnérable à protéger dans son intégrité, voire dans son droit à la vie.

Dans la sagesse et la justesse des décisions qu’ils ont adoptées pour protéger les droits de M. Vincent Lambert, les membres de la section du contentieux du Conseil d’État nous éveillent à un sens de la retenue et de la responsabilité qui devrait s’imposer à nous en situation d’incertitude et d’exposition à des défis qui engagent nos valeurs.
Nous devons donc à M. Vincent Lambert comme à ses proches, mais également aux autres personnes dans une situation qui le justifierait, une approche singulière, pondérée, soucieuse dans le respect et la discrétion, de leurs droits fondamentaux. Ces personnes ne sauraient être réduites de manière indifférenciée à des catégories, ou devenir l’otage de causes qui les instrumentalisent dans un combat qui dénature une fois encore les véritables enjeux.
Lorsque, dans quelques mois, les expertises médicales permettront de produire de manière incontestable les conclusions indispensables à une décision médicale fondée pour M. Vincent Lambert, encore conviendra-t-il d’être assuré qu’une même rigueur s’imposera désormais dans tout processus décisionnel collégial. Car la décision que rendra alors le Conseil d’État concernera une personne en particulier et ne saurait donc faire jurisprudence. Mais ses modalités de mise en œuvre et le souci accordé à la sollicitation des compétences les plus légitimes dans l’arbitrage devront viser une même exigence. Il y va de leur recevabilité d’un point de vue démocratique.

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Témoignage : Permettre à la personne en situation dite d’état pauci relationnel de préserver sa dignité http://plusdignelavie.com/?p=2731 http://plusdignelavie.com/?p=2731#comments Fri, 14 Feb 2014 14:52:54 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2731 Patrick et Sylvie Hélène Le Gloahec

Parents de Kévin

 

L’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation

Nous sommes les parents de Kévin.

Notre fils a 31 ans et a été hospitalisé en octobre 2010 à l’hôpital Nord 92 à Villeneuve la Garenne dans un service de . . . → Read More: Témoignage : Permettre à la personne en situation dite d’état pauci relationnel de préserver sa dignité]]> Patrick et Sylvie Hélène Le Gloahec

Parents de Kévin

 

L’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation

Nous sommes les parents de Kévin.

Notre fils a 31 ans et a été hospitalisé en octobre 2010 à l’hôpital Nord 92 à Villeneuve la Garenne dans un service de traumatisés crâniens, service qui est  sous la responsabilité du docteur Catherine Kiefer et de son équipe composée d’une vingtaine de personnes.

Cette hospitalisation a eu lieu quelques mois après un accident de moto.

Kévin aujourd’hui est dans un état de conscience minimale, quadriplégique et aphasique, ceci  pour la face sombre de sa situation. En ce qui concerne le côté moins noir, Kevin entend, comprend, et répond de façon tout à fait appropriée aux questions qui lui sont posées en baissant les paupières de manière  prolongée, d’autre part il est capable de vocaliser à la demande et de façon de plus en plus fréquente depuis quelques mois.

Je dois vous dire que c’est  un garçon excessivement volontaire et je pense qu’il va encore énormément  progresser dans les temps à venir. En tout cas nous essayons de faire le maximum pour atteindre cet objectif. Sa mère et moi sommes tous les après-midi à tour de rôle auprès de lui depuis presque 4 ans maintenant. C’est très important pour notre équilibre sur le plan affectif à tous trous.

Avant d’aborder directement le sujet concernant les attentes des familles, confrontées à la situation d’un proche hospitalisé dans une unité EVC,  je souhaiterais  témoigner de notre  propre expérience qui a été celle de notre entrée dans le monde hospitalier, un monde  complètement étranger dont on ne connaissait ni la langue ni les pratiques et à qui nous allions confier notre fils qui était en grande dépendance et sans défense.

Sans vouloir anticiper un des sujets suivants qui concerne les relations entre la famille et les professionnels je pense qu’en fait ces 2 sujets, « relation famille/professionnel » et « attentes des familles », sont des sujets intimement liés.

Je dois dire combien il est important d’établir une relation de confiance, de transparence et d’honnêteté dans les rapports entre l’équipe soignante et la famille du patient.

Et très franchement ce n’est pas aussi simple et aussi idyllique que cela,  j’en veux pour preuve notre propre expérience…

Kėvin a connu diverses périodes d’hospitalisations dans un certain nombre de structures en province et en région parisienne et je dirai que notre attente essentielle dans un premier temps, ne sachant pas trop ce qui allait se passer,  était sa bonne prise en charge sur le plan médical. Puis 6 mois après cet accident Kévin a été admis au sein de l’hôpital Nord 92, c’était le premier contact entre nous parents, et l’équipe médicale dont le travail était de prendre en charge  notre fils et cette fois-ci vraisemblablement de façon durable étant donné sa situation.

Je dois vous avouer m’être très rapidement rendu compte que cette équipe médicale devenait en quelque sorte une nouvelle famille, la seconde famille de notre fils, mais dans tous les cas  une famille d’accueil  dont nous ne connaissions pas les membres et dont nous n’avions pas fait spécialement le choix, mais avec laquelle et dans l’intérêt de Kévin il fallait composer.

Sur le plan relationnel, les tous premiers mois sont toujours très compliqués à vivre et à gérer du fait très certainement d’un manque de confiance, et vraisemblablement aussi par une méconnaissance totale de la façon d’aborder ce nouveau contexte. Je dois aussi dire que l’extrême détresse de la famille ne permet pas une vision lucide de la situation.

J’ajouterai et ce n’était pas notre cas, mais peut-être existe-t-il  aussi pour certaine famille un sentiment de jalousie à l’égard des équipes…

 

Une relation de confiance et de transparence dans les rapports avec l’équipe soignante

En fait et pour faire simple en ce qui nous concerne nous avions l’impression que Kévin n’était pas suffisamment pris en charge au niveau des  séances de rééducation et d’éveil par exemple, et que si son rétablissement ne se faisait pas assez rapidement c’était parce que  les soins étaient ni bons ni adaptés.

Je dois aussi dire, et ceci explique peut-être cela, l’affect qui nous lie à notre fils est très fort.

Il s’agit d’une terrible situation : nous avions d’une certaine façon perdu notre fils une première fois après avoir compris et admis que les séquelles risquaient d’être très importantes, et une deuxième fois quelques mois après, lorsque l’on a eu l’impression d’être dépossédé de ce proche au profit de cette famille d’accueil qu’encore une fois nous ne connaissions pas.

Et puis les mois passants, nous avons appris à  nous connaître nous respecter et nous faire mutuellement confiance. Je dirai qu’aujourd’hui entre nous parents et l’équipe médicale ayant la responsabilité de notre fils, la relation est devenue paisible et constructive.

Je voulais donc par cette expérience qui est propre à notre famille, faire comprendre combien  il est essentiel d’avoir une relation de confiance et de transparence dans ses rapports avec l’équipe soignante. Il n’y a qu’à cette condition que l’on peut sereinement  se poser les bonnes questions concernant les attentes que l’on doit avoir, nous la famille, lorsqu’un de nos proches se trouve dans une unité EVC-EPR.

Je terminerai par quelques pistes de nature à encore avancer dans la qualité du soin de nos malades :

- L’obligation de soin tant sur le plan médical que sur le plan corporel.

- Prendre en compte et étudier sans a priori la ou les demandes des parents, concernant les possibles approches de médecines douces ou palliatives.

- Impliquer davantage la famille dans des actions simples auprès du patient. Un exemple, j’ai obtenu après discutions avec le Dr Catherine Kiefer, la possibilité de mettre moi-même Kévin au fauteuil lorsque et pour différentes raisons le personnel soignant ne peut pas ponctuellement effectuer cette tâche.

- Toujours garder un fort lien de confiance entre la famille et l’équipe soignante.

- Faire  en sorte que le patient ait une vie aussi digne et confortable que possible par une multitude d’actions et de comportements. Deux exemples très simples à ce propos. Le patient doit être au fauteuil systématique tous les jours si son état le permet bien évidemment ; il doit être habillé pendant les horaires de visite de ses effets personnels ce qui permet à ce patient de garder une grande dignité, c’est le cas de notre fils.

A CE SUJET : 

Lire le communiqué de presse de l’association France traumatisme crânien

Lire le communiqué de presse de l’Union Nationale des Associations de Famille  de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC)

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Directives anticipées : les véritables enjeux http://plusdignelavie.com/?p=2729 http://plusdignelavie.com/?p=2729#comments Mon, 10 Feb 2014 16:17:54 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2729 Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

« Prendre une minute pour en parler »

Au décours de circonstances humaines douloureuses évoquées ces derniers jours à propos de la controverse publique qui concerne la destinée d’une personne en état dit pauci relationnel, le dispositif des directives anticipées focalise des prises de positions . . . → Read More: Directives anticipées : les véritables enjeux]]> Emmanuel Hirsch
Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

 

« Prendre une minute pour en parler »

Au décours de circonstances humaines douloureuses évoquées ces derniers jours à propos de la controverse publique qui concerne la destinée d’une personne en état dit pauci relationnel, le dispositif des directives anticipées focalise des prises de positions pour le moins expéditives. S’il était, en effet, à ce point évident de souscrire à cette proposition apparemment avantageuse et de nature à prémunir la personne malade de tout excès indu et donc d’apaiser toute inquiétude, comment expliquer de fortes réticences qui ne tiennent ni à la rétention de l’information par quelque pouvoir obscur, ni à quelque arrière combat du paternalisme médical ? Car en pratique peu nombreux sont ceux qui, à la manière d’un testament, envisagent comment allant de soi, de formuler par écrit ce qu’ils exigeraient de l’autre en situation de détresse vitale. Cet autre qui n’est pas exclusivement un soignant, mais également un proche éprouvé par les conséquences d’une prise de position qui s’imposerait à tous. De manière irrévocable, s’agissant de la personne atteinte, par exemple, d’une maladie neurologique dégénérative évoluée ou en état végétatif chronique.

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie nous reconnaît la possibilité d’exprimer par écrit ce que serait notre choix si, en situation où s’imposerait une décision médicale déterminante, nous n’étions plus en capacité de le faire valoir. De même, la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé permet de désigner une « personne de confiance » susceptible d’apporter à l’équipe médicale les éléments d’information indispensables au respect de la position d’une personne dans la décision qui la concerne. Ces avancées sont tout aussi importantes que la possibilité de s’inscrire depuis le 03 juillet 1998 sur le Registre national automatisé des refus de prélèvement d’organes. On observera toutefois que si à ce jour près de 50 000 personnes ont manifesté leur volonté à cet égard, les refus exprimés par les proches sollicités pour connaître « l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt » sont de l’ordre de 33,7 %. Cet écart interroge et ne s’aurait s’expliquer par un déficit d’information. L’Agence de la biomédecine (ABM) consacre à cet égard une communication qui se veut incitative : « Prendre une minute pour en parler ». Son spot sur le site de l’ABM est significatif de la difficulté d’évoquer sans être intrusif ou à contretemps les représentations de la mort. Il est vrai que prétendre, y compris dans le cadre d’une campagne de sensibilisation qui se veut distancée, voire désinvolte, qu’une minute suffit pour échanger à propos de sujets aussi délicats, c’est nier les traditions et les valeurs engagées face à un tel dilemme ! La loi relative aux prélèvements d’organes a été votée le 22 décembre 1976. Près de trente ans plus tard la société française n’a pas encore intégré les conséquences du concept de « consentement présumé » pour évoluer dans la banalisation d’une prise de décision anticipée qui pourrait de surcroit favoriser la pratique des greffes d’organes. Ce constat n’empêche pas de mettre en cause l’efficience de la loi du 22 avril 2005 qui, elle, n’a disposé que de huit ans pour s‘acculturer ! Il apparaît évident que dans ce domaine les résolutions et les prescriptions s’avèrent pour le moins vaines, et que faute d’une attention portée aux composantes notamment anthropologiques et psychologiques de ces évolutions qui bouleversent nombre de nos repères, leur acceptabilité elle-même est mise en cause.

 

Consentir alors qu’il était encore temps

Que les circonstances présentes favorisent la propagande d’une association qui se dit submergée depuis quelques semaines par les demandes de personnes sollicitant dans l’urgence et le désarroi son concours pour que soient prises en compte leurs directives anticipées, n’est significatif que de la candeur des relais d’opinion au regard de circonstances éminemment complexes qui ne sauraient relever que de ce seul expédient. Les établissements hospitaliers diffusent depuis des années des documents d’information détaillés accessibles également sur de multiples sites : pour autant la rédaction de directives anticipées ne s’est pas encore imposée au rang des pratiques usuelles.
À la prise en compte de facteurs à la fois d’ordre personnel et du point de vue de nos habitudes pour tenter d’expliquer les réserves et les appréhensions des personnes malades à l’égard d’un tel document, est préférée, comme du reste dans d’autres contextes politiques, la simplification de réponses faussement rassurantes dont dès lors il apparaît scandaleux qu’elle ne s’imposent pas comme des évidences. Il en est de même, du reste, des positions alléguées en ce qui concerne l’euthanasie qui, de manière semble-t-il majoritaire, apparaissent à certains comme une solution difficilement contestable apportée aux misères d’une condition estimée déshumanisée à l’approche de la mort. Considérer que quelques mesures impromptues seraient ainsi de nature à nous éviter le « pire » en sauvegardant jusqu’au bout une faculté d’autonomie et une dignité manifeste, c’est méconnaître ce que sont les parcours compliqués, incertains, hasardeux et contraints dans la maladie.
Que l’on pense s’exonérer à moindre frais d’une confrontation personnelle à ses vulnérabilités, à la mortalité et aux impondérables de circonstances éprouvantes en anticipant ses choix, peut relever d’une expression du souci de soi, voire des autres, parfaitement recevable. Pour autant, cependant, que la conviction soit inébranlable de ne pas être susceptible d’évoluer dans ses résolutions initiales, précisément à l’épreuve d’un vécu dont a priori on ignore tout. Ce futur tant redouté n’est appréhendé que selon des représentations ou des expériences dont on ne sait en fait ce qu’elles pourraient signifier en situation. Les conceptions et les résolutions issues d’une confrontation directe, à tant d’égard solitaire, aux défis de la maladie procèdent de vérités intimes rarement conformes à nos idées préconçues. Nous sommes marqués, parfois à juste titre, par quelques faits extrêmes privés ou publics dont on accepte difficilement les négligences ou les rigidités qui les ont provoqué. Pour autant, s’en remettre à des dispositifs administratifs routiniers là où devrait s’imposer l’exigence d’interrogations, voire de mises en cause solidement étayées, s’avère peu satisfaisant. C’est considérer que nos libertés fondamentales sont, dans le contexte de la maladie grave, de handicaps lourds, voire de détresses humaines insupportables, à ce point menacées qu’il conviendrait de systématiser des procédures de sauvegarde. Au prix d’y concéder la liberté d’une certaine insouciance, du « droit de ne pas savoir », assigné en quelque sorte à cette nouvelle forme d’intrusion dans la sphère privée dont il pourrait nous être reproché de n’y avoir pas consenti alors qu’il était encore temps.

 

La valeur et le sens d’une décision relèvent de considérations complexes

Il est bien évident que ces discours de tribune qui, à propos des directives anticipées, sollicitent actuellement avec tant d’aplomb et de suffisance les concepts de liberté, d’autodétermination, de respect, de dignité ou de droit, procèdent de l’obsession d’ordonnancer à l’aulne de normes et de règles ce qui par nature échappe à toute prétention de maîtrise. Plutôt que de favoriser une approche circonstanciée, attentive aux aspects sensibles de nos confrontations à la souffrance et à la mort, des arguments inconsistants et des stratégies discutables sont mobilisés pour nous détourner de responsabilités qui concernent la autrement, en référence à un tout autre système de valeurs et d’engagements.
Il y a une imposture à dénaturer la relation de soin, celle qui se constitue dans un authentique rapport à l’autre, comme il s’exprime rarement dans d’autres contextes de la vie sociale. D’amplifier les peurs et les méprises, là où de manière naturelle et avec tant de sollicitude chacun s’efforce d’investir son humanité et ses compétences afin d’apaiser les appréhensions et de créer les conditions d’une confiance partagée, d’une solidarité concrète. Ce vécu si singulier dans le parcours de la maladie permet de respecter un projet de soin qui s’élabore et s’ajuste de manière concertée, y compris dans les phases ultimes lorsque les équipes soignantes s’adaptent aux attentes de l’autre jusqu’au terme de l’existence.
Affirmer que la rédaction de directives anticipées permettrait, à elle seule, d’atténuer la difficulté de décider dans les quelques circonstances qui pourraient justifier de les anticiper, c’est tromper l’opinion. Pour autant qu’elle ne s’y refuse pas (et c’est un droit que lui reconnaît la loi) la personne malade est associée de manière constante et progressive à la détermination des options thérapeutiques. Les stratégies sont habituellement arbitrées dans le cadre de concertations collégiales (comme en témoigne, par exemple, les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) avant d’engager tout traitement en cancérologie). Dans nombre de circonstances, du reste, certaines personnes qui initialement avaient souhaité qu’on les protège de toute « escalade thérapeutique » sollicitent (au même titre que leurs proches) d’ultimes tentatives, y compris à titre ‘’compassionnel’’. Cette position qui peut surprendre est considérée avec respect et abordée dans le cadre d’échanges attentionnés. Afin de prendre en compte l’intérêt direct des personnes dans l’incapacité d’expression ou de discernement, la « personne de confiance » ou les proches sont associés à l’instruction de la délibération médicale qui peut aboutir à renoncer à engager un traitement qui paraitrait déraisonnable en cas de complication. C’est dire que la valeur et le sens d’une décision relèvent de considérations complexes. Respecter le droit profond d’une personne ne consiste certainement pas à s’en remettre au seul respect de procédures formalisées. Il convient de tenir compte sans restriction de la volonté d’une personne, pour autant qu’on lui consacre le temps nécessaire à son appropriation, dans le cadre d’un dialogue, des conséquences effectives de sa décision. Et demeure entièrement posée la situation d’une personne dans l’incapacité d’anticiper un choix ou qui ne l’a pas formulé explicitement.
On peut se demander si dans le contexte actuel, ceux qui se précipitent dans la rédaction de directives anticipées sont en mesure d’apprécier et de peser la signification même de leurs décisions, voire s’ils le souhaitent réellement…

 

Des choix si délicats qu’on ne souhaite que rarement assumer seul

L’amalgame entre directives anticipées et « droit à l’euthanasie » n’est pas recevable, et l’on comprend parfaitement l’habileté qui consiste à confondre dans un même combat idéologique et politique des considérations sans lien commun. Les directives anticipées s’inscrivent dans la logique du concept de consentement ainsi qu’il est repris dans la loi du 04 mars 2002 : elle concerne de manière générale le droit des malades et non leur fin de vie.
Je ne vois que des avantages à ce que chacun d’entre nous s’engage à concevoir de manière autonome et responsable son rapport à la santé, à la maladie, ainsi que ses positions personnelles au regard de circonstances que nous redoutons tous. Cela ne peut que contribuer à favoriser certaines prises de décisions délicates, y compris, du reste, dans le contexte évoqué précédemment, lorsqu’un prélèvement d’organes est envisagé.
Mes réticences portent, on l’a compris, sur des stratégies qui se veulent garantes de la solution parfaite, postulant d’un unanimisme de circonstance, réfractaires aux questionnements difficiles et si critiques à l’égard des contestataires de ce modèle univoque ainsi promu. Si tant de personnes refusent encore de désigner une « personne de confiance » ou de rédiger leurs directives anticipées, ce n’est pas du fait d’un manque d’accès à l’information ou de leur pusillanimité. Leurs réserves à cet égard procèdent d’autres mobiles que l’on voudrait annihiler au nom d’une conception discutable de la vertu ou de l’audace de tout révéler de soi, y compris au regard de ce dont on ignore l’essentiel, comme cela devient pratique courante sur certains réseaux sociaux. Ou plutôt de se soumettre à un devoir de transparence poussé jusqu’à l’extrémité d’avoir à se prononcer sur des aspects à ce point incertains qu’on ne sait au juste sur la base de quel savoir ou de quelle sagesse trancher de manière pertinente à leur propos. Pour autant que l’on n’éprouve pas comme une insoutenable violence d’être ainsi contraint, directement ou indirectement, à se confronter aux représentations de l’altération physique, de la dépendance et de la mort, cela, clame-t-on, à titre de précaution et pour notre bien…

 

Influencer certaines décisions anticipées prises ainsi de manière contrainte

On le constate, il conviendrait d’accorder plus d’attention aux véritables enjeux de la rédaction de directives anticipées, au risque d’être surpris par certains aspects peu évoqués à leur propos. Ne serait-ce que l’injustice évidente éprouvée du fait de l’incitation à rédiger des directives anticipées dans des contextes socioculturels qui exposent de manière différenciée aux conséquences de ses choix. Certaines vulnérabilités qui tiennent par exemple à la solitude, sont de nature à influencer certaines décisions anticipées prises ainsi de manière contrainte.
Si l’exigence de procédures, ne serait-ce que d’ordre juridique, assigne demain à tenir compte du caractère opposable des directives anticipées, refusera-t-on l’accès à un établissement à la personne dans l’incapacité de formaliser ses volontés au regard de sa fin de vie ? C’est déjà le cas pour certains établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes. Renoncera-t-on à la réanimation d’une personne à la suite d’une tentative de suicide qui aurait consigné ses directives anticipées d’opposition à toute prise en charge médicale ? N’y aura-t-il pas matière à contentieux, voire conflits d’intérêts, lorsqu’une personne affectée dans ses capacités cognitives aura demandé expressément qu’on mobilise toutes les ressources disponibles, y compris lorsqu’elles s’avèreraient peu efficientes et d’un coût démesuré afin de la maintenir en vie le plus longtemps possible ? Les proches eux-mêmes pourront éprouver comme profondément bouleversantes certaines directives anticipées difficiles à admettre pour eux.
C’est dire que si de toute évidence la formulation de directives anticipées constitue une avancée peu contestable en terme de relation de soin et de démocratie sanitaire, on ne peut pour autant se satisfaire des propos incantatoires et volontairement réducteurs qui en travestissent la signification et les assimilent au combat qu’ils mènent en vue d’une légalisation de l’euthanasie.
La concertation nationale sur la fin de vie mérite mieux que des mobilisations compassionnelles qui, au motif d’honorer des questions essentielles, nous détournent d’enjeux humains et sociaux qu’il convient de ne pas ramener à des disputations insatisfaisantes ou à des slogans. Si, comme nous le souhaitons, les directives anticipées devaient s’avérer contraignantes dans les circonstances de la fin de vie, au même titre que le serait un droit opposable (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie proposerait à cet égard les meilleures garanties de respect de la volonté de la personne dans un souci de dignité.
Encore conviendrait-il également que les directives anticipées soient de la même manière reconnues lorsqu’elles se font l’expression de ceux qui aspirent à une vie digne, y compris avant que n’advienne le terme de leur existence. Ces personnes comprennent difficilement que la société consacre tant de considération aux modalités d’exercice de la décision au terme de l’existence, alors qu’il serait tout aussi précieux de consacrer un même investissement à l’attention portée au quotidien des personnes malades ou handicapées : elles aspirent à vivre pleinement au sein d’une société à laquelle pouvoir accorder leur confiance. Y compris pour des choix si délicats qu’on ne souhaite que rarement assumer seul.

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« L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas ! http://plusdignelavie.com/?p=2609 http://plusdignelavie.com/?p=2609#comments Wed, 30 Oct 2013 12:23:15 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2609 Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ». Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de . . . → Read More: « L’Affaire Amélie ». La dignité de nos enfants polyhandicapés ne se négocie pas !]]> Cédric Gicquel

Parent d’un enfant polyhandicapé, Paris

Il y a moins d’une semaine, le monde politico-médiatique s’est enflammé sur ‘’l’affaire Léoanarda’’ opposant les tenants de la loi aux tenants des « valeurs ».
Plus discrète ‘’l’Affaire Amélie’’ a failli se terminer dans une mascarade sans loi ni valeurs. Amélie est atteinte du syndrome de Prader-Willi, une affection génétique qui la rend dépendante et justifie un accompagnement constant. Après avoir été condamné par la justice à trouver une structure adaptée à cette jeune femme lourdement handicapée, l’État a tenté de faire appel de la décision afin d’éviter une jurisprudence qui l’obligerait à trouver une solution adaptée à de nombreuses familles en attente de propositions pour leurs enfants. Devant le tollé général, la ministre déléguée auprès des personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion vient d’abandonner ce recours. L’UNAPEI avait vivement réagi à l’annonce de la saisine du Conseil d’État en affirmant que « le ministère cherche à institutionnaliser une mort sociale pour les personnes handicapées et leurs familles ».
Après un rétropédalage pitoyable et des explications consternantes de Marie-Arlette Carlotti, avec notamment cette savoureuse proposition destinée aux familles d’appeler le 3977 (numéro vert contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées) pour « dire leur désarroi » si les nouveaux « comités Théodule » ne trouvent pas de solution adaptées, les personnes lourdement handicapées et vulnérables se retrouvent insultées et méprisées par l’absence d’une volonté politique forte et cohérente.
En parlant de « comité Théodule », on se rend compte qu’il est bien loin le temps où Charles de Gaulle affirmait « l’essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l’essentiel pour le général de Gaulle, le Président de la France, c’est ce qui est utile au peuple français… »

 

Nos enfants ne sont pas de dossiers

Nos enfants sont handicapés mais ils ne sont pas des sujets de laboratoire dont les dossiers passeraient de commission en commission, où leur histoire, leur faiblesse seraient exposées devant des inconnus même bien intentionnés qui décideraient qui est le plus vulnérable ou le plus apte à trouver une place dans un système qui gère la compassion et le déficit de structures.
C’est déjà bien trop souvent le cas : dossier à l’hôpital, dossier à la MDPH, dossier dans les institutions, dossier à la CPAM, la vie de nos enfants circule de services en services, souvent d’inconnus en inconnus. Où est la dignité de la personne lorsque sa biographie, son intimité se réduisent à une somme de dossiers sur lequel on statue, on décide ?
Nos enfants sont avant tout des êtres humains dont la dignité est consubstantielle, inaliénable et commune à celle des autres hommes. Elle ne se monnaie pas, elle ne se négocie pas.
Pourtant l’État, en ne respectant pas ses propres lois et en laissant des familles à l’abandon, amoindrit cette dignité. En créant une section d’alerte dans chaque Agence régionale de santé (ARS) pour les « cas difficiles » il ajoute une souffrance supplémentaire à ces familles qui demandent simplement un lieu où leur enfant puisse être heureux, accueilli avec humanité, des parents qui pourraient souffler un peu et ne pas être obligés de penser au pire, des parents qui pourraient redécouvrir leur enfant sans les jours d’angoisse et la culpabilité de ne plus pouvoir faire face. Non seulement nos enfants sont déjà catalogués lourdement handicapés, mais en plus s’ils ne rentrent pas dans les petites cases ou bien s’ils sont reconnus comme « ingérables » pour les établissements, ils deviennent de nouveaux sujets d’études d’une nouvelle section crée spécialement pour eux. Et ayant une confiance sans faille dans notre administration entomologiste, nous pouvons être certains que dans quelques années il se créera une sous-section de la section « cas difficiles » !
Où allons-nous ?

 

Défendre des principes d’humanité

Être parent d’un enfant handicapé, c’est faire des choix pour lui et pour soi durant toute sa vie, c’est dans la constellation du système médico-social être obligé de faire les bons choix : dois-je penser à l’orientation de mon enfant dès 10 ans sachant que sa structure d’accueil prend en charge les enfants jusqu’à 14 ans et que les autres structures trouvent qu’à 14 ans il est « trop vieux » ? Mais il a aussi établi des liens d’amitiés avec ses camarades : dois-je les rompre pour trouver un autre établissement ? Dois-je envisager de le diriger vers la Belgique et rompre ainsi les liens avec sa famille ?
Dans ce labyrinthe les associations gestionnaires renvoient parfois un peu facilement la balle en prétextant un manque de moyens ou des structures pas adaptées : on peut l’accueillir mais à condition qu’il ne développe pas de trop gros troubles du comportement, s’il n’est pas trop malade ni trop fragile. Attention il est trop autonome ! Attention il n’est pas assez autonome, parfois même il est pas assez handicapé ou trop handicapé…
Nous acceptons, parents, d’être responsable de nos enfants et de porter avec eux le handicap mais nous refusons le sur-handicap pesant induit par un système qui ne prend pas en compte l’humanité de nos enfants.

Les personnes lourdement handicapées et/ou vulnérables interrogent notre société et nous renvoient aux principes-mêmes de notre civilisation.
Ils opposent aux valeurs « modernes » (culte de la vitesse et de la toute-puissance) des principes fondateurs comme l’écoute, le respect du temps, la dignité de toute vie. Par leur vie fragile ils révèlent que toute vie mérite d’être vécue mais aussi que toute vie s’inscrit dans un large réseau de liens, dans une communauté qui tout en affirmant la singularité de chaque personne rattache tous les hommes à la Cité.
Au-delà de la question de places disponibles et de structures adaptée, la situation d’Amélie nous rappelle qu’avant toute autre considérations nous avons à assumer des devoirs envers les plus vulnérables et que la beauté du monde luit parfois dans des regards absents et des silences de vie.

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Polyhandicap : éthique de la responsabilité, point de vue d’un père http://plusdignelavie.com/?p=2572 http://plusdignelavie.com/?p=2572#comments Tue, 22 Oct 2013 13:45:27 +0000 http://plusdignelavie.com/?p=2572 Cédric Gicquel

Ce texte d’une telle intensité, enraciné au plus profond de la réflexion et porteur d’un sens exceptionnel de l’engagement, nous semble à ce point important que nous vous en présentons sa version intégrale.

« Tu veux rester à ses côtés Maintenant, tu n’as plus peur De voyager les yeux fermés Une blessure . . . → Read More: Polyhandicap : éthique de la responsabilité, point de vue d’un père]]> Cédric Gicquel

Ce texte d’une telle intensité, enraciné au plus profond de la réflexion et porteur d’un sens exceptionnel de l’engagement, nous semble à ce point important que nous vous en présentons sa version intégrale.

« Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur. »
Léonard Cohen, Suzanne

C’est donc un papa, un jeune papa, qui va parler de la responsabilité à travers le prisme de son expérience.
Quelques éléments biographiques afin de mieux comprendre l’origine de cette parole.
Worou-Guillaume est né au Bénin, en pleine brousse, il y a cinq ans maintenant.
Grossesse normale, pas de soucis particuliers, accouchement sans problème.
Beau bébé, parents heureux !

Retour en France, à l’âge de 6 mois…nous constatons des retards dans la motricité, des « angoisses nocturnes », des mouvements stéréotypés mais on nous dit que cela n’est rien, juste un peu de retard. Au fur et à mesure, les déficits de motricité prennent de l’importance, des regards évasifs, un manque de tonicité, nous inquiètent. Une kyrielle d’examens à Necker, une attente d’un diagnostic précis, un parcours du combattant pour trouver une prise en charge adapté avec ce leitmotiv de la part de certains médecins « arrêter de vous inquiéter, tout va bien ». Arrive, une IRM a deux ans, plus énigmatiques que les autres, mais toujours pas de diagnostic étiologique.

Il n’y a pas eu d’annonce du handicap, il n’y a pas eu ce moment, cette date précise que de nombreux parents ont en mémoire où l’on vous annonce que votre fils est handicapé. C’est une annonce implicite, qui se déroule sur des mois et des mois. Des allusions parfois à l’autisme mais rien de plus. C’est grâce à une psychomotricienne du CMPP, qui avait fait un stage au CESAP, que nous avons pu à la fois trouver une structure adaptée mais aussi un nom sur le mal de Guillaume.

Polyhandicap

Les médecins ne nous avaient jamais parlé de polyhandicap et nous découvrons, au jour le jour, la signification de ce nom : polyhandicap.
Dans notre « malheur », nous découvrons que notre fils possède quelques acquis que d’autres non pas : il peut se déplacer à quatre pattes, il n’a jamais fait de crises d’épilepsie, il n’a pas de corset, il est en « bonne santé », pas de va et vient à l’hôpital, même pas de fausses routes pour les repas !
Ai-je eu de la culpabilité en regardant mon petit bonhomme qui ne marche pas, ne mange pas tout seul, fait de grands sourires, crie souvent, regarde le monde avec étonnement, a des crises d’angoisses, a des pleurs ou des rires incontrôlés, a des stéréotypies ?

Pas forcément, je ne me sens pas coupable, peut-être parce qu’il n’est pas sorti directement de mes entrailles, par contre, souvent, je me sens coupable de mon incapacité à m’occuper de lui, à prendre le temps, à vivre à son allure « Avec eux, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange », J.L Fournier, On va où Papa ?

Alors qu’est-ce qu’être responsable de son enfant ? Quelle est donc cette éthique de la responsabilité que doit cultiver le parent de tout en enfant mais avec plus de force quand le petit d’homme est handicapé et qu’il est polyhandicapé.

Une éthique du quotidien

L’objet de la responsabilité c’est le vulnérable en tant que tel selon Paul Ricœur , en ce sens l’enfant polyhandicapé est bien ce vulnérable car il ne possède pas cette autonomie minimale ; non seulement il ne la possède pas en acte mais il ne la possède pas non plus en puissance.

En ce sens, le sujet polyhandicapé est vulnérable à vie. Cette vulnérabilité s’exprime dans le quotidien.

Manger, se vêtir, se laver, être propre sont pour nous un combat au jour le jour.
Guillaume mange facilement, pas de fausse route si tout est bien mixé ou assez écrasé, il sait exprimer sa faim en se mettant devant le frigidaire et en grognant mais il ne peut ni boire ni manger seul ; il faut aussi se mettre à son horaire car il ne peut pas gérer sa sensation de faim et se met à pleurer en cas de retard.
Il en est de même pour le reste de la vie quotidienne, il faut s’adapter au rythme à la fois temporel mais aussi « acquisitionnel » de Guillaume. Bien qu’il fasse des efforts pour nous aider, nous sommes obligés de coller à ses capacités et non aux nôtres.

Mais le quotidien nous interroge aussi fondamentalement. La question éthique se pose aussi de façon très concrète, dans le quotidien.

Guillaume depuis deux ans met sa main dans la bouche, se faisant baver et mouillant ses affaires ;cette stéréotypie lui est préjudiciable sur le plan physiologique(risque de déformation du palais mais blessures aux doigts) sur le plan social(refus de la part des autres de rentrer en relation avec lui car il a la main pleine de bave) mais aussi sur le plan psychologique(il se coupe volontairement de la relation à autrui pour s’enfermer dans la succion de lui-même et concentre toute son attention sur ce geste répétitif).

Nous lui avons donc, après concertation avec l’équipe du CESAP, mis des attelles au niveau du coude qui l’empêche de mettre sa main dans la bouche. Or, ce système est une contrainte tout autant physique que psychologique et provoque de temps en temps des plaies sur les bras. Depuis plus d’un an et demi, il porte ce système d’attelles en journée mais aussitôt enlevées, il remet ses mains dans la bouche. Quelle répercussion psychologique sur Guillaume avec cette contrainte quotidienne ? Une contrainte donc pour le « bien » de Guillaume mais qui nous questionne.

Autre contrainte, le brossage des dents. Guillaume refuse catégoriquement toute intrusion dans sa bouche, s’il accepte les aliments dans sa cuillère, il est impossible d’introduire quoique ce soit d’autre. Tous les soirs, quand nous ne sommes pas fatigués car parfois nous capitulons devant cette épreuve et pour lui et pour nous, il faut attraper Guillaume, le ceinturer et lui laver les dents : pleurs, cris et énervements. Mais nous savons que si nous ne lui brossons pas les dents tous les jours, il risque des caries, des problèmes de gencives ,donc pour éviter une souffrance potentielle nous sommes obligés de lui faire violence.
Une contrainte donc pour le « bien » de Guillaume.

Couper les ongles. Guillaume entre facilement en contact avec autrui avec ses mains, il attrape les cheveux, les visages, il faut donc lui couper les ongles assez régulièrement afin qu’il ne blesse pas dans sa prise de contact mais aussi qu’il ne se blesse pas lui-même (régulièrement, il se griffe le bas ventre).
De nouveau, nous sommes obligés de lui faire violence car il refuse de nous donner sa main, se met à gesticuler dans tous les sens : pleurs, cris et énervements.

Ce sont ce que j’appelle des violences paradoxales car elles sont produites avec une intention bénéfique pour Guillaume et pourtant elles sont éprouvantes et pour lui et pour nous. Le comprend-il ? Cette question me travaille toujours. Comprend-il que nous le faisons pour son bien, parce que nous l’aimons et que nous ne voulons pas qu’il souffre plus tard ?
C’est une épreuve particulièrement culpabilisante car elle nous renvoie à notre propre violence, à nos limites.

Une responsabilité qui nous ouvre à nos limites

Les trois premières années, Guillaume ne dormait pas, toutes les nuits il se réveillait et pleurait, trois ans de nuits blanches où la violence monte en vous parce que vous vous sentez inutile, fatigué, limité dans votre capacité à être proche de votre enfant, à écouter sa souffrance et ses angoisses qui, littéralement, vous avalent.
J’ai eu beaucoup de mal à aimer mon fils, pendant les premières années de sa vie, je ne suis pas certain de l’avoir aimé comme il le méritait ; parfois encore je m’interroge. Ses longues nuits blanches, baignées de larmes et de solitude, ses dangereuses bascules en arrière à tout moment qui faisaient que nous redoutions à chaque instant qu’il se fracasse la tête, m’ont épuisé et m’ont peut-être révélé à moi-même.

La vulnérabilité de l’autre, son extrême dépendance appelle aussi en nous une violence car elle nous demande trop, car elle exige une rupture dans la réciprocité, un oubli de soi qui n’est absolument pas naturelle ; d’autant moins évidente dans une société qui nous habitue au tout, tout de suite et qui promeut la jouissance de soi avant l’effort sur soi. Cette vulnérabilité met à mal tout espoir, toute normalité, elle nous renvoie à cette partie sombre que nous cachons derrière une sociabilité apparente. N’est-ce pas terrible pour un père d’éprouver cette violence, cette impuissance ?

« Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière » J. Green.

J’ai souvent cherché quelle pouvait être cette lumière qui pouvait être au bout de cette nuit, quelle aurore m’attendait ? Pourtant, le handicap de Guillaume m’oblige, à la fois à une connaissance renouvelée de moi-même et un changement de regard. Je ne connaissais pas du tout le polyhandicap avant son irruption dans ma vie, et mon rapport avec le handicap était marqué par une certaine défiance, une certaine gêne bien que mes conceptions morales me poussaient à une acceptation, toute formelle, de la différence et du handicap. Peut-être que cette lumière c’est celle qui enrichit mon regard, lui donne l’épaisseur d’une expérience certes difficile mais qui petit à petit me transforme. Plotin nous enjoint de ne pas cesser « de sculpter notre propre statue », le travail d’homme c’est ce long travail du négatif qui nous débarrasse de la gangue de nos imperfections qui masque le chef d’œuvre que nous sommes. Nos enfants nous sculpte, nous taille, nous arrache à nous-mêmes ; en les éduquant, ils nous éduquent, en les accompagnants, ils nous accompagnent. Notre statue, notre œuvre est indéfectiblement lié à nos enfants, ils sont notre renaissance, notre deuxième vie si nous acceptons à nous mettre à leur écoute. La patience est une vertu, une excellence, elle est une vertu que les parents d’enfants polyhandicapés doivent apprendre à cultiver. Nous n’avons pas la patience des anges, mais peut-être que nous apprenons à la posséder, du moins c’est ce que j’expérimente chaque jour. « Vous devez vivre au jour le jour. Vous ne devrez pas être obsédé par l’avenir. Ce sera une expérience très dure mais vous ne la renierez pas. Vous en sortirez meilleur. Ces enfants naissent deux fois. Ils doivent apprendre à se mouvoir dans un monde que leur première naissance a rendu plus difficile. Et la seconde dépend de vous, de ce que vous saurez lui donné. Mais, au bout du compte, pour vous, aussi, ce sera une renaissance », G. Pontiggia, nés deux fois.

Je crois que dans ce texte se concentre toute la vie d’un père d’enfant handicapé.
« Vivre au jour le jour », les progrès de Guillaume se font sur un fond d’incertitudes, il devrait marcher mais parlera-t-il ? Dira-t-il un jour « papa » ?
Accepter ce que nous voyons aujourd’hui, ne pas se projeter pour ne pas se fracasser mais pour ne pas fracasser non plus son enfant, le perdre dans nos propres exigences de normalité. C’est aux parents de faire le deuil, ce n’est pas à l’enfant de porter le chagrin de ses parents.

« Vous ne la renierez pas », oui cette expérience est douloureuse, elle me renvoie à mes propres failles, mes propres limités, souvent nous pleurons moins sur le handicap de notre fils que sur notre propre douleur, notre propre image déformée que nous projetons sur Guillaume.

S’élever à sa souffrance et non rester enfermer dans notre souffrance, s’élever à ce qu’il est et non pas à ce que nous voudrions qu’il soit.
Il faut apprendre à dépasser la blessure narcissique pour (re)découvrir son enfant par-delà sa propre souffrance, on peut, alors, parler de « renaissance » car une relation plus singulière, peut-être plus réciproque peut, petit à petit, se tisser, se construire.

Mais pour le moment, je n’en suis qu’aux commencements, et cette « renaissance »n’est que conceptuelle et lointaine.

Une responsabilité de père

Etre père c’est être un passeur, c’est faire passer d’une rive à l’autre de l’existence, de l’enfance à l’âge adulte, de la dépendance à l’autonomie.

J’ai surnommé Guillaume, mon « petit Socrate » car il a un regard interrogateur sur le monde, il nous examine longuement, regarde les étoiles, ouvre ses grands yeux plein de reconnaissance pour ce réel qui s’ouvre à lui bien que ce soit ce réel qui semble le faire souffrir et l’angoisser. Et pourtant mon « petit Socrate » me cause bien des soucis, me pose bien des questions : quel est son avenir ? Pourquoi crie-t-il ? A-t-il mal quelque part ? Va-t-il marcher ? Pourra-t-il dire un jour « papa » ? Que puis-je lui transmettre ? Pourrais-je lui faire goûter à mon amour pour Bach, m’extasier avec lui d’un coucher de soleil en Aubrac, discuter avec lui, me disputer avec lui ? Je dois faire le deuil de cet aîné qui ne sera jamais celui de mes rêves de père, de ces moments de complicité intellectuelle que j’attendais, que j’espérai, de celui auquel j’aurai voulu transmettre mes idées, mes passions, mes principes, quitte à ce qu’il les balance à l’adolescence pour mieux les redécouvrir-ou pas- à l’âge adulte.

La tentation demeure de refuser cette vulnérabilité afin de rester dans une posture d’incompréhension, de mélancolie ; pourtant, pour le bien de Guillaume, celui de sa sœur, l’acceptation d’une différence, d’une brisure dans la vie idéale est la garantie que cette vie même est ma vie, que j’en suis acteur, responsable, je ne peux me défausser sur une quelconque malchance ou un destin immuable.
Quelle liberté puis-je transmettre à Guillaume ? Car c’est bien cela, que peut offrir un père à son enfant, une liberté, pas seulement une autonomie matérielle et un bien-être, mais une liberté c’est-à-dire une capacité de choisir sa fin, d’orienter sa vie et non pas la subir. Quelle liberté pour Guillaume alors que les entraves physiques ne viennent pas d’une pathologie externe mais d’une faille à l’intérieur même de son être, une faille que nul corset, nul prothèse ne pourra compenser.

Le polyhandicap ce n’est pas seulement une incapacité de se mouvoir physiquement, de répondre soi-même aux sollicitations primaires, c’est un « être-dépendant de », une vulnérabilité où se joue la vie et la mort. Aujourd’hui, je ne sais pas quelle liberté je pourrai lui transmettre ; de l’affection, une présence, plus qu’une présence une alliance même, oui tout cela je suis capable de lui donner mais ce qui fait l’essence même de la paternité, cette transmission je n’en sais rien.

Le chemin à trois

Les parents d’enfants handicapés doivent accepter, et cela n’est pas forcément évident, qu’un tiers vienne s’inscrire dans la relation éducative. Ce tiers c’est le corps médical qui s’impose du fait même du handicap, c’est aussi tous les réseaux de professionnels socio-éducatifs et para-médicaux. Le sentiment de dépossession de son enfant s’accentue puisqu’il ne s’agit pas seulement d’accompagnement à l’éducation mais aussi de compréhension de la pathologie et du handicap.

Comment ne pas être déstabilisé parce cette ignorance qui est la nôtre ? Comment ne pas culpabiliser devant nos erreurs, nos tâtonnements, nos questions devant les « spécialistes » du polyhandicap. On sait que cette déstabilisation entraîne frustration et culpabilité ce qui pourrait mettre un terme au prises en charge sous le prétexte que nous connaissons mieux nos enfants que les experts. Certes, nous avons l’expérience du quotidien, nous avons cette expertise que produit l’alchimie des jours ; cependant, les professionnels apportent cette distance nécessaire qui peut donner de l’espace à vivre à nos enfants.

Nos projets de vie, tel que nous le demande la MDPH, peuvent les étouffer, un peu comme ces parents qui poussent leurs enfants à devenir médecins parce qu’eux-mêmes n’ont pas su l’être ; à 3, 4, 5 ans quel peut être le projet de vie de Guillaume ? Lorsque j’ai lu ce passage dans la liasse de papier à remplir pour obtenir une orientation et l’AEEH, j’avais envie d’écrire « une bonne prépa pour intégrer l’X de préférence » ! L’attente des parents est tellement grande que le regard et le conseil des professionnel, sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, est nécessaire pour l’enfant. C’est pour cela que je parle de chemin à trois.
Nous devons nous défaire d’une toute-puissance, pour que nos enfants ne soient pas prisonniers de nous-mêmes : ils ont déjà assez de problèmes !

La réflexion éthique est donc capitale car elle recentre l’attention vers le sujet de l’accompagnement et décentre le parent pour laisser une place à l’enfant; c’est toujours l’enfant qui est accompagné, le parent, lui, est soutenu dans l’épreuve du handicap. Ce soutien doit se faire avec les mots justes, ni une vaine compassion ni une distance stérile. Et, nous, nous devons savoir que malgré tout le soutien possible, la souffrance se vit toujours tout seul, solitairement.

Une responsabilité politique

Etre parents d’un enfant polyhandicapé est non seulement un chemin compliqué dans la vie au quotidien mais il l’est aussi, et essentiellement quant à la recherche de prise en charge adaptée et de structures adéquats. A titre personnel, ce parcours a été relativement rapide, nous avons eu une place au SESSAD en deux mois et une place à l’IME en une année. Mais cela ne doit pas nous voiler la face sur toutes ces situations de détresses : les parents qui passent leur temps à l’hôpital, qui jonglent avec leur travail, l’angoisse de ne pas trouver une structure qui prenne correctement en charge leur enfants, les questions de vie et de mort qu’ils se posent chaque jour car leur enfant est très lourdement handicapé…

En face de ces situations, des professionnels de qualité mais en nombre bien insuffisant, des structures qui manquent mais aussi des structures qui n’existent pas encore, plus souples par exemple pour les enfants régulièrement hospitalisés ou pour ceux dont le comportement les condamnent à ne pas trouver d’établissement. On connait les causes de ces manques : budgets qui ne suivent pas, tarification peu adaptée, convergences tarifaires qui risquent d’aligner l’ensemble du secteur sur le moins coûtant et pas forcément sur le mieux qualitativement, contraintes administratives où la performance et la formalisation deviennent prioritaires, etc…

Les parents ont donc une responsabilité de soutien non seulement dans leur service ou établissement mais aussi ils doivent s’investir dans les différentes instances, associations qui peuvent faire évoluer le paysage médico-social.

Cet engagement nous le devons à nos enfants, nous le devons aussi aux autres parents, aux autres enfants qui sont exclus de cette communauté de soin et d’accompagnement causée par la pénurie ; il s’agit en quelque sorte d’une solidarité, une réciprocité car ce que nous avons reçu c’est parce que d’autres se sont battus pour que nous l’ayons. Il me semble impératif de sortir de cette logique de rentier et endosser l’habit d’investisseur, pas pour nous qui avons la « chance » mais pour ceux qui n’ont pas accès aux structures ou aux prises en charges adaptées. Il faut investir dans de nouvelles idées d’accompagnement mais aussi de financement, nous ne devons pas nous retourner vers le passé et attendre tout d’un Etat-Providence qui, certes a permis le développement de nombreuses structures mais qui a aussi déresponsabiliser la société sur le nécessaire devoir de solidarité envers les plus faibles.

En effet de l’Etat Providence nous sommes passé à l’Etat Maternel ou Maternant qui nous a habitué à tout attendre de ce monstre froid et anonyme si bien qu’en période de disette économique, tout le système de solidarité nationale se paralyse. Aujourd’hui, nous en payons le prix : « ah mais il y a l’Etat pour ça ! » ce qui permet certain de s’exonérer ne serait-ce que de vous aider à porter une poussette dans le métro !

Entre libéralisme outrancier et étatisme, une nouvelle voie doit être tracée où la responsabilité du Bien Commun appartienne à chacun dans le concret de sa vie.
Enfin, il s’agit aussi d’une responsabilité sur la place de la différence et de la vulnérabilité dans notre société. Il y a actuellement deux grands mouvements de fond qui me paraissent problématiques. Le premier consiste à voir dans le handicap une sous-catégorie des minorités-visibles ou invisibles, peu importe.
Mais le handicap n’est pas une question de minorité, c’est une altérité radicale, une différence qui n’est pas un fait culturel ni historique mais une radicalité ontologique. Participant d’une unique nature humaine, la personne handicapé manifeste que cette humanité n’est pas uniforme, elle est l’épiphanie d’un noyau de complexités, de rapports contraires, qui loin d’être une marque de déficience, est support d’une diversité et d’une richesse.

A l’heure de la grande uniformisation, à la recherche d’une humanité performante, belle, éternellement jeune, narcissique, les personnes polyhandicapées annoncent une vérité discordante : le réel ce n’est pas le même, le réel ce n’est pas forcément le beau médiatique, le réel est cette fascination du multiple et de l’altérité.
Nous, parents, nous avons une responsabilité politique, voire même anthropologique : clamer à temps et à contretemps : oui ce sont des hommes !
Cette uniformisation est ce second moment, où le faible, le vulnérable est soumis à l’empire d’une pensée toujours plus normalisante.

Kant, dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs nous a appris que l’homme ne saurait jamais être considéré comme moyen mais comme sujet, comme une fin.

Au vu des défis de la bio-éthique et de toutes les menaces qui pèsent sur la vie, on peut s’interroger si ce grand principe éthique est encore d’actualité.
Des pressions de plus en plus forte, un vocabulaire de plus en plus déshumanisant, des rémanences de « soft » eugénisme (propos d’un député sur la trisomie 21, sur une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue), avec en toile de fond une vision utilitariste et économique de la vie humaine.

Guillaume n’est pas une charge pour la société, il produit de l’intelligence, des solidarités, des engagements, de la recherche, des questionnements, nos enfants polyhandicapés sont une richesse pour la société car, si elle sait les écouter, ils lui apporteront un surplus d’humanité.

« Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore… l’espérance est une vertu, virtus, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté » G. Bernanos, La liberté pour quoi faire ?

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