Confrontations de points de vue autour de la notion de respect

Annie Fournier

Mère d’une personne polyhandicapée, Groupe polyhandicap France

 

Vous me demandez d’exprimer mon point de vue de parent sur le « respect » ?

Pour la mère d’adulte IMC que je suis, les expériences de la vie quotidienne ont abondamment nourri, voire exacerbé, ma sensibilité aux situations où le respect de la personne est en jeu ! Expériences puisées dans ce long parcours personnel depuis 34 ans, dans des échanges avec d’autres parents ou par l’écoute de témoignages, bouleversants parfois, de personnes de tous âges, souvent infantilisées dans leur quête d’autonomie, en institution ou autres services, ou dans la société, lorsqu’elles s’osent à exercer leur citoyenneté.

 

Me reviennent en mémoire ces journées nationales de Poitiers, en juin 1999, qui rassemblaient près de 150 résidents provenant de 41 foyers de vie de l’APF, autour de 4 thèmes soumis à leur réflexion: le résident est une personne, le résident est citoyen, le résident est acteur, le résident est en relation.

Ces résidents s’étaient exprimés avec fougue, passion…

Mais pourquoi avait-il été si souvent revendiqué le besoin d’être reconnus libres et dignes de respect, comme si pour beaucoup, ce n’était pas toujours la réalité ?

Quelle force dans cette exigence d’être respecté, non pas en tant que personne handicapée ou individu, mais en tant que personne singulière, unique, comme les autres et parmi les autres ; une personne qui a une histoire, des aptitudes même si elles sont minimes, une personne riche de sentiments, d’affection, assoiffée de vie, de joie, de plaisir, d’entrer en relation avec d’autres, capable de revendiquer un projet et d’avoir des rêves…, malgré la relation de dépendance qui la lie à tant d’intervenants différents…

Pourquoi cette impression, voire cette réalité fortement exprimée, de non-reconnaissance, de non-respect, alors que tous ceux qui ont en charge la bonne marche d’une institution conviendront que le projet institutionnel est pourtant basé sur le respect de la personne ?

 

Certains pourront réfuter ce qu’ont dit ces jeunes, y voir un manque de reconnaissance envers un personnel qui fait tant pour chacun…

J’ai déjà entendu ceci bien souvent, par rapport à un salarié qu’il fallait excuser :

« Personne n’est à l’abri d’un peu de fatigue, d’avoir passé une mauvaise nuit à cause d’un enfant en bas âge, d’avoir un problème familial grave…il faut comprendre… »

comme une réponse-type passe-partout, dès la moindre remarque exprimée à propos du manque d’égard vis à vis d’une personne, dans son quotidien.

Pourtant la faute, l’exagération, la violence ne sont pas systématiquement dans un camp, celui des plus fragiles, le « bon droit » et la justification dans l’autre, celui du pouvoir !

 

Voici des témoignages recueillis chez des personnes, atteintes de déficience motrice, avec des troubles plus ou moins importants de la communication et nécessitant la présence d’un accompagnement pour de nombreux actes de la vie quotidienne.

Ce sont des petits événements routiniers en institution: réponse à un appel différée exagérément, station sur le bassin qui dure comme il n’est pas permis, chambre pas faite ou laissée avec les télécommandes posées dans des lieux inaccessibles ou bien les instruments audiovisuels débranchés, habits revenus si tardivement de la lingerie, mélangés ou abîmés, repas avec des conversations personnelles au dessus de la tête, annulation de rendez-vous, de sortie sans prévenir, appel téléphonique non transmis, entendre parler des personnes en les appelant par leur numéro de chambre, manque de confidentialité, réflexions humiliantes du style « toi de toute façon tu es ici à vie »,etc… Vous connaissez tout ça et ce n’est pas médire que d’en parler.

 

Ces incidents de parcours (c’est pareil dans les maisons de retraite avec les personnes âgées dépendantes, désorientées), passent inaperçus pour celui qui ne les subit pas. Mais ils pèsent lourd, très lourd, pour celui ou celle qui ne peut rien faire sans l’aide de l’autre, qui tente d’être reconnu comme une personne actrice de sa propre vie. N’est-il ou n’est-elle pas une personne respectable ? Il ou elle observe aussi que certains sont plus entourés que d’autres, au repas, dés qu’ils sonnent, à la pause ; qu’ils sont salués avec des petits mots de politesse en plus. Il se joue là de la discrimination, mettant à mal ce beau principe d’égalité en valeur et en dignité des personnes!

 

… et ne pouvant pas changer le cours des choses, par manque d’écoute et de dialogue, par incompréhension, par  crainte de représailles, puisque rien ne sert de se plaindre pour si peu, souvent la personne « fragilisée » se soumet : devenue captive, elle ressent l’humiliation d’être un « objet » à la charge d’un personnel débordé de travail ! Appauvrie, elle se rend absente au monde qui l’entoure! Rencontrant quelqu’un qui enfin l’écoute, la considère comme un être digne d’échange, elle exprimera, entre autre, sa révolte, pour signifier ce qui est à défendre de toute urgence en l’homme : le respect de sa dignité.

 

Et lui, mon fils, qui me raconte, alors qu’il était aux toilettes, cet homme qui est entré dans sa chambre sans y être invité, puis dans la salle de bain et, au mépris du besoin d’intimité qu’exigeait la situation, pourquoi s’est-il permis de désinfecter son espace de vie comme si c’était une tanière, « sans un mot, me dit-il, sans excuse, sans me voir ? Tu vois, je suis transparent, je n’existe pas ! »

 

Et ceux victimes de sévices, d’abus de leur intimité, de leur personne, traumatisés à jamais…

 

Et moi, nous, parents, n’avons-nous pas vécu des situations difficiles, culpabilisantes, humiliantes, uniquement parce que nous avions le tort, de façon maladroite peut être, de vouloir parler une situation !

 

Mais ces attitudes de dévalorisation de la personne, cette indifférence à l’autre, cette façon insidieuse, involontaire de faire souffrir, se rencontrent également dans la vie de tous les jours, en société ! Il y a là aussi des tonnes d’incidents à dire, qui se renouvellent à l’identique dans n’importe quel coin de France !

« Quand je suis en fauteuil, on s’adresse toujours à la personne qui m’accompagne comme si le fauteuil, les mouvements incontrôlés de mon corps, gommaient qui je suis en dedans ! »

D’autres vous diront aussi l’humiliation qu’ils ont subie dans leur volonté d’être citoyen comme les autres : quand après avoir trouvé de l’aide pour gravir les marches qui donnent accès au bureau de vote, après avoir entendu non sans fierté son identité déclinée, juste avant ce moment de silence où on entend « a voté », quelqu’un s’est soudainement opposé à ce geste en hurlant : « il n’a pas le droit de voter ! ». Stigmatisation publique de la différence! Se sentir dans l’impossibilité, à cause de sa parole défaillante et rebelle, d’expliquer en cet instant qu’il est en possession de ses droits civiques, …

 

Quel dégât ! Gagner si difficilement un peu plus d’autonomie sociale et avoir encore et toujours à prouver que l’on est comme les autres à égalité de chances ?

 

On ne peut pour l’heure d’un coup de baguette magique changer cette société des petits pouvoirs, de l’égoïsme, de l’individualisme, de l’irresponsabilité, de la peur du risque ! Ce sera pour un autre soir, le grand soir…

 

Mais on peut cependant s’interroger avec ceux qui ont choisi la profession d’accompagner des personnes, sur ce qui devrait être en jeu dans le face à face qu’implique une relation de dépendance, quand on parle de respect.

 

L’institution s’interroge-t-elle régulièrement sur la routine et l’usure de son fonctionnement, sur l’accoutumance à des mots, à des situations à la marge qui, relativisées, deviennent progressivement tolérables, puis acceptées par habitude et reproduites tacitement ?

Echange-t-elle avec cette personne en situation de handicap et l’écoute-t-elle sur ce qu’elle vit, comment elle le vit et ce qu’elle aimerait vivre? Y a-t-il des lieux de paroles, pour les résidents, pour les intervenants ?

S’interroge-t-elle sur ce qu’elle lui offre, à cette personne, en terme de compétence du personnel, dans le champ de la relation de dépendance ?

Enfin, y a-t-il place pour un questionnement sur des pratiques qui concernent le respect de la dignité  des personnes et l’amélioration de leur qualité de vie ?

 

Mes attentes, par rapport aux professionnels, sont énormes, quelque soit leur fonction, leur grade, leur rôle, leur responsabilité par rapport à la personne dépendante.

Rencontrer chez eux des comportements pleins d’égards vis à vis des personnes, en situation de handicap, et leur famille…., considération, valorisation, écoute, mais aussi déférence, réserve, soucis de ne pas nuire, de ne pas faire souffrir, de non-discrimination, d’empathie, volonté de construire ou de préserver un lien de confiance, d’exister soi même en faisant exister l’autre…

Rencontrer chez eux un engagement moral, des convictions fortes, un respect évident de la dignité de l’humain, qui traduisent par leurs réflexions et leurs attitudes la cohérence nécessaire entre ce qu’ils sont et la façon dont ils agissent.

 

Autant de points sur lesquels je pense qu’il est nécessaire d’insister encore et toujours, par des formations qualifiantes ou continues, sur la représentation de la personne et l’éthique de la relation.

 

Vous me direz que j’ai fait un tableau fort pessimiste de la situation ! Que globalement tout ne va pas si mal chez dame « institution » !

C’est sûr, j’ai rencontré des professionnels en tous points extraordinaires, capables de paroles, d’écoute, d’attention, de tolérance, de donner du sens à leur travail et d’en faire profiter les autres.

 

Mais peut-on se contenter d’une appréciation globale en matière de respect ?

On ne peut tolérer les cas à la marge, qui font honte à tous, la chape de silence qui s’installe dans les situations les plus graves.

Parler le manquement au respect du droit de chacun, les atteintes à la dignité de la personne, c’est un devoir, une obligation, pour ne pas se sentir complice de cette maltraitance, ne pas s’autoriser à être lâche et préserver le sens que l’on donne à sa vie.

 

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