Attentes de la personne expert et acteur de sa maladie

Corinne Devos
Bénévole représentant la région Ile-de-France, Association François Aupetit

www.afa.asso.fr

J’apporte mon témoignage, en tant que malade, s’agissant de mes attentes dans ma relation avec mon médecin et aux réponses que celui-ci a su ou non m’apporter.
Je peux dire aujourd’hui qu’il y a globalement adéquation entre ce que j’attends et la réponse qui m’est donnée mais c’est le mot « globalement » qui donne tout le sens au propos.
Ainsi, si le médecin répond le plus souvent à mes attentes sur un plan médical et technique, le bilan est plus mitigé dès que l’entretien sort du contexte strictement organique et en l’espèce, intestinal, ma pathologie étant une maladie de Crohn diagnostiquée il y a 8 ans alors que j’avais 36 ans.

Alors qu’est ce que j’attends de mon médecin en tant que malade ?

Un vrai partenariat qui fonctionne pour moi autour de quelques mots-clés
• Une information juste
• Une disponibilité réelle
• Une prise en charge humaine et personnalisée
• L’assurance que le gastroentérologue saura quand il ne sait pas ou plus

Et un partenariat de confiance car s’agissant d’une maladie chronique, la route va être longue entre mon gastroentérologue et moi.

• J’attends une information juste, c’est-à-dire adaptée, utile et accessible pour moi et délivrée au bon moment.
Une information adaptée et utile, c’est essentiel, car si l’absence d’information est terriblement anxiogène, un trop plein d’information peut l’être tout autant.
J’attends de mon médecin une information sur la maladie elle-même et son évolution possible, sur les traitements, leurs délais d’action, leurs effets secondaires, sur le suivi et les examens qui vont être pratiqués.
Une information accessible, c’est-à-dire exprimée avec des termes qui me « parlent ».
Je n’attends pas une information nécessairement exhaustive, mais une information qui m’éclaire et m’aide. Pour illustrer, si je prends l’information sur un traitement, je n’attends pas que me soient listés tous les effets secondaires possibles, d’abord parce qu’ils figurent sur la notice et ensuite, parce que je ne voudrais pas me les « créer ». En revanche, j’attends que mon attention soit alertée sur l’effet secondaire qui doit me faire revenir vers mon gastroentérologue d’urgence.
J’ai souvent été frustrée car je n’ai de réponses qu’aux questions que je pose et je regrette l’absence d’anticipation de la part du médecin.
Et c’est pour cela que je suis allée chercher des réponses d’abord auprès de l’AFA, association de malades, puis sur internet sur des sites sélectionnés.

Et une information délivrée au bon moment ; sinon, elle ne sert à rien.
Par exemple, au moment du diagnostic, j’étais tellement terrorisée à l’idée que le médecin m’annonce que j’avais un cancer colo rectal que lorsqu’il m’a dit que j’avais une MICI (maladie inflammatoire chronique de l’intestin), j’étais soulagées et ai zappé toute la suite de l’entretien. Et j’imagine que les informations que mon médecin m’a délivrées à ce moment précis de l’entretien étaient importantes mais elles sont toutes passées à la trappe.
De la même manière lorsqu’il m’a annoncé la rechute, j’étais en état de sidération et n’ai rien entendu la suite de l’entretien.
L’exercice est difficile pour le médecin comme pour le patient. Pour une meilleure efficacité de notre relation, j’ai appris à formuler mes attentes et à dire quand je ne suis pas disponible pour entendre. Et lui a appris à me demander si l’information correspondait à mes attentes et si le moment était le plus adapté pour me la délivrer.

• J’attends également une disponibilité réelle du médecin qui s’apprécie en termes de délais de consultation et de temps consacré lors de la consultation.
Parce que les MICI évoluent par poussées et que je ne les prévois pas, j’ai besoin que mon gastroentérologue s’adapte à ma pathologie et accepte de me recevoir dans un délai raisonnable et le cas échéant en urgence.
Pour ma part, je suis suivie en milieu hospitalier et cela m’est arrivé plusieurs fois d’appeler pour prendre un rendez-vous assez urgent. Le plus souvent une solution a été trouvée.
Pour les rares fois où cela n’a pas été possible, j’ai appris que le plus simple est d’aller engorger le service des urgences qui réorientera vers le service de gastroentérologue demandé au départ…
Et ces déambulations inutiles ont généré un stress considérable, une perte de temps et d’énergie considérables et une colère profonde. Sans parler du coût.
Mais la disponibilité s’analyse aussi en termes de temps consacré dans un timing choisi.
L’argument « manque de temps » n’est pas recevable pour un malade. Un entretien écourté laisse le malade frustré, déçu et encore plus angoissé. Le malade est prêt à entendre et même à comprendre les contraintes du médecin, comme celles du lieu d’exercice, notamment l’hôpital. Mais il ne peut pas accepter que les contraintes se cumulent à son au détriment et que la consultation se transforme en « service minimum ».

Soyons réalistes, en dessous d’un certain temps, la consultation ne peut pas être correctement menée et le temps de la consultation ne peut pas être figé mais doit être adapté à l’objet de la consultation.
Alors oui, il y a des consultations qui peuvent ne durer qu’un quart d’heure et qui seront pleinement satisfaisantes pour le patient, mais il y en a d’autres sur lesquelles il n’est pas possible d’économiser.

J’attends et là est sûrement le point le plus sensible, d’avoir une prise en charge humaine et personnalisée.
C’est vrai que ce que le patient attend en premier de son médecin, c’est une compétence médicale et technique irréprochable dans la pathologie qui le concerne. Mais ce qui fait toute la différence, c’est d’avoir dans la relation avec le médecin un espace d’écoute ouvert et sans tabou et de savoir que derrière l’organe malade, le médecin voit la personne dans sa globalité.
Pour ma part, je suis une personne atteinte d’une MICI mais je ne suis pas une MICI. Je suis une femme, une mère de famille, une personne insérée dans un environnement et un contexte socio-professionnel. Alors mon entretien avec mon gastroentérologue ne peut pas se résumer à mon nombre de selles par jour ou à la consistance de mes selles.
J’ai besoin de parler de ce que je ressens en tant que malade, de ce que la maladie est venue contrer dans mon projet de vie, de ses conséquences sur ma famille et ma carrière, de mes angoisses face à son évolution, de mes envies d’envoyer balader tous les traitements … de tout ce qui est autour de mon intestin et qui est au moins aussi important.
Cela ne prend pas nécessairement beaucoup de temps pour le médecin et n’appelle pas nécessairement de solution de sa part mais j’ai absolument besoin de délivrer mon ressenti pour m’alléger.
Et le médecin se doit d’être présent à ce moment là, à la bonne distance.

Je pense à 2 exemples qui m’ont marquée plus que d’autres.
Quand j’ai été hospitalisée en urgence la première fois (plus d’un mois), je ne pensais que très peu à mon Crohn mais j’étais obsédée par le fait que je laissais chez moi, seuls, 2 enfants mineurs pour un temps indéterminé sans avoir pu mettre en place une organisation qui me rassure. Et du coup, mon état de stress est devenu incompatible avec l’amélioration de mon état de santé. C’est seulement à cette constatation que mon médecin est venu vers moi pour me demander l’origine de cette angoisse. Il avait « mis de côté » le fait que je venais de perdre mon conjoint et père de mes enfants. Mais cela faisait partie de moi tout autant que mon intestin malade.
Le second exemple tient à qu’il arrive que le quotidien soit rendu insupportable par la maladie. Je pense spécifiquement aux selles impérieuses qui rendent la vie sociale terriblement difficile, pour les activités de tous les jours très simples comme les transports, les courses… mais aussi compliquent la vie intime. Sur ce dernier point, j’ai un jour ressenti le besoin de dire que la maladie altérait ma vie sexuelle et la réponse a été « pour en revenir à vos selles, y a-t-il du sang ? ». Ma question avait été balayée du revers de la main et déstabilisée, j’ai laissé tomber.
Il n’est pas admissible qu’il y ait des sujets tabous entre le patient et son médecin et qu’il puisse y avoir des fins de non-recevoir aussi brutales sur une démarche personnelle aussi profonde.

• J’attends aussi que le médecin sache quand il ne sait plus
Le malade est capable d’entendre de son médecin qu’il ne sait pas ou plus et la limite de compétence n’est pas source d’angoisse quand elle est reconnue et avouée. Bien au contraire.
Pour illustrer le point, un exemple récent me vient à l’esprit.
J’ai une spondylarthrite ankylosante associée à la maladie de Crohn. Un classique.
A l’apparition des premiers symptômes articulaires, le réflexe a été de consulter mon gastroentérologue. Il m’a dit qu’il allait traiter la douleur et qu’on verrait si les symptômes persistent.
La situation ne s’est pas améliorée et j’ai insisté pour avoir un bilan radio et IRM. Et là, on a constaté les dégâts.
J’ai demandé un second avis auprès d’un service de rhumatologie, dans un autre hôpital, pour m’assurer que l’avis soit libre – à cela aussi, il faut penser… Les 2 avis sont divergents et c’est à moi de trancher.
Exit l’obligation de conseil du médecin et déplacement de la responsabilité de la décision du médecin vers le patient.
Je ne sais pas si on aurait pu faire quelque chose pour éviter l’évolution de la SPA. Mais le problème n’est pas tant là que dans le doute que j’ai sur la perte de chance que la non-reconnaissance par le médecin d’avoir atteint sa limite de compétence a entraînée.
L’enjeu était pourtant de taille, l’évolution de la SPA n’étant pas réversible.

J’ai livré mon expérience personnelle et bien sûr elle n’engage que moi. Mais j’ai l’occasion, dans mon activité de bénévole écoutant au sein de l’Association François Aupetit, d’écouter chaque semaine d’autres malades. Et à travers mon témoignage, bien des patients pourraient se reconnaître.
Enfin, je voudrais rappeler que le patient est un expert de sa maladie et doit être et rester un acteur de sa maladie.

 

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