Fin de vie : mobiliser l’éthique

Emmanuel Hirsch
Professeur des universités, Directeur de l’Espace éthique Assistance publique-Hôpitaux de Paris

En quelques semaines deux propositions de loi se proposent de revoir les principes édictés dans la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie : la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité (enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2009), la proposition de loi visant à mieux prendre en compte les demandes des malades en fin de vie exprimant une volonté de mourir (enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2009). Une discussion de ces textes est prévue le 19 novembre.

Il y a un an, le 4 décembre 2008 était rendu public le rapport d’évaluation de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Le temps des vaines controverses pouvait, semble-t-il, prendre fin. La consultation menée dans la plus grande transparence et avec le souci de permettre à chacun d’exprimer ses positions, nous engageait désormais à mettre en œuvre la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, à en transposer les principes dans les pratiques du soin et à dégager les moyens indispensables à une approche enfin digne des réalités humaines et sociales de la fin de vie. Faute de quoi, d‘autres modèles seraient promus comme celui de la Belgique qui en quelques années a banalisé les pratiques de l’euthanasie jusqu’à les appliquer à des personnes atteintes d’Alzheimer ou de maladies psychiatriques, voire en salle d’opération afin de prélever les organes à des fins médicales ou scientifiques… Et voilà que nous reviennent les appels (pour certains même les injonctions) à aller plus loin dans la législation, à céder d’avantage, à s’inspirer du modèle en vigueur notamment aux Pays-Bas.
Au cours de sa session à Genève (13-31 juillet 2009) le Comité des droits de l’homme (Pacte international relatif aux droits civils et politiques) a procédé à l’examen des rapports soumis par les États parties. Dans le Projet d’observations finales du Comité des droits de l’homme des Pays-Bas, les pratiques de l’euthanasie dans ce pays sont stigmatisées : « 7. Le Comité reste préoccupé par l’étendue de l’euthanasie et de l’aide au suicide dans l’État partie. En application de la loi relative à l’interruption de la vie sur demande et à l’aide au suicide, même s’il faut l’avis d’un second médecin, un médecin peut mettre fin à la vie d’un patient sans que la décision ne fasse l’objet d’un examen indépendant conduit par un juge ou un magistrat pour s’assurer qu’elle n’est pas le résultat de pressions morales ou d’une mauvaise appréciation (art. 6). »
A quelques jours de la célébration du soixante-et-unième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la revendication, par certains, de l’euthanasie pour mettre fin aux « vies indignes d’être vécues », a de quoi provoquer nos valeurs et surprendre nos mentalités.
Au mépris des leçons de l’histoire et des combats menés par les personnes malades et leurs proches afin d’être reconnus dans leur aspiration à pouvoir enfin vivre leur vie en société sans discriminations, l’idéologisation d’une liberté ultime, affirmée dans le recours à la mort médicalement administrée, bafoue les fondements mêmes de la démocratie. Elle nous livre en toute innocence aux dérives d’une évidente barbarie.
Dans la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité (enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2009) qui doit être évoquée en session le 17 novembre, au-delà de propos convenus évoqués depuis 1978 l’article 8 est de nature à bouleverser les principes et les repères professionnels dès lors qu’est préconisée « dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé, une formation sur les conditions de réalisation d’une euthanasie. » C’est ainsi que l’on vise à banaliser la portée d’une mutation déterminante qui, ainsi, devrait devenir routinière, relever, comme dans les pays qui ont légiféré, constituer en quelque sorte de « bonnes pratiques professionnelles ».

On ne saurait tolérer davantage le discours des quelques beaux esprits qui proclament comme une conquête morale, l’urgence de dépénaliser l’euthanasie, sans consacrer la moindre attention à ceux, plus vulnérables que d’autres, qui éprouvent de tels arguments comme une injure, une imposture, l’insupportable manifestation d’un rejet qui révoque leur humanité même. Les propagandistes actuels du suicide médicalement assisté dévoient un engagement très exceptionnel qui a permis au cours des dernières années de mieux reconnaître le droit des personnes malades ou atteintes de handicaps, leurs aspirations à une qualité d’existence, à une position en société et à des soins respectueux, adaptés, attentifs à leurs choix profonds, à leurs véritables besoins. Ils confortent les logiques de l’indifférence, du renoncement ou de l’abandon et justifient ainsi les relégations de nos malades aux marges de la cité, dans un état de précarité et d’errance chroniques, au domicile ou dans des institutions vécues comme des lieux de ségrégation. La délivrance anticipée d’une vie à ce point indigne de la vie, leur semble alors préférable à l’expérience quotidienne d’une forme subreptice, anonyme, indifférenciée d’euthanasie sociale.

Il nous faut résister aux figures imposées d’une culture de la mort digne, repenser et refonder les solidarités indispensables à une vie en société digne d’être vécue jusqu’à son terme. C’est affirmer que l’existence, la dignité et les droits des personnes malades ou handicapées valent mieux que les débats indécents qui tentent d’organiser les conditions de gestion de la mort des plus vulnérables parmi nous : ceux à l’égard desquels nos obligations s’avèrent au contraire les plus fortes. Il nous faut conférer un espace d’expression publique à la réflexion consacrée au sens de la vie, à la valeur des combats de vie menés par les personnes malades et leurs proches pour préserver une existence humaine, la signification d’une histoire d’homme, en dépit de ce qui les menace.
J’en appelle à une mobilisation éthique : elle concerne les fondements de la vie démocratique et sollicite une dynamique de la responsabilité partagée, un engagement auprès de celles et de ceux qui attendent de notre société d’autres réponses que la solution finale d’une mort assistée.

 

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