Fin de vie : le comité consultatif national d’éthique vient de rendre son avis. La décision revient désormais à François Hollande.

Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud

Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir

Le 17 juillet 2012, au cours d’une visite dans un établissement (Maison médicale Notre Dame du Lac) en partie consacrée aux soins palliatifs, François Hollande lançait à Rueil-Malmaison une mission consacrée à la fin de vie. Il s’agissait pour lui de répondre à un engagement affirmé dans la proposition 21 du candidat à la présidence de la République : « (…) que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Pour certains commentateurs, l’évolution ainsi annoncée de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie devait mener à une dépénalisation de l’euthanasie ou, du moins, à une transposition en France de la procédure du suicide médicalement assisté.
François Hollande confie à Didier Sicard « un travail de réflexion, d’information, de concertation » qui devait prendre en compte une interrogation forte : « Faut-il, peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager des patients aux prises avec une douleur irréversible ? » Le calendrier est alors serré, un projet de loi est annoncé pour juin 2013. Le rapport rédigé dans le cadre de la mission Sicard est remis au chef de l’État le 18 décembre 2012 : « Penser solidairement la fin de vie. » Le jour même François Hollande demande au Comité consultatif national d’éthique non pas de se prononcer sur les conclusions du rapport mais de répondre à trois questions :
«  1. Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l’annonce d’une maladie grave, concernant la fin de sa vie ?
2. Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?
3. Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ? »
Le CCNE rend aujourd’hui son avis n°121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » qui était attendu en avril. Il n’est pas certain que le Président de la République dispose en tous points des réponses spécifiques qu’il aurait pu attendre de ces deux instructions. En fait, les « sages » ont plutôt endossés les analyses du rapport Sicard, exprimant seulement la divergence de quelques-uns d’entre eux « en ce qui concerne le droit d’une personne en fin de vie à avoir accès, à sa demande, à un acte médical visant à accélérer son décès, et/ou le droit à une assistance au suicide ». Mieux, le CCNE « estime qu’il est nécessaire d’organiser un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire », renvoyant en quelque sorte à plus tard la décision politique.
Certains commentateurs avertis pourront même constater un certain recul du CCNE qui, le 27 janvier 2000, alors qu’il était présidé par Didier Sicard, avait produit un rapport d’une véritable pertinence, l’avis n° 63 « Fins de vie, arrêt de vie, euthanasie qui évoquait les notions « d’engagement solidaire et d’exception d’euthanasie ».

Vers une sédation euthanasique ?

« Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » : c’est peut-être dans l’intitulé de l’avis, davantage que dans son contenu, que l’on peut déceler quelques inflexions. Préférer au respect très formel des « droits de la personne (en fin de vie) » celui de son « autonomie », être attentif à cette expression d’une « volonté de mourir » (évoquée par François Hollande dans ses questions posées au CCNE en décembre dernier), témoigne d’une attitude plus conforme à ce qui devrait s’imposer dans la relation de soin. Dès lors, souscrire à une telle exigence ne se limiterait-il qu’à deux évolutions estimées significatives ?
Non sans avoir rendu l’hommage convenu aux soins palliatifs, le CCNE propose en effet que « les directives anticipées soient contraignantes pour les soignants, sauf exception dûment justifiée par écrit » et « le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde et terminale si elle en fait la demande lorsque les traitements, voire l’alimentation et l’hydratation, ont été interrompus à sa demande ». On sait toutefois la difficulté à anticiper des situations douloureuses et donc à rédiger ses « dernières volontés ». L’expression d’un choix relève d’approches qui se structurent à travers les années d’un suivi thérapeutique. Reste la difficulté de circonstances subites, l’incapacité, du fait d’une perte de conscience, de faire connaître ce que l’on souhaiterait profondément, rendu ainsi dépendant de la décision médicale. D’autre part, s’agissant de la sédation, nul n’ignore la controverse suscitée aujourd’hui par cette pratique. L’endormissement plus ou moins intensif visant à apaiser la personne dont la vigilance diminue jusqu’au moment de sa mort, est assimilé par des observateurs avisés à une démarche « hypocrite » d’euthanasie. Le rapport Sicard évoque la « sédation en phase terminale pour détresse », décision prise de manière collégiale sans avoir pour visée d’abréger la vie d’une personne mais en assumant éventuellement ce « double effet ». Depuis, dans sa position du 8 février 2013 « Fin de vie, « assistance pour mourir », le Conseil national de l’ordre des médecins a contribué à légitimer ce que certains considèrent comme la « pente de la sédation » : « Une sédation, adaptée, profonde et terminale délivrée dans le respect de la dignité pourrait être envisagée, par devoir d’humanité, par un collège dont il conviendrait de fixer la composition et les modalités de saisine. Ce collège fonderait son avis sur l’évaluation de la situation médicale du patient, sur le caractère réitéré et autonome de sa demande, sur l’absence de toute entrave à sa liberté dans l’expression de cette demande. » L’autonomie de la demande de la personne est, là également, considérée comme le principe supérieur à honorer. Mais jusqu’à quel point ? Jusqu’à quelle limite ? Peut-on aller plus loin que la sédation, là précisément où elle semble nous mener en toute logique ? Et dans ce cas, quel doit être le rôle de l’État dans la mise en œuvre et le contrôle de telles procédures et protocoles.
Alors que les lignes semblent bouger depuis que François Hollande a lancé la réflexion en juillet dernier, est-il sage de maintenir des équivoques qui ne peuvent qu’inciter les plus déterminés à fonder leur revendication d’une véritable dépénalisation de l’euthanasie ?
Il pourra être intéressant, au-delà de débats bien académiques, de se demander ce qui distingue profondément la sédation (parfois dite « sédation euthanasique ») de l’euthanasie, et dès lors de nous permettre de mieux saisir la réticence du CCNE à l’égard du suicide médicalement assisté en fait assez peu compréhensible : « En ce qui concerne plus spécifiquement l’assistance au suicide, ils estiment « que cette légalisation n’est pas souhaitable », portant un jugement très réservé sur les indications de l’assistance au suicide et/ou de l’euthanasie dans les pays qui les ont dépénalisées ou autorisées et manifestant une inquiétude concernant l’élargissement de ces indications dans certains de ces pays. »

Nous saurons bientôt les conséquences qui seront tirées de cet avis du CCNE qui, de manière convaincante, apporte quelques développements nécessaires au rapport Sicard tout en lui demeurant fidèle sur l’essentiel. François Hollande, dans un contexte particulièrement sensible aux questions dites sociétales, souhaitera-t-il proposer une évolution législative relative aux quelques points qui font consensus, privilégier une concertation publique ou alors aller plus loin et décider que la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est caduque et qu’il conviendrait, notamment, dans une première étape, de rendre possible le suicide médicalement assisté ? Ce serait d’une certaine manière considérer les limites des exercices confiées à la mission Sicard et au CCNE et en affecter leur crédibilité. Mais d’autre part, ont-ils répondu véritablement aux questions fortes que le président a posé à ces instances qui, avec une certaine habilité, s’en remettent finalement au politique pour assumer sa décision ?

 

Laisser un commentaire