Rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie en France. Une approche respectueuse de la personne dans sa dignité et dans ses droits

Emmanuel Hirsch

Professeur d’éthique médicale, université Paris Sud, président du Collectif Plus digne la vie


Prendre en compte la spécificité de chacune des situations rencontrées 

Le 17 juillet 2012, François Hollande confie à Didier Sicard (président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique) une mission de réflexion sur la fin de vie en France : « La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades constitue une avancée certaine en condamnant l’acharnement thérapeutique, en instituant l’arrêt du traitement dans le cadre d’une procédure collégiale pluridisciplinaire, en renforçant les soins palliatifs et en mettant en place les conditions pour que le patient, ou à défaut une personne de confiance, puisse faire valoir son souhait. Une évaluation de l’application de ce texte dans le cadre d’une réflexion sur la fin de vie me paraît indispensable. » Quelques mois plus tôt, au cours de la campagne électorale, François Hollande avait inscrit au rang de ses promesses la proposition 21. Il s’engageait à ce « (…) que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Le Président de la République aurait pu s’en remettre directement au parlement pour transposer cette résolution dans la loi. Le 31 janvier 2012 avait été déposée la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir qui fixait dans son article premier que : « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. » Cette notion d’assistance médicalisée désigne explicitement l’acte d’euthanasie et c’est donc de sa légalisation qu’il est effectivement question.

Le Président de la République a su envisager une toute autre approche que certains considéreront à tort comme de l’ordre d’une stratégie. Il était en effet courageux de soumettre à l’examen d’une commission un questionnement sensible et complexe, alors que tant de pressions et d’impatiences en appelaient dans l’urgence à une évolution législative qui semblait s’imposer. Faut-il rappeler qu’une mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie avait été confiée à l’auteur de ce texte de loi ? Lorsque les parlementaires ont rendu leur rapport le 28 novembre 2008, en dépit de ses grandes qualités d’analyse un certain soupçon a entaché la neutralité de ses conclusions.

À la demande de François Hollande, la commission de réflexion sur la fin de vie en France est allée à la rencontre des Français, suscitant des réflexions, des témoignages, des échanges qui permettent de présenter un état des lieux représentatif de circonstances humaines et de réalités sociales qui ont peu à voir avec les clivages idéologiques : « Ce rapport a cherché à prendre en compte le mieux possible la spécificité de chacune des situations rencontrées, pour mieux faire droit aux attentes et espérances des citoyens à l’égard de la fin de leur vie. » Il n’était guère évident de franchir l’obstacle des idées reçues et des slogans, afin de saisir des enjeux à la fois subtiles et intimes qui ne peuvent être ramenés à des positions partisanes forcément réductrices. Témoigner une même attention à la parole fragile de la personne confrontée à la maladie grave, à celle plus vindicative d’un proche qui dit son désarroi et son amertume face à l’indifférence ou à la négligence médicale, au bénévole d’une association de soins palliatifs ou au militant « de la mort dans la dignité », relève d’un exercice peu évident. L’exigence de concertation impose toutefois ses règles. En dépit de contraintes, de limitations (ne serait-ce qu’en terme de calendrier puisque les déplacements, les auditions et la rédaction du rapport sont intervenus entre septembre et décembre 2012) les membres de la commission ont parfaitement répondu à la feuille de route qui leur était confiée. Le Président de la République dispose d’un document de qualité, précis, argumenté, représentatif de la multiplicité d’enjeux à la fois philosophiques, culturels, institutionnels, organisationnels et politiques. Sa pertinence, voire sa légitimation, est renforcée par la citation des propos recueillis sur le terrain, au plus près de réalités humaines qui à la fois dénoncent les insuffisances, revendiquent des évolutions mais également expriment avec pudeur et gravité la valeur d’une relation préservée jusqu’au terme de la vie.


Les dangers d’un immobilisme et d’un changement

En conclusion du rapport, la commission pose en des termes justes le dilemme présent et donc les termes d’une responsabilité politique lourde de conséquences qu’il appartient au Chef de l’État d’assumer : « les dangers évoqués d’un immobilisme et d’un changement. »

Un sondage TNS/Sofres/Ministère de la Santé réalisé en novembre 2012 sur un échantillon national de 1000 personnes fait notamment apparaître que 48 % de Français ignorent les droits que leur accorde la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, s’agissant de l’arrêt des traitements et de l’interdiction de toute forme d’acharnement thérapeutique. 58 % se disent favorables pour ce qui les concerne au suicide médicalement assisté (le médecin met à disposition de la personne le produit létal). Bien que perçue risquée du fait de ses abus possibles par 49 % des personnes, entre 67 % et 75 % d’entre elles (selon les catégories d’âge) se disent favorables à la pratique de l’euthanasie. Il convient donc de mieux comprendre pourquoi trois lois successives (1999, 2002 et 2005) ne sont pas encore parvenues à conférer une meilleure lisibilité aux approches de démocratie sanitaire reconnaissant à la personne malade le droit de bénéficier d’une information favorisant une prise de décision que les professionnels de santé doivent respecter. À cet égard les membres de la commission préconisent une approche renouvelée des directives anticipées. Jusqu’à présent elles étaient rédigées par la personne avant de se trouver dans une situation extrême. Soumises aux médecins lorsqu’il s’avérait justifié d’envisager un arrêt de traitement dans le cadre d’une prise de décision collégiale, certains contestaient leur validité, estimant que la personne avait pu changer d’avis. Il est proposé de permettre à la personne de rédiger ses directives en période critique, de les enregistrer sur un fichier national, de telle sorte à la fois qu’on ne conteste pas leur justification et qu’en cas d’hospitalisation aux urgences ou en réanimation elles puissent être rapidement consultées.

Si le rapport de la commission met en cause les logiques biomédicales et l’inattention parfois institutionnalisée à l’égard des vulnérabilités liées à la maladie, il conteste tout autant les modalités de sélection dans l’accès au dispositif de soins palliatifs et en appelle à une véritable justice dans ce domaine. En fait, les incohérences et les ruptures dans le parcours de soin relèguent trop souvent la personne qui n’est plus en capacité de bénéficier de ressources thérapeutiques curatives hors de toute filière continue. Cette errance faite de solitude et de souffrance incite, par défaut, à solliciter de la part du médecin qu’il abrège une situation de survie incompatible avec une certaine idée de la dignité ainsi compromise. Il conviendrait donc d’envisager très en amont de la période terminale l’expertise et l’intervention des professionnels compétents en soins palliatifs, sans limiter leur fonction seulement à la fin de vie. Des incitations fortes devraient désormais imposer en institution comme à domicile des dispositifs d’accompagnement adaptés aux besoins spécifiques des personnes malades, et évalués sur leur service rendu. D’autre part la reconnaissance des soins palliatifs comme discipline universitaire s’impose, ainsi que leur enseignement de manière approfondie au cours du cursus médical.

 

Ne pas se substituer à la personne mais lui témoigner écoute et respect au terme de son existence

Le contexte dans lequel est intervenu la saisine de François Hollande aurait pu inciter à penser que ce rapport serait essentiellement consacré à cette « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » comprise, probablement à tort, comme la pratique par le médecin de l’injection létale, l’euthanasie. Les membres de la commission ont su, je crois, répondre à la véritable demande du Président de la République : présenter avec rigueur, clarté et cohérence les éléments composites d’une réalité humaine qu’il nous faut probablement repenser, ne serait-ce que du fait de la médicalisation de la fin de vie et de la sécularisation de notre société. Ils n’ont pas pour autant renoncé à aborder franchement et avec un souci d’analyse qui étaye leur argumentation, les aspects les plus controversés aujourd’hui : suicide assisté, suicide médicalement assisté, euthanasie. On le constate, ces évolutions dont on parle beaucoup s’avèrent en fait limitées du point de vue de leur application pratique et dans certains cas discutables du point de vue de la remise en cause des « critères de minutie » censés les encadrer. Justifieraient-elles en France une nouvelle législation relative à la fin de vie ?

Le rapport conclut à cet égard : « L’euthanasie engage profondément l’idée qu’une société se fait des missions de la médecine, faisant basculer celle-ci du devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement à une action si contestée d’un point de vue universel. La commission ne voit pas comment une disposition législative claire en faveur de l’euthanasie, au nom de l’individualisme, pourrait éviter ce basculement. » Cette observation ne se veut en aucun cas péremptoire et définitive, puisque pour éclairer au mieux la décision du Chef de l’état, comme lorsqu’est analysé le modèle de suicide médicalement assisté développé depuis 1994 dans l’État d’Oregon (USA), l a commission présente les avantages et les inconvénients du dispositif. De manière neutre, tenant compte à la fois des points de vue, des finalités envisagées et de l’évaluation des conséquences.

En conclusion, la commission de réflexion sur la fin de vie, sollicite une réflexion inspirée par les valeurs de la démocratie et les véritables responsabilités personnelles et sociales engagées auprès de la personne qui va mourir et de ses proches : « Un véritable accompagnement de fin de vie ne prend son sens que dans le cadre d’une société solidaire qui ne se substitue pas à la personne mais lui témoigne écoute et respect au terme de son existence. »

Le 28 mars 2013 est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale le débat portant sur la proposition de loi relative à  l’assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité. La concertation publique va donc se poursuivre dans le cadre du parlement. L’initiative de François Hollande qui aboutit aujourd’hui à la publication d’un rapport important, intelligent, rigoureux et pertinent dans ses analyses, doté de propositions pratiques fortes et utiles, me semble relever d’une exigence politique qui contribue à la responsabilisation de chacun. Elle devrait permettre de mieux saisir les valeurs profondes engagées dans ces circonstances humaines singulières où convergent tant de vulnérabilités, et de concevoir ensemble une approche respectueuse de la personne dans sa dignité et dans ses droits.

 

 

 

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