Fins de vies : L’amour et la Mort.

Véronique Normand

Kinésithérapeute
J’ai vu le film Amour de Mickael Haneke , sorti le 24 octobre 2012 .
Il ne s’agit pas, pour moi, que d’un geste d’amour, ou alors un geste d’amour épuisé. Il s’agit d’une euthanasie par épuisement; un aveu de sans secours possible. Un arrêt des appels au secours auxquels on ne peut plus répondre. Un aveu d’impuissance.

Qui sait si en d’autres circonstances, ne pouvant pas partager mon impuissance, je n’aurai pas fait la même chose?? On ne peut pas prédire grand chose en fin de vie, mais on peut prévoir, prévenir, appeler du secours, du renfort.

Un seul coup de fil et contact extérieur suffit à changer le cours des choses. Le mari de Mireille (personne atteinte de SLA) me l’a dit, quand je venais, c’était une « fête » pour lui.
J’étais le seul soignant à domicile, le médecin mettait l’ordonnance dans la boite aux lettres, enfin son remplaçant, parce que lui ne se déplaçait pas. Le médecin d’aujourd’hui s’efface trop dans la fin de vie, ne trouvant plus son rôle pourtant si important de réassurance.
Les soignants à domicile assument la proximité, parfois difficilement, évitant le piège béant de la promiscuité.
Mais un seul soignant suffirait, dans le strict minimum, à condition que ce soignant garde contact avec l’extérieur et bénéficie de ressources extérieures de soins, acheminant dans la casa le souffle nécessaire et les rayons du soleil du dehors.
Dans la fin de vie, l’autrement et l’ailleurs servent à enrichir l’intérieur. Je ne vois pas d’autre distance à garder que celle ci.

La maladie n’est pas une honte, le handicap n’est pas une fatalité.

Une maladie démédicalisée, ça conduit à l’enfermement, à l’asphyxie, à la solitude et à la mort par étouffement, l’euthanasie n’est pas dans ce cas un choix libre, c’est le contraire de la liberté. Le soin a cet enjeu de tiers entre le malade et sa maladie et de préserver le proche. Mais ce n’est pas en multipliant les intermédiaires, les tiers entre le malade et le soignant qu’on résoudra les problèmes de refus de soin. Le meilleurs tiers, c’est le soin lui-même et la relation qui l’accompagne. Pas de soin sans relation, pas de relation sans soin, Le soin éloigne la maladie du malade, soigne la douleur et éloigne la souffrance.
Franchement, cette dame dans le film, dès le début, avait besoin d’un kiné. Et elle n’était pas en phase palliative; quand je vois le corps abandonné, cette raideur qui ne peut que conduire à une raideur de la situation, quand je vois comment il l’a fait marcher, je me dis que rien n’a été fait des soins de réadaptation, l’abandon a déjà eu lieu. La question est de savoir si il y a eu refus de soin, l’hospitalisation semble avoir été difficile, ou si les soins ne lui ont pas été prescrits. Le médecin est présent dans l’histoire, il prescrit les médicaments. Est-ce que des médicaments suffisent dans une hémiplégie?
Or dans ce film, L’hémiplégie du début n’est même pas mise en soin. Un kiné aurait été le bienvenu pour lui redonner confiance en ses possibilités.
Quand je le vois marcher mal avec elle, le transférer avec difficulté alors qu’elle a une jambe saine et pas d’aide pour maintenir une marche possible, je me dis que rien n’a été fait.
Les soins sans doute possible dès le début n’ont pas été prescrits. On entend parler du médecin, on ne le voit pas. Dans l’esprit du réalisateur, le médecin prescrit des médicaments. Les médicaments suffisent-ils au handicap? Suffisent-ils à la dépression normale de découverte des déficits? Une seule personne aimante suffit-elle, sans des compétences de soins?
Autant mettre un pansement sur une jambe de bois!
Un AVC ça se traite avec des médicaments, mais la rééducation ça existe,
La honte d’être en fauteuil, la honte de la déchéance, la honte de l’incontinence, le sentiment de perte de dignité qui creuse et qu’un seul homme ne peut porter.
L’amour est atteint peu à peu par ce sentiment d’indignité, que la fille ne manque pas d’exprimer dans sa douleur.
Comment aimer quelqu’un qui ne s’aime pas?
Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point, abandonné dans sa raideur, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terrible dans les transferts et retournements dans le lit; Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire. D’ailleurs à un moment donné la main recroquevillée est cachée sous la couverture.

Parce que si les soins corporels se résument à un hygiénisme, on ne s’étonnera pas que l’incontinence vienne plus tard sonner le glas de la dignité.
Parce que sans soin, évidemment la maladie mène à l’enraidissement, à la perte de la sensation de soi, à la perte d’estime, à la perte de confiance, à la perte d’une pensée saine, à la paralysie d’une situation, à la haine de soi, à la relégation dans un huis clos et à la mort par étouffement.

Il ne s’agit pas que de bouger, que de marcher, il s’agit de redécouvrir ce corps, le handicap n’est pas une fatalité, un corps entravé ne peut pas donner lieu à une pensée libre !

Comment avoir une bonne image de soi si le corps est délaissé à ce point , abandonné dans sa raideur,, raideur qui donne lieu à des douleurs parfois terribles dans les transferts et retournements dans le lit;
Le handicap n’est pas une fatalité. La maladie pas une honte où il faut cacher les déficits sans rien en faire.

Toute l’histoire du soin interviendra dans la fin de vie ; le traumatisme laisse des traces, la fin de vie est un deuil et convoque au bord du lit toutes les mémoires, on n’oublie jamais les joies, ni les blessures ; jamais, et elles affleurent à fleur de peau lorsqu’on souffre.
Ce n’est pas l’histoire ancienne qui est la cause, c’est la souffrance actuelle qui ravive les autres. Ce n’est pas non plus que le geste malheureux ou la blessure actuelle qui rend sensible à ce point, c’est le lit dans lequel repose cette goutte qui fait déborder le vase.
Ce sont les deux additionnés qui font le trop plein.  Une solution, c’est laisser un peu déborder le vase, pleurer.

Les larmes ont besoin d’une épaule solide, sinon elles se retiennent ou sont des larmes vaines, des larmes perdues, des larmes sans mot, des lettres mortes, des larmes sèches, des larmes pour rien. Ni pour personne.

Alors, on ne pleure pas, on reste dur, et cette dureté nous fait du mal et fait du mal autour de nous.
On devient effrayant de ne pas pleurer, on devient si vite inhumain, on pourrait devenir un monstre de ne plus voir ni sentir la peine de l’autre. On ne peut pas s’aimer soi-même si on se voit comme un monstre, on peut encore moins aimer l’autre. Il faut être vivant pour aimer et non mort.

La douleur fait souffrir, la souffrance tue, l’isolement tue.

Et la souffrance, c’est le soin absent ou pire, le soin mal fait. On préfère alors comme moindre mal refuser les soins. Ou alors en regard de ce que cette entrée en maladie exige, le patient devient plus exigeant. On peut le comprendre. Le proche pousse aussi les exigences de lui même à ses limites et il devient forcément exigeant.
La souffrance est une tension; oh combien cette tension aurait pu être évitée!

Quand l’isolement s’étend, la confiance s’effrite.

La présence soignante est dans ce film à peine présente, pour faire la toilette. Est-ce là tout ce que peut apporter un soignant ?
Une infirmière maladroite se fera rabrouer dans sa violence à vouloir confronter la personne à son image dans un miroir. Rien d’étonnant à ce qu’elle se retrouve dehors. Une phrase m’a marqué dans ce film c’est ce que dit cet homme à sa fille « je n’ai pas le temps de recevoir ton inquiétude ».
L’inquiétude, effectivement, semble en retard, pas souhaitable dans ses conseils qui n’ont pas leur place. Et le père finit par dire « laisse nous notre histoire, vis ta vie. » La fille n’a plus d’accès même dans sa tentative à raconter sa vie pour mettre un peu de vie dans ce huis clos en leur parlant de sa vie, se voir rembarrer dans sa vie. Comme si elle n’était pas concernée. Pourtant elle dit bien que lorsqu’elle était petite, elle était rassurée de les entendre faire l’amour, façon de dire qu’elle participait de leur amour.
Mais la voilà réduite à l’errance d’un invité indésirable, qui n’a qu’à s’occuper de sa vie.
Le vide est donc fait autour d’eux et creuse son lit de mort ;

Les exigences que cet homme a de lui même, tournées un temps dans le soin, perdront patience, la violence viendra montrer son nez lors d’un repas. La femme se voit sous l’emprise de l’aide de son mari, ce qu’elle craignait au début, lorsqu’elle lui disait  » tu peux t’éloigner de moi, et ne pas regarder comment je fais tenir mon livre » est arrivé; Mais il ne s’éloignera pas d’elle. Si peu… Il ne l’abandonnera pas.
Là voilà entièrement prisonnière de la maladie et prisonnière de lui. Ne s’aimant pas, elle ne peut pas y voir dans l’approche de son mari l’amour, elle parle de « mauvaise confiance »; son amour est réduit à la pitié, à la condescendance, elle lui renvoie une haine d’elle même.
Le voilà prisonnier de la maladie et prisonnier d’elle.
Le pli est pris. Le faux pli, l’erreur de penser que l’amour puisse s’obliger à aimer et que prendre soin de la personne qu’on aime puisse cacher quelque pouvoir que l’on voudrait prendre sur elle, profitant de la situation pour jouir de sa propre puissance. C’est un sentiment que l’on peut comprendre et qui est toujours inhérent, toujours présent dans l’aide, le soupçon, la crainte de l’abus.
Crainte malheureusement justifiée et tellement justifiée dans la déperdition d’un corps qui ne peut plus…
Il est caractéristique du sentiment de vulnérabilité. Moyen de défense, histoire de prévenir l’abus qui peut toujours avoir lieu, la confiance qui peut toujours être trahie.

Quand on ne s’aime pas, c’est qu’on a perdu confiance en soi. Le soin en convoquant cette confiance, en demandant un effort à la personne afin d’améliorer la situation convoque cette confiance et la possibilité de garder un pouvoir sur son autonomie.

L’amour est essentiel, mais l’amour ne suffit pas

Bien sûr que l’amour est essentiel, mais il ne suffit pas ! L’amour ploie se plie et se replie sans ressources extérieures. Les couples explosent devant la lourdeur de certaines maladies ou handicaps. Les soins sont des ressources extérieures. Et je ne parle toujours pas que de soins palliatifs. Cette dame au début du film n’en est pas aux soins palliatifs, elle en est aux soins de réadaptation du handicap !

L’amour est atteint par cette hémiplégie, il est rabougri, noirci de honte, il ne trouve même plus d’accès ou d’ouverture dans la nostalgie des souvenirs.
Se souvenir des belles choses n’est même plus possible, même plus pensable.
L’amour est en danger d’exclusivité. L’emprise est l’amour passionnel qui étouffe.

La visite du jeune musicien est une scène clef ; ce dernier intervient comme intrusif dans un monde brisé, alors qu’il aurait pu être un élément clef de la transmission positive qu’a laissé cette femme qui lui a enseigné la musique (nostalgie positive). Alors qu’il aurait pu représenter un élément positif de son œuvre personnelle, il heurte. Alors que son hommage, même à la découverte du handicap ne change pas son regard positif, on sent bien que cela ne change rien à l’hommage qu’il est venu lui rendre, et c’est ce regard positif qui est lui aussi devenu scrutateur, indésirable à elle-même.
Il s’en va désolé, dépité, remballant son hommage et sa joie à la gloire du passé.
Lorsqu’il joue, c’est une mémoire mélancolique, tournée vers elle et le passé, proche de celle que nomme Nietzsche, le ressentiment, au lieu d’entendre l’envolée de la transmission et la joie de l’avenir construit qui est devant elle, à travers ce jeune pianiste qu’elle a formé.
Centré sur elle, tout est concentré sur elle, les autres ont disparu.
C’est le huis clos de la destruction de l’intérieur, l’amour qui s’étouffe n’a plus d’air, l’amour de la vie qui enfermé sur lui-même ne peut plus sortir de lui- même.

On trouvait déjà cet amour malheureux de ne plus pouvoir s’exprimer dans le film Quelques jours de printemps de Stéphane Brizé, amour qui ne pourra s’exprimer qu’en toute dernière instance de la mort irréversible, que dans un au revoir.

Que dire, que faire face à cette dépression qui ne peut plus voir l’amour extérieur qui pourrait lui permettre d’aller vers l’autre et recevoir ce que ce jeune homme est venu lui apporter par sa visite ?

L’amour s’échoue au lieu de s’envoler, il n’a plus d’aile.
Ce danger d’emprise et d’enfermement, les professionnels de santé le connaissent, redoutent et préviennent ce sentiment de glissement où l’impossible gagne et où l’amour échoue.

Que dire du geste final d’étouffement, sinon qu’il est la suite logique d’un étouffement physique et psychique de la maladie et de la vie?
Que dire d’autre, sinon que les soins absents génèrent ce genre de situations d’enfermement et de dérive ?
Que dire, sinon que le handicap, la maladie chronique, la fin de vie ne peuvent qu’échoir dans un amour déchu s’il n’est pas soutenu en actes, en présence, en relation avec des ressources de soins, si la personne proche et la famille en général ne sont pas soutenues, si chacun se contente de rester subjugué et impressionné et plein de respect et d’interdit à admirer de loin ces situations qui nécessitent un engagement humain , dont les soins constituent un rempart contre cette exclusion et ce naufrage que la maladie convoque, mais que ces soins apportés par les soignants dans une maladie ne suffisent, pas, qu’il y a un engagement personnel à soutenir tous les liens, y compris les liens familiaux et les liens d’amour plutôt qu’à se concentrer à les analyser, tous les liens qui maintiennent la personne dans son envie de vivre, non pas uniquement en vie.

Ce film pour moi décrit l’extinction de l’envie de vivre, dont on a raté le « coche » dès le début.

Il est évident que si le débat de la fin de vie évoque l’amour dans cet acte. On y comprendra, je l’espère, la nécessite de ne pas intoxiquer l’amour et l’enfermer dans un huis clos malsain, on comprendra que cet acte d’étouffement n’est pas un acte libre, c’en est même l’opposé.
On comprendra que si liberté de l’amour en fin de vie il y a, c’est dans la liberté de puiser les ressources, toutes les ressources, existantes avant de déclarer forfait.

On y comprendra aussi que seul face à l’adversité l’homme ne peut faire face. Il arrive aux limites de ses propres ressources et si la moindre fenêtre ne s’ouvre pas sur l’extérieur, c’est plus que la mort, c’est l’amour qui est tué.
L’amour sans soin est disqualifié. La maladie ne vit pas que d’amour et d’eau fraiche.

Penser la mort, c’est pourtant penser l’amour

« Je vous souhaite à tous de vivre d’amour et de création ». Dernière phrase écrite de J.P. Rouette avant sa mort à ses amis cinéastes.

Il y a les amours malheureux de Rimbaud, il y a les morts malheureuses et tragiques, les morts solitaires, les morts violentes, les morts de toutes sortes, mais je ne peux m’empêcher de penser avec Goethe qu’ »on peut aussi construire de belles choses avec les pierres qui entravent le chemin »;

Qu’il y a aussi des morts simples, des morts qui se passent bien, des fins de vie riches, des fins de vie paisible, des fins de vie qui laissent un sentiment de beauté et de grandeur, qui laissent un sentiment d’achèvement et non de fin, qui laisse une lueur qui brille dans les yeux de ceux qui restent.

J’aime pouvoir encore penser que l’amour donne des ailes pour s’envoler, qu’il ne les replie pas, mais les ouvre. Qu’il n’a pas de limite dans la recherche de solution, qu’il en éprouve même du plaisir à braver les obstacles, à ne jamais céder à rien, j’aime à penser que l’amour soit assez rebelle, soit assez indomptable et libre pour se défaire des chaines qui l’entravent. J’aime à penser qu’il puisse durer au delà de l’adversité et y voir plus loin, j’aime lorsqu’il s’allie à construire du possible, à créer plutôt que de détruire, j’aime quand il dénigre le mal, donne un coup de botte aux nuages qui l’empêchent de voir clair, j’aime son audace et son impétuosité à vouloir pousser les murs pour agrandir les espaces, j’aime plus que tout, rayer le malheur du programme de soin, j’aime lui apporter contradiction, opposition, résistance, et lutte contre la souffrance. Voilà ce que c’est que veux penser de l’amour et si l’amour se résume à ne plus pouvoir le faire , si l’amour se résume au pouvoir, au pouvoir dire, au pouvoir faire, c’est pas étonnant qu’on en arrive à se désespérer lorsqu’on perd le pouvoir de faire et de dire.

Il y a pourtant autre chose qui dépasse, qui déborde ce que peux faire l’humain de sa vie, il y a autre chose de plus infini que sa propre fin, C’est ce qui rayonne de lui, dans les liens qu’il a crée, dans la trace qu’il laisse chaque jour de lui-même, dans ce qui même dans la vulnérabilité la plus démunie, c’est ce qui subsiste de lui.
Cette femme qui chante et danse sur le pont d’Avignon, ce n’est pas rien. Peut-être que finalement, ce chant qui soutient leur lien, s’étouffe de ne pas être repris en cœur. On y souhaiterait l’aide des sept nains de blanche neige qui viennent y entrainer les chants ! On y souhaiterait la cohésion d’une famille et la chaleur d’un ensemble repris en échos.
Il nous va droit au cœur ce pont d’Avignon, où on y danse encore …

Lorsqu’on attrape l’oiseau de la liberté, c’est pour le soigner, pour qu’il puisse s’envoler, pas pour l’étouffer et s’approprier sa vie. C’est peut-être alors sauver la beauté des choses et des êtres qu’il nous revient de préférer, au delà de l’image qu’ils laissent voir, c’est peut-être au plus profond de nous même penser qu’il y a dans la profondeur de la nuit et du désespoir un infime espoir, une étoile dont la lumière est juste voilée , juste cachée , mais qu’elle est là en chacun de nous.
Que cet amour, enfant de liberté s’envole de lui-même, sans qu’on ait à le pousser … sans le contraindre à s’en aller…
Peut-être que nous ne savons plus entendre la voix humaine, jusqu’au cri comme le chant humain d’une présence humaine, peut-être même que nous ne savons plus gouter la paix qu’il y dans l’apaisement de la souffrance d’une personne en fin de vie qui dort, peut-être que nous ne savons plus comment s’apaiser.
Pourtant, souvenez-vous, Assurément nous connaissons cette lueur de joie qui éclaire un regard dans la personne qui aime, c’est peut-être cela que nous devrions chercher ensemble, cette lueur qui éclaire ce travail des soignants, celle qui éclaire le cœur des proches qui transforment souvent l’effort en plaisir, celle qui fait de nous des êtres capables de supporter les choses difficiles de la vie.

Penser la fin de vie, c’est penser le soin et le lien au monde

Il est déjà tard en fin de vie pour réagir, je n’ai pas dit trop tard; mais il serait souhaitable et préférable que les soins s’installent à domicile, quand tout va encore bien et que la rencontre est encore possible. Au caractère palliatifs des soins, il faut un accompagnement précoce dès les premiers stades de la maladie, dès le retour à domicile, sinon le souhait de retour à domicile des personnes en fin de vie tournera au cauchemar, et on sait combien la liberté se paye en sécurité à domicile.

L’urgence est de développer et permettre l’accès facilité à ces soins palliatifs, permettre qu’ils soient introduits au domicile des patients par un accompagnement des soins en amont et non plaqués en fin de vie les derniers jours de la vie;
Il ne s’agit pas non plus de devenir intrusif en transportant l’hôpital au lieu intime du domicile, on ne peut être qu’intrusif dans ces manières de faire.
La fin de vie à domicile est vécue comme une continuité de la vie, ne cassons pas cette continuité et cette « harmonie » si précieuse dans la poursuite des soins, utilisons les moyens humains existants et les professionnels du domicile qui connaissent parfaitement cette forme de proximité intime de la casa, travaillons avec les moyens techniques de l’hôpital, avec l’esprit et l’âme intérieure qui convient à cette phase ultime de la vie.

Si la fin de vie est unique, et intime, elle est pourtant tellement intimement collective, qu’on ne saurait supporter qu’elle devienne le synonyme d’un repli de notre humanité,
le débat sur la fin de vie je l’espère mettra à jour tous ces enjeux intimes et ultimes du soin et de l’amour qui l’accompagne, fera connaitre l’avancée que permet la loi Léonetti et permettra aux gens de mieux connaitre leurs droits , leurs droits à des soins de qualité, à ne pas souffrir et mourir isolés, leurs droits à des égards et à vivre leur maladie ou leur handicap, sans être toujours menacé , sans être toujours malmenés, sans être écoutés et entendus.
Je souhaite que ce grand débat de société soit l’occasion de redire à nos pouvoirs publics que lorsque la vulnérabilité gagne l’ensemble du corps soignant, il s’agit au moins d’en préserver les compétences acquises, et que le « soin » que peuvent apporter nos politiques et nos juristes est peut-être de reconnaitre à travers la présence du soin quel qu’il soit, le dernier rempart à la barbarie postmoderne qui divise au lieu de rassembler.
Je souhaite qu’on se préoccupe de ce « maintien à domicile », pour qu’il devienne et reste un choix à part entière, pour qu’il reste possible de mourir en toute intimité de la société ;
Je souhaite qu’il demeure une discrétion aimante, qui ne soit ni un secret, ni une outrance de l’exposition de la condition humaine du mourir.
Je souhaite que la délicatesse, la pudeur et l’intimité puisse être épargnées de bousculades de dernière minute, pour quelques bouffées printanières de dernières minutes , quand le manque a creusé son sillon dans une terre aride , sans que quelques jardiniers n’y voient la nécessité d’arroser et de nourrir nos fleurs de liberté.

La fin de vie un débat intimement citoyen

Si la fin de vie nous rassemble toujours autour des funérailles, j’oserai dire qu’il ne faut pas attendre « Quelques heures de printemps » dans la crise générale et dans l’urgence finale de l’apoptose sociétale, qu’il faut agir de manière urgente pour préparer ce retour à domicile, et je ne vois pas comment faire autrement qu’en nous croisant toujours sans nous parler, sans nous connaître, sans communiquer sur les métiers du soin, sans assurer nos patients les plus gravement atteints qu’ils ne seront pas livrés à eux mêmes, qu’ils sont au cœur de nos préoccupations, qu’ils sont au cœur de l’humanité de nos sociétés.

Je souhaite que ce grand débat humain tant attendu et tant souhaité sera l’occasion de mettre en valeur la grandeur de la personne humaine jusque dans ses derniers instants, une grandeur qui dépasse les rôles, les cartes professionnelles et les missions, qui déborde de partout.
Franchement, j’espère qu’on se rendra compte de cela, de cette loi non inscrite, qui n’est pas une loi de la nature de l’homme, mais une loi de la nature civilisée qui nous fait participer du monde qui nous entoure

 

Laisser un commentaire