Aux risques d’une loi : volonté de mourir, mort des volontés politiques ?

Nicole Pélicier

Psychiatre, membre du conseil exécutif du Collectif Plus digne la vie

retrouvez la version intégrale de ce texte, déjà publiée dans la rubrique opinion du site Plus digne la vie.

 

Depuis le 8 juin 2012, nous voici « saisis », au sens émotionnel, par le nouveau projet de loi socialiste visant à légaliser l’euthanasie.

Les modifications sémantiques prônant l’« assistance médicale pour mourir » ne changent rien à la radicalité de l’acte, curieusement accolé à « l’accès aux soins palliatifs » ! Cet accès est-il à relier à la recherche d’un lieu pour « le faire mourir »? On ne le saura pas.

Ce texte illustre dans sa forme même, la dictature du seul constat de ce qui serait une demande délibérée de mourir et de la mise en acte qui en découlerait.

Dans les différents articles, le projet du dispositif tend à nous montrer que sous couvert d’ « humanité », il ne s’agit que d’échanger des « informations » avec un patient représenté par sa « volonté éclairée » et en tant que volonté. Celle-ci étant établie, dans la situation de demande euthanasique, il ne s’agira donc que « d’instruire » et de « vérifier » une conformité à une procédure établie d’avance. Le patient se verra remettre un « rapport » par un collège de médecins…!

Où est la rigueur ? Où se pense l’humanité promise ?

Dans un délai maximum de huit jours, les membres du collège examinent la situation et, dans un même entretien, apportent toutes les informations sur les possibilités de soins palliatifs requis ! Est-on vraiment en situation de réalité ?

S’il y a conformité à ce que ce projet propose, l’acte « doit » être réalisé sous le contrôle du médecin! La sécheresse du texte reflète le peu d’ouverture de la démarche, on s’en doute !

Cette déconnexion contextuelle, qu’autoriserait pareille loi, est effrayante et irréaliste. Elle ignore, encore plus qu’elle ne nie, la part et la place du sujet dans son parcours existentiel, sa trajectoire de maladie et la résonance de souffrances refoulées. Or celles-ci participent de toutes les « situations » que le sujet affronte.

On retrouve ici comme dans d’autres textes en faveur de l’euthanasie, le maniement justificatif des « souffrances non apaisées » et jugées « insupportables », pour valider la démarche de mort anticipée et ce, même si les moyens de soulager existent.

La primauté d’une formulation volontariste du patient, portant son angoisse du « mourir mal » peut-elle être prise comme argument suffisant pour la mise en acte euthanasique ?

La demande de mort peut bien être rapportée à une « situation constatable », par une personne de confiance, des témoins, des médecins, mais avoir, en fait, d’autres causes et d’autres sens.

Cela sera-t-il explicité dans cette stupéfiante temporalité de huit jours, parfois moins si… cela est souhaité ?

La psychiatre que je suis, habituée à travailler dans le champ de la maladie grave, souhaiterait du temps donné pour « élaborer et expliciter » le contexte de la demande et la mise à disposition des patients, des proches et des équipes, de moyens diversifiés.

Mais il semble qu’il n’y ait rien, ni personne, avant le surgissement de la demande euthanasique : ni prévention, ni dépistage de la détresse à encourager, malgré tous les facteurs de risque connus et, on l’aura compris, plus beaucoup de temps après la demande !

Donc, c’est toujours trop tard, sans volonté politique de faire mieux que le seul « constat de détresse ».

L’article 6 prétend heureusement garantir le développement des soins palliatifs en une seule phrase qui signe le dédain avec lequel ils sont considérés !

 

L’acte le plus grave

A l’article 7, on lève un impôt mais c’est pour le fonctionnement des commissions de contrôle et la tenue des registres de demande…., toujours pas pour le développement des soins de suite et du palliatif !

C’est donc un texte lapidaire et elliptique qui aborde les conditions de mise en œuvre de l’acte le plus grave inscrit dans un projet de loi en France.

Entendre la demande d’euthanasie impliquerait donc d’y répondre désormais « positivement ». Ceci va à l’encontre de ce que nous faisons au quotidien, cliniciens, proches, dans la confrontation aux souffrances de nos patients.

La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie encadre ces situations en autorisant la limitation de traitements déraisonnables, disqualifie l’acharnement thérapeutique, intègre le respect du refus de soins du patient.

Nous voici donc, projetés sans clés de décryptage, convoqués par l’organisationnel et le juridique en lieu et place de la clinique et de sa lecture psychologique. Cette substitution, au détriment du sujet, nous éloigne du réel.

Il s’agit donc d’un grave recul car « l’avancée » n’est-elle pas dans les moyens donnés, soutenus, pérennisés pour entendre : aidez moi maintenant mais serai-je aidé plus tard aussi longtemps que je vivrai ?

Quelles propositions, de loi ou autres, faisons-nous pour intégrer et soulager la vulnérabilité et non la faire « disparaître »?

Un grand vieillard, que personne ne visite plus, au fond d’un si vaste couloir, où il geint encore… ! Nous sommes bien dans l’ « insupportable »  pour lui, les soignants et peut être les absents, mais n’y a-t-il pas là de « l’évitable » à penser ?

Misère humaine du délaissement quand la volonté de mourir vient répondre en écho à la mort des volontés politiques.

A quoi serons nous adossés, acculés, quand nos patients évoqueront leurs envies de mourir, leur envie de mort là où la langue française, nous invite à voir, précisément coexister, envie et mort, en…vie et mort ?

L’effraction consciente et inconsciente de cette transgression, dans ce cadre légal qui institue cette  libéralité du mourir, n’est que la  mort de la volonté politique d’agir et d’aider autrement.

Elle sonnera comme un signal : l’impossible et l’impensable jusque là…, l’atteinte à la vie n’avaient aucun sens et ne devaient que « changer demain ! ».

 

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