Légaliser l’euthanasie : il y a urgence à en débattre publiquement

Emmanuel Hirsch

Président du Collectif Plus digne la vie

 

« Dix ans après la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, l’expérience atteste qu’une société faisant droit à l’euthanasie brise les liens de solidarité, de confiance et d’authentique compassion qui fondent le « vivre ensemble », et en définitive se détruit elle-même. » Le réquisitoire est implacable. Dans ce constat rendu public le 13 juin 2012 à la suite d’une analyse détaillée des conséquences de la loi belge relative à l’euthanasie du 28 mai 2002, les signataires de ce manifeste affirment : « L’autorisation légale de l’euthanasie a quant à elle un impact sur le tissu social et sur notre conception sociétale de la médecine. Elle transgresse un interdit fondateur et affecte en cela même les bases de notre démocratie, en délimitant une classe de citoyens à qui on peut donner la mort avec l’aval de la société. Dès lors qu’elle revêt une indéniable dimension sociopolitique, l’euthanasie peut être légitimement récusée au nom d’intérêts publics supérieurs : la sauvegarde des fondements de la démocratie et la protection de la spécificité de la médecine, connue depuis toujours comme l’« art de guérir », et non comme l’art de faire mourir. »

 

Une stratégie en place

Quelques jours plus tôt, en France, le 8 juin 2012 un sénateur présentait une proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir et aux soins palliatifs : « Toute personne, majeure non protégée, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit l’origine, lui causant des souffrances physiques ou psychiques qui ne peuvent être apaisées ou qu’elle juge insupportables, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicale pour mourir. »

L’impatience et l’urgence sociale sont telles en ce domaine qu’il convenait en pleine période électorale de proposer une nouvelle version de la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir du 31 janvier 2012 : « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. »

Entretemps, s’était imposée dans la campagne des présidentielles la proposition 21 du programme de François Hollande visant à ce « que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

 

Il paraît donc évident que la stratégie est en place, le mouvement est pris : dans les mois qui viennent, sous une forme ou une autre, l’évolution législative annoncée interviendra. À aucun moment n’est évoquée la concertation nécessaire, en dépit de ce qu’avait pourtant institué la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011 : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. »

Comme si les responsables politiques craignaient à ce propos le débat public alors qu’il nous est rappelé depuis des semaines que la « République irréprochable » tenait pour beaucoup de la qualité d’une délibération participative, de la prise en compte de la diversité des points de vue.

 

Démédicalisation de l’approche et débat public

La position adoptée dans un tel contexte au sein du Collectif Plus digne la vie procède d’éléments d’appréciation qui nous ont incité à rejoindre le Groupe national de concertation sur la fin de vie qui a sollicité le Gouvernement le 29 mai 2012 afin que soit organisé un débat public avant toute évolution législative.

Notre analyse :

  • il ne convient pas d’adopter des postures réfractaires à une nouvelle approche des aspects discutés dans la loi du 22 avril 2005, ne serait-ce que pour des raisons d’approfondissements, de clarification et de pédagogie (et peut-être d’adaptation : cela n’attestant en rien d’une adhésion aux différents projets d’évolution de la loi) ;
  • les instances ou autres autorités compétentes dans le champ des pratiques médicales ou de l’éthique semblent s’être désinvesties de tout engagement explicite au regard du débat relatif à l’euthanasie ; le corps médical n’apparaît pas homogène (voire compétent) dans un domaine fortement idéologisé, de telle sorte qu’on ne saurait affirmer qu’il s’opposerait à une évolution législative, y compris contraire à la tradition déontologique de la médecine d’inspiration hippocratique ; il paraît évident que certaines situations extrêmes éprouvées par la personne malade, l’incitent (en dépit d’un soutien effectif dans le cadre des soins palliatifs) à revendiquer de manière récurrente une euthanasie ;
  • la perception péjorative des soins palliatifs (trop souvent encore assimilés aux représentations du mouroir) au regard d’une vision sociale plutôt positive (digne et respectueuse) de l’euthanasie, interroge 30 années d’implantation institutionnelle et de communications des soins palliatifs ;
  • d’un point de vue pratique, il convient d’anticiper l’impact d’une loi, notamment du point de vue des évolutions déontologiques et des pratiques professionnelles. Dès à présent l’interrogation est forte au sein de services dont les équipes se demandent comment pourraient être gérées des dissensions entre « pour » et « contre » ;
  • il semble nécessaire de démédicaliser notre approche du débat public. Elle ne saurait s’enfermer dans des positionnements dogmatiques « pour » ou alors « contre » l’euthanasie. De ce point de vue l’engagement associatif représentatif des solidarités citoyennes nous semble constituer une base de légitimité favorable à un discours plus recevable du point de vue de sa crédibilité immédiate. L’expertise professionnelle intervenant en seconde ligne pour amplifier un positionnement résolument démocratique, tenant compte notamment des situations de vulnérabilité accentuées par une approche légalisée puis bien vite banalisée de l’euthanasie
  • la démarche à envisager devrait donc prendre en compte la question de la fin de vie du point de vue de l’engagement auprès des personnes vulnérables du fait de la maladie et des handicaps, avec l’approfondissement de nouvelles donnes comme les maladies chroniques, les maladies neurologiques dégénératives dans un contexte favorable à l’autonomisation des personnes jusqu’à la reconnaissance du droit qu’elles peuvent revendiquer sur les conditions de leur mort assistée (y compris en amont de la phase terminale de l’existence)

 

Pour une concertation sur la fin de vie

Sur la base de ces observations, nous en appelons à une réflexion démocratique à l’initiative des pouvoirs publics, menée sous l’égide du Comité consultatif national d’éthique. Cette concertation permettra une sensibilisation de la société aux véritables enjeux dans leur complexité, sans se limiter à un positionnement relatif à la légalisation de l’euthanasie. Les points de vue pourront être discutés dans le cadre de débats organisés selon une méthodologie qui en garantisse la pertinence et la rigueur. Ces échanges permettront certainement de faire émerger des propositions en termes de solidarités de proximité à témoigner au sein de la cité aux personnes confrontées aux dilemmes de la fin de vie. Ils renforceront une meilleure compréhension des pratiques et des logiques médicales face à la maladie grave et à la fin de vie. De telle sorte que les responsables politiques bénéficient de cette dynamique d’une pédagogie de la responsabilité partagée pour prendre les décisions qu’ils envisagent dans un contexte social confiant, conscient,  pleinement informé.

Que l’on tente de dissimuler le mot euthanasie sous cette dénomination équivoque et quelque peu trompeuse  d’« assistance médicale pour mourir » est révélateur de nombre d’ambiguïtés, d’incertitudes, d’approximations et de doutes qu’il convient de ne pas renoncer à approfondir au motif qu’il y a urgence à tenir ce type d’engagement électoral. Je suis pour ma part convaincu que l’opinion publique est plus attentive à d’autres engagements politiques plus déterminants au plan des intérêts vitaux de la nation, et prête à l’effort de patience que peut requérir cette exigence de concertation nationale, ne serait-ce que par qu’il y va des valeurs de la démocratie. C’est ce dont témoignent dans leur manifeste des professionnels belges.

Quelques jours avant que ne soit rendue publique la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe déclarait : « L’euthanasie, au sens de tuer intentionnellement, par action ou par omission, une personne dépendante, dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite » (Résolution 1859 (2012) du 25 janvier 2012). Il convient aussi de savoir de quelle côté la France souhaite tenir sa place du point de vue des grands principes affirmés au plan des résolutions internationales : à ce jour aucune d’entre elles ne s’est prononcée en faveur de la légalisation de l’euthanasie.

 

2 comments to Légaliser l’euthanasie : il y a urgence à en débattre publiquement

  • Les pressions pour la légalisation de l’euthanasie sous l’appellation  » aide médicale à mourir » sont fortes mondialement, et ceci au Québec inclusivement. Les stratégies du lobby pro-euthanasie sont similaires partout, du copier/ coller.
    Au Québec:
    Suivi du dépôt du rapport de la commission spéciale sur mourir dans la dignité.
    La commission spéciale sur mourir dans la dignité, mise sur pied par l’Assemblée Nationale du Québec, a déposé son rapport et ses recommandations le 22 mars 2012. Consultez:

    • Résumé du rapport de la commission et les 24 recommandations

    • Ce que vous devriez savoir sur les résultats de la consultation que les membres de la commission mourir dans la dignité n’ont pas osé rendre public dans leur rapport.

    • Réaction de Vivre dans la Dignité suite au dépôt du rapport
    Rapport CSQMD une trahison de la démocratie

    • Le rapport de la commission ne reflète pas les témoignages entendus durant les 29 jours d’audiences publiques. Lire les réactions de Dr Serge Daneault, Dr André Bourque, Me Silvia Ugolini, Coalition des médecins pour la justice sociale, Société canadienne des médecins pour les soins palliatifs et autres textes http://www.vivredignite.blogspot.ca/p/tout-sur-la-commission-mourir-dans-la.html

  • VIGNERAS

    Bonjour,

    merci pour vos articles nous informant sur les discussins actuelles alarmantes. Un débat publique me semble aussi indispensable, comme une meilleure connaissance par le public des soins palliatifs. Les professionnels des soins palliatifs doivent communiquer sur ces soins.
    Par ce changement de mot (par peur d’utiliser le mot d’euthanasie!), je ne suis pas sûr que le grand public saisisse l’enjeux de cette loi et ses dangers…
    L’avenir est sombre…
    A nous professionnels des soins palliatifs de communiquer +++
    Un grand merci pour votre action
    Cordialement
    Dr Blandine Vignéras CH St Yrieix la Perche 87500

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