Toujours plus responsables de ce bien si précieux qu’est notre démocratie

Emmanuel Hirsch

Président du Collectif Plus digne la vie

 

 

Nos valeurs ont été sollicitées ces derniers mois, parfois jusqu’à en opacifier les significations et donner le sentiment de leur épuisement. Les controverses ont été vives, là même où il aurait été indispensable de rappeler avec plus de vigueur ce qui anime la vie démocratique et nous rassemble autour de principes intangibles. Devrait-on pour autant se résoudre à ce sentiment de rendez-vous manqué ou considérer, au contraire, que les attentes déçues sollicitent le profond désir de reformuler ensemble les conditions du vivre ensemble ?

En fait, le temps des joutes électorales est propice aux clarifications salutaires, à la mise en évidence d’enjeux trop habituellement évincés des préoccupations immédiates. S’y révèlent également, en creux, des thèmes considérés hors champ, ou d’un intérêt moindre dans les stratégies politiques conjoncturelles. Ces urgences que l’on n’ose pas même évoquer tant elles déjouent les résolutions et dénoncent une certaine impuissance à enchanter le réel, ou du moins à en déterminer la trajectoire. Il convient désormais de leur restituer une signification au cœur de l’action publique, de les réinvestir afin d’en assumer l’exigence dans les choix qui s’imposent à nous.

 

Une certaine idée de la responsabilité en acte

Il me semblerait dès lors opportun d’adosser les arbitrages et les décisions publiques à l’expertise de cette part de notre société, anonyme et trop souvent déconsidérée, engagée au quotidien dans un militantisme démocratique inspiré par les valeurs de la République. En dépit des controverses et des disputations de circonstance où s’enlisent les idéologies, nombre de personnes parmi nous sont en effet rassemblées autour d’une certaine idée des devoirs d’humanité et de la responsabilité en acte.

Au-delà de ce dont témoignent, au cœur de l’action, les professionnels et les militants associatifs ainsi impliqués là où l’essentiel est en cause, il est une manière d’assumer l’engagement politique qui gagnerait à être davantage reconnue et valorisée dans son éminente fonction. Là même ou l’État est pris en défaut dans l’approximation de ses analyses et l’insuffisance de ses propositions, certains n’abdiquent pas et défendent avec conviction des positions qu’ils valident et légitiment à l’épreuve des faits. Leur intelligence du réel renforce une faculté de compréhension de l’immédiat et une inventivité indispensables aux évolutions nécessaires. À cet égard, je retiens les interpellations adressées ces derniers mois aux politiques à propos des multiples expressions de la vulnérabilité qui gangrènent notre cohésion sociale.

Comment attester d’une attention véritable, autre que compassionnelle et ramenée à la politique des expédients, à l’égard des réalités humaines et sociales de la marginalité et de l’exclusion ? Ces situations déportent aux limites de l’acceptable ceux dont est niée la parole et méprisée l’existence, au point de générer des sentiment de peurs et de menaces diffuses qui renforcent les discours discriminatoires et accentuent les insécurités.

Comment exprimer une considération effective et demeurer hospitalier à l’égard des personnes affaiblies par la maladie, les dépendances, les différentes formes de relégation éprouvées comme du mépris, voire une « mort sociale » ? Ces hostilités à la personne progressent à mesure que les logiques de l’efficience, de la performance et de la rentabilité expulsent les fragilités humaines et imposent leurs règles avec les conséquences d’un désastre.

Comment envisager l’indignation au-delà d’une posture intellectuelle ou d’une protestation inconsistante, comme l’appel à une mobilisation dans l’urgence des compétences et des talents au service d’un intérêt général qui n’a rien à faire de l’esprit partisan ? Résister à l’individualisme, au repliement sur soi ou à l’obnubilation de sauvegarder ses seuls intérêts, tient à la qualité d’une préoccupation morale qui doit être incarnée par ceux qui prétendent ériger leurs modèles.

 

Réhabiliter les légitimités, partager les intelligences

Force est d’admettre que de telles préoccupations n’ont que peu bénéficié ces derniers mois d’une réceptivité à la hauteur des enjeux, comme si, faute d’une plus forte prégnance, elles n’apparaissaient pas politiquement assez significatives. Ainsi, dans ce domaine comme dans tant d’autres, ce que la société civile porte de plus juste dans ses engagements au service du bien commun, ne bénéficie pas de l’audience que justifierait sa capacité à penser et à assumer concrètement ce que tant de responsables n’ont pas assez considéré jusqu’à présent comme prioritaire. De telle sorte que l’irrespect politique à l’égard de paroles et d’actes soucieux des valeurs de la démocratie, explique pour beaucoup la défiance qui affecte l’autorité publique.

Réhabiliter des légitimités indispensables à l’unité nationale dépend pour beaucoup de la qualité des liens à rétablir entre les instances publiques et tout ceux qui dans la proximité de l’action au quotidien maintiennent, parfois même à contre courant mais de manière crédible, les exigences de la solidarité et de la responsabilité. Leur témoigner davantage de considération, alors que l’exercice de leurs missions les soumet à tant d’injonctions contradictoires et de mises en cause qui les affectent si douloureusement, me semble relever d’un devoir politique. On pourrait même le comprendre de surcroît comme l’hommage rendu par la nation à ses plus fidèles serviteurs.

En ces temps d’arbitrages contraints, de décisions difficiles dans un contexte complexe, il convient de réhabiliter les légitimités, de partager les intelligences, de repenser les cohésions dans l’action publique, de renouveler les alliances, de renforcer la cohésion, enfin de reconnaître chacun dans la valeur et la signification de sa contribution au bien de tous.

Il ne s’agit pas tant de réconcilier une société faussement divisée, que de rendre les uns et les autres plus proches et plus responsables du bien si précieux qu’est notre démocratie, plus désireux que jamais de prendre part à notre destin national.

 

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