Utilisons le droit pour nous permettre de nous soigner ensemble.

Citoyens affirmés/sujets souffrants

 

Brigitte Savelli

Cadre supérieur socioéducatif, Hôpital San Salvadour, AP-HP

 

« C’est par le dessin du labyrinthe, langue du premier récit, que l’homme a commencé à se parler à lui-même, entendre des histoires fut sa première distraction, sa première évasion du quotidien… Tous les mythes furent des façons de se distraire, c’est-à-dire de ne pas penser à la mort ou la tenir à distance. »    Jacques Attali, Chemins de sagesse (1996)

 

 

Le polyhandicapé n’existe que par l’attention qu’on lui porte

San Salvadour est un lieu utopique qui domine un lac méditerranéen, mais un lieu bien réel de tradition hospitalière pour des patients polyhandicapés ou des personnes atteintes de maladies graves, cérébro lésés avec tous une extrême dépendance.

Le polyhandicapé n’existe que par l’attention qu’on lui porte. Il n’a de conscience que par ses sensations, il s’inscrit dans le présent et le temps. San Salvadour pratique donc une clinique très spécialisée qui lui permet de s’inscrire dans un réseau de soins, prendre le relai de services de réanimation ou d’établissements médico socio en difficulté.

L’évolution heureuse de notre droit a consacré les patients en citoyens représentants d’eux-mêmes et non pas d’une maladie à laquelle ils seraient aliénés. Ainsi, ils doivent donner un consentement éclairé, ils ont accès à leur dossier, ils peuvent se faire représenter, désigner une personne de confiance ; on doit prendre en considération leurs directives anticipées, qu’il faut toujours réinterroger, ils ont le droit de choisir une abstention de soins.

Tout ceci dans un souci de totale transparence, qu’on appelle la discussion du bénéfice risque.

Bien ! Mais qu’en est-il, quand le citoyen aux droits affirmés se divise en sujet souffrant dans une diversité infinie, échappant à tout protocole et aux textes. Les protocoles sont aujourd’hui les guides du fonctionnement institutionnel, on doit les respecter, c’est même le plus simple, à condition de ne pas y croire d’une façon absolue, car l’essentiel est bien souvent ailleurs. Notre éthique, notre compassion, voire notre responsabilité ou notre vocation nous amènent à accompagner plutôt que de ramener chaque patient au bercail administratif.

Qu’en est-il du droit du patient polyhandicapé ou du patient en état végétatif persistant qui n’ont aucun devoir, mais bien sur une multitude de droits ? Le droit n’est pas uniquement défini par les droits reconnus aux patients, mais par les devoirs des autres à leur égard.

Il y aurait une vraie perte de droit si le sort d’un sujet était d’être incarcéré dans la solitude de sa maladie, ce qui est, du reste, assez habituel et qui n’a pour conséquence que d’ajouter la terrible douleur morale à la douleur physique.

Syndrome de glissement et dépression. Le soin alors, ne lutte pas contre le désespoir, mais contre la souffrance. Quand la souffrance est trop grande, il est inutile de demander au patient d’élaborer une pensée. A San Salvadour, le patient très souvent n’est pas désespéré par son état, mais il souffre et il faut donc agir. Une maladie grave et chronique projette le patient, et souvent ses aidants, dans un labyrinthe inextricable puisque seule la progression de la maladie est pronostiquée.

Chaque sujet, et il nous faut en tenir compte, est à lui-même le centre du monde, impossible de faire différemment, la mégalomanie ne commence que si on ne reconnaît pas la même situation à l’autre, et qu’on utilise le droit ou la violence pour le lui contester. De fait, il n’y a pour un sujet donné que deux épisodes qui font vraiment événements : sa naissance et sa mort.

Les autres ne font que nous quitter, ce que nous vivons avec une réelle affliction mais ce qui est différent de notre finitude personnelle ; on ne s’affronte à celle-ci que quand une échéance nous est annoncée. Même sous une forme statistique (vous en avez pour 2, 3… 4 ans).

Il existe bien entendu dans la dépression et l’angoisse des moments où on peut se tromper, mais qui illustrent bien le temps, le temps où on a eu raison d’y croire.

 

Espérer est toujours une attente du futur

Le psychanalyste A. Green qui vient de nous quitter, écrivait : « Je ne crois pas à la vie après la mort, bien qu’il y ait de la mort dans la vie. »

Espérer est toujours une attente du futur, une conviction religieuse ou sociale : le Paradis ou  le Grand Soir. Etre dans le labyrinthe c’est accepter une part de désespoir, pour donner sa chance au moment présent, ce qui ne se confond pas avec le bonheur mais nous offre au moins un épisode de vie joyeux et heureux.

Le droit nous fait passer du « je » au « nous », pas forcément de l’individualisme au collectif dans une acceptation éthique. Non pas d’un égoïsme à l’altruisme.

L’hôpital est un lieu privilégié, où  peut s’exprimer la solidarité et la charité, mais le droit n’est ni l’une ni l’autre. Il nous faut passer de l’égoïsme d’un seul à l’égoïsme de tous. Si nous nous interrogeons sous l’angle de la relation soignant/soigné dans un rappel historique, le savoir était alors limité et uniquement le fruit du travail du soignant, la dépendance absolue du soigné au soignant dans une régression parentalisée était la règle. L’éthique était constituée par la seule conscience professionnelle.

Dans la configuration actuelle, où les connaissances explosent et sont partagées, non seulement en spécialités, mais de plus en plus en spécialistes, où l’efficacité  se confond avec l’équipement technique et où, au bout du compte, le sujet peut devenir le meilleur spécialiste de son cas, docteur Honoris causa de lui-même, il fallait que le droit reconnaisse son diplôme et rétablisse l’équilibre dans la relation soignant/soigné qui se trouvait de fait disproportionnée.

Mais dans une certaine mesure, la relation ainsi transformée est devenue celle qui lie les deux parties d’un contrat, dont l’une, le médecin, n’est pas loin d’avoir à présenter un devis avant la signature de l’accord.

Cette avancée indispensable, ce progrès attendu ne résolvent donc pas les anciens problèmes, ils les annulent. Nous voilà projetés dans un monde nouveau où les avancées des techniques se disputent à leurs coûts, où la « juridicisation » impose ses propres contraintes. La filière de soins impose des partenariats plus ou moins consentis et propulse le patient dans un labyrinthe sociétal et organisationnel.

Soit la situation suivante : « Un urgentiste discute à trois heures du matin avec un réanimateur pour savoir s’il peut prendre un malade qui en a besoin mais est à 100 km de là ou plus. »

Les choses ne sont pas simples où entrent en jeu la conscience des deux médecins, l’étendue de leur savoir, leur éthique et le droit du patient. La statistique permettra peut-être d’orienter la discussion, et d’améliorer l’organisation du dispositif, d’ « objectiver » les décisions. Il n’en reste pas moins que pour le patient lui-même, c’est un tout qui est en train de se jouer et non une lutte, au mieux un compromis entre les consciences, les textes, les chiffres et les savoirs.

Cette recherche d’équilibre entre la technique, le droit ou l’éthique est un labyrinthe dont on ne sort pas. Non pas une pacification, mais un combat, donc une violence faite aux trois protagonistes, les deux médecins et le patient. Il y a certes le citoyen concerné par ses droits, mais ce citoyen ne résume pas le sujet auquel nous devons assistance, et que nous prenons en charge. Le consentement  éclairé qui est l’objectif du contrat avec le patient n’est ni la vérité, ni une doctrine du salut.

 

Au-delà de ces décisions prises dans l’urgence, San Salvadour se situe avec la même intensité, mais  dans le temps plus étendu, nous dirions, un temps plus épais, plus « feuilletonesque » car chaque jour l’annonce du diagnostic est renouvelée, comme si un événement improbable (une guérison spontanée) était advenu, ou plus majoritairement à  99 %, l’oubli a joué sa fonction. Autrement dit, en termes plus techniques, déni et dénégation sont toujours présents.

La douleur du moment vécu est plus réelle que le discours dans lequel elle s’inscrit.

Ce qui reste encore possible au-delà des soins techniques, est un accompagnement créateur de moments heureux, de sorte à ne jamais laisser le sujet dans la solitude et l’isolement. La difficulté, quand on est dans cette extrême dépendance, est le risque encouru d’être un élément de l’ensemble, et de perdre sa condition de sujet.

Le désespoir est identifié au respirateur.

 

Une situation : Pierre est atteint de neurofibromatose, il a 20 ans, il est sourd, paraplégique, trachéo ventilé et ne peut communiquer que par une interface informatique ou par défilement de l’alphabet. Situation dans laquelle sont la plupart de nos patients lock-in-syndrom ou SLA.

Voici ce qu’il écrit :

 

Ma chambre

 

Quand je me réveille le matin

Je vois un mur blanc

Si je lève les yeux

Je vois un plafond de la même couleur

Tout ça est censé me mettre

De bonne humeur

Mais franchement c’est chiant

Et pas marrant

La nuit elle est éclairée par

Des appareils

Durant mes nombreuses insomnies

Les lumières me tiennent compagnie

Hélas pour moi leur couleurs

Me tiennent en éveil

Dans cette grande chambre froide et fade

J’ai décoré de mes pensées une façade

Ca illumine un peu mes journées

Et égaie mes idées.

 

 

La beauté de la vie se suffit-elle à elle-même ?

La complexité de la technique, l’investissement économique, la responsabilité juridique, bien loin de libérer le patient de la maladie tendent à l’amalgamer à elle.

Combien coûte cet ensemble? Quelles sont nos responsabilités ? Et au milieu de ces interrogations, le patient peut-il être oublié dans le labyrinthe ?

Dans ce labyrinthe, il ne va pas d’un point A à un point B ; il peut s’y paumer, et en tout état de cause, il va y passer de longs moments, et c’est là qu’il a rendez-vous avec le CATE.

Le Centre d’Activités Thérapeutiques et d’Éveil va, à travers des propositions, redonner au patient sa position de sujet là où le droit était en train de la louper. Le leitmotiv du CATE est : la vie n’est que du présent. Le droit nous a lancé dans des processus de certification, de qualité, indispensables pour s’inscrire dans un dispositif national.

Le risque est que si le droit du patient qui n’en est qu’une représentation l’emporte sur une compréhension singulière, le protocole de prise en charge sera inadapté aux besoins de ce patient.

 

Une nouvelle situation : Monsieur D atteint de SLA est dans une phase très évolutive de sa maladie. Il est à San Salvadour pour un séjour de répit, mais un état aigu du fait d’une décompensation va atteindre l’efficacité de sa respiration. Il est transporté d’urgence dans un service de réanimation. Il ne s’est pas clairement prononcé en termes de directives anticipées, et pour pallier sa décompensation, il est mis de façon provisoire sous ventilation assistée. Monsieur D est loin de sa famille, un épuisement des aidants est réel. La famille est prévenue, mais ne peut venir dans l’immédiat. Une éducatrice du centre thérapeutique et d’éveil qui avait établi une relation avec lui, se rend à son chevet plusieurs jours d’affilés.

Il est proposé à monsieur D un choix thérapeutique, une ventilation assistée qui peut prolonger sa vie, statistiquement de 3 années, mais dans un état de dépendance absolue. Peut-on sérieusement faire comme si cette proposition s’adressait à un sujet de droit, et non pas à notre semblable. (Problématique de l’absurde ou encore « L’étranger » de Camus).

 

Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’un drame exceptionnel car l’évolution chronique de la maladie fait que ce moment était attendu. Mais il survient dans un temps où les acteurs se sont épuisés : le patient, sa famille. A ce moment précis, les propositions qui vont lui être faites doivent se mesurer à l’aune de ce que chacun est en mesure de faire : la famille, l’hôpital, voire la société elle-même.

Le protocole prévoit tout et chaque acteur a une position définie par le droit mais, sur le terrain, il y a toujours un référent désigné pour entamer ce qui n’est plus une procédure. Dans ce cas présent, le CATE va fournir un médiateur ; pourquoi médiateur ? Car à ce moment là, l’éducatrice dont il est question ne se sent ni la représentante mandatée de l’hôpital, ni l’avocate du patient, pas plus que celle des aidants qui se sont éloignés, mais bien une négociatrice qui a la responsabilité de reconnaître la volonté du patient dans son droit à vivre, sans souffrir d’être une charge inacceptable pour les autres.

 

Au fil de ces jours, dans cette situation extrême, l’éducatrice pense l’action. Ses actes, sa présence vont venir en aide à monsieur D, il ne s’agissait pas pour elle de répéter un protocole établi, de produire un discours ou un entretien, mais bien de venir, s’asseoir, être là, masser, agir et dans ce contexte recueillir l’expression et le ressenti de monsieur D.

 

C’est dans l’accompagnement d’un projet de vie qu’on peut retrouver le sujet dans son intégrité et même communiquer là où on pense qu’une position comateuse ou déficiente l’interdit à tout jamais.

Le CATE est constitué d’artisans quasiment réunis en compagnons tant leur intervention se rapproche d’un  « art », technique et création. Leur boîte à outils est  très diversifiée et en fait des généralistes de la relation. Dimension double : les interventions du CATE sont cliniques, bien réelles et même si on leur reconnaît un caractère créatif, elles s’expriment en fonction d’un diagnostic psychologique, cognitif et social à un moment précis de la rencontre.

Cette rencontre avec le patient ne s’étaye pas sur le prima de la technique, mais sur un tout qui ne joue pas la maladie contre le malade, le droit du sujet contre son être désirant, qui ne force pas les aidants à des choix cornéliens : mourir avec ou abandonner, mais qui intervient pour ce qui est vivant et ne s’épuise pas.

Donner un moment heureux, accompagner dans un moment critique, sur un fil d’équilibriste, telle est la production et l’action des artisans du CATE ; ceci demande du travail, de la clinique, de la réflexion, de la supervision, 20% d’inspiration, 80% d’effort ; il s’agit d’un métier à l’hôpital. Donner un moment heureux, c’est justifier d’une clinique.

Le risque est que par son originalité, cette dimension interindividuelle puisse être rejetée par les protagonistes d’un contrat consumériste établi par le protocole hospitalier. Il faut donc à son tour que ce service soit reconnu comme interne au fonctionnement hospitalier, passant ainsi sous les Fourches Caudines de l’institution : PMSI – accréditation – dossier de soins et toutes les « protocolisations ».

Une personne sous respirateur ne peut descendre d’un seul étage en ascenseur, sans infirmière ! Rigueur du protocole… Abus du protocole ?

La beauté de la vie se suffit-elle à elle-même ? « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie » dit A.   Malraux. Quant au hasard de la vie, il ne se donne que quand celle-ci s’arrête. Mais rien n’empêche que peut se poser la question : « Qu’est ce qu’une vie qui vaut la peine d’être vécue ?».

Question essentielle, que se posent réanimateurs, urgentistes, compte tenu des séquelles possibles de la personne qu’ils sauvent et à laquelle la loi Léonetti  a répondu : dans l’urgence, faites ce qu’il faut, une situation séquellaire pourra s’apprécier ensuite.

Admettons le, il peut y avoir divergence, incompréhension quand il s’agit de faire la fête dans la cour des miracles, où les soignants dans le deuil de leur pouvoir de guérir se sont réfugiés dans la technique et/ ou le droit du patient devient une contrainte pour le sujet désirant. Les services de soins palliatifs connaissent bien la situation, ils autorisent une gourmandise déraisonnable, quitte à donner plus d’insuline à un sujet, reconnaissant là qu’il n’est pas raisonnable de lui imposer un régime.

 

Le droit peut servir de prétexte à des options subjectives et non rationnelles, comme dans une œuvre d’art où, à notre désarroi, nous pouvons apprécier quelque chose sans pouvoir le partager avec nos contemporains. Mais l’histoire nous apprend qu’il peut y avoir des avancées fondées sur l’éthique qui deviennent tellement évidentes qu’elles sont copiées sans qu’on reconnaisse l’original et qu’elles sont consacrées quand elles rentrent dans le droit.

 

Sans famille

Monsieur M., Africain, grand, élancé, athlétique avec une certaine préciosité, présente un état gravissime d’encéphalite ; sauvé mais désorienté, il se trouve hospitalisé plusieurs mois dans un service d’aigus qui ne trouve pas pour lui une filière de suite. On  ne sait rien de ce qu’il a été. 

Tout se mêle : problème social, absence de famille, d’aidants, pathologie qui interdit toute sortie qui attenterait  à ses droits étant donné son état.

Il est accueilli à San Salvadour pour un séjour temporaire de trois mois, qui permet un relai du service d’aigu, mais dont le responsable refuse de le reprendre, se fâchant tout rouge, exprimant que chacun doit  faire son travail : les aigus sont « pour » les soins curatifs et les chroniques « pour » les SSR. Monsieur M restera trois ans à San Salvadour.

Le travail social se continue en collaboration avec le service parisien, monsieur M. est placé sous tutelle ; il est ainsi  protégé, bénéficie d’un soutien économique auquel il a droit du fait de son état médical.

Monsieur M. présente des phases de distinction, d’adaptation au monde environnant, prétendant avoir fait des études supérieures de haut niveau (« Je suis ingénieur de grandes écoles ! », sans qu’on  puisse en savoir plus.

Plusieurs vignettes cliniques sont de même nature :

« - Peut-on avoir un entretien monsieur M ?

- Oui, répond-il, si la conversation est intéressante. »

Mais monsieur M a aussi des troubles du comportement. Il fugue. Interpelé par  les gendarmes, il leur dit : « J’habite à San Salvadour », rien de plus. Mais cela suffit pour qu’on puisse le raccompagner.

Durant de longues périodes, il refuse de sortir de son lit, de communiquer, allant même à mettre un drap sur sa tête. Puis se succèdent des situations plus expansive,  quasiment euphoriques, où il veut danser en se saisissant d’une aide soignante, qui le vit comme une agression.

Cette inadéquation amène un traitement et les complications de la sédation.

Monsieur M. a des réactions inappropriées et  part dans une palilalie culturelle, utilisant  par exemple comme un tapis de prière une simple serviette. Il se met en transes.

Tout est différent lorsque monsieur M peut se promener avec une éducatrice du CATE, qui s’est spécialisée dans les techniques de relaxation, et la relation de soutien, approches apaisantes qui permettent de dépasser les angoisses primitives des patients.

 Une relation de confiance est ainsi instaurée.

A la suite de troubles du comportement avec une partie d’agitation violente, monsieur M. est adressé à un service de psychiatrie, avec l’engagement absolu de le reprendre après un examen approfondi d’un mois.

Il  revient avec une très mauvaise expérience de ce séjour, en particulier à cause de la promiscuité, il dort sous son lit (rituel autiste bien connu) et manifeste un syndrome d’intolérance biologique aux antipsychotiques administrés. Phase régressive qu’il nous faut gérer avant qu’il retrouve son état antérieur.

Plusieurs tentatives vont alors être faites pour une orientation : maison de retraite, MAS, afin de trouver une meilleure réponse à son état.

Quelques entretiens, quelques rencontres sont prometteuses car monsieur M., accompagné par l’éducatrice, se présente avec une stabilité étonnante compte tenu de l’ensemble de son comportement.

Dans une grande salle où il y a un piano, est capable de jouer quelques notes, nous laissant supposer qu’il est plus que ce vagabond ayant fini un jour dans un service d’urgence parisien.

Enfin un établissement dans le Nord, tout à fait indiqué  pour son cas, accepte de l’accueillir.

Surprenant  trajet ! Nous traversons la France en car avec monsieur M.

Voici quelques-unes de ses réflexions durant le trajet :

 « Que ce paysage est beau, il est le résultat du travail des hommes.

¾ Et que font les femmes pendant ce temps ? lui demande l’éducatrice. »  

Surpris par cette question, il répond : « Je parle du travail de l’homme au sens général. »

Le soir dans la chambre de l’hôtel devant un écran plat, monsieur M. se passionne pour la retransmission d’un match : « Quelle qualité d’images !» A la fin du match, il nous déclare : « Merci pour ce match, maintenant je rentre.»

Sur une aire d’autoroute où nous avions fait une halte, nous voyant nous diriger pour reprendre le car, il vient en courant de peur d’être oublié.

Enfin, avant d’arriver à destination, l’éducatrice assise à côté de lui, lui demande ce qu’il retient de San Salvadour. Sa réponse : « Le paysage et les promenades dans le parc. » Elle poursuit : « Cela n’a pas toujours été pourtant  facile pour toi. » Lui : « C’était sans doute utile. »

A son arrivée, il est rapidement intégré.

Entre temps, une ultime tentative pour reconstituer l’histoire de monsieur M. est faite auprès du consulat de son pays. On apprend alors qu’il était vraiment ingénieur issu et qu’il a fréquenté la même école qu’un haut fonctionnaire du consulat. Sa famille est une famille très connue qui le recherche. Si elle ne s’était pas empressée de le faire auparavant, c’était parce que monsieur M. est connu pour une certaine indépendance et que récemment une  brouille avait secoué cette famille, dispersée de l’Afrique à l’Europe et au Canada.

Une famille qui, cependant, reste très unie, qui appelle Monsieur M., dans sa nouvelle institution, deux fois par jour et lui rend des  visites mensuelles.

Histoire universelle de la dispersion qui rend possible un tour du monde dans un temps record, mais où on peut tout autant être en quelques minutes, perdu, coupé de tous. Monsieur M. : sorte de Chabert égaré dans le labyrinthe institutionnel mais qui, d’une certaine façon, à la fin, s’en sort.

Histoire exceptionnelle, qui donc se termine bien : monsieur M. a été protégé par le droit, a évité l’aliénation asilaire grâce à la lutte menée avec conviction par les équipes hospitalières.

Notre modernité de droit a ses racines génétiques dans nos interrogations, et les évolutions de notre société, au-delà de nos égoïsmes, et pourquoi pas dans un labyrinthe ne trouverait-on pas comme Fil d’Ariane un Code Civil.

Quand il reçut son prix Nobel, au moment où se déclare la guerre en Algérie, interpellé par un journaliste qui voulait appuyer sa démonstration sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans un moment où des bombes explosaient dans des lieux publics, Camus, sachant que sa mère arpentait ces mêmes rues algéroises, répondit cette phrase qui allait marquer des générations : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. ». Il voulait demander, nous le savons bien : sommes-nous assez civilisés pour négocier notre amour commun d’un vivre ensemble plutôt que d’une séparation violente ?

Utilisons le droit pour nous permettre de nous soigner ensemble.

 

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