Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale n° 312 relative à l’assistance médicalisée pour mourir

Argumentaire sur la proposition de loi sénatoriale  n° 312 de M. Jean-Pierre Godefroy enregistrée à la Présidence du Sénat le 31 janvier 2012, prolongeant la proposition n° 21 du candidat François Hollande

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Groupe Éthique, droit et santé, Collectif Plus digne la vie [1]

Cette proposition de loi évite tout comme la proposition 21 d’employer le terme d’euthanasie mais l’institue dans les faits. Pourquoi le mot est-il tabou chez ceux qui le défendent? Parce cette notion d’euthanasie est contestable d’un point de vue sociétal, médical et juridique. Parce qu’elle s’inspire de la législation belgo-hollandaise, qui connaît des dérives évidentes. Parce qu’elle apporte des réponses à des questions auxquelles il peut être répondu bien différemment.

 

 

Les arguments sociétaux

 

L’invocation de la liberté

Pour défendre le droit « à une assistance médicale pour mourir » proclamé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi , ses promoteurs font valoir qu’il s’agit d’une liberté, d’une responsabilité assumée non pas par les médecins mais assumée collectivement.

 

Une demande de mourir n’est cependant jamais formulée dans les termes idéaux d’une volonté qui ne serait contrainte par rien d’extérieur à elle. Elle se révèle être au contraire, dans cette situation, la volonté la plus contrainte qui soit. Comme l’a souligné Axel Kahn, professeur de médecine et candidat socialiste aux élections législatives de 2012 dans les VI et VIIèmes arrondissements de Paris, devant la mission de l’Assemblée nationale chargée d’évaluer la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti : « La demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable, et qui estime qu’elle n’a d’autre choix que de l’interrompre. C’est tout à fait le contraire d’une liberté. »

 

La liberté est toujours, dans une certaine mesure, celle de pouvoir changer d’avis, alors qu’à l’inverse l’euthanasie est un acte irréversible. Les données de mortalité par suicide le confirment: évalué à 45 %, le taux de récidive est la reconnaissance du fait que 55 % des personnes ayant fait une tentative de suicide ont, sous l’effet de nouvelles circonstances, préféré définitivement la vie plutôt que la mort. La volonté de la personne ne saurait être enfermée dans un système intangible. L’homme est ambivalent et en fin de vie sa volonté fluctue, oscille en permanence entre le désir d’en finir et le souhait de continuer à vivre.

 

• L’argument principal en faveur de l’euthanasie est que le malade est libre de déterminer ce qu’il souhaite pour sa fin de vie, y compris un acte euthanasique. Cette argumentation est mise à mal parce que l’euthanasie requiert un tiers qui va être impliqué pour mettre en œuvre ce droit, cette autonomie. Quelle est alors la validité d’une autonomie qui postule l’intermédiation d’un autre? L’idée d’une autonomie pleine et entière du malade ne relève-t-elle donc pas du fantasme ?

 

• Enfin, est-ce vraiment le problème quand on sait qu’aux Pays-Bas, les euthanasies sont pratiquées dans 85 % des cas chez des patients cancéreux en phase terminale, dont l’acte euthanasique réduit la durée de vie de moins d’une semaine ? Faut-il ouvrir un droit à la mort pour des patients condamnés à mourir dans un horizon d’une semaine, alors que les soins palliatifs pourraient répondre à de telles situations?

 

Un droit à mourir conçu comme un droit-créance vis-à-vis de la société

• En étant formulé comme un droit-créance, le droit à mourir fait peser sur tous le devoir de rendre effectifs les moyens nécessaires à sa réalisation. Ce droit engagerait la société, puisque le suicide ne serait alors plus une affaire privée mais une affaire qui appelle des règles garantissant des droits voire la délivrance par la puissance publique de prestations. Le droit à mourir ferait partie de ces dettes que chacun contracte avec chaque tiers aux termes du contrat social. Assimiler demain le droit à mourir à un droit-créance reviendrait comme l’a relevé Robert Badinter devant la mission d’information de l’Assemblée nationale précitée, à « concevoir, accepter, un service d’assistance au public, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour ceux qui auraient pris la décision de se suicider. À ce stade, ma réaction première n’y serait pas favorable. J’aurais trop la crainte d’une forme d’incitation, je n’ose pas dire de provocation, au suicide. L’être humain est fragile. L’angoisse de mort est présente. Par moments, chez chacun, elle connaît une très forte intensité. Chez certains, face à une épreuve, il y a une tentation de mort qui est inhérente à la condition humaine. L’existence d’un service prêt à vous accueillir pour répondre à cette tentation me paraît présenter un risque d’incitation au suicide. »

Que le contrat social contienne cette clause d’entraide ne serait pas sans paradoxe, la fin du contrat social étant pour Jean-Jacques Rousseau la « conservation des contractants ».

 

La Cour européenne des droits de l’homme s’est interrogée sur la cohérence qu’il y a à déduire un droit au suicide assisté du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a jugé que « l’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir » (arrêt Diane Pretty du 19 avril 2002). Il n’y a donc pas un droit de choisir la mort.

 

Un droit qui fragilise les plus faibles

Quel regard portera alors la société sur les plus faibles, le handicap,  si l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés ? Comment peut-on dans le même temps appeler à la solidarité de la société en faveur des plus fragiles, leur reconnaitre des droits opposables, inventer de nouveaux systèmes de prise en charge en faveur de la dépendance et consacrer un droit au suicide assisté  et à l’euthanasie? N’est-ce pas implicitement fragiliser les plus vulnérables et fragiliser la détermination de l’entourage, en pesant sur celui-ci ? Dans un arrêt Haas du 20 juin 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le droit à la vie oblige à mettre en place une procédure destinée à assurer qu’une décision de mettre fin à sa vie correspond bien à la volonté de l’intéressé.

 

Les personnes les plus faibles et celles ne pouvant subvenir seules à leurs besoins matériels, alors même que leur dépendance a vocation à s’accroître avec le temps, risquent d’être le plus exposées à l’euthanasie et au suicide assisté si une telle législation voit le jour. Par là même, la légalisation du suicide assisté, récusant toute solidarité au nom de l’autonomie de l’individu, favorise l’injustice et est une régression sociale. Cette dimension d’injustice n’est jamais évoquée par les tenants de l’euthanasie et du suicide assisté. Les plus faibles et les plus pauvres seront les victimes les plus exposées à l’euthanasie.

La population canadienne a bien compris ce risque. Elle se déclare très massivement favorable aux soins palliatifs car elle craint que les plus pauvres et les plus dépendants ne subissent par effet de glissement des euthanasies non déclarées.

 

Les arguments médicaux

La légalisation va générer une perte des repères sur la fonction de la médecine

S’engager dans cette voie serait générer une confusion énorme sur le rôle des médecins dans la société et sur la relation médecin-malade. Les médecins ont été formés pour soigner, non pour tuer ou aider à tuer. Comment concilier l’aide au suicide avec le serment d’Hippocrate, qui fait obligation aux médecins de « protéger (les personnes) si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » et « de ne pas provoquer délibérément la mort » ? Devra-t-on abroger l’article R. 4127-38 du code de la santé publique, qui fixe les limites infranchissables de la déontologie médicale ? « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

 

La légalisation va à l’encontre de la démarche des soins palliatifs

La proposition de loi entretient l’illusion qu’un acte euthanasique pourrait venir en complément d’une approche palliative et enrichir l’approche humaniste de la fin de vie. Ainsi, l’article premier de la proposition de loi de M. Godefroy intègre le droit à mourir dans l’article du code de la santé publique consacrant l’accès aux soins palliatifs. L’article 2 de la proposition de loi charge le collège médical d’informer le patient des possibilités offertes par les soins palliatifs. Si les partisans de l’euthanasie prétendent inscrire leur action dans les pas des soins palliatifs, on n’a jamais entendu les praticiens des soins palliatifs se réclamer de valeurs communes avec les partisans de l’euthanasie. Un tel rapprochement n’a aucun fondement. L’euthanasie n’est pas le prolongement des soins palliatifs. L’acte euthanasique est en effet en contradiction avec la démarche des soins palliatifs sur plusieurs points :

 

La demande des patients 

La souffrance des patients ne s’identifie pas à l’expression d’une demande de mort. Tous les praticiens au contact de la réalité médicale savent que les patients concernés demandent à ne pas avoir mal, ont peur de souffrir, d’être abandonnées, luttent avec eux-mêmes, partagés entre le refus et l’acceptation de l’inéluctable. Ils sont en quête d’apaisement, de consolation, de lien, ils ont besoin de calme mais aussi de vie, de temps, de douceur et d’attention. La majorité des euthanasies liées à des douleurs physiques insupportables démontre plutôt de mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur car les souffrances vraiment réfractaires sont très exceptionnelles. En Belgique, l’euthanasie concerne à 83 % des patients atteints de cancer au stade terminal. 23 % des patients décèdent avant même que l’euthanasie ait pu être pratiquée. Aux Pays-Bas, on estime que dans 90 % des cas, la pratique de l’euthanasie a raccourci la durée de vie de moins d’une semaine.

 

La réponse médicale

Les soins palliatifs s’identifient à l’accompagnement des patients et ne relèvent pas d’une décision catégorique et systématique. La solution consistant à donner la mort au patient est envisagée comme un choix d’action possible de même rang que les autres et aurait pour effet d’éroder la pertinence des autres choix envisageables. Pourquoi en effet chercher des voies complexes quand un chemin direct, rapide s’ouvre devant soi ?

L’acte euthanasique ne requiert aucune compétence médicale particulière et est en contradiction avec les obligations déontologiques des médecins, soigner n’étant pas donner la mort. Lors de l’élaboration de la législation luxembourgeoise « sur le droit de mourir en dignité », le Conseil d’État luxembourgeois a fait remarquer dans son avis que « les études en médecine ne prévoient pas l’apprentissage de connaissances visant à éliminer des êtres humains. Ceux qui font mourir, à quelque dessein que ce soit, ne sont pas à recruter dans la profession de ceux qui sont à former pour guérir et pour soigner ». Cet argument n’a pas ébranlé les promoteurs de la proposition de loi, puisqu’ils proposent d’instituer une formation médicale à l’euthanasie (article 6 de la proposition de loi). Ainsi les médecins seront astreints à suivre en même temps une formation au geste létal et au soin ! Les voies de la désorganisation de notre système de soins et de la division sont ouvertes.

 

Les arguments juridiques : des règles imprécises et peu cohérentes avec notre droit

Comment peut-on faire cohabiter cette législation avec la loi du 22 avril 2005, qui a une philosophie très différente, et avec notre droit pénal ? Faudra-t-il abroger la loi de 2005 qui se fonde sur les soins palliatifs ?

 

Les critères de l’état du malade sont flous

 

On peut penser que ce droit à l’euthanasie et au suicide assisté est contraire à la protection de la santé, principe de valeur constitutionnelle reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis une décision du 22 juillet 1980 (80-117 DC).

 

Qu’est-ce qu’une souffrance physique ou psychique ne pouvant être apaisée ou [que la personne] juge insupportable (article 1er de la proposition de loi de M .Godefroy) ? On rappellera que selon une étude de l’université de Zürich, 30 % des suicides assistés en Suisse sont des dépressifs. Ce chiffre est de 26 % en Belgique.

Qui va apprécier l’état de souffrance du malade: le médecin traitant ? Le malade ? L’entourage ? Que se passera-t-il si l’entourage n’est pas unanime ?

Comment devra-t-on traiter les patients placés en curatelle ou sous tutelle ? Le placement en tutelle ou curatelle a–t-il pour effet de rendre caduques les directives anticipées et la désignation de la ou des personnes de confiance ?

 

Comment le principe selon lequel la personne malade peut à tout moment révoquer sa demande peut s’appliquer chez les personnes dans l’incapacité de communiquer jusqu’au dernier moment de façon libre et éclairée ? La directive anticipée donnée 3 ans auparavant valant décision irrévocable et définitive, est–elle compatible avec une telle situation ?

Comment ces décès pourront-ils être assimilés à des morts naturelles au regard des contrats d’assurance vie et de la sanction pénale de l’abus de faiblesse ?

Devra-t-on inclure demain les mineurs ?

 

Une procédure instituée au nom des droits des patients, qui donne en réalité tout pouvoir aux médecins

Le médecin saisi par le médecin traitant peut être tout autre membre du corps médical (article 2 de la proposition de loi de M. Godefroy). Est-ce à dire que ce second médecin ne connaîtra pas le patient ? Comment sera-t-il saisi: par téléphone ? Par écrit ? Comment pourra t-on s’assurer qu’il ne pratique pas l’euthanasie ?

 

Comment fonctionnera la clause de conscience ? Si le médecin traitant ne trouve aucun médecin pour s’acquitter de l’aide active à mourir, la collectivité devra–t-elle mettre en place une structure permanente ayant comme fonction le suicide assisté, en réquisitionnant des médecins ? Des sanctions seront-elles opposables aux médecins refusant de donner un avis? Que reste–t-il du principe constitutionnel de la liberté individuelle lorsque le médecin est obligé de se renier en renvoyant à un médecin qui ne partage pas ses convictions ?

 

Dans son arrêt Haas du 20 janvier 2011 la Cour européenne des droits de l’homme a fait valoir qu’on ne saurait sous estimer les risques d’abus inhérents à un système facilitant l’accès au suicide assisté.

 

Une qualification légale de l’aide à mourir qui pose problème au regard des incriminations existantes du droit pénal

L’acte d’aide à mourir n’est jamais défini précisément. Or ne pas définir précisément dans la loi un acte entraînant la mort est inconstitutionnel.

 

La désignation du responsable de cet acte n’est pas non plus précisée au troisième alinéa de l’article 2. Le flou règne alors même que cette détermination de l’auteur de l’acte est essentielle au regard du droit pénal et de la détermination des éléments constitutifs de l’infraction. Dans un texte fondé exclusivement sur une procédure soumise à un contrôle a posteriori, il convient de définir au préalable cet acte et le partage de responsabilité entre la personne et le médecin. Est-ce le médecin, est-ce l’infirmière, qui effectue le geste létal?

 

Comment au demeurant cette aide à mourir s’articulera-t-elle avec les sanctions pénales de non assistance à personne en danger, de provocation au suicide et d’abus de faiblesse ? Aujourd’hui le délit de provocation sanctionne la conduite d’un tiers qui affecte l’autonomie de la personne visée, en transformant par son action, ses pressions, son influence, une personne libre en victime. Où se situera demain la frontière entre la provocation au suicide et l’aide au suicide, que le patient demandeur puisse ou non agir par lui-même?

 

Un contrôle a posteriori qui n’en n’est pas un

Un contrôle a posteriori purement formel, sans recours réel. Le médecin qui a apporté son concours à l’aide à mourir fait un rapport à une commission régionale qui est juge de l’opportunité de transférer le dossier à une commission nationale, seule chargée d’apprécier la justification d’une saisine du parquet. Or s’agissant d’un organe qui doit se prononcer sur le respect de règles au regard de l’état des personnes et peut être amené à transmettre le dossier au parquet en cas de méconnaissance des règles légales, ses règles de composition et de fonctionnement n’ont pas à être définies par le règlement mais par la loi. Ces commissions en effet mettent en cause des principes qui de par l’article 34 de la Constitution ont valeur législative.

 

Comment seront composées ces commissions ? Quelle sera leur légitimité ? Juger d’une décision qui prive de la vie l’individu ne ressort-il pas fondamentalement de la compétence du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle au regard de la Constitution et non d’une commission ?
 

Une présentation très contestable des législations belge et hollandaise

Dans la mesure où la proposition de loi de M. Godefroy s’inspire très largement de ces législations, l’exposé des motifs fait valoir que « les exemples belges et néerlandais nous montrent qu’il n’y a pas à craindre de dérive si l’aide active à mourir est bien encadrée ».

        

Les pratiques belge et hollandaise ne sont malheureusement pas ce que l’on voudrait faire croire.

Des études très récentes parues dans une revue médicale canadienne, la Canadian medical association, ont mis en lumière des dérives notables dans les pratiques belges. Sur un échantillon de 208 personnes décédées à la suite d’une injection létale, 32 % n’avaient pas exprimé explicitement le souhait d’être euthanasiées. Dans cet échantillon, la décision n’avait même pas été discutée avec les intéressés dans 78 % des cas. Une autre étude révèle que dans 12 % des cas les injections létales ont été administrées par des infirmières et non par des médecins. Elle conclut que ces infirmières ont exercé illégalement ces tâches.

 

La mission de l’Assemblée nationale d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 a relevé que la procédure applicable en Belgique était déroutante par sa rapidité, le temps nécessaire estimé par un praticien pour remplir les déclarations d’euthanasie étant de 30 minutes. Une étude parue en 2009 révèle que le second médecin consulté l’est en réalité par téléphone sans qu’il examine le patient. Par ailleurs depuis l’entrée en vigueur de la loi belge, il faut savoir que la Commission de contrôle n’a transmis aucun dossier à la justice, alors que 3451 euthanasies dont 623 en Communauté française ont été officiellement effectuées. L’absence totale de saisine judiciaire amène à s’interroger sur la réalité du contrôle a posteriori effectué : soit on est en présence d’un professionnalisme exceptionnel sur un sujet extrêmement délicat où le questionnement s’impose d’évidence, soit on est conduit à avoir des doutes sur la réalité d’un contrôle, qui en réalité n’est que formel. Enfin la Belgique a pratiqué des euthanasies pour pouvoir prélever un organe à un moment fixé au préalable sans s’en remettre à l’aléa l’arrêt cardiaque de la personne une fois l’assistance respiratoire arrêtée. Un Congrès tenu en Belgique en 2008 a rapporté ainsi que des organes avaient été prélevés sur 4 personnes euthanasiées, 2 souffrant d’un locked in syndrom et 2 souffrant d’une sclérose en plaques. Ces pratiques établissent ainsi l’existence d’une corrélation entre les dons d’organes et des euthanasies à des fins utilitaristes. Une organisation néerlandaise, qui a pour objectif d’informer les gens qui veulent mourir sur la manière d’y parvenir, leur conseille d’aller acheter des pilules dans des pharmacies en Belgique. Les pharmaciens belges seraient en effet plus enclins à donner, sans ordonnance, certains médicaments nécessitant normalement une prescription, a écrit De Morgen le vendredi 3 février 2012.

 

Aux Pays-Bas, les euthanasies ont augmenté de 13 % en 2009 (2500 soit 1,9 % des décès contre 0,5 % en Belgique). Il y a plusieurs raisons à cela : des critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient flous qui favorisent une appréciation du médecin subjective ; un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux et une méconnaissance de la loi qui n’est pas sanctionnée. L’Ordre des médecins allemands fait état de l’installation croissante de personnes âgées néerlandaises en Allemagne notamment dans le Land voisin de Rhénanie du Nord Westphalie. S’y sont ouverts des établissements pour personnes âgées accueillant des Néerlandais. Ces personnes craignent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. Le ministre de la santé néerlandaise qui avait défendu cette loi en 2002 a reconnu publiquement en décembre 2009 que l’euthanasie avait pour effet de détruire les soins palliatifs. Enfin 20% des euthanasies ne seraient pas déclarées. Par conséquent l’argument de la transparence de cette procédure ne tient pas.

 

Lors de sa 96ème session, qui s’est tenue à Genève du 13 au 31 juillet 2009, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a mis en garde les Pays-Bas pour son « taux élevé de cas d’euthanasie et de suicide assisté ». Les membres du Comité se sont notamment inquiétés que « la loi permette à un médecin d’autoriser de mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge » et que « le deuxième avis médical requis puisse être obtenu
au travers d’une ligne téléphonique d’urgence ».

 

Une proposition allant à contrecourant de la prise en charge de la fin de vie en Europe

Depuis 2002, date de l’adoption de la loi luxembourgeoise, hormis le cas particulier du Luxembourg, aucun pays européen n’a suivi l’exemple belgo- luxembourgeois. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède ont une communauté de vues avec la France pour arrêter les traitements en pratiquant les soins palliatifs sur la personne en fin de vie.

 

Légaliser l’euthanasie est donc aller à contre courant de l’évolution des traitements de la fin de vie en Europe. D’ailleurs l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 25 janvier 2012 une résolution ainsi rédigée: «L’euthanasie, dans le sens de l’usage de procédés par action ou par omission permettant de provoquer intentionnellement la mort d’une personne dépendante dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite».

 

Transposés à la France les critères de la partie flamande de la Belgique représenteraient 12.160 euthanasies par an soit 50 par jour ouvrable, soit 60.000 personnes pour la durée d’un quinquennat.

 

D’autres réponses sont possibles

 

Assurer une prise en charge égale pour tous de la fin de vie

Les instruments  pour prendre en charge la douleur en fin de vie existent. Ils ont été définis par la loi du 22 avril 2005 et par le décret du 29 janvier 2010. La loi de 2005 a proscrit l’obstination déraisonnable, défini des procédures d’arrêt de traitement collégiales et transparentes accompagnées par des soins palliatifs et autorisé la pratique du double effet. Le décret du 29 janvier 2010 (article R .4127-37 du code de la santé publique) couvre l’hypothèse où l’on ne peut évaluer la douleur d’un malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ou dans le cas d’un maintien artificiel en vie. Dans cette situation les médecins sont invités à recourir aux antalgiques et aux sédatifs.

 

Toutefois ce recours aux antalgiques couplés avec des soins palliatifs n’est pas systématiquement appliqué. L’étude MAHO réalisée en France a démontré que seulement 24% des patients meurent entourés de leurs proches alors que la mort est prévue dans la très grande majorité des cas. Seulement 35% des infirmières interrogés estiment la qualité de la fin de vie des patients est à un niveau qu’elles accepteraient pour elles-mêmes.

 

Il convient donc de développer ces pratiques par de l’information, de la formation et de la pédagogie. Agir dans ce sens, c’est favoriser l’égalité des soins et faire échec à de mauvaises pratiques médicales qui fabriquent artificiellement des demandes d’euthanasie. On ne saurait admettre que des établissements s’approprient la loi de 2005 et les soins palliatifs tandis que d’autres les ignorent.

 

Lutter contre l’obstination déraisonnable.

Développer les soins palliatifs contribue aussi à faire reculer l’obstination déraisonnable. Selon un sondage réalisé en janvier 2011 pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, 68 % des personnes interrogées ne savaient pas que la loi de 2005 interdisait l’obstination déraisonnable. Une étude du Centre d’éthique de l’espace clinique de l’hôpital Cochin réalisée en 2009 et 2010 sur 167 personnes et parue en octobre 2011, a révélé que 90 % d’entre elles ignoraient les directives anticipées. La vulgarisation de la loi Leonetti accuse donc un grand retard. Des efforts doivent être donc menés dans plusieurs directions :

 

Continuer à développer les soins palliatifs.

Le programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 poursuit plusieurs objectifs: diffuser les soins palliatifs dans des services où ils étaient peu présents jusqu’à maintenant, c’est-à-dire les unités de soins de longue durée (USLD) et les hôpitaux locaux  et  identifier des lits de soins palliatifs dans les services de soins de suite.  A la notable exception de Rennes, tous les CHU disposent désormais d’une unité de soins palliatifs. En 2012, on compte 6178 lits de soins palliatifs: 4913 lits identifiés (soit 2000 de plus qu’en 2008), 1265 lits d’unités de soins palliatifs pour 105 unités de soins palliatifs et 353 équipes mobiles de soins palliatifs, financées au titre des Missions d’Intérêt Général (MIG) pour assurer un rôle de conseil, d’appui et de soutien aux personnels des unités de soins et des établissements médicosociaux La présence des soins palliatifs dans les EHPAD est également appelée à se développer grâce à l’accroissement des possibilités d’intervention des Équipes mobiles de soins palliatifs, à la diffusion de la culture palliative et à l’expérimentation de la présence d’infirmières de nuit formées aux soins palliatifs dans les EHPAD.

 

Développer les soins palliatifs, c’est également légitimer et diffuser les soins palliatifs en les consacrant au niveau universitaire. Une des conclusions du rapport d’évaluation de loi de 2005 était de favoriser la mise en place de postes de PU-PH en médecine palliative avec, dans un premier temps une création de poste dans chaque inter région puis, à terme, son développement dans chaque faculté. Dix postes de professeurs associés de médecine palliative ont été créés en 2010 et 2011.L’ouverture de postes de chefs de clinique est appelée à aller de pair avec la création de ces postes de professeur associé. En 2012 un master national Soins palliatifs, éthique et maladies graves doit voir le jour.

 

Développer les technologies médicales doit aider à prendre des décisions de limitation ou d’arrêt thérapeutique chez des patients qui ne sont pas en fin de vie comme les patients en état végétatif ou pauci-relationnel. Jusqu’à très récemment il n’était pas possible de porter un pronostic sur ces patients. Les algorithmes prévisionnels, qui combinent IRM multimodale, biologie et électrophysiologie, sont en cours de développement et s’avèrent extrêmement performants, dans la mesure où ils permettront de formuler un pronostic au bout de quelques semaines. Les perspectives offertes par ces nouvelles technologies éviteront de favoriser une obstination déraisonnable et des mauvaises pratiques médicales, qui peuvent générer artificiellement des demandes d’euthanasie.

 

Renforcer les droits des malades

L’existence des droits offerts par les directives anticipées est encore peu connue. Un moyen consistant à leur donner plus d’écho consisterait soit à les intégrer dans un registre national comme pour les refus des dons d’organes, soit à les mettre sur la carte vitale des patients. Mais la prise en compte de la volonté des malades n’est pas seulement affaire d’organisation. C’est aussi affaire de contenu. Les directives anticipées ne peuvent présenter de réel intérêt pour le malade que si elles sont précises, correspondent à une situation médicale donnée et à un traitement. Là encore la réglementation devrait l’énoncer plus précisément qu’elle ne le fait aujourd’hui.

 

Humaniser la mort hospitalière

Resocialiser la mort à l’hôpital où meurent aujourd’hui les deux tiers des malades doit participer d’une démarche collective qui ne se reconnaît pas dans le refoulement de la mort  nourrissant cette revendication du  suicide assisté.

 

La revendication de l’aide à mourir est fondée sur l’autonomie de l’individu, sur sa liberté. Or la vraie liberté de la personne en fin de vie, c’est d’être accompagné, ce n’est pas d’être seul.

Le progrès social se situe plus dans l’évitement de la solitude et l’anonymat de la mort à l’hôpital que dans l’accomplissement d’un geste brutal, qui restera toujours une transgression très difficile à assumer pour celui qui l’effectue, qu’il soit ou non médecin. Le progrès social n’est pas à rechercher dans une loi qui prétendrait ne plus avoir affaire avec la souffrance et le malade, en supprimant la personne. Historiquement le progrès social s’est toujours plus reconnu dans la valeur de solidarité que dans l’individualisme.



[1]  Ce groupe de travail réunit des juristes, des professionnels de santé de la réanimation, des soins palliatifs et des  cancérologues.

 

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