Responsabilités de vie

Emmanuel Hirsch

Président du Collectif Plus digne la vie, professeur d’éthique médicale, université Paris-Sud

 

Les réflexions développées dans nos hôpitaux à propos des conditions du mourir contribuent depuis près de trente ans à la restitution d’une dimension profonde des soins, aujourd’hui encore atténuée voire révoquée par une technicité abusive. Ce dont il est question lorsqu’est évoquée l’inhumanité de certains traitements obstinés ou même la déshumanisation de la relation de soin éprouvée, à un moment donné, comme l’insurmontable souffrance à laquelle mettre fin quelle qu’en soit la méthode.

Alors que dans les années 1980 l’obsession de « la mort dans la dignité » semblait devoir imposer une législation autorisant l’assistance médicalisée à la mort par la dépénalisation de l’euthanasie, en quelques années les professionnels de santé ont su instaurer un ensemble de dispositifs qui, de la lutte contre la douleur aux soins palliatifs et à l’accueil en chambres mortuaires, sollicitent d’autres mentalités et des approches différentes qui contestent les indignités et les manquements tolérés jusqu’alors. Penser la fin de vie et mieux en intégrer l’accompagnement dans les activités des services hospitaliers, c’est accepter d’interroger le sens des pratiques et parfois même leur justification. Il s’agit là, également, de réinvestir un soin compris dans la continuité d’un parcours qui unit plus qu’on ne le pense dans une attention partagée la personne malade, ses proches et une équipe soignante. Un soin compris comme un engagement qui trouve des formes d’expression souvent rares lorsqu’il consiste à se rendre disponible à l’autre dans sa vérité, son attente et parfois même ses choix ultimes.

Le champ des pratiques hospitalières les plus exposées et les plus éprouvantes constitue certainement le lieu privilégier où enraciner une réflexion éthique et politique. De manière récurrente et parfois excessive l’actualité en atteste. Elle ne peut cependant s’édifier que sur la base du débat démocratique argumenté et contradictoire, soucieux de la personne plus vulnérable et dépendante dans la proximité de sa mort. Les  principes de respect, de justice et de sollicitude doivent être compris comme une exigence de responsabilité à son égard.

Mourir en société peut exprimer la revendication d’une mort accompagnée avec humanité, digne, insoumise aux seules considérations biomédicales ou de gestion sociale des fins de vie. Il s’agit désormais de renouveler la pensée que justifie ce domaine si sensible qui touche aux fondements  de la société — elle ne saurait se limiter à la reconnaissance des conditions de la mort médicalement assistée, à la dépénalisation ou à la légalisation de l’euthanasie revendiquée d’un point de vue dit philosophique comme « la dernière liberté ».

Les choix nécessaires apparaissent délicats, complexes, tant la délibération s’avère difficile dans un contexte où culminent — dans nos pays économiquement développés — tant de paradoxes et d’attentes contradictoires. La mort actuelle est révélatrice de nos attitudes face à la vie, la médicalisation de l’existence semble ne plus solliciter que des considérations où prédominerait l’approche scientifique au détriment de toute autre requête ne serait-ce qu’anthropologique.

Le temps de fin de vie doit toutefois être considéré comme un parcours dans l’existence qu’aucun obstacle ne saurait entraver jusqu’à son terme. Cette période s’avère d’autant plus respectable qu’elle est limitée et toujours singulière.

C’est donc en termes de responsabilités de vie, assumées de vivant à vivant, que devraient être envisagée nos approches humaine et politique des situations de fin de vie, tenant compte d’un devoir de retenue, de décence et de dignité à l’égard des personnes plus vulnérables que d’autres du fait de leur exposition à l’imminence d’une mort.

 

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