Réaction à l’éditorial du 16 août 2011

Par Dominique Yufera

Ce texte nous a été adressé en réaction à l’éditorial Il y a trahison à la vocation du médecin de confondre l’acte de sollicitude avec le geste du meurtre.

 

Sexagénaire, adhérente à l’ADMD et administratrice à  »Ultime Liberté », je me permets de vous faire part de quelques réflexions à la lecture de votre article : « Il y a trahison à la vocation du médecin de confondre l’acte de sollicitude avec le geste du meurtre », en page d’accueil du site Plus Digne la Vie.

Je souhaite simplement vous soumettre une question, ma question, mon interrogation.

Lorsque je lis :

 

« S’il est un droit de la personne malade en fin de vie, c’est celui de vivre sa vie jusqu’aux limites de ce qu’elle souhaite. Il convient de rendre encore possible et tenable une espérance, un projet qui permettent à la personne de parvenir, selon ses préférences, au terme de son cheminement, de sa réalisation.
 Le législateur a eu la sensibilité et l’intelligence de comprendre que la personne devait être respectée dans son autonomie, en fait dans l’expression de sa liberté. Tel est, selon moi, l’enjeu majeur. Comment envisager, avec elle, les conditions d’une liberté digne d’être vécue mais aussi qui, à un moment donné, incite à ne plus persévérer de manière vaine ou injustifiée ? »

et encore :

« Il nous faut penser les réalités délicates (…) douloureuses des phases terminales en surmontant la tentation du renoncement ou au contraire de l’opiniâtreté contestable. Le juste soin nous incite à mieux définir une position de respect et de mesure à l’égard de la personne malade et de ceux qui lui sont proches.
 (…) La (la personne) reconnaître dans sa dignité et ses droits renvoie désormais à l’exigence de prendre en compte sa volonté, ses choix, qu’ils soient explicites ou exprimés par un interlocuteur qui lui serait fidèle. »

 

Je suis heureuse, parce qu’il me semble que nous poursuivons le même but : Le respect du choix de la fin de vie de la personne, lorsqu’elle exprime ou l’a déjà exprimé.

Heureuse un instant, un instant seulement, parce que je lis également :

 « (…) démocrates sensibles aux devoirs d’humanité (…) investis au quotidien auprès de personnes malades. (…) Leurs expériences les incitent à réfuter des thèses inappropriées… Ils ne se reconnaissent pas dans les disputations émotionnelles, qui tentent de détourner le corps social de ses véritables responsabilités en proposant des solutions dénaturées…la disqualification, le rejet et de l’exclusion, (…) faute d’avoir le courage d’inventer ensemble les conditions humaines et sociales d’une existence encore digne d’être vécue jusqu’à son terme naturel. »

Là est le cœur de mon interrogation.

Moi, Dejiha, ai écrit, ré-écrit, dit, crié à l’envi que :

« À compter du jour où : Je ne serai plus capable de Dire ni d’Écrire « Je Prends Plaisir à Vivre », et où, la Médecine ne pourra certifier que mon état de santé peut s’améliorer, alors, je ne veux plus survivre »

Alors, de quel droit, Monsieur, m’imposeriez-vous, quand bien même serais-je gâteuse et hilare, un prolongement de ma fin de vie « jusqu’à son terme naturel » ?

Quel frein vous retiendrait de me reconnaître la liberté d’accéder à une mort douce alors que moi, Dejiha, me vivrais indigne de moi-même ?

 

La loi Leonetti : « À cet égard, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie constitue l’avancée législative nécessaire qu’il ne convient plus que d’accepter de mettre en œuvre, dans les circonstances qui la justifient, partout sur notre territoire national. »

Je vais citer Monsieur Gilles Antonowicz, dans l’hebdomadaire Le Point du 2 décembre 2008 :

« La sédation terminale : (…) c’est une euthanasie encadrée par une certaine procédure. En plaçant la personne dans le coma artificiel ou en supprimant l’alimentation artificielle, on la conduit en effet lentement vers la mort. La difficulté est celle de l’emploi de sédatifs. En France, ils ne sont autorisés que pour soulager les souffrances : un médecin n’est pas autorisé à en donner à une dose qui abrège la vie. En revanche, la loi Leonetti permet d’en prescrire dans la mesure où ils soulagent les souffrances, mais à des doses qui pourraient avoir pour effet secondaire d’entraîner la mort. Cela met les médecins dans une situation impossible : l’euthanasie n’est pas interdite, mais elle n’est pas non plus autorisée. Il faut clarifier l’emploi des sédatifs et permettre aux médecins de les utiliser dans certains cas pour endormir la personne à sa demande en 24 heures ou même en deux heures ! Pas plus tard que jeudi dernier, une personne qui était dans un état végétatif chronique irréversible depuis plus de quatre ans est décédée dans le cadre de la loi Leonetti. Quand on a décidé de lui enlever l’alimentation artificielle, elle a mis 12 jours pour mourir ! Pour la famille, c’est absolument épouvantable. »

Très peu pour moi et pour ceux qui me chériraient.

Deux clins d’œil, Monsieur, sans abuser de votre temps :

1 – Je ne demande ni la disqualification ni l’exclusion de personne, encore moins les miennes.

Je réclame l’autorisation de mettre fin à ma vie en douceur, lorsque mon corps me sera insupportable. Un corps qui nous est imposé dès notre conception. Votre existence dans votre enveloppe corporelle, comme la mienne, celle de tous, ne sont que des aléas sexuels.

2 – Vous parlez du « manque de courage d’inventer ensemble (…) existence encore digne d’être vécue jusqu’à son terme ».

Votre phrase, Monsieur, signifie deux faits :

a) Que certaines fins d’existence ne sont pas dignes. OUF… Cela me fait plaisir. J’en avais assez d’entendre que ma dignité à moi ne se lirait que dans le regard des autres ! Merci

b) Le « manque de courage d’inventer ensemble… » me fait sourire. Manque de courage ? Vous dites manque de courage ? Je vous mets au défi, très gentiment, Monsieur, d’avoir fait preuve d’autant que courage que moi en 60 années de vie. Voyez-vous, lorsque le courage m’autorise à percevoir une issue, je fonce.

 

Mais, mais, lorsqu’il n’y aura plus d’issue… Pourquoi voudriez-vous que je lutte encore ? Par autopunition ?

Je vous remercie, Monsieur, de m’avoir offert la possibilité de m’exprimer.

 

3 comments to Réaction à l’éditorial du 16 août 2011

  • normand

    On est toujours pressé de se débarrasser de la souffrance, on veut comme vous dites  » foncer » lorsqu’on voit une issue.
    Parce qu’il n’y a pas d’autres issues que la mort.
    Alors au moins, on souhaiterait une mort douce. On voudrait une mort douce, on exigerait une mort douce.
    mais la mort ne réponds pas d’une telle autorité.
    Peut-on répondre à la violence de la souffrance par une autorité , alors qu’on souhaite une douceur?
    Chère Madame l’euthanasie n’est pas une mort douce.
    Il faut parfois deux piqûres pour arrêter le coeur vaillant d’un enfant de six ans dont on n’a jugé la vie pas digne d’être vécue, et c’est moi, kinésithérapeute, qui reçois l’appel déchirant de la maman qui me dit ça.
    Un enfant que j’ai soigné de 3 mois à six ans, heureux de vivre avec les siens, mais très handicapé… atteint d’une maladie incurable. Bien sûr il devait mourir, puisqu’atteint d’une maladie incurable, il n’aurait pas dû vivre au delà de quatre ans.
    Cet enfant avait sa place dans la vie de sa famille. Qui a décidé autrement?
    Pourquoi la maman me dit cela?
    partout, partout, était inscrit  » projet de vivre: vivre » et  » vivre jusqu’à la fin »
    Qui a décidé ça?
    Que répondre à cette maman qui souhaitait que cet enfant meurt dans ses bras et qui est mort comme chez un vétérinaire, comme une pauvre bête?
    Où est la dignité chère Madame, si nous ne savons pas faire autrement que comme des animaux? si nous ne concevons plus l’amour que comme une pornographie bestiale qui liquide tout en quelques secondes??

    La mort n’est pas douce , l’euthanasie n’est pas douce. Les bras de cette maman auraient été doux pour cet enfant.
    La mort est faite de la douleur de quitter les siens. Je parle de la personne qui meure mais aussi de celle de ceux qui l’entourent.
    Mais la souffrance s’apaise lorsque qu’il n’y a plus de lutte; il faut céder avec lui dans la lutte, et la personne en fin de vie ne souffre plus lorsque son proche dépasse sa souffrance et le laisse partir. Assurément notre propre souffrance fait souffrir l’autre,notre regard sur lui comme une personne dont la vie ne vaut plus le coup le fait souffrir et c’est nous qui véhiculons cette souffrance.
    la mort douce ça n’est pas le précipiter dans le trou, c’est le laisser descendre à son rythme et utiliser tous nos moyens médicaux ou autre pour atténuer sa douleur.
    Lui laisser son dernier souffle, c’est lui laisser son dernier mot. sa vie lui appartient et n’appartient à personne d’autre, même pas à ses proches. et encore moins au corps médical.

    c’est vrai que la médecine a un pouvoir énorme sur la vie des gens, mais pas sur la mort.
    La modernité en est à comprendre le deuil, qui n’est pas un manque comme on le croit lorsqu’on ne broie que du noir, mais un exces d’émotions que l’on ressent en fin de vie de celui qu’on aime et qui va partir ; cet excès qui voudrait tuer la souffrance, ne le peut pas dans le deuil. on ne meure pas avec ceux qu’on aime! ça ferait beaucoup de morts en fin de compte. Non on surmonte le deuil, on dépasse cette souffrance, difficilement, mais on y arrive et ce n’est pas une question d’âge ou d’expérience, chere Madame, et ce n’est pas soixante ans de vie qui y change quelque chose, c’est toujours une première fois, on en prend jamais l’habitude, comme on ne peut prendre cette mauvaise habitude de régler les choses de façon radicale, ni la fin de vie, ni le deuil, en tournant la page, si simplement.
    La liberté puisque vous parlez  » d’ultime liberté » c’est de s’en libérer et on ne s’en libère pas, ni dans un sacrifice ( l’autopunition dont vous parlez), ni dans un meurtre ( un mérite que vous associez à la mort) . Tout cela est le mythe du héros. Et personne n’est un héros, même un médecin qu’on aimerait bien qu’il ait le pouvoir d’achever ce qu’on ne saurait achever. On ne fonce pas pour se libérer d’une fin de vie plus vite, comme on ne fonce pas pour faire son deuil.
    C’est la mode de faire tout à toute vitesse, comme si on voulait dominer la vitesse de la lumière. Mais vous savez comme moi, que ces affaires là ne se règlent pas en exigeant quoi que ce soit.
    Ni à coup de piqûres euthanasiantes, ni à coup d’antidépresseurs. Il faut du temps. si le combat est nécessaire à la maladie, pour y puiser des forces et toutes nos ressources, il doit savoir céder devant l’inéluctable , devant l’irréparable, sans céder à la violence. Si le combat d’une maladie apprend quelque chose, c’est bien cette vulnérabilité, cette impuissance à ne pas pouvoir faire tout ce qu’on voudrait, à apprendre certaines limites , mais aussi à savoir sauvegarder la liberté , puisqu’il faut parler de liberté, de faire face aux assauts de la souffrance, de prendre garde à ses excès en les connaissant.

    Vous savez, les familles soulagées sans doute du geste du médecin de Bayonne, ne porteront pas plainte, puisque ces affaires là ne relèvent de la justice et du droit que pour sauvegarder la vie, et réguler un contrat social qui éviterait les abus . Pensez à ceux qui vivent aujourd’hui une maladie incurable et qui vivent chez eux, que peuvent-ils penser de ce débat? qui débat de leur sort, dans l’espace que la société leur laisse.
    Le débat d’ »aujourd’hui est de leur faire une place, et de faire une place et un espace pour que l’on puisse entendre la voix de tous,
    si on achevait ceux qui souffrent chère madame, vous y passeriez aussi et moi avec.

    Merci chère madame d’avoir eu le courage de venir jusqu’à nous discuter en humain.
    Avec tout le respect que l’on se doit .

  • Dominique YUFERA

    Bonjour Normand.

    Merci de nous permettre de débattre sereinement.

    J’ai essayé d’extraire quelques grandes lignes de votre réaction.

    Vous écrivez :
    « Chère Madame l’euthanasie n’est pas une mort douce… l’euthanasie n’est pas douce… »
    Littéralement, Euthanasie signifie la Mort Douce.
    Pour illustrer une Mort Douce, je vous invite à visionner le documentaire « Le Choix de Jean », visible ici : http://www.dailymotion.com/video/xz9gi_le-choix-de-jean_shortfilms.
    Écoutez bien les dernières paroles de Jean.

    Dans votre texte, je vois aussi l’amalgame : « Euthanasie = fuite de la douleur. »
    Vous écrivez : « On est toujours pressé de se débarrasser de la souffrance… il n’y a pas d’autres issues que la mort. Alors…on souhaiterait une mort douce…. on exigerait une mort douce »
    Cet amalgame n’est pas faux, mais pas systématiquement vrai. J’en reparlerai plus tard.
    Lorsque cet amalgame est réel, il me paraît légitime, qu’une personne agonisante, avertie des possibilités récentes de mettre un terme à sa vie sans souffrance, les réclame. Surtout si, auparavant, « du temps de sa jeunesse », elle avait réfléchi à sa fin de vie, rédigé ses souhaits et en avait fait part à des amis, de la famille.
    Il est hors de question, à mes yeux, de systématiser la Mort Douce. Il est question du respect du libre choix de la personne. Et je ne comprends pas que l’on s’arroge le droit de refuser une Mort Douce à un mourant qui la demanderait.

    Je devine, peut-être à tort, la pensée suivante :
    « L’acceptation douce et aimante, de la part des ‘survivants’, de la déchéance de la personne concernée, adoucit ses souffrances.
    Vous écrivez : « Mais la souffrance s’apaise lorsque qu’il n’y a plus de lutte; il faut céder avec lui dans la lutte, et la personne en fin de vie ne souffre plus lorsque son proche dépasse sa souffrance et le laisse partir… notre propre souffrance fait souffrir l’autre, notre regard sur lui comme une personne dont la vie ne vaut plus le coup le fait souffrir… la mort douce… c’est le laisser descendre à son rythme et utiliser tous nos moyens médicaux ou autre pour atténuer sa douleur… Lui laisser son dernier souffle, c’est lui laisser son dernier mot.  »
    Je pense comprendre votre réflexion.
    Sauf que atténuer les douleurs d’un agonisant est le plus souvent un vœux pieux. Pour avoir aidé bien des mourants, je peux vous certifier que la sérénité attentionnée des proches ne suffit pas à en calmer les souffrances. Votre pensée est belle, mais illusoire.

    Je devine votre souffrance morale à vous, soignant, face au décès d’un enfant que vous soigniez.
    « Les bras de cette maman auraient été doux pour cet enfant… »
    Dans ce cas très douloureux, je vous comprends. Mais, nous sommes loin, très loin de l’Euthanasie en fin de vie..

    Ma vision de l’accouplement humain.
    Vous écrivez : « Où est la dignité chère Madame, si nous ne… concevons plus l’amour que comme une pornographie bestiale… »
    C’est pourtant la réalité. L’acte d’accouplement est intrinsèquement bestial, conditionné par des millénaires de besoin de survie de l’espèce. Si l’amour et le respect mutuels sont au rendez-vous, alors tant mieux.
    Je souhaite vous soumettre une interrogation, Normand :
    « Qui sommes-nous pour avoir droit de vie ? »
    Pour moi, cette question est fondamentale. Mes parents ont fait comme tous les parents, ils m’ont fabriquée. Qui étaient-ils pour s’arroger le droit de créer une vie humaine, avec ses hauts et ses bas ?
    Ils m’ont imposée une vie, avec laquelle je fais de mon mieux. Mais, dorénavant, je n’admets pas que l’on ne me dénie le droit de la quitter en douceur, quand et comme je le veux.

    Les amis, les proches…
    La mort est faite de la douleur de quitter les siens… aussi de celle de ceux qui l’entourent. … le deuil… un excès d’émotions… qui voudrait tuer la souffrance … on surmonte le deuil… dépasse cette souffrance… on y arrive et ce n’est pas une question d’âge ou d’expérience…ce n’est pas soixante ans de vie qui y change quelque chose, c’est toujours une première fois, on en prend jamais l’habitude, comme on ne peut prendre cette mauvaise habitude de régler les choses de façon radicale, ni la fin de vie, ni le deuil, en tournant la page, si simplement…..
    Ici, Normand, vous parlez de vos souffrances à vous, spectateur impuissant. Nous sommes loin du respect éventuel du désir de l’agonisant.

    Sachez, Normand, que je ne porterai pas mes quelques 60 ans en étendard. Pourtant, il est vrai que j’ai l’immense chance de vieillir. Et j’en suis heureuse. J’acquiers, me semble-t-il, une perspective plus large de notre vie d’humains, une vision « en grand angle ». Ce qui me passionne est d’essayer de comprendre les humains. Je sais que je n’y arriverai jamais. Mais je continue.

    Je vous avais promis de revenir sur la Mort Douce, qui ne serait pas une fuite de la douleur.
    À mes yeux, ma vie n’a de sens, tant que je peux être utile à autrui.
    Du jour où, souffrances ou pas, je serai à la charge de 1, 2… personnes et/ou de la ‘société’, je ne veux plus exister.
    Voilà, c’est ainsi, c’est ma décision.
    Alors, sachant que cela est possible, je ne comprends pas de quel droit ‘on’ me priverait l’accès à une Mort Douce, pire, de quel droit ‘on’ m’obligerait à ‘survivre’.

    Me suis-je fait, un peu… comprendre ?

    Je vous salue et vous remercie de vos propos.

    Cordialement,

    Dejiha.

  • normand

    bravo pour vos charbons ardents, et pour la démonstration de votre belle jeunesse.
    Mais les personnes qui souffrent attendent autre chose qu’une démonstration de force verbale.
    le débat sur une légalisation de l’euthanasie est clos.

    Véronique Normand