Au bord de la mort : le malade et son entourage

Par Nicole Carré, psychanalyste.

Ce texte est extrait de l’ouvrage Vivre avec une personne malade, les Éditions de l’Atelier, 2007.

Ces longues semaines de plongée progressive dans la mort m’ont fait découvrir que la vie est un don. Je ne saurais pas l’expliquer, mais cela a été une évidence incontestable et maintenant j’essaie de la vivre.
La façon dont on voit les choses quand on y est et avant est totalement différente. Avant on est dans la peur, on est dans l’imaginaire. On est dans l’imaginaire, donc dans la peur. Quand on est entièrement pris dans ce que l’on vit, on n’a plus la force ni l’envie d’élucubrer. Il nous est bon de le savoir ; cela aide à relativiser notre tendance à l’anticipation.

La dépendance a été, pour moi, l’occasion de grands cadeaux et d’une guérison intérieure.
Alors, qu’elle est, pour beaucoup de personnes, si difficile à vivre. La dépendance m’a aidée à entrer dans l’amour. Dépendre des autres pour tous les soins de mon corps, ne rien pouvoir faire par moi-même, même pas me soulever sur mes oreillers quand j’en glissais, même pas appeler ou sonner pour faire pipi parce que je n’en avais pas la force, m’a fait me livrer aux soins de l’autre et en découvrir la douceur. J’étais là comme un tout petit enfant. La vulnérabilité est maintenant ma richesse.
Parce que l’on m’a aimée ainsi, je me suis réconciliée avec les autres et avec moi-même. J’ai enfin compris, de l’intérieur, que vie et souffrance peuvent coexister.

Je ne suis plus écrasée par la souffrance, je suis en paix. Je ne me bats plus contre les forces de la mort, mais pour la vie ainsi que je l’ai fait malade et mourante. Espérer, ce n’est pas vaincre, c’est continuer à croire en la lumière et savoir que le présent porte les germes de l’avenir.


Partisans et opposants à l‘euthanasie, les uns comme les autres, prétendent à légiférer à partir de situations particulières ou exceptionnelles. Ce n’est pas possible. La loi est faite pour réguler la vie en société en cherchant le bien du plus grand nombre. Ce n’est pas parce qu’elle met nécessairement en tension la personne et la communauté, quand elle se rapporte à des cas très spécifiques, qu’elle doit être annulée.

Partisans de l’euthanasie comme opposants à l’euthanasie le sont au nom de la dignité de l’être humain. Pour les partisans de l’euthanasie, la dignité se construit. Elle peut donc être perdue, en particulier par la dépendance, « la déchéance ». Pour les opposants à l’euthanasie, elle est un déjà là, inaliénable, constitutif de toute personne humaine, quel que soit son état, physique, psychique, spirituel. Selon cette opinion, nous sommes dignes parce que nous sommes une personne, selon l’opinion inverse nous ne sommes une personne que si nous sommes dignes. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes responsables, responsables de ce que nous faisons d’une dignité originelle ou responsables d’une dignité que nous construisons.

Là où est la responsabilité est le devoir de répondre. Chacun à la place qui est la sienne. Chacun et tous, nous devons répondre à la question : « Que faire, que faisons-nous de notre dignité, et de celle des autres? » Et aussi à celle-ci « Qu’est-ce que je fais de la dignité des autres ? ». Etant liés les uns aux autres, dès avant notre naissance et encore après notre mort, la dignité de l’un est inséparable de celle des autres. Elle est donc toujours à la fois ce que l’on reçoit, ce que l’on donne, ce que l’on construit. Si nous sommes responsables de notre dignité, nous sommes aussi responsables de la dignité des autres. Nous ne pouvons donc décider de notre vie sans tenir compte des répercussions de nos choix sur les autres.

« Dans la pratique de l’accompagnement des grands malades, on comprend que tout modèle de « bonne mort » doit être critiqué dans sa conception et dans sa mise en œuvre, pour qu’il ne devienne pas source de violence. . . Il n’est pas légitime qu’un modèle s’empare et détermine l’événement de la mort de l’autre. En revanche, il est humain que cet événement advienne au sein d’une relation interpersonnelle, avec ses enjeux et ses risques, mais aussi sa dynamique de réciprocité et de reconnaissance mutuelle »

B. Matray, Croire aujourd’hui, n°51, p. 23.

« Face à cet argument de l’indignité, j’ai envie de plaider pour un droit absolu des malades à l’extrême dépendance et l’extrême faiblesse.
Chacun est évidemment libre d’évaluer le sens qu’il donne au mot dignité, mais si une loi associait l’idée d’indignité à celle de perte d’indépendance, on sortirait de la sphère individuelle et subjective. C’est la société dans son ensemble qui accréditerait la thèse selon laquelle une très grande dépendance, physique ou psychologique, équivaut à une absence de dignité. La pression sociale qui pèse déjà sur les personnes ultra dépendantes s’en trouverait intolérablement renforcée ».

Luc Ferry, philosophe et ancien ministre de l’ Education Nationale, in ‘’Le Point’’,
7 nov. 2005

 

1 comment to Au bord de la mort : le malade et son entourage

  • Beaumard Victor

    Hereux de me retrouvé solidaire de ce collectif militant pour les soins
    paliatifs . Etant menbre actif de l’A S P 32 .
    Merci pour ces informations sur la Toile .
    Amitié A + Vic